Albert Lozeau
par
Marcel DUGAS
Le destin d’un Lozeau est romantique. Sa vie et son œuvre portent les traces d’une prédilection que j’appellerai douloureuse. Et c’est bien en posture de dieu traqué que l’on s’est plu à le voir, et son œuvre, en outre de l’estime qui lui est due, rencontra toujours une sympathie qui dépasse la valeur des mots et la beauté stricte du poème. Il faisait, hier encore, figure à part, entouré de l’admiration des jeunes filles et des collégiens, de ses confrères et de ceux qui, connaissant son histoire et son œuvre, se laissaient attendrir par cette chanson où perlaient les notes d’une tristesse et d’une joie mesurées. Après la mort de Fréchette et l’aventure de Nelligan, il semblait un sublime isolé dans une société alors tout adonnée à l’argent et aux puissances matérielles. Il sauvait la poésie, pendant que d’autres qui l’avaient, un instant, courtisée, se plongeaient dans des mêlées âpres et sans issue. Son exemple ne devait pas tarder à susciter de jeunes poètes impatients de cultiver les Muses. À coup sûr, Albert Lozeau réalisait à merveille ce mot de Lamartine : « L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux », mais un dieu promu à la souveraineté de la poésie.
Albert Lozeau appartient à cette race d’artistes qui sont restés, eux, pensifs sur la montagne sainte, dédaignant de boire, selon le mot de Samain, « aux écuelles viles ». Plus bas, s’agite la masse grouillante des pantins voués aux crimes de la politique, et qui, sous la futilité d’un verbe ignare, décèlent l’emphase des attitudes, une vanité remuante et panachée. Quelque part, des justes, des esprits fins, des artistes, des curieux d’idées et de sentiments, deux ou trois maîtres à penser qui se détachent sur l’horizon.
Loin des agitations publiques, Albert Lozeau se tenait dans la vérité de son propre coeur. Il eût été beau de joindre les mains, résigné, sur son martyre. Se taire n’est déjà pas si banal ! Dans un jardin où l’orage a passé, quelle noblesse ont les lis renversés d’ajouter au beau temps revenu leur fraîcheur encore frémissante. Des vies existent comme des encensoirs brisés ; elles répandent toujours un parfum.
Albert Lozeau portait autour de son front la gloire de sa souffrance. Elle lui traçait une auréole. Insatisfait d’être une noble victime, il jouait avec les mots et, des mots, tirait un sens, une loi, une création. L’Âme Solitaire, dont le titre s’apparente au Cœur Solitaire de Charles Guérin, mais dont la poésie est bien différente, nous avait initié à son rêve de poète : quelques touffes de roses, un pan de ciel bleu, un idéal imprécis allant aux choses, le regret de ce qui ne sera jamais, voilà bien ce petit livre résumé et dont la sensibilité émue nous avait attendris. Le don de l’émotion se présentait à chaque page. Nous étions loin de Fréchette et de Chapman, ces frères ennemis, pourtant gras du même lait et opulents de santé prosaïque.
Après la sarabande de nos romantiques orgiaques et sans génie, Lozeau nous apportait une nouveauté d’émotion d’une qualité louable : la décence se joignait à la force de sentir. Rien d’un poète orateur qui se perd dans le flux des métaphores et pour qui l’image banale semble le fin du fin. Un filon venait d’être découvert !
Marcel DUGAS, 1889.