Jacques Stella
par
J.-A. DRÉOLLE
Il est des célébrités trop vite oubliées. Jacques Stella est de ce nombre. Ce peintre appartient à cette brillante pléiade de la première moitié du dix-septième siècle, du beau siècle de Louis XIV, de cette époque rayonnante dans l’histoire de la civilisation moderne.
Stella était d’une famille de peintres ; son grand-père, son père, ses neveux, sa nièce, ont tenu la brosse, mais aucun d’eux n’a eu sa réputation. Son grand-père était un de ces artistes flamands auxquels la peinture doit quelques progrès. Il était établi à Malines, où il peignait sur verre des sujets religieux pour les églises.
Stella est né à Lyon en 1996. Il n’avait que neuf ans lorsqu’il perdit son père, mais son goût pour la peinture s’était déjà déclaré. Alors, plus qu’aujourd’hui, il était obligatoire, pour un jeune artiste, de courir en Italie aussitôt que sa patrie ne lui laissait plus rien à admirer. L’Italie ! l’Italie était la terre promise, le paradis des arts ; le mot Italie était inséparable des projets de grandeur et de fortune ; quelquefois il tenait lieu de tout. Du pain et de l’eau pour le corps ; mais pour l’âme, pour l’imagination, pour le génie naissant de l’artiste, il fallait la vue des statues, des bas- reliefs, des arcs-de-triomphe, des tableaux qu’on admire toujours en Italie, et à Rome en particulier. Aussi, nul peintre, je ne dis pas nul musicien, car il n’y en avait pas encore en France au temps de Stella, nul peintre, dis-je, eût osé ne pas aller en Italie.
Stella n’avait pas vingt ans que son cœur bondissait au nom de l’Italie, de Raphaël, de Michel-Ange et de tant d’autres non moins renommés. Élevé à Lyon, il ne connaissait pas encore les travaux de Fontainebleau. C’est en 1616 qu’il quitta Lyon pour l’Italie. Il voulut voir Florence. Florence était, lorsqu’il y arriva, dans la joie et les plaisirs ; les bords de l’Arno étaient sillonnés en tous sens par des barques pavoisées ; les places publiques étaient couvertes de nobles seigneurs et de belles dames invités à assister aux fêtes superbes données par Cosme de Médicis, pour célébrer les noces de son fils Ferdinand II. Le duc avait attiré à Florence tout un peuple d’artistes. Le palais, les galeries, les places publiques s’embellissaient de leurs travaux ; car le duc, en vrai Médicis, aimait le luxe, la splendeur, et savait récompenser les artistes qui réussissaient à lui plaire par leurs talents.
Stella trouva à Florence, établi dans le palais du duc, l’ingénieux et spirituel Callot. Ils eurent bientôt fait connaissance. Callot s’était échappé très-jeune de chez ses parents, pour courir, lui aussi, en Italie, et il avait rencontré à Florence, dans un peintre nommé Canta Gallina, un maître qui l’avait reçu avec bonté. Callot s’empressa de présenter Stella, son nouvel ami, au grand-duc ; celui-ci le vit avec plaisir, et lui donna une pension et un logement au palais.
Stella fit pour le grand-duc plusieurs ouvrages importants, et dont il fut généreusement récompensé. Il dessina, entre autres, la fête des chevaliers de Saint-Jean, qu’il grava ensuite et dédia à Ferdinand II. Après quatre années passées à Florence, il ne put résister au désir de voir Rome. Il aurait cru n’avoir pas vu l’Italie s’il n’eût pas connu Rome ; mais on ne voyageait pas alors avec autant de promptitude qu’aujourd’hui. Pour l’artiste, voyager c’était étudier. Entre Florence et Rome il y avait des lieux remarquables à voir, bien des études à faire. Stella n’arriva à Rome qu’en 1623, deux ans après son départ de Florence.
À Rome, Stella se lia d’amitié avec plusieurs peintres célèbres, notamment avec le Poussin ; il fit la connaissance de plusieurs cardinaux dont il reçut des commandes pour des églises, des villas. Urbain VIII l’accueillit avec bonté. Les peintres distingués de cette époque s’occupaient souvent à faire des dessins pour des thèses, et à traiter de petits sujets pieux pour des bréviaires. Presque tous les artistes à réputation se sont livrés à ce genre de travail, qui, d’ailleurs, était fort lucratif. Stella excella à composer de petits ouvrages d’un fini précieux, les uns peints sur de la pierre parangon, d’autres sur vélin. On cite un Jugement de Paris, composition de six personnages, de la grandeur d’une bague et d’une délicatesse extraordinaire.
Quelques-uns des ouvrages de Stella se trouvent en Italie ; l’Espagne en possède un grand nombre. Les Espagnols prisaient beaucoup le genre de cet artiste : des offres avantageuses lui furent faites pour l’attirer à Madrid ; mais il avait peine à quitter Rome, non pas seulement à cause des richesses artistiques de cette ville, mais encore à cause de la société qu’on y rencontrait. Rome était brillante alors ; tout ce qu’il y avait de grand dans le monde allait à Rome ; c’était le rendez-vous des célébrités de toutes les nations ; le génie y trouvait amitié, protection et fortune. Sans une aventure qui aurait pu avoir des suites fâcheuses, et qui contribua cependant à faire ressortir les talents de Stella, ce peintre y eût passé sa vie.
Les artistes italiens ne voyaient pas sans jalousie les étrangers, surtout les Français, travailler à des œuvres grandioses. Cette jalousie prenait plus de force encore lorsque l’on confiait aux étrangers de grands travaux dans les couvents et les églises. Stella reçu, fêté, pourvu d’ouvrage par les cardinaux et les papes, devint le point de mire de quelques furieux, qui le haïrent, non-seulement à cause de ses compositions, mais encore parce qu’il jouissait de l’estime des principaux citoyens.
Stella était de petite taille, mince, fluet, mais fort joli homme ; d’un caractère enjoué, aimable, spirituel, galant et passionné pour les femmes. Il n’avait pu voir sans l’aimer une jeune fille nommée Louise, sœur d’un peintre romain. Louise était belle ; elle avait seize ans au plus, des cheveux noirs, de beaux yeux, une taille délicieuse, un esprit d’ange. Stella l’aima passionnément ; mais le peintre italien, le frère, le tyran de Louise, détestait de toute son âme Stella. Il ne se fut pas plus tôt aperçu de ses assiduités auprès de sa sœur, qu’il employa pour les faire cesser tous les moyens en son pouvoir. Stella rôdait souvent autour de la maison de Louise ; il ne manquait pas une messe, un office à Sainte-Marie-Majeure, où il avait vu Louise pour la première fois. Louise répondit à l’amour de Stella ; c’était une première passion ; elle fut violente autant que sincère. Pour voir Louise plus souvent, Stella chercha à se lier d’amitié avez Martini, le frère de la jeune fille. Martini le repoussa dédaigneusement : sa haine venait de ce que Stella avait obtenu de faire dans un couvent des travaux que lui, Martini, ambitionnait depuis longtemps.
Mais Stella n’avait pas à craindre seulement le frère de Louise ; il avait de plus, dans Onézio, ami de Martini, et comme lui peintre et jaloux, un rival dangereux. Dès qu’Onézio se fut aperçu de l’amour de Stella pour Louise, il devint furieux. Connaissant l’humeur querelleuse d’Onézio et de Martini, Stella se tint toujours sur ses gardes. Il ne voulait ni renoncer à sa belle Louise, ni paraître craindre le mauvais vouloir de ses ennemis. Il eut le bonheur de rencontrer plusieurs fois Louise, et de lui parler. Les deux amants se comprirent, des rendez-vous furent donnés ; ils étaient heureux de cette félicité connue de tous ceux qui ont aimé. Pour Stella c’était tout que Louise ; l’image de Louise reflétait dans ses œuvres ; ses vierges sont des portraits de Louise..... Louise ne voyait dans l’amour de Stella qu’un bienfait de plus dont elle remerciait sa patronne.
Un jour que Stella et Louise s’entretenaient du plaisir de vivre ensemble, qu’ils faisaient les projets de fuir en Espagne, où Stella était appelé par le roi, ils furent surpris par Martini, Onézio et plusieurs de leurs amis. Déjà les poignards, les bâtons étaient levés sur Stella... Mais Stella était courageux ; d’ailleurs, le désir de protéger Louise le rendait redoutable. Les Italiens lui voyant le pied ferme et l’épée à la main, n’osèrent l’attaquer ; ils se retirèrent en l’accablant de lâches injures. Martini prit sa sœur et l’emmena chez lui.
Mais il fallait aux Italiens une vengeance ; ils en cherchèrent l’occasion, et ils crurent l’avoir trouvée dans une combinaison qui tourna à leur honte.
Il y avait dix ans que Stella était à Rome. Par son esprit, sa gaieté, ses talents et sa conduite, il s’était attiré, comme nous l’avons dit, l’amitié de personnes éminentes. Il habitait le Campo-Marzo ; son long séjour dans le même lieu lui avait valu d’être nommé chef de quartier ; et en cette qualité, il devait prendre soin de fermer la porte de la ville qui lui était confiée, et d’en garder la clef.
Un jour, Martini, Onézio et leurs camarades se présentèrent à la porte del Popolo à une heure indue, et voulurent, par la force, obliger Stella à la leur ouvrir. Stella s’y refusa avec énergie ; c’eût été méconnaître ses devoirs. Martini et sa suite s’emportèrent en menaces, mais la conduite ferme de Stella imposa aux agitateurs, qui furent obligés de se retirer et d’aller coucher dans la campagne. Le lendemain, Martini et Onézio accusèrent Stella de s’être rendu coupable de séduction, et d’avoir trompé la confiance d’une honnête famille. Comme ils offraient de prouver l’authenticité des faits allégués, Stella, son frère et ses domestiques furent immédiatement arrêtés et mis en prison.
Bien que renfermé avec une troupe de bandits, Stella ne se laissa pas abattre par la douleur ; il était fort de sa conscience ; il songeait à Louise ; il pensait aussi que son innocence ne tarderait pas à le faire mettre en liberté. Cependant les formalités de la justice romaine n’étaient pas très-expéditives, et le jour de la délivrance n’arrivait pas. L’ennui s’empara peu à peu de lui. Éloigné de son atelier, de ses travaux non achevés, et ne plus voir Louise, était pour son âme un tourment trop fort. Ce fut dans un moment d’excitation surnaturelle, où les pensées d’art se mêlaient dans son esprit aux pensées d’amour, qu’il saisit un morceau de charbon et retraça sur la muraille de sa prison les traits de Louise dans une image de la Vierge tenant son fils. Ce fut un chef-d’œuvre que cette madone au charbon. Les prisonniers, surpris, s’inclinèrent humblement devant cette Vierge des douleurs, enfermée comme eux. Cet enthousiasme des prisonniers eut au-dehors du retentissement. Tout Rome voulut aller voir la Vierge en prison, et le cardinal François Barberini, grand amateur et protecteur zélé des beaux-arts, y courut l’un des premiers. À dater de ce jour, une lampe fut allumée devant ce tableau au charbon, et la prison fût changée en une chapelle dévotement servie par les prisonniers, qui allaient y faire leurs prières. Ceux qui connaissent le caractère italien ne seront pas étonnés de cette dévotion pour une image ; mais il fallait pourtant que cette image fût bien belle pour l’exciter à ce point.
Stella, par la protection du cardinal Barberini, reconnu innocent des faits odieux qu’on lui imputait, fut immédiatement mis en liberté ; et ses accusateurs, convaincus de fausseté, furent publiquement fouettés par les rues. Stella, craignant de nouveau la vengeance des Italiens, voulut quitter Rome. Le fameux maréchal de Créqui, ambassadeur de France, et connu par son goût pour les tableaux des grands maîtres, était, en 1634, sur le point de revenir à Paris. Stella se plaça sous son patronage et se mit en route avec lui. Arrivé à Milan, le cardinal Albarnos voulut l’y fixer en le faisant nommer directeur de l’Académie de peinture de cette ville. Mais Stella refusa ; il se rappelait les belles offres que lui avait faites le roi d’Espagne ; il tenait à se rendre à Madrid. Le cardinal Albarnos, ne pouvant le retenir, lui fit don d’une belle chaîne en or.
Arrivé à Paris, Stella fut présenté aux personnages les plus élevés, et il fut accueilli par tous avec distinction. Un jour qu’il était dans son atelier, occupé à peindre un portrait pour l’archevêque de Paris, François de Gondî, il fut bien surpris de voir entrer une jeune femme qui se jeta dans ses bras. Cette femme était Louise. Louise avait quitté Rome, l’Italie, suivant les traces de Stella ; elle l’aurait suivi jusqu’au bout du monde. À Paris, Louise avait cherché la retraite de Stella ; et, persuadée qu’elle était toujours aimée, elle n’avait pas hésité un moment à l’aller trouver. Louise ne s’était pas trompée ; Stella fut ravi ; les deux amants furent heureux. Stella ne demanda plus rien au ciel ; tous les bonheurs lui arrivaient : une femme adorable, des honneurs et des travaux importants.
Stella ne songea bientôt plus à l’Espagne. Il devint le protégé du cardinal de Richelieu, qui le présenta à Louis XIII, et lui fit obtenir une pension de mille livres et un logement au Louvre. Richelieu ne borna pas là ses faveurs, il lui fit des commandes pour des églises, et Stella fut le premier peintre qui exécuta le portrait de Louis XIV dauphin.
Je ne sais ce qu’est devenue la majeure partie des ouvrages de Stella, mais depuis son arrivée à Paris Jusqu’à sa mort, il ne cessa de travailler pour les églises et les châteaux royaux. On trouve beaucoup de ses œuvres à Madrid. Les Espagnols les ont recherchées. Comme plusieurs des églises où l’on en voyait encore avant la révolution ont été détruites, les tableaux qu’elles renfermaient pourraient bien avoir subi le même sort. Ces églises sont : le Noviciat des Jésuites, Saint-Germain-le-Viel, les Carmélites, au faubourg Saint-Jacques, etc. Quelques églises de Lyon possèdent de grandes compositions de Stella, telles que le Miracle des cinq pains, la Samaritaine, Sainte-Élisabeth de Hongrie, la Captivité des Israélites, le Miracle des cailles au désert, le Triomphe de David, la Reine de Saba, qui apporte des présents à Salomon ; Salomon offrant de l’encens aux idoles. On cite encore de lui, comme ayant été envoyés à Lyon, un Enlèvement des Sabines, un Jugement de Pâris, un Bain de Diane, etc. Il a fait aussi seize tableaux de Plaisirs champêtres ; et, pour les Cordeliers de Provins, un grand tableau d’autel représentant Jésus-Christ disputant dans le Temple. Il se peignit parmi ceux qui écoutent la dispute.
Stella était très-actif, très-laborieux. Il ne se contentait pas de peindre ; il a beaucoup gravé ; et ses œuvres, dans ce genre, sont des jeux d’enfants, des vases, des ouvrages d’orfèvrerie, un recueil d’ornements d’architecture, la Passion de Jésus-Christ en trente petits tableaux, etc., etc. Il est étonnant qu’avec une santé aussi frêle, aussi délicate, il ait autant travaillé. Il consacrait la journée à peindre et à graver, et le soir à dessiner.
Il a fait la vie de la Vierge en vingt-deux petits dessins qui sont fort estimés. Il était passionné pour les grands artistes et pour leurs ouvrages. Il rapporta de Rome plusieurs morceaux d’Annibal Carrache, et son estime pour le Poussin ne s’altéra jamais ; ces deux hommes se comprenaient ; il y avait entre eux une amitié franche ; ils ne méconnurent jamais la dignité de leur noble profession.
En 1644, Stella fut décoré de l’ordre artiste de Saint-Michel, décoration la plus noble et la plus digne d’être ressuscitée, car elle appartenait aux grandes intelligences, aux professions qui, tout en illustrant ceux qui y excellaient, donnaient de l’éclat aux gouvernements qui les protégeaient. Stella, ce peintre trop peu connu aujourd’hui, et dont le nom figure à peine dans les biographies, mourut en 1657, à soixante-un ans, et fut enterré à Saint-Germain-l’Auxerrois, devant la chapelle Saint-Michel.
Stella conserva toujours son caractère enjoué, son esprit aimable. Son genre, quoique froid dans l’exécution, ne manque pas de noblesse dans le faire, et d’une certaine naïveté dans les attitudes. Ses vierges plaisent par leur grâce et par la délicatesse du dessin. On a beaucoup gravé d’après Stella, notamment la Vierge tenant l’Enfant-Jésus par Vallet ; une Sainte Famille ; la Vierge tenant l’Enfant-Jésus monté sur le mouton de saint Jean, par Rousselet ; la Vierge allaitant l’Enfant-Jésus, par Van Schuppen ; l’Ascension, avec le portrait de Stella parmi les apôtres, par J. Couvai ; deux Paysages dans le goût héroïque, par Claudine Stella ; l’Intérieur d’une maison rustique, par la même, etc., etc.
Le Musée du Louvre possède de Stella : Jésus-Christ apparaissant à la Madeleine, et Minerve au milieu des Muses.
J.-A. DRÉOLLE.
Paru dans L’Artiste, journal de la littérature
et des beaux-arts, en 1839.