LA SALETTE
FALLAVAUX (FALLAX-VALLIS)
OU
LA VALLÉE DU MENSONGE
Par DONNADIEU
Pour juger sainement il faut avoir étudié
toutes les pièces de la cause.
D’AGUESSEAU.
Deuxième Partie
GRENOBLE
TYPOGRAPHIE E. REDON, RUE DERRIÈRE-SAINT-ANDRÉ
––
1853
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES.
Je venais de déposer ma plume, j’avais acquitté une dette de conscience et de religion en examinant un à un les détails qui se rattachaient à l’apparition de la Salette-Fallavaux, j’avais acquitté cette dette avec une délicatesse qui m’a attiré plus d’un reproche ami, j’avais écarté soigneusement le nom de Mgr l’évêque de Grenoble et j’avais laissé sa personne en dehors de la discussion, je m’étais occupé, non des panégyristes de la Salette, mais de l’argumentation qu’ils avaient publiée dans leurs livres ou dans les journaux, je n’avais employé à leur égard que les armes qu’ils m’avaient fournies eux-mêmes, elles m’avaient suffi pour prouver :
1° Que le caractère de Mélanie et Maximin (les deux bergers de la Salette) devait infirmer encore davantage leur récit, tant de fois variable et toujours inepte ;
2° Que les miracles prônés par M. Rousselot, à l’appui du témoignage des deux bergers, l’avaient été avec une coupable crédulité ;
3° Que les rapports contradictoires des commissions, au lieu de projeter la lumière, enveloppaient de ténèbres le fait de la Salette ;
4° Que la déclaration de M. le curé d’Ars, par rapport au démenti de Maximin, était seule vraie, puisqu’on s’obstinait à refuser la confrontation d’un enfant menteur et d’un prêtre modèle de toutes les vertus ;
5° Que les règles de morale tracées au profit de Maximin étaient réprouvées même par les peuples païens, par la Grèce liberticide, par l’ancienne Rome impie et débauchée ;
6° Que sous la plume de M. Rousselot (et je citais les faits, les dates, les personnes), les mensonges glissaient avec une désespérante facilité.
J’avais établi d’autres points encore, mais jamais je n’avais perdu de vue la nature du sujet religieux que je traitais, et aujourd’hui encore ma conscience peut se rendre ce témoignage, que je n’ai pas hasardé un seul fait, que j’ai respecté les convenances d’une discussion sérieuse, que je voulais la vérité, rien que la vérité.
Je m’attendais toutefois à une réplique, mais une réplique digne, comme le sujet la réclamait, grave comme la qualité des panégyristes de la Salette l’exigeait. – Qu’on juge de ma surprise, en lisant dans l’Univers du 7 septembre, la lettre suivante :
« Grenoble, le 1er septembre 1852.
« Monsieur le Rédacteur,
« Une brochure INFAME, remplie d’allégations fausses, de suppositions calomnieuses, d’assertions MENSONGÈRES et d’INJURES GROSSIÈRES contre le fait de la Salette et contre les personnes les plus respectables, vient de paraître à Grenoble.
« Cet écrit est déjà qualifié d’œuvre de ténèbres par un de mes vénérables collègues.
« Toute la critique que nous en voulons faire, c’est qu’il renferme AUTANT DE MENSONGES QUE DE MOTS.
« Le clergé et les âmes honnêtes le laisseront tomber dans l’oubli et le MÉPRIS qu’il mérite.
« Plusieurs plumes en feront au besoin prompte justice.
« Soyez assez bon pour publier cette lettre dans votre estimable journal. J’invite tous les journaux religieux à la reproduire.
« Veuillez agréer, etc.
« U PHILIBERT, évêque de Grenoble. »
En lisant cette lettre à jamais regrettable, je fus saisi d’une profonde tristesse, non pour moi, que m’importaient quelques injures qui ne sauraient m’atteindre ? mais pour un évêque respectable, vieillard bientôt nonagénaire, dont on surprenait la signature, dont on abaissait la dignité.
Jaloux de relever cette dignité, j’adressai à l’Univers la lettre suivante ; la ligne despotiquement religieuse que suit ce journal le dispensa de faire droit à ma demande, et cependant c’était pour lui un devoir.
Monsieur le rédacteur,
Catholique sincère et dévoué, j’ai publié et j’ai eu l’honneur de vous envoyer sur le fait de la Salette un livre intitulé : La Salette-Fallavaux (fallax vallis) ou la vallée du mensonge. J’ai écrit ce livre froidement, consciencieusement, après des investigations scrupuleuses ; j’y ai déposé le résultat de mes convictions.
En voyage depuis quelque temps, je viens seulement de lire dans les numéros de votre journal des 5 et 11 septembre, d’abord une lettre de Mgr de Grenoble, ensuite une véritable philippique de son vicaire général, M. Rousselot. Dans ces pièces, mon livre est traité de pamphlet, d’ouvrage infâme, plein d’allégations fausses, de suppositions calomnieuses, d’assertions mensongères, d’injures grossières, etc.
La publication de tels documents me donne, monsieur le rédacteur, le droit de répondre dans les colonnes de votre journal. J’en userai sobrement ; je ne me plaindrai pas même de l’impression de la lettre de M. Rousselot, lorsque vous aviez sous les yeux un ouvrage sérieux dont vous pouviez vous-même apprécier le caractère.
J’ai toujours été persuadé que si les vrais miracles prouvent la sainteté de notre religion et perpétuent la foi, les faux miracles ne servent qu’à ébranler l’une et l’autre.
Nous vivons dans un temps où les faux miracles abondent. Les apparitions extraordinaires se multiplient. Dans le Midi, c’est une Rose Tamisier, dont le mensonge est dévoilé par Mgr d’Avignon ; à Strasbourg, ce sont des extatiques, dont les fourberies viennent d’être découvertes après plusieurs années de pèlerinage autorisé ou toléré par l’autorité religieuse. Dans le diocèse de Grenoble, n’a-t-on pas vu, en 1842, proclamer par la voie de la presse la guérison miraculeuse d’une religieuse qui mourait quelques jours après la circulaire pastorale ? Deux ans après, dans le même diocèse, un miracle du précieux sang de Jésus-Christ appelle les adorations des chefs du clergé, fait décider l’érection d’une chapelle, lorsqu’un médecin, aussi savant que pieux, procède à une analyse chimique et avertit les croyants empressés que le sang adoré n’est que le sang trop naturel d’une religieuse.
De tels antécédents imposaient la réserve et l’examen sur le miracle de la Salette. J’ai douté, j’ai voulu étudier ; j’ai recueilli les faits, je les ai comparés, discutés ; je n’ai trouvé de toutes parts que l’œuvre de l’erreur. L’intérêt de la religion et de la vérité m’imposait le devoir de ne pas garder le silence.
Mon livre n’est pour ainsi dire qu’un livre de faits ; on n’a pas osé entreprendre d’en réfuter un seul. On trouve plus commode de me charger d’anathèmes : des injures ne sont pas des raisons et n’éclairent personne.
Je maintiens la vérité de tout ce que j’ai avancé ; j’en offre la preuve régulière le jour où on voudra l’accepter.
Simple laïque, je crains peu les interdits de Mgr de Grenoble, dont il est si facile de surprendre la volonté, vu son âge avancé. Étranger à son diocèse, ses foudres ne sauraient m’atteindre. Ce n’est point d’ailleurs par la force qu’on impose la foi. Je poursuis donc une œuvre de conscience qui peut devenir aussi une œuvre de courage. La seconde partie de mon livre serait déjà sous presse, si les nombreux renseignements qui m’arrivent chaque jour ne m’avaient jusqu’ici forcé d’en retarder la publication.
Je vous prie, monsieur le rédacteur, d’insérer ma lettre dans l’un de vos plus prochains numéros, et de me croire avec une haute considération, votre très humble et obéissant serviteur.
Le silence calculé de l’Univers, le silence prolongé des plumes qui devaient au besoin faire PROMPTE justice de mon livre et de moi, et qui n’ont pu être taillées qu’après une attente de cinq mois, me forcent d’intervenir par la voie de la presse, car je ne connais pas d’outrage plus sanglant pour un homme d’honneur que le reproche d’avoir eu recours au mensonge : et lorsque cet homme d’honneur est entré en lice pour plaider la cause de la religion, toujours ébranlée par les miracles faux et téméraires, cet outrage devient plus sanglant encore.
Je laisse donc de côté toutes les paroles insultantes, je viens au reproche, ou plutôt à l’accusation que l’honneur me fait un devoir de repousser.
Non-seulement mon ouvrage ne renferme pas autant de mensonges que de mots, mais encore, en présence de ce jugement étrange, je déclare que je maintiens l’exactitude, la vérité, la rigueur de tous les faits que j’ai avancés.
Il n’en est pas un seul dont je n’aie en main les preuves irrécusables.
À mes yeux, le jugement d’un évêque est toujours respectable, il est l’expression de la vérité, il est le guide de la conscience, et cependant je m’inscris contre le jugement que je repousse : autant de mensonges que de mots.
Veut-on savoir pourquoi ?
Mgr l’évêque de Grenoble porte trop haut la dignité de l’épiscopat pour être l’auteur de la lettre du 1er septembre.
Héritier du titre et des vertus des François de Sales, des Fénelon, des Belzunce, des Cheverus, si quelque audacieux venait en sa présence imputer une lettre semblable à l’un de ces hommes qui furent l’honneur de l’épiscopat, en faisant revivre la vertu caractéristique de J.-C., la douceur (mitis sum et humilis corde Saint-Math. ch. 11, v. 29), sa conscience indignée prendrait en pitié ou anathématiserait l’obscur calomniateur qui essaierait ainsi de ternir l’éclat des vertus que firent briller ces hommes de Dieu, et si un avertissement sévère ne suffisait pas pour confondre en le corrigeant le calomniateur de ses collègues, Mgr Philibert réclamerait au besoin du Dieu dont il est le ministre la suspension des lois qui régissent le monde et la résurrection momentanée de l’évêque calomnié, pour que sa grande ombre vînt protester contre une accusation qui serait un outrage à la vertu ; et Mgr Philibert obtiendrait ce miracle, car il sait fort bien que Dieu ne peut pas permettre que l’estime de la vertu soit exposée à périr dans les pensées des hommes, et cette estime n’existerait plus le jour où on pourrait croire que François de Sales, Fénelon, Belzunce, Cheverus, un évêque quelconque, se sont oubliés, dans le cours de leur vie apostolique, au point d’écrire, à plus forte raison de publier, une semblable lettre.
Non ! Mgr l’évêque de Grenoble n’est pas, ne peut pas être l’auteur de la lettre du 1er septembre.
Si, comme le prétend cette lettre, ma brochure est infâme, si elle renferme autant de mensonges que de mots, je suis coupable devant les lois de mon pays, coupable devant la loi de Dieu.
Coupable devant les lois de mon pays ; pourquoi ne suis-je pas déféré à un tribunal ? Pour cela il suffit d’une plainte, cette plainte serait un acte moins violent que la lettre publiée ; elle est du reste impérieusement commandée par la conscience, par la religion, par l’honneur. Cette plainte ne se portera pas.
La justice dans tous les degrés de la hiérarchie, depuis le tribunal simple jusqu’à la Cour suprême, veut être éclairée, elle ne prononce qu’en connaissance de cause ; elle admet les preuves, elle fait plus, elle les provoque ; devant elle le droit et la vérité triomphent toujours et ils triomphent sans acception de personnes. Vienne le jour où on aura le courage de m’appeler devant-elle et je comparaîtrai avec un cortège imposant de témoins et de preuves ; dans l’ensemble comme dans les plus petits détails, dans les faits principaux comme dans les faits simplement accessoires, dans les divers incidents des discussions personnelles comme dans l’énumération de tous les actes qui se sont succédé depuis le 19 septembre 1846, jour de la prétendue apparition, jusqu’à ce moment, partout j’éclairerai de tous les rayons de l’évidence tous et chacun des mots qui composent cette brochure qu’on appelle INFÂME et qui est un ouvrage grave et religieux, et un jugement viendra consacrer que cette brochure renferme autant de vérités que de faits, autant de vérités que d’incidents, autant de vérités que de discussions partielles, autant de vérités que de mots. Ce jour-là, la Salette sera jugée, sera exécutée par la justice toujours exacte, toujours vraie, et c’est là ce qu’on ne tentera pas.
Coupable devant la loi de Dieu ; pourquoi mon ouvrage n’est-il pas déféré, dans l’ordre de la hiérarchie, aux juges que l’Église a institués et qu’une pratique constante a investis d’un droit que jamais aucun catholique n’a dénié ?
L’évêque d’abord, dans des conditions rappelées par le concile de Trente.
Le métropolitain ensuite.
Puis le métropolitain en concile provincial.
Et comme couronnement de cette hiérarchie sage et providentielle, le Pape.
En vain, M. Rousselot, dans une courte et véhémente philippique à la date du 3 septembre (la Salette vengée), philippique dont je ferai ressortir la singulière moralité, a-t-il tenté de secouer le joug du métropolitain, du concile provincial, voire même du Pape. En vain, pour porter ce défi au principe d’autorité, a-t-il dénaturé le sens du concile de Trente. En vain, à l’aide de ce système désespéré, a-t-il aspiré à faire revivre au profit de son évêque, exclusivement à tous les autres, exclusivement au Souverain-Pontife, le droit que J.-C. puisait lui-même dans l’essence de sa nature divine, celui de dire : Je suis la voie, la vérité et la vie. Le respect pour la hiérarchie, telle que l’Église l’a établie dès son origine ; la soumission à cette hiérarchie, voilà la règle pour l’esprit et pour le cœur. Cette règle est la mienne ; aussi plus on dédaigne cette hiérarchie et son autorité, plus je les respecte et je les invoque. Enfant soumis de l’Église, j’accepte sans réserve les règles qu’elle a imposées ; mais plein de foi en sa sagesse, j’invoque ces règles elles-mêmes et loin de redouter l’examen d’un concile provincial, je le réclame. Devant ce tribunal investi par Dieu lui-même du droit de juger, je produirai mes preuves, et devant ce tribunal d’évêques comme devant les tribunaux civils, j’obtiendrai sans peine ce jugement qui sera irréformable : Tout est vrai dans l’ouvrage consciencieux que l’amour de la religion a inspiré à M. Donnadieu.
Ce jour-là, la Salette serait jugée, serait exécutée et, je le répète, c’est ce qu’on ne tentera pas.
Il est plus commode de doter de l’infaillibilité un vénérable évêque et de lui faire dire avec une imperturbable assurance :
« Cette brochure infâme renferme autant de mensonges que de mots. »
AUTANT DE MENSONGES QUE DE MOTS ! Y a-t-on bien réfléchi ?
Ma brochure renferme la circulaire de Mgr de Bonald, cardinal et métropolitain. Cette circulaire serait-elle un mensonge ?
Elle renferme les règles tracées par les deux conciles œcuméniques de Latran et de Trente pour l’adoption des nouveaux miracles. Les conciles œcuméniques sont toujours, dans leurs décisions, inspirés par l’Esprit-Saint. Les règles de ces deux conciles, inspirées les unes et les autres par le Saint-Esprit, seraient-elles des mensonges ?
Elle renferme le récit des deux bergers, leur conversation avec la dame de l’apparition : récit, conversations extraits textuellement de l’ouvrage de M. Rousselot. Ce récit, cette conversation, base fondamentale du miracle de la Salette, seraient-ils des mensonges ?
Elle renferme les deux avis émis par la commission des chanoines en 1846 et en 1847. Ces deux avis sont contradictoires. Seraient-ils l’un et l’autre des mensonges ?
Elle renferme les sentiments, le langage de plusieurs archevêques, de plusieurs évêques sur les miracles que M. Rousselot donne à leurs diocèses et dont eux-mêmes, seuls juges compétents d’après M. Rousselot, cherchent vainement la trace. Les sentiments, le langage de ces évêques seraient-ils des mensonges ?
Je m’arrête, le courage me fait défaut pour poursuivre cette triste et pénible énumération.
Étrange fascination que celle qui fait confondre dans un même arrêt de proscription, évêques, archevêques, métropolitains, cardinaux, chanoines de Grenoble, conciles généraux, bergers de la Salette, dame de l’apparition, et cela pour conjurer l’orage soulevé par la modeste et religieuse brochure d’un simple fidèle !
En présence de cette fascination étrange, de la proscription plus étrange encore dans laquelle elle enveloppe ces juges de la foi et l’Esprit-Saint lui-même, je me suis demandé, avec une vive et profonde anxiété, si je pouvais garder le silence, si je devais courber la tête sous un coup qui ne m’atteint pas, tant il a dépassé son but !
Pour l’honneur des évêques, des conciles, plus encore que pour le mien, le silence serait plus qu’une faute, il serait une erreur. Cette erreur, je ne la commettrai pas.
M. Rousselot ne me le permet plus. – Sous le titre : Un nouveau sanctuaire à Marie, il publie, fin janvier, l’ouvrage le plus indigeste et le plus malheureux qui ait jamais été écrit par une plume humaine. – Les sophismes et les insultes, les dénégations et les injures, les paradoxes et les excentricités y fourmillent, et comme couronnement de son œuvre, il ne me laisse plus que la honte dans laquelle je dois traîner ma misérable existence.
Ce qui me rassure, toutefois, c’est que M. Rousselot, en écrivant, avait dans la tête, sinon au bout de sa plume, l’épigraphe qui, seule, convenait à ceux qui seraient tentés de le croire sur parole :
Les sots, depuis Adam, sont en majorité.
Je reprends la plume, puisque le célèbre panégyriste de la Salette m’y force ; je la reprends pour étudier avec calme et dignité son œuvre tout entière.
Je voudrais pouvoir laisser en dehors de la discussion la pièce fondamentale du prétendu miracle de la Salette ; je voudrais pouvoir me taire sur le Mandement du 19 septembre 1851, qui porte une signature respectable, celle de l’évêque de Grenoble. Dans ma première partie, je m’étais attaché à ses conseillers seuls et ma résolution était de me maintenir dans cette ligne : la lettre du 1er septembre, l’ouvrage récent de M. Rousselot ne me le permettent plus. Je rentre sur la scène et je rentre en mettant ce Mandement en présence de l’Évangile, c’est-à-dire de Dieu.
On le voit, je ne suis le juge ni du camp, ni des armes : on m’assigne, je suis condamné à comparaître, à me défendre ; j’ai à vider une question d’honneur, je le ferai en preux chevalier ; je n’oublierai pas la haute dignité de mon adversaire, je détournerai les coups qui m’ont été portés, je ne frapperai pas. Je serai convenable avec M. Rousselot, sa Salette vengée et son Nouveau Sanctuaire, et tout sera dit à jamais sur un prétendu miracle qui eût excité les rires des siècles même les moins civilisés.
CHAPITRE PREMIER.
Le Mandement doctrinal du 19 septembre 1851 devant l’Ancien et le Nouveau Testament.
La véritable patrie de l’homme, ce roi de la création, est le ciel ; le ciel se résume dans Dieu ; Dieu lui-même, s’il m’est permis de parler ainsi, se résume dans la vérité. Aussi, dès qu’il a choisi un peuple privilégié, tout l’enseignement qu’il lui fait transmettre, tous les préceptes qu’il lui impose, tous les conseils qu’il lui donne, tout découle de la vérité, tout se rapporte à la vérité, tout remonte à la vérité. S’il envoie des prophètes, c’est pour rappeler à son peuple cette loi première qui à elle seule renferme toutes les autres, la vérité. Depuis la Genèse jusqu’aux Machabées, il n’est pas un écrivain sacré, pas un prophète qui ne recommande, ne loue la vérité, n’en fasse la marque distinctive des Juifs fidèles. Après quarante siècles, Dieu jette un regard de miséricorde sur la terre souillée par le mensonge. Il envoie son fils unique. J.-C. se fait homme. J.-C. a avec son père une nature commune, la nature divine. Il la définit lui-même la voie, la vérité et la vie 1. Il indique que quiconque appartient à la vérité accueille sa Parole 2. À peine est-il remonté au ciel qu’il envoie sur les hommes de sa droite, sur les Apôtres qu’il a choisis pour les continuateurs de sa mission, sur les évêques, successeurs des Apôtres, l’esprit de vérité, pour qu’il leur enseigne toute vérité 3. Aussi, dès ce jour, l’Église est instituée la colonne et l’appui inébranlable de la vérité 4.
Pourquoi ce luxe de précautions, qui fait briller la prééminence de la vérité et sa nécessité indispensable ?
C’est que Dieu veut le salut de l’homme, c’est-à-dire le bonheur de l’homme jouissant de la possession de Dieu, son principe et sa fin, et ce salut ne peut s’obtenir que par la connaissance, l’amour, le culte de la vérité 5.
Aussi, si nous remontons par la pensée jusqu’aux prophètes, quelle est la recommandation spéciale, je dirai presque, unique qu’ils font au peuple de Dieu ? Avant toute chose, dans le cours de toute entreprise, soyez précédés par la Parole de vérité 6. La Parole de vérité, voilà la preuve qu’on agit pour Dieu, dans l’intérêt de Dieu ; la Parole de vérité, voilà la preuve que l’on remplit une mission divine, et les Apôtres nous la fournissent eux-mêmes. Comment cèdent-ils au langage de J.-C. ? Comment courbent-ils la tête sous le joug de cette Parole qui leur impose des devoirs difficiles et leur prêche des vertus inconnues ? Ils se chargent de nous l’apprendre. Maître, disent-ils, nous savons que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité 7. Ils savent que J.-C. dit la vérité, cela leur suffit ; ils croient : et à leur tour ils diront la vérité et ils seront Apôtres, précisément, uniquement parce qu’ils diront la vérité, toujours la vérité. S’ils pouvaient s’oublier jusqu’à la blesser, l’altérer, ils ne seraient pas apôtres, ils seraient des séducteurs 8.
Le principe est posé : la vérité seule distingue ce qui vient de Dieu. Mais la vérité répugne à l’homme dégénéré. Pour l’enchaîner à la vertu, il ne suffit pas de lui en montrer les charmes, il faut aussi le forcer à réfléchir sur le mal et à en peser les conséquences. – L’Évangile a pris ce soin.
Celui qui dit la vérité a Dieu pour père, parce que la vérité vient de Dieu.
Celui qui ment a le Diable pour père 9, parce que le mensonge vient du Diable.
Les Livres saints ne s’arrêtent pas là. Ils placent le menteur au-dessous du voleur ; ils lui refusent les bonnes mœurs, l’honneur 10. Ils disent que celui qui s’appuie sur le mensonge nourrit des vents 11. Ils dénient à celui qui emploie le mensonge toute mission divine 12. Ils l’assimilent à l’hypocrite 13. Enfin, ils l’excluent à jamais du ciel 14.
Tous ces anathèmes ne suffisent-ils pas pour convaincre que le mensonge est aux yeux de Dieu le mal essentiel, le mal qui a le triste privilège de dominer tous les autres ; le mal qui attire la réprobation de Dieu même sur des actes bons de leur nature. Les faits sont là pour imposer cette conviction, et ces faits sont consignés dans l’Évangile.
J.-C. venait de quitter la terre ; les Apôtres commençaient leur mission ; quelques disciples s’étaient attachés à leurs pas, et pour être dispensés de tout souci temporel, ils avaient mis en commun tout ce qu’ils possédaient.
Un homme nommé Ananias vend son champ. Il apporte à saint Pierre, il lui donne une portion du prix : il fait un acte méritoire. Mais il veut paraître plus désintéressé qu’il ne l’est en réalité ; il indique que l’argent apporté par ses soins est le prix total de sa vente. Il ment. Immédiatement il est frappé de mort en punition de son mensonge.
Trois heures s’écoulent, et sa femme, Saphire, qui ignorait le sort de son mari, vient auprès de saint Pierre. Elle était d’accord avec Ananias pour déguiser le prix exact de la vente du champ ; mais elle ne s’expliquait pas : le mensonge était renfermé dans son cœur. Saint Pierre l’interroge ; sa réponse est un mensonge. Elle subit le sort de son mari ; elle est punie de mort.
Pourquoi cette sévérité effrayante ? Saint Pierre nous l’apprend. Satan avait été l’inspirateur du mensonge 15, et une action entreprise pour être agréable à Dieu, dès que le mensonge vient s’y mêler, perd tout mérite à ses yeux, elle n’a plus droit qu’à sa réprobation.
Les Apôtres, dans le cours de leur laborieuse et évangélique mission, trouveront sur leurs pas des blasphémateurs et des impies, des libertins et des contempteurs de la loi de Dieu ; ils trouveront même des incestueux, et la même peine ne leur sera pas infligée.
D’où vient cette différence ?
C’est que le mensonge, opposé à la vérité, qui est Dieu, attaque Dieu dans son essence et constitue dès lors, par un privilège exceptionnel, le mal le plus grave qui puisse exister. Mal tellement grave, que l’acte le plus beau, le plus religieux, s’il est étayé sur le mensonge, est à l’instant même réprouvé de Dieu ; car, par une monstruosité, quelque irréfléchie qu’elle puisse être, il associe (crime anathématisé par l’Évangile) J.-C., principe de toute vérité, et le démon, père de l’erreur.
L’Évangile a parlé, J.-C. a parlé, Dieu a parlé.
Les œuvres de Dieu se reconnaissent aux traces persistantes de la vérité.
Partout où la vérité existera, dans l’objet, dans le but, dans les moyens, dans les actes, dans les paroles, là, et là seulement, sera Dieu.
Les œuvres de Satan se reconnaissent aux traces, même accessoires, de l’erreur.
Là où l’erreur apparaît, dans les moyens, dans les actes, dans les paroles, là, et là toujours, sera l’esprit ennemi de Dieu, sera Satan.
Ainsi l’a voulu Dieu lui-même ; et l’homme, éclairé par sa parole toute-puissante et toujours amie, n’a qu’à remercier et à se soumettre.
Appliquons ces règles au Mandement doctrinal du 19 septembre 1851, sur lequel je fais une réserve expresse. Ce Mandement n’est pas l’œuvre de Mgr. Je le démontrerai jusqu’à l’évidence.
Le 19 septembre 1846, on se le rappelle, deux bergers ignorants, menteurs, âgés l’un de 11 ans, l’autre de 15, à leur retour de la montagne de la Salette, sur laquelle ils se trouvaient avec plusieurs autres qui n’ont rien vu, auxquels ils n’ont rien dit, prétendent qu’une Dame blanche leur a apparu ; ils lui prêtent un langage moitié français, moitié patois ; ce langage renferme des promesses, des menaces, un secret. Le récit des enfants est accueilli avec une rare crédulité ; deux commissions de chanoines et de professeurs de théologie sont instituées ; elles examinent et décident que l’autorité ecclésiastique n’a pas à intervenir ; que son devoir est de laisser libre de croire ou de ne pas croire ; que le récit des enfants inspire de la défiance sur la vérité des paroles de la Dame, et que l’autorité doit se tenir en garde contre une décision affirmative, car les enfants pourraient déclarer plus tard qu’il n’y a rien de vrai dans leur récit ; enfin le vœu est émis que Mgr fasse faire une enquête juridique pour mieux apprécier les faits.
Une année s’écoule ; l’enquête JURIDIQUE ne se fait pas. Elle est remplacée par une promenade sentimentale de MM. Rousselot, chanoine, et Orcel, supérieur du Grand-Séminaire. Une deuxième commission est instituée ; elle ne comprend plus les professeurs du Grand-Séminaire, qui auraient vainement cherché, dans les informations de MM. Rousselot et Orcel, les traces de l’enquête juridique qu’ils avaient demandée ; mais elle se renforce de deux vicaires généraux et de cinq curés de Grenoble ; en totalité, quinze membres. Les huit chanoines avaient dit non en 1846 ; ils se rétractent en 1847. Le premier vicaire général dit non ; le deuxième dit oui ; deux curés disent oui ; trois autres disent non ; enfin M. Orcel, après avoir dit non, l’année précédente, revient sur sa première opinion.
La commission ne discute pas, elle accueille à la majorité des voix les miracles indiqués par les deux voyageurs. L’impression du rapport est ordonnée.
Le clergé du diocèse lit et ne croit pas ; un deuxième rapport voit le jour, le clergé reste incrédule. Les deux bergers, retenus en charte privée depuis le jour de l’apparition, échappent à leurs gardiens ; ils se laissent enlever. Mélanie s’arrête à Grenoble et est conduite par ordre supérieur chez les religieuses de la Providence. Maximin, confiné à l’œuvre des Orphelins de St-Joseph, échappe à la surveillance dont il est l’objet et part avec ses ravisseurs. Il arrive à Ars ; il déclare au saint curé de cette paroisse qu’il n’a pas vu la sainte Vierge sur la montagne de la Salette, le 19 septembre 1846 ; cette nouvelle se répand par la maladresse d’un partisan de la Salette, M. le chanoine Bez. On demande la confrontation du vénérable curé et du berger Maximin. La confrontation est refusée ; le saint curé d’Ars est attaqué dans des brochures, dans des journaux par ses propres confrères ; il gémit, et persiste dans son assertion. Pour couper court à toutes les observations, à toutes les incertitudes, pour en finir, le Mandement du 19 septembre 1851 paraît.
Il prononce doctrinalement sur l’apparition miraculeuse de la Salette.
Il interdit expressément à tout prêtre, à tout fidèle du diocèse de s’élever publiquement, de vive voix ou par écrit, contre le fait proclamé.
Il fonde cette sentence doctrinale :
1° Sur la constance et la fermeté du témoignage de deux enfants ignorants ; témoignage qui n’a jamais varié, malgré les moyens de séduction employés par des milliers de personnes ;
2° Sur la constance et la fermeté de ce témoignage, même devant la justice humaine ;
3° Sur la sage lenteur apportée à la proclamation doctrinale du miracle ;
4° Sur la multitude des prodiges incontestables opérés par l’invocation de la Dame de la Salette ou par l’eau de la fontaine ;
5° Sur les discussions graves et approfondies de la commission ;
6° Sur le mérite du rapport consciencieux et impartial de M. Rousselot ;
7° Sur l’occasion fournie par la divine Providence de faire parvenir à Pie IX le secret des deux bergers ;
8° Sur la demande expresse de tous les membres du chapitre et de la très grande majorité des prêtres du diocèse ;
9° Sur la faiblesse des contradicteurs ou opposants, impuissants à ébranler une conviction reposant sur un évènement inexplicable sans l’intervention divine.
Tels sont les points capitaux du Mandement.
Si les uns et les autres sont vrais ; s’ils disent ce qui est, et rien de plus, nul doute que cet ensemble n’offre quelque chose de surprenant, sans légitimer cependant aux yeux de l’Église, et surtout en dehors d’un examen par le métropolitain, le concile provincial et le Pape, une décision doctrinale, constituant un dogme nouveau, l’imposant par la force, mettant en doute tous les faits prodigieux consacrés par la tradition ; et toutefois, si cet ensemble eût existé, Dieu m’est témoin que jamais je n’aurais songé à prendre la plume. Il aurait corrigé lui-même les erreurs, les conséquences d’une mesure qui aurait du moins été défendue par un litre coloré.
Mais tous ces points sont-ils exacts ? Respirent-ils la vérité ? Dieu a-t-il dirigé la plume de l’écrivain qui a tracé les caractères de ce Mandement ?
Question délicate et que je suis condamné à aborder, moi, simple mortel, accusé devant la France entière, devant le monde catholique, d’avoir forfait à la vérité. Je sens toute la difficulté de la tâche qui m’est imposée. Je saurai la remplir dignement : j’aurai pour guide l’Écriture-Sainte, c’est-à-dire la parole de Dieu. Personne ne saurait s’égarer en condamnant tout ce que cette parole condamne, en approuvant tout ce qu’elle approuve, en arborant cette devise : « Dieu avant tout, Dieu toujours. »
Examinons rapidement et successivement les neuf points indiqués plus haut.
CHAPITRE II.
PREMIÈRE ASSERTION.
Constance et fermeté du témoignage des bergers de la Salette, témoignage qui n’a jamais varié, malgré les moyens de séduction employés par des milliers de personnes 16.
« Malgré la candeur naturelle des deux bergers, malgré l’impossibilité d’un concert entre deux enfants ignorants et qui se connaissaient à peine, malgré la CONSTANCE et la FERMETÉ de leur témoignage, qui n’a jamais varié devant des milliers de personnes, qui ont épuisé tous les moyens de séduction pour les faire tomber en contradiction. »
(Mandement doctrinal du
19 septembre 1851, § 2e.)
Les deux enfants de la Salette ont été interrogés par une foule de personnes, qui toutes recueillaient, avec curiosité au moins, les détails les plus simples de leurs révélations.
Mélanie a déclaré à plusieurs personnes avoir vu non seulement la belle Dame du 19 septembre 1846, mais encore, à une autre époque, une lumière miraculeuse qui, un soir, l’accompagna jusqu’à la demeure de son maître.
Maximin, de son côté, a déclaré avoir vu sur la montagne non-seulement la Dame blanche du 19 septembre, mais encore, à une autre époque, une Dame noire. Il a déclaré, de plus, que la Dame blanche, dans sa conversation, avait parlé de pierres ou projectiles mis par les garçons de Corps dans leurs poches pour être jetés aux filles. Plus tard, interpellé sur ce fait par plusieurs témoins auriculaires, – il a nié à quelques-uns, il a avoué à quelques autres la vérité de ces propos.
J’avoue que, jusque-là, le témoignage de ces deux bergers est loin de me paraître ferme, constant et invariable. – Poursuivons.
Les deux bergers comparaissent à l’évêché, en présence de la commission entière, les 16 et 17 novembre 1847. Pressés, sur ces variations de langage, par l’un des membres, ils sont réduits à les reconnaître et à les avouer.
Les années 1848, 1849 et 1850 s’écoulent ; Mélanie et Maximin, confinés depuis l’apparition dans la maison d’école des religieuses de Corps, continuent à y demeurer soumis à une surveillance scrupuleuse. Si parfois cette surveillance est en défaut, c’est que la loi autorise les fonctionnaires de l’Université à faire l’inspection des écoles ; et, dans cet espace de temps, les deux bergers, interrogés deux fois, deux fois aussi convainquent les inspecteurs que leur langage est loin de présenter les caractères d’une mission divine.
Tout à coup, en septembre 1850, Maximin disparaît ; il a été enlevé par des partisans de Louis XVII. Cet enlèvement est un traité de famille, car il se retrouve à Ars avec sa propre sœur et ses respectables ravisseurs, pour parler le langage de M. Rousselot. Dans cette paroisse, il voit M. le curé, converse avec lui sans contrainte, car il a recouvré une liberté qui, depuis quatre ans, lui était inconnue ; il lui déclare positivement qu’il n’a pas vu la sainte Vierge sur la montagne de la Salette. Cette déclaration ne se fait pas à la course, car l’entretien de Maximin dure une demi-heure ; puis il revient à un second entretien et répète de nouveau sa première déclaration.
M. le curé d’Ars était croyant à la Salette ; il l’avait prêchée plus de cent fois et en avait conseillé le pèlerinage ; il n’hésite pas à se dépouiller de cette croyance, qui était chère à son cœur, à enlever de son église les tableaux qui représentaient N.-D. de la Salette, à délaisser l’eau de la fontaine de la Salette, qu’il ne buvait auparavant qu’avec vénération. Et, pour agir ainsi, il fallait bien que la conviction eût pénétré chez lui en quelque sorte par tous les pores.
Maximin bat en retraite. Un apologiste de la Salette, M. le chanoine Bez, le recueille chez lui, le débaptise, le met à l’école à Lyon sous un nom supposé et apprend à ses amis de Grenoble que l’enfant prodigue, mais précieux, est retrouvé.
La Providence permet que M. Gerin, curé de la cathédrale de Grenoble, se rende à Ars ; le saint curé de cette paroisse lui raconte ingénument les aveux de l’enfant et le charge d’en donner avis à son évêque.
La foi de M. Gerin est ébranlée par le récit de M. le curé d’Ars ; celle de M. le chanoine Chambon, son confident, est plus qu’ébranlée, elle disparaît entièrement. – MM. Rousselot, vicaire général, et Melin, curé de Corps, vont à Ars ; ils recueillent de la bouche de M. le curé d’Ars tous les détails de son entretien avec Maximin et trouvent ce vénérable prêtre convaincu plus que jamais que les enfants de la Salette ont mystifié tous les crédules apologistes de l’apparition miraculeuse. Ils reviennent à Grenoble, et une lettre de leur évêque à M. le curé d’Ars provoque une réponse très nette et très catégorique de ce saint prêtre.
Bientôt, M. le chanoine Bez a l’imprudence de révéler le démenti de Maximin. Dans une brochure malheureuse, il abaisse un confrère pour exalter un enfant. Il le fait avec une maladresse telle, qu’il sent le besoin de se retrancher derrière des noms respectables, et il publie, en en exagérant la portée, une lettre de Mgr Devie, évêque de Belley, à Mgr de Grenoble, lettre qui, sous le commentaire de M. Bez, mettait en cause, et au profit de la Salette, les évêques de Valence et de Viviers.
Les prélats protestent sur-le-champ et ils le font à la face de la France. C’est dans les journaux qu’ils consignent leur protestation. Ils manifestent leur surprise de voir leur autorité invoquée en faveur de la Salette ; ils trouvent dangereux pour eux que leurs noms soient jetés au milieu du débat, et ils signifient qu’on ne les fasse intervenir en aucune façon.
Ce langage eût-il été tenu par les évêques de Valence et de Viviers, si le témoignage des enfants leur eut paru ferme, constant et invariable ?
Avançons.
Le démenti de Maximin est à peine divulgué par M. le chanoine Bez que la sœur de Maximin, interpellée sur ce fait, répond, avec naïveté : « L’imbécile, il devait au moins attendre d’avoir fini ses études. Si Mélanie le savait, comme elle le battrait ! Une fois déjà il avait pris fantaisie de se dédire, elle le rossa. »
La sœur de Maximin, Mélanie elle-même, croient-elles à la fermeté, à la constance, à l’invariabilité du témoignage de Maximin ?
Avançons encore.
Au nom du chapitre entier, M. le chanoine Chambon reprend dans les journaux la thèse si mal soutenue par son confrère M. Bez. Comme son confrère, il est impitoyablement fustigé par le Patriote des Alpes.
La Salette est blessée à mort, on veut absolument qu’elle vive. M. Rousselot reprend la plume. Ce n’est pas un livre qu’il écrit, c’est un pamphlet, ce n’est pas une œuvre sérieuse qu’il produit, c’est un factum rempli d’erreurs de faits. Il voulait sauver la Salette, il l’immole.
Dieu le permettait ainsi.
Pendant que trois chanoines offraient au public le triste et affligeant spectacle d’une polémique qui tendait à abaisser un prêtre universellement vénéré, au profit du terrible et pitoyable berger de la Salette, à Grenoble, les partisans fanatiques du miracle humiliaient systématiquement le saint curé d’Ars. À entendre les uns, M. Vianay était dur d’oreille et n’avait pas su comprendre Maximin. À entendre les autres, il parlait d’une manière inintelligible, et Maximin, n’ayant pas compris ses questions, avait fait des réponses mal interprétées. Suivant quelques-uns, M. Vianay était un homme de peu d’intelligence et ses paroles ne méritaient pas une confiance absolue. Suivant quelques autres, le pèlerinage d’Ars, soutenu depuis 35 ans, avait tourné la tête au curé, et Dieu, pour l’éprouver, avait voulu que le langage de Maximin, vrai en lui-même, arrivât à ses oreilles à l’état de mensonge.
Il serait trop long de rapporter tous les excès, tous les abus de mots que se permettaient ces pieux et fervents adeptes de la Salette. Tous ou presque tous avaient chez eux le portrait du saint prêtre ; ils le vénéraient avant le voyage de Maximin. Depuis ce voyage, ils le calomniaient, l’appréciaient au gré de leur passion religieuse et créaient, sans le vouloir, une chronique locale fort peu édifiante.
S’ils avaient eu confiance au témoignage ferme, constant, invariable du berger, je le demande, cette conduite eut-elle été la leur ?
Dans le même moment, le jeune berger était recueilli au Petit-Séminaire de Grenoble ; là, il était abondamment pourvu de toutes les aises et de toutes les commodités qui pouvaient caresser son amour-propre, mais il achetait tout cela par une surveillance de tous les instants. – Celle de son tuteur officieux ne lui faisait pas défaut, et un jour, après une longue visite, il lui disait en présence de M. l’abbé Guillaud, alors supérieur du Séminaire : « Songe à la faute que tu as commise à Ars et n’y reviens jamais : il irait de ton avenir. »
Ce tuteur, dont je tais le nom par convenance, et M. Guillaud croyaient-ils que le témoignage de Maximin fût ferme, constant et invariable ?
Au mois d’août, Maximin quitte le Petit-Séminaire et est envoyé à la Grande-Chartreuse. Il scandalise les pères, les frères, les voyageurs. Il est rendu à ses patrons.
On le met dans l’établissement de Saint-Joseph ; quelques jours après il en sort pour entrer chez un serrurier. – Il recommence sa vie de légèreté, de dénégations, de jurements ; il est expédié au Petit-Séminaire de la Côte-Saint-André.
Cinq domiciles dans un an, et il n’a que quinze ans ! C’est bien assez.
Les divers habitants de ces divers domiciles ont-ils cru, croient-ils à la fermeté, à la constance, à l’invariabilité du témoignage de Maximin ?
Au lieu de maltraiter par la parole et par la presse le vénérable curé d’Ars ; au lieu de promener de çà, de là, l’existence embarrassante de Maximin, il y avait un parti à prendre et il n’y en avait qu’un.
Il fallait mettre en regard le berger et le prêtre, l’enfant terrible et le saint. Pour cela, il suffisait de le conduire à Ars, de le faire parler en présence de M. Vianay, de dresser procès-verbal de la confrontation et d’appeler la conscience publique à être juge. – Ce parti était le seul à prendre et c’est le seul qu’on a rejeté.
Proposé une première fois, il est repoussé ; proposé de nouveau, il est repoussé encore ; remis en avant par un archiprêtre de 1re classe (et il n’y en a que dix dans le diocèse), avec engagement de sa part de payer les frais de voyage et de séjour pour Maximin et pour la commission entière, l’archiprêtre reçoit un refus net et laconique : « Je ne puis ni ne veux me déjuger. »
Dieu seul a le privilège et le droit de ne jamais se déjuger, parce que jamais il ne se trompe ; et en se déjugeant, il consacrerait en quelque sorte la prééminence de l’erreur sur la vérité.
Mais il ne saurait en être ainsi de l’homme, quelle que soit l’élévation de son rang. – L’homme est sujet à se tromper, et celui-là seul a le droit de persister dans son jugement qui a le talent de faire partager sa conviction à ceux qui sont préposés par les lois divines ou humaines pour statuer avec lui et comme lui. Hors de là, sa persistance est un danger, pour ne rien dire de plus.
En 359, Libère se déjugea sur la formule Sirmium, et Libère était pape. Cet acte de sagesse et d’humilité affermit l’unité de l’Église et prépara au ciel un habitant de plus. – Libère est vénéré comme saint.
À une époque plus rapprochée de nous, Fénelon se déjugea ; et, par cet acte sublime, il ajouta une page immortelle aux pages magnifiques de sa vie toujours humble et toujours exemplaire.
Dieu me garde de commenter cette phrase qui ne périra pas : « Je ne puis ni ne veux me déjuger. » Par la puissance du raisonnement, je serais condamné à cette interprétation, que ma raison repousse et que mon cœur condamne : « J’ai fait la vérité, malheur à qui y touche ! »
Je me contente d’adresser cette question. Si on avait cru que le témoignage de Maximin avait toujours été ferme, constant, invariable, eût-on redouté une confrontation ? Eût-on craint d’être exposé à se déjuger ?
Sept ans auparavant, une phrase aussi malheureuse avait déjà été écrite à propos d’un miracle accepté, proclamé, et dont la source impure venait d’être découverte. – Et pourtant il fallut plus tard se déjuger. – L’honneur de Dieu, la pudeur des hommes en imposèrent la loi. Au troisième chapitre, je soulève ce triste voile, je fais ressortir la moralité de cette obstination.
Dans les actes les plus simples, comme dans les actes les plus importants de la vie, une difficulté, un malentendu surviennent entre deux personnes : arbitre, juge de paix, tribunal, Cour impériale, Cour suprême, tous, avant de prononcer entendent les deux parties, pèsent leurs raisons respectives, apprécient la justesse de leurs demandes et ne jugent que lorsque leur conscience est éclairée par une discussion contradictoire.
C’est la loi du sens commun, c’est le cri de la raison, c’est le devoir de la conscience. Ainsi l’ont pratiqué les peuples barbares, les nations civilisées, ainsi ont agi sans exception tous les hommes de tous les temps et de tous les pays.
Aussi, pendant qu’on s’obstinait à Grenoble à ne pas conduire Maximin à Ars, le Père Lacordaire, dont personne ne contestera la haute intelligence et la vertu profonde, se rendait auprès du vénérable pasteur de cette paroisse, il l’interrogeait, il recueillait de sa bouche les aveux de Maximin, il effaçait la Salette du catalogue de ses croyances.
M. l’abbé Dauphin, directeur de l’établissement d’Oullins, imitait cet exemple ; et M. Dauphin, à son tour, cessait de croire.
Des chanoines de la métropole de Lyon, des curés de cette ville, des jésuites, des prêtres de Grenoble, de Nîmes, de Valence, de Belley allaient aussi chercher la vérité à Ars, et tous revenaient incroyants à la Salette.
Mgr Chalandon, évêque de Belley, suivait ce mouvement si naturel ; il entendait de la bouche du bon curé ces paroles simples et charitables : « Si Maximin m’a dit la vérité, il n’a pas vu la sainte Vierge à la Salette. » Et Mgr Chalandon récompensait les vertus et la droiture de son saint curé, en lui portant lui-même le camail d’honneur et en relevant, aux yeux du monde, ce prêtre aux mœurs cénobitiques, si cruellement déchiré par les fougueux apologistes de la Salette et de Maximin.
Mgr Chalandon, le Père Lacordaire et tous ceux que j’ai désignés plus haut croient-ils que le témoignage de Maximin est constant, ferme et invariable ?
Je cherche en vain dans le Mandement du 19 septembre un mot, un seul mot qui fasse allusion à ce démenti de Maximin, démenti qui a attiré au curé d’Ars trois brochures approuvées par Monseigneur, cinq ou six articles de journaux inspirés, si l’on en croit leur auteur, par Mgr de Grenoble ; ce mot eût mal sonné en présence de l’assertion si positive que le témoignage des enfants avait toujours été ferme, constant, invariable ; ce mot n’existe pas.
Lorsque les Apôtres, les Disciples entendaient la parole de J.-C., ils s’inclinaient devant elle, ils croyaient.
Sur quel motif reposait leur foi ?
Eux-mêmes nous l’apprennent.
« Maître, disaient-ils, nous savons que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité. » (Saint Marc, 12-14 ; saint Mathieu, 22-16.)
Mélanie et Maximin ont varié dans leur langage auprès des pèlerins qui les ont interrogés avant la commission de 1847.
Ils ont confessé cette variation dans les troisième et quatrième conférences de la commission.
Maximin, le seul des deux enfants qui n’ait pas été séquestré d’une manière continue depuis l’apparition de 1846, a varié plus encore à Grenoble, à la Chartreuse, à Lyon, à Ars, etc.
Cette dernière variation a été consignée dans la presse, elle a retenti dans les journaux.
Le Mandement du 19 septembre se tait sur l’incident d’Ars ; il affirme que le témoignage de Maximin, celui de Mélanie ont été toujours fermes, constants, invariables.
Humble fidèle, puis-je, à l’exemple des Apôtres, m’incliner devant le Mandement et dire :
« Maître, je sais que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité. »
J’ai fait le rapprochement.
J’ai posé la question.
Une haute convenance ne me permet pas de donner la réponse.
La conscience publique appréciera.
Passons à la deuxième assertion du Mandement doctrinal.
CHAPITRE III.
DEUXIÈME ASSERTION.
Témoignage des enfants ferme, confiant, invariable devant la justice humaine.
« Malgré la constance et la fermeté de leur
témoignage, qui N’A JAMAIS VARIÉ.....
DEVANT LA JUSTICE HUMAINE. »
(Mandement doctrinal du 19 septembre 1851, § 2e.)
Lorsque l’autorité judiciaire intervient, on est toujours assuré d’avoir la vérité, parce que si elle entoure de toutes les garanties le prévenu qu’elle interroge, dont elle scrute les pensées les plus intimes, elle n’agit ainsi que dans l’intérêt de la société entière et elle ne s’arrête que lorsque sa haute mission de conservation sociale est remplie. Aussi quel luxe de précautions ne prend-elle pas pour assurer la découverte de la vérité ?
Le juge de paix fait une première information sur les lieux et la transmet au procureur impérial.
Celui-ci, à son tour, la communique au juge d’instruction, qui l’étudie, interroge le prévenu, transmet le résultat de ses interrogatoires à la chambre du conseil, qui examine et statue.
S’il y a lieu à suivre, le tribunal intervient, et la cause se plaide publiquement et contradictoirement.
Comment, avec toutes ces précautions, l’erreur pourrait-elle se glisser ?
Si toutes ces formalités, si quelques-unes au moins ont été suivies par rapport aux bergers de la Salette, je comprends la phrase du Mandement qui constate la constance, la fermeté, l’invariabilité de leur témoignage, même devant la justice humaine, et alors, avant tout le monde, plus haut que tout le monde, je déclare faire aisément justice de tous les détails consignés dans mon premier chapitre.
Mais les choses se sont-elles passées ainsi ?
Examinons-le en faisant de l’histoire.
En mars 1847, un industriel accaparait les blés dans le département de la Somme. Il effrayait les habitants simples des campagnes, en commentant, à sa manière et selon que son intérêt le réclamait, la prédiction de la Salette. Arrêté dans ses manœuvres par M. le procureur du roi d’Amiens, il répond en débitant à ce magistrat la conversation plus ou moins tronquée de la Dame blanche aux deux bergers de la Salette. M. le procureur du roi d’Amiens écrit à son collègue de Grenoble et lui demande quelques renseignements. Cette lettre est transmise sans commentaires à M. le juge de paix de Corps. En l’absence de ce magistrat, son suppléant, c’est-à-dire un habitant du pays, qui appartient à la magistrature sans doute, mais, on peut le dire, plus fictivement que réellement, fait appeler les deux enfants, les interroge sur la vision du 19 septembre, dresse procès-verbal de leur comparution, ne songe pas même à essayer de les mettre en contradiction et transmet à M. le procureur du roi de Grenoble son procès-verbal, en l’accompagnant de la lettre suivante, que je trouve dans les nouveaux Documents sur l’évènement de la Salette, par M. Rousselot, page 56 :
« Corps, le 23 mai 1847.
« Monsieur le procureur du roi,
« J’ai l’honneur de vous adresser la déclaration faite des deux enfants qui ont annoncé l’apparition d’une Dame, à eux inconnue, dans un quartier de montagne de la Salette-Fallavaux, en septembre dernier. Ce récit ne diffère pour ainsi dire pas avec ce qu’ils ont raconté à leurs maîtres, en rentrant le soir même du jour de l’apparition. S’il y a quelque différence, c’est dans les mots, mais le fond est le même. C’est du moins ce que Pierre Selme m’a a raconté.
« F. LONG, suppléant. »
M. le procureur du roi de Grenoble expédie de la même manière le procès-verbal à son collègue d’Amiens, et là se borne l’action de la justice.
Un renseignement demandé non pas à raison du fait de l’apparition elle-même, mais à raison du parti que voulait en tirer un industriel du département de la Somme, ce renseignement recueilli sans une investigation qui n’était pas dans la pensée du suppléant du juge de paix, transmis sans observations et sans commentaires au procureur du roi d’Amiens, voilà toute l’intervention qui a eu lieu.
Je cherche vainement dans un acte de cette nature les traces d’une information judiciaire. Je cherche vainement celles d’un interrogatoire sérieux subi par les deux bergers, dans le but d’éclairer la justice, à plus forte raison celles d’un nouvel interrogatoire devant le juge d’instruction, celles d’un examen en chambre du conseil, d’un renvoi pur et simple ou d’une suite donnée à l’affaire ; rien de tout cela n’a existé, parce que M. Long remplissait une mission de complaisance, de bon office et non pas une mission judiciaire. Depuis le 23 mai, aucun magistrat ne s’est occupé officiellement de la Salette ou des deux bergers. En sorte que la justice humaine est restée tout-à-fait en dehors de l’apparition. Est-ce là, je le demande la main sur la conscience, l’impression qu’on ressent en lisant cette phrase du Mandement :
« Malgré la constance et la fermeté de leur témoignage (des deux bergers) qui n’a JAMAIS varié devant la justice humaine. »
Lorsque les Apôtres, les Disciples entendaient la parole de J.-C., ils s’inclinaient devant elle, ils croyaient.
Sur quel motif reposait leur loi ?
Eux-mêmes nous l’apprennent.
« Maître, disaient-ils, nous savons que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité. » (Saint Marc, 12-14 ; saint Mathieu, 22-16.) Jamais la justice humaine n’a interrogé les deux bergers dans un but scrutateur de l’apparition du 19 septembre ; jamais elle n’a tenté de les faire tomber en contradiction.
Le Mandement du 19 septembre 1851 ne donne pas seulement à entendre, il affirme le contraire !
Humble fidèle, puis-je, à l’exemple des Apôtres, des Disciples, m’incliner devant le Mandement, et dire : « Maître, je sais que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité. »
J’ai fait le rapprochement.
J’ai posé la question.
Une haute convenance ne me permet pas de donner la réponse.
La conscience publique appréciera.
Passons à la troisième assertion du Mandement doctrinal.
CHAPITRE IV.
TROISIÈME ASSERTION.
Sage lenteur apportée à la proclamation
doctrinale du miracle.
« Nous avons dû, PENDANT LONGTEMPS, nous montrer difficile à admettre comme incontestable un évènement qui nous semblait si merveilleux. Notre précipitation n’eût pas été seulement contraire à la prudence que le grand Apôtre recommande à un évêque, mais elle eût été de nature à fortifier les préventions des ennemis de notre foi...
« Nous avons BRAVÉ jusqu’ici le BLÂME dont nous n’ignorions pas que nous pouvions être l’objet de la part des personnes les mieux intentionnées d’ailleurs, qui nous accusaient peut-être d’indifférence ou même d’incrédulité sur ce point...
« Notre SILENCE, il est vrai, n’était pas l’effet d’une vaine crainte..... Ce silence résultait de l’avis de l’Esprit-Saint lui-même, qui enseigne que celui qui croit trop précipitamment n’est qu’un esprit léger : Qui credit cito, levis corde est (Eccl. 19, 4). C’est là ce qui nous faisait un devoir de la PLUS SÉVÈRE CIRCONSPECTION, principalement à cause de notre qualité de premier pasteur. »
(Mandement doctrinal du
19 septembre 1851, § 2e)
L’apparition a lieu le samedi 19 septembre 1846, sur les trois heures de l’après-midi. Les deux bergers, en rentrant le soir, la racontent à leurs maîtres ; le lendemain matin, ils vont en faire part à M. Perrin, curé de la Salette, homme pieux, mais, d’après M. Rousselot, simple de mœurs et de langage. Le bon vieillard en fait immédiatement le sujet de son prône à la messe paroissiale. Huit jours s’écoulent à peine, et 400 religieuses de la Providence, réunies à Corenc, près Grenoble, pour leur retraite annuelle, apprennent la bonne nouvelle de la bouche même de Mgr l’évêque de Grenoble. Dès le lendemain, chacune d’elles rentre dans sa commune, dans son école, s’empresse de raconter le fait à toutes ses élèves ; celles-ci, à leur tour, le communiquent à leurs parents, et quinze jours après l’apparition, le fait est connu de tout le diocèse ; la source de laquelle il découle ne laisse aucun doute sur son authenticité, c’est l’évêque qui a parlé à ses 600,000 diocésains.
Deux commissions sont nommées par Mgr l’évêque. L’une se compose des chanoines du chapitre ; l’autre, des supérieur et professeurs du Grand-Séminaire. Un volumineux dossier de pièces importantes leur est soumis par le prélat, et dès le 15 décembre, c’est-à-dire moins de trois mois après l’apparition, leur rapport est terminé. Il conclut à l’abstention de toute décision.
L’hiver, très long dans les montagnes des Alpes, suspend toute visite et dès lors tout fait nouveau. L’été commence, et une ordonnance épiscopale commet MM. Rousselot, chanoine, et Orcel, supérieur du Grand-Séminaire, pour s’enquérir, en tous lieux, des guérisons miraculeuses obtenues par l’invocation de Notre-Dame de la Salette ou par l’usage de l’eau miraculeuse (aucune ne s’était opérée dans le diocèse de Grenoble). Dès le lendemain de la sortie des séminaristes, MM. Rousselot et Orcel se mettent en route, parcourent neuf diocèses, butinent de çà, de là, sans enquête sérieuse, et dès le 15 octobre 1847, remettent à Mgr un volumineux rapport, fruit de leur promenade sentimentale.
Une grande commission est nommée immédiatement. Elle se compose des deux vicaires généraux, des huit chanoines, des cinq curés de Grenoble et de M. Orcel, qui jouit avec M. Rousselot du privilège d’être tout à la fois rapporteur et juge.
Huit conférences ont lieu. Commencées le 8 novembre, elles sont closes le 13 décembre 1847. Elles sont closes sans discussion sérieuse, et déjà, ce jour-là, la conviction de Mgr était entière et sans nuage. (Mandement, 9e paragraphe.)
Le rapport de MM. Rousselot et Orcel s’imprime, mais la révolution de février 1848 éclate et en suspend naturellement la publication.
Peu à peu les esprits se calment, l’ordre renaît, et sous le couvert de l’évêché, le rapport (volume de 240 pages in-12) est expédié à tous les évêques de France ; des dépôts en sont faits dans toutes les villes ; M. Rousselot l’adresse à tous les journaux religieux et sollicite des articles louangeurs ; la brochure se débite à des milliers d’exemplaires, mais la montagne de la Salette demeure ingrate pour le diocèse de Grenoble, aucun miracle ne s’opère sur les lieux. M. Rousselot reprend la plume ; il recueille, dans un nouveau volume de 252 pages in-12, des guérisons opérées, dit-il, dans quatorze diocèses étrangers ; et, en 1850, il lance cet ouvrage en employant les moyens qui lui avaient si bien réussi pour le premier.
Tout allait au gré de ses désirs, lorsque le voyage de Maximin à Ars, son démenti auprès du vénérable curé de cette paroisse viennent jeter parmi les croyants le trouble et l’effroi. Les derniers mois de 1850, les premiers mois de 1851 se passent en pourparlers, en correspondances avec Mgr Devie, évêque de Belley, et M. le curé d’Ars. Ce dernier persiste. On l’attaque par des brochures et par des journaux. Mgr l’archevêque de Lyon, métropolitain du diocèse de Grenoble, se rend dans cette ville, pour mettre fin à des débats qui affligent tous les cœurs honnêtes. M. Rousselot part pour Rome en compagnie de M. Gerin, curé de la cathédrale. Son éloignement calculé, l’enlèvement du fameux secret des enfants rendent stérile la mission officielle de Mgr le cardinal. Dans la première semaine de septembre, M. Rousselot rentre à Grenoble. Pour ne pas perdre le fruit de ses veilles et de ses travaux, il veut mettre à profit la présence des prêtres du diocèse, réunis au Grand-Séminaire pour la retraite pastorale. Il fait solliciter de chacun d’eux en particulier une demande à Mgr pour qu’il prononce sur le fait de la Salette. M. Cartellier, curé de St-Joseph, et M. J. Robert déjouent cette manœuvre en publiant quelques lignes très modérées, mais très nettes sur le fait de la Salette. M. le chanoine Chambon revendique l’honneur de provoquer une ordonnance épiscopale qui interdise toute publication sur la Salette. Et lorsque l’incident d’Ars subsiste encore dans toute sa force, lorsqu’il impose une réserve extrême, en présence du doute qu’il a jeté dans tous les esprits droits et chrétiens, le Mandement doctrinal du 19 septembre 1851 est proclamé ! – Il renferme la défense expresse aux fidèles et aux prêtres du diocèse de JAMAIS s’élever publiquement, de vive voix ou par écrit, contre le fait de la Salette.
Je cherche vainement dans tout cela de la lenteur ou de la circonspection, j’y trouve au contraire une précipitation sans égale, et qu’on me permette le mot, une vraie prise d’assaut, une nouvelle et entière application du principe des anciens : Audaces fortuna juvat.
La lenteur et la circonspection, toujours nécessaires avant de se prononcer sur un miracle, étaient toutefois commandées plus impérieusement encore à Grenoble que dans tout autre diocèse de France ou du monde catholique.
Déjà plusieurs fois, la précipitation à se prononcer sur des faits prétendus miraculeux avait compromis la haute dignité d’un prélat pieux, mais par cela même, plus sujet, à raison de son grand âge et de ses infirmités, à laisser surprendre sa religion ; et ceux-là sont bien coupables qui, après des épreuves récentes et malheureuses, ont engagé imprudemment, inconsidérément une responsabilité dont ils devaient être les plus scrupuleux gardiens.
Venons aux faits.
J’ai sous les yeux la relation, en 23 pages in-8°, d’une GUÉRISON EXTRAORDINAIRE obtenue par l’intercession de la sainte Vierge et de saint François-Régis, dans la communauté des sœurs de la Providence, à Corenc, près Grenoble.
Cette relation imprimée a été expédiée à toutes les communautés religieuses, elle a été répandue à profusion ; le miracle a été fêté par des cérémonies publiques. – En quoi consistait-il ?
La sœur de M. Gerin, curé de la cathédrale de Grenoble, faisait partie de la communauté de la Providence. Douée d’un tempérament lymphatique et nerveux, à vingt ans, sa constitution était extrêmement débile et presque entièrement détériorée. Grâce au traitement du médecin de la maison, elle put reprendre ses forces et recommencer sa classe ; le 16 avril 1842, elle la dirigeait encore.
Cependant une rechute la remet au lit, et, le jeudi 20 octobre, tous les secours humains paraissent impuissants. On lui administre une cuillerée de lait dans laquelle on a jeté quelques grains de la poussière de saint François-Régis ; elle commence à se trouver mieux. La supérieure de la communauté vient la voir ; elle forme, avec l’huile d’une chapelle dédiée à la sainte Vierge, le signe de croix sur toutes les parties malades. À l’instant toutes les douleurs disparaissent ; l’enflure des gencives et de la figure s’évanouit ; la malade s’assied sur son lit ; bientôt après elle descend de son lit, s’habille, va à l’infirmerie d’un pas assuré, puis à la chapelle du couvent, puis au réfectoire où toute la communauté est réunie pour souper, surprend d’étonnement et d’admiration toutes ses compagnes, partage leur repas, retourne avec elles à la chapelle pour chanter un Te Deum, et le lendemain descend à Grenoble.
Telle est, en substance, la relation publiée le 21 novembre et au bas de laquelle on lit ces lignes, que je copie textuellement :
« Tous les détails contenus dans la présente relation sont certifiés conformes à la plus exacte vérité par les soussignés.
« Sœur M. Saint-Augustin, supérieure générale ;
« Sœur M. Stéphanie, assistante ;
« Sœur M. Saint-Augustin, maîtresse des novices ;
« Sœur M. Thérèse de Jésus, secrétaire ;
« Sœur M. Saint Alexis, conseillère ;
« Sœur M. Saint Angèle, conseillère ;
« Sœur M. Dominique, infirmière ;
« H. Joffre, docteur-médecin, à Grenoble ;
« Gérante, aumônier de la maison mère ;
« J.-C. Michon, chanoine de la cathédrale ;
« Petit, chanoine honoraire, supérieur de St-François Régis ;
« Gerin, curé de la cathédrale ;
« Albertin, chanoine honoraire, professeur d’Écriture sainte, au Petit-Séminaire ;
« J. Dye, aumônier de Montfleury ;
« J. Taulier, prêtre.
« Nous n’avons pas lu sans attendrissement et sans reconnaissance envers Dieu la relation de la guérison instantanée et persévérante de la chère sœur Marie Sainte Philomène. »
« Nous déclarons et attestons l’authenticité, etc.
« Grenoble, le 26 novembre 1842.
« U PHILIBERT, évêque de Grenoble. »
Relation détaillée, attestant une guérison miraculeuse, adhésion des religieuses placées à la tête de la communauté, signature du médecin, des aumôniers, chanoines, curé, professeur, attestation plus grave de Mgr l’évêque, rien ne manque. Aussi, le miracle est-il annoncé dans tout le diocèse, et pendant que partout on remercie Dieu de la visite miséricordieuse qu’il a faite à la communauté de Corenc, la sœur miraculée, qui avait (chose ordinaire à ce genre de maladie), éprouvé une réaction heureuse et momentanée, retombe comme elle l’avait fait le 16 avril et après quelques jours d’une vie languissante, elle meurt de la maladie dont on avait proclamé la guérison, laissant dans la stupéfaction tous ceux qui s’étaient trop hâtés de crier au miracle.
Dieu n’était pas intervenu dans la guérison, il n’avait pas à la maintenir.
2e tentative de miracle. – Le précieux sang.
La tombe de la sœur Philomène était à peine fermée que dans une autre communauté religieuse, près Grenoble, une sœur se prend à jouer aux révélations, elle a des entretiens avec J.-C. Elle reçoit sa visite, ses confidences, que sais-je ?
La relation de la sœur Philomène avait fait tourner le vent aux miracles, la nouvelle thaumaturge trouve des compagnes crédules, on s’empresse d’informer l’évêché de ce prodige nouveau, et l’évêché, avant de se prononcer, réclame quelques détails explicites.
La religieuse l’apprend, et bientôt elle désigne le jour, l’heure où, renfermée seule dans sa cellule, elle aura la visite de J.-C., elle recevra de lui, comme gage de sa présence, quelques gouttes de son sang précieux. Sa parole ferme, son ton d’inspirée, imposent à ses compagnes ; les unes et les autres joignent leurs prières aux siennes en attendant le jour indiqué, et leurs vœux en hâtent la venue.
Ce jour arrive enfin, la religieuse est en cellule, car c’est pendant la nuit que le miracle doit s’opérer, ses compagnes n’ont garde de troubler son bonheur et sa solitude ; elles prient, elles ont confiance, elles croient. Le lendemain, de grand matin, un cri de joie se fait entendre, J.-C. a tenu sa promesse, on accourt, on se presse dans la bienheureuse cellule et sur un papier vélin satiné on aperçoit très distinctement quelques gouttes de sang.
Spontanément on tombe à genoux, on prie, on adore.
L’heureuse nouvelle est apportée à l’évêché de Grenoble.
Sur-le-champ, Mgr l’évêque ordonne qu’une chapelle extérieure soit construite pour recevoir le dépôt sacré, il veut qu’elle soit dédiée au précieux sang de J.-C., et pour presser la réalisation de cet ordre, la grande nouvelle en est portée au loin.
Une Dame lyonnaise, bienfaitrice de la communauté, s’incline devant la déclaration épiscopale et se charge des frais de construction.
L’édifice s’élève, le couvent est dans la jubilation ; il possède dans le sang de J.-C. un trésor inappréciable ; dans la religieuse miraculée, une créature plus céleste qu’humaine ; rien ne manquerait à son bonheur, si le médecin de la maison, homme pieux, mais instruit, chrétien fervent, mais éclairé, avait, lui aussi, pu se décider à croire. Malheureusement pour le miracle, il n’en était pas ainsi. Le docteur Silvy était trop grave et trop sérieux pour accepter, sans contrôle et sans preuve, un fait dont la réalité reposait uniquement sur la parole d’une femme ignorante et illuminée.
Je passe rapidement sur de tristes et affligeants détails.
Pour aller en avant avec succès, pour ne pas compromettre par avance le culte nouveau, il fallait convertir le savant et pieux docteur, qui gémissait ostensiblement sur tant de légèreté et dont l’opinion servait de boussole à toute la population intelligente de Grenoble. – On se résigne à soumettre à une analyse chimique le sang en l’honneur duquel la chapelle s’élevait ; cette opération est confiée aux soins du docteur. Si le sang est divin, il se refusera à l’analyse, car les corps ressuscités n’ont plus rien de matériel ; s’il est humain, il subira la loi commune et la vérité ressortira visible et palpable, même pour les personnes les plus favorablement prévenues.
L’opération commence, les diverses parties du sang se détachent, se séparent, se décomposent avec une étonnante facilité ; leur origine se révèle aux regards attristés du docteur. Ce sang est celui que les livres saints ont déclaré immonde et impur... ! celui qui rappelle à la femme l’humiliation à laquelle elle a été condamnée en punition du péché d’Adam... ! et c’est ce sang que, par une impiété délirante, l’imbécillité seule peut excuser, une moderne Hémorroïsse voulait faire adorer par un pontife, par son clergé, par le monde catholique..... !
Dieu me garde de souiller ma plume en me laissant aller au moindre commentaire !
Admettons un instant dans le médecin de la maison un silence complaisant ; la chapelle était élevée, sa consécration avait lieu, le précieux sang était exposé à la vénération publique, un Mandement doctrinal venait, quelques jours après, promulguer et imposer la foi.
Dieu ne l’a pas permis, il ne pouvait pas le permettre. Un médecin, le seul homme compétent qui fût dans la communauté, a été l’instrument de sa Providence.
Quelques minutes lui ont suffi, et tout a été fini.
Je me trompe, tout n’a pas été fini ; car un prêtre de la ville, dévoué à cette communauté, s’empresse d’informer l’évêché de ce qui se passe, bien convaincu qu’une mesure sérieuse sera prise immédiatement par l’autorité épiscopale. Quel n’est pas son étonnement en recevant cette réponse : « Il n’est pas possible de revenir sur la décision qui a été portée, le devis est fait, les pierres se taillent, l’argent est livré, il faut que la chapelle se construise ; tout ce qu’on peut ordonner, c’est de restreindre le plan et la dépense. »
Réponse qui devait se renouveler en 1851, par rapport à la confrontation sollicitée entre Maximin et M. le curé d’Ars. – Je ne puis, ni ne veux me déjuger.
Aussi, la chapelle se poursuit et se termine aux frais de la bienfaitrice.
La religieuse reste dans la maison comme auparavant, et s’il m’était permis d’emprunter à M. le chanoine Chambon une de ses expressions à l’adresse du Patriote des Alpes, le tour n’a pas réussi et la partie est seulement remise.
Elle ne se fait pas longtemps attendre, la Dame lyonnaise qui payait la construction de la chapelle vient au couvent. Elle ignore tout, tout absolument, et pour la prémunir contre toute indiscrétion du dehors, la religieuse illuminée lui prépare une nouvelle édition de miracles.
Une grande hostie apparaît aux mains d’une statue de la Sainte Vierge ; cette hostie miraculeuse, qu’on dit apportée par J.-C. aux mains de sa mère, est représentée comme une preuve irrécusable des privilèges que Dieu se plaît à accorder aux prières de sa servante. Instantanément, la communauté entière, la Dame lyonnaise se prosternent et adorent.
Bientôt arrive Mgr l’évêque, accompagné d’un de ses vicaires généraux. Avertis par les soins de la maison, ils s’étaient empressés d’accourir. À leur tour, ils tombent à genoux, ils adorent.
Le vicaire général recueille dévotement la sainte hostie, il la porte avec respect et solennité dans le tabernacle de l’autel, il ne trouve qu’une exclamation pour exprimer ses sentiments d’admiration, de confiance et d’amour. – O altiludo !
La Dame lyonnaise cependant observe, examine, interroge, surprend quelques paroles embarrassées ; bientôt elle ouvre les yeux, elle comprend. Cette hostie, qui n’était pas consacrée, avait été placée par les mains de la religieuse aux mains de la statue. À l’instant la Dame part, et depuis elle a cessé de répartir aucun bienfait sur une maison qui jouait au miracle pour exploiter sa bourse et sa piété.
Ces souvenirs humiliants étaient palpitants encore, lorsque l’apparition de la Dame de la Salette retentit dans le diocèse, et comme je l’ai indiqué, en désignant les faits, les circonstances, les dates, est enlevée au pas de charge avec cette modification, fruit de l’expérience, que la chapelle dédiée au précieux sang n’ayant pas abouti à un Mandement doctrinal, l’apparition de la Salette débute par un Mandement doctrinal qui aboutira plus sûrement à la construction d’une chapelle.
Ainsi en quatre ans, quatre miracles sont essayés, sont acceptés.
Le premier, une guérison miraculeuse annoncée par la voie de la presse, s’ensevelit dans une tombe précoce.
Cette tombe est encore fraîche ; le deuxième commence, le précieux sang de J.-C. provoque adoration, chapelle ; une analyse chimique fait justice de ce miracle et ne laisse de lui qu’un souvenir accablant.
Bientôt, sur le même théâtre, dans la même communauté, un troisième miracle est tenté avec succès ; on se prosterne devant une hostie miraculeuse, prise dans une boîte au milieu de plusieurs autres, par l’hémorroïsse. Le stratagème est découvert. Et trois leçons successives ne suffisent pas pour commander la circonspection et la réserve !
Ces souvenirs sont d’hier, l’apparition de la Salette voit le jour. Elle a pour héros deux bergers ignorants, l’un menteur et indisciplinable, l’autre visionnaire et fantasque. Cette apparition, conduite au pas de charge, est décrétée doctrinalement. Malheur à qui ne plie pas la tête sous le joug de ce dogme nouveau !
Lorsque les Apôtres, les Disciples entendaient la parole de J.-C., ils s’inclinaient devant elle, ils croyaient.
Sur quel motif reposait leur foi ?
Eux-mêmes nous l’apprennent.
« Maître, disaient-ils, nous savons que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité. » (Saint Marc, 12-14 ; saint Mathieu, 22-16).
L’apparition de la Salette a lieu le 19 septembre 1846, à 3 heures après-midi.
Le lendemain dimanche, elle est prêchée par le curé de la paroisse.
Huit jours après elle est annoncée par Mgr à 400 sœurs de la Providence, réunies pour leur retraite annuelle.
Huit jours plus tard, elle est annoncée par ces 400 sœurs à toutes les paroisses du diocèse.
Deux mois après, deux commissions ecclésiastiques sont nommées pour statuer. Leur opinion n’est pas favorable.
Six mois plus tard, deux commissaires sont désignés pour aller au loin en quête de miracles opérés par l’eau de la Salette.
La quête est abondante, mais elle n’est pas heureuse.
Elle est acceptée par la majorité d’une commission qui ne discute pas.
Un volumineux rapport, partial et exagéré, est expédié par l’évêque à tous ses collègues ; un dépôt en est fait partout.
Un deuxième ouvrage, écrit dans le même sens, est envoyé de la même manière.
L’un des bergers déclare la vérité à Ars.
On refuse la confrontation du berger et du saint prêtre, qu’on fustige par les journaux et par la presse.
M. Cartellier, curé de St-Joseph de Grenoble, membre de la commission, publie vingt lignes sur son voyage à Ars.
Une circulaire épiscopale, réclamée par M. le chanoine Chambon, interdit à l’instant toute publication.
Le Mandement doctrinal est proclamé. Il défend, même aux laïques, l’émission publique d’une opinion contraire.
– Ce mandement assure que Mgr s’est montré difficile à admettre la Salette. – Qu’il a bravé le blâme, au point d’avoir été peut-être accusé d’indifférence ou même d’incrédulité. – Il nous parle de la sévère circonspection que lui imposait sa qualité de premier pasteur.
Humble fidèle, puis-je, à l’exemple des Apôtres, m’incliner devant le Mandement, et dire :
« Maître, je sais que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité. »
J’ai fait le rapprochement.
J’ai posé la question.
Une haute convenance ne me permet pas de donner la réponse.
La conscience publique appréciera.
Passons à la quatrième assertion du Mandement doctrinal.
CHAPITRE V.
QUATRIÈME ASSERTION.
Multitude de prodiges incontestables opérés par l’invocation de Notre-Dame de la Salette ou par l’eau de la fontaine.
« Le nombre des faits prodigieux qui se publiaient de toutes parts allait toujours croissant. On annonçait des guérisons extraordinaires opérées en diverses parties de la France et de l’étranger. C’étaient des malades désespérés et condamnés par les médecins à une mort prochaine ou à des infirmités perpétuelles que l’on disait rendus à une santé parfaite par l’invocation de N.-D. de la Salette et de l’usage qu’ils avaient fait avec foi de l’eau d’une fontaine sur laquelle la Reine du ciel aurait apparu aux deux bergers. Eau merveilleuse, sinon dans son origine, du moins dans ses effets. »
« Ce fait (la Salette) acquiert un nouveau degré de certitude par la multitude de prodiges qui ont été la suite dudit évènement, et dont il est impossible de révoquer en doute un très grand nombre, sans violer les règles du témoignage humain. »
(Mandement doctrinal du 19
septembre 1851, §§ 2 et 26.)
Un principe universellement reçu dans l’Église catholique ; formulé expressément dans les décrets des conciles de Latran et de Trente ; reconnu par M. Rousselot, écrivant avec l’approbation de Mgr de Bruillard ; par M. le chanoine Chambon, écrivant dans la presse locale, sous les inspirations de son évêque et au nom du Chapitre de la cathédrale ; proclamé par NN. SS. de Valence et de Viviers, dans leur lettre à M. Bez publiée par l’Univers, le 8 février 1851 ; enfin, proclamé hautement par le Mandement doctrinal du 19 septembre 1851, c’est qu’à l’évêque du diocèse seul, et par exclusion de tout autre, appartient de statuer en premier lieu sur un fait miraculeux survenu dans l’étendue du territoire soumis à sa juridiction.
Ce principe rappelé, discutons avec le Mandement.
Le Mandement parle de faits prodigieux, de guérisons extraordinaires, de prodiges incontestables, mais il n’en désigne nommément aucun. Il est vrai qu’il s’étaie puissamment des ouvrages de M. Rousselot, écrits avec l’approbation de Mgr l’évêque et qualifiés par lui de rapports consciencieux et impartiaux. Ouvrons ces ouvrages, véritable arsenal fourni par l’auteur de toutes les armes utiles à sa cause ; on y compte plus de cinquante miracles opérés dans vingt diocèses différents. Ces miracles sont nécessairement ceux auxquels le mandement fait allusion. Quelle créance méritent-ils ?
Un miracle ne peut et ne doit être proclamé que lorsqu’il l’a été premièrement par l’évêque diocésain.
Je cherche vainement sous la plume de M. Rousselot ces décisions épiscopales, je n’en trouve qu’une seule, celle de Mgr l’archevêque de Sens, sur laquelle je reviendrai bientôt : j’ai déjà lieu de m’étonner que M. Rousselot, que le Mandement du 19 septembre passent, dans une matière aussi grave, à côté du principe éminemment sage qu’ils proclament l’un et l’autre. Mais mon étonnement redouble bien plus encore lorsque je sais par moi-même que les miracles attribués aux diocèses de Lyon, de Digne, de Paris, de Langres, d’Arras, d’Avignon, de Bordeaux, etc., etc., comme confirmatifs de l’apparition miraculeuse de la Salette, ne sont pas reconnus du tout ou ne sont pas acceptés en cette qualité par les évêques respectifs de ces diocèses, qui sont essentiellement incroyants à la Salette ; et, je le demande avec une extrême bonne foi, en présence de cette facilité de M. Rousselot à présenter comme avérés les faits prodigieux qui sont niés, qui sont contestés par ceux-là seuls auxquels l’Église et M. Rousselot lui-même reconnaissent le privilège exclusif de les dénoncer au monde catholique, puis-je croire, une personne sensée peut-elle croire à l’exactitude d’un seul des miracles qu’il a glanés avec peine dans le monde entier, dont il a composé avec complaisance trois volumes, si ce miracle n’est pas sauvegardé par une décision positive et motivée de l’Ordinaire ?
Cette décision, voilà la loi pour tout le monde.
Cette loi est violée par rapport aux évêques que j’ai signalés plus haut et qui ont eu occasion de s’expliquer sur les ouvrages de M. Rousselot.
À mes yeux, aux yeux de tout homme sensé, elle est violée par rapport à tous les autres, puisqu’aucun d’eux n’a porté une décision qui est son droit exclusif, j’ajouterai même, puisqu’aucun d’eux ne la portera.
Je traversais, il y a quelques mois, les diocèses de l’Ouest et du Nord, que M. Rousselot dote de guérisons miraculeuses opérées par l’eau de la Salette ; je complimentais les curés de ces localités sur la bonté de Dieu à l’égard de leur pays. Qu’on juge de ma surprise lorsque je reçus pour toute réponse ces mots, qui me frappèrent d’étonnement :
« La distance qui nous sépare de Grenoble est grande, M. Rousselot a sans doute reçu des renseignements transmis de bonne foi, mais qui ont subi les accidents propres à la loi des distances et qui ont été démesurément grossis à Grenoble. Les miracles qu’on donne à nos pays ne sont pas réels et ils ne figurent dans les ouvrages apologétiques de la Salette que pour faire nombre dans le tableau des miracles vrais opérés à la Salette, dans l’Isère, ou dans les pays voisins. »
Ce langage était le même partout ; partout on se rejetait sur les miracles opérés à la Salette ou dans le diocèse de Grenoble. Mais à la Salette, comme dans le diocèse, il n’y a eu que deux miracles d’après M. Rousselot. Marie Gaillard, malade et estropiée avant 1846, malade et estropiée depuis, malade et estropiée toujours. – Ce n’est pas à ce trait qu’on peut reconnaître l’intervention divine. – Victorine Sauvet, guérie miraculeusement à la Salette, si on en croit le langage de M. Rousselot, vicaire général ; en relation dans le même moment avec un démon incube ou succube, si on en croit un rapport officiel de l’administration épiscopale à un haut fonctionnaire de l’ordre judiciaire 17. Ce n’est pas encore à ce trait qu’on peut reconnaître l’intervention de Dieu, qui n’a pas de puissance à partager avec le démon, si ce n’est aux yeux des impies ou des insensés. – Ainsi, en examinant les prodiges opérés à la Salette, ils sont nuls ou impies. – En examinant ceux opérés au loin, ils n’ont cours qu’à l’aide de ceux de la Salette. En sorte que si à Grenoble, les miracles de la Salette passent sous la protection des nombreux miracles opérés au loin, au loin, les miracles locaux passent également sous la protection de ceux de la Salette. Les uns et les autres tournent ainsi dans un cercle vicieux qu’aurait prévenu une décision épiscopale réclamée par les principes mêmes de M. Rousselot, et mise entièrement de côté dans ses ouvrages.
J’ai parlé d’une décision épiscopale, qui présuppose toujours un examen personnel et dès lors est un acte très sérieux, tandis qu’une simple approbation donnée à un livre ou à un certificat témoigne uniquement de la confiance inspirée par l’auteur.
Ainsi Mgr de Bruillard a approuvé les publications de M. Rousselot qui renferment les deux miracles opérés à la Salette. – Qui oserait prétendre que cette approbation implique la reconnaissance de la guérison de Marie Gaillard, qui n’a pas été, qui n’est pas guérie ; – de Victorine Sauvet, tour à tour miraculée ou diabolique, selon qu’on parle d’elle au public ou à un magistrat ?
Prétendre cela serait impie ou absurde, et en fait de miracle diocésain, un seul acte prouve l’intervention de l’évêque, cet acte est une décision doctrinale.
Aucune n’existe pour les cinquante miracles complaisamment énumérés par M. Rousselot ; jusqu’à production de cette pièce capitale, aucun de ces miracles ne devait être apporté comme preuve du fait de la Salette, aucun d’eux ne devait être cité.
Voilà le principe, voilà le droit.
J’ai parlé du miracle de Sens, le seul qui soit doctrinalement attesté par Mgr l’archevêque.
Que prouve ce miracle par rapport à la Salette ?
Examinons-le en appliquant les principes et en l’étudiant dans la décision doctrinale elle-même.
Une fille d’Avallon, Antoinette Bollenat, guérit après une maladie de dix-neuf ans et elle guérit extraordinairement. Mgr de Sens nomme une commission d’enquête, commet un rapporteur, M. Chauveau, vicaire général, homme d’un rare mérite, reçoit de ses mains un travail remarquable sur les circonstances de la maladie et de la guérison, et conformément aux conclusions de ce travail, statue et prononce.
Mais d’abord, M. Chauveau rejette comme miraculeuse la guérison de Pierrette Gagniard, que M. Rousselot avait déjà publiée dans son premier volume. Il établit en principe que la guérison d’Antoinette Bollenat n’est pas au-dessus de la nature, supra naturam ; contre la nature, contra naturam ; mais qu’elle est seulement, pour parler le langage des théologiens, outre nature, praeter naturam. Enfin, il confesse qu’il n’a pas cru nécessaire de recourir à une contre-enquête.
C’est sur ce rapport que se prononce Mgr de Sens. Il déclare que la guérison, opérée après une neuvaine à la T. S. Vierge, invoquée sous le nom de N.-D. de la Salette, présente toutes les conditions et tous les caractères d’une guérison miraculeuse et constitue un miracle de troisième ordre. – Il ne déclare rien de plus ; sa décision, consignée en entier, page 164 des Nouveaux Documents par M. Rousselot, le prouve.
Ce miracle est donc uniquement un miracle de troisième ordre, il est reconnu et promulgué sans contre-enquête préalable, et l’invocation de N.-D. de la Salette n’est pas présentée comme cause déterminante.
Voilà les faits.
L’invocation de la Sainte Vierge, voilà la cause déterminante ; la désignation de N.-D. de la Salette n’est qu’un accident.
Si elle eût été autre chose, Mgr de Sens l’aurait dit, car il aurait dû le dire pour éviter toute équivoque.
Il ne l’a pas dit, cette invocation doit se juger comme se jugent, dès le commencement du catholicisme, tous les faits de même nature.
Les villes de Turin, Cologne, Besançon et Brioude se flattent les unes et les autres de posséder le saint Suaire.
Les villes de Saint-Maximin (Provence), de Vézelay (Bourgogne) se flattent l’une et l’autre de posséder le corps de Ste Madeleine.
Dans chacune de ces villes se trouvent des chapelles dédiées au dépôt précieux dont elles se croient en possession. À des jours marqués, des cérémonies spéciales ont lieu, des fêtes sont célébrées avec pompe partout, les fidèles accourent, invoquent avec ferveur et piété, mais surtout avec bonne foi, J.-C. dont le suaire, ou le saint dont le corps est sous leurs yeux, et partout des ex voto appendus aux murailles attestent que des prières ont été exaucées, des guérisons obtenues, des miracles opérés.
Cependant le saint Suaire n’est en réalité que dans l’une des quatre villes ; le corps de Ste Madeleine n’est réellement que dans l’une des deux villes susnommées.
Les autres croient posséder et ne possèdent pas. Cela empêche-t-il Dieu de manifester sa puissance par des prodiges dans ces diverses villes ? Cela l’empêche-t-il de récompenser la piété, la bonne foi des fidèles qui se trompent involontairement sur la présence du saint Suaire ou du corps du saint ou de la sainte, ce qui à ses yeux, en réalité, n’est qu’un simple accident ? Car dans le saint Suaire, c’est J.-C. qu’on adore ; dans le corps des saints ou des saintes, dans les divers lieux où on croit les posséder, c’est le saint ou la sainte qu’on invoque, et c’est là l’essentiel.
Ce qui se passe chaque année et depuis des siècles dans ces diverses villes s’est passé par rapport à Antoinette Bollenat. Elle croyait d’une foi ferme à la Ste Vierge et elle l’invoquait, elle croyait d’une foi relative à la Salette, et en formulant cette foi par la désignation de N.-D. de la Salette, elle voulait glorifier encore davantage la mère de Dieu. – Voilà la pensée vraie de la malade. Et sa guérison ne prouve pas plus l’apparition de la Salette que les guérisons obtenues dans toutes les villes désignées plus haut ne prouvent la présence dans chacune d’elles du saint Suaire ou du corps de Ste Madeleine.
Voilà les principes appliqués dans l’Église, partout et toujours. Voilà ce qu’a entendu Mgr de Sens par rapport à la guérison d’Antoinette Bollenat. Et pour qu’il en fût autrement, il faudrait que cette fille, en formulant son invocation, eût dît : « Je ne veux être guérie que par la sainte Vierge de la Salette et j’entends que ma guérison soit une preuve irrécusable de l’apparition du 19 septembre 1846. »
Cette formule serait une absurdité, et sans cette absurdité, la guérison d’Antoinette Bollenat ne prouve rien, absolument rien, par rapport à la Salette. Si cette guérison prouvait la Salette, les guérisons obtenues à Brioude, Besançon, Turin et Cologne prouveraient la présence simultanée du saint Suaire dans ces quatre villes. – Qui oserait avancer une semblable niaiserie ?
Ces guérisons prouvent une seule chose. – La bonté de Dieu récompensant une foi vive et une piété sincère, alors même qu’existe une erreur de fait, erreur involontaire et très innocente.
La guérison d’Antoinette Bollenat ne prouve pas, ne peut pas prouver autre chose, – ou l’Église se mentirait à elle-même, en ayant, dans des circonstances analogues, deux poids et deux mesures et en restreignant à son gré la puissance de Dieu.
Je termine une discussion pénible.
Lorsque les Apôtres, les Disciples voyaient les miracles de J.-C., ils s’inclinaient, ils croyaient. – J.-C. opérait ces miracles en preuve de sa mission.
Lorsqu’ils entendaient sa parole, ils s’inclinaient encore, ils croyaient.
Sur quel motif reposait leur foi ?
Eux-mêmes nous l’apprennent.
« Maître, disaient-ils, nous savons que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité (saint Marc, 12-14 ; saint Matth., 22-16.)
Aucun miracle ne s’est opéré en preuve de l’apparition de la Salette.
Aucun miracle, excepté celui de Sens, auquel j’ai restitué sa véritable valeur, n’a été promulgué doctrinalement par aucun évêque, et l’évêque est, de droit exclusif, le premier juge.
Les évêques qui ont été consultés ne sont pas d’accord avec M. Rousselot sur la connexité que ce panégyriste établit entre les miracles qu’il dit opérés dans leurs diocèses et la vérité de l’apparition, puisqu’ils ne croient pas à la Salette.
Des deux miracles octroyés à la Salette, l’un est très négatif, l’autre est une impiété.
Le Mandement doctrinal assure qu’une multitude de prodiges consignés dans les Nouveaux Documents de M. Rousselot ne pourraient être révoqués en doute sans violer les règles du témoignage humain. – Il assure en outre que plusieurs d’entre eux sont crus par divers évêques.
Humble fidèle, puis-je, à l’exemple des Apôtres, m’incliner devant le Mandement et dire :
« Maître, je sais que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité. »
J’ai fait le rapprochement.
J’ai posé la question.
Une haute convenance ne me permet pas de donner la réponse.
La conscience publique appréciera.
Passons à la cinquième assertion du Mandement doctrinal.
CHAPITRE VI.
CINQUIÈME ASSERTION.
Discussions graves et approfondies de la commission.
« Nous jugeâmes convenable d’organiser une commission nombreuse, composée d’hommes graves, pieux et instruits, qui devaient MÛREMENT EXAMINER ET DISCUTER le fait de l’apparition et ses suites. »
« Toutes les objections ont été présentées librement. »
« Notre conviction fut entière et sans nuage à la fin des séances de la commission, qui se terminèrent le 13 décembre 1847. »
(Mandement doctrinal, §§ 8 et 9.)
La commission se composait des deux vicaires généraux, des huit chanoines, des cinq curés de Grenoble et du supérieur du Grand-Séminaire. Elle a tenu huit séances, du 8 novembre au 13 décembre. Les matières traitées dans chacune d’elles sont énumérées dans le premier ouvrage de M. Rousselot, page 23 et suivantes.
Mais déjà, l’année précédente, les huit chanoines et le supérieur du Grand-Séminaire avaient, dans deux commissions différentes, formulé une opinion contraire à toute décision approbative de la part de l’autorité diocésaine (2e ouvrage de M. Rousselot, pages 13, 14, 15, 16 et 17). Sept membres nouveaux font partie de la grande commission, et dans ce nombre quatre d’entre eux, un vicaire général et trois curés de Grenoble, ont été et sont encore aujourd’hui dans l’opposition. – Quelle lumière soudaine a pu, dans ces huit séances, convertir les neuf opposants de l’année précédente, établir la foi des trois membres nouveaux et donner à Mgr une conviction entière et sans nuages ?
Chaque séance a duré environ deux heures, chacune d’elles a été consacrée à la lecture, par fraction, du rapport adressé à Mgr par MM. Rousselot, chanoine, et Orcel, supérieur du Grand-Séminaire. Ce rapport contient 193 pages grand in-12, et sa lecture a déjà pris une partie notable des seize heures que la commission a données à ses séances ; une autre partie plus notable encore a été prise par le règlement, qui a occupé, lui seul, presque toute la première séance ; par la comparution de M. Melin, curé de Corps ; de la supérieure de la communauté qui a recueilli les deux enfants dès 1846 ; de Maximin et de Mélanie. – Le temps qui n’a pas été employé à ces diverses occupations est resté libre pour la discussion et l’a nécessairement circonscrite. De quelle manière a-t-elle eu lieu ?
Ici je fais de l’histoire.
Dès la deuxième conférence, un curé de la ville représente que Maximin a parlé dans le principe de pierres amassées par les garçons de Corps dans le but de les jeter aux filles du pays et que plus tard il a cessé de prêter ce langage à la Dame de l’apparition, en avouant aux uns, en niant aux autres qu’il l’avait réellement tenu.
Rien n’était plus naturel et plus consciencieux que cette observation. Pour toute réponse, le curé est gourmandé par la majorité de ses confrères et ses paroles sont repoussées comme le fait d’une imagination trop riche.
Dans le cours de la troisième conférence, un autre curé manifeste sa surprise de ce que les deux bergers, se confondant avec leurs camarades de la montagne, aussitôt après l’apparition, sont restés plus de quatre heures avec eux, jouant comme d’habitude et n’ayant ni la pensée d’une communication si naturelle à leur âge, ni la moindre distraction dans les jeux auxquels ils se livrent. – La majorité n’a pas un mot à son service pour répondre à une observation aussi sage, et comme le curé se permet d’insister, le président met fin à l’incident en entonnant la prière qui termine la séance.
À la troisième conférence, le curé qui avait déjà agité, dans la première, une question peu favorable à la véracité de Maximin met en scène les deux bergers. Maximin lui a dit à lui-même, a dit à un de ses amis sur la montagne, qu’une Dame noire lui était également apparue ; Mélanie, de son côté, a déclaré que Dieu lui avait ménagé la protection d’un flambeau céleste, un soir qu’elle revenait de la montagne par une nuit obscure et que le flambeau l’a précédée et éclairée jusques à la maison de son maître. – Le curé avait à peine fini de parler qu’il est apostrophé en termes acerbes. Il ne venait aux conférences de la commission que pour s’aveugler de plus en plus ; il prenait les rêves de son imagination pour la réalité. Le curé toutefois était dans le vrai, et à la conférence suivante, il interpelle les bergers, et en présence de tous ses collègues, il obtient d’eux un aveu complet.
Dans une conférence encore, l’un des deux vicaires généraux croit avoir le droit de présenter des observations. Ces observations, prises pour de l’opposition, furent reçues en termes tels que le vicaire général se tut et ne crut pas même pouvoir reparaître à la conférence suivante.
Dans la conférence consacrée à la lecture des pièces qui concernaient la guérison miraculeuse de Victorine Sauvet, un membre de la minorité observe qu’il est bon de se tenir en garde contre les assertions et gestes de cette fille qui jouait aux visions surnaturelles et scandalisait par là les personnes pieuses et intelligentes de son pays et des pays voisins. – Ce que vous dites-là est de l’impiété, lui crie, avec une voix et des gestes passionnés, un de ses confrères.
Oui, ce mot a été dit ; il a été dit pour toute réponse, et personne n’a protesté ; et le violent interrupteur n’a pas été rappelé au sentiment des convenances ; et la conscience du juge qui recherche la lumière n’a pas été protégée contre l’insulte la plus grave qu’on puisse jeter à la face d’un prêtre ; et c’est là ce qu’on appelle la liberté de discussion.... !
Les observations du curé si rudement apostrophé étaient sages cependant et bien fondées, car Victorine Sauvet fut mise à l’index à bas bruit auprès de son curé ; des instructions furent transmises pour qu’on lui refusât confession et communion tant qu’elle ne cesserait pas ses folies. – On tenait à sauver le miracle prétendu de sa guérison.
Cette manœuvre sourde réussit, et M. Rousselot, dans son troisième ouvrage, page 117, nous en fournit la preuve irrécusable en insérant la déclaration suivante faite par cette fille.
« Je reconnais avoir été trompée dans les prétendues visions que je croyez (sic) avoir de la sainte Vierge. Je m’engage par conséquand (sic) à n’en plus parler.
« Le 30 décembre 1850.
« VICTORINE SAUVET. »
La prétendue impiété était très réelle, il importait seulement de la dérober à tous les regards. – Est-ce là de la discussion ?
Mais en revanche on discutait longuement dans deux conférences, pour élever la très grande probabilité à la hauteur de la certitude et pour déclarer que l’une et l’autre étaient parfaitement identiques et avaient absolument la même signification ; comme si les termes eux-mêmes ne suffisaient pas pour démontrer le vide d’une semblable thèse, que M. Rousselot, dans son dernier ouvrage, veut faire partager à la philosophie tant ancienne que moderne, et contre laquelle s’élèvent tous les philosophes de tous les temps et de tous les pays.
C’est au milieu de ces discussions que fut émise l’opinion favorable de la majorité. – Cette majorité se composait des huit chanoines qui, l’année précédente, dans un rapport imprimé, avaient dit non (il est difficile de comprendre pourquoi ils se sont réformés eux-mêmes) ; de M. Orcel, supérieur du Grand-Séminaire, qui est dans le même cas, et de trois autres membres, sur sept qui leur avaient été adjoints.
Je ne conteste à aucun d’eux la piété, mais je l’avoue, je ne sais pas comprendre, en l’absence de tout fait nouveau, la gravité et l’instruction d’hommes qui se renient sans donner les motifs de leur conversion radicale, et ces motifs, je les cherche en vain dans les ouvrages de M. Rousselot.
Il est vrai que ce panégyriste nous révèle dans son troisième ouvrage, page 17, les signes auxquels on peut juger qu’une question religieuse est suffisamment débattue dans une assemblée ecclésiastique. – Il suffit que le président de l’Assemblée le déclare. – En présence de cette règle très vraie, quand elle n’est pas exagérée ; très dangereuse si elle est appliquée avec exagération, je comprends le dédain qui a accueilli les observations de la minorité : elles étaient à peine posées qu’on répondait, sans réfutation, la cause est instruite. – Voilà le fait. Le fait constitue-t-il le droit ? prouve-t-il que les discussions ont été graves et sérieuses, que toutes les objections ont été librement débattues, mûrement examinées ?
Que M. Rousselot donne au public les détails de ces débats, alors seulement, il aura le droit de réclamer foi à ses assertions.
Ces détails ne se donneront pas, ils n’existent pas.
Lorsque les Apôtres, les Disciples entendaient la parole de J.-C., ils s’inclinaient, ils croyaient.
Sur quel motif reposait leur foi ?
Eux-mêmes nous l’apprennent.
« Maître, disaient-ils, nous savons que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité. » (Saint Marc, 12-14 ; saint Matth., 22-16.) Le fait de l’apparition, ses suites n’ont pas été discutés librement dans le sein de la commission.
La maturité d’examen n’a pas été permise, puisque toute observation a été repoussée brusquement et sans discussion.
Le Mandement assure que le fait de l’apparition et ses suites ont été mûrement examinés et discutés.
Il assure que toutes les objections ont été présentées librement.
Humble fidèle, puis-je, à l’exemple des Apôtres, m’incliner devant le Mandement et dire :
« Maître, je sais que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité. »
J’ai fait le rapprochement.
J’ai posé la question.
Une haute convenance ne me permet pas de donner la réponse.
La conscience publique appréciera.
Passons à la sixième assertion du Mandement doctrinal.
CHAPITRE VII.
SIXIÈME ASSERTION.
Mérite du rapport consciencieux et impartial de M. Rousselot.
« Un de nos vicaires généraux..... a été chargé de rendre compte des séances de la commission et de consigner les réponses aux objections. Ce travail, CONSCIENCIEUX et IMPARTIAL, intitulé : La Vérité sur l’Évènement de la Salette, qui a été imprimé et revêtu de notre approbation, montre jusqu’à quel point on a porté l’attention et prolongé l’examen.
« Les faits prodigieux survenus sont constatés dans un second volume publié par M. Rousselot en 1850, qui a pour titre : Nouveaux Documents sur l’Évènement de la Salette.
« Il a été revêtu de notre approbation. »
(Mandement doctrinal du 19
septembre 1851, §§ 8, 9 et 15.)
Le premier devoir d’un rapporteur, puisqu’il ne parle jamais en son nom, mais au nom de tous ses collègues, est d’exposer toutes les opinions, de faire ressortir toutes les objections, de rendre compte de tous les motifs qui, à la suite d’une discussion sérieuse, ont pu asseoir l’opinion de la majorité, et ce devoir devient bien plus impérieux encore, lorsqu’il s’agit d’un travail qui doit aboutir à l’imposition d’un dogme et ajouter un article au symbole des croyances religieuses.
Dieu l’a voulu ainsi en réclamant une foi profonde, mais une foi qui fut solidement éclairée.
M. Rousselot, dans son rapport, a-t-il obéi à cet ordre de Dieu, à cette loi de toutes les sociétés intelligentes et honnêtes ?
Un membre de la commission avait révélé l’apparition aux deux bergers d’une Dame noire et d’une lumière miraculeuse, il avait révélé le danger de s’appuyer trop légèrement sur le miracle de la guérison de Victorine Sauvet, cette fille doublement mystique. Pour toute discussion, on l’avait traité d’impie. Le rapport ne parle ni de l’incident ni de ses suites. – Est-ce là ce qui constitue conscience et impartialité ?
Les deux bergers, pressés, quelques jours après, sur ces apparitions par le membre qui les avait révélées, font un aveu complet. – Le rapport n’en dit pas un mot. – Est-ce là encore ce qui constitue conscience et impartialité ?
Une opposition existait dans la commission, cette opposition était sérieuse, très sérieuse à en juger par les traits acérés que lui décoche M. Rousselot dans son troisième ouvrage, traits sur lesquels j’aurai occasion de revenir. – Je cherche vainement les traces de cette opposition dans le premier rapport de M. Rousselot, c’est à peine si je puis les apercevoir dans le deuxième. – Est-ce là ce qui constitue conscience et impartialité dans un rapport religieux ?
Passons à un autre ordre d’idées.
M. Rousselot avait accumulé une foule de guérisons miraculeuses, desquelles il concluait à la vérité de l’apparition de la Salette. – Parmi elles, figuraient les guérisons attribuées au diocèse de Digne. Je lui reprochais (page 149 de la Salette-Fallavaux ou la Vallée du Mensonge) d’avoir inscrit ces miracles, quoique, plusieurs mois auparavant, il eût reçu de Mgr de Digne, seul juge de leur réalité, avis qu’aucun d’eux n’était vrai.
M. Rousselot, qui essaie, dans son troisième ouvrage, de se disculper d’une accusation semblable pour d’autres miracles, ne dit rien de ceux de Digne. Il accepte dès lors l’accusation. Et je le demande, – proclamer comme vrais des miracles qu’on sait être faux, est-ce prouver qu’on agit avec conscience et impartialité ?
Je parlais aussi, pages 147 et 148, de la guérison de sœur St-Charles à Avignon, et j’assurais que Mgr l’archevêque d’Avignon avait déclaré à son ami et collègue Mgr de Gap, et à d’autres personnes, que cette guérison n’était pas miraculeuse.
Que fait M. Rousselot ? Au lieu de s’adresser, soit à Mgr d’Avignon, soit à Mgr de Gap, sur la bienveillance duquel il peut d’autant plus compter qu’il le représente dans son factum, la Salette vengée, comme ayant réclamé contre mon ouvrage, il produit un fragment de lettre d’un ecclésiastique d’Avignon, qui ne répond pas du tout à ce point, le seul qui soit, le seul qui puisse être en question. – Mgr d’Avignon a-t-il oui ou non déclaré à son collègue de Gap qu’il ne croyait pas à la guérison miraculeuse de sœur Saint-Charles ?
La déclaration de l’un des deux prélats, pour un fait aussi grave, peut seule éclairer le public et préciser la vérité. Cette déclaration, M. Rousselot ne l’a pas, il ne l’aura jamais, car j’ai avancé le fait avec la conscience intime, éclairée de son existence.
Je vais plus loin, M. Rousselot a aussi bien que moi la conscience de la vérité de mon assertion.
Le 23 juin 1850, Mgr l’évêque de Gap donnait la confirmation à Vizille ; après la cérémonie religieuse il déjeunait à la cure avec douze ecclésiastiques, parmi lesquels deux chanoines de Grenoble, M. Bouvier, doyen, et M. Chambon. M. Bouvier défendait la Salette, il avait fait un office que Mgr de Gap avait prohibé dans son diocèse, et pour légitimer son travail, M. Bouvier s’appuyait sur les miracles et surtout sur celui de sœur Saint-Charles. En présence de tous les convives et par conséquent de MM. Bouvier et Chambon, à haute et intelligible voix, Mgr de Gap prononça ces mots, que je recommande à l’attention de M. Rousselot.
« En visite chez mon ami d’enfance l’archevêque d’Avignon, je manifestai le désir d’aller voir sœur Saint-Charles. Garde-toi bien de le faire, me dit Mgr Dépelay, sœur Saint-Charles est une femme hystérique, et si tu parlais de guérison miraculeuse, tout le monde te rirait au nez. »
Ces paroles, MM. Chambon et Bouvier les ont entendues ; tous les jours ils sont avec M. Rousselot, ils partagent avec lui la foi de la Salette, ils s’entretiennent avec lui de l’apparition du 19 septembre, ils l’ont initié à la révélation faite par Mgr de Gap. – En s’adressant à un ecclésiastique d’Avignon, M. Rousselot a-t-il voulu établir que MM. Chambon et Bouvier avaient des oreilles pour ne pas entendre ? A-t-il voulu insinuer que Mgr de Gap ne savait ce qu’il disait ? A-t-il voulu plus encore ? Son intention a-t-elle été de placer la parole d’un évêque sous le contrôle de celle d’un simple prêtre ?
Je ne sais ! Toujours est-il qu’il avait la vérité sous la main, qu’il la connaissait par ses deux amis, croyants comme lui, ce qui ne l’a pas empêché d’imprimer sa dénégation et d’appliquer une fois de plus cet adage célèbre :
La fin justifie les moyens.
Je le lui répète donc, Mgr de Gap a appris de son ami, il tient de lui qu’il ne croit pas au miracle de la guérison de sœur Saint-Charles. – MM. Chambon et Bouvier le tiennent de Mgr de Gap, comme M. Rousselot le tient de ces derniers. Ce langage est-il clair ? M. Rousselot faisait-il acte de conscience et d’impartialité en inscrivant le miracle d’Avignon, auquel une lettre qui n’émane pas directement de l’archevêque ne saurait donner une apparence de vie ?
Venons aux deux miracles du diocèse de Grenoble.
M. Rousselot, page 101 de la Vérité sur l’évènement de la Salette, définit le miracle. – « Effet sensible qui déroge aux lois constantes et connues de la nature, qu’on ne peut attribuer qu’à l’auteur du maître du monde. »
M. Rousselot est dans le vrai, tous les miracles opérés par J.-C. et consignés dans l’Évangile prouvent l’exactitude de sa définition.
Marie Gaillard, malade et estropiée avant l’apparition, demeure malade et estropiée après, elle l’est encore aujourd’hui. Où est donc cet effet SENSIBLE qui déroge aux lois constantes et connues de la nature ? Où est cette intervention de la divinité qui surpasse les effets produits par l’art médical ? Quand Dieu se manifeste, il parle de manière à n’être renié par personne, et si Marie Gaillard a été l’objet d’un miracle, il n’est pas un médecin de village qui ne puisse en être l’auteur. – Est-ce à ces traits que M. Rousselot prétend constater un miracle ?
Victorine Sauvet a été guérie d’une cécité qui durait depuis trente-trois jours et provenait d’une lésion du nerf optique. Privée de l’usage de la vue, Victorine avait conservé la faculté de voir, et pour en jouir de nouveau, il suffisait que cette lésion cessât de subsister.
Ainsi l’a jugé, après plusieurs rapports médicaux, Mgr l’archevêque de Sens.
Il avait plu à M. Rousselot de consigner dans son premier ouvrage, page 166, la guérison miraculeuse de Marie-Pierrette Gagnard, d’Avallon, diocèse de Sens ; l’affection qu’éprouvait cette fille était parfaitement semblable à celle qu’éprouvait Victorine Sauvet ; Mgr de Sens, appelé à statuer sur le miracle opéré dans son diocèse, commet une commission, fait procéder à une enquête et conclut au rejet du miracle. – Voir le rapport et le jugement doctrinal de Sens, pages 131, 132 et suivantes des Nouveaux Documents par M. Rousselot.
Comment ce qui est naturel à Sens, sous la haute intervention d’un évêque, peut-il être maintenu à l’état de miracle, à Grenoble, sous la plume de M. Rousselot ?
Ce n’est pas tout.
La déclaration de Mgr de Sens est du 4 mars 1849. M. Rousselot fait imprimer ses Nouveaux Documents, dans le courant de 1850, et loin de modifier son langage sur la guérison miraculeuse de Victorine Sauvet, il le confirme, – page 53.
Ce n’est pas tout encore.
J’ai eu la témérité de révéler, à propos de cette fille, l’existence d’une lettre adressée officiellement par l’administration diocésaine à un magistrat de Grenoble et indiquant qu’on n’avait pas pu démêler si elle avait des rapports avec un démon incube ou succube. Cette lettre s’écrivait au moment où M. Rousselot chantait sur tous les tons la guérison miraculeuse de Victorine. – Cette révélation téméraire blessa M. Rousselot, mais ne le convertit pas.
Je lis, pages 117 et 118 de son troisième ouvrage, ces lignes qu’il regrettera toute sa vie :
« Nous laissons (les personnages importants ont tous le privilège de parler d’eux au pluriel) au pamphlétaire la honte de SES RÉCITS OBSCÈNES, de ses MOTS ORDURIERS, à l’occasion de cette fille. Historien à la manière de Voltaire, il nous rend acteur dans le rôle qu’il fait jouer à cette triste dupe de son imagination. Nous lui renvoyons LES INFAMIES D’UNE PRÉTENDUE PIÈCE que, selon lui, nous aurions écrite à un magistrat ; nous lui renvoyons CE MENSONGE comme son bien propre. »
Qui ne croirait, en lisant ces lignes, que j’ai inventé tout ce que j’ai dit et que dès lors M. Rousselot est dans le vrai quand il m’appelle libelliste, pamphlétaire, harpie, diffamateur, hérétique, calomniateur, que sais-je ? Son inépuisable charité, sa justice, à nulle autre pareille, lui fournissent un répertoire trop riche pour que j’aspire à le parcourir tout entier.
Eh bien ! en présence de ces dénégations et de ces insultes, ma réponse sera calme et digne.
Je maintiens que la lettre niée par M. Rousselot a été écrite.
Je maintiens qu’elle a été adressée à un magistral de Grenoble et qu’elle lui a été adressée officiellement.
Je maintiens qu’elle constatait le doute de l’administration dont M. Rousselot est membre, sur les rapports de Victorine Sauvet avec un démon incube ou succube.
Je maintiens que j’ai été narrateur fidèle et exact.
M. Rousselot a un moyen de prouver que je mens et il n’en a qu’un seul.
Ce moyen devient impérieux pour lui ; car, s’il ne le prend pas, il reste lui-même convaincu de mensonge, et toutes les gentillesses qu’il m’adresse remontent nécessairement à lui.
Ce moyen consiste à déposer une plainte en calomnie contre moi, à appeler sur ma tête la répression d’un délit infâme, si, comme il ose l’affirmer dans son ouvrage, je m’en suis rendu coupable.
Ce moyen, M. Rousselot ne le prendra pas, car les magistrats auxquels il me dénoncerait seraient eux-mêmes ses condamnateurs et ses juges, et il sait très bien pourquoi.
Triste position que celle de l’homme qui est entré dans une mauvaise voie et qui ne peut la maintenir que par des moyens incompatibles avec la conscience, la loyauté, la délicatesse et l’honneur !
Passons à un nouvel ordre d’idées.
Dans son premier ouvrage, page 59, ligne 22, M. Rousselot, parlant du récit de la Dame aux enfants, écrit :
« Ils le redisent aujourd’hui comme une leçon apprise, mais les maîtres des deux enfants, mais leurs parents, mais le maire de la Salette, M. Pierre Peytard, mais les habitants de Corps et de la Salette, ainsi qu’un grand nombre d’ecclésiastiques et de personnes distinguées, étrangères à la localité, assurent tous que, DÈS LE COMMENCEMENT, les enfants ont dit les mêmes choses, sinon AVEC LA MÊME FACILITÉ ET LA MÊME VOLUBILITÉ, du moins sans varier jamais, etc. »
Qu’on ouvre maintenant son deuxième ouvrage, page 61, ligne 21, on lira :
« CETTE FACILITÉ ou plutôt CETTE VOLUBILITÉ qui accompagne le récit des enfants a étonné DÈS LE COMMENCEMENT....... Nous pouvons assurer, sans crainte d’être démenti, que les enfants montrèrent CETTE FACILITÉ dès le commencement. Celle qui avait gravé en traits ineffaçables le fond des choses dans l’ingrate mémoire des deux petits bergers leur donna en même temps CETTE FACILITÉ ÉTONNANTE de débit, etc. »
M. Rousselot a parfaitement raison de ne pas craindre de démenti ; quelle que soit la version qu’on lui prête, elle lui appartient, il est vrai que l’une et l’autre se contredisent. Est-ce à la contradiction sur des points très graves qu’on reconnaît la conscience et l’impartialité d’un rapporteur, d’un historien religieux ? Est-ce à ces deux versions contradictoires que s’adresse le Mandement, en présentant les ouvrages de M. Rousselot comme un travail consciencieux et impartial ? Je demande, je ne juge pas.
– Au premier ouvrage encore, page 90, 2e ligne, lisez :
« Non-seulement les habitants de Corps, de la Salette, de tout le canton et des environs, ont cru à l’apparition arrivée aux deux petits bergers, mais ils en ont été frappés, touchés, épouvantés ; mais ILS SE SONT CONVERTIS, ont cessé leurs travaux des dimanches, leurs blasphèmes, etc. ; mais ils fréquentent les églises, accourent à la voix de leurs pasteurs, s’approchent des sacrements et remplissent avec édification le devoir pascal, trop généralement négligé jusque-là. »
Ces lignes s’imprimaient en 1848. Les voyageurs, les pèlerins qui se rendent à Corps, à la Salette cherchent les preuves de cette conversion générale annoncée au monde entier, ils ne les trouvent pas, ils en manifestent leur surprise. Que fait M. Rousselot ? En 1850, il imprime son deuxième ouvrage, et page 26, on lit, à propos de la Révolution de Février :
« Des esprits solides ont cru découvrir dans l’éruption terrible du volcan révolutionnaire l’accomplissement littéral des premières paroles prophétiques sorties de la bouche de la Vierge de la Salette : Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis forcée de laisser aller le bras de mon fils, il est si lourd, si pesant, que je ne puis plus le retenir. Beaucoup de personnes se sont imaginées depuis lors que cette épouvantable catastrophe était le secret confié aux petits bergers. Ceux-ci n’ont rien dit ; mais qui sait si les autres parties de la prophétie n’auront pas aussi leur terrible accomplissement, SI ON NE SE CONVERTIT. »
Pas un mot pour excepter tout le canton de Corps et les environs, et dès lors ils se trouvent compris dans l’anathème général. Est-ce à cette variation, à ces contradictions sur des points qui sont partie intégrante de la prophétie qu’on reconnaît la conscience et l’impartialité ?
Allons à quelque chose de plus grave encore que ces affligeantes contradictions.
Je lis à la 14e ligne de la 221e page de la Vérité sur l’évènement de la Salette, par M. Rousselot, cette règle de morale :
« Un mensonge, proféré MÊME SCIEMMENT par Maximin sur une circonstance purement accessoire.... ne peut en aucune manière infirmer son témoignage. »
La Dame de l’apparition a parlé français et patois. – Cela est purement accessoire.
Elle a parlé de manière à être comprise des enfants ou à ne l’être pas ; cela est purement accessoire 18.
Que les enfants prêtent au langage de la Dame tel ou tel détail. – Cela est purement accessoire.
Que le costume ait été de telle ou telle couleur ; qu’il ait été relevé ou non par tel ou tel instrument de la Passion. – Cela est purement accessoire.
Que la Dame, en s’approchant des enfants, ait effleuré l’herbe sans la faire plier sous ses pieds, ou au contraire que l’herbe ait cédé à leur pression. – Cela est purement accessoire.
Que la Dame ait disparu en s’élevant dans les airs, de telle sorte que les enfants aient perdu de vue d’abord la tête, puis les bras, puis le corps, puis enfin les pieds, ou au contraire que les pieds aient disparu les premiers, puis le corps, puis la tête. – Cela est purement accessoire.
Tout cela est accessoire, et ces circonstances purement accessoires constituent seules le fait principal.
Maximin peut mentir sciemment sur chacune d’elles en particulier, et dès lors mentir sur toutes, car la règle posée ne saurait être restreinte capricieusement.
De ces six mensonges accessoires résultera la vérité du fait principal, puisque le témoignage de Maximin ne peut être infirmé en aucune manière.
Cette conclusion est absurde, elle est immorale. Pourquoi la règle de laquelle elle découle a-t-elle été posée ?
Est-ce là encore que se trouvent la conscience et l’impartialité du rapporteur ?
Je m’arrête, car il faut en finir.
Lorsque les Apôtres, les Disciples entendaient la parole de Jésus-Christ, ils s’inclinaient, ils croyaient.
Sur quel motif reposait leur foi ?
Eux-mêmes nous l’apprennent.
« Maître, disaient-ils, nous savons que vous dites la vérité et que vous enseignez la voix de Dieu en toute vérité. » (Saint Marc, 12-14 ; saint Mathieu, 22-16.)
Le rapport de M. Rousselot se tait sur la variation du langage des enfants, sur l’imprudence de leur babil essentiellement compromettant pour leur véracité, – sur le mode des discussions de la commission ; – il énumère des miracles qui n’existent pas ; – il émet des assertions contradictoires ; il pose des règles de morale qui tendent à fonder la vérité sur l’erreur.
Le Mandement assure que ce rapport est consciencieux et impartial.
Humble fidèle, puis-je, à l’exemple des Apôtres, m’incliner devant le Mandement et dire :
« Maître, je sais que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité. »
J’ai fait le rapprochement.
J’ai posé la question.
Une haute convenance ne me permet pas de donner la réponse.
La conscience publique appréciera.
Passons à la septième assertion du Mandement doctrinal.
CHAPITRE VIII.
SEPTIÈME ASSERTION.
Occasion fournie par la divine Providence de faire parvenir à Pie IX le secret des deux bergers.
« La Providence divine nous a fourni l’occasion d’enjoindre aux deux enfants privilégiés de faire parvenir leur secret à N. T. S. P. le pape Pie IX. Nous avons chargé deux prêtres, qui ont toute notre confiance, de porter à Rome cette dépêche mystérieuse. »
(Mandement doctrinal du 19
septembre 1851, § 12.)
S. E. Mgr le cardinal-archevêque de Reims, appelé à Rome pour les intérêts de son diocèse, reçoit du Souverain-Pontife la mission de prévenir son collègue de Lyon qu’il est délégué par le Saint-Siège pour étudier ce qui concerne l’évènement de la Salette. Il remplit cette mission, et Mgr de Bonald se met en correspondance avec Grenoble ; les réponses qu’il reçoit ne le satisfont pas. Il va droit au but, et fin mars 1851, il prévient Mgr de Grenoble que Sa Sainteté veut connaître le secret des enfants.
Le 23 mars, M. Auvergne, secrétaire de l’évêché, se rend auprès des deux enfants pour les engager à livrer leurs secrets. Il obtient facile composition de Maximin. Mélanie est plus rétive ; elle refuse toute promesse et, sur l’indication que M. Rousselot viendra la voir le 26, elle répond : « Je ne pourrai pas dire à M. Rousselot autre chose que ce que je vous dis. »
Le 26, M. Rousselot s’exécute à son tour. M. Rousselot est en sa présence, il lui adresse quelques paroles et les termine par cette série de demandes :
D. Ainsi donc, Mélanie, si le Pape vous commande de lui dire votre secret, le lui direz-vous ?
R. OUI, monsieur.
D. Le lui direz-vous de bon cœur ?
R. Oui, monsieur.
D. Et vous le lui direz sans crainte d’offenser la sainte Vierge ?
R. Oui, monsieur.
D. Si donc le Pape vous commande de dire votre secret à quelqu’un qu’il désignerait pour le recevoir et le lui faire passer, vous le direz donc à cette personne qu’il vous aurait désignée ?
R. Non, monsieur ; je veux le dire au Pape seul et seulement quand il le commandera.
D. Et si le Pape vous donne ce commandement, comment ferez-vous donc pour lui faire passer votre secret ?
R. Je le lui dirai à lui-même, ou je l’écrirai dans une lettre cachetée.
D. Et cette lettre cachetée, à qui la remettrez-vous pour la faire passer au Pape ?
R. À Mgr l’évêque.
D. Ne la remettriez-vous pas à un autre ?
R. Je la remettrais à Mgr l’évêque ou à vous.
D. Ne la confieriez-vous pas à M. G. (l’aumônier de la communauté) ?
R. Non, monsieur.
D. Ne la feriez-vous pas aussi passer au Pape par Mgr le cardinal-archevêque de Lyon ?
R. Non, monsieur.
D. Ni par un autre évêque ou prêtre ?
R. Non, monsieur.
D. Et pourquoi ?
R. Parce qu’à Lyon on ne croit pas beaucoup à la Salette, et ensuite je ne veux pas qu’on décachette ma lettre.
D. Et vous ne voulez pas que votre lettre contenant votre secret lui arrive par d’autres que par Mgr de Grenoble ou par moi ?
R. Non, monsieur.
Adieu, mon enfant, soyez toujours bien sage ; aimez et priez toujours la sainte Vierge.
(Nouveau Sanctuaire, pages 56 et 57.)
Ici se présente une première réflexion.
Les enfants, pendant quatre ans et demi, se sont refusés à livrer leur secret, même au Pape. Ils ont résisté aux promesses, aux menaces, aux séductions ; M. Rousselot le constate dans ses deux premiers ouvrages, et voilà que, sur une simple course inévitable de sa part, ils cèdent.
M. Rousselot a donc sur eux de l’influence.
Sa démarche a été déterminée par une lettre de S. E. le cardinal-archevêque de Lyon, et c’est lui qui imprime ces phrases de Mélanie :
« Je remettrais ma lettre à Mgr l’évêque ou à vous, mais je ne la remettrais pas à Mgr le cardinal de Lyon, parce qu’à Lyon on ne croit pas beaucoup à la Salette, et ensuite je ne veux pas qu’on décachette ma lettre. »
En d’autres termes, une lettre adressée au Pape est sûre entre mes mains, elle ne l’est pas dans celles de S. E. le cardinal.
Et M. Rousselot imprime ces lignes au moment où il vient, par son influence personnelle, de triompher très facilement de la résistance de Mélanie sur un point capital ; au moment où rien ne lui était plus facile que d’en triompher sur un point que lui recommandait la délicatesse vis-à-vis un prince de l’Église, son métropolitain. Et au lieu de l’employer dans ce sens, il préfère révéler à la France et au monde une réponse insensée qui met en suspicion la loyauté d’un cardinal, qui fait ressortir la sienne. Heureux et naïf M. Rousselot !
Le secret est promis par les enfants. Le cardinal attend, il écrit, puis il attend toujours. Lassé de ces fins de non-recevoir, il annonce qu’il sera à Grenoble le 12 juillet. Il importe de prévenir son arrivée et de rendre son voyage inutile.
Le Grand-Séminaire n’entre en vacances que vers le milieu de juillet, on devance cette époque pour rendre à la liberté M. Rousselot, qui y occupe une chaire de morale ; et le 6 juillet, M. Rousselot, porteur de la lettre des deux enfants, part pour Rome, accompagné de M. Gerin, curé de la cathédrale.
Son départ effectué, avis officiel est donné aux curés de Grenoble de l’arrivée du cardinal. Jour et heure leur sont assignés pour aller, le dimanche 13, à l’évêché, offrir à S. E. leurs respects et leurs hommages.
M. le curé de la cathédrale était parti pour Rome. Il était parti par ordre de Mgr l’évêque, c’est le Mandement qui nous l’apprend. En son absence, le premier vicaire de la cathédrale, M. Caron, reçoit une lettre signée U Philibert, évêque de Grenoble, semblable à celle envoyée aux autres curés de la ville. Cette lettre porte en outre la recommandation expresse que, dans le cas où S. Ém. demanderait des nouvelles de M. le curé Gerin, M. Caron eût à lui répondre, que, fatigué par les travaux du ministère pastoral, son curé était allé se reposer à la campagne pendant quelques jours.
M. le vicaire Caron exécuta ponctuellement ses instructions ; mais Son Éminence ne s’y laissa pas prendre, et M. Caron eut le regret d’avoir involontairement transmis une indication qui n’était pas exacte.
Mgr tint à voir les deux enfants. Ils parurent accompagnés de leur tuteur officieux, laïque que l’un et l’autre consultaient du regard avant de faire une réponse aux questions qui leur étaient posées.
Là encore S. Éminence eut fortement à souffrir.
Le lendemain 14, elle allait visiter le Petit-Séminaire de Grenoble, situé à trois kilomètres de la ville ; pleine de bienveillance pour les maîtres et pour les élèves, elle adressa à tous quelques paroles affectueuses ; puis, entourée des professeurs seuls, elle reçut leurs félicitations et entendit la vive expression de leur reconnaissance pour l’honneur fait à leur bel établissement.
Mgr le cardinal se contint longtemps ; mais enfin, vaincu par la comparaison qui se présentait naturellement à son esprit et à son cœur, entre les allures franches des professeurs de la maison et les allures d’une nature toute différente qu’il subissait depuis deux jours à l’évêché, il ne put s’empêcher d’en faire la remarque à haute voix.
Métropolitain, cardinal, délégué du Souverain-Pontife, loin de trouver dans tous ces titres un droit à une respectueuse déférence, il n’avait pas même été l’objet des plus simples égards, et ce manquement remontait au Pape dont il était le représentant.
Ces observations étaient présentées avec le calme d’une grande âme, d’une âme douloureusement affectée, non pour elle, mais pour ceux qui la soumettaient à cette déplorable épreuve.
Il semble que tout devait s’arrêter là contre un prince de l’Église. Il n’en fut pas ainsi. On connaissait l’opinion défavorable du cardinal, celle des évêques voisins, celle de la majorité du clergé du diocèse, de la presque totalité du clergé des diocèses qui avoisinent Grenoble ; cette connaissance constituait au moins le doute pour les partisans de la Salette, ce doute qui, aux termes du concile de Trente, ordonne qu’avant de passer outre, le concile provincial soit saisi de l’affaire. Se mettant au-dessus des principes si sages du concile, on promulgue le Mandement doctrinal, et comme si cela ne suffisait pas, M. Rousselot, dans sa Salette vengée, dans son Nouveau Sanctuaire à Marie, vient dénaturer le sens des prescriptions du concile de Trente et, sous la protection des erreurs qu’il a semées, apprendre au monde entier que métropolitain, concile provincial, Pape même n’ont rien à voir dans l’affaire de la Salette.
Je ne veux pas anticiper sur une discussion que je réserve au chapitre spécial pour la Salette vengée.
Lorsque les Apôtres, les Disciples entendaient la parole de J.-C., ils s’inclinaient et croyaient.
Sur quel motif reposait leur foi ?
Eux-mêmes nous rapprennent.
« Maître, disaient-ils, nous savons que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité. » (Saint Marc, 12-14 ; saint Math., 22-16.)
M. Rousselot imprime qu’une lettre adressée au Pape ne serait pas en sûreté entre les mains de Mgr l’archevêque.
Délégué par le Saint-Père, Mgr le cardinal vient à Grenoble pour interroger les enfants, avoir leur secret. – À cette nouvelle, et six jours avant son arrivée, deux prêtres sont désignés, ils partent par ordre, ils emportent le secret des bergers.
Le cardinal arrive, un vicaire reçoit ordre de le déjouer par un pieux mensonge.
Il interroge les enfants, on leur donne un Mentor qui ne les quitte pas en sa présence.
Le Mandement affirme que c’est la divine Providence qui a fourni l’occasion d’enjoindre aux enfants privilégiés de faire parvenir leur secret à N. S. P. le Pape.
Il apprend au monde catholique que deux prêtres investis de la confiance du prélat ont été chargés par lui de porter à Rome cette mystérieuse dépêche.
Je cherche vainement dans tous ces faits l’indice d’une occasion fournie par la Providence ; j’y trouve, au contraire, les preuves d’une mystification persistante, et dès lors :
Humble fidèle, puis-je, à l’exemple des Apôtres, m’incliner devant le Mandement et dire :
« Maître, je sais que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité. »
J’ai fait le rapprochement.
J’ai posé la question.
Une haute convenance ne me permet pas de donner la réponse.
La conscience publique appréciera.
Passons maintenant à la huitième assertion du Mandement doctrinal.
CHAPITRE IX.
HUITIÈME ASSERTION.
Demande expresse de tous les membres du chapitre et de la très grande majorité des prêtres des diocèse.
« Sur la demande expresse de tous les membres de notre vénérable chapitre et de la très grande majorité des prêtres de notre diocèse. »
(Mandement doctrinal du
19 septembre 1851, § 22.)
Le Mandement porte la date du 19 septembre 1851 (CINQUIÈME ANNIVERSAIRE DE LA CÉLÈBRE APPARITION). La date est d’autant plus précise qu’elle est qualifiée du cinquième anniversaire. Elle est d’autant plus précise que le Mandement a été expédié dans toute la France, à plusieurs milliers d’exemplaires, et que partout on peut la lire, partout on peut se convaincre qu’elle est le couronnement du voyage de Rome terminé le 24 août (Nouveau Sanctuaire à Marie, page 60).
La retraite ecclésiastique réunit au Grand-Séminaire les prêtres du diocèse, le 24 septembre seulement, c’est-à-dire cinq jours après. Dès le lendemain, M. Rousselot, pour préparer les esprits, fait distribuer à profusion la notice suivante :
LA SALETTE EXAMINÉE À ROME.
Le 18 juillet 1851, MM. Gerin et Rousselot remettaient à S. S. Pie IX trois lettres : une de Mgr l’évêque de Grenoble, qui accréditait ses deux envoyés, et les deux autres renfermant le secret des deux enfants de la Salette. Chaque enfant avait écrit et cacheté la lettre contenant son secret, en présence de témoins, qui avaient déclaré sur l’enveloppe que l’incluse était de main propre.
S. S. décacheta en notre présence les trois lettres, les lut, et, en commençant celle de Maximin, elle dit : « Il y a là la candeur et la simplicité d’un enfant. » Nous répondîmes que ces enfants étaient de petits montagnards, qui, depuis quelques mois, étaient dans une maison d’éducation.
Pour mieux lire les deux lettres, S. S. se leva et s’approcha d’une fenêtre, dont elle entr’ouvrit le volet. Nous la suivîmes. Après la lecture de la lettre de Mélanie, S. S. nous dit : « Il faut que je relise ces lettres à tête reposée. » Pendant la lecture de cette dernière lettre, une certaine émotion se manifesta sur le visage du Saint-Père, ses lèvres se contractèrent et ses joues se gonflèrent. Lecture faite, le Saint-Père nous dit : « Ce sont des fléaux dont la France est menacée ; elle n’est pas seule coupable : l’Italie, l’Allemagne, toute l’Europe le sont aussi et méritent des châtiments. J’ai moins à craindre de Proudhon que de l’indifférence religieuse et du respect humain. Vos soldats se mettent à genoux quand ils me voient ; mais c’est après avoir regardé auparavant, de droite et de gauche, s’ils ne sont vus de personne. Ce n’est pas sans raison que l’Église est appelée militante, et vous en voyez ici le capitaine (en portant sa main droite sur sa poitrine). J’ai fait examiner votre livre par Mgr Frattini, promoteur de la Foi ; il m’a dit qu’il était bien, qu’il en était content, qu’il respirait la vérité. »
Le lendemain, nous vîmes S. Ém. le cardinal Fornari, auquel je fis hommage de mes écrits sur la Salette. Le cardinal avait eu connaissance du Fait pendant sa nonciature en France. Il nous dit qu’il lirait avec plaisir mon ouvrage : « Au reste, ajouta-t-il, je suis effrayé de tels prodiges. Nous avons dans la religion tout ce qu’il faut pour la conversion des pécheurs, et quand le ciel emploie de tels moyens, il faut que le mal soit grand. »
En arrivant à Rome, nous avions tout d’abord fait connaissance de Mgr Fioramonti, secrétaire de S. S. pour les lettres latines. Ce prélat remplace Mgr Palma, indignement tué, presque sous les yeux du Pape, par les rebelles qui assiégeaient le palais du Quirinal. Il avait déjà pris connaissance du Fait de la Salette par le R. P. Bazile, coadjuteur du prieur de la Chartreuse de Rome. Il nous accueillit avec beaucoup de bonté, promit de nous faire avoir bientôt audience de Sa Sainteté. Je lui offris deux exemplaires de l’ouvrage de la Salette. Il nous fit à chacun cadeau d’un exemplaire du bel ouvrage intitulé : L’Orbe cattolico à Pio IX esulante da Roma, 2 vol. in-4°. C’est la collection des lettres écrites à S. S. de toutes les parties du monde catholique pendant qu’elle était exilée de Rome.
Le Pape nous ayant parlé de Mgr Frattini, promoteur de la Foi, je cherchai le moyen, après le départ de M. Gerin, d’arriver jusqu’à lui. Dans une première visite, il me confirma ce qu’il avait dit au Saint-Père ; me dit qu’il avait lu attentivement, comme c’était son devoir, les livres, depuis la première ligne jusqu’à la dernière, et que, d’après cela, il ne vouait aucune difficulté à ce que Mgr l’évêque de Grenoble allât en avant et fît construire une chapelle sur de vastes et belles proportions au lieu de l’apparition, et qu’on suspendît autant d’ex-voto qu’il y a de miracles dans mes livres et qu’il s’en ferait dans la suite.
Une fois, il me dit que Mgr de Grenoble pouvait faire pour la Salette ce qu’avait fait à Rome S. Ém. le cardinal Patrizi, lequel, en sa qualité d’archevêque de la ville sainte, après avoir réuni une commission, avait déclaré que la conversion de M. Ratisbonne était un miracle dû à l’intercession de la sainte Vierge.
Même dans la canonisation des saints, me disait-il encore, il faut que les PREMIÈRES procédures soient faites par l’Ordinaire du lieu.
Une autre fois, il me dit : « Pour fonder un nouveau sanctuaire en l’honneur de la sainte Vierge, il suffit d’une PROBABILITÉ ; car il ne s’agit pas de canoniser la sainte Vierge. Or, le Fait de la Salette réunit une multitude de probabilités. »
Dès notre arrivée à Rome, nous avions vu le P. Roothan, le P. de Villefort, le P. Rubillon, etc. Le P. Rubillon, assistant du R. P. général pour les provinces de France, après avoir lu les livres sur la Salette, me dit « qu’il était profondément convaincu de la vérité du fait ; qu’il ne voyait pas comment les enfants auraient pu être trompeurs ou trompés, et qu’enfin Mgr de Grenoble pouvait construire une chapelle au lieu de l’apparition ».
Le P. Quéloz, procureur de la congrégation de St-Liguori pour les provinces transalpines de l’ordre, m’a exprimé sa profonde conviction au sujet de la Salette.
Le cardinal Lambruschinj, premier ministre de S. S., évêque de Porto, préfet de la congrégation des Rites, et, en cette qualité, parfaitement instruit des règles de l’Église dans ce qui concerne la canonisation des saints, la publication des miracles, etc., eut la bonté de me dire, dans l’audience qu’il voulut bien m’accorder : « Il y a longtemps que je connais le fait de la Salette, et comme évêque j’y crois, et comme évêque je l’ai prêché dans mon diocèse, et j’ai remarqué que mon discours avait fait une grande impression. Au reste, ajouta S. E., je connais le secret des enfants, le Pape me l’a communiqué. »
Enfin, le 22 août, deux jours avant mon départ de Rome, j’étais aux pieds de Sa Sainteté, qui avait daigné m’admettre en audience de congé. Avec une bonté inexprimable, S. S. me demanda si j’étais content de Rome. Je lui répondis : « Très Saint-Père, je suis très content de tout ce que j’ai vu et entendu ; je suis surtout heureux d’être aux pieds de Votre Sainteté. » Alors, je lui demandai sa bénédiction pour Mgr de Grenoble, pour le chapitre dont j’étais membre, pour le séminaire où j’étais professeur, etc. Sa Sainteté passa dans une pièce voisine, d’où elle me rapporta un beau chapelet que je reçus à genoux. Enfin, sur ma demande, elle donna aussi sa bénédiction aux deux enfants de la Salette, d’une manière très gracieuse.
En résumé, à Rome, on examine avant de croire, mais tous ceux qui ont examiné le fait de la Salette le croient vrai et bien prouvé.
À Rome, ceux qui ont examiné le fait de la Salette reconnaissent à Mgr l’évêque de Grenoble le droit de se prononcer sur ce fait.
Le secret des enfants, dont nous étions porteurs, était de nature à infirmer ou à confirmer le fait lui-même de la Salette. Si ce secret eût été ou puéril ou indigne de Celle qui le donna, il y a cinq ans, le fait lui-même devait tomber.
Cette notice était à peine distribuée, que, sur l’invitation pressante de M. Rousselot, deux prêtres se mettent en quête d’adhésions.
Ces deux prêtres, jeunes encore, sont MM. Sibillat, successivement professeur chez M. Bidal, chez M. Fayollat, à l’établissement d’Oullins, vicaire de la Tronche, aumônier de l’école professionnelle ; enfin, aujourd’hui, missionnaire de la Salette, – et M. Moulin, successivement aussi novice chez les oblats de Marie, vicaire de la Tronche, vicaire de St-Roman, desservant de Dessine, aumônier de la Ferrandière, novice chez les maristes, aumônier de la maison de St-Joseph ; enfin, aujourd’hui, aumônier de la Nativité à La Mure, sur le chemin de la Salette.
L’un et l’autre vont de chambre en chambre requérir des signatures au bas d’une pièce en faveur de la Salette et d’une chapelle. Quelques prêtres cèdent à leurs vives instances, d’autres s’y refusent, ils ne connaissent pas assez les faits, mais ce mode de procéder répugne à la droiture de tous.
Le 28 septembre, plus de cent notices réfutant la première sont adressées sous pli cacheté à autant de prêtres réunis à la retraite. MM. Orcel, supérieur du Séminaire, et Rousselot, professeur, reçoivent la leur des mains du portier, en prennent connaissance ; toutes les autres sont arrêtées ; cela explique peut-être comment M. Rousselot a osé imprimer qu’une lettre à l’adresse du Pape ne serait pas sûre dans les mains du cardinal. Le lendemain 29, plusieurs prêtres sont avertis de l’envoi qui leur a été fait la veille ; ils se plaignent d’être traités comme les élèves imberbes d’un pensionnat et ne reçoivent ni réponse ni lettre. Mais dans l’après-midi, de nouvelles notices, semblables aux premières, sont introduites et remises de la main à la main ; bientôt chaque prêtre a la sienne. Alors seulement les premières sont rendues à leurs propriétaires, il n’y avait plus de motif pour les confisquer ; on les lit, on les commente ; on comprend que les deux quêteurs, MM. Moulin et Sibillat, visaient à une surprise.
Je reproduis cette notice.
LA SALETTE.
Sous ce titre, la Salette examinée à Rome, M. le chanoine Rousselot fait distribuer aux frères et amis réunis à la retraite pastorale une notice dont il est l’auteur et que cependant il n’a pas cru devoir signer.
Quelques affidés, et notamment M. Moulin, aumônier de la Ferrandière, vont de chambre en chambre solliciter des adhésions aveugles.
Pourquoi ces démarches clandestines ?
À quoi tend cette notice ?
La vérité n’a pas besoin de se cacher, elle se produit au grand jour et M. Moulin, en opérant à la sourdine, prouve qu’il ne la comprend pas.
La notice tend à surprendre la religion de quiconque, sur la foi de M. Rousselot, se dispense de réfléchir.
1° Elle indique que MM. Gerin et Rousselot ont été envoyés par Mgr l’évêque de Grenoble auprès de Sa Sainteté pour porter le secret des enfants. Mais elle n’ajoute pas que cette mission a eu pour but principal d’échapper à l’investigation de S. E. le cardinal de Bonald, délégué spécial du Pape, qui n’est arrivé à Grenoble, à jour fixe, que pour être mystifié, comme il l’a dit publiquement lui-même.
2° Elle rend compte de deux entrevues avec le Pape. Dans la première, le Souverain-Pontife dit quelques mots vagues sur la nature du secret. Puis il ajoute ses propres idées, cite Proudhon et parle de nos soldats dans des termes que rappelleraient à peine nos journaux voltairiens et que les convenances ne permettaient pas de reproduire.
Dans la deuxième, il ne dit mot à M. Rousselot de sa mission, il lui donne un chapelet. La notice, nonobstant son titre, prouve elle-même que le Pape n’a pas examiné.
3° Elle avoue que le cardinal Fornari, nonce en France jusqu’en 1850, n’a pas lu les ouvrages de M. Rousselot ; que le cardinal Lambruschini ne les a pas lus non plus. Ces deux cardinaux sont les seuls dont parle la notice. Le fait de la Salette n’a été examiné ni par eux, ni par le Pape. Comment dès lors justifier le titre de la notice ?
La notice désigne ensuite le P. Rubillon, jésuite, et Mgr Frattini, simple prélat, ce qui ne veut pas dire évêque. Ceux-ci ont lu les ouvrages de M. Rousselot et ils donnent à monseigneur de Grenoble le droit de construire une chapelle. (En France, ce droit appartient à tout propriétaire sur son sol.) Mais M. Frattini ajoute une énormité. – Sous le prétexte qu’il ne s’agit pas ici de canoniser la sainte Vierge, il prétend qu’une probabilité suffit pour que l’évêque puisse user de son droit.
L’usage de ce droit, par rapport à la Salette, serait aujourd’hui la canonisation d’un fait contre lequel s’élèvent tous les cardinaux français, tous les évêques de province. Dès lors, ou la notice prête à M. Frattini un langage erroné, ou ce prélat, disciple de Port-Royal, admet que le même fait peut être une erreur et une vérité suivant la différence des lieux. Que deviennent, dans ce cas, l’unité et la catholicité de l’Église ?
M. Rousselot termine sa notice par ces assertions :
1° À Rome, on examine avant de croire : tous ceux qui ont examiné le fait de la Salette le croient vrai et bien prouvé. Or, d’après la notice elle-même, Pape et Cardinaux n’ont pas examiné, donc ils ne croient pas.
2° À Rome, ceux qui ont examiné le fait de la Salette reconnaissent à Mgr de Grenoble le droit de se prononcer sur ce fait. La notice rapporte, sous la plume de M. Rousselot, ses conversations avec le Pape, les deux cardinaux, les prélats et les simples prêtres, il n’en est pas une seule qui consacre ce droit. M. Rousselot a eu une singulière distraction.
3° Le secret des enfants était de nature à infirmer ou à confirmer le fait lui-même de la Salette. Un secret, quel qu’il soit, tant qu’il est à l’état de secret, ne peut ni infirmer ni confirmer. M. Rousselot seul a pu penser ou écrire le contraire.
4° Si le secret eût été ou puéril ou indigne de celle qui le donna, il y a cinq ans, le fait devait tomber par lui-même. Ce qui est puéril ou indigne d’une controverse sérieuse, c’est ce tour de force qui suffirait, à lui seul, pour mettre en doute la bonne foi de l’argumentateur.
Le 19 septembre 1846, Maximin a son apparition vraie ou imaginaire ; quelques jours s’écoulent et il est placé dans la maison des sœurs de la Providence à Corps ; depuis cinq ans, il est tenu en charte privée. Le 18 juillet 1851, MM. Rousselot et Gerin, pour faire admirer davantage la candeur et la simplicité de Maximin, disent au Pape (page 1, ligne 11 de la notice) que depuis quelques mois il est dans des maisons d’éducation. Cinq ans sont-ils quelques mois ? Maximin pouvait-il être séquestré plus tôt ? Les deux émissaires regrettent-ils qu’on n’ait pas commencé son éducation avant le 19 septembre 1846 ? Il est bon, il est moral de venger la religion, la vérité et la sainte théologie.
Les enfants de la Salette ont menti.
Le premier ouvrage de M. Rousselot n’est pas exact.
Les deux suivants déguisent la vérité connue. L’incident d’Ars a été dénaturé par calcul.
Des miracles controuvés sont la base sur laquelle on veut asseoir le fait de la Salette.
Le cardinal de Lyon a été abaissé jusqu’à l’humiliation, et pour le tromper, on n’a pas craint de recourir au mensonge. Les cardinaux français, les évêques voisins ont examiné et ne croient pas.
La religion n’a rien à gagner au fait de la Salette, lors même qu’il serait vrai.
Elle a beaucoup à perdre si on veut, par surprise, accréditer une erreur. Car dans notre siècle peu croyant, peu éclairé en matière religieuse, on est disposé à mettre sur la même ligne les principes, qui sont essentiels, les faits accessoires, qui sont sans conséquence.
Catholique, je viens payer mon tribut à la vérité en la disant tout entière. J’indiquerai sur la Salette le pour et le contre, je citerai les faits, les acteurs, leur langage, leur nom, les lieux et les dates. Je n’avancerai rien sans preuve et du moins, en me lisant, chacun pourra, mettant la main sur sa conscience, dire avec une conviction raisonnée : le fait de la Salette est une réalité ou une comédie. Il est prouvé par sentiment ou par spéculation.
Quelques jours me sont nécessaires pour aller puiser aux sources elles-mêmes mes derniers renseignements, car je veux porter à tous le défi de pouvoir signaler une erreur, et vers le milieu de novembre, ma tâche sera accomplie.
Heureux ! mille fois heureux ! si je puis acquitter avec succès la dette de la religion et faire revivre envers et contre tous, à propos de la Salette, les paroles de notre maître commun : Ego sum via, veritas et vita.
Dans le même moment se répandait au Séminaire le récit suivant d’un voyage à Ars.
UN VOYAGE À ARS.
On publie le récit d’un voyage à Rome, pourquoi ne pas publier celui d’un voyage à Ars ?
M. le curé d’Ars m’a dit : « La Salette est une fable ; l’enfant m’a avoué que c’était une invention ; ainsi, vous avez bien fait de ne pas y croire. Cela vous suffit-il, monsieur ? – Pleinement, répondis-je. »
Comme l’occasion se représentait de voir M. le curé d’Ars ; désireux au fond d’avoir des détails, j’ai demandé et obtenu les suivants que je tiens également de sa bouche. (Je n’étais pas seul).
« L’enfant voulait se confesser ; je n’ai pas voulu y consentir avant qu’il ne se fût expliqué sur la Salette. Or, il m’a dit que la Salette était inventée, qu’il n’avait rien vu, qu’il ne savait pas si c’était le bon ou le malin esprit qui l’avait porté à mentir, qu’il voulait se retirer dans une communauté ; que là, si on l’interrogeait sur la Salette, il répondrait qu’il n’avait plus rien à dire.
« Je lui dis qu’il fallait retourner dans son diocèse et tout raconter à son aumônier (curé, confesseur). Comme il ne le promettait pas, je lui dis que je voulais au moins consulter auparavant mon évêque ; je demandai et pris son adresse pour lui écrire, s’il y avait lieu, afin qu’il vînt commencer sa confession. »
Voilà ce que me rapporta M. le curé d’Ars. Pour mieux m’assurer s’il n’y avait pas eu un malentendu, je lui parlai de la fameuse distinction : – L’enfant ne vous aurait pas dit avoir vu la sainte Vierge, parce qu’il ignore quel est le personnage de l’apparition, mais il n’aurait pas nié qu’il avait vu une dame qui lui aurait parlé tel ou tel langage, et qui avait disparu en s’élevant. « – Du tout, me répondit M. le curé ; l’enfant m’a dit n’avoir rien vu, absolument rien. Il s’est très bien expliqué et je l’ai bien compris. Voici en deux mots ce qu’il voulait : – décharger sa conscience et cependant laisser croire à la Salette, parce que, me disait-il, ça fait du bien. »
J’avais entendu dire que M. le curé d’Ars était sourd, je lui ai trouvé, au contraire, l’ouïe très délicate.
On disait également que M. Reymond, vicaire, était tout dans cette affaire d’Ars. Il n’y est pour rien. Ce n’est pas lui qui a reçu les aveux de Maximin ; il les a même ignorés pendant longtemps.
Ce que M. le curé d’Ars m’a dit à moi-même, il l’a dit, quant à la substance, à une infinité de personnes. Il a complètement déposé sa foi à la Salette depuis qu’il a vu Maximin. On sait combien il était croyant auparavant.
Il y a mille et une choses que l’on pourrait dire encore.
Mais il, ne s’agit ici que d’un voyage à Ars.
(Voilà ce qu’on a entendu raconter par M. Cartellier, curé de Saint-Joseph de Grenoble.)
La lecture de ces deux pièces fut comme un coup de foudre ; 350 prêtres étaient réunis, ils n’étaient plus en retraite, la Salette était dans toutes les bouches, les discussions étaient à l’ordre du jour ; les prêtres qui s’étaient laissés aller à l’invitation de MM. Sibillat et Moulin regrettaient leur confiance aveugle et voulaient biffer leur signature. Le tour était manqué, et force fut au prédicateur de se rendre auprès de l’évêque malade et de réclamer qu’il interposât son autorité pour mettre fin à toutes ces tentatives de captation qui avaient rendu la retraite entièrement stérile.
L’évêque céda, et le prédicateur en termes délicats remplit sa mission ; il était déjà trop tard.
Au moment de quitter le Séminaire pour rentrer dans leurs paroisses, les archiprêtres présents à la retraite croient très convenable d’adresser à Mgr une supplique respectueuse pour que S. G. ne précipite rien dans une affaire aussi grave. L’un d’eux la rédige, elle est signée par les autres ; on ne veut pas de la signature des desservants, il y avait péril pour eux à la donner ; cette pièce n’était ni une contrepartie, ni une protestation, elle était la manifestation d’un désir, d’un vœu fort sage. Pourquoi ce vœu n’a-t-il pas été entendu ?
Les prêtres du diocèse sont à peine rentrés chez eux, que M. Rousselot en personne se met en quête de nouvelles adhésions, il se rend à Vienne. Vers le milieu d’octobre, trente-six prêtres sont réunis pour la conférence chez les deux curés du canton ; une adhésion préparée d’avance est présentée au nom de M. Rousselot. L’un des deux curés engage les prêtres réunis chez lui à signer et il réussit auprès de quelques-uns ; l’autre, homme de conscience et d’intelligence, déclare qu’il n’a pas étudié, qu’il n’a pas dès lors d’opinion à émettre et laisse à chacun de ses confrères la liberté de leur action.
Tous imitent son exemple, l’un d’eux toutefois s’entend avec M. Rousselot, consent à promener de cure en cure l’adhésion si froidement accueillie dans la réunion, remplit avec zèle sa mission, obtient un succès très modeste et contribue à grossir un peu le nombre, si petit encore, des signatures complaisantes.
Nous sommes en novembre et le Mandement est du 19 septembre 1854.
Le succursaliste complaisant n’attend pas longtemps sa récompense. Confiné depuis vingt ans dans une petite paroisse de 700 âmes, il est nommé sur-le-champ curé archiprêtre d’une paroisse de 2,000.
Ainsi se sont passées les choses du 19 septembre 1851 à courant novembre. J’ai eu soin d’indiquer les faits et les dates, de citer textuellement les pièces produites, de nommer les acteurs. Je tenais à prouver que je parlais en connaissance de cause et que je voulais une seule chose, la vérité.
M. Rousselot est loin d’être d’accord avec moi ; il raconte les faits à sa manière. Pour me combattre à son aise, il juge prudent et utile de ne pas me citer textuellement une seule fois, il me prête un langage, une doctrine fruit de sa fébrile imagination, il accouple les articles de journaux, une lettre sur et presque contre le fait de la Salette, adressée par un prêtre de l’évêché à une feuille de Paris, les notices répandues au Séminaire, les articles des journaux de Grenoble, que sais-je ? en ayant soin de ne jamais reproduire une seule pièce qui soit hostile, en insérant au contraire in extenso tout ce qui sort de sa plume ou de la plume de ses partisans, et à l’aide de cette confusion systématique, il égare entièrement le lecteur qui a le courage vraiment méritoire de parcourir son volumineux ouvrage.
Je ne le suivrai pas dans ces détails fastidieux et insignifiants, je viens à ceux qui peuvent éclairer sur la demande expresse de la très grande majorité du clergé au 19 septembre 1851.
Je cite textuellement M. Rousselot.
Je lis, page 61 du Nouveau Sanctuaire, ligne 9. – « La retraite ecclésiastique du diocèse était annoncée pour le 24 septembre et devait être close par un synode, célébré selon toutes les règles. Le bruit se répandit que dans ce synode, Mgr de Grenoble se prononcerait ENFIN sur la Salette 19. Tout semblait mûr pour ce jugement 20 : vœu de l’immense majorité du clergé du diocèse 21 ; attente générale de tous les pays 22 ; examen approfondi pendant cinq ans 23.
Page 63, je lis encore. – « Le 21 septembre, les prêtres arrivaient en foule à la retraite. Un grand nombre demandait avec instance que l’autorité épiscopale se prononçât ENFIN sur le grand évènement 24. La plupart furent d’avis de signer la pétition suivante : (Elle était écrite entièrement de la main de M. le chanoine Chambon.)
« Grenoble, 25 septembre 1851 25.
« Monseigneur,
« Le chapitre de votre Cathédrale et les prêtres soussignés de votre clergé, présents à la retraite, cédant à leur propre conviction et confirmés dans leur croyance par les ENCOURAGEMENTS que vos délégués ont reçus à Rome, vous prient avec de respectueuses instances d’annoncer publiquement que vous autorisez le pèlerinage de la Salette, que vous vous proposez d’y construire prochainement un sanctuaire et que vous inviterez les fidèles de votre diocèse, de la France et de l’étranger, à vous aider pour cette bonne œuvre, par des souscriptions et par des aumônes. »
« Cette pièce reçut BIENTÔT 26 environ 240 signatures données librement quoiqu’on ait dit le contraire 27. Comme si des prêtres étaient capables de céder à des influences contre leur propre conviction 28. Cependant l’opposition dressa une contre-pétition qui obtint dix-sept signatures dont trois n’auraient pas dû y figurer, même au jugement des opposants 29. Ceux-ci récriminaient contre leurs adversaires et priaient Mgr de surseoir à son jugement 30 ; en même temps, ils inondèrent le Séminaire de deux petits écrits lithographiés 31, l’un portant la signature J. Robert, lequel eût été singulièrement embarrassé s’il eût été interrogé judiciairement sur les personnes et sur les choses dont il parlait tout à son aise 32 ; l’autre était attribué assez généralement à M. l’abbé Cartellier, curé de Saint-Joseph, lequel quelques jours plus tard le faisait imprimer avec sa signature, dans trois journaux de la ville 33. La première pièce n’était qu’un tissu serré de mensonges et de paralogismes 34. La seconde commençait par ces mots révoltants : On parle d’un voyage à Rome, pourquoi ne parlerait-on pas d’un voyage à Ars ? Comme si l’autorité d’un bon curé de village pouvait être mise en parallèle avec celle du Souverain-Pontife romain ? Comme si, aux yeux de tout homme sensé, le voyage de Rome n’était pas l’anéantissement de celui d’Ars 35 ?
« Ce préambule seul était une extravagance ou une insulte à la plus grande autorité qu’il y ait sur la terre... Par amour de la paix 36, on cessa de présenter la première pétition 37 à la signature des ecclésiastiques, dont plusieurs regrettèrent de ne l’avoir pas connue 38 et d’autres rentrés chez eux envoyèrent leur adhésion. »
(Nouveau Sanctuaire à Marie, par M. Rousselot, page 65.)
Je suspends le récit de M. Rousselot ; aussi bien, si je songeais à réfuter son dernier ouvrage, il n’est pas une phrase de ses 299 pages qui ne prêtât à un commentaire aussi étendu que celui auquel j’ai été condamné pour rétablir la vérité profondément altérée dans les quelques lignes que je viens de citer, et certes je n’en ai nulle envie. Je viens aux points essentiels.
M. Rousselot arrive par des voies détournées aux points que j’avais établis et à la date à laquelle je m’étais arrêté.
Il arrive en arrangeant les faits à sa façon et en les groupant de manière à induire constamment en erreur. Du reste, il n’en cite aucun en particulier ; manière commode de faire l’histoire au lieu de la respecter.
Pour moi, j’ai cité toutes les dates, j’ai indiqué, un à un, les faits et les incidents, et, je le déclare devant Dieu, rien ne me serait plus agréable que de pouvoir m’arrêter à la pensée que j’ai été trompé.
Malheureusement il n’en est pas ainsi, j’écrivais, les pièces probantes sous les yeux.
Je suis, comme M. Rousselot, au 16 novembre. Ce jour-là, le Mandement se lit dans les 600 églises et chapelles du diocèse ; la distance qui séparait sa date, 19 septembre du 16 novembre, provenait de l’envoi qui en avait été fait non pas au Pape, mais, ce qui est bien différent, à un illustre prince de l’Église romaine, qui avait indiqué de légères modifications à faire. (Nouveau Sanctuaire à Marie, page 71).
Il tombe sous les sens que ces légères modifications ne sauraient porter sur un fait matériel, qui ne peut avoir de juges éclairés que sur le lieu même où il s’est produit.
Le Mandement du 19 septembre constatait donc déjà la demande expresse de la très grande majorité du clergé et de tous les membres du chapitre.
La pétition rapportée par M. Rousselot (page 61), établit que les premières signatures ont été demandées le 25 septembre. Le Mandement, on l’avouera, ne présente pas dans ses assertions une précision mathématique.
Cette assertion indique toutefois pourquoi M. Rousselot mettait en campagne MM. Sibillat et Moulin. Le Mandement ne pouvait probablement obtenir l’adhésion du prince de l’Église romaine que sur l’assurance de la conviction éprouvée par 800 prêtres ; il fallait pouvoir la lui donner ; et comment le faire, si on ne l’obtenait pas, en réalité, des prêtres présents à la retraite ; par présomption, des prêtres absents ?
La tactique de M. Rousselot avait échoué à la retraite, il poursuit ses recherches à domicile. L’assertion du Mandement nous donne la clé de sa persistance.
Soyons généreux toutefois, et venons au 16 novembre.
Ce jour-là, le Mandement se lit dans toutes les chaires, il est envoyé à tous les évêques, il est semé dans tout le diocèse à plusieurs milliers d’exemplaires.
Le nombre des prêtres diocésains est de 819.
Le nombre des signataires est de 240 environ, d’après M. Rousselot.
Le Mandement affirme que la demande du jugement doctrinal est faite par la très grande majorité du clergé.
240 sont ainsi décrétés une très grande majorité par rapport à 819.
M. Rousselot a à sa disposition des règles de proportion inconnues au monde civilisé.
Il est vrai qu’il comptait sur l’aide de M. Orcel, son corapporteur.
Ses quêtes de signatures au Séminaire lui avaient ménagé un demi-succès, maladroitement arrêté par la notice de M. Cartellier.
Il croyait à la probabilité d’un succès plus grand en sollicitant à domicile.
Et comme, d’après M. Orcel, la très grande probabilité et la certitude sont identiquement les mêmes, (Vérité sur l’évènement de la Salette, page 26). M. Rousselot affirmait par avance et donnait comme chose consommée ce qu’il considérait comme très probable.
En homme prudent, toutefois, il prenait les moyens les plus sûrs d’éviter un nouvel échec.
– M. Cartellier avait eu la témérité de lever le bouclier, il reçoit de son administration plusieurs lettres outrageantes dans le fond et dans la forme. Il n’avait plus qu’un parti à prendre, faire le mort.
– Le 16 novembre, M. Robert, vicaire de Saint-André de Grenoble, lit le Mandement en chaire ; ou l’accuse de ne pas l’avoir fait avec ce ton qui dénote la conviction. – Incontinent il est retiré de son poste, qu’il occupait depuis douze ans et où il jouissait de l’estime et de l’affection générales. Il est confiné dans une triste et pauvre montagne. Jour lui est assigné pour s’y rendre.
L’abbé Robert est atteint d’une maladie d’entrailles qui ne lui permet pas d’habiter les pays froids, son médecin l’atteste et, armé de ce certificat, M. Robert réclame respectueusement ; il reçoit ordre de partir trois jours plus tôt, et tout pouvoir spirituel lui est enlevé. Défense lui est faite de dire la messe à St-André.
Il se résigne à attendre des temps meilleurs.
Le jour de Noël, il paraît à la grand’messe, non pas pour la dire, mais pour aider dans les cérémonies. Le lendemain, on lui intime la défense de paraître à Saint-André en habit de chœur.
Bientôt il est interdit.
Il prend son parti, il s’éloigne d’un diocèse inhospitalier, il prend rang parmi les aumôniers de la marine ; il est aujourd’hui sur le Napoléon.
– Le 16 novembre encore, M. Koenig, curé de Tullins, monte en chaire, il connaît le Mandement doctrinal, il n’a pas besoin de réfléchir pour s’y soumettre ; mais il est allé à Ars, il a vu le saint curé de cette paroisse, il sait ce que lui a dit Maximin. Et alors que le fait de la Salette était encore dans le domaine de la liberté, deux fois il en avait parlé à ses ouailles et il l’avait fait conformément aux impressions qu’il avait rapportées d’Ars. Avant de s’interdire toute parole qui indique même le doute, il éprouve le besoin de prouver à sa paroisse qu’il n’a pas agi avec légèreté, il revient sur les détails de sa conversation avec M. Vianay, puis il annonce qu’un Mandement sera lu le dimanche suivant, et que, courbant la tête sous les ordres de son évêque, désormais sa bouche sera close à jamais.
Le surlendemain de ce jour, M. Koenig est interdit de la chaire pour six mois. Un de ses vicaires accepte la mission de proclamer en chaire que l’opinion d’un curé s’efface devant celle de son évêque, et que dès lors le langage de M. Koenig est sans valeur aucune.
– Le vicaire s’exécute. Il avait un collègue qui gémissait sur ces conflits et se taisait. Ce collègue est immédiatement retiré de Tullins, et malgré douze ans de vicariat, rejeté dans un poste inférieur, où aucun prêtre ne pouvait se maintenir.
Il espérait que cette punition ne serait pas de longue durée, il se trompait. Il va rendre visite à une vieille tante profondément chrétienne, mais qui ne pouvait, malgré tous ses efforts, se résigner à croire à la Salette. Il rassure cette conscience alarmée, il lui répète que cette croyance n’est pas rigoureuse et que la porte du ciel ne lui sera pas fermée pour cela. Son langage si vrai est connu à l’évêché, et, sur-le-champ, M. Rousselot lui adresse une longue philippique. Il le prévient que cette voie ne le conduira jamais à un poste convenable.
M. Rousselot a tenu sa parole, M. le vicaire Massot est aujourd’hui desservant d’une chapelle de quatre cent quatre-vingts âmes.
Revenons à M. Koenig.
Un interdit de la chaire pour six mois ne parut pas suffisant. Les évènements du 2 décembre avaient fait décerner aux préfets des pouvoirs discrétionnaires. Poursuivi depuis cinq à six ans par sept à huit familles de sa paroisse, qu’il avait appelées à l’exercice de la charité, mais idole de toute la population, M Koenig avait constamment trouvé dans l’administration diocésaine protection et défense, et il la méritait, car nul prêtre n’est meilleur que lui. Tout-à-coup, ses défenseurs l’abandonnent. Ils font plus, ils dénoncent au bras séculier l’incrédule à la Salette, et le jour est pris pour le faire enlever, emprisonner, puis déporter à Cayenne.
La Providence permet que ce projet parvienne à la connaissance de l’un de ses confrères et amis, rédacteur d’un journal fondé depuis quatre ans par M. Rousselot, à la recommandation de Mgr l’évêque. Ce journal, dès 1848, avait arboré le drapeau napoléonien. Les évènements du 2 décembre avaient naturellement amené des relations entre son rédacteur et l’autorité civile ; celui-ci en profite pour déjouer le complot qui menaçait la liberté de M. Koenig, et il est secondé dans cette tâche laborieuse par M. le général d’artillerie Rey.
Ils ne savaient comprendre ni l’un ni l’autre comment la prison et Cayenne pouvaient être un argument en faveur de la foi à la Salette.
Leurs premières démarches aboutissent à un ajournement, c’était déjà beaucoup. Ils mettent à profit une relâche de vingt-quatre heures pour appeler auprès d’eux M. l’abbé Koenig. Ils le gardent en quelque sorte à vue pendant dix jours, et n’obtiennent pour lui le droit provisoire de rentrer à Tullins en sûreté qu’à raison du vote des 20 et 21 décembre, et de l’influence que sa présence seule exercerait sur le vote de ses nombreux et dévoués amis.
M. Koenig rentre le 20 décembre ; quelques jours s’écoulent, et porteur d’une lettre de M. le général Rey à M. le général de Castellane, il se rend à Lyon.
Tout s’explique. Un frère d’armes répond au général en chef de l’homme qu’on lui a dépeint sous les plus noires couleurs. Cela suffit à la loyauté, à l’honneur d’un militaire, M. Koenig est désormais en sûreté.
Le lendemain de cette entrevue, M. Tisserandot, sous-préfet de Vienne, était chez le général Castellane ; il apprenait de lui la visite que lui avait faite M. Koenig, la lettre qu’il lui avait remise de la part de M. le général Rey, la garantie personnelle que lui avait offerte cet ancien frère d’armes, la délivrance de Cayenne, oui de Cayenne ! que M. Koenig devait exclusivement à cette garantie, et M. le général de Castellane en écrivait au général Rey.
De retour à Vienne, M. Tisserandot félicita les ecclésiastiques de cette ville et entre autres le plus intelligent de tous, M. Gillos, curé de Saint-André-le-Bas, de la loyale protection accordée à leur confrère de Tullins par un soldat de l’empire, qui avait appris, qui pratiquait l’honneur militaire, tel qu’on le connaît sous les drapeaux français.
M. Koenig était hors d’affaire ; il devait sa sécurité à son confrère l’abbé Déléon, ami du général Rey. Ce confrère avait droit à une récompense ; elle ne se fit pas attendre.
M. Déléon dirigeait depuis le 1er juillet 1848 un journal politique et religieux.
Ce journal était fondé par M. Rousselot et vivement recommandé par Mgr l’évêque. Les circulaires étaient signées par eux.
En octobre 1848, M. Déléon soutenait publiquement la candidature de Louis-Napoléon à la présidence de la République.
M. Rousselot insérait dans les Mandements de l’évêché des notes manuscrites en faveur du général Cavaignac.
Bientôt il réclama de M. Déléon des articles en faveur de son premier ouvrage sur la Salette.
M. Déléon ne croyait pas ; il ne put pas obtempérer au désir de son ami, mais il lui offrit d’insérer tout ce qu’il voudrait bien écrire et défendre lui-même.
M. Déléon ne pouvait pas aller plus loin sans trafiquer de sa conscience.
En 1850, M. Rousselot publie un deuxième volume sur la Salette ; il renouvelle ses demandes d’articles favorables ; il reçoit les mêmes réponses.
Quoique chargé de la direction d’un journal, M. Déléon était curé de Villeurbanne ; mais par arrangement approuvé du ministère, il avait, de concert avec son évêque, mis un ecclésiastique à sa place.
Dans le but de régulariser la position de cette paroisse, il avait donné au mois d’août 1850 sa démission, sous diverses conditions.
Cette démission ne fut pas acceptée ; vingt lettres l’attestent, et le titre devint un chiffon de papier pour tout homme loyal.
M. Rousselot fut chargé par son évêque de traiter sur des bases nouvelles.
Il commença sa mission le 17 août. Après plusieurs conférences et lettres, il posa des bases que M. Déléon accepta, et le 3 novembre encore, il lui écrivit que Mgr l’évêque, pressé par de nombreuses occupations, l’avait remis à quelques jours pour finir cette affaire.
Le lendemain 4, une lettre administrative annonce à M. Déléon qu’on a donné suite à sa démission et qu’on l’a fait de concert avec M. le préfet.
M. le préfet, informé du rôle qu’on lui prête, dément cette assertion.
M. Déléon réclame contre la violation de la foi promise et l’usage subreptice d’une pièce annulée et dont le retrait eût été de sa part une insulte à l’honneur de celui qui l’avait entre ses mains.
Il formule un appel en conseil d’État et le notifie.
L’administration diocésaine s’émeut ; elle demande une conférence au conseil de M. Déléon. Cette conférence a lieu ; elle amène la singulière justification qui suit et qui est présentée par le premier vicaire général, en présence de ses deux collègues : « Il a été arrêté en conseil épiscopal qu’on laisserait M. Rousselot poursuivre sa mission, qu’on ajournerait la solution définitive sous un prétexte quelconque et que, pendant ce temps, on agirait à son insu à Paris, en s’appuyant sur la démission du mois d’août, jusqu’à ce qu’on eût obtenu le remplacement de M. Déléon. Tout alors serait fini. »
Cette tactique de forme nouvelle mit fin à la conférence, car M. Rousselot se prêta à ce rôle de mannequin.
M. Rousselot avait une dette à acquitter envers M. Déléon. Celui-ci, en 1833, était curé à Saint-Ismier, près Grenoble ; il faisait l’éducation de quelques jeunes élèves, parmi eux, les fils de M. le premier président, député de l’Isère ; de M. le préfet, de M. le général commandant le département. Il avait à Paris des relations nombreuses et puissantes. – M. Rousselot était proposé pour un canonicat, mais les mois s’écoulaient et le gouvernement n’adhérait pas, car M. Rousselot était à la tête d’un cercle légitimiste, ses opinions exagérées étaient connues. M. Déléon n’hésita pas à intervenir dans l’intérêt d’un vieil ami, il remua ciel et terre ; il réussit, et M. Rousselot fut chanoine.
Dix-sept ans plus tard, M. Rousselot acquittait cette dette : il laissait dépouiller, aux dépens de sa dignité et de la justice, celui qu’il avait la mission de défendre ; comme Pilate, il se contentait de se laver les mains.
M. Déléon, sous les inspirations de son conseil, élève un incident et assigne à Grenoble en conciliation.
Le 26 février, par jugement régulier, la conciliation est repoussée sous le double prétexte que la demande n’est pas du ressort des tribunaux ordinaires et qu’au fond elle ne repose sur rien de sérieux.
L’action se poursuit à Grenoble devant les tribunaux ordinaires.
L’administration diocésaine s’émeut de nouveau, et nonobstant le verbal de non-conciliation, elle souscrit un traité qui rétablit à peu de choses près la situation convenue six mois auparavant entre M. Déléon et M. Rousselot.
Le traité réparait en grande partie, mais il était la preuve manifeste qu’une injustice avait été commise.
Il réparait, mais M. Déléon ne l’acceptait que sous la réserve des droits de la conscience. En d’autres termes, il renonçait à l’action judiciaire, mais il ne renonçait pas à cet adage de la morale catholique : Non remittitur peccatum, nisi restituatur ablatum.
Il réparait, mais sur les exigences de M. Déléon, qu’on avait voulu effrayer, dans le cours des débats, par la menace d’un interdit, il consacrait le principe que jamais l’interdit n’avait pu l’atteindre.
Ce point est essentiel ; il était arrêté le 15 avril 1851.
C’est le 5 janvier suivant que M. Déléon contribuait à la libération de M. Koenig.
Le 7 janvier, l’administration diocésaine sollicite de M. le préfet la suspension du journal que M. Déléon dirige.
La loyauté de M. le préfet se soulève à cette proposition, et le journal est respecté.
M. Déléon se rend à Paris pour affaires personnelles.
Une lettre brûlante de l’administration diocésaine vient, à la date du 30 janvier, lui annoncer dans cette ville qu’il est interdit.
Interdit ! Pourquoi ?
C’est M. Rousselot, c’est son évêque qui, à sa demande, ont fixé par écrit les points sur lesquels cet interdit repose.
Jamais à aucune époque, ni l’un ni l’autre, ni aucun membre de l’administration diocésaine ne lui ont fait le moindre signe, ne lui ont donné le plus léger avis, pour qu’il apportât une modification quelconque au règlement qu’il avait reçu des mains de son évêque.
Il y a plus, trois mois après le 30 janvier, M. Rousselot avouait à M. Déléon, en présence de son conseil, la conviction où était l’administration que si le moindre avis avait été donné à M. Déléon sur quoi que ce soit, à l’instant même, la modification aurait été faite sans réflexion aucune.
Cet aveu dit tout. Mais ce qui parle plus haut encore, si la chose est possible, c’est que l’interdit du 30 janvier est notifié à M. le préfet le jour même ; c’est que le 23 février, par ordre de M. Rousselot, un de ses amis, fonctionnaire public, parcourt toutes les cures de la vallée du Graisivaudan, annonçant cet interdit et calomniant celui contre lequel il était décerné ; c’est que le secrétaire de l’évêché le dit et le répète à qui veut l’entendre ; c’est que bientôt les huit cent dix-neuf prêtres du diocèse en sont informés.
Le seul soupçon de cet interdit eût été de la part de M. Déléon l’insulte la plus outrageante qu’il pût faire au caractère de son évêque, à sa délicatesse, à sa justice, à son honneur. – L’interdit n’en est pas moins porté, publié avec un luxe qui ferait désespérer de la vertu, si la vertu n’avait pas Dieu pour principe.
Aussi M. Déléon marche le front haut, et il a raison, mille fois raison. Il a l’estime de tout ce qui est intelligent et moral ; que lui importe le reste ?
Comment ne posséderait-il pas cette estime ?
Bienfaiteur de M. Rousselot, il est immolé par lui, en 1850, et il est immolé parce qu’il a la conscience de son opinion.
Sauveur de M. Koenig, il est interdit parce qu’il a arraché à Cayenne une victime du fanatisme religieux.
Incrédule à la Salette, il est diffamé, calomnié par ceux-là même qui ont la mission d’enseigner aux autres la justice et la charité, et qui violent par rapport à lui toutes les lois de l’Évangile, tous les préceptes de ta théologie, toutes les prescriptions de l’honneur.
Quel est donc le secret de cette triste et déplorable énigme ?
Un incrédule à la Salette, quand on redoute sa plume, est, aux yeux de M. Rousselot, ce qu’un Chrétien est aux yeux d’un Turc.
Tout est-il fini par rapport aux victimes de la Salette ?
Trop longue en serait l’énumération. Une citation encore, et je m’arrête.
Depuis vingt-trois ans, M. Guillaud était supérieur ou professeur au Petit-Séminaire. Il joignait à une instruction variée et profonde un commerce agréable aux parents, aux élèves, et sous sa direction habile, l’établissement florissait.
M. Guillaud ne croit pas à la Salette. Il est brusquement rejeté dans une petite paroisse de campagne avec le titre modeste de desservant.
Quelques années auparavant, un supérieur moins instruit que lui s’était retiré. Il avait été nommé chanoine de la Cathédrale, professeur d’éloquence sacrée au Grand-Séminaire, membre du conseil académique, que sais-je ? Les honneurs l’écrasaient.
Il est vrai qu’il croyait à la Salette ; il ne se contentait pas de croire, il écrivait pour elle. – Ce supérieur est M. le chanoine Chambon.
L’éloignement de M. Guillaud réclamait l’appel d’un supérieur. On l’avait sous la main.
Dans le courant de mai, on avait répandu le bruit que S. E. le cardinal de Bonald avait été converti à la foi de N. D. de la Salette à la suite d’une guérison miraculeuse opérée sur un de ses neveux.
Bientôt on sut que tout cela était une fable ; que Mgr le cardinal n’avait pas de neveu guéri par l’invocation de la Salette, et que son opinion n’avait pas varié.
Un enfant de neuf à dix ans va au Petit-Séminaire, accompagné de sa mère ; cet enfant était étranger.
Le soir même, M. Debut, directeur de la maison, se rend au milieu des élèves ; il leur raconte qu’il a eu le bonheur de voir le neveu du cardinal, que ce neveu a été guéri miraculeusement et il pérore sur ce conte que le cardinal avait déjà démenti.
M. Debut est choisi pour supérieur du Petit-Séminaire ; il est de plus nommé chanoine honoraire.
M. Grisel, desservant de Chuzelle, près Vienne, avait consenti, quelques mois auparavant, à quêter de cure en cure quelques signatures pour la Salette. Il avait été nommé curé archiprêtre de St-Étienne-de-St-Geoires.
M. Melin, procuré de Corps, était un fervent adepte de la Salette : il est nommé chanoine honoraire.
M. Burnoud consent à se mettre à la tête des missionnaires de la Salette : il est nommé à son tour chanoine honoraire.
M. Gobert, vicaire à Calais (Pas-de-Calais), consent à être dans ce pays le correspondant de M. Rousselot pour la Salette ; il est nommé chanoine honoraire de Grenoble.
La foi à la Salette est une source assurée de titres et d’honneurs ; l’incroyance à la Salette est un titre à la proscription.
Dans cet état de choses, M. Rousselot comptait bien ne pas éprouver trop de résistance, lorsqu’il lui plairait réclamer de nouvelles adhésions. Il se trompait toutefois en partie ; mais il peut se rendre ce témoignage que ce ne fut pas sa faute.
Des chansons sont écrites par un moderne Béranger. M. Rousselot croit pouvoir l’appeler la valetaille (sic) de l’opposition, comme si un écrivain qui se respecte pouvait se permettre cette ignoble expression. Ces chansons sont expédiées par la poste. L’oubli, voilà la seule réponse qu’elles méritaient. C’est la seule qu’elles n’obtiennent pas.
Une circulaire épiscopale est adressée aux huit cent dix-neuf prêtres du diocèse. Elle apprend aux dix-neuf vingtièmes d’entre eux l’existence de chansons qui leur étaient inconnues, leur fait naître le désir de les connaître. Elle parle de l’audace sacrilège, des injures horribles, des termes grossiers, des insultes indignes de leur auteur ; elle convie tous les prêtres à imiter leur évêque, qui oublie, pardonne et prie ; et qui toutefois termine par la fulmination de la suspense ipso facto contre les auteurs, éditeurs, propagateurs, fauteurs ou conseillers.
Je l’ai dit, les dix-neuf vingtièmes du clergé diocésain ne connaissaient pas ces chansons ; la circulaire leur apprend que leur évêque a été insulté ; sur-le-champ, ils protestent en termes énergiques ; ils s’indignent contre la lâcheté de l’insulte ; ils font acte de convenance, de moralité, de religion, mais ils ne vont pas au-delà, et en vérité ils ne le pouvaient pas.
Sous la plume de M. Rousselot, page 75, ligne 31, cette protestation contre l’insulte faite à leur évêque est une preuve de plus de la foi de tous à la Salette.
Personne ne prise moins que moi les chansons incriminées ; personne ne déplore plus amèrement que moi les insultes déversées sur l’évêque de Grenoble. Donc, d’après M. Rousselot, j’ai foi à la Salette.
Quel pitoyable sophisme !
Voilà, cependant, ce que M. Rousselot appelle des adhésions à la Salette ! Je lui saurai gré d’y joindre la mienne.
La première partie de mon ouvrage paraît. À l’instant paraît aussi une deuxième circulaire épiscopale. Elle renchérit sur la première, qui se contentait de prononcer la suspense ; celle-ci prononce l’excommunication.
Cette circulaire est lue aux prêtres réunis à la retraite pastorale, non par Mgr, comme le dit M. Rousselot, page 84, ligne 28 de son Nouveau Sanctuaire, mais par le prédicateur.
Le soir même, M. Albert, curé de Voiron, réunit ses confrères et les pérore pour obtenir leur signature et leur adhésion à la Salette. Il éprouve de la résistance, et la partie est remise au lendemain.
Le lendemain, une première protestation est présentée. Les termes sont trop explicites, on les modifie, et on adopte, contre un ouvrage qu’on n’avait pas lu, la rédaction suivante, qui constate la soumission de tous à l’autorité de l’évêque, mais qui ne constate pas du tout une adhésion personnelle au fait de la Salette.
« Monseigneur,
« Les membres soussignés du clergé, réunis pour la retraite pastorale, soumis à l’autorité de leur évêque portant son jugement doctrinal sur le fait de la Salette, protestent spontanément et avec énergie contre tout ce qu’un pamphlet qui vient de paraître contient d’injurieux au premier pasteur du diocèse 39 et à des confrères honorés et investis de votre confiance et que nous aimons et vénérons comme nos pères, ou que nous chérissons comme des frères et des amis. Ils protestent également contre tout écrit semblable qui serait publié à l’avenir. »
À en croire M. Rousselot, cette protestation fut couverte sur-le-champ de 212 signatures, et le samedi 11, le dimanche 12, le lundi 13, la retraite comptait à peine cent prêtres présents au Séminaire !
Le dimanche 12 septembre, ils se rendaient processionnellement du Séminaire à la Cathédrale ; la ville entière les a comptés, ils n’étaient pas cent.
Chacun d’eux aurait-il signé par procuration pour un de ses confrères absents ?
Récapitulons avec M. Rousselot et faisons-le généreusement.
En 1851, le 19 septembre, date du Mandement, aucun prêtre n’avait demandé que Monseigneur se prononçât.
En 1851, le 25 septembre, aucun n’y songe encore. M. Rousselot y songe pour tous. Il prépare sa rédaction, il la fait colporter de chambre en chambre par MM. Sibillat et Moulin. – Il échoue.
En 1851, du 1er octobre au 16 novembre, il poursuit ses quêtes au dehors ; il recourt aux bons offices de M. Grisel. – À ce jour-là, il a obtenu, d’après lui-même, deux cent quarante signatures sur huit cent dix-neuf prêtres.
En 1852, au mois de septembre, il en obtient deux cent douze encore ; mais ces deux cent douze ne sont pas une adhésion à la Salette, nous l’avons vu ; mais dans ces deux cent douze se trouvent une très grande partie des deux cent quarante de l’année précédente, car les unes et les autres ont été données à la retraite et chaque année voit se reproduire à la retraite un bon nombre d’habitués.
Dans tout cela, où se trouve cette grande majorité des membres du clergé, demandant expressément le jugement doctrinal ?
Mais je veux admettre un instant, contre la réalité et contre l’évidence, que les deux cent quarante signatures sont différentes des 212 qui sont venues après ; je veux admettre que ce nombre se soit augmenté depuis l’exécution de MM. Robert, Koenig, Massot, Déléon, Guillaud, etc., etc., que faut-il en conclure ?
La crainte d’être déplacés, renvoyés du diocèse, interdits, a seule déterminé la presque totalité des signatures données dans tel ou tel sens ; sous l’impression de terreur que chacun ressentait, il se faisait violence pour laisser croire à sa foi à la Salette ; il se gardait bien de parler, d’exprimer sa pensée ; il connaissait le danger dont il était menacé, il tenait à le prévenir.
M. Rousselot en veut-il une preuve ?
Mgr l’évêque de Gap, Mgr le coadjuteur de Belley sont venus donner la confirmation dans une grande partie du diocèse de Grenoble ; presque partout il a été question de la Salette, nulle part ils n’ont rencontré un prêtre qui leur ait dit : Je crois. –Partout, ils en ont trouvé beaucoup, beaucoup qui leur ont dit le contraire.
S. E. le cardinal a reçu à Lyon la visite de nombreux prêtres du diocèse de Grenoble ; il a entendu leurs plaintes sur le régime de terreur qui pesait à chacun d’eux, sur la violence morale qui arrachait leurs adhésions. Il n’est pas jusqu’aux séminaristes, élèves de la classe de M. Rousselot, qui ne se soient plaints à l’archevêché de voir chaque jour l’enseignement de la Salette remplacer dans la bouche de leur maître l’enseignement de la morale ; comme si déjà, au Séminaire, la Salette devait tenir lieu de tout.
Voilà la vérité vraie. Pour l’infirmer, M. Rousselot a besoin d’une déclaration négative de la main même des trois prélats. Cette déclaration, je lui porte le défi de l’obtenir jamais.
Finissons-en.
Lorsque les Apôtres, les Disciples entendaient la voix de J.-C., ils s’inclinaient devant elle, ils croyaient.
Sur quel motif reposait leur foi ?
Eux-mêmes nous l’apprennent.
« Maître, disaient-ils, nous savons que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité. » (Saint Marc, 12-14 ; saint Mathieu, 22-16.)
Le 19 septembre 1851, aucun prêtre n’avait sollicité la décision doctrinale.
Deux mois plus tard, les adhésions quêtées, soit au Séminaire, soit à domicile, atteignent, d’après M. Rousselot, le chiffre de 240 sur 819 prêtres.
Un an après, malgré les honneurs et les récompenses décernés aux partisans de la Salette, malgré les persécutions et les interdits lancés contre les incroyants, la foi à la Salette ne progresse pas.
La grande majorité du clergé dépose dans la conscience des évoques voisins qu’elle est incrédule à la Salette.
Le Mandement du 19 septembre 1851 affirme que, déjà à cette date, la très grande majorité des prêtres du diocèse a expressément demandé la décision doctrinale de la Salette.
Humble fidèle, puis-je, à l’exemple des Apôtres, des Disciples, m’incliner devant le Mandement et dire :
« Maître, je sais que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité. »
J’ai fait le rapprochement.
J’ai posé la question.
Une haute convenance ne me permet pas de donner la réponse.
La conscience publique appréciera.
Passons à la neuvième assertion du Mandement doctrinal.
CHAPITRE X.
NEUVIÈME ASSERTION.
Contradicteurs ou opposants impuissants à ébranler une conviction reposant sur un évènement inexplicable sans l’intervention divine.
« On sait que nous n’avons pas manqué de contradicteurs..... Mais pour altérer notre croyance à un évènement si extraordinaire, si inexplicable sans l’intervention divine, dont toutes les circonstances et les suites se réunissent pour nous montrer le doigt de Dieu, il nous aurait fallu un fait contraire, aussi extraordinaire, aussi inexplicable que celui de la Salette, ou du moins qui expliquât naturellement celui-ci.
« Impassibilité d’expliquer le Fait de la Salette autrement que par l’intervention divine, de quelque manière qu’on l’envisage, soit dans lui-même, soit dans ses circonstances.... »
(Mandement doctrinal du 19
septembre 1851, §§ 10 et 18.)
Quels sont donc ces contradicteurs dont parle le Mandement ?
Un seul se présente, homme sérieux, éclairé sur l’ensemble et sur les détails de l’affaire de la Salette ; c’est M. Cartellier, curé de Saint-Joseph.
Mais, je l’ai dit déjà et je le répète, M. Cartellier n’a rien publié, n’a rien répandu par la voie de la presse. Quel résultat pouvait produire son opinion silencieuse en présence de la propagande effrénée des opuscules de MM. Bez et Rousselot ?
Ce contradicteur n’aurait pas dû inquiéter un seul instant.
M. Cartellier comptait avec lui trois prêtres de la commission, qui étaient incrédules aussi.
– M. Berthier, vicaire général. Le Mandement doctrinal est proclamé, il est en opposition avec le sentiment de M. Berthier, et celui-ci ne balance pas pour conserver sa position officielle auprès d’une administration qui, dans une question aussi majeure, en prend entièrement à l’aise avec lui. M. Berthier n’est pas un contradicteur dangereux.
– M. Genevey, curé de Saint-Louis. Un Mandement, à la date du 1er mai, ordonne une quête dans toutes les églises du diocèse pour l’érection d’une chapelle sur la montagne de la Salette. M. Genevey, l’incroyant, fait lui-même de ses propres mains la quête qui contribuera à fixer éternellement un miracle auquel il ne croit pas. Assurément, ce n’est pas là un contradicteur redoutable.
– M. Delemps, curé de Saint-André. Toujours ami de la délicatesse, des convenances, de la modération, M. Delemps a considéré sa tâche comme finie, le 13 décembre 1847, jour de la clôture des conférences à l’évêché. Jamais il n’a adhéré à la Salette, jamais il n’a fait de quête pour la chapelle, mais jamais il n’a été opposant que par son silence. – M. Delemps n’est pas un contradicteur dans l’acception de ce mot.
Je ne parle pas de trois à quatre articles de journaux qui ont paru en cinq ans, qui ont à peine effleuré l’incident d’Ars, et qui n’ont pas traité la matière ex professo.
Je ne parle pas du clergé diocésain, qui n’a dit mot tant qu’un Mandement doctrinal a respecté sa conscience et sa liberté.
Dès lors, je le demande, où sont ces contradicteurs dont parle le Mandement du 19 septembre 1851 ?
Ce Mandement seul a soulevé la tempête ; non pas parce qu’il plaisait à l’autorité ecclésiastique de porter un jugement favorable, c’était son droit, comme c’est celui de toute personne intelligente d’examiner et de juger un fait ; mais parce que, contrairement à ce qui s’est jamais pratiqué, il lui plaisait d’imposer sa croyance en étouffant toute discussion ; comme si les œuvres de Dieu avaient quelque chose à redouter d’une discussion grave et réfléchie.
Le 3 juin 1842, le cardinal Patrizi proclame miraculeuse la conversion de M. Ratisbonne.
Comment procède-t-il ? Il fait subir un interrogatoire sur la substance du fait, sur les résultats du fait. Puis, après avoir suivi les prescriptions du Concile de Trente (session 25), il prononce sur la substance du fait et sur ses résultats, c’est-à-dire, uniquement, exclusivement sur les points attestés par les témoins ; de telle sorte que la proclamation de ce miracle est abritée entièrement derrière les règles ordinaires du témoignage humain.
Aussi Mgr Patrizi ne songe-t-il pas même à interdire une attaque contre le fait qu’il a proclamé. Cette attaque, dans les conditions où S. E. s’est placée, serait l’acte d’un fou, et un évêque n’a pas à prévenir des actes de cette nature.
Le 11 janvier 1851, Mgr Salvator, évêque de Rimini, proclame aussi la vérité du prodige d’un tableau miraculeux.
Comme S. E. Mgr Patrizi, il interroge sous la foi du serment des témoins honorables et sérieux, il fait dresser acte des dépositions, il s’entoure des lumières de savants et pieux théologiens, il voit, il examine par lui-même. Puis il prononce uniquement, exclusivement sur le point attesté par les témoins. – « La vérité du mouvement prodigieux des pupilles de la sainte Image a été et demeure prouvée. »
Les témoins ont dit cela, et rien de plus ; de son côté, l’évêque ne dit rien de plus. Son décret repose tout entier sur la certitude que donne le témoignage humain ; on ne peut pas l’attaquer sans violer les règles de ce témoignage. Aussi, fort de cette position, la seule raisonnable, la seule légitime, il ne craint pas une attaque qui serait l’acte d’un insensé, il ne songe pas à la prévenir.
Est-ce de la sorte qu’on a procédé à Grenoble pour le fait de la Salette ?
Deux bergers ignorants, illettrés, mineurs aujourd’hui encore, sept ans après le 19 septembre 1846, disent qu’ils ont vu une dame sur la montagne et que cette dame leur a parlé : voilà le fait principal et les seuls témoins.
Cette dame, qui leur a parlé français, patois et français, a fait des menaces qui n’ont pas reçu leur exécution, la famine n’est pas venue, etc., etc. ; des prédictions qui ne se sont pas réalisées, soit que l’on croie avec M. Rousselot de 1848, premier ouvrage, page 94, que l’on s’est converti ; car, dans ce cas, les pierres et les rochers ne se sont pas changés en blé, les pommes de terre ne se sont pas trouvées ensemencées par la terre ; soit que l’on pense avec M. Rousselot de 1850, deuxième ouvrage, page 26, que l’on ne s’est pas converti, car, dans ce cas, le blé semé n’a pas été mangé par les bêtes et les plantes qui avaient échappé ne sont pas tombées en poussière : voilà les circonstances du fait, et ces circonstances, comme le fait lui-même, sont indiquées par les enfants seuls.
Si le Mandement du 19 septembre 1851 avait statué uniquement sur le fait réduit à ces proportions, quelle que fût la sentence émise par l’autorité, ce Mandement serait parfaitement au niveau des décrets de S. E. Mgr Patrizi et de Mgr Salvator, et personne, quelle que fût son opinion individuelle, n’aurait élevé la voix pour le combattre. Un évêque a, en ce qui touche les faits religieux, une suprématie qu’on ne lui conteste pas, pourvu que son exercice soit allié avec la liberté garantie par l’Évangile et respectée par J.-C. et par l’Église.
Mais le Mandement s’en tient-il à cela ?
Il proclame que la Dame qui a apparu sur la montagne est la sainte Vierge.
Il proclame le flux continu d’une fontaine autrefois intermittente, – et elle n’a cessé de l’être qu’à l’aide de travaux qui ont réuni sur un seul point les filons d’eau qui tapissaient les versants du coteau.
Il proclame les effets miraculeux de cette eau, – et chacun des faits miraculeux publiés par M. Rousselot est pris en dehors des règles constamment adoptées par l’Église et reconnues par M. Rousselot lui-même.
Il proclame l’intervention de la Providence dans l’expédition, à Rome, du secret que Rome envoyait chercher à Grenoble.
Il proclame une unanimité de sentiments très respectable, si elle est vraie ; très déplorable, si elle est imaginée pour le besoin de la cause.
Or, ces détails et beaucoup d’autres sont entièrement en dehors du fait dont les enfants sont les rapporteurs et les témoins.
Ils sont un supplément à ce fait.
Ils indiquent un but.
Ils complètent une œuvre que la Dame de l’apparition n’a pas voulu ou n’a pas su faire tout entière.
Ces additions ne sont pas comprises, elles éveillent l’attention publique, elles appellent l’examen des personnes intelligentes et pleines de respect pour la Divinité.
Il importe de prévenir un examen raisonné, un examen sérieux et approfondi. Pour le prévenir, le Mandement insère dans ses conclusions un article 5, ainsi conçu :
« Nous défendons expressément AUX FIDÈLES et aux prêtres de notre diocèse de JAMAIS s’élever publiquement, de vive voix ou par écrit, contre le fait que nous proclamons aujourd’hui, et qui, dès lors, exige le respect de tous. »
En d’autres termes, nous avons prononcé, le devoir de tous est de croire.
Ce n’est pas ainsi qu’on a procédé, soit à Rome, soit à Rimini.
À Rome, à Rimini, on constatait un fait. Quel est l’homme de bonne foi qui songe à s’élever contre un fait actuel établi par des témoignages respectables ?
À Grenoble, on veut imposer un dogme qui est en dehors du fait, du fait déjà représenté lui-même sous des couleurs ménagées avec art. Quel est le catholique, doué d’intelligente et de foi, qui n’a pas le droit et presque le devoir de se dire : Ce dogme est-il exact ? Est-il, peut-il être obligatoire ?
Pour m’éclairer, j’interroge le Mandement. D’après lui, je dois croire, parce que le fait de la Salette ne peut s’expliquer que par l’intervention divine ; – parce que aucun fait ne peut EXPLIQUER NATURELLEMENT celui-ci.
Je saisis avec bonheur ces deux mots, toute explication naturelle appartient de droit naturel à l’homme intelligent, et si ce droit s’exerce dans les limites que Dieu lui-même a tracées, il ne saurait constituer une faute, car il vient de Dieu, de Dieu, qui seul a le privilège de l’infaillibilité.
C’est ce droit que je viens exercer, et le monde catholique y applaudira, car le monde catholique veut avant tout la vérité.
Dans les premiers jours de la chasse, en 1846, la diligence de Valence à Grenoble recueillait, à St-Marcellin, une demoiselle d’un âge mur. Les voyageurs étaient nombreux déjà, et force fut à la dernière venue de partager avec le conducteur le modeste cabriolet qui surmontait la voiture. La voyageuse avait pour tout bagage un carton dans lequel étaient renfermés ses effets. Elle était causeuse de sa nature, un évènement glorieux pour sa famille rendait sa parole plus rapide, encore et plus ardente. Un de ses proches parents venait de se couvrir de gloire en Afrique, il avait été mis à l’ordre du jour de l’armée, il avait conquis un grade supérieur, son nom était dans toutes les bouches, la voyageuse s’en réjouissait, mais la renommée militaire lui semblait aussi fugitive que la fumée de la poudre à canon, et femme énergique et résolue, elle aspirait à un éclat plus durable, elle combinait un acte qui allât à l’immortalité.
Le conducteur était sous le charme de cette parole élégante et facile, il admirait tant de courage et de résolution, mais il ne comprenait pas. À peine avait-il le loisir de glisser de temps à autre quelque question rapide, les paroles se pressaient enthousiastes et brûlantes sur les lèvres de sa compagne de route, qui visait à l’immortalité, qui se dirigeait vers les montagnes des Alpes, bien sûre de la fonder à toujours.
La surprise du conducteur était de plus en plus grande, il arrive à Grenoble, remet à son bureau le carton et la voyageuse, qui lui répète de nouveau qu’elle se rend dans les montagnes et que bientôt un grand, un immense éclat sera produit. Il lui souhaite bon voyage et bonne fortune et ne pense plus à ce singulier incident.
Les Alpes dauphinoises sont le pays privilégié pour les apparitions et les pèlerinages. De temps, on pourrait dire immémorial, car il remonte au-delà de Charlemagne, la ville d’Embrun a été le rendez-vous de tous les pèlerins qui venaient de vingt, trente, cinquante et cent lieues à la ronde visiter Notre Dame de cette ville. En 1664, elle a été déshéritée par l’apparition de la sainte Vierge au Laus, près Gap, pèlerinage très fréquenté de nos jours. Il n’est pas de village, de bourg dans toutes les montagnes du Briançonnais, de l’Embrunais, du Champsaur, du Trièves, des Mathésines, de l’Oisans, qui ne fournisse chaque année un nombreux contingent pour ces voyages de piété, qui ont passé dans les mœurs de toutes ces populations, à ce point, que dans la plupart des villages, à une faible distance de l’église, sur un point culminant est fixée une petite chapelle placée sous le vocable d’un saint ou d’une sainte.
Le jour de la fête, on voit les habitants des villages voisins arriver processionnellement et bannières déployées ; quelque chose manquerait à la vie des habitants si ce tribut ne s’acquittait pas.
Le 8 septembre est un jour de fête, un commencement de neuvaine pour Notre-Dame du Laus. Dix, douze, jusqu’à quinze mille pèlerins y sont souvent réunis ; plusieurs passent la nuit à la belle étoile ; leur sobriété habituelle s’accommode aisément de quelques mets grossiers ou d’un morceau de pain noir, et ils ne regagnent leur chaumière que lorsque la neuvaine est finie. Voilà leurs mœurs ; et, je le répète, cela date de plusieurs siècles.
C’est vers ces lieux que la voyageuse de Saint-Marcellin a annoncé qu’elle dirigeait ses pas. Quelques jours s’écoulent et on entend parler à Grenoble de l’apparition de la Salette, bientôt ce bruit prend de la consistance.
Deux bergers des montagnes, une Dame à costume aérien et emblématique sont en jeu ; mais le costume de la Salette a été vu aussi dans la maison du Laus. Une Dame s’est présentée, quelques jours après le 19 septembre, aux religieuses qui dirigent un établissement dans ce lieu. Elle a demandé une chambre isolée et indépendante ; et le soir, lorsque la domestique est venue lui apporter quelques provisions, elle s’est trouvée en présence de la Dame de la Salette, revêtue du costume emblématique, lui annonçant qu’elle était la Mère de Dieu, qu’elle continuait la mission qu’elle venait de commencer tout près de là ; et la domestique, surprise, confondue, se hâte de faire part de ce qui se passe aux religieuses, qui, à leur tour, sont plus surprises encore en se rendant à la chambre occupée par la Dame mystérieuse : – Dame et costume, tout avait disparu.
Les pères du Laus s’empressent d’en informer Mgr de Gap, qui fait prendre des renseignements dans les hôtels et aux messageries. – La Dame avait tout prévu par un départ précipité.
L’apparition de la Salette avait pris quelque consistance à Grenoble et dans les environs. Sur-le-champ, et comme par inspiration, les souvenirs du conducteur se reportent sur la voyageuse qui visait à l’immortalité, sur son langage, sur son but, sur la direction qu’elle a donnée à sa course. Il ne doute pas que cette femme ne soit l’héroïne de la Salette, et que les deux bergers n’aient été la dupe de quelque fascination.
Il se tait néanmoins, mais quelque temps après il est appelé pour un acte de son ministère chez un habitant de Tullins, bourgeois intelligent et grave. Cet habitant examinait avec sa femme quelques médailles qui venaient d’être frappées en l’honneur de Notre-Dame de la Salette. Il les montre au conducteur qui les prend, les regarde, sourit et leur dit, en levant les épaules et en désignant par son nom la voyageuse de Saint-Marcellin : La Salette est un tour de Mlle L.....
Mlle L...... avec laquelle mes lecteurs feront bientôt connaissance, était très connue de M. et Mme Mazet, propriétaires à Tullius ; ses tendances à l’illuminisme, que favorisait une imagination ardente, une piété exagérée, un air d’inspirée qui lui était naturel, la rendaient très propre au rôle de la Dame de la Salette. Mais cet évènement annoncé par l’évêque de Grenoble aux religieuses de la Providence prenait par ce seul fait une gravité telle que M. Mazet et sa dame repoussèrent comme absurde la révélation du conducteur, et comme celui-ci persistait avec plus de force. – Vous n’oseriez certainement pas tenir ce langage si Mlle L..... était là, lui dirent ses interlocuteurs.
Vous êtes dans l’erreur, répondit-il aussitôt, car si elle était là, je lui répéterais ce que je vous ai dit et elle ne me démentirait pas.
La conversation se prolonge quelques instants, la Providence permet que Mlle L..... vienne en ce moment visiter la famille Mazet.
Vous voyez que je n’ai pas peur, dit le conducteur, je ne m’éloigne pas et je vais parler.
Mme Mazet ne lui en laisse pas le temps, elle rapporte elle-même à Mlle L..... le langage du conducteur, elle le rapporte dans tous ses détails, et au lieu de le repousser par un énergique démenti, Mlle L..... se contente de répondre : « Il ne faut pas croire ce que dit le conducteur, cela ferait du mal à la religion. »
Trois ou quatre jours s’écoulent, et dans l’une des rues de Tullins, le conducteur se trouve face à face avec Mlle L....., qui habitait ces parages. Il l’aborde : « Nous sommes seuls aujourd’hui, lui dit-il, toute réserve de votre part serait inutile, quelle fantaisie vous a donc pris d’aller à la Salette jouer le rôle de la sainte Vierge ? » Prise à l’improviste, pressée par un interlocuteur qu’elle ne peut pas tromper, Mlle L..... laisse échapper ces mots que je recommande à l’attention de M. Rousselot : « IL VOUS EST PERMIS, à vous F... de ne pas croire, mais laissez donc croire les autres, cela fait du bien à la religion. »
Depuis ce moment, maintes et maintes fois elle a rencontré le conducteur F....., elle l’a constamment évité ou elle a feint de ne pas le connaître. Elle se sent mal à l’aise en présence du premier témoin de son exploit.
Mlle L..... mène depuis les premiers jours de septembre 1846 une vie nomade, elle porte ses pas tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, mais toujours elle a avec elle le magique carton qui renfermait son bagage le jour où elle se rendait de Saint-Marcellin dans les montagnes des Alpes, pour opérer cet acte qui devait aller à l’immortalité. Toujours elle est sous l’empire d’une idée fixe et elle nourrit cette idée par son langage, elle ne parle que de la Salette et du divin fils de Marie ; par une crèche et un enfant Jésus, qui ne la quittent jamais ; par les sentences pieuses dont elle tapisse sa cahute ; par ses prédications et ses cantiques de la Salette, car elle ne dit pas autre chose : là s’est reportée toute sa vie, toute son intelligence, toute son énergie.
J’ai indiqué, je viens à des actes précis.
La révolution de Février avait mis en fermentation toutes les têtes, et si Grenoble, selon ses mœurs habituelles, resta pur de tout excès, il ne laissa pas que de subir l’influence de l’époque. La classe ouvrière, la jeunesse des écoles, les militaires étaient les adeptes les plus ardents, les plus zélés du mouvement. On put craindre quelques instants que la religion eût à souffrir ; c’est à Grenoble que Mlle L..... vient apporter sa tente ; la chambre très modeste qu’elle habile rue Saint-Laurent, puis à l’hôtel du Gouvernement, est chaque jour le rendez-vous d’ouvriers ou de militaires ; c’est devant l’enfant Jésus que le prédicateur en jupons les pérore, en leur répétant sur tous les tons qu’elle est la mère du Sauveur, la mère de Dieu. Plus démocrate qu’eux tous, elle surprend tous ses auditeurs par la hardiesse de ses pensées, par la témérité de son langage. Elle se rend aux clubs divers, elle y porte la parole, et si au milieu de ces réunions tumultueuses elle excite souvent les rires, toujours du moins elle commande le respect. – Elle le commande à ce point, que, en luttant dans les clubs contre l’excentrique abbé Didon, elle obtient des ovations, elle est promenée en triomphe.
Quelques personnes graves s’émeuvent de toutes ces scènes ; l’une d’elles surtout, revêtue d’un caractère sacré, lui fait des représentations qui sont accueillies avec respect, mais qui ne guérissent pas un cerveau malade ; ce n’est pas une femme qui est en sa présence, c’est une véritable inspirée. « Elle fait de la démocratie pour sauver la religion, elle abrite ses prédications derrière une crèche, parce que Jésus et Marie peuvent seuls protéger la France ; elle le sait, car elle a reçu une mission et elle n’y faillira pas. » Tel est son langage constant et soutenu. Grenoble entier a vu notre héroïne, l’a entendue, l’a jugée, Grenoble rendra hommage à la vérité de mes paroles.
L’alliance de la démocratie et de la religion paraissait à Mlle L..... un moyen assuré de salut pour la religion dans les villes, car là elle ne redoutait que l’élément démocratique ; à la campagne, un autre moyen est nécessaire, il faut frapper l’imagination des paysans, rien n’y contribue autant que les apparitions.
Mlle L. quitte Grenoble. Bientôt on apprend qu’à Sodières, commune de Saillans, près Crest, dans une campagne écartée, deux enfants, un garçon et une fille, qui étaient dans les champs, ont vu une belle Dame blanche qui leur a parlé, leur a déroulé le thème de la Dame de la Salette en leur indiquant que c’était bien elle, qu’on avait tort de s’obstiner à ne pas croire, etc. Cela se passait fin avril 1848.
Deux mois après, à peu de distance de Sodières, dans la commune d’Espeluches, près Montélimart (Drôme), apparaît à deux jeunes filles de la campagne la Dame de la Salette ; c’est toujours le même costume, le même langage ; ce sont toujours les mêmes avertissements. Ces apparitions se répètent plusieurs fois, elles font du bruit, on accourt des paroisses voisines sur le lieu de la scène ; plusieurs milliers de personnes, voire même des ecclésiastiques, se mêlent à la foule des curieux et ont la patience de renouveler leur voyage, de passer la nuit pour ne pas perdre le fruit de leur course, mais l’apparition ne se montre plus. Il y a danger dès qu’il y a foule.
L’impulsion était donnée dans ces parages, un mouvement assez étendu s’était produit ; sur un autre point, sur le point principal qui avait été en 1846 le théâtre de la première scène, il était à craindre que les préoccupations politiques ne nuisissent au pèlerinage du jour anniversaire, car l’année avait été ingrate, elle n’avait pas rendu, à beaucoup près, comme la précédente. Tout à coup, fin juillet, on entend dire que sur le versant opposé de la montagne de la Salette, une belle Dame blanche a apparu à un jeune berger et à une jeune bergère, leur a fait aussi des confidences et des révélations. Les enfants le disent et le soutiennent, ils l’affirment à leurs parents, aux habitants du village, au curé ; ils persistent dans leur affirmation, et le curé du Perier, homme de sens, met fin à tout cela en annonçant aux deux enfants, qui se préparaient à leur première communion, que s’ils ne se rétractent pas, ils ne seront pas admis.
Une première communion est une grande affaire pour les enfants de la campagne ; beaucoup d’entre eux ne peuvent pas trouver de maîtres avant de l’avoir faite. Les enfants se résignent à rétracter tout ce que leur curé exige. Ils auraient bien fait plus dans cette circonstance, si le curé en avait réclamé davantage.
Toutes ces pérégrinations ne se faisaient pas sans qu’on fût obligé de se transporter d’un côté et d’autre et de faire des haltes dans quelques hôtelleries. L’une d’elles, qui a reçu plusieurs fois Mlle L....., qui chaque fois l’a gardée des semaines entières, qui s’en est enfin débarrassée parce qu’on lui a signifié très impérativement qu’il n’y avait plus place pour elle à l’hôtel, est située hors la porte de France, elle a pour enseigne : Hôtel de l’Embarcadère. Elle est tenue par des maîtres très probes, très honnêtes et très simples, les époux Carrat.
La voyageuse avait avec elle une jeune institutrice de Fures et de Tullius, qu’elle avait fascinée et qui avait quitté son école, où elle faisait de très bonnes affaires, pour s’attacher à elle. Elle avait de plus quatre chiens. Tout ce ménage, qui vivait à la Spartiate, habitait une chambre modeste. Aussi 1 fr. par jour suffisait à la dépense de tous. Il est vrai que, trouvant son lit trop tendre, Mlle L..... avait réclamé et obtenu l’autorisation de coucher sous la remise et sur la dure ; une pierre lui servait d’oreiller, et là encore, toujours elle avait avec elle son précieux carton, sa crèche et son enfant Jésus.
Le jour, elle restait dans sa chambre, elle attendait la tombée de la nuit ; puis revenait à sa remise pour y retrouver son lit habituel.
Cette vie mystérieuse inspira de la défiance à l’hôtesse. Elle monta dans la chambre de Mlle L..... et lui adressa avec douceur et bienveillance quelques observations. Une conversation s’engagea, et comme l’hôtesse ne se rendait pas aux raisons qui lui étaient exposées avec une effrayante volubilité : – Vous ne savez pas, lui dit la voyageuse, qui vous possédez et qui je suis. Je vais vous l’apprendre. – Le carton s’ouvre, un premier vêtement en est tiré ; Mlle L...... s’en pare. C’est une robe bleu foncé qu’elle ajuste avec divers ornements d’assez bon goût. Puis, sans donner aux maîtres de l’hôtel le temps de l’admirer, elle fait succéder à ce premier costume, un deuxième costume rose qu’elle porte d’un air mystique et cependant dégagé. La famille Carrat croit voir en elle une comédienne et le lui dit avec douceur. – Vous êtes bien simple, ma chère hôtesse ; attendez. Et aussitôt, se dépouillant de sa robe rose, elle la remplace par une robe blanche garnie d’une guirlande de fleurs argentées ; elle prend un tablier jaune entouré d’une frange d’argent, des bas jaunes, des souliers de satin blanc entourés d’une petite guirlande de fleurs, une écharpe également entourée de roses et sur laquelle est jeté négligemment un chapelet à gros grains de corail, un voile artistement arrangé sur sa tête à l’aide d’une couronne de roses, une chaîne à laquelle est suspendu un christ ; enfin, des tenailles, un marteau fixés à sa ceinture révèlent tout à coup à Mme Carrat le costume très exact de la Dame de la Salette. Elle est frappée d’une surprise qu’augmente encore la pose étudiée de Mlle L....., qui, prenant le ton d’une inspirée, lui parle des maux qui désolent la France, de l’impiété qui en est la cause, de la mission qu’elle a reçue de Dieu pour en arrêter le débordement. Mme Carrat écoute, mais elle est triste, car elle est bonne chrétienne, elle a dans sa cuisine une image de Notre-Dame de la Salette représentée avec le costume qu’elle a devant les yeux ; elle a lu ce qui a été écrit sur la Salette, elle a reconnu dans le langage de Mlle L..... le fond des paroles prêtées à la Dame de l’apparition. – Vous avez fait un acte mauvais, lui dit-elle ; c’est vous qui êtes allée à la Salette. – L’acte est très louable ; car il sert les intérêts de la religion ; ne suis-je pas d’ailleurs belle comme une vierge ? – Belle ! soit ; mais pourquoi, à la Salette, avoir figuré la sainte Vierge ? – Le bien de la religion le voulait et Dieu a béni mon œuvre ; vous avez vu tous mes moyens de succès, comment voulez-vous que je ne réussisse pas toujours ? Laissez-moi continuer ma mission chez vous ; le local est favorable, je ferai foule et vous serez heureuse par moi.
La conscience simple et droite de Mme Carrat et de sa famille se révolte à cette proposition, mais la famille entière a vu, a jugé, a entendu l’aveu de Mlle L....., a tenu à se débarrasser d’une pratique qui jouait aux visions, que son exaltation religieuse avait poussée à prendre le rôle de la sainte Vierge.
Mlle Lamerlière, car il est temps de la nommer, s’éloigna, et après avoir vécu quelques mois encore d’une vie nomade, elle fixa définitivement sa résidence à Cras, petite commune située aux environs de Tullins.
J’ai nommé Mlle Lamerlière, si connue à Grenoble et dans les environs. Mlle Lamerlière était, en 1825 et 1826, religieuse de la Providence, sous le nom de sœur sainte Stéphanie de Jésus. Maîtresse des novices, elle comptait parmi ses élèves sœur Thècle, supérieure de la maison religieuse de Corps, qui a reçu, en 1846, les deux bergers de la Salette, a fait pendant quatre ans leur éducation, ne les a relâchés que pour déposer Mélanie dans la maison-mère de Corenc, de laquelle relève sœur Thècle, à laquelle appartenait en 1825 et 1826 Mlle Lamerlière. Déjà, alors, Mlle Lamerlière avait un langage mystique. Toujours prête à sermonner les élèves, elle inquiétait, par les exagérations de sa piété, la supérieure de cette époque, femme de beaucoup de sens, qui, depuis longtemps, a quitté l’administration de la maison, mais qui tint alors à se débarrasser de Mlle Lamerlière.
Sortie de la communauté de Corenc, Mademoiselle Lamerlière se fit admettre dans la maison Saint-Pierre, dont M. Rousselot a été constamment le directeur : Mlle Lamerlière est douée d’une imagination vive, elle pousse jusqu’au fanatisme l’exaltation religieuse, mais elle est par cela même très capable d’une résolution hardie ; sa constitution lui permet de braver les fatigues, la faim, l’insomnie ; inaccessible à la peur, elle couche en plein air et sur la terre nue, et ce n’est pas un des points les moins curieux de ce drame de la Salette que de retrouver dans cette héroïne, non-seulement la maîtresse de la supérieure de Corps, qui a recueilli les deux enfants, mais encore une élève de M. Rousselot, et dans Fortin (le conducteur qui la prend à Saint-Marcellin), un ancien élève du Petit-Séminaire dont M. Chambon a été longtemps le supérieur.
Revenons à Mlle Lamerlière et à Cras.
Elle a pour gîte une chaumière ; une seule pièce, voilà tout son appartement. Sur la façade extérieure, on lit en gros caractères : AU PETIT BETHLÉEM. À l’intérieur, on trouve deux lits ; sur les murs, sont écrites des devises relatives à Marie et à l’enfant Jésus ; au-dessous, est un caveau transformé en crèche : étable, enfant Jésus, âne, bœuf, rien n’y manque. La chaumière de Mlle Lamerlière est une espèce de temple auquel elle appelle ses voisins et les paysans des communes environnantes pour leur prêcher.... la Salette. Mais il ne suffit pas à son zèle d’attendre qu’on vienne la trouver ; les jours de marché, de foire, les dimanches, elle va dans les diverses communes, sur les places, aux cabarets ; elle cause, elle boit, elle prêche.... la Salette. Elle monte sur une table pour être plus en vue ; puis, sa fidèle Mariette Bertin, qui ne la quitte jamais, chante des cantiques en l’honneur de la Salette, et cela dure depuis plusieurs années et souvent jusqu’à une heure avancée de la nuit. Et chaque dimanche la voit tantôt à Poliénas, tantôt à Morette, tantôt à Tullins, tantôt ailleurs, toujours disposée même à boire au cabaret, pourvu qu’on soit disposé à entendre ses prédications et ses cantiques.... sur la Salette.
Ce n’est pas tout, les familiers de sa maison, et ils sont nombreux, ont vu son carton et son costume, objet de sa vénération presque à l’égal de sa crèche ; aucun d’eux ne révoque en doute que Mlle Lamerlière ne soit l’héroïne de la Salette. Plusieurs fois, elle a été interrogée sur ce point ; mais si la prudence ne lui a pas permis d’avouer nettement le fait, du moins sa conscience ne lui a jamais permis de le nier ; elle s’en est tenue à cette réponse banale : Croyez à la Salette, cela fait du bien à la religion.
Persévérante dans son idée fixe, elle apprend sur la fin de décembre que Mgr Ginouilhac, vicaire général d’Aix, est nommé évêque de Grenoble. Aix est dans le Midi, sur-le-champ, malgré la saison, les frimas, elle part pour le Midi, et c’est elle qui l’annonce à ses amis, à ses connaissances, elle part pour faire connaître la Salette dans Aix et les campagnes voisines. Deux mois et demi se sont écoulés déjà, et elle y est encore.
En rendant la terre du Midi hospitalière à la Salette, elle espère sans doute disposer favorablement le nouvel évêque. Ce calcul, je le demande, peut-il être celui d’une femme ordinaire ?
Je résume brièvement.
Dans les premiers jours de la chasse, en 1846, Mlle Lamerlière monte dans la voiture publique de Saint-Marcellin ; elle a avec elle son carton et, pendant la route, elle ne cesse d’étonner le conducteur Fortin par son langage vif, illuminé ; elle va, dans les Alpes, primer, par un acte digne de l’immortalité, la gloire dont un de ses parents vient de se couvrir en Afrique.
Peu de jours après le 19 septembre, elle se trouve en présence de Fortin ; deux fois, elle est réduite à l’aveu qu’elle seule a apparu, sur la montagne de la Salette, aux bergers Maximin et Mélanie ; son premier aveu devant la famille Mazet, de Tullins, est moins explicite, le deuxième ne laisse rien à désirer.
Depuis et uniquement depuis l’apparition du 19 septembre, partout où Mlle Lamerlière porte ses pas, elle prêche la Salette, elle se constitue apôtre sous l’invocation de la crèche et de l’enfant Jésus ; toutes les voies lui sont bonnes, tous les moyens lui servent pour poursuivre ce but unique de ses pensées, de ses actions, de ses démarches ; sa maisonnette à Cras ; à St-Marcellin, ses logements passagers, les places publiques, les églises, les cabarets, les champs, tout lui sourit : il lui faut une seule chose, le succès.... de la Salette.
À Grenoble, elle s’empare d’une partie de la classe ouvrière et la fascine. À la porte de France, un nouvel aveu de son apparition à la Salette, le 19 septembre 1810, lui est commandé par le désir qu’elle manifeste, qu’elle tient à réaliser pour pouvoir poursuivre sa mission dans le lieu même, et comme cet aveu ne suffit pas pour lui assurer le succès, entraînée par le feu de son imagination, elle se dit partout, à tous, mère du Sauveur, mère de Jésus ; elle revêt son costume de la Salette ; elle veut imposer à une famille simple, mais honnête ; elle renouvelle la scène de la montagne ; elle est connue, et pour cela même, elle est congédiée.
À Cras, Poliénas, Morette, Tullins, etc., elle est connue encore, et son silence, quand on la presse d’avouer qu’elle est la Dame de l’apparition de la Salette, équivaut à un aveu réel ; car Mlle Lamerlière connaît l’exagération, même du scrupule, et elle abhorre le mensonge ; son costume du 19 septembre, dont elle est loin de faire parade, mais qu’on voit au Laus dès la fin de septembre 1846, qui se retrouve, en 1848, dans l’auberge Carrat, qui ne quitte jamais le carton dont l’existence est connue de Fortin, depuis les premiers jours de septembre 1846 ; ce costume, dis-je, la trahit, son langage la révèle à tous – Les familles Simian, Chavannes, Masson, Rebuffet, Fournier, Chaperon, Perriol, que sais-je ? tous les habitants des pays qu’exploite Mlle Lamerlière unissent leur voix à celles de la famille Carrat, du conducteur Fortin, pour répéter avec elles : Mlle Lamerlière est la Dame de la Salette.
Et qu’on le remarque bien, cette opinion si naturelle est conforme au langage des deux bergers. – Ils ont vu une Dame, rien de plus. Jamais ils n’ont dit avoir vu la sainte Vierge. Il a plu aux partisans de la Salette de faire décider que cette Dame était la sainte Vierge, mais cette décision est en dehors de toutes les règles reçues, de tous les usages pratiqués ; elle est quelque chose de plus singulier encore, elle est en quelque sorte une usurpation sur les droits de la Dame de l’apparition, elle est une extension de son langage, une déclaration qu’elle n’a pas su se révéler suffisamment aux deux bergers, ce qui, de la part d’un laïque, serait au moins irrévérencieux envers la sainte Vierge ; elle est enfin un jugement doctrinal qui a pu égayer et surprendre Mlle Lamerlière.
Quoi qu’il soit, comprend-on maintenant pourquoi M. Koenig, curé résidant au milieu de ces populations, connaissant leur conviction et leur croyance, a pu, sans se rendre coupable de révolte envers l’autorité ecclésiastique, rappeler à ses paroissiens les impressions de son voyage à Ars, avant de faire lire le Mandement du 19 septembre ? Comprend-on pourquoi M. Déléon a pu se montrer très empressé de sauver de la prison et de Cayenne un confrère coupable d’avoir été consciencieux et délicat ? Comprend-on, dès lors, que MM. Koenig et Déléon aient porté avec tant de calme un interdit qui dure encore pour ce dernier ? Aussi pourquoi sa raison et sa religion sont-elles d’accord pour refuser de voir dans Mlle Lamerlière la sainte Vierge ? pour se rappeler la réponse du Sauveur à Satan, le jour où cet esprit de ténèbres, pour le tenter, lui demandait de changer la nature des choses ? Qu’il se rassure toutefois, les épreuves n’ont qu’un temps, et ce temps est bien court quand on a pour soi le témoignage de sa conscience. – Dieu se charge toujours du lendemain.
J’ai pris Mlle Lamerlière aux premiers jours de la chasse, en 1846, je l’ai suivie dans son langage, sa pensée, son but ; j’ai indiqué son caractère, ses habitudes, son idée fixe ; j’ai retracé ses costumes, ses excentricités, ses prédications, ses aveux ; je l’ai mise en présence des témoins nombreux de ses actes, de ses gestes, de ses tendances ; je l’ai suivie jusqu’au jour de son départ pour le Midi, pays qu’habite le nouvel évêque de Grenoble, qu’elle veut rendre par avance favorable à la Salette. Tout chez cette femme indique, démontre, prouve qu’elle est la Dame de l’apparition. Ces preuves, il est vrai, appartiennent à l’ordre moral, mais la certitude morale est-elle produite par d’autres preuves que par les preuves morales ? La certitude morale n’exclut-elle pas le doute ? Ne contraint-elle pas le VRAI PHILOSOPHE, quel que soit son rang, quelle que soit sa dignité, à saisir une à une toutes les preuves sur lesquelles elle repose, à les ébranler, à les pulvériser s’il prend envie de la détruire ?
Je suspends un instant la rigueur de ce raisonnement ; je veux admettre que tout cet historique de Mlle Lamerlière ne constitue pas une certitude morale, toujours est-il qu’il constitue au moins une très grande probabilité.
Or, j’ouvre la Vérité sur l’évènement de la Salette, par M. Rousselot, page 26, j’y lis ces mots :
« M. le supérieur du Grand-Séminaire, deuxième rapporteur (Orcel), établit RIGOUREUSEMENT que la certitude morale et une très grande probabilité sont PARFAITEMENT identiques et ont ABSOLUMENT la même signification. »
Cette argumentation prévaut auprès de la très grande majorité de la commission (M. Rousselot, page 26, lignes 29, 30 et 31), elle lui dicte un avis favorable, elle est la base sur laquelle s’appuie le jugement doctrinal prononçant que la Dame de l’apparition est la sainte Vierge.
Ce jugement, on l’avouera, est tout d’inspiration.
Il est très probable, nous venons de le voir, que Mlle Lamerlière est la Dame de l’apparition, mais la très grande probabilité et la certitude morale sont parfaitement identiques, ont absolument la même signification, d’après la décision de la commission.
Donc, il est certain, d’après la même commission, que Mlle Lamerlière est la Dame de l’apparition.
Mais déjà, d’après la même commission, il est certain que la Dame de l’apparition est la sainte Vierge.
Faut-il conclure rigoureusement, d’après la commission, que Mlle Lamerlière est la sainte Vierge ?
Je ne tirerai pas cette conclusion extravagante et impie.
Je me contenterai de dire : Le premier jugement, qui porte sur la sainte Vierge, est tout d’inspiration.
Le deuxième, qui porte sur Mlle Lamerlière, repose tout entier sur des faits : les faits s’apprécient et se discutent. S’ils résistent à la discussion, l’honnête homme, le chrétien intelligent, s’inclinent devant eux. – L’inspiration qui tendrait à les infirmer n’a plus aucune prise sur la raison, sur la conscience, car s’il en était autrement, la raison opérerait contre nature, elle se révolterait contre Dieu.
Voilà les principes. Ils se résument dans ce cri douloureux dont la philosophie de M. Orcel démontre la vérité : La Dame qui a apparu, le 19 septembre 1846, sur la montagne de la Salette est Mlle Lamerlière.
Et voyez comme le langage des enfants proclame lui-même ce fait :
1° Au retour de la montagne, à Corps, à Grenoble, partout, ils déclarent avoir vu une Dame. Jamais ils ne disent avoir vu la sainte Vierge.
Maximin, à Ars, répète qu’il a vu une Dame (c’est M. Rousselot, c’est M. Chambon qui nous disent cela à satiété en défendant le jeune berger contre le vénérable M. Vianay). Il déclare ne pas avoir vu la sainte Vierge.
2° La Dame leur parle français d’abord, puis patois, puis elle revient au français.
Mlle Lamerlière est des environs de Saint-Marcellin ; le patois de ce pays n’a pas de rapport avec celui de Corps, qui est un provençal corrompu. Elle a saisi quelques mots pendant les jours qu’elle a passés dans le pays avant le 19 septembre, ces mots lui suffisent pour qu’elle puisse continuer en patois le discours qu’elle a commencé en français, dès qu’elle s’aperçoit que les enfants ne peuvent pas assez la comprendre.
3° Enfin, quand elle veut s’éloigner de la montagne, elle quitte le lieu sur lequel elle a parlé aux deux bergers, elle monte jusque sur la hauteur, dans sa partie la plus élevée, et disparaît. (Premier ouvrage de M. Rousselot, pages 58 et 68.) La pente inclinée qui était du côté opposé à celle où se trouvaient les deux bergers lui permettait de s’effacer rapidement, surtout pour les deux enfants, qui étaient sous le charme et dans un véritable ébahissement.
Tout cela va très bien avec Mlle Lamerlière, mais fort mal avec la sainte Vierge.
Pour remonter au ciel, la mère de Dieu n’avait pas besoin de gagner la partie la plus élevée du tertre où elle était ; pour remplir sa mission, elle n’avait pas besoin d’expérimenter l’ignorance des enfants en commençant par leur parler une langue qui leur était inconnue ; pour compléter sa mission, elle n’avait pas besoin de leur cacher son titre de mère de Dieu avec tant de soin que, quatre ans après, malgré pèlerinages et pèlerins, malgré leçons et instructions transmises au couvent de Corps, malgré l’opinion de la commission et de Mgr l’évêque, consignée dans les ouvrages de M. Rousselot, ils n’osent pas encore désigner la sainte Vierge comme la Dame de l’apparition. Or, tout cela s’est fait, et en vérité, ce n’est pas à ces traits que le chrétien respectueux peut reconnaître Dieu et la sainte Vierge.
Une pensée se présente naturellement ici.
M. Rousselot assimile les décrets de Mgr Patrizi et de Mgr Salvator au Mandement de Mgr de Grenoble, et il conclut aux droits du dernier par le droit que les deux premiers ont exercé.
M. Rousselot est entièrement dans le faux.
Supposons Mgr Patrizi ou Mgr Salvator, évêque de Grenoble, et se prononçant comme ils l’ont fait, soit à Rome, soit à Rimini.
Que consacrera leur jugement doctrinal ?
Le fait tel, absolument tel qu’il est attesté par les deux enfants. C’est-à-dire l’apparition d’une Dame, son langage, sa promenade jusque sur la hauteur avant de disparaître.
À Rome, à Rimini, ils se sont renfermés strictement dans cette limite pour les faits qu’ils ont proclamés.
À Grenoble, cette limite a été franchie, et pour le faire, pour statuer que la Dame était la sainte Vierge, il a fallu ajouter et décider tous les détails dont j’ai parlé et appuyer cette décision sur l’impossibilité d’une explication naturelle.
Cette explication était possible toutefois, je viens de la donner ; j’ai fait plus, je l’ai assise sur une série de preuves.
Et maintenant, saisissant l’argumentation de M. Orcel, cette argumentation qui a été décisive pour la commission de 1847, qui est si chère au cœur de M. Rousselot, je répète à mon tour :
Il est très probable que Mlle Lamerlière est la Dame de l’apparition.
Mais ce qui est très probable est très certain.
Donc, il est très certain que Mlle Lamerlière est la Dame de l’apparition.
Quelles seront les conséquences rigoureuses, fatales de cette prémisse que je dois à la haute philosophie de M. Orcel, de M. Rousselot, de la commission entière ?
La chapelle de la montagne sera la chapelle de Mlle Lamerlière.
Les missionnaires de Notre-Dame de la Salette seront les missionnaires de Mlle Lamerlière, Dame de l’apparition.
L’eau de la fontaine miraculeuse est l’eau naturelle de Mlle Lamerlière.
M. Rousselot, apologiste de la Salette, est en réalité l’apologiste de Mlle Lamerlière.
M. Chambon, polémiste de la Salette, est en réalité le polémiste de Mlle Lamerlière.
M. Auvergne, chevalier errant de la Salette, est le chevalier errant de Mlle Lamerlière.
M. Burnoud, supérieur des missionnaires de la Salette, est chanoine honoraire à l’occasion de Mlle Lamerlière.
M. Melin, procuré de Corps, héraut de la Salette, est chanoine honoraire à l’occasion de Mlle Lamerlière.
M. le desservant Grisel, frère quêteur pour les adhésions à la Salette, est curé archiprêtre à l’occasion de Mlle Lamerlière.
M. Debut, messager d’un miracle imaginaire, est supérieur du Petit-Séminaire et chanoine honoraire à l’occasion de Mlle Lamerlière.
M. l’abbé Gobert, vicaire de Calais, correspondant de M. Rousselot pour la Salette, est chanoine honoraire de Grenoble à l’occasion de la Salette.
Enfin les quêtes faites dans le monde entier pour la chapelle de la Salette, l’eau expédiée dans toutes les parties du monde, sont des quêtes faites, de l’eau chèrement vendue en l’honneur de Mlle Lamerlière.
Mais comme toute médaille a son revers :
M. Cartellier a été profondément froissé.
M. Robert a été arraché à Saint-André, puis interdit, puis s’est réfugié sur un vaisseau en qualité d’aumônier.
M. Koenig a été interdit, puis décrété pour la prison et pour Cayenne.
M. Déléon a été dépouillé furtivement de son titre, puis interdit, puis diffamé.
M. Guillaud a été renvoyé du Petit-Séminaire et confiné dans une petite paroisse de campagne.
Parce que les uns et les autres n’ont pu abaisser leur raison et humilier leur foi jusqu’à reconnaître et proclamer qu’une dame Lamerlière était la sainte Vierge.
Et en présence de tous ces faits, je le demande, le mot célèbre de Chateaubriand ne se présente-t-il pas pour dépeindre la situation ?
L’apparition du 19 septembre 1846, née ridicule, est destinée à mourir méprisable, entre les rêves fantastiques d’une femme illuminée, flanquée de deux bergers ignorants, et le fanatisme persécuteur d’un professeur émérite de théologie, administrateur improvisé.
Et qu’on le remarque bien, ce n’est pas moi qui ai posé le principe, c’est M. le chanoine Orcel, supérieur du Grand-Séminaire.
Ce n’est pas moi qui l’ai défendu, c’est M. le chanoine Rousselot.
Ce n’est pas moi qui l’ai accepté, c’est la commission des vicaires généraux, chanoines et curés de Grenoble de 1847.
Mais ce principe a dicté l’avis de la commission, cet avis a inspiré le Mandement doctrinal, le Mandement a proclamé que la Dame de l’apparition était la sainte Vierge.
Mlle Lamerlière se présente, la sainte Vierge s’efface, le miracle disparaît.
Une seule chose reste. – Des faveurs incroyables au profit de quiconque a cru sans examen, des proscriptions, des interdits, des diffamations contre quiconque n’a pas trafiqué de sa conscience et de la conscience publique. – Et, comme couronnement, de l’argent, énormément de l’argent, à l’aide des quêtes ordonnées, à l’aide de l’eau vendue, à l’aide des ouvrages publiés par M. Rousselot.
Toutes ces conséquences découlent du principe de M. Orcel, accepté par ses collègues de la commission.
À lui, à eux, honneur et gloire !
Lorsque les Apôtres, les Disciples entendaient la parole de J.-C., ils s’inclinaient devant elle, ils croyaient.
Sur quels motifs reposait leur foi ?
Eux-mêmes nous l’apprennent.
« Maître, disaient-ils, nous savons que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité. » (Marc, 12-14. – Matth., 22-16.)
Aucun contradicteur sérieux n’a essayé d’élever la voix. – Tous, par déférence pour la signature auguste qui patronnait le Mandement doctrinal, ont gardé le plus profond silence.
La lecture des décrets de Rome et de Rimini suffit pour repousser toute assimilation entre eux et le Mandement doctrinal.
Non-seulement une apparition naturelle est possible, mais encore elle peut, seule, cadrer avec le langage des deux bergers.
L’épisode Lamerlière le prouve.
Le Mandement assure que le Fait de la Salette n’a pas manqué de contradicteurs.
Il assure que ce fait est inexplicable sans l’intervention divine.
Humble fidèle, puis-je, à l’exemple des Apôtres, m’incliner devant le Mandement et dire :
« Maître, je sais que vous dites la vérité et que vous enseignez la voie de Dieu en toute vérité. »
J’ai fait le rapprochement. J’ai posé la question.
Une haute convenance ne me permet pas de donner la réponse.
La conscience publique appréciera.
Venons au jugement porté par l’Évangile.
CHAPITRE XI.
Jugement de l’Évangile.
J’ai terminé la partie la plus pénible de ma tâche.
J’ai examiné les diverses assertions sur lesquelles était assise la décision doctrinale du miracle de la Salette.
Je l’ai fait avec conscience, et partout j’ai apporté des preuves irrécusables.
Dénoncé au monde entier avec cette accusation odieuse d’avoir entassé, dans ma première partie, autant de mensonges que de mots, j’ai usé, j’ai dû user du droit de légitime défense.
Pour conserver la réserve et la modération, j’ai refoulé les pensées qui débordaient mon âme, car j’avais été méconnu jusqu’à l’insulte.
L’Église et l’opinion publique seront juges entre l’assertion qui aspirait à me flétrir et les preuves que j’ai données pour le triomphe de la vérité.
Le Mandement affirmait que le témoignage des enfants avait été toujours ferme, constant, invariable.
Le Mandement se trompait.
Le Mandement assurait que le témoignage des enfants avait révélé ces qualités, même devant la justice humaine.
Le Mandement se trompait.
Le Mandement assurait que des prodiges incontestables avaient été opérés par l’invocation de Notre-Dame de la Salette ou par l’eau de la fontaine.
Se plaçant en dehors des règles tracées par l’Église et puisant à une source infidèle, le Mandement se trompait.
Le Mandement assurait que des discussions graves et approfondies avaient eu lieu dans le sein de la commission.
Le Mandement se trompait.
Le Mandement assurait que le rapport de M. Rousselot, que son deuxième livre étaient des écrits impartiaux et consciencieux.
Le Mandement se trompait.
Le Mandement assurait que tous les membres du chapitre, que la très grande majorité des prêtres du diocèse avaient demandé expressément un jugement doctrinal.
Le Mandement se trompait.
Le Mandement assurait que le fait de la Salette était inexplicable sans l’intervention divine.
Le Mandement se trompait.
Il se trompait sur tous ces points ; et l’exactitude, la plus scrupuleuse exactitude de tous et de chacun d’eux était indispensablement nécessaire pour qu’il eût le droit d’appeler l’Église, d’appeler le monde catholique à s’incliner devant lui comme exprimant la vérité, comme reflétant la parole de Dieu.
Il est loin, bien loin d’en être ainsi.
Mais avant de tirer, l’Évangile à la main et par l’organe du prince des Apôtres, une conclusion légitime et rigoureuse, j’ai besoin de le déclarer à haute voix :
Ce Mandement n’est pas l’œuvre du prélat qui y a apposé sa signature.
Un évêque se recommande par l’amour du vrai, et pour trouver un évêque qui ait sacrifié cette loi sacrée dans un acte public, peut-être faudrait-il remonter jusqu’au schismatique Photius.
Je le répète donc, le Mandement du 19 septembre est une œuvre surprise à la religion de l’évêque de Grenoble. – Je le démontrerai tout à l’heure jusqu’à l’évidence.
Cette réserve faite, je tire mes conséquences.
Un sentiment pieux inspirait Saphire et Ananias, lorsqu’ils vendirent leur champ et vinrent déposer aux pieds des Apôtres une partie du prix.
Un sentiment pieux animait les partisans de la Salette dans la proclamation du jugement doctrinal.
Saphire et Ananias voulaient ménager aux Apôtres le moyen d’étendre plus facilement le règne de Dieu.
Les auteurs du Mandement doctrinal voulaient étendre le culte de la sainte Vierge.
Saphire et Ananias font acte de désintéressement en sacrifiant une partie de l’argent qui leur appartient.
Les auteurs du Mandement n’ont pas à se prévaloir d’un sentiment semblable, ils recueillent, ils ne se dépouillent pas.
Saphire et Ananias recourent au mensonge pour affecter aux yeux des Apôtres un désintéressement plus méritoire que ne le comportait leur conduite.
Les auteurs du Mandement passent à côté de la vérité pour imposer à l’Église et au monde catholique un dogme dont ils sont les créateurs.
Jusque-là le parallèle est en faveur de Saphire et d’Ananias.
Un mensonge, un mensonge qui ne porte aucun préjudice, suffit pour faire disparaître tout le mérite de leur action ; il suffît pour armer la justice de Dieu et allumer sa colère ; car Dieu est la vérité, Dieu vit de la vérité ; – l’erreur le blesse dans son essence, l’immole dans son être ; partout où est l’erreur, Dieu ne peut pas être.
L’erreur aussi se fait jour dans le Mandement, et un Mandement a bien une autre portée que les paroles obscures d’un Ananias ou d’une Saphire.
Là encore le rapprochement est en faveur de Saphire et d’Ananias.
Quelle sera la sentence de Dieu ?
J’ouvre l’Évangile, Actes des Apôtres, chap. V, versets 3 et 4 ; c’est Dieu qui se prononce par la bouche de Pierre.
« Ananias, pourquoi Satan a-t-il engagé ton cœur à mentir à l’Esprit-Saint et à tromper ? Tu n’as pas menti aux hommes, mais à Dieu. »
Et verset 9 : « Saphire, pourquoi cet accord avec Ananias pour tenter l’esprit de Dieu ? »
Le principe est posé, le mensonge est indiqué, sa gravité est établie, la peine suit immédiatement.
Rapide comme la pensée, la mort frappe successivement Ananias et Saphire ; tous les témoins sont dans l’épouvante, et le mensonge ressort aux yeux de tous comme le plus grand mal de Dieu.
Dieu est juste ; il ne se réforme pas : la réforme est l’apanage de l’imperfection. Les siècles sont devant Dieu comme s’ils n’étaient pas ; le temps ne mesure pas sa durée ; son jugement d’hier est celui d’aujourd’hui, sera celui de demain ; car, hier, aujourd’hui, demain, n’existent pas pour lui. Son anathème sur Ananias, sur Saphire frappe quiconque a recours au mensonge. Aussi le répété-je du plus profond de mon cœur, ce m’est un grand bonheur, une grande consolation que le Mandement du 19 septembre ne soit pas, ne puisse pas être l’œuvre du prélat qui l’a signé.
CHAPITRE XII.
Voies et moyens à l’appui du Mandement. – Excommunications. – Rescrits de Rome.
C’est cependant pour soutenir le Mandement doctrinal qu’a apparu, à la date du 12 septembre 1852, une circulaire, surprise à la religion de l’évêque de Grenoble et frappant d’excommunication quiconque publierait ou contribuerait à faire publier un ouvrage écrit dans le sens de la vérité et étudiant religieusement le fait de la Salette.
Mais l’excommunication est une arme confiée à la main des évêques pour conjurer l’erreur ; elle ne doit être employée que dans ce but ; et on pourrait être exposé à ses coups parce qu’on plaide la cause de la vérité, c’est-à-dire la cause de Dieu ! l’Église a-t-elle pu vouloir un aussi étrange abus ?
L’excommunication ! mais c’est la mise hors la communion ou l’union commune des fidèles, des prêtres, des évêques, du Pape, de l’Église en un mot.
Je me suppose un instant soumis à la juridiction de l’évêque de Grenoble. J’écris avec la conscience du droit et de la vérité, je suis excommunié, c’est-à-dire mis hors sa communion.
Mais sa communion, par rapport à la Salette, n’est pas celle de son métropolitain, celle de ses collègues de Gap, de Valence, de Belley, d’Avignon, de Chambéry, etc., etc. Séparé de lui, je suis en communion avec eux, avec leurs collègues pensant comme eux, avec leurs diocésains, avec la très grande majorité du monde catholique. Je le demande, est-ce ainsi qu’on sauvegarde l’unité de l’Église ? et l’Église, si elle cesse d’être une, est-elle bien l’Église de Dieu ?
Je comprends l’excommunication lancée contre un hérétique. Portée à Grenoble, par exemple, elle est répétée immédiatement à Lyon, à Valence, à Gap, à Chambéry, etc., etc., partout où existe un évêque ; et devant ce concert unanime, imposant, je reconnais la légitimité de la sentence. – Dès que ce concert n’existe pas, je ne reconnais plus qu’un acte isolé ; je le respecte dans son exagération, mais ma conscience ne saurait s’en alarmer. Ce qui est permis à Lyon, à Gap, à Valence, etc., ne saurait être défendu à Grenoble, et Dieu ne varie pas selon lieux et les personnes.
En vain, M. Rousselot, renchérissant sur une phrase de la circulaire du 12 septembre, vient-il, pages 196, 197, 198, 280 et 287 de son Nouveau Sanctuaire à Marie, présenter comme décisifs les rescrits de Rome accordant des indulgences et des grâces.
1° Rome a connu le fait de la Salette par le Mandement du 19 septembre 1851 et par les ouvrages de M. Rousselot (Nouveau Sanctuaire à Marie, pag. 59 et 60). Rome a dû croire que ce Mandement, ces ouvrages approuvés par un évêque ne renfermaient que la vérité ; Rome dès lors a dû agir comme elle l’a fait.
Si elle avait pu se douter que l’erreur s’était glissée partout, je le demande à M. Rousselot lui-même, les rescrits, les indults auraient-ils été accordés ? Rome aurait-elle voulu se rendre solidaire de l’erreur et prononcer la réforme de ce privilège glorieux que lui assure l’Évangile, « d’être la colonne et le fondement inébranlable de la vérité » ?
Poser ainsi la question, c’est la résoudre, même pour M. Rousselot. Je vais plus loin. Je prétends que, dans les usages de Rome, les rescrits qu’elle a donnés ne prouvent rien pour le fait de la Salette.
Une confrérie existe dans le monde catholique, elle compte de très nombreux agrégés : c’est la confrérie du Scapulaire.
Des indulgences ont été accordées à cette confrérie, qui a pris naissance dans le treizième siècle. Quinze Papes l’ont enrichie successivement de ces trésors de la grâce, qu’elle possède bien plus abondamment que Notre-Dame de la Salette, et certes, si la concession des indulgences implique de la part des Papes la reconnaissance du fait miraculeux auquel elles s’appliquent, cela est bien plus vrai pour le Scapulaire, doté de nombreuses indulgences par quinze Papes, que pour la Salette, dotée de quelques indulgences seulement par un Pape unique.
Or, quelle est l’opinion de l’Église par rapport à la collation des indulgences au Scapulaire comme au Chapelet de sainte Brigitte, comme à la Portioncule, etc., etc. ?
Ici je parle avec Benoît XIV, avec Muratori, avec Noël Alexandre, avec Bergier, avec tous les théologiens du monde catholique.
Dès qu’un fait n’a rien d’opposé à la foi, dès qu’il peut contribuer à la piété et à la dévotion envers la sainte Vierge, le Souverain-Pontife accorde facilement les indulgences qu’on lui demande, mais jamais jusqu’à ce jour l’Église n’a prétendu ATTESTER la certitude d’aucune révélation ou vision particulière.
Voilà la doctrine constante de l’Église, et c’est pour cela que Mgr de Bonald, dans sa mémorable circulaire du 6 août 1852, imprimait ces lignes :
« RIEN NE DOIT ÊTRE RÉSOLU sans avoir demandé la décision suprême de la chaire apostolique. Il N’EST PAS PERMIS de prendre un parti à cet égard sur la présomption du consentement du Souverain-Pontife. IL FAUT que ce consentement soit CLAIREMENT manifesté et que la sentence de Pierre soit exprimée d’une manière QUI NE DONNE LIEU À AUCUN DOUTE. Le cinquième concile de Latran croit aussi devoir défendre de publier et de faire circuler parmi les fidèles de nouvelles prophéties, de nouvelles révélations, avant de les avoir soumises au Saint-Siège. »
Le rappel de ces principes n’allait pas à M. Rousselot. Aussi, avec l’humilité qui le caractérise dans ses écrits, n’hésite-t-il pas (pages 76, 77, 78, 79 de son Nouveau Sanctuaire à Marie) à donner une leçon à Mgr de Lyon et à lui fournir la preuve qu’un professeur émérite de théologie a beaucoup de choses à apprendre sur les us et coutumes de l’Église, même à un métropolitain, cardinal et conseiller naturel du Souverain Pontife.
Ce trait n’est pas le moins plaisant de ceux que nous révèle la plume du célèbre professeur.
M. Rousselot prétendrait-il que le Pape, dont je respecte la toute-puissance autant qu’il peut la vénérer lui-même, a modifié sur ce point la tradition qu’il a reçue de ses prédécesseurs ?
Prétendrait-il que, par rapport à la Salette, tout rescrit accordant des indulgences emporte de plein droit la reconnaissance du fait ?
Sur ce point encore, je puis le satisfaire.
Il existe en France, et dans le diocèse de Grenoble en particulier, une confrérie du Scapulaire de la Passion et des SS Cœurs de Jésus et de Marie.
La légende de cette confrérie est une apparition de Notre Seigneur J.-C. à une fille de la Charité, le 26 juillet 1846.
Cette date, on le voit, touche de près à celle de l’apparition de la Salette.
En juin 1847, le supérieur général de la congrégation des filles de la Charité, qui n’ajoutait pas grande importance aux communications qu’il avait reçues de la fille privilégiée, se trouve à Rome, en présence du Souverain-Pontife, et croit devoir lui en faire part. À son grand étonnement, aucune objection ne lui est faite, et Pie IX, sur ce simple rapport, heureux de stimuler par un moyen nouveau la conversion des pécheurs, autorise, le 25 juin 1847, la bénédiction et la distribution du scapulaire de la Passion de J.-C. et attache des indulgences à cette religieuse institution.
Le 21 mars 1848, nouveau rescrit, nouvelles indulgences.
Je tire ces quelques détails d’une notice imprimée à Paris, chez René, par les ordres du supérieur général et distribuée à tous les agrégés.
Rien, ce semble, n’est plus clair que cette conduite de Pie IX ; rien ne prouve plus évidemment que les usages passés sont en vigueur encore aujourd’hui.
Un prêtre, un simple prêtre, communique au Pape des apparitions dont une pieuse fille de la Charité prétend avoir été privilégiée ; ce prêtre n’est pas lui-même très croyant. – Sur-le-champ, le Pape, au grand étonnement du prêtre, accorde des indulgences, puis l’année suivante, en accorde de nouvelles, parce qu’il voit dans cette mesure un moyen de plus pour gagner des âmes à J.-C.
Ce motif lui suffit ; aussi ne procède-t-il pas au moindre examen sur la vérité de ces apparitions, et aujourd’hui il est reçu dans l’Église entière que ces apparitions n’ont pas eu lieu.
Pie IX est trop pénétré de la grandeur de son ministère et de la sublimité de sa mission pour avoir deux poids et deux mesures, et tant qu’il n’aura pas dit expressément, suivant le langage de Mgr de Bonald : « La Salette est vraie », la Salette est pour lui comme le Scapulaire de la Passion ; elle est pour lui, comme toutes les confréries dotées d’indulgences ont été pour ses prédécesseurs, un moyen d’étendre la piété, la dévotion à Marie. – Elle n’est rien de plus, et M. Rousselot fait illusion à ses lecteurs, il les trompe en prétendant que Rome a parlé, qu’en parlant elle a reconnu la certitude de l’apparition de la Salette. Cette opinion est contraire à la vérité, contraire aux traditions de la cour de Rome, et l’argument de M. Rousselot reste sans valeur.
Cette tradition constante de la cour de Rome indique également l’importance qu’il faut attacher à la communication du Mandement à un prince illustre de l’Église romaine, à son insertion dans l’Osservatore cattolico, à l’ouverture d’une quête au profit de la chapelle dans les bureaux de ce journal. – Un sanctuaire à la sainte Vierge est un appel à la dévotion, à la piété. Rome n’a vu, n’a pu et voulu voir que cela.
M. Rousselot fait encore illusion, il trompe de nouveau ses lecteurs en proclamant que, par ces divers actes, Rome a reconnu la certitude, la vérité de l’apparition. – Cela n’est pas.
Ainsi tombe, devant l’exposé comparatif et historique des usages de Rome, l’échafaudage que M. Rousselot a élevé avec tant de peine.
Ainsi se réduisent à néant les preuves qu’il prétendait tirer, en faveur de la Salette, des divers rescrits et des diverses indulgences.
Ainsi s’évanouit en fumée la preuve tirée de l’indult signé par le cardinal Lambruschini, indult que M. Rousselot, page 286 de son Nouveau Sanctuaire, appelle une pièce décisive en faveur du fait de la Salette et qui ne constate qu’une seule chose, c’est que toutes les concessions faites à la Salette l’ont été à la suite d’humbles suppliques de Mgr de Grenoble ; et, je le demande, comment la prière d’un évêque n’aurait-elle pas été accueillie, lorsque pour le Scapulaire de la Passion, l’offre d’indulgences a été faite à un simple prêtre qui ne les demandait pas ?
CHAPITRE XIII.
Le Mandement n’est pas l’œuvre d’un évêque.
Les conséquences forcées que M. Rousselot prétendait tirer de la conduite de Rome sont maintenant jugées par Rome elle-même. Un dernier devoir me reste à remplir.
J’ai annoncé avec bonheur que le Mandement doctrinal n’était pas l’œuvre de Mgr l’évêque de Grenoble. Je persiste dans cette opinion ; j’y persiste pour l’honneur de l’épiscopat. Je viens apporter mes preuves.
Le 25 mai 1852 avait vu la pose de la première pierre du nouveau sanctuaire sur la montagne de la Salette. Un corps de missionnaires avait été institué pour desservir le pèlerinage et hâtait, par sa présence, la construction de la chapelle. Ce corps, né d’hier, était accepté avec suspicion et défiance, à raison de son titre (missionnaires de Notre-Dame de la Salette). L’édifice religieux sortait à peine de terre. Jamais la présence de Mgr de Bruillard à la tête de son diocèse n’avait été plus nécessaire, elle garantissait la continuité des travaux, l’acceptation des missionnaires ; car la volonté épiscopale voulait les deux choses et les voulait sans permettre la plus légère contradiction. – Tout à coup le diocèse de Grenoble apprend avec une prodigieuse surprise que Mgr de Bruillard a donné sa démission et que son œuvre va être livrée à la consciencieuse appréciation de son successeur.
L’opinion publique s’émeut de cette brusque détermination. Elle s’en émeut d’autant plus que vicaires généraux, chanoines, curés, tous sans exception, n’en sont informés que par l’insertion au Moniteur de la nomination de son successeur. L’évêque éprouve le besoin de s’épancher une fois encore dans le cœur de son clergé ; il lui adresse, à la date du 21 décembre 1852, une lettre pastorale dont le premier paragraphe est ainsi conçu :
« Vous le savez : peu d’années après mon arrivée dans ce vaste et beau diocèse, des douleurs d’une grande intensité et que jusqu’alors je ne connaissais que de nom, sont venues m’assaillir et me rendre très pénibles les travaux auxquels j’ai cependant continué de me livrer sans interruption. Pendant les deux années surtout qui ont précédé celle-ci, elles n’ont pas cessé de se faire sentir et m’ont contraint plusieurs fois de recourir à de charitables et zélés collègues pour des fonctions que je ne pouvais remplir. »
Ce langage est assez clair. En 1850, 1851, 1852, des douleurs très intenses viennent assaillir Monseigneur ; ses travaux lui sont rendus très pénibles. Toujours souffrant, il est contraint de confier à des collègues une partie de ses fonctions.
Mais parmi ces fonctions, il en est dont l’accomplissement lui est plus spécialement impossible, à raison de l’affection névralgique qui le tourmente, telles que, par exemple, l’examen approfondi des détails de l’apparition et de leur connexité avec la sainte Vierge. Quand la tête souffre violemment, quand elle souffre toujours, une discussion sérieuse est impossible. Dès lors Monseigneur l’a abandonnée aux hommes de sa droite, et comme ils avaient étudié, recherché, analysé, décidé en quelque sorte, ils ont dû, eux aussi, consigner par écrit les raisons de leur opinion. Ce travail ne pouvait émaner que d’eux.
Le premier paragraphe de la lettre pastorale du 21 décembre est vrai surtout dans ce sens. Je me trompe, il est impératif dans ce sens, et toutefois je consens à ne voir en lui qu’une simple indication.
Mais voici quelque chose de plus significatif.
Le 18 septembre 1851, M. l’abbé Gerin, curé de la cathédrale de Grenoble, montait à la Salette, il devait avoir pour compagnon de voyage M. Rousselot, mais celui-ci était retenu à Grenoble pour mettre la dernière main au Mandement du 19 septembre, et M. Gerin exerçait un profond regret de la lenteur apportée à la confection définitive de cette pièce qu’il devait lire sur la montagne, à la messe du célèbre anniversaire.
M. Gerin tenait ce langage aux prêtres qui fêtaient avec lui la Salette, le 19 septembre, et M. Gerin était bien au courant de ce qui se passait. Il avait accompagné M. Rousselot à Rome, il avait participé à tous ses projets, il le voyait chaque jour depuis leur rentrée à Grenoble, il le quittait au moment où il partait seul pour la Salette. M. Gerin, par ses confidences, déclarait expressément que le Mandement était l’œuvre personnelle de M. Rousselot.
D’autres faits, d’autres appréciations viennent corroborer cette déclaration.
Les faits d’abord.
Le premier rapport sur la Salette porte deux signatures, celle de M. Rousselot, celle de M. Orcel, supérieur du Grand-Séminaire.
Le Mandement dégage pleinement M. Orcel, dont il ne tient aucun compte, il attribue le rapport exclusivement à M. Rousselot.
Ce rapport a besoin, deux ans plus tard, d’être fortifié et soutenu par une publication nouvelle. – M. Rousselot seul prend la plume.
L’incident d’Ars survient. – C’est encore M. Rousselot qui le combat par la presse.
S. E. le cardinal de Bonald indique l’intention du Souverain-Pontife, par rapport au secret des deux bergers, – M. Rousselot se charge d’imprimer, page 57 de son Nouveau Sanctuaire, qu’une lettre à l’adresse du Pape ne serait pas en sûreté dans les mains du cardinal.
Le cardinal annonce son voyage à Grenoble. – Il importe de déjouer sa mission par rapport au secret des enfants. – M. Rousselot est l’émissaire expédié à Rome, six jours avant l’arrivée du cardinal.
Le voyage de Rome est terminé, le Mandement doctrinal est fait ; ce Mandement porte que la très grande majorité du clergé diocésain sollicite de Mgr une décision formelle en faveur de la Salette. Ce Mandement est à la date du 19 septembre.
Le 25 septembre, c’est-à-dire six jours après, M. Rousselot met en mouvement MM. les abbés Sibillat et Moulin pour solliciter auprès des prêtres de la retraite cette réclamation, à laquelle aucun d’eux n’avait songé. – M. Rousselot se met lui-même en mouvement à Vienne pour continuer cette quête d’adhésions : dans le mois d’octobre, il la fait poursuivre par M. l’abbé Grisel. C’est lui, toujours lui qui est en scène.
Le Mandement du 19 septembre se termine par ces mots : « Ainsi est tombée la dernière objection faite contre l’apparition, savoir qu’il n’y avait point de secret, ou que ce secret était sans importance, puéril même, etc. »
Le 25 septembre, M. Rousselot publie une notice sur son voyage à Rome et la termine par cette phrase : « Si ce secret eût été ou puéril, ou indigne de celle qui le donna, il y a cinq ans, le fait lui-même devait tomber. »
Trop longue serait l’énumération de tous et de chacun des faits qui mettent M. Rousselot en relief, je termine par l’un d’eux qui est plus significatif que tous les autres.
Ma première partie était publiée fin août 1852 ; le 1er septembre, Mgr l’évêque signait la lettre que j’ai reproduite en tête de cette partie et l’expédiait au journal l’Univers. Le 3 septembre, M. Rousselot publiait à son tour, sous le titre de la Salette vengée, une première et courte réponse (Nouveau Sanctuaire, page 87). Le lundi, 7 septembre, s’ouvrait la retraite ecclésiastique qui absorbait tous les instants de M. Rousselot, vicaire général ; du 3 au 7 septembre, deux jours pleins s’étaient écoulés et parmi eux un dimanche, jour dont la plus grande partie occupe pour les offices capitulaires les membres du chapitre et par conséquent M. Rousselot. Deux jours seulement lui étaient dès lors restés pour des travaux sérieux, et à la tête de son Nouveau Sanctuaire à Marie, ouvrage de 299 pages grand in-12, on lit, sous la date du 8 septembre 1852, fête de la nativité de Marie, une approbation signée par Mgr Philibert, évêque de Grenoble, portant ces mots :
« NOUS AVONS PRIS CONNAISSANCE du troisième volume que M. Rousselot se propose de publier sur l’évènement de la Salette, etc. »
Or, le 8 septembre, ce troisième volume n’existait pas, ne pouvait pas exister. M. Rousselot eût-il été, comme Origène, gratifié du don de dicter à trois secrétaires à la fois, il lui eût été matériellement impossible, du 3 au 8 septembre, de leur dicter la quinzième partie de cet ouvrage, qui n’a été publié que fin janvier 1853, c’est-à-dire près de cinq mois plus tard. Comment dès lors Mgr l’évêque aurait-il pu en prendre connaissance le 8 septembre ?
Ces expressions sont inexactes, erronées ; un évêque ne peut pas mentir, comment alors les expliquer, si ce n’est par la confiance absolue dont M. Rousselot est en possession, surtout depuis ses publications sur la Salette ? L’adage is fecit cui prodest, celui-là a agi auquel la chose profite, ne se présente-t-il pas naturellement à l’esprit, pour l’honneur de l’épiscopat ? – Il y a plus. Depuis le 9 décembre 1853, un nouveau prélat est nommé à l’évêché de Grenoble ; sa responsabilité seule est désormais engagée dans le fait de la Salette, une publication faite en dehors de lui serait une très haute inconvenance, pour ne rien dire de plus. Mais le 23 septembre est le jour où Mgr Philibert a donné sa démission officielle ; à dater de ce jour, toute approbation émanant de lui, au profit d’un ouvrage sur ce fait, ne saurait avoir l’influence morale qui était due à ses approbations antérieures, alors qu’il était dans le plein exercice de son administration et de sa responsabilité. On imagine une approbation anticipée, et je le constate avec bonheur, car l’ouvrage de M. Rousselot est tellement malheureux dans le fond et dans la forme, qu’il a profondément consterné ses amis et les partisans de la Salette ; et s’il eût existé le 8 septembre, si Mgr Philibert l’avait lu, sa plume se serait brisée mille fois dans ses mains plutôt que de l’approuver. Là encore se représente à l’esprit l’adage que j’ai déjà cité : Is fecit cui prodest.
– M. Rousselot, du reste, vient à mon aide, car il insère dans cet ouvrage jusques à vingt-cinq pièces ou lettres, dont quelques-unes ont deux, trois, quatre et cinq pages ; ces pièces ou lettres sont disséminées de la page 110 à la page 294. Elles sont aux dates des 18 octobre 1852, page 140 ; 1er octobre 1852, page 142 ; 11 octobre 1852, page 144 ; 14 septembre 1852, page 433 ; 22 novembre 1852, page 151 ; 21 septembre 1852, page 202 ; 27 novembre 1852, page 205 ; 28 octobre 1852, page 207 ; 11 novembre 1852, page 209 ; 4 novembre 1852, page 209 ; 3 décembre 1852, page 221 ; 27 novembre 1852, page 229 ; 49 octobre 1852, page 279 ; 8 janvier 1853, page 281 ; 2 décembre 1852, page 287 ; 17 janvier 1853, page 289 ; 31 décembre 1852, page 293. Et de plus, huit brefs ou indults de Rome, aux dates des 3-7 septembre et 2 décembre 1852.
Je le demande, comment ces lettres, dont la plupart viennent de diocèses et de pays étrangers et sont insérées dans le corps de l’ouvrage, ont-elles pu ÊTRE CONNUES de Mgr Philibert le 8 septembre 1852, selon les termes formels de son approbation ? Encore une fois, n’est-on pas porté, malgré soi, à murmurer : Is fecit cui prodest ?
D’autres appréciations viennent corroborer ces faits, et quelques-unes appartiennent à M. Rousselot lui-même.
À la page 166, ligne 10 du Nouveau Sanctuaire à Marie, il parle de ceux qui croient À CAUSE DE LUI au fait de la Salette. – Page 167, ligne 10, il examine comment il a pu réussir à persuader à tant de bons esprits la croyance à ce fait. Il fait de tout cela son acte propre et personnel ; la cause de la Salette est la sienne ; sous sa plume, elle n’appartient à nul autre qu’à lui. Ces aveux ont leur valeur déjà. D’un autre côté, le style, les pensées, les arguments du Mandement doctrinal sont le style, les pensées, les arguments des ouvrages de M. Rousselot. Un seul et même esprit inspire ces diverses productions, et pour les faire accepter par tous, M. Rousselot, jusque-là étranger en quelque sorte à l’administration du diocèse, en saisit les rênes, il les dirige, les laisse flotter ou les resserre, selon qu’il a à traiter avec un partisan ou un indifférent à la Salette, et aujourd’hui le clergé du diocèse comprend très bien, sent mieux encore l’application de cette maxime : Hors M. Rousselot, point de salut.
Avais-je tort, je le demande, de considérer le Mandement doctrinal comme l’œuvre de M. Rousselot ?
——————
NOTA. – Ces lignes étaient sous presse au moment où une nouvelle plus singulière, je pourrais dire plus audacieuse que toutes les autres me parvient. – Le corps des missionnaires de la Salette est institué depuis le 25 mai 1852. Il habite Grenoble depuis le mois d’octobre ; six mois se sont écoulés depuis qu’il a pris ses quartiers d’hiver. On touche au jour qui verra arriver à Grenoble le nouvel évêque préconisé à Rome le 7 mars. Il importe de le contraindre à paraître croyant à la Salette. Le 10 avril, une cérémonie religieuse appellera sous les voûtes de la cathédrale et, pour la première fois, les fidèles, qui auront à entendre une prédication sur la Salette.
Cette cérémonie se renouvellera tous les mois, le deuxième dimanche : ainsi la chose a été annoncée du haut de la chaire.
Mgr Ginouilhac sera à Grenoble fin avril. Le 8 mai, avant qu’il ait eu le temps d’étudier la Salette, et, par conséquent, de se prononcer, la deuxième cérémonie aura lieu dans sa cathédrale.
Ce fait lui appartiendra en quelque sorte et engagera sa foi.
Tel est l’espoir des organisateurs maladroits ; ils connaissent bien mal la conscience d’un évêque, et si je signale leur tendance, c’est uniquement pour leur apprendre que la conscience publique veille pour eux et sur eux.
CHAPITRE XIV.
M. Rousselot et son premier factum.
Le monde catholique était encore surpris et ému de la lettre épiscopale du 1er septembre, qui m’a forcé à l’examen du Mandement doctrinal, lorsque M. Rousselot publie et fait insérer dans l’Univers du 11 septembre une philippique sous le titre de la Salette vengée contre de nouvelles attaques.
Cette philippique devait trouver place dans le Nouveau Sanctuaire à Marie, aussi est-elle reproduite page 87 et suivantes.
Je lis en tête cette observation.
« Avec la permission de notre vénérable prélat, nous fîmes à l’indigne pamphlet une première et courte réponse, que nous reproduisons ici avec des développements que l’on nous a demandés. »
Ces quelques mots me faisaient espérer une reproduction exacte, enrichie de quelques commentaires ; mais M. Rousselot n’est pas comme le commun des mortels, il ne sait pas tenir ses engagements : aussi juge-t-il à propos de supprimer quatorze paragraphes que je reproduirai avec une annotation particulière. Ils ont été publiés ; ils appartiennent à la discussion, et comme je n’ai rien à cacher, j’ai le droit aussi de soulever le voile derrière lequel se cache sournoisement mon adversaire. – Je regrette qu’une indigeste longueur ne me permette pas de publier aussi ses développements qui ne prouvent rien ; trois seulement font exception ; je les renvoie au chapitre spécial à M. Rousselot, où je les cite en entier.
Voici sa philippique :
« Nous examinerons deux questions : 1° Sur quoi repose le Fait de la Salette ? 2° Mgr l’évêque de Grenoble a-t-il pu prononcer sur ce fait ?
I. – La vérité du fait de la Salette repose sur deux fondements inébranlables :
1er FONDEMENT. – Les deux bergers ne sont ni trompeurs ni trompés.
Ils ne sont point trompeurs, parce qu’ils n’ont pu inventer leur récit, ni les circonstances qui accompagnent leur récit ; ni concerter entre eux leur récit ; ni convenir entre eux des réponses à faire quand ils seraient interrogés séparément ; ni prévoir les milliers d’interrogatoires qu’ils auraient à subir ; ni s’imposer un secret, ni se donner la force de le garder inviolablement en tout temps, en tout lieu, à l’égard de tous 40.
Ils ne sont point trompés : ils n’ont été les dupes d’aucune mystification, d’aucune jonglerie naturellement explicable 41.
Ainsi l’ont cru, ainsi le croient encore les partisans du Fait 42.
Ainsi l’ont cru pendant quatre ans les opposants. L’un d’eux écrivait à la Voix de la Vérité, le 10 juin 1850 : La plus forte preuve que l’on puisse apporter pour un vrai miracle, c’est l’IMPOSSIBILITÉ où l’on est de dire qui a mystifié les enfants, et la GRANDE DIFFICULTÉ qu’il y a de soutenir qu’ils sont trompeurs et inventeurs de leur récit.
Ce qui en 1850 était impossible, ce qui était grandement difficile, est-il devenu aujourd’hui possible et facile aux opposants 43 ?
2e FONDEMENT. – Avant et après l’incident d’Ars (aujourd’hui le dernier retranchement de l’opposition) 44, des miracles vrais et bien attestés, publics et éclatants se sont opérés en divers lieux et sur divers malades par l’intercession de la sainte Vierge, invoquée sous le nom de Notre-Dame de la Salette, et avec l’usage pieux de l’eau de la Salette.
Un seul de ces miracles, celui d’Avallon, par exemple, proclamé authentique par Mgr l’archevêque de Sens, suffirait pour établir la vérité de l’apparition de la Salette 45 ; et il y en a une infinité d’autres que l’on ne peut mettre en doute, sans nier les fondements de la certitude, et sans avoir l’affreux courage 46 d’avancer que nulle part on n’a eu des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, des mains pour toucher ; ni évêques, ni grands vicaires, ni prêtres, ni médecins, ni paroisses, ni communautés religieuses n’ont bien vu, n’ont bien jugé, n’ont bien attesté ces deux choses si simples : MALADIE et GUÉRISON.
Les opposants sont-ils donc descendus dans le pyrrhonisme historique 47 ?
II. – Mgr l’évêque de Grenoble a-t-il pu proclamer la vérité du Fait de la Salette par son Mandement du 19 septembre 1851 ?
Il l’a pu ; le Concile de Trente lui en donne le pouvoir en ces termes : Nulla eliam admittenda esse nova miracula, nec novas Reliquias recipiendas, nisi eodem recognoscente et approbante Épiscopo, qui simul atque de iis aliquid compertum habuerit, adhibitis in concilium Theologis, et aliis piis viris, ea faciat, quae veritati et pietati consentanea judicaverit. (On ne doit admettre de nouveaux miracles et reconnaître de nouvelles reliques que lorsqu’ils ont été reconnus et approuvés par l’évêque qui, dès qu’il en aura une connaissance sérieuse, après avoir réuni les théologiens et d’autres personnes pieuses, fera ce qu’il jugera conforme à la vérité et à la piété.) N’est-ce pas ce qu’a fait l’évêque de Grenoble 48 ?
Il l’a pu, sans recourir ni au Métropolitain ni au Concile provincial, sans violer le Concile de Trente dont voici les paroles suivantes : Quod si aliquis dubius aut difficilis abusus sit exstirpandus (Que si quelque abus difficile ou douteux est à extirper). (Quel abus y avait-il ici à extirper ?) 49 vel omnino aliqua de iis rebus gravior quaestio incidat (ou si seulement une question grave se présente sur ces points). (Cette question grave dans le Fait de la Salette, était-ce le bruit d’une imperceptible minorité ?) 50 Episcopus, antequam controversiam dirimat, Metropolitani et comprovincialium in concilio provinciali sententiam exspectet (L’évêque, avant de terminer la controverse, doit attendre la sentence du Métropolitain et de ses comprovinciaux en Concile provincial). L’évêque de Grenoble n’avait donc pas besoin de recourir ni au Métropolitain ni au Concile provincial, puisqu’il n’y avait pas cette question grave, cette question difficile, cet abus à extirper 51. Le Fait de la Salette était à établir d’une manière contradictoire, et c’est ce qui a été fait.
Il l’a pu, sans recourir au Souverain-Pontife, en vertu du même Concile, dont voici la troisième phrase : Ita tamen, ut nihil, inconsulto sanctissimo Romano Pontifice NOVUM, aut in Ecclesia HACTENUS INUSITATUM decernatur, (De telle sorte cependant que rien de nouveau ou d’inusité jusque-là dans l’Église ne soit décidé sans avoir consulté le très Saint-Pontife Romain.) Eh bien ! l’évêque de Grenoble, en déclarant l’Apparition miraculeuse et en construisant un sanctuaire nouveau en l’honneur de Marie, qu’a-t-il fait de NOUVEAU ? qu’a-t-il fait d’INUSITÉ 52 ?
Il l’a pu, comme Benoît XIV lui en reconnaît le droit : de Beatificatione et Canoniz. serv. Dei, lib. II, cap. 31, no 12 53.
Il l’a pu, comme S. E. le cardinal Patrizi proclamait miraculeuse la conversion de M. Rastibonne, et cela à Rome même, sous les yeux de Sa Sainteté, mais sans aucun rescrit de Sa Sainteté 54.
Il l’a pu, comme l’archevêque d’Embrun autorisa le sanctuaire du Laus, comme l’évêque de Grenoble autorisa le pèlerinage de l’Osier, l’un et l’autre sans rescrit apostolique 55.
Il l’a pu, comme un évêque a autorisé le culte de la Médaille miraculeuse, il y a une vingtaine d’années, et cela sans rescrit de Rome 56.
Il l’a pu ; et feu Mgr DEVIE, de si sainte mémoire, si versé dans la théologie et dans le Droit canon, écrivait à monseigneur de Grenoble, le 20 décembre 1851 : « Je vous félicite, monseigneur, d’avoir pris votre parti relativement à l’affaire de la Salette en publiant votre Mandement et en prenant des mesures pour construire un nouveau sanctuaire à Marie. D’après les LOIS CANONIQUES, vous êtes SEUL à portée de décider cette question. Que le Dieu de bonté daigne bénir votre entreprise et vous y faire trouver une source de consolations. » 57
Le sanctuaire de Fourvière, dans son origine, a-t-il jamais produit un rescrit de Rome, ou même un Mandement de l’archevêque de Lyon en sa faveur 58 ?
Pour proclamer un miracle, il suffit que l’évêque en ait acquis la preuve 59 ; pour construire une nouvelle chapelle en l’honneur de la sainte Vierge ou d’un saint canonisé, il suffit de la volonté de l’évêque.
Pour établir quelque chose de nouveau ou d’inusité, il faut recourir à Rome. Voilà la règle sur toute la matière. Or, qui osera dire que le culte de la sainte Vierge, ou une extension de ce culte, est une chose nouvelle ou inusitée dans l’Église 60 ?
Contre le Fait de la Salette et contre la vénérable autorité qui le proclama vrai, s’élevaient naguères d’infâmes chansons, et aujourd’hui un pamphlet est publié 61.
Nous le demandons à tout homme sensé, ne fût-il même pas bien chrétien :
CONTRE UN FAIT ÉTABLI et contre une AUTORITÉ SACRÉE agissant dans la plénitude de ses droits 62 :
Que signifient des chansons infâmes et doublement anonymes ? Rien, absolument rien ; si ce n’est dans les auteurs l’impuissance de nuire.
Que signifient des notes injurieuses et calomnieuses ? Rien 63.
Que signifie un pamphlet qui, en ne respectant rien, déshonore son auteur ? Rien 64.
Le Fait de la Salette est-il faux parce que le pamphlétaire 65 fait une grosse hérésie en faisant dériver la primauté d’honneur et de juridiction que possède de droit divin le chef suprême de l’Église, d’un consentement des évêques du quatrième siècle ? parce qu’il dit une fausseté, une bévue historique et une hérésie, en égalant Antioche et Alexandrie avec Rome ? Non, mille fois non 66.
Le Fait de la Salette est-il faux parce que le pamphlétaire dit que la raison de la tenue des Conciles, c’est la liberté de discuter, sans ajouter que c’est surtout pour juger et terminer les questions ? Non, mille fois non 67.
Le Fait de la Salette est-il faux, parce que le pamphlétaire, s’érigeant en canoniste d’une nouvelle espèce, ose avancer que la sentence d’un évêque n’est juste, n’est valide, qu’autant qu’elle est soumise à la juridiction du Concile provincial ? Non, mille fois non 68.
Mais aussi, avis à vous, NN. SS. les évêques, qui prononcez des suspenses et des interdits dans vos diocèses, sans en référer au Concile provincial ! Le nouveau canoniste saura bien restreindre ce pouvoir illimité que vous tenez du St-Esprit, posuit Épiscopos regere Ecclesiam Dei, du saint Concile de Trente, sess. XIV, de réform., des Papes qui approuvent hautement un ouvrage tel que celui-ci : Des sentences épiscopales dites de conscience informée, ou du droit de suspendre, sans procédure, un titulaire même inamovible, et de l’appel de cette sentence, par Mgr l’évêque de Luçon, suivie de la décision de la sacrée Congrégation du Concile, du 8 mai 1848, approuvée par S. S. le Pape Pie IX, le 22 mai suivant.
Pieux et savant évêque de Luçon, vous voilà sous le coup du canoniste improvisé, comme vous êtes sous le poids de la colère du pamphlétaire ; vous qui venez de publier une si belle lettre pastorale sur la Salette, le 30 juin dernier. – Revenons. (Les deux paragraphes ci-dessus sont supprimés dans le Nouveau Sanctuaire) 69.
Le Fait de la Salette est-il faux parce que le pamphlétaire, se plaçant au-dessus de son juge, dans l’ordre religieux, gourmande l’autorité qui en a proclamé la vérité ? parce qu’il se moque de cette autorité ? Non, mille fois non 70.
Le Fait de la Salette est-il faux parce que le pamphlétaire outrage dans son livre les personnes les plus respectables du diocèse ? Non, mille fois non 71.
Parce qu’il calomnie l’évêque de Gap, qui a déjà réclamé et stigmatisé d’œuvre de ténèbres le misérable libelle 72 ?
Parce qu’il calomnie M. l’abbé Challuau, qui a déjà réclamé 73 ?
Parce qu’après Monseigneur, il outrage, il injurie, calomnie les grands vicaires 74 ?
Parce qu’il injurie M. Orcel, depuis dix-sept ans supérieur du Grand-Séminaire, père, ami et guide de la moitié des prêtres du diocèse 75 ?
Parce qu’il accuse de basse spéculation le respectable M. Mélin, chanoine honoraire, curé-archiprêtre de Corps, connu et estimé du monde entier 76 ? (Les cinq paragraphes ci-dessus sont supprimés dans le Nouveau Sanctuaire.)
Parce qu’aucun membre de la commission, excepté les quatre opposants, n’ont, aux yeux du pamphlétaire, ni lumières ni amour de la vérité 77 ?
Parce que M. Gerin, quoique prêtre selon le cœur de Dieu, est cependant, au dire du pamphlétaire, fanatique du culte de Marie, et qu’étant plus riche par le cœur que par la tête, il n’a pu être juge 78 ? (Supprimé dans le Nouveau Sanctuaire.)
Parce que M. Rousselot, le plus coupable de tous les croyants, disons le mot, le plus scélérat, a commis, d’après l’énumération bénévole et toute bienveillante du pamphlétaire, au moins onze crimes dans ses écrits sur la Salette ? Aussi pourquoi n’est-il pas aux galères 79 ?
Parce que le fait d’Ars est plus ou moins dénaturé par le pamphlétaire, qui aussi pourrait être accusé.......... ? Je répondrai toujours : non, mille fois non 80.
Le fait d’Ars, quand il contiendrait un démenti, prouve-t-il contre la Salette ? Non ; nous l’avons prouvé, nous le prouverons encore 81 ?
Toutes les faussetés du libelle peuvent-elles détruire ou seulement infirmer un fait bien prouvé, tel que celui de la Salette ? Non, assurément 82 ?
Toutes ces faussetés forment-elles une véritable objection contre la Salette ? Aux yeux des hommes sensés ? Non 83.
Toutes les injures renfermées dans le libelle contre le fait et contre l’autorité qui l’a proclamé, et contre les partisans et les défenseurs de l’un et de l’autre, peuvent-elles leur être nuisibles ? Non encore 84.
À qui peuvent-elles nuire ? À leur auteur, auquel bien des gens ont dit tout bas : tu te fâches, donc tu as tort 85. (Ces six derniers paragraphes sont encore supprimés dans le Nouveau Sanctuaire.)
Est-ce réfuter un fait que de l’appeler jonglerie, comédie, sottise, spéculation, etc., sans se donner la moindre peine pour justifier ces assertions en l’air ? Non, certes 86.
Vilipender l’autorité épiscopale dans sa personne ou dans ses actes, est-ce chose toute simple et permise ? Non, non, non 87.
S’indigner du silence imposé parie Mandement sur la Salette, en rappeler à une nouvelle discussion, cela n’est-il pas permis ? Non, il n’en sera jamais ainsi dans l’Église ; il n’en est pas même ainsi des arrêts des tribunaux, et tout le monde adopte la maxime : Res judicata pro vera habetur 88.
Mais le libelliste ne dit-il pas pour sa raison que depuis dix-huit siècles il est permis de discuter les paroles et les miracles de l’Évangile ? Oui, il le dit, et en cela il se range avec les hérétiques et les incrédules. Car pour le chrétien catholique, loin de les discuter, il en reçoit humblement la foi de l’Église, à laquelle il appartient de les interpréter infailliblement 89.
Avez-vous épuisé tout ce que le libelle contient de faux, d’énorme, d’hérétique, d’injurieux, d’outrageant, etc., etc. ? Non, certes. Un enfant peut, en un instant, embrouiller un écheveau de fil, il faut des heures pour le débrouiller ; ce qui est la traduction libre, mais vraie de cet axiome des écoles : Plus negaret..... quam probaret..... 90
Mais l’auteur menace de donner une suite à son livre ? Attaquer de cette manière le fait de la Salette, se déchaîner ainsi contre une autorité sacrée pour le vrai chrétien, ce sera montrer une fois de plus que l’on n’a rien de sérieux à objecter ; ce sera prouver une fois de plus que l’on est vaincu 91 ; ce sera une fois de plus afficher sa honte.
Et c’est au moment des inondations ; au moment où plusieurs branches de récolte périssent par une maladie inconnue ; au moment où tout nous presse de recourir au ciel, d’apaiser la justice divine ; au moment où le culte de Marie, protectrice miséricordieuse de la France et du diocèse, reçoit partout une extension désirable : c’est en ce moment, dis-je, qu’est venue apparaître, comme un sinistre météore, cette odieuse production 92.
Grenoble, 3 septembre 1852.
L’abbé ROUSSELOT,
Chanoine, Vicaire général.
CHAPITRE XV.
M. Rousselot peint par lui-même ; jugé par ses actes. – Quelques mots sur son dernier ouvrage.
Au lieu de discuter les faits avec gravité, M. Rousselot a mieux aimé se livrer à des attaques personnelles et consacrer la plus grande partie de son long et indigeste volume à l’insulte et à l’outrage. Je suis loin de m’en plaindre, je l’en remercie au contraire ; le défenseur de la vérité ne recourt jamais à de semblables moyens, car partout où ils se rencontrent, on est sûr que là est aussi la passion, la passion auxiliaire naturelle de l’erreur.
En déversant sur moi l’injure, en appelant sur moi l’opprobre et la malédiction, M. Rousselot devait, par contraste, se décerner l’éloge, la considération, l’estime. Il n’a pas failli à sa tâche, et page 165 de son Nouveau Sanctuaire à Marie, il trace de lui le portrait suivant.
« Depuis quarante ans nous sommes dans le premier établissement d’un vaste diocèse, honoré de la bienveillance de l’ancien prélat pendant treize ans et du prélat actuel depuis plus de vingt-six ans. Depuis quarante ans nous vivons dans l’intimité de nos collègues du Grand-Séminaire ; depuis près de vingt ans nous sommes membre du chapitre de la Cathédrale. Plus de mille prêtres sur mille deux cents sortis de notre école sont vivants et exercent le saint ministère dans le diocèse ou hors du diocèse. Pendant quarante ans nous avons eu des rapports PRÉCIEUX avec les Séminaires du voisinage, avec un grand nombre de communautés religieuses et beaucoup de familles honorables ; depuis quarante ans nous vivons au sein et sous les yeux d’une ville distinguée par la politesse, l’urbanité, le bon sens et les lumières de ses habitants. Car notre existence paisible est entourée de la bienveillance générale..... Plus on nous noircit, plus on dénigre par là-même ceux qui croient avec nous, ou à CAUSE DE NOUS, au fait de la Salette. »
Rien ne manque à cet éloge que M. Rousselot fait de lui-même et sa modestie a sans doute souffert en écrivant ces lignes. Mon intention n’est pas de le reprendre en sous-œuvre, qu’il en soit bien convaincu, je me bornerai à mettre en regard ses actes et les points principaux de son dernier ouvrage. Je le ferai avec loyauté, car je citerai la page et le texte précis, bien différent en cela de mon antagoniste, qui n’a pas fait une seule citation : il avait intérêt à ne pas mettre ses lecteurs sur les traces de ses allégations mensongères ; il avait intérêt à tromper, et quelques pages de discussion sérieuse me suffiront pour établir de la manière la plus péremptoire que M. Rousselot n’a jamais eu, ne pourra jamais avoi d’égal en ce genre.
Mais il a plu à l’érudit théologien, au milieu d’une myriade d’insultes grossières, d’en glisser une qu’il m’est impossible de passer sous silence, sous peine de dévouer à la défiance publique mon langage et mes citations. Je la relève immédiatement, je reconquiers mon droit à la confiance entière, absolue, sans réserve de toute personne loyale et honnête, puis j’assigne, avec l’autorité que donne toujours l’honneur, M. Rousselot au tribunal de l’opinion publique.
Pages 94 et 95 du Nouveau Sanctuaire à Marie, M. Rousselot écrit ce paragraphe :
« L’évêque de Grenoble a pu proclamer la vérité du fait de la Salette, et le Concile de Paris, tenu en 1849, titre 11, chapitre 3, consacre ce droit, en ces termes : « Comme, d’après l’apôtre saint Paul, il ne faut pas croire à tout esprit, nous avertissons les fidèles de ne pas se faire témérairement propagateurs de prophéties, de visions et de miracles, concernant la politique, l’avenir de l’Église ou tout autre objet de ce genre, qu’on répand dans le public, SANS QUE L’ORDINAIRE LES AIT RECONNUS ET APPROUVÉS. » Remarquez ici le perfide tour de force du nouveau canoniste. Dans son libelle, il veut établir deux choses : la fausseté du fait et l’incompétence de l’évêque à prononcer sur le fait.
« Or, ce second point étant clairement établi par le Concile 93, qu’a fait le faussaire ? Il n’a cité du texte que nous copions que les mots qui ne sont pas soulignés !!! Et voilà le secret de sa brochure : taire ou dénaturer tout ce qui le gêne, même dans les actes de l’Église. Il s’est imaginé qu’on n’irait pas vérifier après lui. Accipe nunc Danaüm insidias, et crimine ab uno disce omnes. Connaissez maintenant les fourberies des Grecs et par un de leurs tours, jugez-les tous. »
Rien, on le voit, ne manque à l’accusation, si ce n’est la citation de la page et de la ligne de mon ouvrage qu’il plaisait à M. Rousselot, de commenter au gré de sa passion.
Je supplée à son défaut : page 9, ligne 26 de mon ouvrage, je cite les termes textuels d’un décret du Concile de Paris, et comme ce décret entrait dans des généralités qui s’étendaient au-delà de la question que je traitais, je restreins ma citation aux points que je discute, mais je la restreins sans modification, sans altération aucune dans le texte et dans le sens ; en d’autres termes, je suis les règles constamment, universellement pratiquées par les philosophes les plus graves et les plus scrupuleux. Voilà ce qui est vrai. J’en appelle à M. Rousselot lui-même ; je replace ma citation sous ses yeux.
« Nous avertissons les fidèles de ne pas se faire témérairement propagateurs de visions et de miracles. Que les curés et les confesseurs engagent prudemment les fidèles à ne pas écouter ces choses trop facilement ; qu’ils leur apprennent aussi, dans l’occasion, les règles de l’Église en cette matière, et qu’ils les avertissent que la conduite des fidèles ne doit pas être réglée par des révélations particulières, mais par les lois générales de la sagesse chrétienne. » (Donnadieu, pages 9 et 10.)
Je voulais établir non pas, comme le prétend M. Rousselot, la fausseté du fait de la Salette et l’incompétence de l’évêque à prononcer sur ce fait (car aux pages 9 et 10, je n’en ai pas dit un mot encore), mais les pratiques constantes de l’Église dans l’approbation des diverses croyances et surtout des croyances mystiques (Donnadieu, pages 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10). Je ne dénature rien dans le langage tenu par le Concile, car je le cite textuellement ; je ne tais rien de ce qui pourrait me gêner, car je rapporte tout, absolument tout ce qui a trait à ma thèse, et M. Rousselot a pu écrire, sans que sa conscience éprouvât un remords, le mot FAUSSAIRE ! et il a écrit ce mot en dénaturant ma pensée, en exécutant lui-même, canoniste de quarante ans, un tour de force perfide et mensonger ! et M. Rousselot prétend qu’il aime la vérité, qu’il ne veut que la vérité, qu’il ne prêche que la vérité ! Tout est erreur dans l’accusation qu’il porte contre moi et je le déclare devant Dieu et devant les hommes, je suis beaucoup plus disposé à le plaindre qu’à le blâmer.
Veut-on savoir pourquoi ?
M. Rousselot a entrepris une œuvre désespérée, il l’a entreprise et il veut la faire triompher. Pour réussir, il ne peut pas m’attaquer de front, car je le défie de trouver sous ma plume une seule phrase qui ne soit pas théologiquement exacte, aussi ne me cite-t-il nulle part, mais il me prête des pensées, des opinions, des doctrines que je n’ai jamais émises, et pour les faire accepter par les fidèles, auxquels il a fait défendre, sous peine de péché mortel, de lire mon livre, il m’appelle, dans plus de deux cents passages de son Nouveau Sanctuaire, une harpie, un faussaire, un hérétique, un pamphlétaire, un calomniateur, un diffamateur, un libelliste, un organe honteux de l’opposition ; il me confond avec ce qu’il appelle la valetaille de l’opposition ; il place toutes ces gentillesses, empruntées au dictionnaire des poissardes, sous la haute approbation qu’il a surprise à son évêque, avant même que son ouvrage fût conçu. Quand un chanoine, vicaire général, est condamné à s’abaisser à de pareils actes et à de pareils mots, l’homme honnête ne peut que se voiler la face et dire en gémissant : Une cause ainsi défendue est une cause désespérée.
Mais mon accusateur est-il bien à l’abri, par sa citation même, de l’accusation qu’il porte contre moi ?
La question en litige entre nous est celle-ci : Quelles sont les règles constantes de l’Église pour l’adoption des nouveaux miracles ?
Le concile de Latran, le concile de Trente les ont fixées. S. E. Mgr de Bonald les a rappelées dans sa circulaire du 6 août, que j’ai insérée en tête de ma première partie, à laquelle M. Rousselot se garde bien de donner place dans son Nouveau Sanctuaire à Marie.
Ces règles, les voici :
L’évêque du lieu statue et statue seul, pourvu qu’il n’y ait ni abus, ni difficulté, ni doute, c’est-à-dire pourvu que le miracle soit tellement évident qu’il frappe les regards et commande la conviction de toute âme droite.
S’il y a le moindre doute, l’opinion de l’évêque doit être déférée au métropolitain en concile provincial et l’évêque du lieu n’a pas le droit de prononcer avant la décision du concile.
Que fait M. Rousselot ?
Il extrait du décret du concile de Paris ce qui concerne les droits de son évêque ; il s’arrête là. Le reste le gênerait, et, sans scrupule, il le laisse dans le plus profond oubli. – M. Rousselot serait-il donc faussaire ?
– Pour m’attaquer dans ma citation, il dénature ma pensée, il fausse mon intention. – M. Rousselot serait-il encore faussaire ?
– Dans la Vérité sur l’Évènement de la Salette, page 20, M. Rousselot, voulant s’étayer du sentiment de l’abbé Dieulin sur les conditions requises pour la reconnaissance d’une guérison miraculeuse, s’arrêtait après ces mots physiquement constatables, qui laissaient passer plus facilement quelques-unes des guérisons qu’il consignait dans son livre, et omettait avec intention les mots suivants, c’est-à-dire visibles et tangibles, dont la plupart de ses guérisons n’auraient pu soutenir l’épreuve. Celte omission fut remarquée et signalée. M. Rousselot, dans son deuxième volume, page 36, avoue qu’en la commettant, il a agi sciemment. M. Rousselot, là encore, serait-il faussaire ?
– Allons à des points plus graves.
Dans son Nouveau Sanctuaire à Marie, page 161, ligne 17 et suivantes, M. Rousselot écrit ces phrases, et pour enlever jusqu’au moindre doute sur sa véracité, pour qu’on les considère comme une citation textuelle, il les écrit en lettres italiques.
« Le Souverain-Pontife a-t-il besoin de lire dans le libelle que sa primauté d’honneur et de juridiction lui vient du consentement des évêques du IVe siècle ; – que Rome n’a rien au-dessus d’Antioche et d’Alexandrie ; – que les Papes ne font rien sans les conciles provinciaux ; – que la sentence d’un évêque n’est juste, n’est même valide, qu’autant qu’elle est sanctionnée par le concile provincial ou le métropolitain ; – que l’autorité d’un évêque n’est qu’une raison individuelle, rien de plus, rien de moins. »
M. Rousselot se garde bien de désigner la page de laquelle il a extrait toutes ses citations. Veut-on en connaître la cause ? Il les a inventées lui-même. Je lui dois la preuve de ce que j’avance, je la lui donne en faisant ce que la loyauté, l’honneur, la conscience, la bonne foi lui commandaient impérieusement, je cite les pages et les lignes.
1° D’après le véridique polémiste de la Salette, j’aurais avancé que « la primauté d’honneur et de juridiction du Souverain-Pontife lui venait du consentement des évêques du IVe siècle ».
Je n’ai pas même songé, dans tout le cours de mon ouvrage, à agiter la question de la primauté d’honneur et de juridiction du Pape ; je n’y ai pas fait la plus imperceptible allusion ; je n’ai pas employé une seule fois ces expressions. Après avoir consacré les troisième et quatrième pages à faire ressortir la marche régulière et uniforme de l’Église dans toutes les questions qui intéressaient la foi, les mœurs, la discipline, je dis, et je ne dis qu’à la page cinquième, deuxième ligne : « Pour assurer en tout l’unité, qui, seule, peut faire connaître l’œuvre de Dieu, les évêques des trois villes les plus grandes, les plus catholiques du monde, Rome, Antioche, Alexandrie, sont déclarés les supérieurs hiérarchiques de leurs collègues ; leur juridiction s’étend à toute la province. »
M. Rousselot se vante d’une vaste et profonde érudition, qu’il lise la lettre synodale adressée par le concile général de Nicée, et par conséquent par le Pape qui en est toujours la tête, à toutes les églises du monde, il y trouvera ces mots :
« Les évêques des trois grandes villes du monde, Rome, Alexandrie et Antioche, ont juridiction sur les provinces voisines. »
Mon langage diffère-t-il de celui du concile ?
Le Pape et tous les évêques du concile de Nicée sont-ils donc assez ignorants des droits du Souverain-Pontife pour que M. Rousselot, professeur émérite, surprenne, après quinze siècles, une hérésie dans les termes qu’ils ont employés ?
La précision du langage théologique est-elle donc exclusivement le partage du célèbre professeur et veut-il s’arroger le droit de commenter à sa manière, de blâmer, en la dénonçant comme hérétique, la formule adoptée par un concile général, de même qu’il s’arroge celui de diviniser Mlle Lamerlière en imposant le miracle de la Salette ?
Je ne sais, mais j’ai honte de poursuivre cette discussion. Humble fidèle, un concile général a parlé, je m’incline de respect devant sa parole, je ne la commente pas, je ne la travestis pas, je l’accepte comme venant de Dieu. – M. Rousselot la dénature, la fausse, l’anathématise. M. Rousselot serait-il faussaire ?
Deuxième accusation. – « Rome n’a rien au-dessus d’Antioche et d’Alexandrie. »
Le passage que je viens de citer est le seul où je parle de Rome, d’Alexandrie, d’Antioche. – Ce passage appartient littéralement au concile de Nicée, il ne compare pas Rome aux deux autres villes. – La paternité de cette comparaison revient à M. Rousselot seul. M. Rousselot serait-il faussaire ?
Troisième accusation. – « Les Papes ne font rien sans les conciles provinciaux. »
À la sixième page, ligne 12e de ma première partie, se trouve ce paragraphe :
« Les Papes donnent l’exemple de leur respectueuse subordination aux canons qui prescrivent la tenue des conciles, et une chose digne de remarque, c’est que les Papes les plus jaloux de leur autorité, entre autres le célèbre Grégoire VII, ne font rien sans L’AVIS du concile provincial. »
En d’autres termes, les Papes, dans la plénitude de leur puissance, aiment à s’entourer des conseils, des avis du concile provincial ; ils aiment à donner au monde catholique une preuve de sagesse et de modestie. Ce langage de ma part est un hommage à la puissance et à la vertu des Papes.
Sous la plume de M. Rousselot, accusateur, le mot qui à lui seul indique ma pensée véritable, le mot avis disparaît ; grâce à cette suppression calculée, je suis dénoncé comme abaissant l’autorité des Souverains Pontifes, alors que je la relève. – M. Rousselot est-il toujours faussaire ?
Quatrième accusation. – « La sentence d’un évêque n’est juste, n’est même valide qu’autant qu’elle est sanctionnée par le concile provincial ou par le métropolitain. »
Je cherche vainement dans toute ma première partie ce langage que M. Rousselot me prête dans un sens absolu, je le repousse comme l’œuvre personnelle du célèbre professeur : et comme il n’a pas le droit de me prêter ses pensées, je le demande une fois encore, M. Rousselot est-il faussaire ?
Cinquième accusation. – « L’autorité d’un évêque n’est qu’une raison individuelle, rien de plus, rien de moins. »
Ici encore je ne sais pas me reconnaître, je ne suis pas à la hauteur de ce langage barbare qui assimile une autorité à la raison. Je n’ai pas à réfuter une opinion qu’il plaît à M. Rousselot de formuler à sa guise. Je me contente de demander pour la sixième fois, M. Rousselot est-il faussaire ?
À la page 97 de son Nouveau Sanctuaire, lisez encore :
« Au reste, vous croyez, lecteur candide, que le pamphlétaire tienne beaucoup au concile provincial ou au Pape. Feignant de croire que c’est nous qui redoutons le jugement d’un concile ou du Pape.... le pamphlétaire nous compose lui-même un concile, dont il choisit lui-même les membres dans la magistrature de Grenoble, parmi les avocats, les prêtres. Voilà, selon lui, les juges qui devront décider si dans le fait de la Salette et dans ses conséquences, il y a miracle ou non, véritable apparition ou non ; voilà le tribunal qu’il élève au-dessus de l’évêque et de ses théologiens, au-dessus du concile provincial..... On ne sait s’il faut rougir de honte pour lui, ou s’il faut plaindre sa folie, etc. »
Je demande d’abord à M. Rousselot comment il concilie cette accusation avec la quatrième que j’ai réfutée, et d’après laquelle je ne considérerais la sentence d’un évêque comme juste et valide qu’autant qu’elle aurait été sanctionnée par le concile provincial.
D’après cette quatrième accusation, je tiens le concile provincial en haute estime ; d’après celle que je discute, je le mets au-dessous d’une réunion de laïques. Laquelle des deux est vraie, car je n’ai pas, comme M. Rousselot, la science des contradictions ?
M. Rousselot est l’inventeur de l’une et de l’autre. J’ai répondu à la première ; ma réponse à cette dernière est consignée dans les pages 161 et 162 de ma première partie, M. Rousselot la connaissait en écrivant les lignes de sa page 97. Je les remets sous ses yeux ; en les lisant, il se demandera si c’est à lui ou à moi que s’applique sa dernière phrase :
« On ne sait s’il faut rougir de honte pour lui, ou s’il faut plaindre sa folie. »
Voici mon langage du mois d’août 1852 :
L’altération de la vérité, dans une matière aussi grave, est un crime, M. Rousselot l’a dit et je le répète après lui. La vérité, cependant, a été altérée, puisque nous ne sommes pas d’accord. Si M. Rousselot et ses partisans, respectant la liberté, la dignité individuelle, avaient donné cours à la Salette par la construction d’une chapelle, par l’établissement d’un corps de missionnaires, sans élever leur prétention à la hauteur d’un dogme, si, du moins, ils avaient eu pour eux l’adhésion des évêques et des clergés voisins, au lieu de compter parmi eux autant d’adversaires pour leur entreprise qu’il y a de têtes, personne ne se serait ému, car l’une et l’autre de ces positions aurait commandé le respect et n’aurait pas alarmé les consciences ; mais il est loin d’en être ainsi ; et quand on a la prétention de se poser seul, en face du monde entier, et de décréter miracles et dogme, il faut au moins avoir le sentiment de ce droit, et être prêt à ne reculer devant aucune épreuve qui le fasse ressortir.
À défaut d’un concile provincial, si on redoute trop sa consciencieuse investigation, il est un autre moyen de prouver sa bonne foi.
Grenoble possède une magistrature nombreuse et éclairée, un barreau qui compte dans son sein des intelligences d’élite, le diocèse possède un clergé ami de la vérité avant tout ; que M. Rousselot et les siens consentent à réunir dans une grande assemblée, magistrats, avocats et prêtres ; que le vénérable curé d’Ars en fasse partie aussi bien que le terrible enfant de la Salette ; que les preuves de M. Rousselot se produisent au grand jour : de mon côté, je me fais fort d’établir l’exactitude la plus scrupuleuse de tous les détails, de tous les faits que je viens de consigner, que je consignerai dans ma deuxième partie. La religion ne pourra que gagner à cette discussion, quel que soit le jugement qu’elle provoque ; c’est à la liberté que la religion est redevable de sa force, c’est sous la protection de la liberté qu’elle a grandi, car la vérité n’a pas besoin d’autre appui, et, si la Salette est jamais destinée à se voir inscrite dans les fastes de la tradition, c’est par la liberté qu’elle pourra y arriver. Pourquoi ses partisans affectent-ils de ne pas le comprendre ?
(Donnadieu, première partie, pages 161, 162.)
Ce langage porte avec lui son commentaire.
Un dogme nouveau est imposé. – Il est imposé à tous et dès lors à l’Église comme au public.
Mais il est imposé en dehors des règles tracées par les conciles.
Je demande d’abord le rappel de ces règles, c’est-à-dire l’intervention du concile provincial.
M. Rousselot redoute-t-il cette intervention ? Il lui faut au moins un titre coloré par l’intervention des laïques les plus honorables et les plus intelligents. Je lui porte le défi d’oser réclamer celle intervention, tant sa condamnation serait certaine ! Et M. Rousselot, dénaturant le texte de mon ouvrage, faussant ma pensée et mes doctrines, m’accuse d’avoir voulu mettre une réunion de laïques au-dessus de l’évêque ou du concile provincial !
« Faut-il rougir de honte pour lui ? faut-il plaindre sa folie ? »
J’ignore, mais je suis en droit de demander, une fois encore, M. Rousselot est-il faussaire ?
Comme il est bon d’être avec lui précis et clair, qu’il me comprenne bien.
Je fais des vœux pour qu’il plaise au nouvel évêque déférer l’affaire de la Salette-Lamerlière au concile provincial, confier à MM. Rousselot et Orcel, rapporteurs, Chambon, polémiste, la mission de défendre la Salette au concile et de prouver ainsi qu’ils ont été de bonne foi. S’ils font pénétrer leur conviction dans l’âme des pères du concile, la question sera jugée ; s’ils ne réussissent pas, la question sera jugée encore. Mais dans tous les cas, la cause de la religion, si imprudemment compromise jusqu’à ce jour, sera sauvée. Pour moi, je m’engage à comparaître devant le concile, à produire mes preuves et mes témoins, et à obtenir du concile provincial ce jugement court, mais formel : – L’apparition à la Salette est une promenade sentimentale de Mlle Lamerlière.
M. Rousselot voudra-t-il, cette fois, me comprendre ?
Page 164 de son Nouveau Sanctuaire, il prétend que j’ai IMPUDEMMENT accusé l’évêque de Grenoble d’avoir manqué de conscience, de droiture et de bonne foi, d’avoir SÉQUESTRÉ les deux enfants dans l’intérêt d’une pure JONGLERIE, etc. »
Où donc M. Rousselot a-t-il lu quelque chose de semblable, et ne me donne-t-il pas le droit de lui adresser cette phrase de son Nouveau Sanctuaire, page 95, ligne 8 : Voilà le secret de sa brochure : taire ou dénaturer tout ce qui le gêne. Il s’est imaginé qu’on n’irait pas vérifier après lui, connaissez maintenant la perfidie du GREC et par un de ses tours, jugez tous les autres. Une fois encore, je le demande, M. Rousselot est-il faussaire ?
Ce n’est pas sur un ton affirmatif que je lui adresserai cette grossière et brutale insulte. Je suis loin d’aspirer à toutes les licences qu’il se permet : chacun use des armes qui conviennent à sa nature, mais je me permettrai de lui dire qu’il termine avec une étrange maladresse son paragraphe si tristement accusateur (page 161).
Si le pamphlet était connu à Rome, dit-il, il serait bientôt mis à l’index.
Dois-je voir dans cette phrase une dénonciation sourde et cachée faite à la cour de Rome ? Que M. Rousselot se rassure, je n’en redoute pas les suites.
Rome veut la vérité, elle ne trouvera sous la plume de M. Rousselot que des erreurs. Rome blâme ce qui est coupable, mais elle étudie par elle-même, et quand elle passera au crible mon ouvrage entier, elle verra avec une pitié profonde que M. Rousselot a inventé dans le fond et dans la forme toutes les propositions mal sonnantes qu’il me prête. Entre l’accusateur et l’accusé, le dénonciateur et le dénoncé, son jugement ne se fera pas attendre, et je n’ai rien à en redouter.
Mais M. Rousselot est-il bien compétent pour désigner les ouvrages que Rome peut éprouver le besoin de censurer ?
Il a été quarante ans professeur de théologie, c’est lui-même qui nous l’apprend avec une rare complaisance ; pendant trente ans il a professé la théologie de Bailly, il en a insinué l’esprit et la doctrine aux mille deux cents prêtres qu’il a formés à la science de Dieu ; pendant ces trente ans, non content de communiquer cet esprit et cette doctrine par l’enseignement, comme professeur, il les a communiqués aux Séminaires voisins comme marchand, car il faisait le commerce de la librairie et il les pourvoyait. Pendant ces trente ans, il n’a pas su découvrir un seul principe erroné dans cet auteur, guide et règle de son enseignement ; il a fallu que Rome, en mettant la théologie de Bailly à l’index, vînt lui révéler que ses leçons n’avaient pas été pures de toute erreur, que sa doctrine n’était pas aussi catholique qu’il se plaisait à le croire, qu’il ne pensait pas toujours, en un mot, comme Rome pensait elle-même.
M. Rousselot, qui a accusé le concile de Nicée d’hérésie, prendra-t-il aussi fantaisie d’accuser Rome de s’être trompée par rapport à la théologie de Bailly ?
Quelle que soit sa détermination et en attendant qu’il la fasse connaître, la distance qui sépare Grenoble de Paris est moins grande que celle qui sépare cette ville de Rome ; la lumière s’est produite à Paris, et le gouvernement a mis à l’index les gravures de N.-D. de la Salette ; aucune ne peut être vendue par le colportage. – Paris a devancé le jugement que M. Rousselot sollicite à Rome et devant lequel il reculerait, si ce jugement devait être contradictoire.
Quelques mots maintenant sur la haute théologie de M. Rousselot.
Il consacre sept pages à des exagérations qu’il résume par ce sophisme, page 124, ligne 19 :
« Des miracles ont été opérés à la suite de l’évènement de la Salette.
« Révoquer en doute ces miracles, c’est méconnaître les lois du témoignage humain.
« Mais ces miracles ont été opérés par l’invocation de N.-D. de la Salette, avec l’usage de l’eau de la fontaine de la Salette.
« Et il y a une liaison étroite et nécessaire entre ces miracles et la cause qui les a produits.
« Donc les miracles qui ont suivi l’apparition prouvent la réalité de cette même apparition. »
J’ai dit que ce raisonnement était un sophisme, j’en donne la preuve.
Des miracles ont été opérés à Besançon, à Brioude, à Turin, à Cologne au profit de divers fidèles qui priaient, convaincus de la présence du saint Suaire dans celle de ces villes qui recevait leur prière et leurs vœux.
Mais ces miracles ont été opérés par l’invocation du saint Suaire.
Et il y a une liaison étroite et nécessaire entre ces miracles et la cause qui les a produits.
Donc les miracles qui ont suivi l’invocation du saint Suaire à Besançon, à Brioude, à Turin, à Cologne prouvent la réalité de la présence simultanée du saint Suaire dans ces quatre villes.
Mais le saint Suaire est un.
Les quatre villes sont multiples.
Donc un et plusieurs ont absolument la même signification, sont parfaitement identiques, pour parler comme M. Orcel.
M. Rousselot ne veut pas sans doute admettre cette absurdité.
Donc son raisonnement ne prouve rien.
Donc c’est un sophisme.
– M. Rousselot consacre ensuite trente pages à l’incident d’Ars. Je n’ai nulle intention de le suivre pas à pas, je me contenterai de citer quelques-unes de ses nombreuses erreurs, de ses nombreuses contradictions avec lui-même.
Page 125, il reproche « au coryphée de l’opposition d’avoir reproduit et publié par la voie de la presse l’objection d’Ars, à la manière de Voltaire ». Et ce coryphée a reçu au contraire de l’évêque la défense formelle et rigoureuse de rien publier. – Voilà la vérité.
– Même page : « L’incident d’Ars était complètement résolu par le voyage de Rome ; ce dernier voyage est l’anéantissement des pérégrinations d’Ars. »
En d’autres termes, car il s’agit ici d’un fait humain, – pour savoir ce qui s’est passé à Ars entre Maximin et le curé, il faut s’en informer non pas à Ars, non pas auprès du curé, mais à Rome, auprès du premier prélat venu. Risum teneatis, amici.
– Même page encore : « Le Mandement du 19 septembre 1851 était et devait être la solution définitive de l’incident d’Ars, incident qui avait été examiné avec d’autant plus de soin qu’il paraissait plus grave et qu’il avait surpris quelques bons esprits. »
L’examen devait se faire avec une personne avant tout autre ; cette personne était le curé d’Ars, et c’est la seule qu’on a laissée de côté.
M. Rousselot reproche à l’opposition, page 129, d’avoir fait passer Maximin pour un imposteur précoce, en mettant de côté, par rapport à lui, le principe le plus vulgaire des tribunaux de la justice humaine : Personne ne doit être condamné sans avoir été entendu.
M. Chambon a-t-il entendu M. le curé d’Ars avant de l’exécuter dans les journaux, et l’opposition serait-elle plus coupable que M. Chambon parce qu’elle a cru à un prêtre, et à un prêtre tel que M. le curé d’Ars, pendant que M. Chambon croyait à Maximin ?
Mais M. Rousselot a entendu le curé d’Ars et Maximin. – Le curé d’Ars lui a affirmé ce que Maximin lui a nié. M. Rousselot, sur la parole d’un enfant, et d’un enfant menteur, a exécuté par la presse M. le curé d’Ars, dont personne ne conteste la haute vertu et la profonde véracité. – L’opposition serait-elle plus coupable que M. Rousselot, parce qu’elle a mis la parole d’un saint au-dessus de celle d’un enfant ?
Il est vrai que, page 134 et suivantes, M. Rousselot prend à parti ce bon curé.
Tantôt il le représente comme un croyant douteux, tantôt comme un croyant fervent. Parfois M. Vianay pousse les pèlerins à la Salette, parfois aussi il leur dit : Croyez ou ne croyez pas. De ces propos contradictoires, M. Rousselot conclut que M. le curé d’Ars a toujours cru personnellement à la Salette, page 137, ligne 29.
Mais alors, je le demande à M. Rousselot, pourquoi donc, au lieu de faire gémir la presse sur son compte, au lieu de le peindre sous de tristes couleurs, n’a-t-on pas réclamé un mot de sa main qui fixât toutes les incertitudes ? Pourquoi n’a-t-on pas sollicité la rétractation de sa lettre du 5 décembre à Mgr de Grenoble ?
« J’AVAIS une grande confiance en N.-D. de la Salette.... le petit m’ayant dit qu’il n’avait pas vu la sainte Vierge. » Pourquoi enfin cette singulière phrase sous la plume de M. Rousselot, page 148, ligne 9 : « S’il y a eu démenti à Ars, ce démenti est un mensonge isolé, qui ne peut nuire en aucune façon au fait de la Salette. »
Un prestidigitateur opère-t-il mieux que M. Rousselot ?
Il ne s’en tient pas là toutefois ; l’opposition avait manifesté sa surprise du refus persistant d’une confrontation entre Maximin et M. Vianay. Que répond M. Rousselot, pages 144 et 145 ?
« Mgr de Grenoble a demandé cette confrontation : Mgr Devie ne l’a point jugée nécessaire, il l’a même jugée inopportune, etc. »
M. Rousselot, qui a consacré une brochure entière au fait d’Ars, en 1851, s’est bien gardé d’y consigner cette révélation. Il le fait pour la première fois : il est vrai que Mgr Devie est mort depuis quelques mois.....
Le célèbre professeur veut bien toutefois nous expliquer les motifs qui déterminèrent le refus de Mgr Devie. Je cite textuellement.
« Si la confrontation avait tourné au désavantage du curé, comme cela est très probable, cette confrontation, INUTILE en elle-même et par rapport à la Salette, n’aurait pu rester secrète, et le ministère si utile du saint prêtre en aurait souffert dans l’esprit des hommes légers et frivoles du monde. »
C’est M. Rousselot qui imprime ces lignes, et il n’a pas craint de compromettre le ministère si utile du saint prêtre en écrivant contre M. Vianay brochures et articles de journaux dans lesquels l’odieux le dispute à l’absurde !
En vérité, M. Rousselot est un être énigmatique ; a-t-il du moins reçu de Mgr Devie l’absolution de cette faute ?
Après avoir fustigé vertement M. le curé d’Ars, M. Rousselot devait faire la contrepartie en faveur de Maximin, aussi n’y manque-t-il pas ? Je saisis çà et là dans son ouvrage quelques-uns des traits sous lesquels il peint son héros ; non pas qu’il tienne lui-même les pinceaux, il aime mieux les confier à des mains inconnues, car il ne nous donne que la première initiale du nom du pays et de celui du peintre. Qui oserait douter de la véracité de M. Rousselot ?
Page 132, 4e ligne, M. R..., curé de M..., écrit à une demoiselle : « Maximin est toujours la sentinelle avancée de la sainte montagne : on peut bien dire de lui : La garde meurt et ne se rend pas. »
Page 133, ligne 7, M. l’abbé de C... écrit à M. Rousselot lui-même : « Si Maximin, aujourd’hui, essayait de se donner à lui-même un démenti, je n’hésiterais pas à lui dire qu’il est maintenant un menteur. C’est un enfant à part. »
Page 134, ligne 11, Fr. E... écrit à M. Rousselot : « Le naturel et le surnaturel qu’il y a dans Maximin : voilà le miracle bien visible et perpétuel. »
Page 147, ligne 25, c’est M. Rousselot qui parle : « Miracle pour miracle, l’univers admet et admettra toujours de préférence celui de l’apparition, dont l’Inventeur serait plus grand que le héros. » D’ailleurs, un mensonge à Ars peut s’expliquer ; un mensonge sur la montagne, non-seulement est inexplicable, mais IMPOSSIBLE. »
Page 151, M. l’abbé R..... écrit à une demoiselle : « Quant à moi, je n’ai jamais surpris Maximin à mentir. » – Ce jeune homme est bien ! il plaît ! il a de l’esprit ! du bon sens ! un cœur excellent ! – Doué d’une mémoire heureuse, d’un assez bon jugement, il lui eût été facile, s’il eût travaillé, de briller dans ses premières classes. – Ali ! certes ! il soutient son fait, mais avec plus de fermeté d’âme que la garde impériale ne resta à son poste dans les champs de Waterloo. Maximin ! c’est au pied de la sainte montagne comme une sentinelle armée de toutes pièces ! Croyez-le ; il a à lui seul plus de force que les forts, plus de sagesse que les sages ; je veux dire, quand il parle de sa Dame, entendons-nous bien. »
Page 128, ligne 12, Maximin parle à M. le chanoine H..... « La Salette, lui dit-il, c’est comme une fleur qu’en hiver on couvre de fumier et de boue et qui, au printemps ou en été, sort de terre plus belle. »
Comment M. Rousselot ne serait-il pas en extase devant ce petit séraphin, duquel on peut dire : La garde meurt et ne se rend pas ; qui est plus grand comme inventeur que comme héros de la Salette ; qui a plus de fermeté d’âme que la garde aux champs de Waterloo ; qui est plus fort que les forts, plus sage que les sages, etc., etc. ? Comment ne le mettrait-il pas au-dessus de ce bon curé d’Ars, sur lequel Maximin a écrit ces paroles, que M. Rousselot ne craint pas de reproduire, page 129, ligne 30 : « Le curé d’Ars peut avoir mal compris ou le démon peut lui avoir changé mes paroles dans les oreilles, etc. » Une phrase de plus, et ce saint curé était obsédé, sinon possédé du démon !
« Faut-il plaindre M. Rousselot ? Faut-il l’admirer ? »
Un mot sur Maximin rectifie toutes les exagérations de ses admirateurs.
Dès le mois de septembre 1846, il est recueilli dans une pension. Sept ans déjà se sont écoulés et il a pu, dans ce long espace de temps, faire assez de progrès pour être aujourd’hui, au Petit-Séminaire de Grenoble, en cinquième et toujours le dernier de sa classe.
À ce train, il aura terminé ses études de théologie dans dix-huit ans !
Voilà la vérité des faits.
Un mot sur la philosophie de M. Rousselot.
Dans une brochure de 42 pages, qu’il avait publiée en février 1851 (qu’on remarque cette date), M. Rousselot avait imprimé ce principe de morale :
« Nous voulons avant tout la vérité, la DISSIMULER ou l’ALTÉRER en quoi que ce soit, surtout dans une matière si grave, SERAIT À NOS YEUX un crime. »
Armé de ce principe proclamé par mon adversaire, j’avais examiné, page 103 de ma première partie, onze altérations de la vérité, ou pour parler le langage de M. Rousselot, onze crimes.
À leur tête je plaçais la fausseté, le mensonge derrière lesquels s’était retranché M. Rousselot pour nier la désignation d’un prêtre chargé de desservir la chapelle de la montagne.
Ce mensonge était absolu, car M. Rousselot, à la 25e page de son opuscule, avait écrit ces mots : « Un prêtre désigné pour desservir la chapelle ! et il n’y en a point encore. Où logerait-il ? où coucherait-il sur la montagne ? C’est LE CURÉ de la paroisse qui, pour satisfaire la piété des pèlerins, est obligé de faire cette pénible ascension, etc. »
Je citais à M. Rousselot, page 100 de ma première partie, le nom du prêtre placé depuis deux ans auprès du curé de la Salette pour le service de la chapelle de la montagne ; je lui citais ce nom que je trouvais dans l’annuaire du diocèse, imprimé sous la direction et par les ordres de l’évêque. – M. Rousselot avoue, pages 158 et 159 de son Nouveau Sanctuaire, que cet ecclésiastique était réellement à la Salette en qualité de prêtre auxiliaire, ainsi que je l’avais avancé. Il avoue cela, et il prétend avoir toujours dit la vérité à ce sujet !
Après avoir lu son premier opuscule, tout lecteur reste convaincu que le curé seul est chargé de desservir la chapelle, qu’il ne partage ce soin avec personne.
Après avoir lu le dernier ouvrage de M. Rousselot, tout lecteur sait que le curé avait auprès de lui un prêtre qui partageait avec lui le soin de la desserte.
En 1851, le langage de M. Rousselot se traduisait par ces mots : Le curé est seul.
En 1853, ce langage change ; il se traduit par ces mots : – Le curé a auprès de lui un prêtre pour l’aider.
L’unité de 1851 devient la pluralité de 1853 sous la plume de M. Rousselot, et le célèbre argumentateur, après cet aveu, ne craint pas d’écrire : NOUS AVONS DIT VRAI.
Quel sophisme appelle-t-il à son aide ?
En 1851, dit-il, nous parlions de prêtre chargé de desservir la chapelle et non de prêtre chargé simplement d’aider, de porter des secours... Et pour ceux qui savent le latin, adjutor (aide) fut-il jamais synonyme de praepositus (chef), adjuvare (aider) l’est-il de praeesse (être à la tête) ? »
Oui, c’est M. Rousselot qui écrit ces lignes, et M. Rousselot les écrit en qualité de vicaire général ! Et il les écrit avec la haute approbation de son évêque ! Et il ne respecte pas davantage cette approbation qu’il a surprise avant de se faire imprimer ; que dis-je ? avant de composer son livre ! Et il se joue à ce point des hommes et de Dieu ! Et il ne craint point qu’un lendemain se lève pour lui, désolant et terrible !
« Faut-il rougir de honte pour lui ? faut-il plaindre sa folie ? »
Un littérateur lyonnais écrit qu’un prêtre est chargé de desservir la chapelle. – Il n’y en a point encore, répond M. Rousselot. – L’Ordo à la main, je lui prouve qu’il en existe un. – Votre langage paraît exact, me répond-il ; mais si vous connaissiez le latin, vous sauriez que praeesse (commander), adjuvare (aider) ne sont pas synonymes. Il y avait bien un prêtre auxiliaire, un aide ; mais il n’était pas chargé de commander, donc c’est comme s’il n’était pas, donc il n’était pas, car j’ai dit vrai en éloignant, par ma réponse, jusqu’au moindre soupçon que sa présence fût possible.
Mais la cathédrale de Grenoble est desservie par un curé qui a trois vicaires ; ces vicaires sont des prêtres auxiliaires, donc ils sont comme s’ils n’étaient pas.
Mais un diocèse est dirigé par un évêque ; vicaires généraux, chanoines, curés, desservants, vicaires sont de simples auxiliaires ; donc, fussent-ils, comme à Lyon, quinze cents, ils sont comme s’ils n’étaient pas.
Je doute fort que le budget de la France, chapitre du culte catholique, fasse aussi bon marché que M. Rousselot des quarante mille prêtres auxiliaires de quatre-vingts évêques. Le budget reconnaît leur existence et les paye. M. Rousselot niait l’existence du prêtre qui desservait la chapelle, et cependant dans ce moment même, la chapelle le payait. M. Rousselot le niera-t-il !
Ce prêtre, Jacques Perrin, était tellement chargé par l’évêque du service de la chapelle, qu’il était autorisé à prélever 5 fr. par jour sur les offrandes des pèlerins pour se faire son traitement. Il vivait donc de la chapelle seule ; il en vivait plus encore que le curé, qui avait son traitement de desservant et le casuel de sa paroisse ; il en vivait, donc il la desservait ; et si j’ai tort de tirer cette conséquence rigoureuse, que M. Rousselot s’en prenne à saint Bernard, le plus brillant des panégyristes de la sainte Vierge, qui écrivait, en 1420, à un jeune prêtre : Il est juste que celui qui dessert l’autel vive de l’autel.
Est-ce saint Bernard, est-ce M. Rousselot qui passe à côté de la vérité ?
Je n’ai pas fini encore sur ce premier chef.
Indépendamment de Jacques Perrin, prêtre auxiliaire, demeurant à poste fixe, depuis 1849, à la cure de la Salette, un troisième prêtre vivait, logeait, couchait sur la montagne au moment où M. Rousselot imprimait : Il n’y a point de prêtre. Je le désignais à M. Rousselot, page 101 de ma première partie. Sait-on comment M. Rousselot me répond ?
Qu’on lise, page 159, ligne 22 de son Nouveau Sanctuaire :
« Le pamphlétaire a eu grand soin de faire remarquer que notre brochure est de février 1851 : nous venons, nous aussi, prier le lecteur de prendre note de cette date. Eh bien ! nous, qui ne sommes ni prophète, ni fils de prophète, avons-nous pu deviner en février ce qui devait arriver trois mois plus tard ? »
Entendez bien ma réponse, Monsieur Rousselot : elle sera calme et digne. – Non ! vous n’êtes ni prophète, ni fils de prophète ; mais vous êtes professeur de théologie morale, et à ce titre, vous devez pratiquer plus que tout autre la vérité ; mais vous êtes vicaire général, et à ce titre, vous devez dire la vérité, toujours la vérité, pour avoir le droit de reprendre, de blâmer le prêtre qui s’abaisserait jusqu’à mentir. Eh bien ! ce troisième prêtre avait logé, couché sur la montagne pendant l’été de 1850, comme il l’a fait en 1851 ; il avait logé et couché sur la montagne avec la permission, l’approbation, les encouragements de l’administration diocésaine dont vous êtes membre : est-il besoin d’être prophète ou fils de prophète pour savoir, en 1851, ce qu’on a permis, recommandé en 1850 ? Est-il besoin d’être prophète ou fils de prophète pour avoir la science du passé dont on est l’auteur ? Et quand vous avez écrit ces lignes, avez-vous donc voulu repousser le mensonge de 1851 par l’aggravation d’un mensonge en 1853 ?
« Faut-il rougir pour vous ? Faut-il vous plaindre ? »
Résumons :
En 1851, vous avez nié l’existence d’un prêtre désigné pour la desserte de la chapelle sur la montagne. – Ce prêtre existait. Il y a plus, au lieu d’un, il y en avait deux.
En 1853, pour prouver votre véracité de 1854, vous avez joué sur les mots auxiliaire et chargé de desservir. – Vous avez, en outre, nié la présence à la Salette du troisième prêtre en 1850.
Ce troisième prêtre était sur la montagne à cette époque, et vous le saviez.
Quant au prêtre auxiliaire, il était là uniquement pour desservir la chapelle de la montagne ; il vivait tellement de cette desserte, que, quoiqu’il ne montât à la montagne que pendant la belle saison, il prélevait, pendant les 365 jours de l’année et avec votre autorisation, 5 fr. par jour sur les offrandes des voyageurs. – Il n’était donc pas seulement auxiliaire ou en sous-ordre ; il était l’homme spécial ; votre jeu de mots n’est pas heureux, et bien loin de vous laver du reproche d’avoir altéré la vérité, il le fait peser plus lourdement encore à votre conscience.
Je maintiens donc plus fortement que jamais l’exactitude de mon premier langage ; je maintiens plus fortement encore l’erreur systématique et calculée du vôtre, quelle que soit l’année à laquelle je me reporte pour vous juger.
C’est vous seul qui me contraignez à l’insistance de cette conclusion, car vous terminez votre déplorable argumentation par ces mots : « Voilà donc notre premier crime bien avéré, bien prouvé surtout !
« Qu’on juge maintenant des autres crimes par celui-ci. Les réfuter l’un après l’autre, ce serait du temps et du papier perdus. Le bon sens du lecteur en fera aisément justice. »
Rien de plus clair que ce langage ironique : pour réfuter onze accusations, M. Rousselot choisit celle qui lui offre le plus de facilité ; il lie à son sort le sort de toutes les autres ; cette accusation est vraie, très vraie, malgré ses dénégations, ses tours de force. Je l’ai prouvée par les faits, donc toutes les autres sont vraies.
Je reprends cette énumération, et comme M. Rousselot a publié son troisième volume (Nouveau Sanctuaire à Marie), je l’étends un peu plus, car il ne sait pas écrire sans étendre cette matière :
1° Vérité dissimulée, faussée par rapport au prêtre délégué pour desservir la chapelle ; – donc crime.
2° Vérité altérée par rapport au jugement des évêques réunis à Belley, sur l’incident d’Ars ; – donc crime.
3° Vérité dissimulée par rapport au procès-verbal constatant cet incident ; – donc crime.
4° Vérité dissimulée par rapport à l’entretien de Maximin avec M. le curé d’Ars ; – donc crime.
5° Vérité altérée par rapport aux respectables ravisseurs de Maximin ; – donc crime.
6° Vérité faussée dans la déclaration de Maximin du 2 novembre ou dans sa lettre contradictoire du 21 ; – donc crime.
7° Vérité altérée dans la lettre de M. Rousselot à M. Bez, contradictoire de celle dictée à Maximin par M. Rousselot ; – donc crime.
8° Vérité dissimulée, faussée par rapport aux miracles énumérés par M. Rousselot ; – donc crime.
9° Vérité altérée par rapport au voyage de Mgr de Bonald à Grenoble ; – donc crime.
10° Vérité faussée dans le Mandement dont M. Rousselot est l’auteur ; – donc crime.
11° Vérité altérée, dissimulée dans le rapport de la commission de 1848 ; – donc crime.
Ainsi parlais-je en 1852 avec l’autorité du droit ; ainsi persisté-je à parler aujourd’hui ; mais depuis 1852, il a plu à M. Rousselot de révéler sa nature dans un nouvel écrit sur la Salette, j’enrichis cette première collection.
12° Vérité faussée dans l’application du miracle de Sens à la vérité de l’apparition de la Salette ; – donc crime.
13° Vérité faussée dans l’explication et l’application des règles tracées par le concile de Trente pour l’adoption de miracles nouveaux ; – donc crime.
14° Vérité faussée dans les droits du métropolitain en concile provincial ; – donc crime.
15° Vérité faussée dans les droits suprêmes du Pape ; – donc crime.
16° Vérité faussée dans l’assimilation du Mandement du 19 septembre aux décrets du cardinal Patrizi et de Mgr Salvator ; – donc crime.
17° Vérité faussée dans la prétendue hérésie que le profond et érudit M. Rousselot découvre, sans le savoir et sans le vouloir, dans les paroles du concile général de Nicée ; – donc crime.
18° Vérité faussée dans l’assertion mensongère de la demande expresse de la très grande majorité du clergé ; – donc crime.
19° Vérité faussée dans l’imputation qu’il me fait de cette calomnieuse assertion : « Les Papes et même le célèbre Grégoire VII ne font rien sans le concile provincial » ; – donc crime.
20° Vérité faussée dans l’accusation qu’il porte contre moi d’une assimilation entre Alexandrie et Antioche avec Rome ; – donc crime.
21° Vérité faussée dans l’imputation qu’il dirige contre moi d’avoir proposé un tribunal laïque pour juger la Salette, et de l’avoir mis au-dessus du concile provincial ; – donc crime.
22° Vérité faussée par rapport à la prétendue réclamation de Mgr de Gap ; – donc crime.
23° Vérité faussée par rapport au prétendu démenti de Mgr d’Avignon sur la guérison de sœur St-Charles, démenti dont M. Rousselot connaissait la fausseté par MM. les chanoines Bouvier et Chambon ; – donc crime.
24° Vérité altérée par rapport aux prétendues injures dont je me serais rendu coupable contre M. Orcel, son confrère ; – donc crime.
25° Vérité faussée par rapport à M. Melin et à sa basse spéculation ; – donc crime.
26° Vérité faussée par rapport à la croyance personnelle de M. le curé d’Ars à la Salette ; – donc crime.
27° Vérité altérée par rapport au miracle de saint Félicien (Voir page 240) ; – donc crime.
28° Vérité faussée dans la dénégation de la lettre officielle sur Victorine Sauvet et son démon incube ou succube ; – donc crime.
29° Vérité faussée dans les accusations que m’impute M. Rousselot par rapport au prêtre dont il avoue le placement provisoire sur la montagne (page 169) et par rapport à la sœur de Maximin ; – donc crime.
Il faut bien m’arrêter et quitter précipitamment ce triste terrain de personnalités, sur lequel j’ai été provoqué par mon imprudent adversaire : si je le suivais dans toutes ses passes d’armes, j’aurais à doubler, à tripler cette déplorable énumération, et je n’aurais pas tout dit encore.
« Faut-il rougir de honte pour lui ? Faut-il plaindre sa folie ? »
Je ne sais, mais depuis que j’ai pris la plume, j’entends bourdonner à mon oreille la sentence de saint Pierre contre Ananias et Saphire : « Ce n’est pas à nous que vous avez menti, c’est à Dieu » ; je crois voir l’ange de la mort déployer ses ailes au-dessus de l’écrivain de la Salette, répétant la sentence de Pierre et marquant déjà sa victime. Car Dieu est la vérité et jamais dans un but, quelque spécieux qu’il soit, il n’a sanctionné la monstrueuse alliance de l’erreur et de la vérité.
– D’après M. Rousselot (page 169), le prêtre placé provisoirement sur la montagne devient, sous ma plume cynique, un misérable ; – la sœur de Maximin est cruellement et mensongèrement insultée dans son honneur. – Je laisse à mon adversaire l’odieux de ces calomnieuses inventions, car j’ai vainement cherché dans toute ma première partie un seul mot qui m’expliquât cette impudente assertion. Je défie M. Rousselot lui-même de le trouver.
Je viens à un point plus grave que j’allais passer sous silence, tant l’ouvrage de M. Rousselot est difficile à lire ! tant il rappelle le rudis indigestaque moles d’Horace !
Page 99, il écrit :
« Le fait de la Salette est-il faux parce que sous le titre de persécutions, le pamphlétaire raconte quelques actes de l’autorité, en les dénaturant ou en les présentant sous un faux jour, afin de rendre odieux l’exercice le plus légitime de l’autorité, comme si un opposant avait le droit d’être désobéissant ; comme si au civil, il était permis d’appeler persécution la destitution ou la suspension d’un maire par le préfet ? Non, mille fois non. »
1° M. Rousselot devrait se respecter assez pour ne pas inventer les mots sur lesquels il veut discuter, il souligne deux fois le mot persécution et ce mot ne s’est pas glissé une seule fois sous ma plume dans tout mon ouvrage. Le scrupule n’est pas le faible de M. le professeur de morale.
2° M. Rousselot avoue que je raconte quelques actes de l’autorité, cet aveu est précieux déjà, je le note avec soin : il est si rare d’arracher la vérité à M. le vicaire général.
3° Il assimile un évêque à un préfet, un curé à un maire, et il veut conclure a pari pour une mesure de suspension ou de destitution. M. Rousselot seul peut avoir des idées semblables.
Le curé s’est donné non pas à l’évêque, mais à l’Église ; il s’est donné à elle non pour un certain temps, mais pour toute sa vie. En se donnant à elle, il a renoncé à tout, le monde a disparu pour lui ; son existence, son honneur le rendent sacré pour un évêque et il ne doit être frappé que lorsque le bien de la religion l’exige et non pas lorsque le caprice de M. Rousselot le réclame. Quand ce caprice suffit pour déterminer une mesure sévère, une suspension, une destitution, comme dit M. Rousselot, on ne fait pas acte d’administration, on immole, on commet une sanglante iniquité, on se dévoue à la justice de Dieu et à la réprobation des hommes. Voilà les principes !
Le maire, en perdant sa place, ne perd rien au fond, pas même, la plupart du temps, l’estime du préfet qui le frappe. Existence, honneur, considération, tout lui reste, et souvent le préfet sera le premier à le proclamer. M. Rousselot osera-t-il en dire autant du prêtre qu’il aura frappé..... même à cause de la Salette ?
Venons aux faits :
M. Robert a été arraché à la paroisse de Saint-André, puis interdit, puis réduit à solliciter une place d’aumônier de vaisseau.
M. Koenig a été interdit de la chaire pour six mois, puis décrété pour la prison et pour Cayenne.
M. Déléon a été dépouillé de son titre, puis interdit.
M. Guillaud, supérieur du Petit-Séminaire, a été exécuté et expédié dans une des petites paroisses du diocèse, après vingt-cinq ans d’un brillant professorat.
Vingt prêtres ont été traqués.
Quel était leur crime ?
Ils ne croyaient pas à la Salette-Lamerlière.
Expulsion, emprisonnement, déportation, interdit, que sais-je ? M. Rousselot appelle tout cela l’exercice le plus légitime de l’autorité.
Mahomet administrait aussi lorsqu’il brandissait un cimeterre sur la tête d’un chrétien et lui disait : Abjure ou meurs.
Calvin administrait aussi lorsqu’il faisait brûler Michel Servet.
Luther administrait également lorsqu’il excitait à la révolte quelques États de l’Allemagne.
J.-C. administrait de son côté, lorsque ses disciples Jacques et Jean le priaient de faire descendre le feu du ciel sur les Samaritains, obstinés à ne pas le recevoir, et n’obtenaient de lui que cette réponse sévère : « Vous ne savez à quel esprit vous obéissez ; le fils de l’homme est venu non pour perdre, mais pour sauver. »
Il administrait encore, lorsqu’il avait un regard de commisération pour Pierre, qui venait de le renier ; – un baiser d’amitié pour Judas, qui venait le vendre.
Entre l’administration de J.-C. et celle de Mahomet, Calvin, Luther, M. Rousselot se prononce en faveur de cette dernière.
J.-C. enseignait la vérité ; la douceur, la justice étaient ses armes.
Mahomet, Calvin, Luther enseignaient l’erreur ; le glaive, le bûcher, la guerre étaient les leurs.
L’histoire à la main, j’ai fait le rapprochement, M. Rousselot tirera la conclusion.
– Venons, avec lui, à sa page 84, ligne 24.
« On espérait peut-être, écrit-il, que la curiosité (des prêtres présents à la retraite) ferait acheter le libelle dont on voulait faire une SPÉCULATION aux dépens de la vérité, etc. »
C’est M. Rousselot qui imprime ce mot hideux, spéculation !
Je disais, page 138 de ma première partie, que M. Rousselot, toujours malheureux dans ses divers commerces, avait perdu beaucoup d’argent comme libraire, comme maître-d’hôtel, comme fondateur d’une bibliothèque ; j’ajoutais qu’il devait de l’argent, beaucoup d’argent à ses collègues de la commission, et je protestais avec une vive indignation contre l’imputation d’une spéculation impie que répétaient à bas bruit quelques âmes mercenaires.
Il y a plus, M. Rousselot avouait en 1850 que si son deuxième volume se vendait aussi nombreux que le premier, avant deux ans il aurait payé ses dettes.
Je savais aussi cela, je me gardais bien de le dire, et néanmoins je repoussais énergiquement l’inculpation par laquelle on essayait de le flétrir.
Je le faisais pour lui, je le faisais pour moi.
L’insulte grossière et brutale est toujours une flétrissure pour l’écrivain passionné qui s’abaisse jusque-là.
Je ne voulais pas, je ne saurai jamais être cet écrivain-là.
M. Rousselot me jette à la face ce mot odieux, spéculation !
« Faut-il rougir de honte pour lui ? Faut-il le plaindre ? »
– À la page 512, il accuse l’opposition d’avoir osé dire tout haut qu’un miracle avait été déclaré faux par le curé qui l’avait révélé et que ce miracle n’était que la cessation d’une position intéressante.
Je demande la permission, contrairement à mes habitudes, de ne pas citer de nom propre ; je ne sais pas, comme M. Rousselot, diffamer pieusement une fille étrangère, qui a toujours droit au silence, souvent au respect.
Dans les assertions de M. Rousselot, il y a autant de mensonges que de mots.
1° L’opposition n’a rien dit tout haut et le fait qu’il cite n’a été connu que par son livre malheureux.
2° L’opposition n’a parlé très bas ni du curé mis en scène par M. Rousselot, ni d’un curé de ce canton, elle a parlé d’un curé du canton voisin. – M. Rousselot s’adresse aux deux premiers, il se garde bien de s’adresser au troisième. Il redoute trop la vérité. – Dans ses 300 pages, il va de l’erreur au mensonge, du sophisme à l’insulte. C’est là tout son livre.
On comprend que par un sentiment de haute contenance pour une personne tierce, que M. Rousselot ne craint pas de nommer, je passe rapidement sur ces pages coupables.
– J’agirai de même pour un miracle dont G... a été le théâtre le 17 décembre 1852, si on en croit la lettre d’un curé de cette ville.
Le cours de la maladie n’est pas décrit d’une manière exacte, les succès de la médecine y sont contestés, quoiqu’ils aient été réels ; la situation du malade, fin novembre, y est étrangement exagérée : sa guérison est toute sous la plume du narrateur. – Car il est faux, quoique la lettre l’assure, que les cicatrices des plaies aient disparu ; il est faux que le malade croie à sa guérison, car aujourd’hui encore, deux mois après, il continue très exactement le traitement de son médecin et ce traitement est de tous les jours ; enfin de tous les maux qui peuvent affliger l’espèce humaine, il en est un à la guérison duquel la sainte Vierge ne peut pas, ne doit pas concourir et c’est celui auquel l’associe cette imprudente lettre ! Et ce miracle est d’une nature telle, qu’il fait pâlir celui de Victorine Sauvet ! Aussi la ville entière gémit et se demande :
« Faut-il rougir de honte pour l’éditeur de cette lettre ? Faut-il plaindre sa folie ? »
– M. Rousselot a des ressources étonnantes, il nous fait passer de l’odieux au ridicule, de l’impie au grotesque ; c’est M. le chanoine Melin, archiprêtre, et non curé de Corps, qui lui en fournit les moyens par une lettre d’une longueur désespérante. J’en extrais les phrases qui se rapportent aux points que M. le chanoine Melin croit établir, ils suffiront au divertissement de mes lecteurs.
« Corps, le 8 janvier 1853.
« Monsieur le Vicaire général,
« Vous désirez quelques renseignements de ma part sur des visites faites aux enfants de l’apparition par des inspecteurs primaires, et sur deux faits où il s’agit de chiffres, et qui me sont attribués ; l’un se serait passé chez moi, avec Mgr l’évêque de Gap ; et l’autre, à Grenoble, avec M. l’abbé Challuau, vicaire de la cathédrale.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« J’ai appris par la voix publique, qu’un sous-inspecteur, versé depuis dans un département voisin, non pas en récompense de ses services, mais bien pour en décharger le nôtre 94, s’était présenté au couvent, accompagné des deux instituteurs et d’un haut fonctionnaire de Grenoble. À ce titre, ce dernier est mis en rapport avec les enfants ; leur facilité dans le récit de l’évènement le surprend et l’étonne ; il en cherche la cause ; il la trouve : C’EST M. LE CURÉ DE CORPS QUI A RAPPELÉ AUX ENFANTS LEURS SOUVENIRS ; et voilà la grosse caisse sur laquelle on bat vingt fois, jusqu’à la fin du livre.....
« L’auteur du libelle n’aurait pas dû aller plus loin, mais s’arrêter tout court, et prouver que j’étais, de concert avec les enfants, l’inventeur et le propagateur du fait merveilleux, qu’il poursuit avec tant de colère ; sa tâche est remplie 95. Il n’en fait rien, et il a bien raison de glisser vite à cette page et de passer outre ; sa découverte, qui n’a pas même le mérite de la nouveauté, était, en 1848, époque de son invention, une simplicité incroyable : imprimée en 1852, elle n’est plus qu’une niaiserie, sans sel et sans valeur 96, que je laisse toute entière, pour le compte du haut fonctionnaire de Grenoble, que je n’ai pas l’honneur de connaître, et dont je ne suis nullement connu.
« La seconde visite a eu lieu en 1850, et ne prouve absolument rien contre l’évènement de la Salette.
« D’abord ce n’était ni un inspecteur ni un sous-inspecteur ; il remplissait seulement une mission temporaire pour devenir l’un ou l’autre. L’inspection des trois classes s’est faite sous nos yeux, à l’exception de celle des huit ou dix élèves, qui ne s’est faite nulle part, et qui n’est qu’une broderie à point rouges sur un fond blanc 97, pour faire ressortir, avec plus d’évidence, la stupidité de celui qui l’a inventée et de celui qui l’a crue.
« Il n’y eut, dans cette visite, ni admonestations vertes données à la supérieure, ni remontrances adressées directement au maire, qui n’était pas présent, ni au curé qui n’aurait pas été embarrassé pour répondre 98.
« Il y eut encore moins lieu au renvoi bouffon des enfants à la PIOCHE ou à l’AIGUILLE. Ce dernier trait n’est qu’une réminiscence de ce que le prétendu inspecteur s’est entendu dire à lui-même dès son entrée dans la carrière littéraire, où le jugement préventif qu’il avait porté contre lui-même, et à son insu, lui a été signifié à la porte de l’Académie, quand il est venu y frapper, pour devenir inspecteur 99. Ne serait-ce pas pour cette raison QU’IL EST RENTRÉ DEPUIS DEUX ANS DANS LA VIE PRIVÉE, d’où, en fait d’inspection, il n’était jamais sorti.
« J’ai fort peu de choses à vous apprendre sur les deux autres faits dont j’ai promis de vous parler. La presse a déjà porté à la connaissance du public que Mgr l’évêque de Gap avait protesté contre tout ce qui lui est attribué dans le pamphlet, en déclarant qu’il était entièrement étranger À CETTE ŒUVRE DE TÉNÈBRES 100. Il n’a pas plus été question ni du fait de l’apparition ni du débit de l’eau de la Salette, entre Mgr de Gap et le curé de Corps, que de l’Alcoran, ni à table, ni ailleurs, pendant son séjour dans la paroisse 101, quoique S. G. soit arrivée le lundi soir, et qu’elle n’en soit partie que le mercredi matin. Je ne sais quelles raisons avait le prélat de s’envelopper dans un silence aussi absolu, quoiqu’il eût administré le sacrement de confirmation aux deux enfants ; je ne les ai point examinées, ni jugées ; les miennes étaient de mettre Mgr parfaitement à son aise dans ma cure et au milieu des convives, fonctionnaires du pays pour la plupart, que je m’étais empressé de réunir autour de Sa Grandeur.
« Aussi, l’auteur du libelle fait-il de la chronologie à la manière des saltimbanques aux boulevards, pour divertir ses lecteurs, au risque de les faire rire de lui-même aux dépens de son exactitude. Page 18, le fait se passe en juin 1851, et page 139, le même fait se passe toujours en juin, mais en 1850. Marchant ainsi à reculons, il sera dans trois ans révolus, antérieur à l’apparition 102. Les tablettes de Mgr de Gap sont mal tenues ou mal consultées : c’est l’un des deux, ou peut-être, l’un et l’autre 103.
« Je laisse sur l’impériale le baril, rempli d’eau à la fontaine de la place publique, et remis au conducteur de la diligence. Celui qui a été témoin de la fraude aurait dû charitablement prendre le moyen d’en avertir le destinataire ; et celui qui en a touché le remboursement doit en rendre compte ; ou plutôt, disons à la décharge et à la satisfaction de tous les deux, que les marins lancent parfois à la mer des tonneaux vides, pour donner le change aux baleines et les éloigner des bâtiments dont elles gênent le passage et compromettent la sécurité. Ce baril n’est qu’une ruse imaginée pour détourner l’attention du fait si grave de l’apparition ; qui oserait avouer qu’il s’y est laissé prendre 104 ?
« Je termine en disant que si toutes les personnes nommées, ou seulement désignées dans le pamphlet, ont pu vous envoyer des démentis aussi formels que ceux que je viens de vous communiquer, vous pouvez conclure hardiment que cet ouvrage n’est qu’un tissu de grossiers mensonges qui ne mérite que le mépris 105.
« J’ai l’honneur d’être, etc.
« MÉLIN, archiprêtre, ch. hon. »
L’Univers du 5 avril 1853 vient à l’improviste mettre en scène un nouvel athlète, c’est M. l’abbé Dye, chanoine honoraire, aumônier des dames du Sacré-Cœur à Grenoble.
Dans un long article apologétique sur le Nouveau Sanctuaire à Marie, M. l’aumônier exalte la force et la charité de M. Rousselot. Sous sa plume, sans doute, Luther aurait respecté toutes les délicatesses de la charité lorsqu’il écrivait en parlant du Pape. « Le Pape est si plein de diables, qu’il en tousse, qu’il en crache, qu’il en mouche, qu’il en...... » Calvin les aurait respectées aussi lorsqu’il faisait brûler Michel Servet, – Mahomet lorsqu’il imposait comme argument irrésistible de sa religion nouvelle, le tranchant d’un cimeterre. M. le chanoine Dye est assurément une belle âme : il me suffira de consacrer deux phrases à son article, ces deux phrases en feront ressortir la force et la moralité.
« Les opposants, c’est M. Dye qui parle, prétendent que Mgr de Grenoble n’avait pas le droit de prononcer sans attendre un rescrit du Souverain-Pontife. M. Rousselot prouve le contraire par le concile de Trente bien expliqué et du reste fort clair à cet égard. »
Le premier des opposants est Mgr de Bonald, dont tout le monde a admiré la lettre circulaire du 6 août 1852.
Mgr de Bonald est archevêque, il est métropolitain du diocèse de Grenoble, il est cardinal, il est de plus délégué du Souverain-Pontife pour l’affaire de la Salette. Tous ces titres lui ont imposé le devoir d’apporter encore plus de maturité dans l’application qu’il fait à la Salette des principes posés par le concile de Trente, principes dont il est déjà l’interprète naturel comme cardinal et comme archevêque. M. Dye vient lui apprendre qu’il n’a pas su comprendre le concile de Trente et qu’après l’explication lumineuse de M. Rousselot, il n’a droit qu’à un certificat d’ignorance.
M. Dye aspire-t-il à lutter de force et de charité avec M. Rousselot ?
M. Dye trouve, comme M. Rousselot, dans ma première partie, « certaines propositions hérétiques ou schismatiques, entre autres celle-ci : Le Souverain Pontife n’a la primauté d’honneur et de juridiction dans l’Église que du consentement des évêques du IVe siècle. »
M. Dye est prêtre, il doit être homme d’honneur. Il est prêtre et chanoine honoraire de Grenoble, il doit être homme de religion. Au nom de la religion et de l’honneur, je le somme, et c’est mon droit, d’indiquer la page, les lignes de mon ouvrage qui contiennent la proposition hérétique ou schismatique qu’il a soulignée comme preuve qu’elle m’appartenait dans le fond et dans la forme. À défaut par lui de répondre à cette sommation impérieuse, il aura commis une forfaiture à l’honneur, une insulte à la religion, et je ne puis que plaindre son aveuglement ou sa mauvaise foi.
M. Dye est élève de M. Rousselot, tient-il à marcher sur les traces de son maître ?
Il est chanoine honoraire de Grenoble, M. Rousselot en est chanoine titulaire.
Il est aumônier des Dames du Sacré-Cœur, M. Rousselot en est le directeur supérieur.
Encore quelques jours, et Mgr de Bruillard, évêque démissionnaire, sera dans cette maison, qu’il a choisie pour sa retraite. Il y sera auprès de M. Rousselot, qui a tant fait pour la Salette. Il y sera auprès de M. Dye, qui n’avait rien fait encore. M. Dye a-t-il voulu gagner ses éperons par un coup de maître ?
Tant pis pour lui ! tant pis pour la Salette !
Il est temps de m’arrêter, quoique je sois loin cependant, bien loin d’avoir tout dit avec M. Rousselot, tant son Nouveau Sanctuaire est riche de sophismes, de paralogismes, d’erreurs, de mensonges, d’excentricités, d’insultes ! Mais en présence du portrait qu’il nous avait tracé de lui, j’ai dû signaler quelques passages de son écrit, quelques notes de son administration ; à son éloge personnel j’ai opposé ses faits et gestes : rien n’est têtu comme un fait. La conscience publique sera juge entre ses assertions et mes preuves.
CHAPITRE XVI.
CONCLUSION INATTAQUABLE de M. Rousselot
renversée par un souffle.
J’arrive au bout de ma tâche. En adversaire loyal, j’ai réservé pour la fin la page que M. Rousselot regarde comme le couronnement de son œuvre ; il lui donne pour titre : CONCLUSION INATTAQUABLE.
Avec une rare forfanterie, il suppose que tout a été écrit, imprimé, publié contre le fait de la Salette, tandis que par ses soins tout a été défendu, interdit ; puis il s’écrie :
« Eh bien ! tout cet échafaudage a-t-il expliqué jusqu’ici, expliquera-t-il jamais :
« 1° Comment les deux pauvres petits bergers des Alpes ont été ou trompeurs..... ou trompés et victimes d’une mystification. »
En désignant Mlle Lamerlière, j’ai dit comment ils avaient été trompés ; en disant que cette femme marchant sur l’herbe ne la faisait pas fléchir sous ses pieds, en donnant les détails de son enlèvement au ciel, ils ont dit eux-mêmes comment ils avaient été trompeurs.
Que reste-t-il de cette première assertion de l’intrépide professeur ? Rien.
Venons à la deuxième :
« 2° Comment le Dieu de toute vérité et de toute sainteté a fait et continue de faire des miracles sans nombre, entièrement, absolument inexplicables dans l’hypothèse d’une fourberie sacrilège ou d’une détestable jonglerie. »
M. Rousselot nous a parlé de miracles au dehors, de miracles dans le diocèse de Grenoble.
Pour le dehors, M. Rousselot a posé une règle sage, c’est qu’un miracle ne peut, ne doit être proclamé que par l’évêque du lieu.
Or, un seul, celui d’Avallon, a été proclamé par l’archevêque de Sens. Nous avons vu, page 62, dans quelles conditions ; il ne prouve rien pour le fait de la Salette. Tous les autres prouvent bien moins encore ; pour l’homme intelligent, ils n’existent pas même ; aucun d’eux n’est sanctionné par un évêque. J’ai le droit, dès lors, de dire à M. Rousselot : « Vous nous trompez, car vous prenez votre imagination comme règle suprême et vous mentez à vos principes. Ce n’est chose permise ni à un vicaire général, ni à un professeur de théologie morale, je ne puis que plaindre votre aveuglement. »
Pour le diocèse de Grenoble, il en a énuméré trois, et quels miracles !
Marie Gaillard, qui était, qui est toujours estropiée. – Victorine Sauvet, tantôt miraculée, tantôt diabolique. – La guérison du 11 décembre 1852, à laquelle Piron lui-même n’aurait jamais osé associer la sainte Vierge.
Je le demande, est-ce en présence de faits semblables que M. Rousselot peut être bien venu à nous parler de miracles faits par le Dieu de toute vérité et de toute sainteté ?
Pendant que le célèbre professeur abuse ses lecteurs crédules, l’opinion publique lui répond à Grenoble.
Depuis six à sept ans, l’un de ses élèves faisait des efforts inouïs pour fonder en cette ville une église bibliocatholique, tout le monde le plaignait et repoussait ses avances. La Salette et ses miracles ont vu le jour, M. Rousselot les exalte, deux mille trois cents signatures sont données à M. l’abbé Didon pour faciliter et hâter son projet. Voilà le premier effet produit par les miracles du diocèse de Grenoble. M. Rousselot se garde bien de le dire.
Que reste-t-il de sa deuxième assertion ? Rien. Rien !
Allons à la troisième :
« 3° Comment les deux bergers ont pu écrire et envoyer un secret ou des secrets au chef suprême de l’Église. »
Ici M. Rousselot veut rire. Il nous apprend, pages 51, 52, 53, 54, 55, 56 et 57 de son Nouveau Sanctuaire, que les deux bergers ont été décidés par lui et par M. Auvergne à écrire et à envoyer leur secret au Pape. Il nous apprend, page 14 et ligne 26, que les deux bergers interrogés sur quelques points de leur lettre satisfont sans hésiter à cette demande. Nous savons que l’un et l’autre ont été arrachés à la misère et que leur sort à venir dépend de M. Rousselot d’abord, de M. Auvergne et consorts ensuite, et il nous donne comme un argument irréfragable en faveur de la Salette l’obéissance de ces deux enfants !
Mais s’ils eussent désobéi, ils avaient à craindre le renvoi à leurs troupeaux et à la misère.
En obéissant, ils maintenaient leur existence molle et facile.
Je le demande à toute personne intelligente, les deux bergers pouvaient-ils hésiter, et dès lors que prouve leur lettre au Pape ?
Il y a plus, le contenu de leur lettre est inconnu. Est-il sérieux ? est-il puéril ? Nul ne le sait. Et M. Rousselot veut conclure de cette ignorance, comme tout à l’heure il concluait du texte adressé au Pape, que la Salette est vraie ! Risum teneatis, amici.
Que reste-t-il de cette troisième assertion ? Rien ! rien ! rien !
Allons à la quatrième et dernière :
« 4° Comment tant d’hommes croyants, évêques, prêtres, théologiens habiles, laïques instruits, admettent fermement le fait de la Salette, malgré l’incident d’Ars et toutes les autres objections ? N’y a-t-il donc de l’esprit, du bon sens, de la philosophie, que dans les incrédules ? »
M. Rousselot affirme et ne prouve pas. Il nous a nommé quatre évêques sur quatre-vingts ; il nous a assuré que tous les prêtres du diocèse croyaient, et nous avons vu que cette assertion était fausse ; il nous parle de théologiens habiles, et probablement il se pose comme leur chef. Je ne nie pas l’habileté de M. Rousselot, mon livre tout entier est consacré à la faire ressortir. Il nous parle enfin de laïques instruits, où sont-ils ? À Grenoble, les deux mille trois cents signatures données à l’abbé Didon lui répondent ; la magistrature et le barreau, l’université et le génie, les administrations et le commerce, les propriétaires et les rentiers, tous protestent contre cette assertion accusatrice. Que reste-t-il à M. Rousselot ?
Je veux oublier un instant tout cela, je veux admettre qu’il dit vrai pour le dehors. Il m’est impossible, sans doute, d’être plus coulant avec lui. Qu’est-ce que cela signifie pour la Salette ?
Au dehors, la Salette est connue par les ouvrages de M. Rousselot et par le Mandement du 19 septembre 1851.
Les ouvrages sont revêtus de la haute approbation de l’évêque.
Le Mandement est revêtu de sa signature.
En les lisant, tout le monde a dû croire qu’ils exprimaient la vérité la plus exacte et la plus scrupuleuse.
J’ai pesé le Mandement dans la balance de l’Évangile, j’ai discuté en partie les ouvrages de M. Rousselot. La vérité est-elle leur premier ornement ?
S’il en était ainsi, aurait-on cherché à étouffer toute discussion ? Aurait-on anathématisé quiconque aspirait à s’éclairer ? Aurait-on soulevé contre mon livre toutes les haines et toutes les colères ? Car enfin, dès son apparition, on l’a stigmatisé en en prohibant la lecture sous peine de damnation ; on a réclamé des poursuites judiciaires qu’on n’osait pas intenter directement ; on a réclamé prohibition pour toute apposition d’affiche ; on a proclamé ainsi qu’on n’est fort que dans l’ombre et qu’on a tout à redouter du grand jour.
Je suis seul et je défie M. Rousselot d’oser invoquer le sentiment d’un concile national.
Je suis seul, et je le défie encore d’oser invoquer le jugement d’un tribunal.
Qu’il affronte l’un ou l’autre de ces dangers, et à l’instant, évêques, prêtres, théologiens habiles, laïques instruits, éclairés par la discussion s’éloigneront en répétant : « Nous avions été trompés ! »
Que reste-t-il de la quatrième assertion de M. Rousselot ? Rien ! rien ! rien ! rien !
Toutes ses assertions sont réduites à néant, et c’est sur elles seules que reposait sa conclusion inattaquable !
Quelle est donc la force, la valeur de cette conclusion ? Elle est radicalement nulle, à moins, toutefois, que, dans les secrets de sa haute théologie, quatre valeurs négatives ne constituent une valeur positive, quatre erreurs une exactitude, quatre mensonges une vérité.
Jusqu’à ce qu’il nous ait dit son dernier mot sur cette proposition, je verrai dans la forfanterie de sa conclusion inattaquable une gasconnade et rien de plus.
Je le sais, il ne me suffit pas d’avoir eu raison de M. Rousselot en détruisant ses allégations fanfaronnes, je dois encore avoir raison de lui en le réduisant à l’impuissance de se relever de la défaite que la vérité lui inflige par ma plume ; en opposant à sa prétentieuse et ridicule conclusion, une conclusion qui le confonde et lui fasse crier merci !
M. Rousselot veut la vérité ; il le déclare lui-même, toute altération de la vérité est un crime.
L’altération de la vérité est un crime, donc elle ne peut pas engendrer la vérité, qui vient de Dieu.
Or, la vérité de l’apparition de la Salette sort du Mandement du 19 septembre 1851.
Si ce Mandement est une altération de la vérité, l’apparition qu’il proclame n’est pas, ne peut pas être vraie.
Ces prémisses posées par M. Rousselot lui-même, je l’interpelle à mon tour.
Le Mandement assure que le témoignage des enfants a été toujours constant, ferme, invariable, même devant la justice humaine.
J’ai démontré le contraire, j’ai démontré surtout que jamais la justice humaine ne s’est enquise du langage, des gestes, des allégations des enfants.
Sur ce point le Mandement est une altération de la vérité.
Le Mandement proclame la sage lenteur avec laquelle on a procédé avant de porter un jugement doctrinal.
J’ai prouvé que dès le lendemain de la prétendue apparition jusqu’au 19 septembre 1851, toujours on avait procédé au pas de course.
Sur ce point, encore, le Mandement est une altération de la vérité.
Le Mandement invoque une multitude de prodiges ; il n’en cite pas un seul.
J’ai prouvé que ceux du diocèse de Grenoble sont niais ou impies ; que les autres ne sont proclamés par aucun évêque des lieux, juge premier et nécessaire, d’après M. Rousselot lui-même ; qu’il n’en est pas un seul qui prouve en faveur de l’apparition.
Sur ce point, le Mandement est encore une altération de la vérité.
Le Mandement exalte les discussions graves et approfondies de la commission.
J’ai prouvé qu’on ne leur a pas même laissé les apparences d’une formalité libre et convenable.
Sur ce point le Mandement est de nouveau une altération de la vérité.
Le Mandement prodigue des éloges au rapport consciencieux et impartial de M. Rousselot.
Je l’ai discuté, et partout j’ai trouvé erreurs, sophismes, mensonges.
Sur ce point encore le Mandement est une altération de la vérité.
Le Mandement fait remonter à la divine Providence l’occasion qui a fait porter à Rome le secret des deux bergers.
J’ai prouvé que cette occasion était un calcul, une préméditation pour infliger à un cardinal métropolitain mystification et dédain.
Sur ce point le Mandement est aussi une altération de la vérité.
Le Mandement s’appuie sur la demande expresse de la très grande majorité du clergé du diocèse.
J’ai prouvé par les faits et par les dates que cette demande n’avait pas été faite par un seul prêtre.
Sur ce point encore le Mandement est une altération de la vérité.
Enfin le Mandement constate l’impossibilité d’expliquer l’apparition sans l’intervention divine.
J’ai répondu par Mlle Lamerlière.
Sur ce point, comme sur les autres, le Mandement est une altération de la vérité.
Je n’ai parlé encore que du Mandement ; si j’y joins les trente altérations de la vérité dont M. Rousselot s’est rendu coupable et que j’ai énumérées page 233 et suivantes, dans le Mandement, œuvre de M. Rousselot, dans les écrits sur la Salette, œuvre encore de M. Rousselot, je ne découvre qu’erreurs, pour ne rien dire de plus.
La vérité sortit-elle jamais d’un nombre effrayant d’erreurs défendues par un nombre d’erreurs plus effrayant encore ?
Et comme si ce n’était pas assez de ces erreurs si multipliées pour faire repousser la Salette, fallait-il, en agissant au nom de Dieu, qui est notre père, au nom de Dieu, qui seul est bon, les étayer des arrêts de proscription, d’exil, de déportation, d’interdits, d’excommunication lancés contre quiconque ne trafiquait pas de sa conscience et de la conscience publique en acceptant sans réflexion, en prêchant ostensiblement le dogme de la Salette imposé en dehors de tous les usages de l’Église, de tous les décrets des conciles et fondé exclusivement sur l’erreur ?
Ces traits, que nous ont révélés Mahomet, Calvin, Luther, pères de l’erreur, les retrouvons-nous dans Jésus-Christ, père de la vérité ?
Que M. Rousselot mette en jeu tous les ressorts de sa vaste érudition, qu’il invoque sa brillante philosophie et qu’il me réponde.
En attendant, je répéterai, la France et le monde catholique répéteront avec moi : Marie est la mère du Dieu de vérité ; le seul culte qui puisse plaire à son cœur est celui qui est sans contact avec l’erreur, et dès lors les sacrifices de la Salette ne sauraient lui être agréables.
J’ai visité les madones de l’Italie, je me suis prosterné devant les chapelles dédiées à Marie sur les plages de l’Ouest, j’ai fait mon pèlerinage à Fourvière et à Notre-Dame de la Garde, à l’Osier et au Laus. En 1819, je me trouvais avec M. Rousselot à Einsiedeln (Suisse), partout je voyais une piété affectueuse et sereine, nulle part je ne voyais des sources d’eau divinisée et jetée en bouteille dans le commerce. En consultant les traditions du passé, je n’étais attristé par aucun souvenir pénible ; voies de rigueur, croyance obligée, décret de foi, tous ces moyens humains n’avaient favorisé aucun de ces pèlerinages, aussi partout je respirais un air pur et libre ; de près comme de loin, c’était un concert de bénédictions en l’honneur de Marie, qui depuis des siècles prodiguait en ces lieux des bienfaits et des soulagements à ceux qui l’invoquaient, qui jamais n’avait été l’occasion même indirecte d’une sévérité, d’une brutalité exercée contre quiconque se montrait indifférent. Une pensée alors m’assiégeait et m’absorbait, cette pensée s’est renouvelée par rapport à la Salette et a guidé ma plume.
Dans la religion, il y a les principes, qui sont immuables comme Dieu ; l’Évangile et une tradition apostolique nous les transmettent.
Il y a de plus, les accidents survenus depuis le temps des Apôtres : ces accidents sont divins si, reposant sur des bases certaines, incontestables, sans aucun alliage avec l’erreur, ils ne compromettent jamais, même aux yeux des impies, les principes, qui viennent de Dieu. Ils sont humains au contraire si leur alliage avec l’erreur peut porter atteinte à ces principes, dans l’esprit des hommes prévenus ou des impies.
Tous les pèlerinages en l’honneur de Marie sont dans la première condition, et personne ne les a salués avec plus de bonheur que moi. Le pèlerinage de la Salette est seul dans la deuxième, et personne n’en a gémi plus que moi ; et c’est parce que j’ai vu les principes ébranlés par cette tentative audacieuse que j’ai payé mon tribut à Marie en signalant une erreur qui dépare son culte et blesse la sainteté de son nom.
Marie est le trait d’union entre Dieu et l’homme, elle est l’intermédiaire privilégiée de Dieu entre le ciel et la terre, elle sème la vie parmi les êtres que la grandeur divine éblouit, elle interpose sa médiation au profit de l’infortuné que la justice de Dieu va frapper, jamais elle ne fait de victime. Voilà Marie telle que je la comprends, que je l’aime, que l’Église catholique la proclame et la révère. Ce n’est pas sous ces traits que M. Rousselot voulait inaugurer le culte de la Salette.
Ce culte n’était pas celui de Marie et je l’ai combattu par respect et par amour pour elle.
L’univers, pour parler le langage du célèbre polémiste, laissera dire les partisans de la Salette, et au lieu de céder à un entraînement irréfléchi, insensé, il ira là seulement où le culte de Marie se révèle exclusivement par des bienfaits, où il ne compte pas une seule victime.
Saint Bernard, le plus tendre, le plus éloquent panégyriste de la sainte Vierge, caractérise en peu de mots les effets nécessaires de son culte ; ces mots sont une pierre de touche infaillible pour tous ceux qui invoquent ce nom auguste et sacré :
« Miel à la bouche, mélodie à l’oreille, ravissement dans le cœur. »
Mel in ore, in aure melos, in corde jubilus.
Les actes d’administration que M. Rousselot présente comme très légitimes et qui se résument par les mots : interdit, prison, déportation, exil, peuvent-ils assurer au culte de la Vierge de la Salette les effets si admirablement caractérisés par saint Bernard ?
Quoi que dise la conscience de M. Rousselot, la conscience publique dira TOUJOURS : Non !
Le culte de la Salette n’est donc pas le culte de Marie.
—
Marie est la mère du Dieu de vérité. – La Salette est fondée sur l’erreur.
Marie est la mère du Dieu de justice. – La Salette compte déjà d’innocentes victimes.
Marie est la mère du Dieu qui vécut pauvre, qui souffla sur les richesses comme sur un néant, qui expulsa les marchands du Temple. – La Salette en trafiquant d’une eau divinisée appelle les richesses.
Marie est la mère du Dieu de bonté. – La Salette s’est révélée déjà, se révèle chaque jour encore par la proscription.
Marie, enfin, est la madone que saluent les pèlerins dans toutes les parties du monde catholique. – Mlle Lamerlière est la madone de la Salette.
Marie ne peut pas agréer, Dieu ne peut pas protéger le culte de la Salette.
Dieu cesserait d’être Dieu s’il se mentait ainsi à lui-même.
OBSERVATION CAPITALE. — CAS DE CONSCIENCE.
—
Tout est dit maintenant sur la Salette et l’apparition du 19 septembre 1846.
Le Mandement a été pesé dans la balance de l’Évangile.
Les œuvres de M. Rousselot ont succombé sous la discussion des faits, des dates, des personnes.
Les victimes ont été comptées en partie, en partie aussi les favoris ont été désignés.
L’épisode Lamerlière a été jugé par les principes de M. le chanoine Orcel, de M. le vicaire général Rousselot, de la commission de 1847.
Tout est dit, et une observation capitale se présente encore :
Aussi loin que le catholique peut remonter dans les traditions de l’Église, partout où une apparition, une vision, un miracle se sont produits, ont fondé des pèlerinages, partout aussi il trouve les personnes favorisées de l’apparition, les premiers messagers qui en ont donné la nouvelle, attachés au sol par reconnaissance et par admiration. Là était toute leur vie, tout leur bonheur ; ils tenaient à mourir dans ces lieux privilégiés et à répondre ainsi à l’appel que Dieu leur avait adressé. Partout aussi les habitants du pays et des lieux circonvoisins étaient les croyants les plus ardents, la voix de Dieu n’avait pas résonné en vain.
À la Salette, tout change. – L’apparition a lieu le 19 septembre 1846, le lendemain dimanche, elle est prêchée par M. Perrin, curé de la Salette. Dix jours après, M. Perrin quitte la Salette pour ne plus la revoir.
Il a pour successeur un autre Perrin, propagateur zélé et ardent. En 1852, les missionnaires de la Salette sont institués ; leur prise de possession se signale par le changement du deuxième Perrin.
M. Mélin, procuré de Corps, expéditionnaire de l’eau de la fontaine, appelle à grands cris son changement, et s’il n’est pas aujourd’hui curé à Saint-Jean-de-Bournay, il n’y a pas de sa faute.
Mélanie n’aspire qu’à aller au milieu des infidèles.
Maximin veut être missionnaire ou soldat.
Enfin, le fait de la Salette, très répandu au loin par le Mandement et par les ouvrages de M. Rousselot, ne trouve pas d’écho à Grenoble ou dans l’Isère, à ce point que les étrangers attirés par un sentiment pieux sont confondus d’étonnement, et s’en retournent en disant : Dieu ne s’est pas révélé à la Salette.
M. Rousselot sera-t-il assez charitable pour nous apprendre sur quoi reposent ces divers privilèges si exceptionnels à la Salette ?
Il est quelques points encore qui embarrassent ma conscience et qui ont besoin d’être fixés dans un intérêt de haute moralité.
En 1842, une guérison miraculeuse était annoncée à Corenc, dans le couvent de la Providence, et allait incontinent s’ensevelir dans une tombe.
Une communauté voisine surpassa bientôt la communauté de Corenc.
Elle tenta, en 1844, un premier miracle du précieux sang et compensa son humiliation par le gain d’une chapelle.
Loin de se rebuter, l’année suivante elle tenta le deuxième miracle d’une hostie miraculeuse, dont Dieu lui-même fit justice, en permettant la corruption très hâtive de cette hostie.
Toujours est-il que ce couvent distança celui de la Providence. Il avait fait coup double.
Ce dernier n’est pas resté longtemps en arrière ; en 1846, Mlle Lamerlière paraît sur la scène. La philosophie de M. Orcel nous révèle que cette demoiselle est la dame de l’apparition.
Mais Mlle Lamerlière est une ancienne religieuse de la Providence.
Sœur Thècle, son élève, recueille sur-le-champ, au mépris de la loi, Maximin, qu’elle tient à ne pas séparer de Mélanie. L’un et l’autre rétablissent, sous une garde sûre, leurs souvenirs de la montagne.
Mélanie quitte Corps, elle entre dans la maison-mère de Corenc, elle y reçoit le voile et l’habit.
Mlle Lamerlière, sœur Thècle, la maison-mère, se trouvent ainsi, au commencement, au milieu, à la fin.
Le couvent de Corenc n’est plus effacé par son concurrent ; il a aussi deux miracles à revendiquer.
Mais Mlle Lamerlière est là ; elle y est non-seulement de par la philosophie de M. Orcel et de la commission ; elle y est encore de par les trois miracles précédents, tous trois malheureux il est vrai, mais, par là-même, en appelant un quatrième de même nature ; car un principe premier des lois physiques, qui viennent de Dieu, est que les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Mlle Lamerlière est là ; l’argent retiré de la vente de l’eau est-il légitimement acquis, peut-il consciencieusement se garder ?
L’argent provenant de la vente des livres en faveur de la Salette a été employé à payer des dettes. Ce payement est-il légitime ? Les chanoines peuvent-ils consciencieusement le garder ?
L’argent appelé par le Mandement peut-il être appliqué à la construction d’une chapelle sur la montagne, et cette construction peut-elle consciencieusement se continuer ?
Ici j’interroge avec l’autorité de Rome, de l’histoire de l’Église, je devrais dire avec l’autorité de Dieu.
1° De Rome. Je puise à une source bien connue de M. Rousselot ; je trouve, dans la notice qu’il a publiée au retour de son voyage, que Mgr Frattini, promoteur de la foi, et le R. P. Rubillon, assistant du R. P. général des Jésuites pour les provinces de France, sont les deux seuls personnages qui lui aient parlé de sanctuaire à construire à la Salette. Dans quels termes le font-ils ?
Mgr Frattini déclare que « pour fonder un nouveau sanctuaire en l’honneur de Marie, il suffit d’une probabilité ».
Une probabilité suffit, mais elle est nécessaire. Mlle Lamerlière fait disparaître la probabilité. Il n’y a donc pas lieu, d’après Mgr Frattini, à la construction du sanctuaire.
Le R. P. Rubillon professe « qu’une chapelle peut être construite au lieu de l’APPARITION, parce qu’il est profondément convaincu de la vérité du fait, parce qu’il ne voit point comment les enfants auraient pu être trompeurs ou trompés ».
Mlle Lamerlière est là pour expliquer l’apparition ; elle est là pour indiquer comment les enfants ont été trompés et trompeurs ; elle est là pour modifier la profonde conviction sur laquelle reposait l’avis du R. P. Rubillon, qui n’avait jusque-là entendu que M. Rousselot. – Donc, d’après lui, il n’y a pas lieu à la construction du sanctuaire.
J’ai défini, page 170 et suivantes, les divers arguments que M. Rousselot avait tirés des indults et décrets de Rome, de l’insertion du Mandement dans l’Osservatore cattolico, etc., etc. – Donc, d’après Rome, le sanctuaire ne peut pas se continuer.
2° L’autorité de l’Église. – Rien n’est plus moral, plus conforme à la piété et à l’esprit de Dieu que d’élever une chapelle, de construire un autel en l’honneur d’un saint, d’un martyr, à plus forte raison de la Sainte Vierge. Car si le saint, le martyr sont des êtres privilégiés de Dieu, Marie est par excellence la créature privilégiée de Dieu.
Mais le sanctuaire élevé en l’honneur d’un saint, d’un martyr, comme le sanctuaire élevé en l’honneur de Marie ne sont agréables à Dieu qu’autant qu’ils ne reposent pas sur un principe erroné, soit personnel, soit réel. Car Dieu, la vérité même, auquel remonte le culte de la vertu, ne peut jamais être honoré par une erreur, qui vient du démon, du démon, qui est le plus cruel ennemi de Dieu.
Or, j’ouvre l’histoire de l’Église, et je lis qu’en 372, alors que saint Martin était évêque de Tours, tout près de son monastère de Marmoutier, une chapelle avait été érigée, un autel dressé sur la tombe d’un martyr.
Un concours immense de peuple s’y rendait en pèlerinage. Le saint évêque conçut des doutes sur la vérité des reliques qu’on vénérait. Il se rendit sur le théâtre du pèlerinage, il pria, il apprit par la voix du ciel que le tombeau n’était pas celui d’un martyr. Sur-le-champ, il fit disparaître autel et chapelle ; il anéantit le pèlerinage ; il savait fort bien que l’esprit de piété inspirait seul les pèlerins, mais il savait aussi qu’un évêque a le devoir de ne jamais tenter Dieu en tolérant des pratiques pieuses fondées sur une erreur de personne et de fait ; il savait fort bien que Dieu veut bâtir uniquement sur la vérité sa religion toute de vérité ; aussi n’hésita-t-il pas, et Dieu récompensa son zèle éclairé en détruisant plus rapidement encore l’idolâtrie dans le diocèse de Tours que dans les autres parties des Gaules.
Supposons un instant le diocèse de Grenoble soumis à la houlette pastorale de saint Martin, que fera ce grand évêque ?
Mlle Lamerlière est là. Donc, à ses yeux, la sainte Vierge ne sera pas la Dame de l’apparition.
Tant qu’il conservera le doute le plus léger sur cette erreur de fait, sa vertu de chrétien, sa dignité d’évêque ne lui permettront pas de poursuivre une construction que le Dieu de vérité, que Marie ne sauraient agréer. Pour ménager les âmes simples et crédules, il pourrait peut-être, après avoir imploré les lumières du ciel, réclamer le secours de la justice humaine, recourir aux investigations consciencieuses et éclairées de ses collègues dans l’épiscopat, des membres les plus distingués de son clergé, avant de renouveler la destruction qu’il ordonna en 372 ; mais jamais, en l’état, il ne continuerait une œuvre qui suffit à elle seule pour mettre en péril toute la tradition du passé ; pour que tout catholique intelligent se demande, avec une inquiétude profonde, si les miracles opérés depuis J.-C. et acceptés avec vénération par l’Église entière ont leur raison d’être uniquement dans l’adresse de ceux qui les ont proposés ou dans l’ignorance des chrétiens de l’époque.
Conséquence déplorable qui découle nécessairement de l’obstination que l’on met à imposer un dogme qui ne peut soutenir la discussion ni dans les motifs allégués par le Mandement, ni dans les miracles énumérés par M. Rousselot, ni dans les moyens employés pour lui inoculer la vie.
3° J’ai invoqué encore l’autorité de Dieu : saint Martin suffit à cette partie de ma tâche.
C’est en 372 qu’il renverse la chapelle et l’autel d’un prétendu martyr, sa vie se prolonge jusques en 400. Pendant les 28 ans qu’elle dure encore, Dieu est toujours avec lui ; il lui accorde le don des miracles, à ce point qu’on peut dire de lui, sous ce rapport, ce que l’Évangile dit de J.-C. sous le rapport de la vertu : Les miracles sortaient de lui. Dieu, je le demande, aurait-il favorisé de la sorte celui dont il n’aurait pas approuvé la conduite ? Dieu ne se déjuge pas, sa perfection ne saurait le lui permettre. Ce qui fut bon en 372 est bon en 1853, et dès lors Dieu, après avoir légitimé la destruction du pèlerinage de Marmoutier, basé sur une erreur, ne peut pas légitimer la fondation du pèlerinage de la Salette, basé également sur une erreur de fait ; car, dans ce cas, la vérité et l’erreur seraient égales à ses yeux. Cette assertion seule est une impiété ou une folie.
Mais, il faut l’avouer, saint Martin ne possédait pas, comme évêque, les vertus administratives que M. Rousselot exalte page 99 de son Nouveau Sanctuaire. Il ne destituait pas, il ne vouait pas à Cayenne, il n’excommuniait pas par bon plaisir ; loin de là, s’il rencontrait sur ses pas un Ithace, un Idace, évêques dont le zèle allait jusqu’à persécuter les hérétiques, il leur reprochait, avec une sainte fermeté, une conduite réprouvée par l’Évangile, et ces reproches étant insultants, il allait jusqu’à l’empereur Maxime et ne cessait ses instances auprès de lui que lorsqu’il avait obtenu l’assurance que personne ne serait condamné.
Mais dans ces temps de troubles et d’agitations, l’intrigue déjouait parfois les calculs de la charité du saint évêque et la passion ou la faiblesse faisaient révoquer les mesures de douceur promises à saint Martin. Il l’apprenait, et à l’âge de 75 ans, armé du bâton de pèlerin, il se rendait de nouveau de sa ville épiscopale à Trèves, où résidait l’empereur, pour plaider encore la cause des victimes que signalait le fanatisme religieux. Dans l’excès de sa charité, il allait même jusqu’à communiquer avec les évêques, qu’il venait combattre, à condition que l’empereur ferait grâce à toutes les victimes ; et comme il craignait que cet acte de condescendance, si pur, si charitable, ne lui fût imputé à faute, Dieu lui envoyait un ange du ciel pour le consoler et lui rappeler que la charité est la plus belle, la plus grande des vertus, la vertu la plus digne du ciel et de Dieu.
De même que le zèle de saint Martin (M. Rousselot l’avouera de bonne grâce) ne s’accommoderait ni de la Salette ni de son sanctuaire, de même aussi sa charité vive et éclairée n’aurait ménagé ni l’exil à l’abbé Robert, ni Cayenne à l’abbé Kœnig, ni l’interdit à l’abbé Déléon, ni l’exclusion du Séminaire à l’abbé Guillaud, et cependant saint Martin était en communication directe et permanente avec Dieu. M. Rousselot, en suivant une voie contraire, prétendrait-il avoir aussi Dieu pour lui ?
Je serai heureux de recevoir une solution à ces questions diverses. M. Rousselot, que son érudition n’a pas préservé d’une accusation d’hérésie contre les paroles du premier concile de Nicée, trouvera dans sa haute philosophie, dans les principes de sa théologie, une réponse qui dissipera mes doutes et éclairera ma conscience. Je l’engage seulement, dans le cas où il lui prendrait envie de me réfuter, à imiter mon exemple et à citer mes paroles et les pages où on pourra les vérifier, s’il ne veut pas que je le considère comme ayant divorcé entièrement et à toujours avec la justice, la droiture et la vérité.
FIN.
TABLE DES MATIÈRES
Observations préliminaires
CHAP. Ier.
Le Mandement doctrinal du 19 septembre devant l’Ancien et le Nouveau Testament.
CHAP. II.
1re Assertion du Mandement. – Constance et fermeté du témoignage des bergers de la Salette, témoignage qui n’a jamais varié, malgré les moyens de séduction employés par des milliers de personnes (1re erreur).
CHAP. III.
2e Assertion. – Témoignage des enfants ferme, constant, invariable devant la justice humaine (2e erreur).
Épisode d’Amiens.
CHAP. IV.
3e Assertion. – Sage lenteur apportée à la proclamation doctrinale du miracle (3e erreur)
Épisode d’une prétendue guérison miraculeuse à Corenc, en 1842.
Épisode du prétendu miracle du précieux sang, en 1844.
Épisode de la prétendue hostie miraculeuse, en 1845.
CHAP. V.
4e Assertion. – Multitude de prodiges incontestables opérés par l’invocation de N.-D. de la Salette ou par l’eau de la fontaine (4e erreur).
Dissertation sur le miracle d’Avallon, diocèse de Sens.
CHAP. VI.
5e Assertion. – Dissensions graves et approfondies de la commission (5e erreur).
CHAP. VII.
6e Assertion. – Mérite du rapport consciencieux et impartial de M. Rousselot (6e erreur).
Vérité sur la déclaration de Mgr d’Avignon par rapport à la guérison de sœur Saint-Charles.
Vérité sur la lettre administrative concernant Victorine Sauvet et ses rapports avec un démon incube ou succube.
Contradictions diverses de M. Rousselot.
CHAP. VIII.
7e Assertion. – Occasion fournie par la divine Providence de faire parvenir à Pie IX le secret des deux bergers (7e erreur).
S. Ém. le cardinal de Lyon, métropolitain, mystifié.
Épisode relatif à M. Caron, vicaire de la cathédrale de Grenoble.
CHAP. IX.
8e Assertion. – Demande expresse de tous les membres du chapitre et de la très grande majorité des prêtres du diocèse (8e erreur). 94 Historique détaillé des faits (Notices Rousselot, Robert, Cartellier).
Historique erroné de M. Rousselot ; réfutation.
M. Cartellier et M. Rousselot.
Victimes de la Salette.
Favoris de la Salette.
Incroyance du clergé diocésain.
CHAP. X.
9e Assertion. – Contradicteurs ou opposants impuissants à ébranler une conviction reposant sur un évènement inexplicable sans l’intervention divine (9e erreur).
Les Mandements de Rome et de Rimini repoussent le Mandement du 19 septembre 1831.
Épisode Lamerlière.
Mlle Lamerlière est la Dame de la Salette, d’après les principes philosophiques de MM. Orcel, Rousselot, de MM. les chanoines et curés de Grenoble.
Le langage de la Dame de la Salette va très bien à Mlle de Lamerlière, ne va pas du tout à la Sainte Vierge.
Conséquences rigoureuses, d’après la philosophie de M. Orcel.
CHAP. XI.
Jugement de l’Évangile.
CHAP. XII.
Voies et moyens à l’appui du Mandement. – Excommunication. – Rescrits de Rome.
CHAP. XIII.
Le Mandement n’est pas l’œuvre d’un Évêque.
Pièces étranges ou étrangères approuvées et recommandées 1, 2, 3, 4 mois avant leur existence.
CHAP. XIV.
M. Rousselot et son premier factum.
La Salette et le concile de Trente.
La Salette et Le Laus.
La Salette et Fourvière.
Le concile général de Nicée décrété d’hérésie.
Le philosophe et l’âne.
CHAP. XV.
M. Rousselot peint par lui-même ; jugé par ses actes. – Quelques mots sur son dernier ouvrage.
Un faussaire d’après M. Rousselot.
Sophisme sur les miracles de la Salette.
M. Rousselot et M. le curé d’Ars.
M. Rousselot et Maximin.
M. Rousselot philosophe.
Erreurs découlant de ses principes de haute philosophie.
M. Rousselot administrateur.
M. Rousselot moraliste.
Un athlète nouveau, M. Mélin, pro-curé de Corps.
Encore un athlète, M. le ch. Dye.
CHAP. XVI.
Conclusion inattaquable de M. Rousselot renversée par un souffle.
Le vrai culte de Marie.
Observation capitale. – Cas de conscience.
La Salette et l’application de ses produits.
La Salette et Rome.
La Salette et St-Martin, Évêque de Tours.
La Salette et Dieu.
1 Ego sum via, veritas et vita. (Joan., 14-6.)
2 Omnis, qui est ex veritate, audit vocem meam. (Joan., 18-37.)
3 Cum autem venerit ille spiritus veritatis, docebit vos omnem veritatem. (Joan., 16-13.)
4 Ecclesia Dei vivi, columna et firmamentum veritatis. (1. Timoth., 3-15.)
5 Omnes homines vult salvos fieri et ad agnitionem veritatis venire. (1. Timoth., 2-4.)
6 Aute omnia opera verbum veras praecedat te. (Eccl., 37-20.)
7 Magister, scimus quia verax es et viam Dei in veritate doces. (Matth., 22-16.)
8 Seducimus, et veritas in nobis non est. (Joan., 1-8.)
9 Vos ex patre Diaboli estis, ..... cum loquitur mendacium, ex propriis loquitur quia mendax est et pater ejus. (Joan., 8-44.)
10 Potior fur quam assiduitas viri mendacis, mores hominum mendacium sine honore (Eccl., 20. – 27-28.)
11 Qui nititur mendaciis, hic pascit ventos. (Prov., 10-4.)
12 Mendacium tu loqueris : non misit te, Dominus. (Jér., 43-2.)
13 In hypocrisi loquentium mendacium. (I. Timoth., 1-2.)
14 Foris... omnis qui amat et facit mendacium. (Apoc., 22-15.)
15 Cur tentavit Satanas cor tuum, mentiri te Spiritui sancto ? (Act. Ap., 5-3.) – Quid utique convenit vobis tentare Spiritum Domini ? (Act. Ap., 5-9.)
16 Obligé de revenir sur quelques détails, je les effleure, je ne m’appesantis que sur les faits nouveaux. (Consulter ma 1re partie, page 46 et suivantes.)
17 M. Rousselot nie ce rapport dans son troisième ouvrage, je lui prouverai son existence dans le chapitre qui lui est spécial.
18 Page 84 des Nouveaux Documents, par M. Rousselot, Mélanie, interrogée par M. Lagier, curé originaire de Corps, sur le langage de la Dame, répond :
« Oh ! non ; elle ne me l’a dit qu’une fois, et je me le suis bien rappelé. Et puis, quand même je ne comprenais pas bien, en disant ce qu’elle m’avait dit, ceux qui comprenaient le français la comprenaient ; quand même je ne le comprenais pas, cela suffisait. »
Singuliers ambassadeurs de la sainte Vierge auprès du monde catholique que deux bergers assurant ingénument qu’ils ne savent ce qu’ils disent !
19 M. Rousselot confond ses vœux personnels avec un prétendu bruit qui n’existait pas.
20 Aux yeux de M. Rousselot, je ne le conteste pas ; aux yeux du clergé diocésain, je le nie. C’est à peine si quarante à cinquante prêtres sur huit cents s’étaient occupés du fait de la Salette.
21 Aux chanoines près, pas un seul ecclésiastique n’avait exprimé ce vœu, et ceux du canton (est) de Grenoble, réunis quelques jours auparavant chez M. Gerin, curé de la Cathédrale, avaient demandé à l’unanimité que Maximin fût renvoyé à Ars devant le vénérable curé de cette paroisse et qu’un procès-verbal de leur conférence fût dressé par des témoins sûrs ; jusque-là, la question leur paraissait inopportune et dangereuse. – Maximin n’a pas été envoyé encore.
22 M. Rousselot seul a eu le privilège d’expédier 30 à 40,000 brochures dans tous les pays, à l’aide de dépôts vivement recommandés par l’autorité épiscopale et par ses amis ; de là l’assertion hasardée d’une attente générale : personne ne réclamait.
23 L’examen n’a pas été approfondi dans les séances de la commission ; hors de ces séances, personne n’a examiné.
24 J’ai raconté les démarches clandestines de MM. Moulin et Sibillat ; aucun prêtre ne songeait à demander une décision ; les deux tiers des prêtres auxquels ils s’adressèrent refusèrent leur signature.
25 Le Mandement est du 19 septembre : la pièce par laquelle M. Rousselot fait solliciter les premières adhésions est du 25. Le Mandement affirme par avance la demande expresse de la très grande majorité : la véracité d’un Mandement devrait-elle jamais être soupçonnée ?
26 Bientôt, c’est-à-dire après deux mois consacrés à quêter des signatures, et, notons-le bien, le Mandement est du 19 septembre 1851.
27 Librement, en ce sens qu’on n’a pas conduit par force la main qui traçait une signature, je l’accorde ; en ce sens qu’on n’a pas prié, conjuré, supplié, menacé, je le nie.
28 Le mot conviction est malheureux. La conviction s’acquiert par les recherches et l’étude, et la majeure partie des signataires n’avait pas même lu les ouvrages de M. Rousselot : ces ouvrages sont les seuls connus dans le diocèse de Grenoble.
29 Cette phrase est plus malheureuse encore. Pour l’honneur de la religion et par amour de la paix, les archiprêtres présents à la retraite, au moment de partir, prient Mgr de surseoir, mais ils ne font pas de contre-pétition ; car, dans ce nombre, il en est trois qui avaient signé la pièce de M. Rousselot, et assurément ceux-là n’avaient pas l’intention de se souffleter de leurs propres mains. Ils ne sont que dix-sept, parce que prévenus par l’explosion passionnée des trois jours précédents, ils se gardent bien de réclamer la signature d’un desservant amovible. – L’un des dix-sept, haut placé dans la hiérarchie, mais amovible, a payé bien cher cette signature. Après vingt-quatre ans passés au Petit-Séminaire comme professeur de hautes classes ou comme supérieur, il a été relégué dans une modeste succursale de sept cents âmes. Il est dur quelquefois d’avoir de la conscience.
30 Le mot adversaire est bien mal choisi. M. Rousselot essaie de faire enlever d’assaut la Salette, dix-sept archiprêtres, sentinelles avancées, choisis par Mgr, qui était malade et ne voyait rien par lui-même, veulent, dans l’intérêt de la religion et de leur évêque, prévenir une précipitation dont pourrait se repentir le prélat.
Ils le conjurent de surseoir à tout jugement, et trois curés qui avaient signé la première pièce, mieux éclairés, signent la deuxième. Ces trois curés ont-ils eu la pensée de se constituer leurs propres adversaires ? M. Rousselot, en répondant à celle question, apprendra au monde entier dans quelle estime il a les curés archiprêtres, qui partout sont censés l’élite du clergé.
31 Ces écrits furent publiés en réponse à la notice sur le voyage de Rome, dont le Séminaire avait été inondé par M. Rousselot. Il avait ouvert la voie, on la suivit. M. Rousselot aurait-il donné un mauvais exemple ?
32 Si M. J. Robert, moins embarrassé que ne le prétend M. Rousselot, n’a pas été interrogé judiciairement, ce n’est pas la faute de celui-ci, qui le fit DÉNONCER par un journal de la localité comme coupable de contravention aux lois de la presse. (Voir l’Ami de l’Ordre du 4 octobre 1851.)
33 Attaqué avec violence, à la prière de M. Rousselot, par le journal l’Ami de l’Ordre, M. Cartellier répondit par la même voie. Il ne fut pas l’agresseur, il se défendit seulement. N’est-ce pas le droit et le devoir de l’homme d’honneur ?
34 M. Rousselot est incontestablement un juge émérite en fait de mensonges et de paralogismes ; pour réformer son jugement, il suffit de lire la pièce ainsi qualifiée, en retournant à la page 99.
35 Ici commence la plus inconcevable et la plus absurde des accusations, aussi viens-je la traiter à fond.
Le prêtre qui s’abaisserait jusqu’à mettre en parallèle l’autorité du Pape et celle d’un simple curé de village serait plus qu’extravagant, plus qu’insolent, il serait fou ; une maison d’aliénés devrait être son seul asile.
Est-ce là ce qu’a fait M. Cartellier ?
Membre de la grande commission de 1847, M. Cartellier, que la dévotion à la sainte Vierge avait quelques semaines auparavant entraîné à la Salette, était, dès le principe, disposé à croire ; son cœur se complaisait dans la pensée que la sainte Vierge avait visité un point du diocèse de Grenoble. Il assiste assidûment à toutes les séances, il provoque des explications, car il a pris au sérieux son mandat de juge ; il ne peut pas obtenir une seule réponse ; chaque jour il acquiert une nouvelle preuve que la question est décidée d’avance ; ses yeux s’ouvrent à la lumière. Ami de la vérité avant tout, il proteste, car il ne peut plus croire, puis il s’impose un silence respectueux.
Le rapport de M. Rousselot est publié, M. Cartellier l’étudié religieusement ; il fait plus, il le commente, le réfute, et par respect pour son évêque, dont il connaît l’opinion, il le laisse à l’état de manuscrit, il ne recourt pas à la presse.
Le deuxième volume de M. Rousselot voit le jour, M. Cartellier poursuit son œuvre et il la poursuit avec la même réserve.
Bientôt paraît l’opuscule de M. Rousselot sur le démenti de Maximin à Ars. M. Cartellier poursuit le célèbre panégyriste sur ce nouveau terrain et, comme par le passé, il ne publie rien. – Il ne veut qu’une chose, éclairer sa conscience, car il a été l’un des juges, il a fait partie de la minorité, il serait heureux de reconnaître qu’il s’est trompé, et dans ce but, il ne recule devant aucune recherche.
Sou évêque lui demande communication de ses manuscrits, il s’empresse de les lui porter lui-même et de les laisser à sa disposition. Pouvait-il donner une preuve plus forte de sa loyauté et de sa bonne foi ?
Le fait d’Ars a retenti. M. Cartellier, convaincu que la vérité se trouve à Ars, part pour cette paroisse, confère avec le vénérable curé, apprend de sa bouche le langage que lui a tenu Maximin et que lui, curé, a répété déjà à M. Rousselot et à M. Melin, curé de Corps ; il apprend de M. Vianay que celui qui ne croit pas à la Salette est dans le vrai. Il revient à Grenoble et garde le silence.
Il voit de ses propres yeux la conduite tenue envers S. E. le cardinal de Lyon, il gémit et il se tait.
M. Rousselot revient de Rome, il tente de séduire les prêtres réunis à la retraite, il distribue la notice qui a pour titre la Salette examinée à Rome, il fait quêter, mendier des signatures pour en finir avec la Salette.
M. Cartellier s’émeut, sa conscience de juge est mise à une rude épreuve, il distribue à son tour un récit très réservé sur son voyage à Ars (page 102) et il le distribue uniquement dans l’enceinte du Séminaire.
Cette notice suffit pour tout arrêter, les prêtres retournent dans leurs paroisses ; un journal de la localité accepte vis-à-vis M. Cartellier le rôle de pourfendeur ; pour toute réponse, M. Cartellier réclame l’insertion de sa notice, il veut que l’opinion publique soit juge entre son accusateur et lui.
Voilà l’historique de l’incident flétri par la plume de M. Rousselot ; cet historique ne réclame pas de commentaires.
Je viens à l’accusation.
M. Rousselot publie une relation de son voyage à Rome.
Ce voyage a été entrepris sous de fâcheux auspices.
Le métropolitain de Grenoble, cardinal et délégué du Souverain-Pontife, vient à Grenoble chercher le secret des enfants ; M. Rousselot accepte la mission de mystifier le cardinal en emportant le secret à Rome.
M. Rousselot part en compagnie de M. Gerin, curé de la Cathédrale ; instruction est transmise par écrit à M. Caron, et cette instruction a pour but unique de tromper Son Éminence.
La Salette est connue à Rome par les seuls ouvrages de M. Rousselot. – Ces ouvrages sont infidèles.
L’incident d’Ars est connu par son opuscule ; cet opuscule est infidèle et sophistique.
Enfin, à l’aide de sa notice (la Salette examinée à Rome), notice dont le titre est démenti par la pièce entière, M. Rousselot veut couronner son œuvre laborieuse. – M. Cartellier, qui l’a suivi pas à pas depuis cinq ans, qui veut avant tout la vérité, qui ne comprend pas qu’on puisse vouloir autre chose, oppose au récit de M. Rousselot sur son voyage clandestin à Rome, à Rome qu’on a placée en dehors de la vérité, le récit de son voyage à Ars, Ars où la lumière s’est faite en dehors de M. Rousselot, en dehors de M. Cartellier, en dehors de tous les partisans ou opposants.
À Ars existe un acteur principal, le curé, saint prêtre, vénéré entre tous les hommes, dont la bouche n’a jamais été ouverte pour le mensonge, dont le cœur n’a jamais battu que pour Dieu et pour Marie. La parole de ce prêtre commande la confiance et impose le respect, c’est à cette parole que M Cartellier fait appel, et en agissant de la sorte, il fait acte de conscience et de religion.
Songe-t-il, comme l’en accuse M. Rousselot, à mettre en parallèle l’autorité du Pape et celle du vénérable curé d’Ars ?
À quel titre agirait-il ainsi ?
L’autorité du Pape n’a pas à intervenir pour décider si Maximin a parlé tel ou tel langage à M. Vianay, car je ne sache pas encore, jusqu’à preuve contraire par M. Rousselot, que les paroles de Maximin à Ars soient partie intégrante de l’Évangile, ou appartiennent à une tradition apostolique, seuls cas dans lesquels l’autorité du Souverain-Pontife a le droit d’être invoquée.
Je ne sache pas que l’honneur permette de supposer à ses adversaires un langage entièrement opposé à leurs paroles et à leurs pensées, pour se ménager le sot plaisir de faire de l’indignation à froid et de vouer au ridicule l’autorité la plus respectable de l’univers, en la détournant de la haute et sainte destination que Dieu lui a assignée, pour l’appliquer, selon ses caprices, à un incident qui ne touche pas, même de loin, aux principes essentiels de la religion.
Je ne sache pas que la loyauté et la délicatesse puissent s’allier avec une accusation aussi odieuse, si on ne s’impose pas, préalablement, la loi de citer textuellement la pièce entière qui l’inspire.
M. Rousselot s’est bien gardé de faire cette citation ; la seule lecture eût suffi, même aux esprits les plus prévenus, pour juger la passion ou plutôt le délire qui lui a dicté cette phrase insensée.
Je n’imite pas sa réserve, parce que je veux être vrai. En remontant à la page 95, on lira la notice de M. Rousselot ; – à la page 102, on trouvera celle de M. Cartellier. – La conscience publique appréciera.
Que signifie maintenant cette autre phrase : « Comme si aux yeux de tout homme sensé, le voyage de Rome n’était pas l’anéantissement de celui d’Ars ? »
Que peut-il donc, bon Dieu ! y avoir de commun entre l’un et l’autre ?
Le premier commence par la mystification d’un cardinal, se place sous le patronage du mensonge, se continue par le déguisement et par l’erreur, tend à se faire couronner par une surprise qui permette d’imposer un dogme nouveau, et il se fait entièrement en dehors des deux acteurs de l’incident d’Ars.
Le deuxième, au contraire, se fait pour aller au principal acteur de cet incident.
Le premier, jugé par la notice de M. Rousselot, n’a pas fait faire un pas à la Salette, car cette notice ne contient pas un seul mot du Souverain-Pontife qui ait trait à la Salette.
Le deuxième, jugé par la notice de M. Cartellier, lui a fait faire un pas immense : Maximin s’est joué de la crédulité de ses patrons.
Et M. Rousselot voudrait que ce qui est blanc, à Ars, aux yeux d’un prêtre, homme de Dieu s’il en fut jamais, devînt tout-à-coup noir, même aux yeux de ce prêtre, parce qu’il lui plaît de dire :
« Je suis allé à Rome, j’ai vu le Pape, je lui ai parlé de tout, j’ai publié une relation de mon voyage et de mes entretiens, cette relation ne dit rien, n’établit rien, ne prouve rien, mais Rome est la ville du Pape ; Ars est la paroisse d’un simple prêtre, tous les voyages d’Ars sont ANÉANTIS par le mien. Désormais, silence sur ce que Maximin a pu dire, et si vous rompez ce silence, vous êtes un insolent ou un extravagant, c’est moi qui vous le déclare. »
Il y a en réalité extravagance on insulte quelque part.
Est-ce de la part du prêtre toujours prêt à courber la tête sous une décision du Souverain-Pontife portant sur les points qui intéressent la foi, mais ayant en trop haute estime cette autorité et la sagesse de Dieu qui l’a établie, pour se laisser aller à croire qu’un fait matériel étranger à la foi, survenu à plusieurs centaines de lieues de Rome, puisse être modifié dans son essence par une interprétation fausse et intéressée donnée à une prétendue décision, dont le Pape n’a pas même pu avoir la pensée ?
Est-ce de la part du prêtre qui, ne consultant que son amour-propre et son intérêt, aspire à confisquer la vérité, en associant à l’infaillibilité du Pape, en matière de foi, l’infaillibilité des murs de Rome en matière de faits étrangers à cette ville, étrangers à la foi, et abaisse ainsi l’autorité la plus vénérable en la vouant au ridicule ?
Là est toute la question.
M. Cartellier appartient à la première école.
M. Rousselot, par son accusation délirante, appartient à la deuxième.
À lui seul maintenant à fixer, par sa réponse, de quel côté se trouve l’extravagance ou l’insulte.
Un mot encore et je finis.
La notice si calme, je devrais dire si pâle de M. Cartellier, était publiée dans les journaux de Grenoble le 4 octobre.
Cette notice touche très incidemment au fait de la Salette.
M. le chanoine Chambon, encore tout meurtri des coups que lui a portés le Patriote des Alpes, redoute déjà une nouvelle défaite. Il ne fait pas partie de l’administration diocésaine, et néanmoins il intervient par la voie de la presse, il exprime ses regrets de ne pas avoir l’honneur d’être admis dans les conseils de Mgr, pour avoir le droit de solliciter défense de toute publication, sans autorisation préalable de l’autorité ecclésiastique.
Le vœu de M. le chanoine Chambon est entendu : le jour même, la liberté de la conscience est mise en état de siège, défense expresse est faite à tous les prêtres du diocèse de se permettre toute publication directe ou indirecte.
Le Mandement du 19 septembre renchérit encore sur cette défense.
La première s’adressait aux prêtres seuls.
Le Mandement frappe les laïques. – Il porte, art. 5 :
« Nous défendons expressément aux FIDÈLES et aux prêtres de notre diocèse de JAMAIS s’élever publiquement, de VIVE voix ou par écrit, contre le fait que nous proclamons aujourd’hui et qui DÈS LORS exige le respect de tous. »
Un ouvrage de polémique religieuse voit le jour, on saisit l’occasion de frapper un coup qui épouvante et, parmi les dispositifs de la circulaire épiscopale, on trouve le suivant :
« Ce n’est que dans mon diocèse que se trouvent des opposants aussi audacieux ; plaise à Dieu que ce ne soit pas dans les rangs de mon clergé ! Mais si c’est dans son sein que se trouvent les coupables, et s’ils ne sont déjà sous le coup de quelque sentence épiscopale, nous renouvelons contre eux la SUSPENSE ipso facto et s’ils publient ou contribuent à faire publier encore quelque chose de pareil, nous les FRAPPONS D’EXCOMMUNICATION comme coupables de semer le scandale parmi les fidèles, la division dans le clergé et la révolte contre l’autorité épiscopale ; EXCOMMUNICATION ENCOURUE PAR LE SEUL FAIT et réservée à nous et à nos successeurs personnellement. »
Ainsi M. Cartellier est bien averti ; il a les menottes aux mains et aux pieds, il n’a pas le droit d’écrire, de prononcer un seul mot pour sa défense. S’il a la témérité de céder à un mouvement bien naturel, en disant qu’on lui prête des intentions qui ne sont pas les siennes, il est, par ce fait seul, suspendu, excommunié. Et c’est dans cette position entièrement anormale que M. Rousselot, retranché derrière une autorité irresponsable, saisit M. Cartellier, dirige contre lui une attaque incroyable, dénature ses sentiments, torture ses pensées, consigne tout ce fatras dans un volume qu’il expédie à tous les évêques de France, sous le couvert de son évêque, qu’il destine à tout le clergé, à tous les pays, à tous les peuples. – Je le demande, la main sur la conscience, y a-t-il là loyauté, dignité, honneur ?
La loyauté, l’honneur exigent qu’on autorise M. Cartellier à s’expliquer sur l’accusation dont il est l’objet. – Ce droit est celui du criminel sur les bancs des assises. – Il ne sera pas celui de M. Cartellier, et s’il s’avisait de dire un mot, un seul mot, quelle que fût sa modération, on lui répondrait par la signification d’une suspension et d’une excommunication !
M. Rousselot peut battre des mains ; il peut recevoir les ovations de ses amis, jamais triomphe ne fut pareil au sien !
Et notons ceci en passant.
M. Rousselot ne dit mot de la Notice qu’il avait publiée sur son Voyage et qui avait provoquée celle de M. Cartellier ; pour éloigner de l’esprit de ses lecteurs jusqu’au soupçon de sa propre publication, il dénature, il change les premiers mots de la Notice Cartellier : au lieu de commencer par ces mots que M. Rousselot cite en lettres italiques : On PARLE d’un Voyage à Rome, pourquoi ne PARLERAIT-ON pas d’un Voyage à Ars ? elle commence par ceux-ci : On publie le récit d’un Voyage à Rome, pourquoi ne pas publier celui d’un Voyage à Ars ?
Le moyen est adroit ; est-il loyal ? est-il digne d’un prêtre ?
36 M. Rousselot aurait été dans le vrai en disant, par amour de la paix et sur l’initiative du prédicateur de la retraite, qui aurait suspendu les exercices si on avait persisté dans une voie de captation, qui avait seule occasionné l’agitation et soulevé la tempête.
37 M. Rousselot se trompe, et les trois archiprêtres qui signèrent ce qu’il lui plaît d’appeler la contre-pétition prouvent qu’on exerça des regrets.... mais en sens contraire.
38 On cessa de PRÉSENTER : le mot est naïf. Les ecclésiastiques de la retraite n’agissaient donc pas spontanément.
39 Les signataires seraient fort embarrassés aujourd’hui pour trouver dans mon ouvrage un seul terme injurieux à Monseigneur. – Par ordre transmis sur toute la ligne, la lecture de la Vallée du Mensonge a néanmoins été défendue sous peine de péché mortel.
40 Ils sont trompeurs lorsqu’ils prétendent que la Dame a marché sur l’herbe sans la faire courber sous ses pieds, qu’elle s’est élevée dans les airs, de telle sorte que la tête a disparu la première, puis le corps, puis les bras, puis les pieds.
Ils sont trompeurs dans plusieurs détails encore.
41 Ils sont trompés, et sur ce point, il suffit de les renvoyer à Mlle Lamerlière et au chapitre X de ma deuxième partie.
42 Je ne puis que plaindre leur crédulité facile.
43 M. Rousselot, professeur émérite, oublie une des règles fondamentales de la philosophie :
« Il n’est pas permis de conclure du particulier au général. »
S’il a plu à un opposant de ne pas y voir clair, je le renvoie, comme les croyants, à Mlle Lamerlière et au chapitre X de ma deuxième partie.
44 Page 85, ligne 54 de ma première partie, j’écrivais : « Le récit des enfants ne méritait pas l’importance qu’on lui avait attribuée ; LA RÉTRACTATION DE MAXIMIN DEVAIT ÊTRE JUGÉE DE LA MÊME MANIÈRE. »
Ces paroles, que M. Rousselot avait sous les yeux en écrivant, lui permettaient-elles cette phrase inconcevable ?
L’incident d’Ars, aujourd’hui le dernier retranchement de l’opposition.
L’incident d’Ars a à peine une importance secondaire, le point capital de toute la question de la Salette est le Mandement doctrinal, l’Évangile l’a jugé et M. Rousselot m’a contraint à écrire ce jugement.
45 Le miracle d’Avallon n’établit pas plus la vérité de l’apparition de la Salette que les miracles opérés dans les églises de Turin, Brioude, Cologne et Besançon n’établissent la vérité de la présence du Saint-Suaire simultanément dans ces quatre églises.
L’Église, et c’est Benoît XIV qui parle, n’a jamais entendu décider la vérité des apparitions ou visions.
Benoît XIV était Pape. – M. Rousselot est prêtre. Lui serait-il donné de nous révéler qu’un Pape ne sait pas quelle est l’intention, la pratique constante et invariable de l’Église ?
46 J’ai l’AFFREUX courage d’avancer que Mgr de Grenoble, MM. Rousselot, Orcel et Chambon ont eu tort de prétendre que l’évêque du lieu avait seul mission de proclamer un miracle et de nous citer ensuite une foule de miracles qui n’ont été ni les uns ni les autres attestés par les évêques.
Le chrétien droit, l’honnête homme respecte la règle qu’il pose. Est-ce là ce que fait M. Rousselot ?
47 Les miracles de Marie Gaillard, de Victorine Sauvet, de sœur St-Charles, les miracles plus anciens de sœur Philomène du précieux sang, de l’hostie miraculeuse, attestent assez que les niais seuls se laissent prendre aux citations de M. Rousselot. Les faits vrais subissent l’épreuve de la discussion et triomphent ; les faits inventés s’évanouissent en fumée dès qu’on les scrute. – Est-ce donc être pyrrhonien que se tenir en garde après de si nombreuses et si tristes expériences ?
48 L’évêque de Grenoble a fait ce qu’il jugeait conforme à la piété, je ne le conteste pas : conforme à la vérité, ma digression sur Mlle Lamerlière n’a-t-elle pas répondu d’avance ?
49 S’exposer à élever une femme illuminée au rang de la sainte Vierge, à la confondre avec la mère de Dieu, ne paraît pas à M. Rousselot un abus. À ce titre, il peut presque aspirer à être un jour l’Esprit-Saint.
Cette absurdité s’indique, elle ne se discute pas.
50 Je n’examine pas ici si la minorité est imperceptible, comme le prétend M. Rousselot, j’ai quelque chose de plus grave à lui dire :
Les révocations et les interdits, les emprisonnements et les déportations à Cayenne ne sont donc pas une chose grave ?
L’incroyance du Métropolitain, des évêques environnants n’est donc pas une chose grave.
Le parti pris de proclamer pour le monde entier, et par conséquent pour le Métropolitain, un miracle auquel celui-ci ne croit pas, un miracle sur lequel on refuse de s’expliquer avec lui, un miracle à l’occasion duquel on lui inflige mystifications sur mystification, n’est donc pas une chose grave ?
51 Il y avait question difficile, il y avait abus à extirper, il fallait donc, et je répète ce mot, il fallait recourir au Métropolitain et au Concile provincial, ainsi que l’a ordonné le Concile de Trente.
52 En décrétant, en dehors du témoignage de deux bambins ignorants, seuls hérauts de l’affaire de la Salette, que la Dame de l’apparition est la Ste Vierge, on fait non-seulement une chose inusitée, mais encore une chose si énorme, que dans les siècles passés elle ne peut trouver qu’un seul pendant, le miracle dégoûtant du précieux sang en 1844 ; et, assurément, si le Métropolitain, le Concile provincial, le Pape avaient été appelés à statuer sur le fait de la Salette, cette affaire déplorable serait morte depuis longtemps.
Combien plus sage est la règle rappelée par la circulaire de Mgr de Bonald, le 6 août 1852.
« S’il reste quelques doutes sur l’authenticité des faits miraculeux, LE CONCILE PROVINCIAL DOIT ÊTRE SAISI de l’examen de ces causes. Mais, dans tous les cas, RIEN NE DOIT ÊTRE RÉSOLU sans avoir demandé la décision suprême de la chaire apostolique. (Concile de Trente, sess. XXV.) IL N’EST PAS PERMIS de prendre une décision à cet égard SUR LA PRÉSOMPTION du consentement du Souverain-Pontife. IL FAUT que ce consentement soit clairement manifesté et que la sentence de Pierre soit exprimée d’une manière qui ne DONNE LIEU À AUCUN DOUTE. »
Appliquons cette règle à la Salette, et raisonnons par hypothèse.
Mgr de Grenoble et son chapitre sont les seuls croyants, le clergé diocésain est tout entier dans l’opposition. L’examen de la cause est déféré au Concile provincial ; le Métropolitain et tous ses suffragants se rangent à l’avis de l’évêque, ils portent leur jugement ; ce jugement, à son tour, est déféré au Pape qui, entouré de ses cardinaux, statue et prononce de la manière la plus formelle, la moins équivoque, que l’apparition de la Salette est vraie. Qui essaierait, je le demande, de s’inscrire contre ce jugement ? Il porterait avec lui tant de garanties de moralité, de probabilité, que personne ne songerait à examiner, tous s’inclineraient et croiraient.
Pourquoi cela ?
C’est que l’on n’aurait à prétexter ni excès d’amour-propre, ni faiblesse des juges pour faire revivre dans les âges suivants une apparition miraculeuse opérée dans tel lieu, à telle année, sous tel pontificat, et il faut bien l’avouer, la nature humaine est ainsi faite que, partout où il y a intérêt de la part du juge, elle doute et elle examine ; partout où il y a désintéressement de sa part, elle est plus facile à croire.
Aussi, dans l’hypothèse établie plus haut, le jugement fût-il erroné, fût-il contredit plus tard par une Mlle Lamerlière, par vingt témoins qui viendraient déposer qu’ils l’ont vue, qu’ils l’ont suivie, qu’ils l’ont touchée au moment où elle simulait, aux yeux de deux bergers ignorants, une apparition miraculeuse, personne n’oserait accuser la précipitation ou la légèreté de la sentence doctrinale, et c’est dans ce sens qu’est vraie celle parole que M. Rousselot détourne de son sens exact : ROME A PARLÉ.
M. Rousselot nous laisse bien loin de cette hypothèse et de ses conséquences. Il se livre (dans son Nouveau Sanctuaire à Marie et par extension à cette note) à une longue dissertation que par pudeur je ne transcris pas ; il s’y livre pour établir que le Concile provincial fût-il consulté, c’est à l’évêque seul qu’il appartient de prononcer.
M. Rousselot entend-il par là que la Salette, soumise au Concile provincial, lors bien même que tous les pères du Concile la rejetteraient, son évêque aurait le droit de la déclarer vraie ? Sa prétention est absurde. Pour l’honneur du Concile de Trente, je ne la discute pas.
Entend-il que l’évêque a seul le droit de prononcer, mais en conformité de la décision adoptée par le Concile ? L’évêque alors n’est plus que l’exécuteur d’une volonté qui est au-dessus de la sienne, et l’argumentation devient ridicule. Entre le ridicule et l’absurde, M. Rousselot a le droit de choisir.
53 J’ai exposé le sentiment de Benoît XIV et des théologiens sur les usages constants de l’Église ; M. Rousselot va beaucoup au-delà, il abuse du privilège de l’âge.
54 S. E. le cardinal Patrizi a proclamé uniquement le fait attesté par les témoins juridiquement entendus. – Mgr de Grenoble a proclamé beaucoup plus, quoique ses deux petits témoins ne présentassent aucune garantie. Aucune ressemblance n’existe donc entre le décret du cardinal Patrizi et le Mandement du 19 septembre 1851.
55 M. Rousselot aurait dû ajouter que ces pèlerinages n’ont été imposés par aucun Mandement épiscopal.
Un mot sur le premier des deux.
Pendant cinquante-sept ans, sous trois archevêques successivement, la bergère du Laus a été persécutée ; archevêque, vicaire général se sont rendus en personne sur les lieux ; elle-même a été mandée venir à Embrun : les prêtres qui voulaient la soutenir ont été pourchassés, sa chapelle a été mise en interdit ; plus tard, la desserte en a été confiée, pendant vingt ans, à des Jansénistes, qui avaient mission de ruiner le pèlerinage et qui, dans ce but, n’ont reculé devant aucun moyen, quelque odieux qu’il fût. Après toutes ces épreuves, toutes ces tourmentes, l’autorité ecclésiastique, vaincue par l’humilité, la fermeté, la joie résignée de la bergère, joie qui éclate surtout lorsqu’elle est appelée au bonheur de souffrir dans sa personne et dans sa liberté ; vaincue par les succès d’un pèlerinage que rien n’a pu détruire, laisse les choses à leur cours naturel, mais elle ne proclame pas par Mandement. En d’autres termes, après avoir, pendant près de soixante ans, fait des efforts incroyables pour tuer, l’autorité ecclésiastique, convertie par les miracles opérés sur les lieux mêmes, jugés par elle, est condamnée à laisser vivre.
Pour la Salette, au contraire, les deux bergers sont immédiatement l’objet des soins les plus délicats de la part de l’autorité diocésaine, ils sont placés dans un couvent, on les y entoure de toutes les aises et de toutes les commodités de la vie ; s’ils manifestent des vices, on les cache et on les leur pardonne avec une facilité désespérante ; s’ils mentent, c’est par une étourderie à laquelle on ne doit pas faire la moindre attention ; s’ils portent la vérité à Ars, le curé de cette paroisse est dénoncé au monde catholique comme ayant des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre ; si quelque prêtre du diocèse ne s’incline pas, malgré le cri de sa conscience, devant ce fait, il est interdit, pourchassé, livré au bras séculier pour être jeté en prison, déporté à Cayenne ; par contre, si un prêtre se montre complaisant dans l’intérêt de la Salette, il est pourvu d’un archiprêtré, décoré d’un camail d’honneur, que sais-je ?
Pendant qu’au Laus une persécution acharnée tourmente la bergère et ses partisans, et cela pendant un espace de cinquante-sept ans, à la Salette une persécution plus acharnée encore tourmente, dès les premiers jours de l’apparition, quiconque est supposé indifférent ou hostile aux deux bergers et à l’apparition prétendue miraculeuse.
Et M. Rousselot a le triste courage de comparer la Salette au Laus !
Le feu et l’eau, la lumière et les ténèbres se ressemblent-ils donc ?
Avais-je tort de dire que M. Rousselot avait oublié de recommander ses productions littéraires et religieuses par l’épigraphe suivante :
Les sots, depuis Adam, sont en majorité ?
56 Même réponse.
57 Mgr Devie était dans le vrai. Son collègue de Grenoble était SEUL à portée de décider cette question, mais son Mandement ne devait exprimer que la vérité, ainsi aurait fait Mgr Devie : M. Rousselot dira-t-il cela de son œuvre du 19 septembre 1851 ?
58 Le sanctuaire de Fourvière doit sa célébrité au sentiment qui inspira ce pèlerinage et le culte de la Vierge immaculée.
Alors que Lyon était la capitale d’une province romaine, sur le plateau de Fourvières se célébraient des fêtes païennes et celles entre autres que signalaient une débauche, un dévergondage effrénés, de là le nom de ce plateau, – forum Veneris, – place consacrée à Vénus.
Il appartenait à la religion du Christ de purifier par le culte de la Vierge sans tache un lieu souillé trop longtemps par l’immoralité ; il appartenait aux vierges chrétiennes de venir immoler les plaisirs de la chair sur le lieu même où ces plaisirs, par une insulte délirante, avaient été légalement déifiés ; de là l’empressement des premiers fidèles à gravir le coteau de Fourvière, empressement qui est toujours allé croissant, parce que la pudeur sera toujours la vertu la plus chère au cœur de Jésus et de sa mère. – Aussi n’a-t-il fallu ni Mandement d’archevêque, ni rescrit de Rome pour établir, à plus forte raison, pour imposer une dévotion si pure, si délicate dans le sentiment qui l’inspirait et qui suffira à la soutenir toujours.
Comment M. Rousselot peut-il établir quelque assimilation entre Fourvière et la Salette ?
59 Pour proclamer un miracle, il ne suffit pas que l’évêque en ait acquis la preuve, il faut de plus qu’il n’y ait ni doute, ni question grave. Voilà la doctrine du Concile de Trente. Le doute existait, la question grave existait aussi dans l’apparition de la Salette, je l’ai établi plus haut. L’évêque ne pouvait donc proclamer qu’après l’avis du Concile provincial et du Métropolitain. M. Rousselot n’a-t-il plus foi aux décisions des Conciles ?
60 M. Rousselot fait ici une confusion calculée : Il y a deux choses, l’apparition miraculeuse et l’extension du culte de la sainte Vierge. Mlle Lamerlière paraît plus compétente que personne pour juger la première. La deuxième doit-elle jamais être greffée sur une mystification ?
61 J’abandonne à M. Rousselot les chansons, dont je n’ai que faire ; quant au pamphlet, j’ai un seul mot à lui dire.
On ne répond pas à un pamphlet, on le méprise, car il ne fait jamais de mal.
On répond à un ouvrage sérieux, car on le redoute. C’est là ce que fait M. Rousselot. – La qualification qu’il donne à mon livre est démentie par ses actes.
62 Le fait est établi en dehors des règles tracées par l’Église, l’autorité a dépassé la limite de ses droits.
63 Des chansons sur un sujet religieux ne peuvent partir que d’un cœur léger ou mauvais ; j’abandonne toutes les chansons nées ou à naître à l’humeur de M. Rousselot.
64 M. Rousselot insulte ; c’est le propre de quiconque n’a ni raisons à donner, ni preuves à produire.
65 Pamphlétaire, libelliste, d’après le dictionnaire de CHAPSAL : auteur d’écrits injurieux, diffamatoires. Qu’on mette à l’alambic, qu’on distille la publication dont il s’agit, qu’en sortira-t-il ? Injures, diffamations, contes inspirés par besoin..... Mais quelque chose de concluant contre la Salette ? Rien, rien, rien ; sinon encore l’ignorance de l’auteur sur les matières ecclésiastiques, et même sur celle de la Salette. (Note de M. Rousselot.)
66 Je passe sur les insultes, elles ne blessent que celui qui les adresse. Je viens à l’accusation la plus absurde qui se soit jamais glissée sous la plume d’un écrivain.
Dans vingt endroits différents, j’ai professé que les Papes étaient les chefs de l’Église, et quand M. Rousselot écrivait les lignes que je réfute, il savait fort bien que son langage était uniquement pour les niais. A-t-il besoin d’une profession de foi, je vais la lui faire.
Si Pierre possédait à Antioche la primauté d’honneur et de juridiction, il la possédait de droit divin, il la porte avec lui à Rome, comme les Papes la portent à Avignon, comme Pie VI la porte à Valence, Pie VII à Savonne, à Fontainebleau, Pie IX à Gaète.
Ce langage est-il clair ?
Cela empêche-t-il qu’au quatrième siècle, les évêques d’Antioche et d’Alexandrie aient été déclarés par le Concile œcuménique de Nicée les supérieurs hiérarchiques des évêques de leur province ? Cela empêche-t-il que le premier Concile général, par une lettre synodale adressée à toutes les églises du monde, déclara (JE CITE SES PROPRES EXPRESSIONS) que les évêques des trois grandes villes du monde, Rome, Antioche, Alexandrie, avaient juridiction sur les provinces voisines ?
Ce langage du Concile est-il clair ? en ai-je tenu un autre ?
J’en appelle à M. Rousselot, qu’il lise la page 5, lignes 3, 4, 5, 6 et 7 de ma première partie ; qu’il lise et qu’il rougisse.
Si ce langage exprime une grosse hérésie, une fausseté, une bévue historique, comme le prétend M. Rousselot, c’est que les trois cent dix-huit évêques qui composaient le Concile, qui étaient juges de la foi, qui trouvaient le mot CONSUBSTANTIEL pour définir contre Arius la nature du fils de Dieu, n’ont pas su trouver un langage orthodoxe, au dire de M. Rousselot, pour proclamer la haute juridiction du Pape, juridiction qu’aucun d’eux ne contestait, puisqu’ils étaient présidés par les légats du Pape ; c’est que ces légats eux-mêmes n’ont pas su s’inspirer du puritanisme de M. Rousselot.
Que mon célèbre contradicteur, toutefois, me permette de le lui dire :
S’il persiste dans son jugement, il condamne un Concile œcuménique, et pour moi, j’ai la conscience d’être dans le vrai, quand je parle comme ce Concile. Je regrette pour M. Rousselot, pour sa modestie, pour son humilité, qu’il ait cru pouvoir s’arroger le droit de donner une leçon aussi brutale à trois cent dix-huit évêques réunis, sous l’autorité du Pape, en Concile œcuménique.
Son sophisme ne porte pas contre moi, il s’adresse plus haut, il remonte aux pères du Concile, au grand Osius, à saint Alexandre, évêque d’Alexandrie ; saint Eustache, évêque d’Antioche (les deux parties intéressées) ; saint Macaire de Jérusalem ; saint Paphnuce, saint Potamon, saint Paul, saint Jacques de Nisibe, saint Amphion, saint Hippace, saint Alexandre de Byzance, et, au milieu d’eux, à de nombreux martyrs de la foi, dont les uns avaient un œil crevé, les autres un jarret brûlé, d’autres les mains estropiées ; car tous avaient su souffrir pour J.-C. et son culte ; ils ne se doutaient pas qu’un jour viendrait où un simple prêtre reprocherait à leur langage d’exprimer UNE GROSSE HÉRÉSIE, une FAUSSETÉ. S’ils avaient pu le prévoir, dans le feu de leur charité, ils auraient eu une prière pour l’infortuné que la passion pouvait égarer à ce point, et une immense bévue n’eût pas été commise par l’érudit, par le présomptueux M. Rousselot.
Une simple réflexion toutefois devait suffire à M. Rousselot pour prévenir son incroyable sortie.
Trois siècles ne s’étaient pas écoulés encore depuis la mort de J.-C., lorsque le concile de Nicée s’assembla, sous la protection du grand Constantin.
Ces trois siècles avaient été pour l’Église des siècles de persécution.
Les communications avec Rome, dont le gouvernement papal était bien loin d’être ce qu’il est aujourd’hui, étaient difficiles, longues, souvent impossibles.
Le concile veut assurer l’unité dans l’Église. Dans ce but, il délègue, en agissant de concert avec le Pape, un droit de juridiction provinciale aux évêques d’Antioche et d’Alexandrie.
Cette délégation est un acte de sage administration.
M. Rousselot l’appelle UNE BÉVUE, une GROSSE HÉRÉSIE ; il réforme un concile général, il se met au-dessus de Dieu, qui a promis l’assistance de son Esprit Saint, et, à ce titre, l’infaillibilité aux conciles généraux. – Dès-lors, il réforme Dieu. Son omnipotence pouvait-elle s’arrêter devant le fait de la Salette ?
Heureux, savant M. Rousselot !
67 M. Rousselot en prend vraiment trop à l’aise. Un Concile est une assemblée de juges, donc ils jugeront. Mais tous les juges n’ont pas, en tous les temps, permis de discuter ; je rends hommage à la dignité des Conciles en proclamant la liberté de discussion qu’ils ont constamment autorisée. – M. Rousselot y trouve matière à reproche ou plutôt à accusation ; cela excite non ma surprise, mais ma pitié.
68 La sentence d’un évêque proclamant un miracle n’est conforme au droit qu’autant qu’elle est soumise au Concile provincial, dès qu’il y a doute, abus, question grave. – Voilà la doctrine du Concile de Trente, la doctrine rappelée par Mgr le cardinal de Bonald, la doctrine que j’ai professée.
Le Concile de Trente aurait-il, au jugement de M. Rousselot, comme celui de Nicée, le privilège de ne savoir ce qu’il dit ?
69 M. Rousselot a dénaturé ma doctrine sur la sentence prononcée par un évêque, pour se ménager le plaisir assez frivole d’introduire ces deux paragraphes, le nom d’un évêque étranger que je n’ai pas même désigné une fois, ses opinions sur un droit de suspendre sans procédure un titulaire inamovible, Je n’ai que faire de cette surabondance indigeste.
70 Assertion gratuite et mensongère.
71 Assertion gratuite encore et mensongère.
72 Je porte à M. Rousselot le défi de produire un seul mot de Mgr l’évêque de Gap qui m’accuse de calomnie, qui exprime une réclamation.
73 Je porte le même défi pour M. l’abbé Challuau, et si cet ecclésiastique s’oubliait jusqu’à écrire ce mot, je m’engage à faire insérer immédiatement dans les journaux les noms des cinquante curés, chanoines aux honneurs, bourgeois, maîtres et maîtresses de pension auxquels M. Challuau a dit qu’il avait payé 35 fr. deux bouteilles d’eau de la Salette, et que de plus on réclamait de lui avec instance un ornement d’église ou au moins un missel.
74 Assertion gratuite et mensongère. Pour ce qui concerne les grands vicaires, j’ai dit que l’un croyait à la Salette et l’autre n’y croyait pas. Y a-t-il donc, peut-il y avoir outrage, insulte, calomnie des deux côtés ?
75 J’ai discuté philosophiquement une thèse de M. Orcel ; je n’ai pas cru avec lui que la probabilité et la certitude étaient identiques. M. Rousselot appelle cela de l’injure. Bossuet injuriait-il donc Leibnitz ? Malebranche a-t-il injurié Descartes ? M. Rousselot a-t-il la volonté d’injurier S. E. Mgr le cardinal de Bonald ? On est vraiment à plaindre quand on est aveuglé par la passion.
76 M. Rousselot voulait dire une haute spéculation.
77 Assertion gratuite.
78 Assertion très exacte, dans laquelle je persiste et dans laquelle persisteront avec moi tous les gens sensés.
Une réflexion se présente ici. M. Rousselot a eu un article spécial pour les grands vicaires, pour M. Challuau, M. Orcel, M. Mélin, M. Gerin. Au moment où la cause de la Salette était désespérée, un de ses collègues est venu très résolument et très maladroitement la prendre en main, se faire fustiger par le Patriote des Alpes ; il a écrit quatre à cinq articles dans les journaux ; pour assurer à M. Rousselot le triomphe silencieux de son miracle, il a provoqué la mise à l’index de tout prêtre qui s’aviserait de dire un mot, et M. Rousselot n’a pas une phrase, un petit bout de phrase pour ce pauvre M. Chambon ! En vérité, c’est bien ingrat de sa part.
79 Réponse très sérieuse au chapitre suivant, qui est spécial à M. Rousselot, page 207.
80 Pour le fait d’Ars, assertion gratuite. – Pour l’accusation qu’il plait à M. Rousselot de tenir en suspens sur ma tête, ma réponse sera courte et péremptoire.
Les réticences ne sont jamais employées par l’homme d’honneur.
Que M. Rousselot parle donc s’il l’ose, et surtout s’il sait.
M. Rousselot aura le courage....... du silence.
81 M. Rousselot prétend (pages 147 et 148 du Nouveau Sanctuaire à Marie) que si Maximin a menti, c’est à Ars qu’il l’a fait et non à la Salette.
On ne discute pas une plaisanterie de cette force.
82 Le fait de la Salette bien prouvé ! C’est une question à poser à Mlle Lamerlière.
83 Mauvaise plaisanterie.
84 M. Rousselot ne cite pas une seule de ces injures, la chose lui serait trop difficile.
85 Je ne comprends pas, car j’ai discuté sans me fâcher, et si, pour avoir tort, il suffit de se fâcher, personne, dans quelque circonstance que ce soit, ne pourra égaler M. Rousselot en colère et en tort.
86 Assertion calomnieuse.
87 Assertion calomnieuse.
88 M. Rousselot se trompe et trompe ses lecteurs.
La maxime des tribunaux est absolue après épuisement de juridiction, ou renoncement à cette juridiction par la partie condamnée, et cette juridiction est tracée par des règles tutélaires que les juges n’entravent jamais.
Il en est de même des sentences des évêques. M. Rousselot oublie ou déguise tout cela, et les règles de juridiction n’ont pas été respectées pour la Salette.
89 M. Rousselot nous apprend dans son Nouveau Sanctuaire à Marie, page 165, qu’il professe la théologie depuis quarante ans. Il a longtemps, très longtemps professé le dogme ; il a discuté et fait discuter par les élèves les paroles et les miracles de l’Évangile. M. Rousselot est-il hérétique et incrédule ? Le séminaire qu’il dirige est-il une pépinière d’apprentis en hérésie et en incrédulité ?
90 M. Rousselot me permettra de traduire en français et de compléter son axiome. Un âne nierait plus de choses qu’un philosophe n’en prouverait.
La citation n’est pas très relevée, elle est du goût de M. Rousselot.
Le philosophe est celui qui prouve, l’âne est celui qui nie.
J’ai eu soin, dans tout mon ouvrage, de citer textuellement les passages que je réfutais, et comme preuve de ma bonne foi, je les soumettais à une vérification facile en désignant le nom de t’ouvrage, la page, la ligne. On ne procède pas ainsi quand on vent embrouiller et nier. – Je ne suis donc pas l’âne dont parle M. Rousselot.
M Rousselot a composé un volume de 300 pages pour me réfuter, il ne cite pas une phrase, pas une page, pas une ligne de mon ouvrage. Il dénature mes pensées, il torture mon style, il fausse mes opinions, il tronque mes doctrines, il assaisonne tout cela d’une myriade de gentillesses, telles que valetaille de l’opposition, libelliste, pamphlétaire, faussaire, honteux organe, diffamateur, extravagant, harpie, que sais-je ? Il fabrique des objections auxquelles je n’ai pas pensé, il fait un roman pour se réfuter lui-même, etc., etc.
Est-ce à ces traits que M. Rousselot reconnaît un philosophe ?
Dieu me garde d’être jamais philosophe à sa manière ! Et en vérité, je le demande avec un regret sincère, quel mauvais génie l’a poussé à la citation d’un axiome dont je ne me permettrai jamais la légitime application ?
91 M. Rousselot est vraiment un phénomène : si je parle, si j’écris, c’est parce que je n’ai rien de sérieux à objecter ! mon silence serait-il donc à ses yeux la preuve que j’ai beaucoup à dire ?
92 En lisant cette phrase, je me suis réjoui de vivre dans un temps où les mœurs du XIIe, du XIIIe siècles étaient épurées, réformées au contact de la civilisation. – S’il en eût été autrement, je n’étais bon que pour un auto-da-fé et probablement je n’aurais pas eu longtemps à attendre les effets de la miséricordieuse justice que me promettait cette incroyable sortie.
Que je m’estime donc heureux de ne pas penser et sentir comme M. Rousselot !
93 Quel point ? l’incompétence de l’évêque ? M. Rousselot est d’accord avec moi. Sa compétence ? J’engage M. Rousselot à réfléchir avant d’écrire, pour ne pas dire l’opposé de ce qu’il veut prouver.
94 Depuis quelques mois ce sous-inspecteur est mort, il est mort dans le diocèse de Grenoble et c’est sur sa tombe encore fraîche que M. Mélin se permet une froide et diffamatrice plaisanterie ! Honneur à la vertu de M. Mélin !
95 Je fais de l’histoire et surtout de l’histoire exacte, je ne m’enquiers pas si M. Mélin est ou n’est pas de connivence avec Mlle Lamerlière, car je n’ai nul souci de le rechercher, et moins habile que lui, je ne juge pas sans preuve. Le jour qu’il lui plaira choisir, je le mettrai en regard du haut fonctionnaire qui a recueilli cette réponse des enfants, et toutes ses rodomontades cesseront comme par enchantement.
96 Quelle foudroyante logique ! En 1846, deux enfants ignorants entendent sur la montagne le langage assez niais d’une belle dame ; donc cette dame est la sainte Vierge.
En 1848, ils disent quelques paroles très naturelles ; donc ces paroles sont d’une simplicité incroyable.
Imprimées en 1852, elles deviennent une niaiserie, sans sel et sans valeur.
Ainsi le juge M. le chanoine Mélin. Profanes de toutes les conditions, courbez la tête et croyez ! le maître a parlé.
97 Quel atticisme !
98 Comment M. le curé, qui triomphait de la loi, aurait-il pu être embarrassé ?
99 Personne n’est plus apte que M. Mélin à signaler les déceptions de l’infortuné qui frappe vainement à une porte dont les gonds sont rouillés. Depuis vingt ans, procuré à Corps, il frappe, il attend, on ne lui répond pas. Qu’il se presse toutefois, car un nouvel évêque est bientôt là, et si Mlle Lamerlière ne contribue pas à le faire fixer ailleurs avant la prise de possession du siège épiscopal, il est à craindre qu’on ne le laisse mourir à Corps.
100 Mgr de Gap ne concourt pas à une publication ; donc tout ce qui le concerne dans cette publication est faux. Escobar ne parlait pas aussi bien.
101 Avant de se faire imprimer, M. Mélin devrait apprendre à écrire correctement.
102 Comptons avec M. Mélin. Il cite la page 18, il a tort, il faut lire page 19 ligne 25. – Il cite la page 139, il a tort encore, il faut lire page 140, ligne 2. – Il prétend qu’en prenant pour point de départ juin 1830 et en marchant à reculons, trois ans révolus suffiraient pour que le fait auquel il fait allusion fût antérieur à l’apparition. Les trois ans nous feraient rétrograder jusques à juin 1847, et l’apparition est du 19 septembre 1846. – Si je fais de la chronologie à la manière des saltimbanques, M. Mélin en ferait-il à la manière des Pierrots ?
103 M. Mélin gourmande Mgr l’évêque de Cap. Ce n’est pas étonnant : Gros-Jean a bien remontré son curé.
104 Je n’ai que faire de la tirade niaise et boursouflée de M. le chanoine Mélin, de ses tonneaux et de ses baleines, je viens à sa dénégation si hardie, et j’en finis avec lui.
1° Mgr de Gap lui a dit à lui-même : J’ai vu remplir à la fontaine du bourg de Corps un baril expédié au loin sous le nom d’eau de la Salette. – Vous nous parlez des miracles opérés par l’eau de la fontaine, est-ce l’eau de Corps, est-ce l’eau de la montagne qui a été employée ?
2° Mgr de Gap a entendu de la bouche de M. Mélin ces mots : « J’ai expédié de l’eau de la Salette pour plus de 40,000 fr. Ce langage a été répété par Sa Grandeur à divers ecclésiastiques du diocèse, il en est un que je puis nommer sans qu’il ait à redouter un acte d’administration à la mode de M. Rousselot, parce qu’il est inamovible. Cet ecclésiastique est M. le curé du Bourg-d’Oisans, il avait auprès de lui vingt prêtres quand le mot a été répété.
M. Mélin est très intéressé dans la question ; Mgr de Gap, très désintéressé. Je défie le premier de produire jamais une assertion de Mgr de Gap donnant un démenti à ce que j’avance.
Les registres de la direction des postes sont là pour attester les recettes énormes faites par M. Mélin. Ces registres sont signés par lui : niera-t-il cette preuve matérielle et sa signature ?
Enfin, le jour où M. Mélin osera le vouloir, je le mettrai en regard du haut fonctionnaire et du sous-inspecteur ; il aura, là encore, la preuve que j’ai dit vrai, la preuve que son démenti est donné pour le besoin de sa cause.
105 Les qui, que, que, qui, qui font tout l’ornement de cette phrase, prouvent l’embarras de M. Mélin, qui n’aurait pas été embarrassé pour répondre au sous-inspecteur. Mais en vérité, quand on écrit de la sorte, est-on Français ?