Ozias Leduc
par
Suzette DORVAL
Deux appentis chaque côté d’une minuscule maison carrée sans couleur définie sous un toit noir : CORRELIEU, habitation et atelier d’Ozias Leduc, peintre, où il travaille sans relâche malgré son grand âge. Cependant, lorsqu’il cause avec vous, vous oubliez l’octogénaire parce qu’en lui l’Esprit a vaincu le temps. Sa voix profonde, aux accents chantants, vous pénètre lentement et les mots sont d’un homme en pleine force dont l’expérience et l’ardeur au travail sont les seuls diplômes. En effet, Leduc termina ses études à l’école du village de St-Hilaire où il est né en 1864.
Je lui demande s’il regrette de n’avoir pas poussé plus loin son instruction et il me confie, avec une pointe de cet humour sans secret pour lui :
– Oui, je le regrette, car voyez-vous lorsque j’avance une vérité, les gens ne me croient pas à cause des études que je n’ai pas faites.
– Comment avez-vous appris l’art de peindre ?
– Tout simplement. J’allais à l’école et je dessinais comme les autres élèves. J’ai aimé cela. C’est tout. Je n’ai pas eu de maîtres. J’ai visité, en pèlerin de l’Art, diverses villes étrangères et, pour mon travail, plusieurs endroits du Canada, m’arrêtant quand il y avait lieu dans les musées, profitant de tout ce qui satisfaisait mon esprit, me délectant de la vue, à mon sens, des plus belles images, de celles qui me plaisaient.
Je ne suis pas insensible à tous les élans de l’Art pour me rajeunir, vivre en nouveau et durer. Je prétends être libre de toute contrainte, convaincu que la Beauté est un SIGNE, le Signe perceptible qu’un être, qu’une chose à atteint son dernier degré de perfection, est devenu identique au prototype idéal que lui propose l’Absolu. Mais je confesse humblement que l’Absolu n’est pas de ce monde, ce qui n’est pas une raison pour déraisonner et enjamber les lisières limites de la route royale de l’Art. Dans le cours de mon œuvre, j’ai recherché âprement, en tout, le Beau, heureux quand je suis parvenu à civiliser la parcelle de matière que mon outil tourmentait.
Depuis de longues années, Leduc a tenu fermement cet outil élu. Nous lui devons de nombreuses natures mortes, paysages d’hiver, portraits officiels, et surtout des œuvres d’art décoratif. Son atelier s’active encore, ce temps-ci, à de larges toiles pour une église de la Province. En ce domaine, l’encouragement d’une élite ne lui a pas fait défaut. Il lui en rend grâce.
Monsieur Leduc me raconte qu’il a exposé pour une première fois en public, à Montréal, à l’Art Association au printemps 1891, deux petits tableaux où il avait mis, semble-t-il, tout son cœur et l’acuité d’une observation sans défaillance. Par la suite, il continua de faire voir ses œuvres en diverses occasions, dans les principales villes du Canada et, également, par l’entremise de la National Gallery, en Grande-Bretagne, en France et en d’autres pays. Lors de l’inauguration de la Bibliothèque St-Sulpice, Montréal 1916, il exposa quelque quarante toiles. Il fut à cette démonstration nommé membre associé de l’Académie Royale des Beaux-Arts du Canada.
Il faut ajouter que l’activité du peintre a franchi les frontières artistiques pour s’appliquer à des tâches sociales dont voici quelques unes : membre du Conseil Municipal de sa paroisse pendant onze années ; marguillier ; fondateur d’une Commission d’embellissement de St-Hilaire qui fonctionna par ses soins pendant un certain temps ; membre de la Société d’Histoire Régionale de St-Hyacinthe dont il est un des fondateurs et un des directeurs.
En 1938, l’Université de Montréal lui décerne un doctorat « Honoris Causa » pour services rendus à l’Art.
Selon Leduc, qui est un peintre idéaliste, il peut y avoir du bon dans l’Art Moderniste et certains élèves de cette école sont sincères. S’il y a des blagueurs, ils le sont à cause de la sottise de leurs admirateurs.
Cet homme toujours à l’affût du Beau, possède à son actif la décoration complète ou partielle de vingt-six églises dont Notre-Dame-de-Bonsecours, restaurée dernièrement par Roger Lespérance ; St-Enfant-Jésus, travail considérable au point de vue symbolique ; le baptistère de Notre-Dame de Montréal ; la Cathédrale de Joliette ; l’église de St-Hilaire qui offre à l’admiration des fidèles la magnifique toile de l’Assomption, laquelle, à mon sens, est un chef-d’œuvre ; les églises de Halifax, Manchester, Farnham et nombre d’autres.
Et voilà pour satisfaire la curiosité des biographes. Je veux maintenant vous présenter l’homme qui a formé le peintre et l’a fait ce semeur de richesses artistiques parmi nous. Il m’a reçue avec bonté et simplicité, me causant de lui avec cette humilité vraie qui est un des traits saillants de son caractère. M. Leduc possède un esprit d’une finesse aiguë, une imagination gigantesque doublée d’un sens de l’observation sans cesse aux aguets, un cœur qui s’est penché sur la nature pour en surprendre les secrets les plus scellés. Poète à ses heures, il extériorise par le rythme des mots les grandes puissances qui le tourmente en lui et autour de lui. Il creuse l’Inconnu et les mystères divins prennent chair par la magie des sons. Mais tout ce qu’il a trouvé ne l’a point satisfait et combien la mélancolie de ses vers laisse percevoir sa déception profonde de ne pas tout comprendre.
Chercheur de Vérité ! voilà, je crois, qui résume cette personnalité attachante. Et je me demande, en admirant son œuvre, s’il n’a pas atteint, sans le savoir peut-être, le but de cette inlassable poursuite !
Avant de le quitter, je le questionne sur ce qu’il pense de la vie d’aujourd’hui.
– Elle est belle comme celle d’hier ! Il s’agit de savoir la vivre. Voyez-vous, il y a des gens qui ne réussissent rien, même de vivre d’une manière intelligente.
Suzette DORVAL.
Paru dans Amérique française en 1948-1949.