Première page

d’un Décaméron chrétien

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Christian DEFRANCE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous étions, l’autre jour, réunis dans cet humble jardin où s’écoulent trop vite nos vacances. Nous étions dix, et nous nous racontions de ces belles histoires qui font honneur à l’âme humaine. C’est notre Décaméron à nous. Il vaut bien l’autre.

Et l’un de nous faisait ce récit charmant autant que vrai, dont sa propre mère avait été l’héroïne, cachée aux yeux des hommes, connue de Dieu.

Donc, sa mère venait d’avoir son septième enfant, qu’elle voulut nourrir elle-même, comme elle avait nourri les six autres. Elle était fatiguée et pâle, mais ne reculait pas devant cette tache nouvelle. Non recuso laborem, avait coutume de dire saint Martin : c’est aussi le cri de toutes les mères, de toutes les chrétiennes.

Or, une pauvre femme du pays, une mendiante, mit au monde un enfant le même jour que la mère de notre ami ; mais, malade depuis longtemps et usée avant l’âge, la triste accouchée mourut, laissant sur son grabat un petit être grelottant et frêle.

À quoi vous attendez-vous, bon lecteur ?

Vous vous dites sans doute que l’orphelin fut recueilli par la famille de l’enfant riche, et qu’on lui fit un sort.

Non, l’histoire, qui est vraie, absolument vraie, est encore plus belle. La mère qui vivait prit la place de la mère qui était morte, et donna le sein au petit abandonné. Pendant plus d’un an, elle partagea son lait entre son fils à elle et cet inconnu, cet affamé qui lui était tombé je ne sais d’où.

Voilà qui est chrétien, je pense, et plus beau que toutes les infamies de Boccace.

Si ce Décaméron vous plaît, nous le continuerons.

 

 

 

Christian DEFRANCE,

Croquis honnêtes, 1892.

 

 

 

 

 

 

 

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