Vocation faustienne

de Gérard de Nerval

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Charles DÉDÉYAN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA FORMATION.

 

 

Pour celui qui est né à Paris en 1808 et a vécu à Mortefontaine près d’Ermenonville, lieu de surnaturel et de fantastique, bercé par les ballades de la blonde couturière Ermerance, pour le lecteur de Swedenborg et l’admirateur des romans germaniques, le thème de Faust aura une importance capitale. L’air qu’il a respiré porte les effluves préromantiques. Il est entré émerveillé dans le monde de la nature. Il a savouré les nourritures magiques des paysages et de l’enfance :

 

Le microcosmos du docteur Faust nous apparaît à tous au sortir du berceau ; mais à chaque pas que nous faisons dans le monde réel, ce monde fantastique perd un de ses astres, une de ces couleurs, une de ses régions fabuleuses 1.

 

Déjà un René de Girardin plein des poésies de Gessner a prêché le retour à la nature, la communion avec l’infini, avec le Grand Être, les grands illuminés : Cagliostro, Mesmer, le Comte de Saint-Germain se réunissaient aux soupers d’Ermenonville. Gérard le sait. Antoine Boucher, son oncle, dont la famille avait été au service des Seigneurs de Mortefontaine, a subi la contagion et à son tour il la communique à son neveu.

Les livres d’occultisme, de magie et de cabale n’ont pas eu de secret pour lui. Désabusé, il a relégué au grenier la bibliothèque d’illuminé que sont ces livres. Son déisme est mitigé. « Dieu, c’est le soleil », répondait-il à son jeune neveu. Celui-ci, tout jeune est ouvert à ces souffle 2. Il lit ainsi le Marquis d’Argens, Saint-Martin, l’Abbé de Villars, Pic de la Mirandole. Les comprend-il entièrement, c’est une autre question. Peut-être enfin Emmanuel Swedberg ou Swenberg, par sa Migration des esprits, sa Transfusion des âmes le frappe-t-il particulièrement. Cazotte et son Diable amoureux, Apulée et son Âne d’Or et ses Florides sont lus par lui 3. Herder, réformateur poétique, inspire Goethe et les Panthéistes allemands. Il ne sera pas inconnu au jeune Gérard, mais celui-ci découvre le grand Weimarien, de très bonne heure 4.

 

 

 

LE TRADUCTEUR DE FAUST.

 

 

Le Suisse Frédéric Albert Stapfer, en 1823, a donné une traduction du Faust en prose et en vers parfois inélégants. Une réimpression avec les illustrations de Delacroix en paraît en 1829. Sainte-Aulaire, qu’il connaîtra plus tard à Vienne, avait écrit une élégante et médiocre adaptation. Lui-même est piqué d’émulation. On conçoit qu’il ait espéré faire mieux, tout jeune. On comprend qu’on ait attribué à un certain Boverat 5 la traduction de Nerval naguère élève au collège Charlemagne. Il est en effet déjà tourné vers l’Allemagne que connaît son père et où est morte sa mère. Dans la Presse du 9 décembre 1850, Gérard nous a révélé comment son père lui a appris l’allemand :

 

J’ai appris cette langue comme on étudie une langue savante, – en commençant par les racines, par le haut allemand et le vieux dialecte souabe, de sorte que je ressemble ici à un de ces professeurs de chinois et de tibétain que l’on a la malice de mettre en rapport avec des naturels de ce pays... Peut-être pourrais-je prouver à tel Allemand que je sais sa langue mieux que lui, – mais rien ne me serait plus difficile que de le lui démontrer dans sa langue.

 

Il a connu sans doute le Faust de Klinger avant celui de Goethe. Cette découverte de l’œuvre du Stürmer nous a été racontée par Monselet dans l’Artiste des 21 septembre et 5 octobre 1856 :

 

Fouillant un jour dans mon humble bibliothèque, Gérard poussa un cri de joie. Il venait de s’emparer d’un livre intitulé : Les Aventures du Docteur Faust et sa descente aux Enfers, traduction de l’allemand avec figures. Il y avait plus de trente ans que Gérard cherchait ce livre : c’était pour lui un désir et un souvenir d’enfance. La première fois qu’il l’avait vu, c’était sur les rayons en plein air d’un bouquiniste du boulevard Beaumarchais. Les figures l’avaient attiré par leur étrangeté. L’une d’elles représentait un léviathan énorme, les cheveux chassés par le vent, les yeux et la bouche vomissant des flammes, habillé du reste comme un bourgeois, c’est-à-dire en justaucorps et en culotte, chaussé de gros souliers. Ce léviathan tenait du bout des doigts, entre le pouce et l’index, la dépouille humaine de Faust, ployé en deux, mort. Gérard, comme écolier, avait marchandé le livre : mais le bouquiniste, petit vieillard aussi étrange que son livre, avait demandé un prix exorbitant : quinze ou vingt francs, je crois. Gérard s’étonna et soupira, comprenant qu’il devait y renoncer. Mais la fatalité le ramenait presque tous les jours devant ce Faust inconnu ; il en avait lu plusieurs pages, il voulait lire tout. Le bouquiniste, inquiet, mit le livre dans une vitrine qui fermait à clef.

Alors Gérard se détermina à amasser sur ses économies la somme indispensable ; mais lorsqu’au bout de quinze jours il reprit le chemin du boulevard Beaumarchais, l’étalage et l’étalagiste avaient disparu. Il repassa le lendemain : même absence. Il s’informa de la demeure du vieux libraire, on l’envoya à la rotonde du Temple ; là, après avoir visité plusieurs galetas, il finit par apprendre que le bouquiniste était mort subitement, les livres avaient été envoyés à l’hôtel Bouillon et vendus par lots. Depuis lors, Gérard de Nerval n’avait jamais oublié les Aventures du Docteur Faust et le léviathan au pourpoint allemand... En retrouvant ce livre chez moi, Gérard assouvissait un de ses premiers désirs, un de ces désirs d’adolescent, les plus impérieux de tous ; on comprend sa joie, il me demanda la permission de l’emporter, je fis mieux, je le lui donnai 6...

 

Peut-être est-ce pour cela qu’il a lu la pièce de Goethe. Il l’a lue avec passion, il est séduit moins par les symboles que par le fantastique. L’apparition de Marguerite, la régénération de Faust par l’amour (Mme de Staël dit-elle son mot ?) le frappent. Il se met avec ardeur au travail : sa langue est un peu pseudo-classique, il commet des contresens, mais reste fidèle et complet. Sa traduction paraît tout à la fin de 1827. Elle plaît d’emblée. Aussi la louange ne se serait pas fait attendre du dieu weimarien : « Je ne me suis jamais si bien compris qu’en vous lisant », dit faussement la légende 7. Que s’est-il passé ? Un soir de 1828, Goethe lit après dîner. Eckermann le voit feuilleter un livre ; E. de Mirecourt a inventé un roman :

 

Que lisez-vous là, maître ? – Une traduction de mon Faust en langue française. – Ah oui, j’ai entendu parler de cela ; c’est un jeune homme de dix-huit ans... cela doit sentir le collège. – Dix-huit ans ! s’écrie Goethe, mais alors retenez bien ceci : cette traduction est un véritable prodige de style. Son auteur deviendra l’un des plus purs et des plus élégants écrivains de France.

 

Il a dit en substance, lui le vieux Faust rajeuni par la sorcellerie évocatoire :

 

Je n’aime plus le Faust en allemand, mais, dans cette traduction, tout agit de nouveau avec fraîcheur et vivacité. Il me passe par la tête des idées d’orgueil, quand je pense que mon livre se fait valoir dans la langue de Bossuet, de Corneille et de Racine 8.

Goethe n’a pas ajouté ces derniers mots au sens ambigu, noble et tristement tragique : « Je vous le répète, ce jeune homme ira loin. »

Désormais, Gérard a conclu le pacte avec le démon de la légende. Il a contracté avec le thème de Faust comme une union mystique qui ne prendra fin qu’avec sa vie.

Dans les Observations qui précèdent sa traduction, Nerval montre déjà le sens et le drame de la recherche faustienne :

 

Quelle âme généreuse n’a pas éprouvé quelque chose de cet état de l’esprit humain, qui aspire sans cesse à des révélations divines, qui tend, pour ainsi dire, toute la longueur de sa chaîne, jusqu’au moment où la froide réalité vient désenchanter l’audace de ces illusions ou de ses espérances et, comme la voix de l’Esprit, le rejeter dans son monde de poussière 9.

 

Après s’être abrité derrière Madame de Staël, qu’il cite longuement, il a montré sa parfaite intelligence de Faust :

 

Cette ardeur de la science et de l’immortalité, Faust la possède au plus haut degré, elle l’élève souvent à la hauteur d’un dieu, ou de l’idée que nous nous en formons, et cependant tout en lui est naturel et supposable, car s’il a toute la grandeur et toute la force de l’humanité, il en a aussi toute la faiblesse ; en demandant à l’Enfer des secours que le ciel lui refusait, sa première pensée fut sans doute le bonheur de ses semblables 10.

 

Ici Gérard confond, avant de connaître le second Faust, le point de départ et le point d’arrivée :

 

Il espérait, à force de bienfaits, sanctifier les trésors du démon, et à force de science, obtenir de Dieu l’absolution de son audace, mais l’amour d’une jeune fille suffit pour renverser toutes ses chimères : c’est la pomme d’Éden, qui au lieu de la science et de la vie n’offre que la jouissance d’un moment et l’éternité des supplices 11.

 

Par là, il lui paraît différent des autres héros qu’on serait tenté de lui comparer. Nerval condamne tout parallèle entre Faust, Manfred et Don Juan :

 

Les deux caractères dramatiques qui se rapprochent le plus de Faust sont ceux de Manfred et de Don Juan, mais encore quelle différence ! Manfred est le remords personnifié, mais il a quelque chose de fantastique qui empêche la raison de l’admettre ; tout en lui, sa force comme sa faiblesse, est au-dessus de l’humanité ; il inspire de l’étonnement, mais n’offre aucun intérêt, parce que personne n’a jamais participé à ses joies, ni à ses souffrances. Cette observation est encore plus applicable à Don Juan ; si Faust et Manfred ont offert sous quelques rapports le type de la perfection humaine, il n’est plus que celui de la démoralisation, et livré enfin à l’esprit du mal ; on sent qu’ils étaient dignes l’un de l’autre 12.

 

Et cependant, dans tous les trois, le résultat est le même, et l’amour des femmes les perd tous trois.

Il a été séduit et remué par le personnage de Marguerite. Pour elle il n’est qu’indulgence et compassion :

 

Quel parallèle entre ces grandes créations si différentes !... Je n’ose me laisser entraîner à le prolonger ! Mais si celle de Faust est très supérieure aux deux autres, combien Marguerite surpasse et les amantes vulgaires de Don Juan, et l’imaginaire Astarté de Manfred ! En lisant les scènes de la seconde partie où sa grâce et son innocence brillent d’un éclat si doux, qui ne se sentira touché jusqu’aux larmes, qui ne plaindra de toute son âme cette malheureuse sur laquelle s’est acharné l’esprit du mal, qui n’admirera cette fermeté d’une âme pure, que l’enfer fait tous ses efforts pour égarer, mais qu’il ne peut séduire ; qui, sous le couteau fatal, s’arrache aux bras de celui qu’elle chérit plus que la vie, à l’amour, à la liberté, pour s’abandonner à la justice de Dieu, et à celle des hommes, plus sévère encore 13...

 

La vulgarité que semblerait prêter Mme de Staël à la jeune fille n’existe pas pour lui. Il accepte tout de Gretchen. Elle n’aurait pu être différente sans être diminuée :

 

Marguerite n’est pas une héroïne de mélodrame, ce n’est vraiment qu’une femme, une femme comme il n’en existe pas beaucoup, et elle n’en touche que davantage. Trouverait-on sur la scène quelque chose de comparable à ses entretiens naïfs avec Faust 14...

 

C’est dans cet esprit qu’il a composé sa propre traduction, il a saisi la profondeur de la pensée goethéenne. Il est entré d’emblée dans le jeu. Il a su devenir le magicien évoquant l’esprit de la terre :

 

L’esprit. – En ces lieux quelle voix m’appelle ?

Faust. –    Épouvantable vue !

L’esprit. – Tu m’as évoqué puissamment

                Du sein de ma sphère éternelle ;

                Quoi donc ?

Faust. –    Ah ! Je ne puis supporter ta présence !

L’esprit. – Eh bien, en ce moment,

                Qu’à tes vœux je puis condescendre,

                Crains-tu de me voir, de m’entendre ?...

                Faust, que me veux-tu ?... Me voici.

                Ô, surhumaine créature,

                Réponds, pourquoi trembles-tu ainsi ?

                Qu’as-tu fait de ce cœur de flamme,

                Qui créait un monde nouveau ?

                Qu’as-tu fait encore de cette âme,

                Qui l’éclairait d’un jour si beau ?

                Si cette âme sublime et fière

                Se flatta de nous rassembler,

                Homme-Dieu pourquoi donc trembler

                Devant ton égal et ton frère 15 ?

 

L’affabulation mythique, l’attirance de sa pensée vers les légendes à la vérité éternelle se manifestent dès cette première ascèse.

La chanson du roi de Thulé a conservé dans la version de Gérard tout son charme musical et incantatoire :

 

            Autrefois un roi de Thulé

            Qui jusqu’au tombeau fut fidèle,

            Reçut à la mort de sa belle

            Une coupe d’or ciselé.

            

            Comme elle ne le quittait guère,

            Dans les festins les plus joyeux,

            Toujours une larme légère

            À sa vue humectait ses yeux.

            

            Ce prince, à la fin de sa vie,

            Lègue tout, ses villes, son or,

            Excepté la coupe chérie,

            Qu’à la main il conserve encore.

            

            Il fait à sa table royale

            Asseoir ses barons et ses pairs,

            Au milieu de l’antique salle

            D’un château que baignaient les mers.

            

            Le buveur se lève et s’avance

            Auprès d’un vieux balcon doré ;

            Il boit, et soudain sa main lance

            Dans les flots le vase sacré.

            

            Il tombe, tourne, l’eau bouillonne,

            Puis se calme bientôt après ;

            Le vieillard pâlit et frissonne.

            Il ne boira plus désormais 16.

 

Pour qui connaît la vie de Gérard, les tourments de cette âme et de ce corps tant de fois emprisonnés, « Kerker » est particulièrement poignant. Les mortes chantées par Gérard commencent par Marguerite. Elle est la première de ses amoureuses qui sont au tombeau :

 

Marguerite. – Non, tu dois me survivre. Je vais te décrire les tombeaux que tu auras soin d’élever dès demain ; il faudra donner la meilleure place à ma mère, que mon frère soit tout près d’elle, moi, un peu sur le côté, pas trop loin cependant, et le petit contre mon sein droit. Nul autre ne sera donc auprès de moi !... Reposer à tes côtés, c’eût été un bonheur bien doux, bien sensible ! Mais il ne peut m’appartenir désormais. Dès que je veux m’approcher de toi, il me semble toujours que tu me repousses ! Et c’est bien toi pourtant, et ton regard a tant de bonté et de tendresse 17.

 

Qu’importent les contresens 18, les fautes, qui seront du reste en partie corrigées par lui dans les éditions ultérieures 19, s’il a senti et rendu la vibration de l’âme et du cœur, s’il est entré de plain-pied dans la tragique légende qui lui coûtera la vie en lui révélant son moi inspiré : lui-même devait communiquer sa flamme fantastique à ses contemporains et en particulier comme nous l’avons vu, à Berlioz.

 

 

 

LE SECOND FAUST.

 

 

Lorsqu’une douzaine d’années plus tard, en 1840, il donnera une nouvelle édition de sa traduction, il y ajoutera « une analyse détaillée, mêlée à des scènes les plus remarquables » avec « le magnifique acte d’Hélène » du second Faust 20. C’est en effet l’acte d’Hélène qui est pour lui « véritablement la partie la plus importante... et où se retrouve encore un beau reflet de ce puissant génie, dont la faculté créatrice s’était éteinte depuis bien des années, lorsqu’il essaya de lutter avec lui-même en publiant son dernier ouvrage 21 ». Car s’il est un tenant du premier Faust, Hélène représente déjà pour lui la poursuite de l’impossible rêve. C’est à elle qu’il s’attache, encore qu’il ait traduit les scènes de la Cour, et celles de la mort de Faust, moins l’apothéose finale qui lui semble sans doute trop catholique. Il voit du reste dans ces dernières scènes l’influence de Manfred, que le « premier Faust avait évidemment inspiré 22 ».

Ne nous étonnons pas que Gérard, emporté déjà par son démon, souligne le caractère indicible de l’épisode des Mères. Le mythe agit déjà sur lui de toute sa force incantatoire dans son Introduction de 1840 aux Deux Faust :

 

Mais quelle forme dramatique, quelles strophes et quels rythmes seront capables de contenir ensuite des idées que les philosophes n’ont exposées jamais qu’à l’état de rêves fébriles ? Comme Faust lui-même descendant vers les Mères, la muse du poète ne sait où poser le pied et ne peut même tendre son vol, dans une atmosphère où l’air manque, plus incertain que la vague et plus vide que l’éther. Au-delà des cercles infernaux du Dante, descendant à un abîme borné, au-delà des régions splendides de son paradis catholique, embrassant toutes les sphères célestes, il y a encore plus loin et plus loin le vide, dont l’œil de Dieu même ne peut apercevoir la fin. Il semble que la création aille toujours s’épanouissant dans cet espace inépuisable et que l’immortalité de l’intelligence suprême s’emploie à conquérir toujours cet empire du néant et de la nuit 23.

 

Comment n’aurait-il pas profondément ressenti l’apport ineffable d’Hélène dans son personnage et dans son rôle. Elle est l’unique, l’Être primordial, comme déjà Isis et Aurélia :

 

Hélène, l’antique beauté, représente un type éternel, toujours admirable et toujours reconnu de tous, par conséquent, elle peut échapper, par une sorte d’abstraction subite, à la persécution de son époux, qui n’est, lui, qu’une individualité passagère et circonscrite dans un âge borné. Elle renie, pour ainsi dire, ses dieux et son temps 24.

 

N’est-ce pas sa propre poursuite de l’idéal, du divin qu’il compte trouver dans la conclusion et le message du poème ?

 

L’auteur semble donner pour conclusion que le génie véritable, même séparé longtemps de la pensée du ciel, y revient toujours, comme au but inévitable de toute science et de toute activité 25.

 

Lorsqu’il s’intéresse déjà aux doctrines ésotériques 26, il reconnaît que le poème n’est pas facile à comprendre, mais l’hermétisme n’est point pour déplaire à Gérard. Il se fait le hiérophante de Goethe comme traducteur et comme commentateur. Il entre avec délices dans les détails du sacré. À travers Goethe ne suit-il pas déjà sa propre voie ?

 

La pensée même de l’auteur est souvent abstraite et voilée comme à dessein, et l’on est forcé d’en donner l’interprétation plutôt que le sens. C’est ce défaut capital, surtout pour le lecteur français, qui nous a obligés de remplacer par une analyse quelques parties accessoires du second Faust 27.

 

Ainsi l’inspiration poétique le soutient dans les vers comme dans la prose de sa version et de son commentaire analytique. Le second Faust devient une véritable recréation nervalienne. Le disciple semble vouloir soutenir le maître. Il est séduit et subjugué par les symboles. Là où Blaze de Bury n’a vu que littérature, une Hélène, image de la Grèce Antique, vivant avec Faust dans un manoir image du Moyen Âge, le mariage par conséquent de l’antiquité et du romantisme, Gérard a cherché mieux. Il a reconnu dans le panthéisme goethéen la survie des êtres, le retour spirituel en leur essence et même en leur forme terrestre. Après avoir connu l’infini du présent, Faust est introduit dans l’infini du passé. Tout n’est pas anéanti ; survivent les esprits d’élite :

 

Là écrit Nerval, ces fantômes accomplissent encore ou rêvent d’accomplir les actions qui furent éclairées jadis par le soleil de la vie, et dans lesquelles elles ont prouvé l’individualité de leur âme immortelle. Il serait consolant de penser, en effet, que rien ne meurt de ce qui a frappé l’intelligence, et que l’éternité conserve dans son sein une sorte d’histoire universelle, visible par les yeux de l’âme, synchronisme divin 28 qui nous ferait un jour participer à la science de celui qui voit d’un seul coup d’œil tout l’avenir et tout le passé 29.

Ce qui survit doit être perceptible au regard des autres âmes, et de celles même qui ne se dégagent des biens terrestres que pour un instant, par le rêve, par le magnétisme, ou par la contemplation ascétique 30.

 

Il s’agit pour le chercheur, pour le voyant, d’accomplir l’opération merveilleuse et magique. Celle du poète, invocateur du passé, est l’image de celle du mage :

 

Hélène et Pâris, les ombres que cherche Faust, sont quelque part errant dans le spectre immense que leur siècle a laissé dans l’espace ; elles marchent sous les portiques splendides et sous les ombrages frais, qu’elles rêvent encore et se meuvent gravement, en ruminant leur vie passée. C’est ainsi que Faust les rencontre et par l’aspiration immense de son âme à demi dégagée de la terre, il parvient à les attirer hors de leur cercle d’existence et à les amener dans le sien 31.

 

N’est-ce pas ce que Gérard lui-même va désespérément chercher dans la quête de sa mère, d’Aurélia ou d’Isis, qui se superposent et confondent dans la grande image féminine, à la fois compagne et protectrice.

La deuxième partie n’est donc pas inférieure dans la traduction à la première. La prose vaut les vers et les parties lyriques, celles du Chœur, par exemple, sont en prose rythmée pleine d’harmonie. Voici le thrène funèbre d’Euphorion :

 

 

            Pas seul ! – Qu’importe où tu séjourneras !

            Nous croyons assez te connaître.

            Hélas ! si tu quittes le jour,

            Nul cœur ne se séparera de toi.

            À peine nous osons te plaindre ;

            Avec peine nous célébrons ton sort

            Dans le jour ou dans les ténèbres,

            L’amour et le courage furent grands en toi 32 !

            .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   

            Rien n’a pu t’arrêter, et toi-même,

            Tu t’es pris au réseau fatal !

            Ainsi, tu t’es brouillé sans crainte

            Avec les mœurs et avec la loi,

            Pourtant, tu as, par tes rêves sublimes,

            Montré ce que valait ton audace si noble ;

            Tu voulais emporter le plus beau des triomphes,

                  Mais c’est là que tu t’es perdu 33 !

 

Mais la prose à l’état pur a un dépouillement et une précision remarquables : telles ces paroles de Méphisto décrivant les Mères :

 

Un trépied ardent te fera reconnaître que tu es arrivé à la plus profonde des profondeurs. Aux lueurs qu’il projette, tu verras les Mères, les unes assises, les autres allant et venant, comme cela est. Forme, transformation, éternel entretien de l’esprit éternel, entouré des images de toutes choses créées. Elles ne te verront pas, car elles ne voient que les êtres qui ne sont pas nés. Là, point de faiblesse car le danger sera grand. Va droit où tu verras le trépied et touche-le avec la clef 34.

 

Le commentaire analytique épouse le texte, mais Gérard, tout en assurant la continuité de l’œuvre par de longues citations et en animant le résumé, porte en même temps un jugement sur le rôle et l’attitude des personnages, comme dans Une Salle du Palais :

 

Faust a disparu dans l’abîme du vide. Méphistophélès, qui vient de lui donner les moyens d’accomplir courageusement son épreuve, retourne près de l’empereur, qui, dans une salle richement éclairée, attend le résultat de cette fantasmagorie. Le chambellan exprime à Méphistophélès l’impatience du souverain. Réduit à un rôle secondaire, le Diable semble ici chargé d’amuser le tapis en attendant le retour de l’illustre magicien. On l’accable de questions, de prières. On lui demande des secrets de physique, de médecine et même de toilette 35.

 

Le traducteur et le commentateur écrivent en connaissance de cause. Nerval a fortifié sa connaissance de l’Allemagne et de l’allemand. N’est-ce pas lui qui écrit à son père, à la fin de novembre 1839, de Vienne :

 

J’ai à prendre un maître d’allemand pour m’aider dans ce que j’ai à faire, attendu que, comme tu le sais, je ne sais pas encore l’allemand autant que l’on croit 36.

 

Et ensuite il peut ajouter :

 

Depuis que je suis en Allemagne, je sais déjà une foule de mots de plus ; ma mémoire se rafraîchit aussi de beaucoup de choses que je savais autrefois 37.

 

 

 

LE CRÉATEUR FAUSTIEN.

 

 

Tel est le traducteur, le commentateur de Faust. Il en est imprégné dès avant 1830, comme il est imprégné de germanisme. Car non content de traduire, il veut déjà créer. Ainsi Han d’Islande, mélodrame en trois actes et en neuf tableaux, écrit en 1829, montre sa soif du fantastique. Ulrich Guttinguer, écrit dans ses Mémoires à la date du 27 juin 1829 :

 

J’ai fait chez Victor Hugo la connaissance du jeune traducteur de Faust. C’est un esprit charmant, avec des yeux naïfs, et qui a des idées à lui sur Goethe et sur l’Allemagne 38.

 

Bientôt, de Nicolas Flamel il donne trois scènes en prose, dans le Mercure de France du XIXe siècle, puis plus tard dans le Rêve et la Vie. N’oublions pas cette autre pièce, le Prince des Sots, diablerie en deux actes et en vers de huit pieds, reçue en 1831 au théâtre de l’Odéon. C’est à la fois un mystère gothique et un conte fantastique.

En 1832, suit la Main de Gloire devenue la Main enchantée. Gérard désormais s’est attaché au démon. 1830 a vu paraître des récits à la Hoffmann dans le Mercure de France du XIXe siècle : Le Barbier de Goettingue, la Sonate du Diable et surtout la Métempsychose dont il n’est pas l’auteur. Mais il aide Egmont à traduire E.T.A., et nous pouvons trouver sa trace dans cette chronique de 1836 : Une soirée d’automne, « extrait inédit du journal d’un voyageur enthousiaste 39 ».

Il excelle lui-même au pastiche ou à la parodie de Hoffmann. Il contribue aux notes d’Egmont, à la suite du Magnétiseur, sur Swedenborg, Mesmer et Cagliostro. À Hoffmann il a emprunté son sous-titre : Journal d’un voyageur enthousiaste, la forme du récit adressé « à son ami Lothaire », le prénom d’Aurélia qui pour la première fois apparaît dans son œuvre et qui est celui de l’héroïne démoniaque de la Vampire.

Il nous peint une tempête à demi-lieue de Berlin, dans un relais de poète :

 

Je me sentis ému jusqu’au cœur, partout la même misère, et la douce Aurelia, toute pâle, pâle de larmes et de froid... Pauvre enfant de quinze ans dont le père est sous les verrous, et dont la mère pleure dans sa chambre, la tête contre son lit...

 

Il cherche à la consoler

 

sans paroles, par la douce influence magnétique d’une âme qui s’en va réchauffer une autre âme 40.

 

L’excursion finit dans un théâtre où le conteur devient le chef d’orchestre frénétique. Ainsi Gérard nous offre un avant-goût de l’hallucinante Pandora qui faillit faire partie des Filles du feu.

L’influence et l’imitation de Hoffmann sont éclatantes. Il connaît son traducteur, Loève-Veimars. En 1830 il publie un recueil de poésies allemandes d’après Klopstock, Goethe, Schiller, Bürger. Il se laisse bercer par ces vers. La forme du chant, le lied l’attire. Telle la Malade imitée de Uhland.

 

            – Oh ! quel doux chant m’éveille

            – Près de ton lit je veille,

            Ma fille, et n’entends rien.

            Rendors-toi, c’est chimère...

            – J’entends, dehors, ma mère,

            Un chœur aérien !

            ... – Les amants que m’importe !

            Un nuage m’emporte...

            Adieu, le monde, adieu !

            Maman, ces sons étranges,

            C’est le concert des anges

            Qui m’appellent à Dieu 41 !

 

 

Le voyage d’Italie en 1834 le met dans le sillage de Goethe. Fritz, Aloysius ou Alosius, sinon Aloysius Block sont ses pseudonymes. Sylvie et Adrienne sont ses amours. Sa production est orientée de ce côté. Il publie sa version, en 1835, de la Lénore de Bürger, en 1839, Léo Burckart, en 1840 avec les Deux Faust, des poésies de Goethe. Il a trouvé sa Marguerite, ce chercheur de rêve, de fantastique et d’absolu. Car il est depuis 1834 épris de Jenny Colon, cantatrice et actrice. Aurélia sera l’enfant littéraire et tragiquement humain né de cet amour sans issue. Pour elle en 1836, il voyage en Belgique. Les belles femmes à la Rubens le frappent. Entre lui et Alexandre Dumas règne l’entente littéraire. Ils ont conclu un pacte. Ils collaboreront, chacun devra signer alternativement l’œuvre. Dumas devait surtout fournir le dialogue, la construction dramatique. Ainsi naissent deux œuvres portant l’empreinte de Faust : Léo Burckart, l’Alchimiste. Nous avons déjà mentionné Nicolas Flamel de 1830 dont trois scènes en prose furent publiées dans le Mercure du XIXe siècle et que Gérard projetait encore de terminer la veille de sa mort.

En effet le bibliophile Jacob avait dans ses Soirées de Walter Scott 42 montré un Nicolas Flamel qui profitait indignement des pauvres Juifs persécutés. Gérard au contraire en a fait l’homme général que l’Alchimie a ruiné. L’apparition de Méphistophélès chez Goethe est reprise jusque dans les termes par notre auteur, quand il nous introduit dans le laboratoire sombre et enfumé : « L’espionnage, dit Flamel au démon, est au nombre de tes vertus 43 ». De même dans la scène extraordinaire de séduction sur la Tour Saint-Jacques, Satan déclare : « Je t’attendais, quand plaît-il à Monsieur le Docteur que j’entre à son service ? 44 » Il y a encore bien d’autres rappels.

Le drame s’achève sur une sorte d’« Auerbachs Keller » où nous voyons, compagnons, mendiants et étudiants chanter des refrains à boire :

 

            Enterrez, marpeaux et mions

            Que je rouscaille une chanson,

            J’aime l’astie,

            J’aime la pie,

            J’aime la croûte de parfond 45

 

À l’instar de Méphisto, Flamel offre du vin transformé et Satan doit faire des prodiges encore plus grands, devant les assistants.

Il s’inspire déjà de l’œuvre de Goethe 46 dans ce drame – chronique où Satan apparaît au héros d’abord dans un cabinet d’étude puis sur la plate-forme de la Tour Saint-Jacques, voisine du laboratoire de Flamel. Celui-ci a trouvé toutes les vertus civiques et familiales, une piété sincère ; mais il se livre aux chimères, il subit les coups répétés du destin et dévoré par l’ambition, il acceptera de pactiser avec le démon. Mais dans ces scènes il le repousse encore.

L’Alchimiste, drame en cinq actes et en vers, dont la donnée se rapproche de celle d’Eugène Aram et qui est l’adaptation très libre de Fasio, du répertoire allemand, porte bien l’empreinte faustienne et continue le leitmotiv du thème dans l’œuvre et la vie de Nerval 47. Dans les deux premiers actes, nous retrouvons le sujet préféré du poète : Fasio est l’« élève de Nicolas Flamel, le fils de Faust et de Laurent Coster 48 ». Comme Flamel, il est acculé à la ruine en cherchant à fabriquer de l’or :

 

Grimaldi.

                            Dis-moi,

            Quand cesseras-tu donc, pour le bien de ton âme,

            Alchimiste maudit, que Lucifer réclame,

            De tenter chaque jour quelques nouveaux essais

            Qui font mourir de peur tes voisins 49 ?

 

La tentation de Faust par Méphisto est transposée dans la scène III du second acte, quand Lelio qui vient de tuer son oncle, le vieil usurier Grimaldi, sous les regards de Fasio, propose à celui-ci la moitié de la fortune du mort :

 

Fasio (faisant un mouvement pour se retirer).

            Je vais prier le ciel afin qu’il vous pardonne !

Lelio (le retenant).

            Arrête, pauvre fou !... N’as-tu donc point assez

            De ta creuse alchimie aux secrets insensés !

                         (Ouvrant la trappe.)

            Regarde si jamais tes astuces étranges

            De pareilles moissons ont enrichi tes granges !

            Où donc est le creuset où germe un tel trésor ?

Fasio.

            Oh ! ne me tente pas, démon, avec ton or !

Lelio.

            Mais, au lieu de cette âme incertaine et commune,

            Prends donc enfin un cœur grand comme ta fortune.

            Vois, elle t’offre plus que tu n’avais rêvé,

            Tu cherchais le grand œuvre, eh bien, tu l’as trouvé 50 !

 

Francesca, dont la douceur rappelle celle de Marguerite, reprend sous une forme différente la prière à la Vierge, quand le podestat lui propose un infâme marché à la scène V du cinquième acte :

 

Francesca (reculant.)

            Silence, Monseigneur... cela suffit... Adieu.

                       (s’appuyant sur la Madone.)

            Vous l’avez entendu, sainte Mère de Dieu !...

            Vous qui vîtes, suivant ses tristes funérailles,

            Clouer sur une croix le fruit de vos entrailles !

            Vous l’avez entendu, l’étrange séducteur,

            Qui prend un échafaud pour son entremetteur ;

            Mais votre fils, sans doute, au milieu des louanges

            Que chantent sous ses pieds, le triple chœur des anges,

            De sa gloire infinie, hélas, préoccupé,

            Ne l’a pas entendu car il aurait frappé 51 !...

 

Creusets, alambics, sorcellerie, fantastique, rien n’y manque. Le héros a une bonne épouse en cette douce et aimante Francesca qui rappelle Dame Pernelle de Nicolas Flamel et annonce la Catherine de l’Imagier de Harlem, mais le chercheur, le rêveur, se laisse troubler par Maddalena. Cette belle incarnation de la fantaisie est une courtisane, pour lui angélique, autrefois l’ange Gabriel ou Zéphon au Ciel, ce qui la rapproche de la Rachel de l’Ahasvérus de Quinet. Fasio l’a reconnue à travers son enveloppe terrestre. On peut louer la beauté des deux premiers actes. L’incantation douce des vers de Nerval agit. Hélas, le mélodrame auquel sacrifie Gérard dans la suite de la pièce condamne l’œuvre à l’enfer littéraire.

Léo Burckart est le fruit également d’une collaboration avec Alexandre Dumas. On sait que l’on y trouve transposée la tragique histoire de Kotzebue tombé sous le poignard de l’étudiant Sand 52. Cette fois-ci la fin n’est pas aussi tragique pour le Ministre Léo Burckart, mais elle l’est pour l’étudiant Frantz Lewald chargé de le tuer. C’est lui qui meurt en se tirant un coup de pistolet. Léo Burckart a été un idéaliste, un rêveur d’absolu comme Faust :

 

Maintenant de tout le feu qui m’animait il n’est rien resté que des cendres, qu’on s’aveuglerait à souffler ! Je me suis fait à mon obscurité : peu à peu tous mes rêves d’avenir se sont évanouis dans mon bonheur présent... L’homme se trompe souvent sur sa destinée, il prend son désir pour une vocation, il se croit appeler à réformer le monde, il veut faire d’une plume le levier d’Archimède... tandis que Dieu l’a créé pour être fils respectueux, bon mari, honnête homme, et voilà tout ; si, comme je le crois, aujourd’hui c’est là le partage que Dieu m’a destiné, j’accomplirai cette vie obscure, en le remerciant de l’avoir faite si douce et si aimée 53.

 

Il mène une vie heureuse auprès de sa femme, qui n’a pas emprunté à la Marguerite de Goethe son prénom seulement, mais encore ses goûts simples, son amour pur et innocent, son angoisse et son recours à la prière, la politique et le pouvoir de ministre lui enlevant la présence et l’affection active de Léo Burckart. Léo Burckart a écouté la voix du tentateur : il s’est laissé convaincre par le Prince et la raison d’État 54. Mais le véritable Méphisto de la pièce, l’esprit négateur et désabusé est le chevalier Paulus, qui accompagne Léo Burckart au milieu des dangers et qui semble se railler de toute vertu, de tout idéal. Il voit tout, il va fureter partout, il est d’une adresse machiavélique, et donne les conseils les plus réalistes. Il a vécu à Paris, et c’est là qu’il a appris à douter de tout 55.

 

J’ai longtemps vécu en France, là j’ai appris à rire de tout.., et maintenant, je ne ris même plus, je méprise 56.

 

Quoi d’étonnant si Léo Burckart, devant les vilenies et les compromissions morales, a des remords dont le mouvement rappelle maintes scènes de Faust :

 

Léo (seul). – Ah ! me voilà donc arrivé au bout de mon rêve ! Je n’aurais pas cru pouvoir sitôt regarder ma carrière de l’autre côté de l’horizon ! Ô ma belle vie ! Ô ma réputation sainte ! Je vous ai donc laissées en lambeaux tout le long du chemin, à ces buissons infâmes dressés par la calomnie ! Et cet homme... Cet homme que j’appelais mon Prince, et qui m’appelait son ami ! Cet homme à qui j’ai tout sacrifié, tranquillité, réputation, bonheur, piété,... et qui, pour tout remerciement, vient essayer de me mordre le cœur avec un soupçon !... Marguerite... Marguerite... Oh ! je n’ai même pas une inquiétude ! mais je souffre !

(La nuit est tombée, il est assis et plongé dans la rêverie, la tête dans ses mains 57.)

 

Mais il sera finalement un Faust sauvé, il retrouvera loin de la politique un bonheur simple et la tendresse de Marguerite. Ajoutons la scène des mendiants au début de la seconde journée 58 suggérée par « Auerbachs Keller » et le duel, un Franz Lewald qui rappelle un Faust rajeuni et nous mesurerons mieux la dette de Nerval envers Goethe dans ces Scènes de la Vie Allemande, où il n’oublie ni Schiller, ni les Chroniques de Vitet, ni les Soirées de Neuilly de Dittmer et Cavé. En tous cas, le caractère de Léo Burckart, politique qui ne sait pas composer, qui agit contre la favorite du Prince et qui sacrifie le pouvoir à son foyer sera en partie repris dans l’Imagier de Harlem.

 

En attendant, Gérard a fait plusieurs voyages en Allemagne, où il a pu s’écrier :

 

L’Allemagne ! la terre de Goethe et de Schiller, le pays d’Hoffmann, la vieille Allemagne, notre mère à tous, Teutonia 59 !

 

Il a rencontré à Vienne l’ambassadeur Comte de Sainte-Aulaire, traducteur de Faust devenu son ami, et reste toujours hanté par l’histoire du magicien maudit. Avant de l’assumer dans sa chair, il est déjà et constamment hanté par sa légende. Les figures d’Hélène, de Cléopâtre, d’Aspasie, les antiques religions de l’Orient l’attirent. Le vieux poète de Weimar n’avait-il pas les mêmes curiosités ? Mais il domptait ses démons par son esprit serein. Gérard, hélas, entre de plus en plus dans le jeu. Il songe à se dégager d’une emprise littéraire puisque dès 1838, il veut écrire avec Dumas un Faust français sans imiter Goethe et en prenant pour source Palma Cayet. Heine entre temps est devenu son ami, son poète de prédilection, inquiet et douloureux. Les affinités sont incontestables. Gérard est pris corps et âme par ce « Méphisto bon enfant » comme l’appelle Philarète Chasles. Il traduit littéralement Nordsee et le Buch der Lieder. Heine est son maître en langue allemande et en littérature allemande. Dans la notice que lui consacrent Gérard et Gautier, dans la Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1848, il définit en lui son propre germanisme fantastique, nébuleux, panthéistique et spiritualiste. Heine est pour lui « cruel et tendre, naïf et perfide, sceptique et crédule, lyrique et prosaïque, sentimental et railleur, passionné et glacial, spirituel et pittoresque, antique et moderne, moyen âge et révolutionnaire 60 ». Il joue vraiment pour lui le rôle de Méphisto dans une nouvelle nuit de Walpurgis et il peut dire avec Gautier :

 

Ce n’est plus une lecture qu’on fait, c’est une scène magique à laquelle on assiste ; vous vous sentez enfermer dans le cercle avec le poète, et alors autour de vous, se pressent avec un tumulte silencieux des êtres fantastiques d’une vérité saisissante ; il passe devant vos yeux des tableaux si impossiblement réels, que vous éprouvez une sorte de vertige 61.

 

Dans cet anti-Goethe qu’a voulu être le poète de Düsseldorf, on retrouve Goethe, ou du moins Gérard semble le revoir dans la vision transformée de la Nuit de Walpurgis classique :

 

L’amour est pour lui un jardin plein de fleurs et d’ombrages, mais de fleurs vénéneuses et d’ombrages mortifères ; des sphinx aux visages de vierges, à la gorge de femme, à la croupe de lionne, aiguisent leurs griffes tout en souriant du haut de leurs socles de marbre ; au milieu de l’étang jouent avec les cygnes de belles nymphes nues qui ont leurs raisons de ne pas montrer plus bas que la ceinture ; dans ce dangereux paradis les chants sont des incantations, le regard farouche, les parfums causent le vertige ; la grâce est perfide, la beauté fatale 62.

 

À Goethe « affectant de réunir la sensation, le sentiment et l’esprit », péchant souvent par une froideur glaciale, Gérard oppose Heine, « sensible, plastique et avant tout spirituel 63 ».

Pour Gautier, et donc pour lui le poète des elfes et des nixes, cet Allemand qui se fait Grec est « l’enfant au cor merveilleux qui au rire strident de Voltaire mêle une note mélancolique où revivent les poésies secrètes de la forêt et les fraîches inspirations du printemps 64 ». Il est envoûté, comme on le constate par cette étude de 1848. Les correspondances s’établissent entre le rire amer de Heine et la douleur résignée de Gérard. Les Questions du poète allemand ont pour pendant les interrogations philosophiques et religieuses de l’amoureux frappé à mort, du Nouveau Faust.

 

 

 

MARGUERITE PERDUE :

 

« IL FAUT TENTER DE VIVRE »

 

Car par deux fois, il a perdu celle à qui il consacra son meilleur amour. Il l’a vue pour la première fois en 1834, à son retour d’Italie, cette Jenny Colon, aux « Variétés ». Pour elle il crée le Monde dramatique, périodique dont il traînera comme un boulet la ruine et les dettes. Sa passion est montée à son paroxysme en 1837. Hélas, voici qu’en avril 1838 Jenny épouse le flûtiste Leplus. Il a cherché l’oubli dans le voyage en Rhénanie avec Dumas pour la préparation de Léo Burckart.

Aussi bien Gérard, qui connaît la littérature allemande, ne connaît pas encore le pays de Goethe. Ses voyages en Allemagne vont commencer. Nous ne savons pas exactement la date du premier. Nous avons pour nous guider la lettre du 18 août 1840 à M. Labrunie, oncle de Sainte Foy :

 

Lorsque j’ai passé à Agen, il y a quatre ans (six en réalité) mon désir était d’aller vous voir à Sainte Foy. Le soin de mon avenir m’a obligé à faire trois grands voyages en Allemagne où, l’année dernière, j’ai été envoyé par le Ministre de l’Instruction publique, chargé d’une mission. Aujourd’hui, je suis encore sur le point de repartir pour trois ou quatre mois.

 

Le premier de ces voyages reste ainsi hypothétique. Celui de 1838 nous a été raconté par lui-même et par Dumas 65. Vienne où il passe une partie de l’automne de 1839 et les deux premiers mois de 1840 lui offre la diversion de la délicieuse Marie Pleyel. Il part en octobre pour la Belgique où grâce à Marie, il revoit Jenny Colon. Amour déçu, dettes provoquées par l’amour, tout cela se conjugue pour susciter en 1841 sa première crise de folie. Il commence désormais ses descentes aux Enfers. Une nouvelle crise en mars suit celle de février. Il sort de la clinique du Dr Blanche en novembre. Est-il guéri ? Il le semble. Mais la mort de Jenny, le 5 juin 1842, lui fait une blessure désormais mortelle, dont il ne ressent pas d’abord les effets.

Désormais il est l’homme double, il a son double. Il vivra entre la terre des réalités tristes et l’Enfer de la folie qui lui ouvrira cependant les visions ineffables d’un paradis retrouvé ou perdu. Le cycle d’Aurélia est commencé, où « le rêve est une seconde vie » 66.

Pourtant Nerval, guéri en apparence, poursuit sa vie au milieu des difficultés de toutes sortes, des publications d’articles, de travaux de librairie, des essais de création originale, des voyages. Il est marqué. Le drame se joue pour lui non sur le papier mais dans la vie, même ses œuvres littéraires sont soumises à la biographie. Voyez la Forêt Noire, tragi-comédie dont on a le sujet et le scénario par lui rédigé. Il s’agit des guerres du Palatinat sous Louis XIV. Le héros est un enfant trouvé. Devenu le Capitaine Brisacier, il retrouve ses parents dans les Huguenots ennemis. Il aime une jeune fille car, « il se souvient de ses traits aperçus autrefois ». Les visions nocturnes et fantastiques du second acte, dans un vieux burg de la Forêt Noire au milieu des soldats endormis, marque la persistance de la sorcellerie évocatoire de Goethe devenue chair et nourriture. Désormais il vit son rêve et rêve sa vie, sous le signe de Teutonia, « sa mère », de l’Allemagne où à Glogau, en Silésie, se trouve la tombe de celle qui l’enfanta, autre frustration qui va rejoindre la perte de Jenny Colon.

De fait l’Allemagne est présente même durant son voyage en Orient. Dans le livre qu’il donne sous ce titre, il fait passer son itinéraire par l’Allemagne et l’Autriche. Avant d’être réunies en un ouvrage, diverses parties avaient paru dans les périodiques. Il y évoque les souvenirs faustiens 67. Après avoir vu et admiré tant de choses en peu de jours, il est heureux de pouvoir se reposer devant une bouteille de vin de Hongrie, dans la vieille cave de l’Auerbach illustrée jadis par la visite de Faust et de Méphistophélès.

 

L’établissement vient d’être mis à neuf, et l’on a restauré les curieuses peintures du Moyen Âge qui représentent les exploits du docteur et de son étrange compagnon, le tout accompagné de légendes en vers et d’un buste de Goethe. Hâtons-nous maintenant d’échapper au vaste rayonnement de cette gloire, dont il ne faut pas fatiguer nos lecteurs.

 

Tel encore le songe de Polyphile publié dans l’Artiste du 11 août 1844. Or il s’y est souvenu, – et il a marqué sa source à dessein – du second Faust ; et, de la Nuit de Walpurgis classique, il a tiré l’inspiration de ces lignes fluides sur le récit du héros, vie rêvée ou rêve vécu :

 

Il peignait les nuits enchantées où s’échappant de notre monde plein de la loi d’un Dieu sévère, il rejoignait en esprit la douce Polia aux saintes demeures de Cythérée. L’âme fidèle ne se faisait pas attendre, et tout l’empire mythologique s’ouvrait à eux de ce moment. Comme le héros d’un poème plus moderne et non moins sublime Nerval indique « Faust » en note, ils franchissaient dans leur double rêve l’immensité de l’espace et des temps ; la mer Adriatique et la sombre Thessalie, où l’esprit du monde ancien s’éteignit aux champs de Pharsale ! Les fontaines commençaient à sourdre dans leurs grottes, les rivières redevenaient fleuves, les sommets arides des monts se couronnaient de bois sacrés ; le Pénée inondait de nouveau ses grèves altérées, et partout s’entendait le travail sourd des Cabires et des Dactyles reconstruisant pour eux le fantôme d’un univers. L’Étoile de Vénus grandissait comme un soleil magique et versait des rayons dorés sur ces plages désertes, que leurs morts allaient repeupler. Le faune s’éveillait dans son antre, la naïade dans sa fontaine, et des bocages reverdis s’échappaient les hamadryades. Ainsi la sainte aspiration de deux âmes pures, rendait pour un instant au monde ses forces déchues et les esprits gardiens de son antique fécondité 68.

 

On suit le mécanisme de la pensée de Gérard, partie du retour cyclique, du recommencement lié au jamais plus, que suggèrent les visions de la Nuit de Walpurgis classique.

On serait tenté de dire que, nouveau Faust, Nerval revit le passé et les mythes de cette Grèce et de cet Orient où il pénètre après la perte de son Hélène. Il est du reste parfaitement lucide aux réveils de sa raison, et tente de vivre en goûtant la beauté de l’« Anmutige Gegend ». Mais il est lucide aussi et conséquent, si l’on peut dire, jusque dans le déroulement de sa nuit de rêve et de démence. L’épreuve des initiés est expérience douloureuse. Il accepte même à ce prix de descendre dans le royaume des Mères, de rendre compte de son dédoublement, de poursuivre sa légende ou plutôt sa réalité la plus profonde.

Tandis qu’approche la grande lutte avec ses démons, d’où il sortira vainqueur ou vaincu, il suit son héros, son prototype transmis par Goethe et par Klinger, en Allemagne et en Hollande, en Faust et en Laurent Coster.

 

 

 

NERVAL ET LA LÉGENDE DE FAUST.

 

 

L’exemplaire retrouvé de Klinger l’a ramené aux origines de Faust. Dans son voyage en Allemagne de 185o dont sont issus les feuilletons publiés dans La Presse et l’Artiste en septembre et octobre de la même année 69 et qui est raconté d’après ses reportages dans Lorely 70, Nerval nous fait part de ses impressions sur l’Opéra de Spohr joué à Francfort. Il assiste à la deuxième partie de la représentation ; dans ces pages, dédiées à Alexandre Dumas, nous voyons combien le thème et la légende sont l’objet de ses préoccupations :

 

Nous avions si souvent discuté ensemble sur la possibilité de faire un Faust dans le goût français sans imiter Goethe l’inimitable, en nous inspirant seulement des légendes dont il ne s’est point servi, – que malgré l’heure avancée je me hâtais d’aller voir au moins la seconde partie de l’Opéra 71.

 

Ces lignes sont révélatrices des ambitions littéraires et faustiennes de Nerval. Il est arrivé au moment de la scène du bal, de la sarabande aux flambeaux ; au son de la musique de Spohr qui lui rappelle celle de Mozart, le diable paraît très rouge de figure « ainsi qu’on le représente en Allemagne 72 ». Il admire la facilité des changements à vue, savoir un quatuor magnifique et le déguisement de Méphisto sous un costume de Jésuite qui fait rire la salle protestante. Pour lui : « Il n’y a rien à tirer du libretto que Spohr a réchauffé des sons de sa musique 73 ».

C’est ici que Gérard va nous exposer ses propres recherches sur le magicien maudit et nous donner en raccourci l’histoire du thème. S’éloignant de Goethe, il suit Klinger et nous explique déjà pourquoi il écrira l’Imagier de Harlem :

 

À ce propos, je veux vous entretenir de quelques recherches que j’ai faites sur ce personnage, en traversant les Pays-Bas pour me rendre ici. Faust, pour un grand nombre d’érudits, est le même que le Johann Fust, dont le nom brille entre ceux de Gutenberg et Faust Schoeffer, autour du célèbre médaillon des éditions stéréotypes. Il y a trois têtes barbues qu’on a réunies, ne sachant au juste laquelle des trois avait réellement inventé cette terrible machine de guerre appelée la presse 74.

 

Peut-être trouvons-nous dans la fin du passage un souvenir de l’assemblée des démons chez Klinger. Qu’est devenue cette trinité typographique ?

 

Strasbourg célèbre Gutenberg ; Mayence célèbre Faust ; quant à Schoeffer, il n’a jamais passé que pour le serviteur des deux autres. Faust était orfèvre à Mayence ; Gutenberg, simple ouvrier, l’aida dans sa découverte, et cette union du capitaliste inventeur avec le travailleur ingénieux produisit ce dont nous usons et abusons aujourd’hui 75.

 

Voici maintenant comment Gérard a pensé à Laurent Coster :

 

Faust était, dit-on, le gendre de Laurent Coster, imagier d’Harlem. Ce dernier avait déjà trouvé l’art d’imprimer les figures des cartes. Faust eut l’idée, à son tour, de tailler sur bois les légendes, c’est-à-dire les noms de Lancelot, d’Alexandre ou de Pallas qui, jusque-là avaient été écrits à la main. Cette pensée en fit naître une autre chez Faust, ce fut de sculpter des lettres en bois de poirier et d’en former facultativement des mots. Gutenberg, chargé d’assembler ces lettres, eut à son tour l’idée de les faire fondre en plomb, et Schoeffer, le travailleur en sous-ordre, qui, à ses moments perdus, était vigneron, connut la pensée d’employer, pour la reproduction nette des caractères, une sorte de machine établie dans le système du pressoir qui foule des raisins 76.

 

C’est ainsi que Faust l’imprimeur est assimilé à Faust le magicien. Se souvenant de Conrad Dürr, de l’article sur Faust de la biographie Michaud et du roman de Klinger, Nerval précise la naissance du mythe d’après ces données :

 

Rentrerons-nous dans le roman en admettant la légende qui suppose que Faust, s’étant ruiné dans les premiers frais de son invention, se donna au diable afin de pouvoir l’accomplir ? Ceci est probablement une invention des moines du temps, irrités, et de l’effet prévu de l’imprimerie, et du tort qu’elle leur faisait dans leurs intérêts comme copistes de manuscrits 77.

 

Quant à l’invention elle-même, selon Nerval et ses sources, elle serait venue du désir de Faust de préserver les manuscrits antiques, que les moines utilisaient comme palimpsestes pour des ouvrages de piété ou de controverse. Une Iliade par lui sauvée lui aurait donné l’idée de reproduire les caractères. Ainsi l’invention de l’imprimerie est un moyen de lutter contre le fanatisme qui risquerait de faire détruire les manuscrits antiques livrés aux moines 78.

On voit de quelle manière Nerval unit l’érudition et sa quête faustienne, la recherche historique et la recherche mystique. Ce qui est essentiel, c’est son désir apparent d’indépendance vis-à-vis des données de Goethe et de celles du Volksbuch. Il transmute et transforme, jusqu’au chien Prestige :

 

Faust rêvait à la reproduction du cachet du supérieur, à la possibilité de grandes pages entières de lettres en relief, qui viendraient se marquer sur des tablettes ou sur du vélin. Rentré dans sa maison, et en proie aux combinaisons de son esprit, il ne songeait pas que la misère et le désespoir, cortège ordinaire du génie, venaient d’y pénétrer avec lui.

Peut-être est-ce là l’idée de cette scène du barbet noir que Faust rencontre dans une promenade, et qui, une fois dans sa chambre, grandit jusqu’au plafond et révèle l’esprit du mal 79.

 

Là où se marque l’originalité de Nerval ou plutôt son mérite, c’est quand il souligne que l’humanité, du moins dans son élite, est faustique. L’exemple même de Balzac, qu’il cite, est caractéristique ; comparant Balthazar Claës et le héros de Quinola à celui qui séduisit Klinger, il paraît vouloir substituer l’invention à la magie :

 

Tout le monde connaît les souffrances de l’inventeur 80 – si admirablement décrites par Balzac dans la Recherche de l’absolu et dans Quinola. Celles de Faust, si l’on en croit les légendes, ne le cédèrent à aucune autre. Persécuté en Allemagne, il vint à Paris avec sa première Bible imprimée, et se présenta à Louis XI, qui d’abord l’accueillit bien. Mais le fanatisme guettait sa proie. On parvint à le faire passer pour sorcier, et il faillit être brûlé en place de Grève, pour avoir vendu des Bibles entièrement semblables l’une à l’autre – et qui n’avaient pu être exécutées que par un artifice diabolique 81...

 

Ainsi ce que nous apprend le Volksbuch et ses dérivés serait de l’invention des moines ; Nerval connaît et réprouve les naïves anecdotes – il a publié la version de Cayet du Volksbuch – qui écrit :

 

C’est comme magicien que les légendes répandues ou fabriquées par les moines le considèrent principalement. Il en existe d’innombrables, tant en Allemagne qu’en France, où la Bibliothèque bleue a réuni ses exploits principaux. Le plus curieux de tous est celui qui consiste à avoir avalé sur une route une voiture de foin qui gênait son passage, avec les chevaux et le cocher. Il y a aussi la scène de fantasmagorie à la cour de l’empereur d’Allemagne, dans laquelle ce dernier prie l’enchanteur de le faire souper avec Alexandre, César et Cléopâtre. Ce qui, dit-on, eut lieu en effet 82.

 

À ce propos Nerval donne une interprétation personnelle de la genèse d’Hélène dans la légende populaire sinon dans le drame goethéen :

 

Goethe s’est servi, dans le second Faust, de cette anecdote en la modifiant et en faisant apparaître Hélène, ce qui appartient encore à la tradition primitive. On se demande pourquoi celle-ci suppose unanimement que Faust avait commandé au diable de ressusciter pour lui la belle Hélène de Sparte, dont il eut un fils, et avec laquelle, il vécut vingt-quatre ans, aux termes de son pacte ? Peut-être est-ce le souvenir de l’anecdote relative au manuscrit de l’Iliade qui conduit à cette idée. L’admirateur d’Homère devait être en esprit l’amant d’Hélène 83.

 

Il a dû discuter de ces faits avec son ami Heine, qui lui a fait connaître peut-être Das Kloster de Scheiblé. Toujours est-il que son érudition n’est pas en défaut sur les Puppenspiele :

 

Dans le Faust primitif qui se joue en Allemagne, sur les théâtres de marionnettes, on voit paraître ce personnage d’Hélène. Là le diable s’appelle Caspar, et un duc de Parme y joue le rôle de l’empereur, qu’on n’aurait pas sans doute laissé représenter sous forme de pantin 84.

 

Et il en arrive enfin au roman de Klinger, qui décida en partie de sa vocation faustienne et qu’il définit et résume assez heureusement :

 

On peut citer encore le roman de Klinger, sur Faust, écrit très spirituellement à la manière de Diderot, et dans lequel on voit Faust porter son invention dans toutes les cours de l’Europe, sans réussir à autre chose qu’à se faire rouer, pendre ou brûler, ce dont le diable le sauve toujours au dernier moment, en vertu de leur pacte. Dans chacun des pays où il se réfugie tour à tour, il ne voit que meurtres, débauches, et iniquités... si bien que le diable lui dit : – Quoi ! tu te donnes tant de peine pour ce misérable genre humain ? – Pour le sauver ! pour le transformer ! s’écrie Faust, car l’ignorance est la source du crime. – Ce n’est pas, répond le diable, ce qui se dit dans l’histoire du pommier 85.....

 

Nerval s’est-il rendu compte qu’il a brûlé quelque peu ce qu’il a adoré, en mettant l’accent sur l’inventeur de l’imprimerie et non sur le magicien, qu’il a, d’autre part, plus sacrifié à l’érudition qu’au sentiment – mais au fond l’érudition n’est-elle pas une forme de défense contre ses démons intérieurs, la recherche lucide qui le préserve du rêve et de la folie et transforme l’obsession profonde en rêve spirituel, d’où les deux aspects de Nerval érudit et mystagogue, se faisant illusion à lui-même – toujours est-il qu’il veut réparer un silence et un oubli, comme aussi une injustice à l’égard de Goethe :

 

Il n’est pas dans tout cela question de Marguerite ; c’est que Marguerite est une création de Goethe, et même le type d’une femme qu’il avait aimée. Cette figure éclaire délicieusement toute la première partie de Faust, tandis que celle d’Hélène, dans la seconde partie, est généralement moins sympathique et moins comprise, quoi qu’elle appartienne exactement à la tradition 86.

 

Nous ne sommes pas loin de Sylvie.

 

Tel est le Gérard qui assiste à Weimar à la commémoration de Goethe et de Herder, qui retrouve le milieu du poète et qui fait écrire à Hans de Bülow son plaisir d’avoir rencontré à Weimar « un Français fort érudit, célèbre pour sa traduction de Faust » et de l’avoir accompagné à la maison de Goethe et chez le prince régnant où l’entretien roula sur « l’alchimie, Rachel, la peinture, la nation allemande, bref tout le macrocosme et le microcosme 87 ». N’est-ce pas Gérard encore qui retrouve Liszt avec joie et qui songe à sa collaboration musicale pour son Faust ? On sait que de ce projet naîtra en 1853 la Faust Symphonie du grand musicien 88, un second Faust.

 

 

 

LE FAUST DE GÉRARD.

 

 

En fait le traducteur de Goethe, le lecteur de Klinger, l’auteur de l’Alchimiste a depuis longtemps voulu se mesurer avec le Jupiter weimarien. Ce n’est, nous le savons, que l’expression littéraire d’un sentiment plus profond 89. Gérard a-t-il, dès ou avant ce moment, écrit ou commencé à écrire un Faust ? Quoi qu’il en soit, il nous a laissé un manuscrit, celui d’un drame sur le magicien maudit, en tête duquel il a inscrit au crayon le titre de Faust :

 

C’est écrit Aristide Marie, un cahier complet, mis au net, sans une rature, de la fine anglaise de Gérard, et dont le texte se continue jusqu’au bas du dernier feuillet : de sorte qu’on se demande si ce n’est pas plutôt un fascicule débroché d’un manuscrit complet qu’un fragment d’une œuvre interrompue 90.

 

Ces feuillets nous livrent tout le premier acte et le début du second 91. Il s’agit d’un Faust inventeur de l’imprimerie, donc à l’imitation de Klinger et suivant la tradition dont il a lui-même parlé, il fait la cause de ses malheurs.

Dans la première scène qui représente le fameux cabinet d’étude de Faust, il attend seul la réponse du Sénat de Francfort à ses propositions :

 

Le temps s’écoule et Scheffer ne revient pas ! De sa réponse j’attends le bonheur le plus doux ou la plus affreuse misère ; c’est pourquoi mon incertitude est cruelle. Mon esprit se sent bien prêt à rejeter toute espérance, parce que celles qu’il a conçues jusqu’ici ont toujours été cruellement trompées ; et cependant il avait entouré celle-ci de tant d’illusions et de tant de charmes qu’il a fini par s’y reposer comme sur un appui solide 92.

 

À Klinger il a emprunté encore l’idée philosophique des bienfaits de l’imprimerie et dans un parallèle ingénieux Nerval compare Faust à Christophe Colomb, son contemporain :

 

N’a-t-on pas vu, il y a quelques années, Christophe Colomb traîner de royaume en royaume sa misère et son génie, jusqu’à ce qu’un faible secours accordé par charité l’ait mis à même de découvrir un monde, et d’enrichir celui-ci. Moi qui suis en proie aux infortunes qu’il éprouve mais qui attends encore la gloire qu’il obtint, je ne prétends pas enrichir le monde, mais l’éclairer 93...

 

En vain, il rêve à la reconnaissance des hommes le considérant comme leur bienfaiteur, une seule pensée le soutient, la tendresse de celle qu’il aime et dont Nerval a emprunté le nom à Goethe :

 

Aurais-je pu supporter une telle existence, si l’amour n’en eût quelquefois adouci les peines ? Ô Marguerite, toi seule m’as souvent réconcilié avec le Ciel, que le désespoir m’avait fait maudire 94.

 

Dans la seconde scène, Scheffer, qui joue le rôle de Wagner, vient lui dire que « la délibération du sénat n’est point terminée 95 ». Il lui rappelle que si la fortune lui sourit il pourra désintéresser ses créanciers. Car Faust a accumulé les dettes, autre trait emprunté à Klinger. Il a dû vendre ses précieux manuscrits anciens pour vivre. Scheffer lui reproche son amour pour la simple paysanne qu’est Marguerite – élément pris au Volksbuch – à laquelle Faust rêve de s’unir :

 

Que je possède Marguerite, et la pauvreté ne m’empêcherait pas d’être le plus heureux des mortels... Mais sa mère a mis à mon union avec elle la condition d’une fortune honnête, et il a bien fallu qu’elle se soumît comme moi à cet ordre cruel... Dans ce moment, le Sénat décide donc de ma vie ou de ma mort 96.

 

Nerval fait ici intervenir l’esprit de son temps. Faust, selon Scheffer, a manqué d’adresse ; appliquant presque la formule « Enrichissez-vous », il fait dire à Scheffer qui a des traits de valet de comédie :

 

Au lieu de présenter votre invention comme glorieuse et pouvant faire le bonheur des hommes, il fallait la faire envisager comme une opération lucrative, une mine d’or ouverte aux premiers qui l’exploiteraient, il fallait y intéresser les membres les plus influents, en leur offrant une forte part dans les bénéfices 97.

 

Mais Faust se déclare incapable d’une telle bassesse.

Or voici que le Bourgmestre apparaît. Il vient lui annoncer la mauvaise nouvelle, le refus du Sénat. Le digne homme donne à ce Faust, jeune encore – Nerval n’en a pas fait un vieillard – des conseils paternels. Quel dommage, dit-il en substance, que Faust n’ait pas inventé la poudre ! Ce à quoi le héros, humanitaire, répond :

 

Si j’avais eu ce malheur, je me serais hâté de mettre fin à ma vie pour sauver celle de plusieurs milliards d’hommes et dans la peur qu’une imprudence ne m’arrachât un si funeste secret 98.

 

Le Bourgmestre lui rétorque que l’invention de l’imprimerie, réduirait, appliquée, « dix mille copistes à la misère ». Il ne peut admettre que les copistes puissent travailler à autre chose, ni l’intérêt d’éclairer l’humanité. Il est un tenant solide de l’obscurantisme et des intérêts les plus mesquins.

Faust, resté seul, se lance dans un monologue. Il dit son indignation, son désespoir. Comment se venger des hommes sinon en les privant du bienfait de son invention, en se supprimant lui-même. C’est par ce biais que Nerval reprend la tentative de suicide dans les termes mêmes de Goethe :

 

        (Il saisit une fiole et en verse la liqueur dans une coupe) :

Fiole empoisonnée, je te saisis avec un pieux respect ; de toutes mes compositions chimiques, toi seule peux encore m’être utile ; viens à mon secours ! Aide-moi à enfoncer ces portes devant lesquelles chacun frémit ! Lance-moi dans cette éternité où mon âme, jusqu’ici longtemps comprimée, veut enfin déployer ses ailes... au risque même d’y rencontrer le néant !

 

Mais – autre mouvement emprunté à Goethe – au moment où il porte la coupe à ses lèvres 99, on entend les cloches et les chants religieux d’un monastère ; il s’arrête et repose la coupe, ses paroles sont d’abord un refus d’écouter la voix du Ciel :

 

Chants religieux et doux, pourquoi me cherchez-vous dans la poussière ? Faites-vous entendre à ceux que vous touchez encore ; j’écoute bien vos cantiques sacrés, mais la foi me manque pour les croire 100.

 

Pourtant il se souvient de ses chants de son enfance, ce rappel et l’amour de Marguerite vont le retenir :

 

Eh bien ! ce souvenir tout plein de sentiments d’enfance, me rappelle à la terre que je voulais quitter, à la terre où des biens plus doux me retiennent encore... Ô Marguerite, il faut que l’injustice des hommes ait produit sur mon cœur une impression bien profonde pour qu’il ait un instant cessé de palpiter pour toi 101.

 

C’est donc moins le scrupule religieux que l’amour qui triomphe, différence essentielle avec Goethe, chez qui Faust ne connaît pas encore Marguerite. Dès lors, « ses larmes coulent... la vie l’a reconquis 102 ».

Méphistophélès choisit ce moment pour apparaître. Se souvenant de la scène de l’écolier du premier Faust, mais la transformant et suivant les indications de Goethe qui nous montre le diable d’abord « vêtu comme un étudiant voyageur 103 », c’est au démon que Nerval fait revêtir la robe d’étudiant. Dans un aparté il se présente comme le diable traditionnel :

 

L’instant est favorable... C’est ici qu’il faut gagner mes éperons et justifier la confiance dont l’Enfer m’honore aujourd’hui 104.

 

On peut trouver dans ces paroles une réminiscence de la mission dont l’Enfer investit Léviathan chez Klinger. Le démon se montre d’abord à Faust comme un modeste écolier qui vient se mettre sous sa direction. Nerval, qui a fait de Faust l’inventeur de l’imprimerie, n’oublie pas que la tradition le montre appliqué aux sciences occultes ; aussi Méphisto, pour se faire valoir, déclare avoir fait des progrès dans les sciences occultes et commencer « à faire de l’or assez bien 105 ».

Dès lors le démon sera un prestidigitateur merveilleux semblable à celui que nous avons vu à la Cour de l’Empereur dans le second Faust :

 

... pour vous montrer que j’ai profité, je vais donc essayer une petite expérience. (Il touche la table, elle se couvre d’un amas de boue.)

  Faust (étonné) :

Que faites-vous ? Quel objet dégoûtant m’apportez-vous là ?

  (Méphistophélès touche la boue, elle se change en couronne, sceptres, bijoux, or monnayé, etc., etc.)

 

Faust soupçonne son identité et quand le pseudo-écolier 106 se nomme, il reconnaît en lui le second des archanges déchus 107. Son premier mouvement est de le chasser. C’est en pensant au premier Faust en reprenant les paroles de Faust au barbet, que Nerval lui fait dire :

 

Ma science m’a appris à conjurer l’Enfer... n’attends pas les paroles sacrées ! N’attends pas 108...

 

Nerval plagie désormais la scène correspondante de la pièce allemande.

Comme le Faust de Goethe, il le traite de « pauvre diable » 109.

Mais le démon imperturbable lui rappelle que l’Enfer n’a de pouvoir sur un être que s’il se livre à lui « de bonne volonté ». Il lui déclare franchement qu’il est venu pour le séduire. Comme dans le texte de Klinger, les démons se sont arrêtés non au rang, mais au mérite de Faust, car « nul mortel dans ce siècle n’est parvenu à une science plus vaste et plus profonde 110 ». C’est à Goethe et à « Hexenkueche » que Nerval a demandé la réplique suivante de Méphisto :

 

Hé, hé. Peut-être ne sommes-nous jamais si diables que quand nous vous ressemblons ! mais ne t’étonne pas que je t’apparaisse si bourgeoisement : la civilisation, qui lèche et polit le monde entier, s’est étendue jusqu’aux diables eux-mêmes ; ils sont parvenus à se déguiser si bien que la société en est remplie sans s’en douter : les cornes, la queue, les griffes, tout cela est bien passé de mode... et quant à ce pied fourchu, dont nous ne pouvons nous défaire, il nous nuirait dans le monde ; aussi avons-nous comme beaucoup de vos jeunes gens adopté des faux mollets 111.

 

Dès lors, quittant sa robe d’étudiant, le diable va apparaître dans le costume, traditionnel, du riche seigneur déjà adopté par Klinger. Il conseille le même habit à Faust et lui propose de courir le monde et voir ce que c’est que la vie 112... Pourtant celui-ci redit sa lassitude morale en parlant comme le héros de Goethe :

 

Il est trop vieux pour rechercher de vains amusements, trop jeune pour être sans désirs :

Tout doit te manquer... Tu dois manquer de tout

Voilà ce que chaque heure me répond d’une voix cassée ! Je n’attends le matin qu’avec effroi, je gémis de voir commencer ce jour qui dans sa course n’apportera pas le moindre soulagement à mes maux, n’accomplira pas une seule de mes espérances... Et voilà ce que je suis depuis bien des années, et voilà pourquoi j’abhorre la vie et souhaite la mort 113.

 

Nerval traduit presque littéralement le premier Faust quand le protagoniste demande :

 

Et qui suis-je donc ? cette noble couronne de l’humanité vers laquelle tous les cœurs se pressent, m’est-il donc impossible d’y prétendre 114.

 

Et de même, Méphisto répond comme le démon de Goethe :

 

Tu es au reste ce que tu es : chausse tes pieds de socques hauts d’une aune, entasse sur ta tête des perruques à cent marteaux, et tu n’en grandiras pas de l’épaisseur d’un cheveu 115.

 

Il n’y a qu’à se reporter à sa propre traduction et au texte allemand 116. Pourtant les paroles du démon commencent à agir :

 

L’injustice du Ciel et l’ingratitude des hommes ont produit sur mon âme une impression telle que l’alliance de l’Enfer... le plus horrible de tous les sacrifices qu’un mortel puisse faire... commence à me révolter un peu moins.

 

Mais pour le consommer il demande un digne prix. Il veut être délivré des entraves qui l’empêchent d’enfanter des merveilles, connaître cette divine révélation que nul mortel n’a pénétrée. Sa quête est haute et Méphisto ne peut que lui offrir des plaisirs vulgaires, de l’or et des filles. Méphisto lui rétorque que c’est tout le bonheur auquel se bornent les hommes, et que lui-même il voulait s’empoisonner dans son désespoir de ne pas les obtenir. Il les lui offre :

 

Tu pourras parcourir avec moi l’échelle de tous les plaisirs de ce monde ; en un mot, je me fais désormais ton compagnon, ou si cela t’arrange mieux, ton serviteur et ton esclave 117.

 

Les conditions du pacte différent à la fois de celles que nous trouvons chez Klinger et de celles que nous présente Goethe, s’il s’accorde avec eux pour ne pas donner au pacte une durée précise :

 

Faust, timidement :

Mais quel temps,... mais combien d’années ?...

Méphistophélès :

Ah ! Peu m’importe, j’en puis perdre sans les compter. Je te laisserai libre de fixer le terme de ton engagement ; quand tu me diras : « Partons ! J’en ai assez, alors 118... »

 

Ce n’est qu’à ce moment que Faust rappelle les motifs de l’Erdgeist et de la nature repris à « Nacht » ; comme aussi celui de la sensualité, recours des héros de Goethe et de Klinger :

 

Le grand esprit m’a dédaigné. La nature s’est fermée devant moi comme le cœur des hommes... Il faut maintenant que dans le gouffre de la sensualité mes passions ardentes s’apaisent ! Précipitons-nous dans les vagues agitées du Destin !... et qu’ensuite la jouissance et la douleur, le succès et l’infortune se suivent comme ils pourront 119.

 

Telle est la réponse du « Lebensgenuss » dont parlait Goethe 120.

Pour la signature du pacte, Nerval intervertit l’attitude des personnages de Goethe :

 

Méphistophélès :

Bien, très bien ! Notre pacte est donc...

Faust :

Je le signerai s’il le faut de mon sang !

Méphistophélès :

Ah ! c’est inutile, entre honnêtes gens la parole suffit 121.

 

Nous allons retrouver ici l’épisode de Marguerite. Mais c’est au Volksbuch que pense aussi Nerval. Le plaisir des sens, pour Faust, est essentiellement de posséder l’amour de la jeune fille :

 

Faust :

Allons voir Marguerite !

Méphistophélès :

Qui ? cette petite paysanne... Elle te tient toujours au cœur ! Allons donc ! J’ai bien d’autres femmes à ton service ; je puis te donner à choisir entre Hélène, Cléopâtre, Aspasie, et toutes les beautés les plus renommées de l’Antiquité 122.

Faust :

Quelqu’elles sic soient, Marguerite les surpassera toujours à mes yeux, l’amour que j’ai pour elle... Mais je te parle d’amour, qu’y peux-tu comprendre 123 ?

 

Le diable de proposer alors, par une combinaison du roman de Klinger et du drame de Goethe, des bijoux pour la belle :

 

Aller voir sa belle les mains vides, cela n’est guère reçu : voici un écrin dont tu pourras lui faire présent 124.

 

Ils partent tandis que Méphisto lui suggère de tirer vengeance des sénateurs de Mayence. Ainsi finit le premier acte.

Nous n’avons du second qu’une tirade de Scheffer seul dans le Cabinet d’Étude ; à la fin de celle-ci, d’après l’indication scénique, devaient apparaître Faust et Méphisto. Le nouveau genre de famulus qu’est Scheffer nous apprend que désormais son maître roule sur l’or et que « tous les gros bonnets de la ville viennent leur rendre hommage 125 ». Méphisto passe pour le Comte de Furstemberg (sic), envoyé de l’Empereur – suggestion de Klinger : « On a beau dire, déclare-t-il, le vrai talent finit toujours par percer : notre mérite est parvenu aux oreilles du Prince et le vent de la faveur enfle désormais nos voiles 126. » Voici que les « orgueilleux sénateurs... font antichambre 127 ».

Il est dommage que Nerval s’interrompe en si beau chemin, ou plutôt est-ce vraiment dommage ? Le reste, dit Aristide Marie, se devine 128. Il a voulu unir le Faust de Klinger et celui de Goethe. D’où ces titres successifs auxquels il pense : Faust, les Deux Faust et finalement le Second Faust. Certes, il n’oublie aucune de ses lectures sur la légende. Mais est-il satisfait ? Voici qu’il reprend le thème de l’imprimerie et celui de Faust dans une pièce que nous possédons complète.

 

 

 

L’Imagier de Harlem.

 

 

En effet, si le caractère de Léo Burckart fournit quelques éléments, c’est le Faust que nous retrouvons dans notre dernier drame. Il est intitulé l’Imagier de Harlem ou la Découverte de l’Imprimerie, « drame légende » qui fut représenté le 27 décembre 1851 à la Porte Saint‑Martin 129.

Nerval a prêté à ce Laurent Coster, inventeur de l’imprimerie – il œuvre sur les données de Klinger et sans doute encore sur la confusion historique de Fust et Faust –, les caractéristiques d’un rêveur faustien. Il a lui-même caractérisé sa pièce et en a indiqué les lignes maîtresses et les sources dans sa lettre à Jules Janin du 27 décembre 1851 130 :

 

On donne ce soir une pièce de Méry et de moi. On a coupé un tiers de l’ouvrage et j’ai peur que tout ne soit pas bien compris... L’idée est tirée d’une légende allemande de Klinger représentant les difficultés qu’ont éprouvé sic les premiers inventeurs de l’imprimerie pour faire triompher leur pensée ; cela se promène dans différents pays où ils éprouvent des obstacles et cela forme une sorte de tableau du XVe siècle découpé en quatre ou cinq figures historiques. Le personnage principal qui selon les légendes locales de chaque pays est Faust ou Guttenberg ou Laurent Coster n’a été pour nous qu’un type générai de l’inventeur d’une grande chose contrarié par le mauvais esprit. La pièce est religieuse au fond comme un mystère du Moyen Âge. Elle est dénouée par l’élection de Jules II qui amène la renaissance des lettres et des arts et la conclusion : que c’est la Providence qui favorise les lumières et le progrès que le Diable voudrait supprimer. L’inventeur a auprès de lui deux femmes : la femme bourgeoise qui ne le comprend pas et le fait souffrir, mais qui le sauve par le sentiment religieux – et la femme idéale, son rêve, le rêve éternel du génie, dominé par l’amour-propre, et que l’auteur de Faust avait symbolisé par Hélène, ici c’est Alilah, c’est-à-dire Lilith, la femme éternellement condamnée de la tradition arabe et dont le Démon se sert pour séduire tous les grands hommes et leur faire manquer leur but 131.

 

Nerval a bien indiqué son point de départ et montré déjà comment par ses diverses branches, la légende tend à former un thème. Il a pris d’autre part le contre-pied de Klinger qui faisait de l’humanisme et des lumières une machine de guerre antireligieuse. Ici, au contraire, Nerval et son collaborateur Méry ont fait du progrès un effet de la Providence. Remarquons aussi l’interférence de la tradition orientale et le syncrétisme mythique d’Hélène et de Lilith ou Alilah, caractéristique de la pensée dominante de Gérard. Il indique ensuite la part qu’il a faite à l’histoire véridique et au légendaire :

 

Laurent Coster a une biographie assez obscure qui permettait de se servir de lui selon la pièce – il vivrait trop longtemps. Mais comme nous sommes dans le fantastique, du moment qu’il s’est livré au Diable sa vie peut se prolonger. Les noms de sa femme et de sa fille sont historiques ainsi que plusieurs détails. Sa statue est à Harlem. L’auteur d’un ouvrage intitulé Origines typographicae je crois, enfin : « Des origines de la typographie », un nommé Meerman en a longuement parlé 132.

 

Il s’agit de la source essentielle de Nerval sur Coster : L’ouvrage de Gérard, baron Meerman (1722-1771) qui avait paru à La Haye en 1765 133. Mais il n’oublie pas la grande œuvre qu’il a traduite : « Il y a beaucoup de Faust dans la pièce et même du 2e Faust, ce qui ne contribue pas à l’éclaircir. Mais vous savez que c’est une manie chez moi 134. »

C’est bien en effet ce que nous revoyons dans l’Imagier de Harlem. Nous assistons aux sept avatars de Satan qui assaisonnent le drame et dans lesquels nous retrouvons Méphisto. Faust est donc devenu Laurent Coster, Marguerite s’appelle Catherine, épouse de Laurent. La protéiforme et fantastique Alilah sera tour à tour Aspasie, la dame de Beaujeu, et la belle Impéria, léguée par Balzac, représente Hélène la diabolique comme Hélène l’enchanteresse. Le héros est bâti sur le patron habituel des Faust de Nerval ; on y retrouve l’alchimiste, Léo Burckart et le héros de sa pièce incomplète. Comme eux il est un rêveur, un idéaliste qui poursuit une mutation chimérique du monde, sans y parvenir et ne vaut que par ses qualités familiales et civiques. Cet homme probe et sévère a ses fantômes hors de la réalité, comme son créateur ; ses chimères sont représentées par Aspasie qui l’entraîne dans la vaine poursuite et dans le monde. C’est à elle qu’il déclare au quatrième tableau :

 

        Moi, Madame, avec vous a vécu ma pensée

        Déjà, depuis longtemps, mes rêves, mes travaux,

        Partout vous retrouvaient sous des attraits nouveaux,

        Inconnue et présente à mon âme ravie,

        Telle que je vous vois vous habitiez ma vie 135 !

 

Au sixième tableau, Laurent Coster est livré aux voluptés dans le Château de Beauté, créé par Satan. Puis nous voyons les chœurs et les danses des Heures lascives. On voyait apparaître le dieu Pan. Les heures plongent Coster dans le sommeil voluptueux suggéré par le sommeil de Faust bercé par les Elfes dans « Anmutige Gegend » et cela pendant douze ans. Tout est songe vain, que retire-t-il de sa quête ? Hélas, il n’en résulte que l’échec, et la bouche d’ombre, celle de la dame de Beaujeu, se charge vers la fin de le lui rappeler.

 

        Prends garde de quel nom d’amour que tu me nommes

        Je ne serai jamais une fille des hommes.

        Celui qui parle au spectre échappé du linceul,

        Se dit : « Nous sommes deux et pourtant il est seul !

        Pour toi, Coster, je suis la morne fiancée,

        Blanche comme la neige et comme elle glacée,

        Et si ta main touchait ma chair, tu sentirais

        Ces frissons que l’hiver met au fond des forêts 136.

 

Aristide Marie indique avec raison la source goethéenne de ces vers qui s’inspirent de la Fiancée de Corinthe 137. Gérard avait traduit le poème pour le Monde dramatique en 1836. On y voit le spectre de la fiancée sortie de la tombe que le jeune Hellène essaie de faire revivre ; celle qu’il aime ne lui dit-elle pas :

 

C’est bien malgré moi que je t’afflige, mais si ta main touchait mes membres, tu frémirais de ce que je cache à tes yeux : blanche comme la neige, mais aussi froide est la fiancée que tu t’es choisie 138.

 

De même l’irréelle Aspasie n’est que mort et néant :

 

        Tout ce que j’ai promis jamais je ne le donne,

        Feuille flétrie au vent d’un éternel automne ;

        Chaque jour, je me mêle aux nuages de l’air,

        Et qui veut me saisir n’embrasse qu’un éclair 139.

 

Par bonheur c’est l’ombre de la douce Catherine, dont l’existence s’est éteinte avant le retour de Coster infidèle, qui apparaît pour le sauver. Satan est en déroute, qui s’écrie : « Disparaissez, créations de mon génie ! Le ciel l’emporte sur l’enfer... 140 »

Les symboles sont nombreux dans l’Imagier de Harlem. La volupté apparaît sous la figure d’un page. Laurent Coster se laisse sauver quand il est ruiné par un inquiétant personnage : le Chambellan de l’Archiduc d’Autriche, à qui par faiblesse, il ne résiste pas. C’est le premier avatar de Satan. Nous retrouvons les assignats du second Faust lorsqu’à Aix-la-Chapelle, Satan se sert de l’invention de l’imprimerie par Coster pour fabriquer du papier monnaie. De même, Nerval se sert de l’évocation d’Hélène, pour faire évoquer par Satan à la cour de Frédéric III à Aix-la-Chapelle, l’ombre d’Aspasie dont la beauté bouleverse Coster :

 

        Triomphe de ta mort, immortelle Aspasie !

        Quitte le blanc suaire où dorment tes attraits,

        Toi que tous les sculpteurs pour Vénus ont choisie,

        Sors du sépulcre sombre et devant nous parais 141.

 

Voici ce que devient la prospérité factice annoncée à l’Empereur dans le second Faust 142 dans la bouche de Satan devenu le Chambellan Blocksberg dont le nom rappelle les sabbats du Brocken et le fou du second Faust :

 

Songeons au plus pressé, payons les troupes d’abord (à un seigneur). Ministre de la Guerre, allez payer vos troupes qui murmurent (il lui remet des billets, le ministre sort). Elles ne murmurent plus. (À d’autres qui sont près de la table.) Messieurs les ministres, voici vos appointements arriérés... Eh bien ! Vous hésitez à les prendre ? C’est de l’or, de l’or en barre ; tenez ! en voici la preuve : je me paye à moi-même mes appointements de chambellan et de fou et je me donne un reçu. (Il met plusieurs billets dans sa poche et signe un papier qu’il serre aussi. On entend un grand bruit au dehors, il ouvre la fenêtre.) Janissaires à jeun, vous dînerez aujourd’hui. Voici les ducats de papier revêtus de l’auguste sceau de l’archiduc ! Partagez-vous ces lingots ! Achetez tous les vins du Rhin et buvez-les à la gloire de l’Archiduc et de mon ami Laurent Coster. (Hourra au dehors. Revenant sur le devant.) Mon allocution a produit le meilleur effet... tous les ventres affamés ont des oreilles. (À l’archiduc) :

        Ainsi vous le voyez, mon art sauve l’Autriche.

        Ordonnez qu’aujourd’hui tout Allemand soit riche.

          (Aux hommes de cour.)

        Et vous hommes de cour, vous avez dans vos mains

        L’or qui conduit à tout : il sable les chemins,

        Courbe les monts, impose à l’océan ses digues 143.

        Puisqu’il ne vous a rien coûté, soyez prodigues :

        Ne le ménagez pas, votre or ; à tout moment,

        Achetez à grand prix quelque vice charmant ;

        Satan vous a donné sept vertus capitales !

        Empruntez du harem les mœurs orientales ;

        De chaque volupté faites-vous un loisir :

        Avec de l’or, on a l’embarras du choisir.

        Voilà tout. Messeigneurs, payez avec largesse

        Les doux plaisirs, proscrits par la folle sagesse !

        Tout doit être acheté, puisque tout est vendu.

        Un ducat dans la poche est un plaisir perdu 144.

 

Nous pourrions dire que l’imitation de Goethe est servile, mais Klinger n’est pas oublié. Gérard suit son roman : Nous allons à la cour de Louis XI, nous voyons Coster tenté et succombant dans de merveilleux châteaux pleins de mystère. Il va en Espagne, il risque l’autodafé par son invention. Il est condamné au bûcher et rencontre sur la route du bûcher Christophe Colomb qui le fait parler des progrès de l’Humanité. Il se damne pour sauver sa fille Lucie condamnée pour sorcellerie, en vain hélas. Il se retrouve bientôt à la Cour des Borgia. Gérard conserve, adoucit et élague les pages sur Rome de Klinger. L’orgie est rendue d’une manière fort adoucie sur un air d’A. de Groot :

 

        Lierre, au front, pampre à l’oreille,

        Les doigts rougis par les raisins,

        Quel vin, Bacchus, dieu de la treille,

        Buvait sur les coteaux voisins ?

            Il buvait l’eau douce

            Et le cristal pur

            Qui baigne la mousse

            Des bois de Tibur.

        Il n’avait ni table, ni nappe.

        Les buveurs l’invoquent en vain !

        Bacchus n’a trouvé que la grappe,

        Nous avons inventé le vin 145 !

 

De même, si Léviathan montre à Faust chez Klinger les conséquences de ses actes, Satan sous les traits de Machiavel (présent chez Klinger) montre à Coster les terribles conséquences de l’imprimerie.

En fait le héros est sauvé de la damnation par sa fille Lucie et par Aspasie. La fin est triomphale (en forme de triomphe romain) ; nous y voyons Coster, sa femme et sa fille sur un char, traîné par quatre fauves avec cortège de nymphes, dieux, déesses, poètes, peintres et sculpteurs. On pense au Carnaval du second Faust ; Aspasie chante le héros :

 

        Oui, Coster ton flambeau perce le dernier voile,

        Sépulcre du génie ! et cette même étoile

        Qui conduisait les Rois jusqu’à Jérusalem,

        Tu l’as rendue au monde, Imagier de Harlem 146.

 

Mais Satan, les mains liées, portant un manteau rouge, et marchant derrière le char, ne s’avoue pas vaincu.

Telle est l’œuvre dont Nerval se plaint à juste titre, dans la lettre à Janin, qu’elle ait subi des coupures, comme elle a souffert des économies de la mise en scène. La suite des tableaux n’est pas en effet toujours rigoureuse. L’assemblage n’est point parfait. Les réminiscences goethéennes sont nombreuses, nous l’avons constaté. Théophile Gautier dans sa Notice sur Gérard en 1867 147, tout en déclarant que « les personnages semblent avoir existé de tout temps » souligne qu’« Aspasie y figure en plein Moyen Âge comme Hélène paraît dans le donjon féodal du Second Faust de Goethe ». On avait fait un grand effort pour la mise en scène, malgré les suppressions. Mélingue fut l’interprète puissant et varié de Satan, Marie Laurent une ensorcelante Alilah. La souple Galby dansa le rôle de Minuit dans la danse des Heures. Est-ce l’influence du ballet de Faust composé par Heine ? En tout cas dans la dédicace de la seconde édition, Nerval indique avec satisfaction que pour la première fois en France l’action d’un drame est accompagnée de chorégraphie.

Nerval quitta la salle, à la première représentation au beau milieu du quatrième tableau. Il était mécontent et il expliqua au souper du restaurant Bordier, des Halles, où il se rendit, qu’il avait imaginé de magnifiques décors que Marc Fournier avait supprimés par économie. Tel au huitième tableau, le château ruiné de Beauté. On se servait au septième tableau du décor de forêt de Robert Macaire. Les coupures aussi le chagrinaient. Fallait-il en rendre responsable le directeur seul ? Certaines n’étaient-elles pas imputables aux collaborateurs, Méry et Lopez ? Pourtant le public fut bienveillant, la critique convenable grâce aux amis, la recette bonne, pendant quinze jours. Gérard fit des cadeaux princiers à ses interprètes, mais la recette tomba. Gérard ne se doutait de rien. Une lettre de Marc Fournier à Méry lui apprit le 23 janvier 1852 le déficit, quotidien désormais, et la nécessité d’arrêter. Le coup fut terrible pour le Faust des lettres :

 

Gérard raconte Méry eut un éclat de rire nerveux, se saisit le front, le visage convulsé, tandis que des larmes perlaient dans ses yeux sombres : il voyait s’évanouir son dernier rêve et triompher l’inéluctable 148...

 

Fallait-il s’étonner de cet insuccès ? Rappelons-nous Nicolas Flamel, l’Alchimiste, le Faust et même Léo Burckart. Le souffle dramatique de Gérard est, malgré de bons moments, un peu court. N’est-il pas d’autre part, un trop bon élève, appliqué, consciencieux, plein de réminiscences et de sources érudites ? Malgré ses efforts, son vrai faustisme n’est pas là dans la partie qu’il veut lucide et équilibrée de son être, dans sa tentative d’égaler Goethe et Klinger. Le drame, disions-nous, est en lui et non sur le papier.

 

 

 

LE VRAI FAUST.

 

 

Tel est ce Faust qui se fait le biographe de ces autres Faust, les Illuminés, Cazotte, Restif, Quintus, Aucler 149. Le vrai Faust est l’amant malheureux de Jenny Colon, le chercheur d’absolu, le fou inspiré qui descend aux Enfers, et dans l’intermittence et les répits de ses crises, comme dans ses crises, cherche désespérément Eurydice deux fois perdue, sa mère et son amante, l’Hélène ou l’Isis éternelle. Il est le poète et l’Ulysse des Chimères 150, celui d’Horus, d’Artémis, de Delfica, et du Desdichado, le ténébreux, le veuf, l’inconsolé. Ses amantes, ses amoureuses sont mortes à la vie ou mortes à son amour. Les Cydalises nous le rappellent :

 

        Où sont nos amoureuses ?

        Elles sont au tombeau,

        Elles sont plus heureuses

        Dans un séjour plus beau 151 !

 

Il effeuille ses marguerites dans les Filles du Feu. Sylvie répond à Aurélia. Car c’est là le véritable drame du chercheur d’absolu, le résultat de cette quête mystique à travers les mythes et les légendes. Le vieux Maître de Weimar dompte ses démons, son Méphisto ; il a maîtrisé les sortilèges maléfiques, il a opéré sa catharsis. Mais Nerval ? Par une tragique coïncidence, n’a-t-il pas renversé le problème ? et n’a-t-il pas fait du Faust sa vie et son drame ? Car Faust porte en filigrane le drame de l’interprète de Goethe, de l’imitation de Goethe. Autrefois, nous l’avons vu, on ne jouait pas Faust impunément, sans être brûlé par les feux de l’Enfer. S’il n’y a pas relation de cause à effet, il y a du moins tragique prédestination pour l’homme qui vit avec son double. Le vrai Faust de Nerval est en un sens Aurélia. Il ouvre, ce livre, le royaume invisible ; on connaît les premières lignes :

 

Le Rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l’image de la mort ; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée et nous ne pouvons déterminer l’instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l’œuvre de l’existence. C’est un souterrain vague qui s’éclaire peu à peu et où se dégagent de l’ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres – le monde des esprits s’ouvre pour nous 152.

 

N’y a-t-il pas en lui comme une dualité faustique et démoniaque ? N’est-il pas habité par le mal et le bien ? Ne porte-t-il pas deux hommes en lui, comme deux états, deux existences : « Je suis deux hommes en moi » a écrit un Père de l’Église... Le concours de deux âmes a déposé ce germe mixte dans un corps qui lui-même offre à la vue deux portions similaires reproduites dans tous les organes de sa structure. Les Occidentaux ont vu là deux ennemis : le bon et le mauvais génie. « Suis-je le bon, suis-je le mauvais, me disais-je. En tout cas l’autre m’est hostile... 153 » C’est le Doppelgänger, le « double » des Allemands et des romantiques.

Tel est l’être qui va à la recherche de sa Marguerite, l’Orphée qui place en épigraphe et en tête de la seconde Partie : « Eurydice ! Eurydice ! 154 » Elle croyait en Dieu, sa Marguerite, et lui se trouve désarmé devant les portes du Néant, devant le panthéisme goethéen, car « c’était le dieu de Lucretius, impuissant et perdu dans son immensité 155 ». Et cependant la petite voix l’appelle :

 

Elle, pourtant, croyait à Dieu, et j’ai surpris un jour le nom de Jésus sur ses lèvres. Il en coulait si doucement que j’en ai pleuré. Ô mon Dieu ! cette larme – cette larme... Elle est séchée depuis si longtemps ! Cette larme mon Dieu ! rendez-la moi 156 !

 

Lui-même il entre à Notre-Dame de Lorette. Il veut comme Marguerite fléchir le genou. Mais il pleure Gretchen, ravie au Ciel :

 

Dieu n’est plus avec moi. Ô malheur ! je l’ai chassé de moi-même, je l’ai menacé, je l’ai maudit ! C’était bien lui, ce frère mystique qui s’éloignait de plus en plus de mon âme et qui m’avertissait en vain ! Cet époux préféré, ce roi de gloire, c’est lui qui me juge et me condamne, et qui emporte à jamais dans son ciel celle qu’il m’eût donnée et dont je suis indigne désormais 157.

 

Mais au désespoir peut succéder l’espérance :

 

Je comprends, me dis-je, j’ai préféré la créature au créateur ; j’ai déifié mon amour, et j’ai adoré selon les rites païens, celle dont le dernier soupir a été consacré au Christ. Mais si cette religion dit vrai, Dieu peut me pardonner encore. Il peut me la rendre si je m’humilie devant lui ; peut-être son esprit reviendra-t-il en moi 158 !

 

Il n’est pas Faust uniquement par l’amour, il l’est par la recherche orgueilleuse de la science, par la quête occultiste :

 

J’avais réuni quelques livres de cabale. Je me plongeai dans cette étude, et j’arrivai à me persuader que tout était vrai dans ce qu’avait accumulé là-dessus l’esprit humain pendant des siècles. La conviction que je m’étais formée de l’existence du monde extérieur coïncidait trop bien avec mes lectures, pour que je doutasse désormais des révélations du passé. Les dogmes et les rites des diverses religions me paraissaient s’y rapporter de telle sorte que chacune possédait une certaine portion de ces arcanes qui constituaient ses moyens d’expression et de défense 159.

 

Pourtant, comme Faust, il a le sentiment de l’imparfait, de l’inachevé. Il veut donc trouver lui-même la clef de l’univers :

 

Toutefois, me disais-je, il est sûr que ces sciences sont mélangées d’erreurs humaines. L’alphabet magique, l’hiéroglyphe mystérieux ne nous arrivent qu’incomplets et faussés soit par le temps, soit par ceux-là mêmes qui ont intérêt à notre ignorance ; retrouvons la lettre perdue ou le signe effacé, recomposons la gamme dissonante, et nous prendrons force dans le monde des esprits 160.

 

Il croit être admis à la révélation, avoir enfin ouvert les arcanes, dominé l’univers par l’intelligence :

 

C’est ainsi que je croyais percevoir les rapports du monde réel avec le monde des esprits. La terre, ses habitants et leur histoire étaient le théâtre où venaient s’accomplir les actions physiques qui préparaient l’existence et la situation des êtres immortels attachés à sa destinée. Sans agiter le mystère impénétrable de l’éternité des mondes, ma pensée remonta à l’époque où le soleil, pareil à la plante qui le représente, qui de sa tête inclinée, suit la révolution de sa marche céleste, semait sur la terre les germes féconds des plantes et des animaux. Ce n’était autre chose que le feu même qui, étant un composé d’âmes, formulait instinctivement la demeure commune. L’esprit de l’Être-Dieu, reproduit et pour ainsi dire reflété sur la terre, devenait le type commun des âmes humaines dont chacune, par suite, était à la fois homme et Dieu 161.

 

Nerval est parvenu d’une manière poignante à s’approprier le thème. Il est né au lendemain des tempêtes et des incertitudes, entendant encore les sarcasmes de Méphisto. Pourtant sa pensée d’instinct est profondément religieuse. Il ne demandait qu’à se tourner vers Dieu :

 

Lorsque l’âme flotte incertaine entre la vie et le rêve, entre le désordre de l’esprit et la froide raison, c’est dans la pensée religieuse que l’on doit chercher des secours ; – je n’en ai jamais pu trouver dans cette philosophie, qui ne nous présente que des maximes d’égoïsme ou tout au plus de réciprocité, une expérience vaine, des doutes amers, – elle lutte contre les douleurs morales en anéantissant la sensibilité ; pareille à la chirurgie, elle ne sait que retrancher l’organe qui fait souffrir 162.

 

Ainsi l’enfant du siècle, né dans le doute et le scepticisme, retrouve le cri du héros byronien :

 

Mais pour nous, nés dans des jours de révolution et d’orages, où toutes les croyances ont été brisées, élevés tout au plus dans cette foi vague qui se contente de quelques pratiques extérieures et dont l’adhésion indifférente est plus coupable peut-être que l’impiété et l’hérésie – il est bien difficile dès que nous en sentons le besoin, de reconstruire l’édifice mystique dont les innocents et les simples admettent dans leurs cœurs la figure toute tracée. « L’arbre de science n’est pas l’arbre de vie 163 ! »

 

Toutefois, son siècle croit à l’avenir de la science, au progrès du savoir. Nerval pense un moment pouvoir allier certitude scientifique et sentiment religieux :

 

J’ai meilleur espoir de la bonté de Dieu : Peut-être touchons-nous à l’époque prédite où la science, ayant accompli son cercle entier de synthèse et d’analyse, de croyance et de négation, pourra s’épurer elle-même et faire jaillir du désordre et des ruines la cité merveilleuse de l’avenir... Il ne faut pas faire si bon marché de la raison humaine, que de croire qu’elle gagne quelque chose à s’humilier tout entière, car ce serait accuser sa céleste origine 164...

 

Mais Faust craint d’être allé trop loin. Il retrouve par scrupule religieux le mouvement traditionnel du magicien devant l’inanité du savoir, œuvre diabolique :

 

Qu’ai-je écrit là ? Ce sont des blasphèmes. L’humilité chrétienne ne peut parler ainsi. De telles pensées sont loin d’attendrir l’âme. Elles ont sur le front les éclairs d’orgueil de la couronne de Satan... Un poète avec Dieu lui-même ?... Ô science ! Ô vanité 165 !

 

Dès lors comment s’évader, quand un mauvais génie avait pris sa place dans le monde des âmes ? L’enfant privé de la chaleur du sein, de sa mère « qui mourut de fièvre et de fatigue dans une froide contrée d’Allemagne 166 », l’amant qui pleure sa Marguerite cherche un refuge dans le rêve. N’est-ce pas encore lui qui a écrit :

 

La seule différence pour moi, de la veille au sommeil était que dans la première, tout se transformait à mes yeux ; chaque personne qui m’approchait semblait changée, les objets avaient comme une pénombre qui en modifiait la forme, et les jeux de la lumière, les combinaisons des couleurs, se décomposaient de manière à m’entretenir dans une série constante d’impressions qui se liaient entre elles, et dont le rêve, plus dégagé des éléments extérieurs, continuait la probabilité 167.

 

Il entre par là dans de fantastiques nuits de Walpurgis. De même il retrouve des visions cosmogoniques d’où le souvenir de Vathek n’est peut-être pas absent :

 

Une déesse rayonnante, guidait dans ses nouveaux avatars, l’évolution rapide des humains. Il s’établit alors une distinction de races qui, partant de l’ordre des oiseaux, comprenait aussi les bêtes, les poissons et les reptiles : c’était les Dives, les Péris, les Ondins, et les Salamandres ; chaque fois qu’un de ces êtres mourait, il renaissait aussitôt sous une forme plus belle et chantait la gloire des dieux. – Cependant, l’un des Eloïm eut la pensée de créer une cinquième race, composée des éléments de la terre, et qu’on appelait les Afrites. Ce fut le signal d’une révolution complète parmi les esprits qui ne voulurent pas reconnaître les nouveaux possesseurs du monde. Je ne sais combien de mille ans durèrent ces combats qui ensanglantèrent le globe. Trois des Eloïm avec les esprits de leurs races furent enfin relégués au midi de la terre où ils fondèrent de vastes royaumes. Ils avaient emporté les secrets de la divine cabale qui lie les mondes, et prenaient leur force dans l’adoration de certains astres auxquels ils correspondent toujours. Ces nécromants, bannis aux confins de la terre, s’étaient entendus pour se transmettre la puissance 168.

 

Mais le désespoir le submerge. Il est prisonnier des labyrinthes à des moments de plus en plus fréquents et prolongés. Il en revient sans Eurydice :

 

J’allais et je revenais par des détours inextricables. Fatigué de marcher entre les pierres et les ronces, je cherchais parfois une route plus douce par les sentes du bois. On m’attend là-bas, pensais-je. – Une certaine heure sonna... Je me dis : Il est trop tard ! Des voix me répondirent : Elle est perdue ! Une nuit profonde m’entourait, la maison lointaine brillait comme éclairée pour une fête et pleine d’hôtes arrivés à temps. Elle est perdue ! m’écriai-je et pourquoi ?... Je comprends, – elle a fait un dernier effort pour me sauver ; – j’ai manqué le moment suprême où le pardon était possible encore. Du haut du ciel, elle pouvait prier pour moi l’époux divin... Et qu’importe mon salut même ? L’abîme a reçu sa proie ! Elle est perdue pour moi et pour tous !... Il me semblait la voir comme à la lueur d’un éclair, pâle et mourante, entraînée par de sombres cavaliers 169...

 

Dans cette vision de ballade germanique, à la Bürger, Nerval préfigure son dernier état d’âme de Faust vaincu. Qu’importent les sortilèges de l’Île de France, du Valois, les recherches érudites ; la misère, la folie, le désespoir dans le froid de l’hiver l’ont achevé. Ce sera, rue de la Vieille Lanterne, le suicide réel du Faust qui a écrit :

 

        Il semble que Dieu dise à mon âme souffrante :

        Quitte le monde impur, la foule indifférente,

        Suis d’un pas assuré cette route qui luit.

        Et viens à moi, mon fils – et n’attends pas la nuit 170.

 

En fait, telle est la quête douloureuse et authentique du sectateur d’Isis et de Déméter, du pensionnaire du Dr Blanche, du traducteur du Faust goethéen, et du créateur érudit de tant de Faust livresques. Il est marqué du sceau fatal de la folie et de la science, du désir d’absolu, d’amour éternel et mystique. Pour cela il est entré dans la forêt germanique avant de se diriger vers l’Orient. Il a continué sa marche et sa quête, fidèle à lui-même, logique avec lui-même jusqu’à sa déraison, poursuivant l’impossible. Il a tenté d’exorciser ses chimères, ses désirs fous. Il s’est appliqué en écolier studieux à refaire, sous le signe de l’invention de l’imprimerie, le Faust de Goethe et de Klinger, dont il a scruté la légende. Mais la lucidité et la raison étaient sa déraison, la mort d’un art inspiré, du message du rêve et de la nuit, la perte du Royaume des Mères et des mythes primordiaux. Le vrai Faust reste celui qui a joué le drame avec sa propre vie et son propre sang, celui des Chimères et celui d’Aurélia, qui ne trouve de répit à son supplice que dans ses extases, la musique, ses visions d’une Vienne souriante et mélancolique, d’un Orient bariolé, profond et mystérieux, l’ironie douloureuse de Heine-Méphisto et dans le sourire tendre et railleur de Sylvie, celui qui avant sa mort et après le héros de Lenau, a voulu dans son pauvre et dernier voyage voir la tombe de sa mère à Glogau. Voilà pourquoi l’enfant au cor merveilleux qui disait : « Teutonia, ma mère », pensant à la fois à la morte et à l’Allemagne nourricière du rêve, n’est pas uniquement un fils du Valois.

 

 

 

Charles DÉDÉYAN.

 

Paru dans la Revue des lettres modernes en 1957.

 

 

 

 



1 NERVAL, t. II, Lorely, p. 744. Sauf indication contraire, nos citations renvoient à l’édition des Œuvres par A. Béguin et J. Richer, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1952-1956.

2 Les Illuminés dans Œuvres, t. II. Pages manuscrites de la Bibliothèque de mon oncle, p. 1458 : « Ayant découvert la masse énorme des livres entassés dans le grenier... j’ai tout jeune absorbé beaucoup de cette nourriture malsaine pour l’âme (l’esprit) et plus tard (mon bon sens) ma raison a eu à se défendre contre ces impressions premières. » On trouvera d’excellentes indications dans le livre de Léon CELLIER, Gérard de Nerval, l’homme et l’œuvre. Paris, Hatier-Boivin, 1956, 1 vol. pet. in-8o (« Connaissance des Lettres »).

3 Voici la liste des ouvrages lus par Nerval dans la bibliothèque « occultiste » de son oncle Boucher : l’Âne d’Or, d’Apulée, L’Œdipus Ægyptiacus de Kircher (1652), Séthos de l’abbé Terrasson (1728), Le dictionnaire mytho-hermétique de Dom Pernety (1758), Le Diable amoureux de Cazotte (1772), Le Monde Primitif de Court de Gebelin (1775-1788), Les Mémoires authentiques pour servir à l’histoire du Comte de Cagliostro (1785), Le Comte de Gabalis de l’abbé de Villars, Les nouvelles recherches de Devismes du Valgay, peut-être les écrits de Chaho (Œuvres, t. II, p. 1459).

4 En ce qui concerne l’apport germanique, voir Charles DÉDÉYAN, Gérard de Nerval et l’Allemagne, Paris, Sedes, 1957, 3 vol. in-8o couronne.

5 Voir article d’Édouard THIERRY dans le Moniteur Universel du 14 décembre 1885, « Le Faust » traduit, peut-être plutôt signé par Gérard de Nerval et la note de J. RICHARD dans l’Intermédiaire du 25 janvier 1885. Cf. aussi avant-propos de F. BALDENSPERGER dans son édition de la traduction de Faust, p. IX.

6 Cité par F. BALDENSPERGER, dans son édition des Deux Faust de Goethe traduits par G. de Nerval, Paris, Champion, 1932, 1 vol. in-8°, avant-propos, pp. V-VI.

7 Colportée par Théophile Gautier.

8 Cf. la 4e éd. du Faust de Goethe traduit par G. de Nerval où celui-ci reproduit dans sa préface la page des Conversations avec Eckermann qu’a traduite un correspondant d’Outre-Rhin. La version est un peu différente de celle d’Aristide Marie, que nous reproduisons.

9 Les deux Faust de Goethe, éd. F. Baldensperger, p. 6.

10 Éd. cit., p. 6.

11 Éd. cit., p. 6.

12 Éd. cit., pp. 6-7.

13 Éd. cit., pp. 7-8.

14 Éd. cit., p. 8.

15 Éd. cit., pp. 29-30.

16 Éd. cit., pp. 127-128. On sait qu’il modifiera par la suite et à plusieurs reprises cette traduction.

17 Éd. cit., p. 210.

18 F. BALDENSPERGER, éd. cit., pp. 530-1 : « Les contresens les plus caractéristiques sont dus, soit à une ignorance fondamentale du sens des particules séparables et des prépositions, soit à une lecture rapide et à une fausse « divination » du texte, qui brouille les significations ou les rapports. Exemples du premier type :

V. 429. Er schlägt das Buch auf : Il frappe le livre...

V. 1223.... und schickt sich an : Et s’arrête.

Exemples du deuxième type :

V. 356. Und leider auch Theologie : Et toi aussi, triste théologie.

V. 395. Auf Wiesen in deinem Dämmer weben... : danser sur le gazon pâle des prairies.

Le sens de l’original est affecté par des inadvertances comme celles-ci : V. 1336. Ein Teil von jener Kraft Die stets das Böse will und stets das Gute schafft : « une partie de cette force qui tente veut le mal et tantôt fait le bien ».

19 On sait que d’autre part, se méfiant de son lyrisme et de son propre démon poétique, Gérard remettra en prose, en 1835, un certain nombre de scènes qu’il avait d’abord en 1827 traduites en vers (la Nuit : l’esprit, chœur des anges ; Cabinet d’études : esprits, chœur d’esprits invisible ; l’Église : dies irae traduit en note ; Marguerite au rouet et Rempart).

20 Éd. cit., avertissement, p. 402.

21 Ibid., p. 402.

22 Ibid., p. 402.

23 Éd. cit., pp 227-8.

24 Éd. cit., pp. 237-8.

25 Éd. cit., p. 240.

26 Voir Jean RICHER, Gérard de Nerval et les Doctrines ésotériques, Paris, le Griffon d’Or, 1947, 1 vol. in-12, et M.-J. DURRY, Gérard de Nerval et le Mythe, Paris, Flammarion, 1 vol. in-8o.

27 Éd. cit., p. 240.

28 C’est nous qui soulignons.

29 Éd. cit., p. 228.

30 Éd. cit., p. 232.

31 Éd. cit., p. 233.

32 Éd. cit., p. 477.

33 Éd. cit., pp. 477-8.

34 Éd. cit., p. 418.

35 Éd. cit., p. 420.

36 Correspondance dans Œuvres, t. I, p. 795.

37 Ibid., p. 798.

38 Mémoires manuscrits.

39 C’est un des deux articles publiés dans la Charte de 1830, le premier le 18 octobre 1836 ; le second, cette nouvelle, le 1er décembre 1836.

40 Œuvres, t. I, p. 523.

41 Œuvres, t. I, pp. 61-62.

42 Soirées de Walter Scott à Paris, recueillies et publiées par M. L. P. Jacob, bibliophile, membre de toutes les académies, Paris, chez Renduel, 1829. Cf. Le Trésor, le Grand Œuvre.

43 Cf. Premier Faust, édition H. LICHTENBERGER, v. 1227 : « Das Spionieren, scheint’s ist deine Lust. »

44 Vv. 1358-9 :

            Ich werde heute gleich, beim Doctorschmaus,

            Als Diener meine Pflicht erfüllen.

Ces deux textes sont cités par Julia CARTIER, dans Un intermédiaire entre la France et l’Allemagne, Gérard de Nerval, Genève, 1904, in-8o, p. 49.

45 Mercure de France au XIXe siècle, t. 34, 59 et sqq. et le Rêve et la Vie, Lecou, 1855.

46 Nous avons le manuscrit des trois scènes de Nicolas Flamel donné par Gérard à Paul Lacroix. On y trouve cette note de la main de Gérard : « L’idée première de ce drame est imitée d’une scène du premier volume des Soirées de Walter Scott publié par le bibliophile Jacob... » Ainsi s’explique le don du manuscrit à Paul Lacroix.

47 Publié à Paris, Didot, 1839, un vol. in-8°.

48 Aristide MARIE, Gérard de Nerval, « le Poète et l’Homme, d’après des manuscrits et documents inédits », nouvelle édition, Paris, Hachette, 1955, un vol. in-8, p. 139.

49 Théâtre complet d’Alexandre DUMAS, 4e série, Paris, Michel Lévy, 1864, p. 404 (A. I, sc. I).

50 Éd. cit., p. 418.

51 Éd. cit., p. 460.

52 Le Monde Dramatique avait publié en mars 1837 une notice de Savoye sur l’écrivain allemand avec son portrait lithographié. Nerval et Dumas se documenteront sur sa mort lors du voyage fait en commun en Allemagne. Nerval traduira et fera recevoir au Théâtre Français Misanthropie et Repentir.

53 Léo Burckart, 1re journée, sc. IV, p. 173, éd. Henri Clouard des Œuvres, Poésies et Théâtre, Paris, le Divan, 1928.

54 Voir en particulier la scène X de la première journée, éd. cit., pp. 182- 187.

55 Ibid., Deuxième journée, sc. VII, pp. 276-281.

56 Ibid., Cinquième journée, sc. II, p. 298.

57 Ibid., Quatrième journée, sc. VIII, pp. 281-2.

58 Ibid., p. 126.

59 Œuvres, t. II, Lorely.

60 Œuvres, Éd. H. Clouard, op. cit., « Henri Heine », p. 226. Ces lignes sont de Gautier comme nous l’apprend M. Jean RICHER. Mais Gérard, qui a seul signé l’étude, les fait siennes.

61 Ibid., p. 128.

62 Ibid., p. 134.

63 Ibid., p. 127.

64 Ibid., p. 129. Cette notice parut en tête des Poésies de Henri Heine, publiées et traduites par Gérard dans la Revue des Deux Mondes des 15 juillet et 15 septembre 1848.

65 Nous l’avons vu publier des articles dans la Charte de 1830 dont l’un, du 18 octobre 1836, a pour titre : « Le Rhin à Bâle », allusion à « une descente de Schaffhouse vers le canton de Bâle, en 1832 » ; l’autre, du 1er décembre, étant une chronique : Une soirée d’automne, « extrait inédit du journal d’un voyageur enthousiaste ». On peut douter de son voyage de 1836. Mais l’excursion de 1838 est mieux connue et à partir de cette date ses voyages sont marqués avec précision (1838, 1839, 1840, 1850, 1854).

66 Aurélia dans Œuvres, éd. A. Béguin et J. Richer, p. 363.

67 Lorely, variante du ch. VII. Œuvres, éd. cit., t. II, p. 1443.

68 Voyage en Orient, Œuvres, t. II, p. 73.

69 Gérard fit le voyage en août-septembre. Du Rhin il alla à Weimar et à Leipzig.

70 Souvenirs de Thuringe, Œuvres, t. II, pp. 778-784.

71 Éd. cit., p. 778.

72 Éd. cit., p. 779.

73 Éd. cit., p. 780.

74 Ibid.

75 Ibid.

76 Ibid.

77 Éd. cit., p. 781.

78 Éd. cit., pp. 781-2 : « Voici comment quelques auteurs supposent que Faust conçut l’idée de la reproduction des lettres. – En sa qualité d’orfèvre, il avait été chargé d’exécuter les fermoirs d’une Bible, dont le supérieur d’un couvent voulait faire présent à l’Évêque de Mayence. Il se rendit au couvent pour remettre son travail et se faire payer. On le fit attendre dans une salle dont le centre était occupé par une vaste table, autour de laquelle une vingtaine de moines travaillaient assidûment. À quoi travaillaient ces moines ? Ils s’occupaient à gratter des manuscrits grecs et latins pour les rendre propres à subir une écriture nouvelle. Faust jeta les yeux sur un Homère dont les premières lignes allaient disparaître... « Malheureux, dit-il au moine, que veux-tu écrire à la place de l’Iliade ? » Et ses yeux tombaient attendris sur le vers qu’on peut traduire ainsi : Il s’en allait le long de la mer retentissante. – En ce moment le supérieur entrait, Faust lui demanda à quel usage on destinait ces feuilles quand elles seraient grattées. – Il s’agissait de reproduire un livre de controverse, Thomas a Kempis, où quelque autre. Faust ne demanda d’autre prix de son travail que ce manuscrit, qu’il sauva ainsi de la destruction. Les moines sourirent de sa fantaisie et de sa simplicité. Il fallait un écrit pour qu’il pût sortir du couvent avec le livre. Le prieur le lui donna obligeamment et imprima son cachet sur le parchemin. Un trait de lumière traversa l’esprit de l’Orfèvre ; il pouvait s’écrier : Euréka ! comme Archimède. Et combien il faut reconnaître la main de la Providence dans la combinaison des deux idées quand on songe que depuis des milliers d’années on avait imprimé des sceaux et des cachets avec légendes... Faust concevait la pensée de multiplier les lettres et les épreuves pour reproduire la parole écrite. »

79 Éd. cit., p. 782.

80 En employant cette expression, peut-être Nerval songe-t-il au titre d’une partie des Illusions perdues.

81 Éd. cit., pp. 782-3.

82 Éd. cit., p. 783.

83 Éd. cit., p. 783.

84 Ibid. Nerval a-t-il vu une de ces représentations lors de son séjour prolongé à Vienne ?

85 Ibid., pp. 783-84.

86 Éd. cit., p. 784.

87 Cité par A. Béguin et J. Richer, t. II, notes, p. 1438.

88 Cf. lettre du 29 décembre 1850 à Alexandre Dumas :

« Mon cher Dumas, Listz (sic) me transmet de Weimar, la lettre ci-incluse ; en passant dernièrement dans cette ville je lui avais parlé du projet de faire en drame les 2 Faust. De là sa proposition. Est-il possible que la chose s’effectue soit à l’Opéra soit ailleurs ? C’est là la question. Envoyez-moi une réponse pour lui ou un rendez-vous pour moi. » (Œuvres, t. I, p. 964.)

89 Lorsqu’on lit dans le Voyage en Orient le récit fait soi-disant par le conteur de Constantinople (Œuvres, t. II, pp. 507-610), on retrouve, en ce prodigieux créateur qu’est Adoniram, un rêveur faustien et un enchanteur au service de Salomon, dont il est le rival dans l’amour de la reine de Saba. Lui aussi il fait le voyage souterrain et il y apprend les origines du monde et de la vie.

90 Aristide MARIE, Gérard de Nerval, éd. cit., p. 229.

91 Ils ont été publiés par F. Baldensperger à la suite de la traduction des Deux Faust, pp. 503-524.

92 Faust de NERVAL, éd. cit., p. 503.

93 Ibid., p. 503.

94 Ibid., p. 504.

95 Ibid., sc. 2, p. 504.

96 Ibid., sc. 2, p. 507.

97 Ibid., sc. 2, p. 807.

98 Ibid., sc. 2, pp. 509-510.

99 Ibid., sc. 2, p. 513.

100 Ibid., sc. 2, pp. 513-4.

101 Ibid., sc. 2, p. 514.

102 Ibid., sc. 3.

103 Premier Faust, Éd. LICHTENBERGER, p. 43 : « Tritt, indem der Nebel fällt, gekleidet wie ein fahrender Scholastikus, hinter dem Ofen hervor. »

104 Faust de NERVAL, éd. cit., sc. 2, p. 514.

105 Ibid., sc. 2, p. 515.

106 Ibid., sc. 2, p. 516.

107 Ibid., sc. 2, p. 517.

108 Ibid., sc. 2, p. 517.

109 Ibid., sc. 2, p. 521.  Nerval, reprend presque le vers 1675 du premier Faust : « Was willst du armer Teufel geben ? » quand il écrit : « Eh ! qu’as-tu donc à donner, pauvre diable ?... »

110 Ibid., sc. 2, p. 517.

111 Ibid., sc. 2, p, 518.

112 Ibid., sc. 2, p. 518.

113 Ibid., sc. 2, p. 519.

114 Ibid., sc. 2, p. 520.

115 Ibid., sc. 2, p. 520.

116 Premier Faust, Éd. LICHTENBERGER, vv. 1803-1809 :

   Faust : Was bin ich denn, wenn es nicht möglich ist,

            Der Menschheit Krone zu erringen

            Nach der sich alle Sinne dringen ?

   Méphistophélès : Du bist am Ende – was du bist.

            Setz’dir Perücken auf vom Millionen Locken,

            Setz’deinen Fuss auf ellenhohe Socken,

            Du bleibst doch immer, was du bist.

117 Faust de NERVAL, éd. cit., sc. 2, p. 521.

118 Ibid., sc. 2, p. 522.

119 Ibid., sc. 2, p. 522.

120 Comme on s’en souvient, dans le Paralipomène I de l’édition de Weimar.

121 Faust de NERVAL, éd. cit., sc. 2, p. 522. Cf. premier Faust, éd. LICHTENBERGER, vv. 1736-1741 :

Méphistophélès : (...) Ist doch ein jedes Blättchen gut.

                       Du interzeichnest dich mit einem Tröpfchen Blut.

Faust :             Wenn dies dir völlig Gnüge tut,

                       So mag es bei der Fratze bleiben.

Méphistophélès : Blut is ein ganz besondrer Saft.

Faust :             Nur keine Furcht, dass ich dies Bündnis breche !

122 Nerval a lu l’Enchanteur Faustus de HAMILTON.

123 Faust de NERVAL, éd. cit., sc. 2, p. 523.

124 Ibid., sc. 2, p. 523.

125 Ibid., II, I, p. 524.

126 Ibid., II, I, p. 524.

127 Ibid., II, I, p. 524.

128 Gérard de Nerval, op. cit., p. 230.

129 L’Imagier de Harlem ou la Découverte de l’Imprimerie, drame légende en 5 actes et 10 tableaux, en société avec M. Méry, in-12, 102 p. Chez Giraud et Dagneau, 1851, 2e éd. augm. d’une préface, 1852.

130 Inédite jusqu’à ces derniers temps. Catalogue Cornuau. Vente du 21 mars 1950.

131 Œuvres, éd. cit., I, Correspondance, pp. 977-8.

132 Ibid., p. 978.

133 En deux volumes in-12.

134 Œuvres, I, p. 978.

135 L’Imagier de Harlem, Paris, 1852, 1 vol. in-12, 4e tableau, éd. origin., p. 41.

136 Ibid., 6e tableau, p. 232.

137 Cité par A. MARIE, Gérard de Nerval, op. cit., appendice, p. 378.

138 Die Braut von Corinth, dans Gedichte, éd. G. WIIKOWSKI, Leipzig, 1. vol. in-8, p. 137 :

        Ach, wie ungern seh’ich dich gequält !

        Aber, ach ! berührst du meine Glieder,

        Fühlst du schaudernd, was ich dir verhehlt.

        Wie der Schnee so weiss,

        Aber kalt wie Eis

        Ist das Liebchen, das du dir erwählt.

139 A. MARIE, op. cit., p. 232.

140 L’Imagier de Harlem, éd. cit., A. III, 6e tableau, sc. 2, p. 70.

141 Éd. cit., A. II, 3e tableau, sc. 2, p. 32.

142 Second Faust, acte I, sc. 4.

143 Rappel de la digue du cinquième acte dans le Second Faust.

144 Éd. cit., acte II, 3e tableau, sc. 2, pp. 29-30.

145 Éd. cit., acte V, 9e tableau, sc. 1, p. 86.

146 Éd. cit., acte V, 10e tableau, dernière scène, p. 102.

147 Souvenirs romantiques, éd. A. Boschot, p. 243.

148 Cité par A. MARIE, Gérard de Nerval, p. 234.

149 Nerval a analysé avec un intérêt évident en étudiant Cazotte dans les Illuminés, la Veillée de la Bonne femme, vieille légende mise en chanson populaire par Cazotte et où l’on retrouve avec le pacte diabolique les éléments terrifiants du futur roman noir qui s’opposent « à la poésie musquée de Bernis et de Dorat ».

Tel est le fantastique de ce château des Ardennes :

              »Tout à l’entour de ses murailles

        On croit ouïr les loups-garous hurler,

              On entend traîner des ferrailles,

        On voit des feux, on voit du sang couler

                        Tout à la fois,

                  De très sinistres voix

                  Qui vous glacent le cœur,

        Hélas, ma bonne, hélas, que j’ai grand peur ! »

Sire Enguerrand n’a pas craint en revenant d’Espagne de loger dans ce château. À minuit s’élève un tapage infernal. Un damné, esclave des démons, traverse la salle :

              « Sa bouche était toute écumeuse,

              Le plomb fondu lui découlait des yeux...

                    Une ombre toute échevelée

              Va, lui plongeant un poignard dans le cœur. »

Enguerrand apprend de ces fantômes leur terrible histoire : « Seigneur, répond la femme armée d’un poignard, je suis née dans le château, j’étais la fille du Comte Anselme. Ce monstre que vous voyez et que le Ciel m’oblige à torturer était aumônier de mon père et s’éprit de moi pour mon malheur. Il oublia les devoirs de son état, et, ne pouvant me séduire, il invoqua le diable et se donna à lui pour en obtenir une faveur. » Une rose enchantée par le diable « livre la belle aux mauvais desseins de l’aumônier ». Elle reprend ses sens et quand elle le menace de le dénoncer à son père, il la poignarde. En vain le Comte appelle sa fille. « Le diable alors s’approche du coupable sous la forme d’un bouc et lui dit : “Monte, mon cher ami, ne crains rien, mon fidèle serviteur.”« Ainsi voyons-nous une chevauchée infernale :

        »Il monte, et sans qu’il s’en étonne,

        Il sent sous lui le diable détaler

        Sur son chemin l’air s’empoisonne

        Et le terrain sous lui semble brûler.

                    En un instant

                Il le plonge vivant

                Au séjour de douleur

        Hélas, ma bonne, hélas, que j’ai grand peur ! »

Œuvres, t. II, Les Illuminés, pp. 1129-31.

150 Voir l’édition de Jeanine Moulin, E. Droz, 1949, un vol. in-12.

151 Œuvres, Poésies, p. 56.

152 Œuvres, t. 1, Aurélia, p. 363.

153 Ibid., p. 383.

154 Ibid., p. 389.

155 Ibid., p. 389.

156 Ibid., p. 389.

157 Ibid., p. 392.

158 Ibid., p. 393.

159 Ibid., pp. 390-391.

160 Ibid., p. 391.

161 Ibid., p. 391.

162 Ibid., pp. 389-90.

163 Ibid., p. 390.

164 Ibid., p. 390.

165 Ibid., p. 386.

166 Ibid., p. 397.

167 Aurélia, 1re partie, chapitre III, p. 369.

168 Éd. cit., pp. 380-381. Il a lu la Bibliothèque Orientale d’HERBELOT.

169 Ibid., p. 395.

170 Cité par A. MARIE, op. cit., p. 332.

 

 

 

 

 

 

 

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