DE L’ORIGINE,
DES USAGES, DES ABUS,
DES QUANTITÉS
ET DES MÉLANGES
DE LA
RAISON ET DE LA FOI.
De l’évidence morale ; causes de son peu d’effet. Objections des incrédules réfutées. Des Cieux purs et des impurs. De l’Esprit astral. Des cinq espèces de magie. De l’Immortalité de l’esprit. De la puissance du prince de l’air. Du magnétisme et du somnambulisme. Prophéties et prodiges des Païens. Des sages d’entre eux. Des trois Révélations. De la croix, loi universelle. De Mahomet. Des passions. De l’amour-propre. De la sensibilité. Des Inspirés et des Illuminés modernes de tous les degrés. Des sens mystiques. Chronologies Égyptiennes éclaircies. Des Moraves, Piétistes, Anabaptistes et autres. Du serment, etc.
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TOME I.
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À PARIS,
Chez les LIBRAIRES ASSOCIÉS.
Et se trouve à LAUSANNE,
Chez HENRI VINCENT, Imp. Lib.
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M. DCC. XC.
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Cavete ne quis vos depraedetur per philosophiam, vanaque commenta secundum traditiones hominum, et mundi elementa, sed minime secundum Christum, in quo continentur thesauri omnes scientiae et sapientiae. Colloss. 11. v. 8 et 3.
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PRÉFACE.
JUSQUES à quand une philosophie de tout temps plus ou moins abusive, mais affreuse aujourd’hui, entraînera-t-elle les hommes en des erreurs sans fin ? Jusques à quand cette propagatrice de demi-vérités, offusquant la vérité pleine, et lui faisant la guerre, donnera-t-elle audacieusement le mensonge à sa place, et se perdra-t-elle en ses propres excès ? Jusques à quand, enfin, laissera-t-on ce fleuve bourbeux d’opinions vaines ou criminelles exercer sa fureur et ses ravages ?
Il est temps d’enlever à cette raison, toujours en commerce avec les passions, toujours inquiète et mécontente de ses bornes, voulant tout envahir dans le domaine de la lumière, il est temps de lui enlever sa fausse couronne et l’empire que son orgueil a injustement usurpé.
Il faut choisir entre la divine philosophie, la philosophie Chrétienne et cette philosophie de tout temps assez illusoire mais, en nos temps malheureux, véhicule à l’impiété, et qui, telle qu’une épée destructive des esprits et des cœurs, est entre les mains d’une infinité de fanatiques et de furieux.
La lumière de la foi ne triomphera-t-elle pas enfin des lueurs de cette raison trempée dans les passions et teinte de tous les écarts d’une imagination maîtresse d’erreur et de mensonge ; et le jour ne se montrera-t-il pas, après un si long crépuscule, une aurore douteuse, incertaine, à faux jour et à faux reflets ? Cet Évangile de tous les temps, ce bâtiment d’éternelle structure ne se relèvera-t-il pas des ruines où l’ont prétendu réduire et l’orgueil de l’esprit et ces passions effrénées ?
La divine lumière de la Foi est le guide assuré du philosophe Chrétien, et le conducteur infaillible pour le mener à Dieu même, son principe et sa fin, en qui les êtres moraux doivent aller enfin refluer et se perdre. La lumière de la raison, au contraire, est l’infidèle guide du philosophe du monde et, comme deux lignes qui s’écartent à l’infini, ne fait que l’égarer, l’éloigner de Dieu et de sa destination éternelle. Deux pilotes, dont l’un mène infailliblement au port, et l’autre, parcourant avec la plus trompeuse boussole une mer orageuse et pleine d’écueils, conduit enfin au plus triste naufrage.
On mettra en regard ces deux lumières ; on en considérera les effets, on en montrera les différences, on les suivra dans tous leurs degrés et tous leurs points de vue. Que résultera-t-il de ce très-frappant contraste ? Quoi ! sinon que la raison de l’homme n’est pas, tant s’en faut, le plus beau des présents qui lui étaient destinés, qu’elle le rend à peine le maître de la brute ; que bien loin d’être, comme elle s’en vante, le flambeau de l’univers, d’accord avec les passions, elle le ferait rentrer dans le chaos d’où il est sorti, si une puissance invisible ne la maîtrisait, et ne contreminait ses efforts ! Qu’elle n’est point, enfin, la faculté d’apercevoir l’enchaînement des vérités pures, comme en sa vanité elle a osé se définir.
Fière et faible raison humaine, quel pitoyable moyen d’arriver à la lumière ! Une taupe croit voir l’univers ; mais enfin, si cette décision te paraissait trop sévère pour te juger en équité, on percera jusqu’à ton origine ; tu ne gagneras rien à cette recherche toutefois, il est temps d’éclairer tes prestiges, d’accuser, de ternir tes prétentions, de montrer l’illusion de la beauté dont tu te pares et de te réduire à tes bornes.
Mais il s’en faut bien que ce soit l’unique but de cet ouvrage.
Une funeste erreur s’est glissée dans la Théologie. Malheur à qui abandonne l’Écriture, ou qui ne fait y lire qu’à travers un aveugle entêtement et ses préjugés. Cette erreur confond deux êtres tout différents, et prend pour la foi, don de DIEU seul et de son Esprit, une persuasion à l’Évangile, peu fructueuse, impuissante à corriger, et qui n’est que le fruit d’une raison qui ne fit jamais le Chrétien. Cette erreur est démêlée, on débrouille le nuage, dont une fausse théologie avait couvert la vérité, et qui peut-être n’avait jamais été bien dissipé.
On n’y attaque pas de front toutes les hérésies, les principes qu’on a posés en sont assez par eux-mêmes la plus victorieuse réfutation ; mais on s’y bat avec l’impiété du déisme ; l’incrédulité universellement répandue en a fait une nécessité. Il est suivi jusques dans son fort. Il est plus que temps de mettre un frein à cette peste des esprits, qui ravage toute la terre.
Que si ce livre n’est pas tout entier pour tous les hommes, il n’en est aucun à qui il ne parle, depuis le plus chrétien jusqu’au plus impie ; et chacun y trouvera sa page et son langage ; quiconque le lira en sera convaincu. On y rend accessibles, même à des génies bornés, les plus hautes vérités.
Un autre besoin de circonstance a amené une curieuse et solide discussion sur le Magnétisme et le Somnambulisme, qui sont venus inonder l’Europe des flots écumeux du paganisme.
Par une raison à-peu-près semblable, il convenait encore d’apprécier l’illumination de tant de degrés, de ces Illuminés, qui au temps qui court s’élèvent de toutes parts, afin que chacun sache à quoi s’en tenir, discerner le vrai du faux, les mélanges, et le bon grain de l’ivraie, que l’ennemi qui cherche partout à étouffer la sentence sainte ne cesse de semer de toutes parts.
Il ne faut pas que les hommes à préjugés, universellement répandus, jugent ce livre par lambeaux, mais pour en bien juger, il faut le voir dans son ensemble ; ses parties s’éclaircissent, se démontrent l’une par l’autre, et la vérité, quoique présentée sous tant d’aspects, et tant de rapports, s’y voit toujours une, toujours constante à elle-même et ne variant jamais. Par tout elle y présente sa divine empreinte et un front majestueux et sûr de sa cause. Partout elle porte sa lumière et la conviction. On n’a pas envisagé les points controversés entre les différentes communions, afin d’être d’une utilité plus générale, et que les approches de ce livre ne soient défendues à personne.
On a donné çà et là en ce que des sourcilleux, des délicats pourraient appeler des répétitions, mais si l’on y regarde de près, on n’en trouvera pas d’inutiles, ni aucune, peut-être, qui n’ait quelque idée nouvelle. En des vérités si peu connues, et pour l’ordinaire si étonnantes pour les préjugés reçus et enracinés, il était convenable de les présenter sous toutes leurs faces.
Des auteurs stérilement symétriques trouveront peut-être ici trop de synonymes et de mots. Quand on aurait eu le temps de circoncire le discours jusqu’à la plus stricte précision, on ne l’aurait pas fait ; on peut l’employer mieux ailleurs, il faut laisser ces vétilleuses élégances aux académiciens, dont c’est le vrai lot, et qui vides de choses, cherchent à briller par les mots. L’Auteur a laissé couler la plume, et sa devise est, avec plus de vérité, celle que Rousseau s’est fastueusement appliquée (non verbis sed) vitam impendere vero. Si quelqu’un, par impossible, pouvait montrer qu’il fut dans cet ouvrage échappé un seul mot contraire à l’Écriture ou à son esprit, l’Auteur aurait horreur de ce mot et serait le premier à lui dire anathème.
C’est d’après cette Écriture, à laquelle on s’est fidèlement et exactement collé, que la philosophie est élevée à un degré incomparablement plus haut, et auquel elle n’eut jamais osé aspirer. Par cette Écriture, son vol devient presque céleste ; on la détrempe, pour ainsi dire, dans la vérité divine. On fait servir les vases des Égyptiens au profit, aux usages de la Canaan de là-haut.
Partout on y présente l’épée et le bouclier contre l’irréligion et l’impiété. L’épée, pour l’attaquer, le bouclier pour défendre de ses attaques ceux qui pourraient se laisser vaincre : les profondeurs de Satan et ses insondables ruses y sont démêlées et prises sur le fait. Les préjugés qui se sont établis en possessoire dans les cerveaux des hommes sont innombrables. La vérité a disparu, elle s’est réfugiée aux cieux, ne trouvant plus d’asile sur la terre ; les noires vapeurs montées de l’abîme ont tout offusqué dans l’atmosphère des Esprits. Le monde est partagé ou en hérésies de tout genre, ou en incrédulité pure. Il ne faut pas même dire, il n’est plus de religion, ni de foi, mais il n’est tantôt plus de ce qu’on peut appeler la saine raison et le bon sens.
Quelques Illuminés s’élèvent, il est vrai, qui semblent ressusciter la vérité sainte et rappeler cette fugitive sur la terre ; mais outre les mélanges qui peuvent rendre ces illuminations douteuses, incertaines, dangereuses même assez souvent, les meilleurs d’entre eux font parcourir une carrière, montrent un tableau qui peut exciter une utile curiosité, rappeler à l’Écriture tant d’impies qui la dédaignent. Ils parlent à l’esprit, ils lèvent beaucoup de voiles, mais ce n’est pas là encore la religion de la charité et du cœur, portée à DIEU, son vrai objet, sans lequel toute religion est vaine, c’est la religion des cerveaux, ce n’est pas l’indispensable religion de l’amour saint, allumé dans le cœur et de la volonté soumise.
Toutes ces nuances sont démêlées dans ce livre ; tous ces préjugés y sont cités au tribunal de cette auguste vérité, aujourd’hui si méconnue. On a cru devoir venger la religion pure des erreurs de la théologie de l’école et enlever la poussière qu’y avaient mis les docteurs à systèmes. Peu d’ouvrages de cette grandeur renferment autant de choses ; on ose dire que futilité et la curiosité y marchent de compagnie ; tout en s’élevant aux plus grandes pensées et à la vérité transcendante, on s’est mis tout-à-la-fois au niveau des Lecteurs, même les plus bornés. Quelquefois on a essayé de jeter un peu d’aménité sur des discussions si graves, pour en tempérer le sérieux, et se rendre accessible et moins rebutant à tant de têtes légères qu’il révolte.
Mais ce n’est pas le lieu de faire un extrait. Il y faudrait une longue préface, c’est-à-dire, une préface qu’on ne lirait pas. Cette recension se trouve au premier Livre, qui en présente la miniature, la carte réduite, et qui en prépare l’intelligence.
Quoique cet ouvrage contienne bien plus de sublimes vérités, et tout-à-la-fois de théories simples ; renferme bien plus de sujets que le titre n’en a pu promettre ; il n’est encore que l’échafaud d’un grand édifice ; on n’est entré que dans l’antichambre de la vérité, on a à peine ouvert les portes de son temple, bien loin d’avoir percé jusqu’au sanctuaire. On y voit cependant la vraie doctrine du VERBE seul Créateur infini, émané dans l’instant simple de l’infini, engendré de toute éternité, en Trinité et à jamais Fils unique. On y voit l’ordre des créations, selon les modèles que son infinie sagesse a vus en lui-même, et ces êtres supérieurs, tous renfermés en lui incompréhensiblement, en sortir en distinctions. On y voit l’ordre hiérarchique des cieux, les descendances, les échelles des êtres, depuis la plus haute des intelligences créées, jusqu’à la vile poussière que foulent nos pas. Les correspondances des globes. Les siècles et les siècles des siècles, répondants aux cieux et aux cieux des cieux. La révolte des Anges, amenant l’ordre des créations physiques. La durée de notre globe. Le jeu de l’univers, ses lois générales. Les raisons et les causes entrelacées ; enfin, une multitude de vérités que l’Écriture ouvre également à la foi du Chrétien et à l’intelligence du vrai Philosophe. C’est le tableau du visible, de l’invisible, des éléments, des êtres, des cieux et de la terre, des esprits et des corps ; c’est le miroir où on voit l’univers.
Mais ces grandes vérités ne sont pour ainsi dire jetées qu’en germe, et non proposées dans tout leur enchaînement, ni développées dans toute leur fécondité ; elles pourront l’être dans un autre ouvrage, si ce Verbe infiniment adorable, cette intarissable source de toute lumière, ce Père des Esprits (qui se sert de la boue pour ouvrir les yeux) daigne en recourber un rayon sur l’Auteur.
En attendant, servez-vous, Lecteur, de ce que vous avez, et si c’est à la gloire de DIEU et au profit de votre cœur, vous serez la joie et la consolation du sien.
DE L’ORIGINE
DES USAGES, DES ABUS,
DES QUANTITÉS ET DES MÉLANGES
DE LA RAISON ET DE LA FOI.
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L I V R E P R E M I E R,
O Ù L’ O N T R A I T E
De l’état d’innocence. De la chute. De ce qui l’a précédée et suivie. De l’entendement et de l’âme. De l’esprit astral. De l’origine de la raison. Du retour d’une lumière plus pure. De l’immortalité de l’Esprit. Du magnétisme et somnambulisme. Des postérités de Caïn et de Seth. Des bonnes et des mauvaises magies, etc.
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CHAPITRE PREMIER.
De l’état d’innocence. De la nécessité de la tentation ou épreuve. De la chute du premier homme, qui a fait retirer l’Esprit de DIEU, et ouvert en substitut la lumière qu’on appelle la raison. Comment la chute a eu lieu, etc.
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DE tout temps les Philosophes ont fait les plus grands éloges de la Raison. Elle est le fleuron de l’humanité, le plus beau des présents que l’homme ait reçu du Ciel. C’est elle qui le distingue si avantageusement de la brute, et l’en rend le supérieur et le maître. C’est elle qui est le flambeau de l’Univers. Sans elle le monde ne serait qu’un chaos, et tout y serait sans dessus dessous. Il n’y aurait aucun but dans l’existence des êtres inférieurs, qui, sans ce Roi, seraient sans rapport les uns avec les autres. Elle est cette noble faculté d’apercevoir l’enchaînement des vérités....
N’allongeons pas, les éloges ne finiraient point.
D’autres personnes éclairées n’ont pas tout-à-fait pensé ainsi, et n’ont pas cru devoir lui dresser des autels. De pieux atrabilaires, et de mauvaise humeur contre elle sans doute, ont cru au contraire lui devoir ériger un tombeau, et faire son oraison funèbre. Il n’est pas jusqu’aux gens du monde qui n’aient cherché à lui enlever son diadème et la couronne dont elle est en possession. On sait le mot dont l’a affublée l’ingénieuse madame Des Houillères.
Un peu de vin la trouble, un enfant la séduit.
Sans nous arrêter ni aux uns ni aux autres, sans excéder ni en louanges ni en critiques, essayons de la mettre à son taux ; et pour l’apprécier en équité, et lui donner sa juste valeur ou non-valeur, il n’y a qu’à percer jusqu’à son origine, et en donner ce que les philosophes scolastiques appellent une définition réelle, ou définition par la Genèse. Par là, sans en faire un être ni céleste ni subterrané, nous la mettrons à sa vraie place.
Pour cela, mon cher Lecteur, vous êtes prié de remonter avec moi sans impatience ni inquiète vivacité, jusqu’à notre premier Père, tel qu’il était avant d’avoir perdu son innocence.
Adam, dans l’état d’innocence, était éclairé de la lumière du St. Esprit même, qui alors lui était uni, et allumait de cette pure lumière ce point simple qui fait le primitif ou le fond de son esprit. Ce point simple avait été créé pour être allumé et éclairé. En lui avait été jeté un instinct, un appétit immense de cette lumière pour laquelle il avait été fait. Tout comme chaque chose, chaque être a son instinct attirant, et l’appétit, le désir de ce qu’il lui faut et de ce qui est assorti à ses propriétés et à sa nature ; et même jusqu’aux êtres les plus brutes qui sont dans une inquiète estuation jusqu’à ce qu’ils aient et obtiennent la fin pour laquelle ils sont créés, et le rassasiement de leur nature, ainsi que le montre divinement l’Apôtre Saint Paul, dans cette profonde théorie du huitième Chapitre de l’Épître aux Romains, admirable pour qui sait l’entendre.
C’était donc l’Esprit de Dieu qui, uni ou s’unifiant à ce point simple, était tout-à-la-fois la lumière et la vie de ce premier homme avant qu’il fût tombé. Et même la pureté de cette vie, pour le dire en passant, influait et se répandait dans toutes ses facultés inférieures, dans l’âme sensitive, l’imagination, la mémoire et les sens, qui toutes, chacune selon sa nature et capacité, en recevaient leur pureté et leur vie 1.
Il ne faut pas me demander comment il a été possible que ce premier homme soit déchu d’un si sublime état, et comment de si haut il a fait une si lourde en même temps que si funeste chute. Ce n’est pas mon but dans ce discours d’en donner la clef, et d’être l’Œdipe de cette énigme. Pour cela il faudrait remonter jusqu’à la première révolte des anges, tombés de bien plus haut encore. Toutefois pour donner un petit tribut à la curiosité du lecteur, et y condescendre autant que le présent propos peut le comporter, je dirai en bref 1°. Que le fait existe. Or demander comment un évènement existant, et par le fait démontré exister, comment cet évènement a été possible, c’est une recherche très-vaine, quant à la vérité de ce fait, dont l’existence prouve la possibilité, et par delà la possibilité même. Que le fait existe, tout dans l’univers, et moral et physique, le crie, le rend plus palpable que le jour. La cause se voit dans ses effets. La terre inondée de crimes, souillée de tous les vices ; les idolâtries élevées, les erreurs, les superstitions, les passions destructives ; l’orgueil, la révolte d’une volonté à peine naissante dans l’enfant qui ne sait encore que bégayer.... N’allons pas plus loin, et sans y jeter un regard approfondi, contentons-nous du simple coup d’œil sur un si lamentable spectacle. Voilà donc le péché actuel et l’originel qui en est la source monstrueuse, établis par le fait, par tout autant d’hommes, d’enfants qui paraissent sur la terre, et par cette infinité d’abominations que la chute a enfantées, et qui n’auraient pas eu lieu sans elle. On connaît l’arbre à son fruit. Le pépin du mancenillier ne produit pas des ananas, et la semence d’aconit ou de ciguë ne donne jamais une herbe potagère et bienfaisante.
En second lieu, c’est une vérité infiniment simple et aisée à saisir, qu’encore que l’Esprit de DIEU allumât le point d’esprit dans l’homme, cela ne lui enlevait pas la liberté, ni par conséquent le pouvoir ou la possibilité de se soustraire ou de résister. La lumière qui était en lui, plus haute à la vérité que celle de l’homme naturel et irrégénéré, comme nous naissons tous, n’empêchait point l’usage de la liberté, ni ce fond de spontanéité jeté sur sa création, ni par conséquent le choix ou le pouvoir de pencher ou de jeter le ressort de cette force où il jugerait à propos. Il est vrai que cette lumière plus pure avant sa chute lui rendait la chute bien plus difficile qu’à sa postérité, comme on verra, bornée, selon ses états naturels, à une lumière bien inférieure. Mais enfin la liberté marchait en lui de front avec cette lumière ; et comme DIEU lui avait accordé ce beau fleuron, et qu’il ne rétracte jamais son don, il n’était pas un instant où, s’il le voulait, il ne pût se soustraire à l’ordre que lui indiquait cette lumière, et à la soumission qu’il lui devait. Je pourrais beaucoup allonger ceci, et en donner une démonstration invincible.
3° Puisqu’ainsi qu’on vient de le voir, l’homme a été créé un être moral, c’est-à-dire, intelligent et libre, partant de cette seule idée, nous comprendrons et la tentation à laquelle il a succombé, et la nécessité de cette épreuve. Comme DIEU est un DIEU d’ordre, il en met dans tout ce qu’il fait ; comme il est infiniment sage, il ne fait rien sans but, et sans destiner chaque chose, chaque être à la fin pour laquelle il a créé sa nature et lui a donné ses propriétés. D’abord l’homme étant créature de DIEU, il fallait qu’il reconnût qu’étant créé il avait un Maître, et c’est pourquoi DIEU son créateur lui donne un précepte ou une défense, afin que l’ordre fût entre le supérieur et l’inférieur, entre celui qui avait le plus juste droit de commander et celui dont le très-juste devoir était d’obéir. Tel est et fut le premier ordre des choses.
4° Par une raison semblable et tirée encore de l’ordre du but et de la fin des êtres avec leurs rapports, l’homme ayant reçu l’inestimable bienfait de l’existence qui le séparait du néant, et l’en mettait à une distance infinie ; et non-seulement l’existence et une existence exquise, lumineuse, jouissante, ornée des plus beaux dons, maîtresse de tous les êtres, mais encore une existence par conséquent capable et de connaître celui à qui il la devait, et de sentir, par le rapport de Créateur et de créature, par la relation du bienfaiteur avec celui qui en était l’objet, qu’il devait tout et se devait tout entier à ce créateur et à ce bienfaiteur. Voilà encore l’ordre de soumission ou de subordination qui, selon cette vérité, présente une nouvelle force.
5° Mais comment surtout l’homme, sorti des mains de Dieu, pouvait-il conserver et continuer ces rapports, sans les désunir ni en rompre la chaîne ? Outre l’esprit lumineux, il lui avait été formé une volonté pour se donner librement, et un cœur pour aimer en rapport de la supériorité infinie de son créateur – voilà pour l’amour de la soumission – et en rapport du bienfait – voilà pour l’amour de sentiment, de la plus juste gratitude et d’une reconnaissance qui ne devait avoir d’autres bornes que celles mêmes de son cœur, c’est-à-dire d’une reconnaissance sans bornes. Ainsi il devait à DIEU en conséquence toute la force de son amour ; et non-seulement le sentiment, mais l’exercice actuel de cet amour ; exercice dont ses facultés le rendaient capable, tout comme la force mène à l’action, et tout comme un ressort est capable de se débander et d’opérer son effet.
6° Or ce sentiment de l’amour, et soumis et reconnaissant, ne peut s’exercer que dans l’occasion donnée ; sans elle il peut bien exister contenu au-dedans, mais sa seule, sûre et indubitable preuve, la marque qu’il y est, ne peut se voir et démontrer que par l’occasion offerte à l’exercice de ce sentiment. Il fallait donc, par une nécessité de convenance infinie, que l’homme eût l’occasion d’exercer toutes ses facultés morales, de se servir de sa lumière, de sa liberté, de sa volonté, etc., pour réunir toutes ces facultés à l’amour de soumission et de gratitude comme au centre qui devait être leur fin, leur plus heureux exercice, et où elles devaient aboutir et se perdre. Il lui fallait l’occasion d’un choix entre cet amour et le contraire de cet amour, comme deux partis qui lui sont ou étaient présentés, afin que la force de cet amour libre pût se jeter à volonté d’un côté ou de l’autre, et que l’exercice de sa liberté, ou bien ordonné et par conséquent heureux, ou désordonné et par conséquent malheureux, eût son plein et entier effet ; et dans ce choix et détermination la preuve de son amour, ou pour DIEU en gardant par la fidélité son union avec lui, ou contre Dieu en aimant mieux ou préférant de désobéir, en aimant mieux, dis-je, ce que DIEU lui avait défendu, et en se jetant par l’acte dans le parti contraire, et montrant par cet acte qu’il soustrayait son amour à Dieu pour le donner à ce qui était opposé. On voit par là l’origine du désordre que cet acte préparait à toutes ses facultés en rompant la chaîne qui le liait à son créateur, et en faisant à l’envers un usage faux et criminel de toutes ces facultés qui dès lors ne pouvaient manquer d’être désordonnées.
7° Par ce qui vient d’être dit, on comprend facilement l’infaillible nécessité de l’épreuve, nécessité absolue pour tous les agents moraux, puisque toutes leurs facultés ne leur ont été données que pour montrer et exercer leur fidélité et leur amour. Or ils ne peuvent les montrer et les exercer que dans l’occasion où les contraires leur sont présentés. Sans cela point de choix, point de liberté, point de preuve de fidélité, point de marque d’amour effectif. Et ainsi toutes leurs facultés leur auraient été données en vain ; et il faudrait en aller chercher la raison dans le chaos et dans l’affreux pays de la non-intelligibilité et du renversement de tout moyen et de toute fin. Donc il fallait en Adam la tentation et l’épreuve. Or j’ai montré plus haut la possibilité et l’actualité de sa chute ; et c’est ce que je me proposais dans cette digression, qui me servira plus qu’on ne l’augurerait d’abord à montrer ce que c’est que la raison dans l’homme déchu, et à lui assigner sa véritable valeur, sa puissance et ses bornes.
8° Je n’entre pas ici dans la cause ni dans les effets de la chute des anges révoltés, dont le chef entraîna la troisième partie du ciel ; ni ne veux pénétrer à ce moment dans la science moyenne, c’est-à-dire dans les infiniment belles et heureuses suites qu’aurait eues la fidélité d’Adam, s’il l’eût gardée durant tout le temps qui était destiné à son épreuve. J’en traiterai, s’il plaît à Dieu, dans un autre ouvrage. Seulement, j’observerai ici en passant et pour terminer l’article de la chute : que s’il fût demeuré fidèle, toute la nature, qui était faite pour l’homme son roi, ne serait pas dégradée et désordonnée au point qu’elle l’est, et aurait au contraire participé en merveilleux accords à sa noblesse conservée par l’innocence. 2°. Que cette fidélité, épuisée et consommée par l’exercice dont le temps était décerné, lui aurait valu enfin l’attribut d’un prix au-dessus de tout prix ; j’entends l’attribut par la justice Divine couronnant sa fidélité, l’attribut, dis-je, de l’impeccabilité ; et non-seulement pour lui, mais pour toute sa postérité, fruit alors du bon arbre, et rejeton de la divine sève. Tellement qu’il aurait produit cette postérité sainte par la très-féconde et très-pure chaleur de l’amour de DIEU, ancré, enraciné, fixement établi en lui, et non par l’inférieure, sensuelle, et toujours plus ou moins impure chaleur de l’amour charnel et naturel aux sens grossiers. 3°. Que le décret d’incarner le Verbe était et antécédant à toute chute, et indépendant de la chute. Car si l’homme n’était pas tombé, le Verbe se serait alors glissé jusqu’à lui et sa postérité, il s’y serait uni pour ennoblir, élever, diviniser toujours plus sa nature innocente, pour l’élever, dis-je, jusqu’à la divinisation et à la gloire du prototype de l’homme ou portrait de l’homme peint dans l’homme-DIEU ou l’Adam céleste. Ainsi il s’y serait gravé et ennaturé pour couronner toujours plus l’homme, de LUI-MÊME. Mais on sent la différence ; il ne serait point venu comme réparateur, parce qu’il n’y aurait rien eu à réparer, non comme expiateur, parce qu’il n’y aurait rien eu à expier ; et ainsi non souffrant et sacrifié pour le péché, mais comme sauveur éternel, conservateur éternel, DIEU éternel indissolublement uni à l’homme, et élevant cet homme de gloire en gloire jusqu’à sa divinité même. Mais ô mon DIEU ! qui est-ce qui osera scruter, seulement jeter un regard sur la profondeur de votre conseil, qui est un abîme ! Que vois-je, Seigneur, que vois-je ? Non, vous n’auriez pas permis cette chute, qui semble détracter votre gloire et attaquer votre Majesté suprême, si vous n’aviez vu qu’elle fournirait à l’immensité de votre amour pour vos créatures une nouvelle et en quelque sorte bien plus forte manière de le lui montrer, une nouvelle industrie de charité la plus étonnante, la plus incompréhensible, la plus capable de fondre des cœurs de rochers, ou de damner à jamais nos ingratitudes. Oui, Seigneur, vous avez laissé à l’homme la liberté de se révolter pour venir expier sa révolte même. Vous l’aviez prévue, et vous en aviez préparé le remède dans le consentement à subir en son temps les douleurs, les tourments, les opprobres, les réjections, la mort enfin pour expier nos forfaits. C’est ainsi que la chute vous a fait descendre du trône de votre éternelle gloire et de votre béatitude essentielle. Ô charité à peine mesurée par l’infini qui est sans mesure ! Ô amour au-dessus de tout amour ! Mais aussi de notre part, ô ingratitude, dont la noirceur ne peut se concevoir. Vous auriez, mon Dieu, couronné l’innocence de l’homme du don éternel et toujours croissant de votre Divinité même ; ne pouvant en équité couronner cette innocence perdue, vous changez de marche ; votre amour aussi infini que vous, et qui est vous-même, ne peut se perdre ; il prend une autre forme, et ne pouvant déifier l’homme fidèle à votre loi, il vient expier sa révolte et, par vos abaissements, le rétablir dans les droits que lui donne votre amour.
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CHAPITRE II.
Continuation du sujet.
Des commencements de la chute, et de ses suites par rapport à l’esprit de l’homme.
CE que l’on appelle communément la chute de l’homme n’en a été que la consommation ; et cette chute externe exécutée par la désobéissance avait été préparée et amenée de loin par des actes intérieurs de désunion de la volonté. Adam s’était ennuyé d’être seul avec DIEU, et ses facultés intérieures, n’étant pas contentes de sa pure et sainte union, avaient par nombre d’actes internes désiré, appété de s’unir avec les objets extérieurs que le monde et ce beau et délicieux jardin où il avait été établi offraient à ses regards. Ces actes internes de désir sourd avaient en lui allumé la violence de l’appétit, et DIEU, dont il se séparait imperceptiblement par là, ce Dieu, scrutateur de son cœur et de ses mouvements insensibles, voyant qu’il ne se contentait pas de la jouissance simple et pure des objets dont il lui avait donné l’usage, voyant, dis-je, qu’en dédain de la plénitude de l’union dont il avait voulu l’honorer exclusivement à toute autre union ; ce grand DIEU qui méritant tout, et qui très-justement ne voulait point de partage dans son cœur, lui laissa faire ce qu’il désirait et qui lui ouvrait le malheureux ordre d’un contrat de cœur avec ces objets dont le désir interne s’était allumé en lui, et qui en proportion y avait diminué cet amour pour Dieu, qui était la caution de son union avec lui. Je pourrais prouver cette vérité, très-clairement et par les passages mêmes de l’Écriture qui sont l’histoire de la chute. Mais ce n’est pas mon but à ce moment. On pourra voir et l’explication et la preuve de cette théorie çà et là dans cet ouvrage, et singulièrement au chapitre de la Sensibilité.
Quoi qu’il en soit, voilà donc l’homme tombé, révolté et désobéissant à un précepte de la plus facile observance, et tombé par cela même qu’il a désiré, Dieu lui laissant faire ce qu’il a voulu, et s’unir hors de lui et de son ordre, en mépris de son union pure et bienheureuse pour l’esprit, mais ne suffisant pas à l’insatiabilité de ses appétits qui désiraient la sensualité et qui y entraînaient le cœur. Je passerais de bien loin les bornes que je me suis imposées si je m’arrêtais à calculer ce qui est vraiment incalculable, c’est-à-dire, toute la grandeur du crime de cette désobéissance, de ce mépris contre la majesté de la loi imposée par le suprême législateur, créateur et bienfaiteur, de cette volonté qui veut être la maîtresse de celle de DIEU, de cette préférence des vils et périssables objets auxquels il veut s’unir, à un DIEU infiniment grand, infiniment au-dessus de tout et de qui il tient tout. Arrêtons ici, car il n’est aucune idée qui puisse concevoir la grandeur d’un tel crime, ni aucun discours qui puisse l’exprimer. Enfants du siècle, gens du monde qui voulez jouir à l’excès, jouir, dis-je, et non user ; vous n’y pensez guères et vous faites précisément ce qu’a fait votre premier Père. Enfants de la révolte, vous en continuez tous les actes, si même votre vie n’en est un acte perpétuel.
Ce que je viens de dire aidera à faire comprendre les malheureuses suites de cette chute par rapport à l’esprit de l’homme, ce qui est précisément mon but dans ce discours. Vous n’avez qu’à retourner un instant avec moi sur nos pas. Vous avez vu dès l’entrée que c’était l’esprit de DIEU même qui, durant l’intervalle d’innocence, allumait de sa pure et sainte lumière ce point indivisible qui fait la base, pour ainsi dire, le substratum de l’esprit de l’homme. Vous avez vu que cet être simple, créé pour la lumière, en a un besoin absolu, puisqu’elle est sa vie. La vie est la lumière des hommes 2. Tellement que ne pouvant pas du tout s’en passer, sans quoi il serait par lui-même un néant, une non-existence, il a un appétit famélique et immense, c’est-à-dire, proportionné à son besoin, de la lumière dont il ne peut se passer. Et de même que le corps de l’homme périrait s’il était privé de nourriture, l’esprit serait éteint s’il était privé de la lumière qui est son aliment. Et ce point qui, allumé, voit et produit de si grandes choses, ne serait qu’un caput mortuum absolument inutile. Il lui faut donc, par une nécessité indispensable, une lumière dont il ne peut se passer et que son instinct ou la force de son désir appelle et attire.
Or concevez maintenant, dans les suites de la chute, la soustraction graduelle et enfin l’absence de cette haute et pure lumière de l’esprit de DIEU, de ce feu céleste qui allumait, avivait ce point subtil, qui réalisait son usage, qui était et sa fin et son prix, et qui faisait ainsi de ce tout petit être, de cet atome, pour ainsi dire, un être de la plus grande importance et capable de jouer le plus beau rôle, parmi les êtres de l’univers. J’ai dit soustraction graduelle, avant la retraite totale, parce que ce saint et divin Esprit ne retira sa lumière que peu-à-peu et non d’abord et tout d’un coup, mais en proportion et en la quantité que les actes de la volonté, se livrant aux appétits des facultés inférieures, sièges de l’irascible et du concupiscible, s’unissaient à ce domaine inférieur qui non-seulement envoyait ses vapeurs, faisait monter le nuage sur cette pure lumière, mais encore l’obligeait à se retirer en la proportion de ces chutes ou actes de la volonté.
Pour le comprendre, vous n’avez qu’à vous rappeler que la chute grossière n’a été que la consommation des chutes antécédentes de la Volonté au-dedans. Vous n’avez qu’à penser ensuite que chacun de ces actes de la volonté étant un dédain de la pure et simple union avec Dieu, il est clair que dans l’ordre de la justice Divine, dans cet ordre attributif qui donne suum cuique, chacun de ces actes préparait et effectuait une retraite de cette pure lumière, retraite à chaque fois proportionnelle en quantité à l’acte de la volonté qui s’avilissait ; qui, s’avilissant, la refusait en se tournant au côté qu’il ne fallait pas, et qui était un mépris de cette pure lumière. La justice Divine appréciant son acte ou son application avec une précision parfaite et infinie, chaque dégradation de la volonté amenait donc autant de soustraction de cette lumière ainsi méprisée. Et par conséquent, de degrés en degrés, sa retraite après la chute effective fut comme totale.
À la vérité, nous ne pouvons pas savoir le temps précis où cette retraite fut absolue et entière, ni calculer en précision les nuances, si je puis m’exprimer ainsi, de ces retraites partiales et antécédentes. Il me suffit d’avoir trouvé la règle du calcul, dans les actes désordonnés de la volonté, en raison composée de la justice Divine qui donne, ou plutôt laisse prendre à Adam ce qu’il a voulu et ce qu’il lui a préféré indignement. Tu ne veux plus de moi, eh bien je me retirerai. Tu feras la funeste et longue expérience où ton injuste et odieuse préférence te conduira. Tu dédaignes ton Dieu et ton tout ; tu éprouveras mon dédain. Ainsi l’Esprit saint irrité se retire. Le divin lumignon s’éteint peu-à-peu, et il ne serait plus resté que l’inutile bougie, si Dieu, qui avait créé l’homme pour être le Roi, et même la fin subordonnée de notre monde, n’eût voulu qu’il y fit un grand personnage, et n’eût vu que l’homme malheureux et qui par sa faute se rendait aveugle, pourrait trouver non plus le rayon pur et direct, mais un reflet indirect, un substitut inférieur à la pure et claire lumière dont sa faute l’avait privé. Ainsi, après vous avoir montré cette privation dans ses causes et même dans son effet, il faut maintenant considérer ce substitut, et dans cette théorie vous verrez parfaitement ce que c’est que la raison de l’homme naturel, et vous apprécierez ainsi la valeur et non-valeur de l’esprit de l’homme depuis la chute.
DIEU ne voulait donc pas que son but dans la création de l’homme fût totalement détruit par sa révolte ou sa chute. Ainsi à mesure qu’il retire cette divine lumière dédaignée, il lui abandonne et lui laisse prendre pour son usage nécessaire une lumière très-inférieure à la vérité, mais proportionnée toutefois au rôle qu’il avait à faire dans ce monde, que sa volonté avait préféré à DIEU, sans en trop voir d’abord sans doute les sinistres et lamentables conséquences. Avant toute sa chute, on aurait pu l’appeler le Microthée, ou un petit Dieu, créé en effet à l’image du DIEU Verbe homme ou Adam supérieur. Depuis la chute, il n’a plus ou du moins presque plus été que le Microcosme, comme l’appellent les philosophes, rassemblant en soi et en miniature les traits du grand monde ; et borné à cette image et à ce portrait, ayant dégradé en soi cette infiniment belle image, qui avait été ennaturée, gravée en lui du Prototype Verbe, en qui se trouve, avec tous les autres morphismes des créations ou des mondes, l’homme DIEU ou le DIEU homme céleste, dont dit S. Paul 3, nous devons regagner l’image que la chute a barbouillée, mais n’a pas pu effacer entièrement.
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CHAPITRE III.
De l’origine de la Raison. De l’esprit astral 4.
QU’A donc fait l’homme tombé, et qu’est-ce que DIEU lui a laissé prendre en substitut de sa pure, sainte et haute lumière ? Dans son besoin absolu, il a fallu qu’il la cherchât où il pouvait ; que privé de l’Esprit de Dieu, cet aveugle tâtonnât, pour ainsi dire, et soupirant après la lumière avec une faim dévorante, il descendît dans ses facultés inférieures, dans l’imagination, la mémoire et les sens, et se nourrit de toute la lumière que ces facultés pouvaient lui donner, et qu’en substitut de l’union avec DIEU, elles lui fournissaient pour être en parallélisme, en relation avec les objets de la terre, et en faire un citoyen du monde d’accord avec lui. Voilà donc la lumière divine perdue, et à sa place un feu moins pur, moins subtil, moins céleste, qui l’allume et qui l’éclaire. C’est ce que de profonds et vrais philosophes appellent l’Esprit astral, ou feu en analogie avec la lumière des astres, une quintessence de feu par rapport au feu matériel, mais très-impur et inférieur quant au feu ou à la lumière qui émane de l’Esprit de DIEU, Esprit qui est le plus haut 5 feu, la plus pure flamme et la plus céleste lumière. J’ai dit de vrais philosophes, parce qu’en ce siècle vainement subtil et criminellement raisonneur, il faut les distinguer très-soigneusement de cette vile philosophaille, comme l’a assez bien qualifiée l’annaliste Linguet, de cette vermine de dictateurs d’impiété et de mensonge, dont l’audace s’étant sans façon décorée du beau nom de Philosophes, l’a terni et déshonoré parmi nous. Clercs issus de l’abîme pour venir écrire sur la terre, et vipères acharnées qui y font entendre leurs horribles sifflements.
C’est donc l’imagination, la mémoire et les sens qui, depuis la chute, ont fourni au point indivisible et simple de l’esprit tous les matériaux, pour ainsi dire, de ses idées, de ses pensées et de ses connaissances. (On verra plus bas la seule exception qu’il y a à faire, non générale, mais pour certains hommes dont le cœur plus pur et plus tourné à DIEU a mérité de regagner bientôt cette divine lumière.) Ce sont ces facultés inférieures qui, d’accord avec les objets extérieurs et jouant avec eux, font à l’esprit ce magasin de connaissances qu’on a honoré du beau nom de raison humaine, ou raison de l’homme. Cette raison si noble, si fière, dont on fait tant de bruit, est donc précisément un résultat affiné, ennobli de ce que les sens voient et de ce que l’imagination lui présente, et elle assemble, unit, désunit les idées, et les filtre comme par un alambic, pour ainsi dire, pour en former les abstractions, et par elles ses jugements et ses raisonnements. C’est pourquoi on a établi ce canon de philosophie : Nihil est in intellectu quod prius non fuerit in sensu. Ainsi la fécondité ou la tectonicité de l’esprit consiste dans le feu astral ou lumière astrale ; voilà pour le dedans, et dans les objets extérieurs qui l’allument, qui font jeu avec lui et fondent ses connaissances.
Et il ne faut pas se figurer que cette vérité déroge en rien aux trois systèmes que les philosophes ont imaginés pour expliquer ce qu’ils appellent l’union de l’âme et du corps. Au contraire, elle en est très-indépendante, et même elle se plie à tous les trois. Elle surnage aux disputes là-dessus, et si c’en était le lieu, je pourrais montrer que par elle on peut voir, à ne pas s’y méprendre, la quantité de vrai et de faux qui est dans chacun de ces systèmes. Les philosophes ont tout barbouillé en donnant des moitiés vérités pour la vérité toute entière. Je pourrai donner quelque jour des éclaircissements là-dessus.
Cet esprit astral, ou feu ou lumière astrale, qui est le plus bas degré de la lumière des esprits purs, et supérieur toutefois à ce qu’on appelle l’esprit de la nature, ou l’esprit répandu dans les êtres physiques et qui en fait la force, les vertus et les rapports 6. Cet esprit astral a donc été le substitut qui a remplacé, dans l’homme tombé et, ce qui est le même, dans sa postérité, ce pur esprit qui, durant l’innocence, lui servait d’allumement, de lumière et de vie. Pour le comprendre, il n’y a qu’à s’exprimer nettement et ne pas s’amuser avec une fausse philosophie. Et pour le faire entendre, je prendrai et commenterai le divin mot que la Vérité éternelle a dit lorsqu’elle était sur la terre : Je suis la lumière du monde 7. Mot transcendant et qui, pour qui sait l’entendre, renferme tout. La lumière est de tous les échelons, et à tous les degrés, depuis la lumière abissale infinie, qui est le DIEU infini, ou le Verbe DIEU, DIEU est lumière, jusqu’à cette lumière corporelle en rapport avec nos yeux de chair qui la contemplent. Ainsi le Verbe DIEU Jésus-Christ envoie les rayons de sa lumière infinie sur tous les êtres, et de toute part. Il l’envoie sur les intelligences en raison de leur moralité par une justice attributive, et sur les êtres inférieurs, selon que leurs natures peuvent la recevoir, en sont susceptibles, et selon leurs besoins propres, de même que selon la convenance et le rapport qu’ils ont avec les autres êtres.
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CHAPITRE IV.
Des différents degrés de lumières répandues dans tout l’univers depuis la lumière infinie. Et des corps glorieux.
ON peut donc considérer les émanations, dons ou envois que fait cette lumière infinie, selon leurs qualités et selon leurs quantités. Il est dans l’univers des êtres spirituels, des êtres glorieux et des corporels ; et la lumière que chacun d’eux reçoit est assortie et en proportion avec sa nature et le personnage qu’il a à faire ou la place qu’il doit occuper dans cet univers. Le donateur est infini, le don est fini et proportionnel. Les célestes intelligences, les hiérarchies des cieux en reçoivent à chaque instant chacune sa part et ce que sa sublime nature en comporte et de quantité et de qualité pure et céleste. De manière toutefois que cette divine lumière qui les éclaire reçoit de perpétuels accroissements par les accroissements de leur amour 8. La connaissance fait l’amour, et l’amour augmenté étend et dilate la connaissance. Plus le Verbe DIEU est connu, plus il est aimé et, par un juste retour, plus il est aimé, plus il fait connaître de l’abîme de ses éternelles et ineffables beautés. Ainsi de clarté en amour, d’amour en clarté, et de gloire en gloire. Tel, pour le dire en passant, devra être l’homme dans son degré lorsque, réhabilité, il passe du domaine de la raison dans celui de la foi et de la pure lumière qu’il a perdue et qu’il doit reconquérir par la force du sacrifice de l’homme DIEU. Tel, dis-je, sera-t-il, lorsque restitué dans son état primitif et saint, il ira de progrès en progrès, d’amour en amour, de lumière en lumière, et, dit l’Apôtre, de gloire en gloire 9.
Cependant il ne faut pas se figurer que ce Verbe-DIEU, lumière infinie, envoie son rayon, direct et sans milieu, à toutes les célestes intelligences. Non ; ainsi qu’il faut à la lumière du soleil matériel un véhicule qui, en vibrations, en ondulations, la transmette jusqu’à nos yeux, il en est dans un genre supérieur, mais analogique, de même là-haut. Et comme ici-bas un ignorant est instruit par un plus savant, cette lumière du Verbe reçue par les plus hautes, par les premières intelligences, est transmise par elles aux hiérarchies inférieures, et d’ordre en ordre, de degrés en degrés, les émanations se font dans les descendances, et s’approprient chacune à la capacité du récipient ou du vase. Ce sont les cieux des cieux, puis les cieux, sur lesquels les merveilles et les admirables rayons ou reflets de cette lumière émanée du VERBE INFINI s’exécutent éternellement. Son fond ne s’épuise point. Ces cieux divers en splendeurs sont les ubis ou les espaces marqués que nos livres saints, et surtout le saint roi David qui était entré dans les sanctuaires du Dieu Fort, a vus et a appelés les planchers de ses chambres hautes 10. Ainsi de proche en proche, la lumière s’exécute, rayonne et resplendit dans tout l’univers sur-céleste, céleste, spirituel, glorieux et physique. Les cieux sont partout ; ils sont en nous comme ailleurs ; ils traversent l’homme, dont l’ignorance et la grossièreté ne les voit pas, et que sa légèreté l’empêche d’apercevoir. Car si le Royaume de Dieu est en lui, tous les cieux y sont : ce qui doit suffire pour les entendeurs. Une fausse et aveugle raison peut le mécroire, s’il lui vient d’aise.
Je viens de lâcher le mot de glorieux ; il faut en dire quelque chose. Il est une matière glorieuse, transparente, diaphane, comme il est une matière grossière qui, formée, arrangée, fait les corps bruts et inférieurement physiques ; et l’expression de terre dont l’Écriture Sainte se sert, est de tous les degrés. Cette matière transparente fait les corps glorieux 11 de là-haut, véhicules ou enveloppes des anges et des esprits célestes. L’homme, quoique déchu, en conserve encore en soi le précieux germe caché sous l’étui ou l’enveloppe de son corps grossier. Ce germe est le ferment ou levain qui, en la glorieuse résurrection du corps des justes, amènera à sa gloire transparente la masse ou le corps grossier. Le Verbe, en sa qualité d’homme, en a montré et le modèle et l’espérance dans la transfiguration de son corps au Thabor 12, où tout d’un coup son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Il fit à ce moment une exception à la continuelle suspension de la gloire de son corps, qu’il cachait sous une enveloppe semblable à la nôtre. C’est encore sur cette matière glorieuse que sont exécutés tous les arts célestes, prototypes des arts d’ici-bas exécutés sur notre matière inférieure et grossière. L’immortelle architecture des cieux, la divine musique de là-haut, l’harmonie qui retentit dans les voûtes des cieux par les instruments glorieux qui ébranlent le fond primitif et pur de l’éther, les peintures immortelles, etc., etc. C’est de cette matière glorieuse, enfin, qu’est et sera composé ce bâtiment d’éternelle structure de la 13 Jérusalem céleste, dont David, dont les Prophètes, dont S. Jean présentent la ravissante description à notre foi. C’est ainsi que la lumière se plie à tout et que, sans nous étendre davantage là-dessus, elle est de tous les lieux, de tous les espaces, de tous les degrés, de tous les genres et de tous les êtres plus ou moins purement éclairés selon leurs capacités ; et c’est donc ainsi que se vérifie le mot transcendant de la Vérité éternelle Jésus-Christ : Je suis la lumière du monde 14. Je pourrais aller bien plus loin encore, et même monter plus haut ; mais outre que j’y irais sans fin, ce n’est pas mon but dans ce discours.
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CHAPITRE V.
Du retour de la pure et sainte lumière, par parties ou lambeaux. Des deux postérités de Seth et de Caïn, et de leur mélange, relativement à la lumière.
IL faut revenir à son objet et à mon dessein. Telle est donc l’origine de ce qu’on appelle la raison, dans l’homme naturel, simplement et plus ou moins raisonnable, selon plus ou moins que cette lumière inférieure ou astrale est ou dégagée ou nuagée des passions, qui ici jouent le plus grand rôle pour diversifier les degrés de cette lumière, et pour la laisser ou pure de la pureté de son degré, ou la couvrir d’opacité, de fausses vues, de jugements de travers, ou de plus ou moins épaisses ténèbres, en surcroît à ses bornes naturelles. C’est ce qui fait et opère cette infinité de reflets de la lumière de la raison dans tous les hommes, et l’infinie diversité des opinions qui se battent, tous à côté de cette divine vérité toujours une, simple, immuable, et qui ne se contredit jamais. Mais cette raison, quelque pure que vous la supposiez, n’est absolument qu’un être lumineux par privation d’une lumière plus haute, comme on l’a déjà vu, et comme toute la suite de cet ouvrage le démontrera. Substitut, je l’ai dit, à la vraie lumière, donnée dans l’état d’innocence, et retirée par la chute.
Que si je voulais entrer ici dans l’économie de cette réhabilitation et anticiper sur ce que je dirai plus bas, à l’article de la foi, je vous montrerais cette lumière supérieure de l’Esprit Saint perdue en Adam, redonnée bientôt par parcelles ou lambeaux, si je puis m’exprimer ainsi, à une partie de sa postérité. Et comme Caïn le meurtrier, qui avait ramassé le venin de la chute, fut laissé lui et ses descendants à l’esprit astral ou dégradé, de même le S. Esprit, se vengeant, pour ainsi dire, et voulant avoir ses lampes, se communiqua par Seth à tous les saints Patriarches et justes de l’ancienne loi, et déjà avant que la loi positive ou écrite fût donnée par Moïse. L’homme primitif en ces saints renaquit, pour ainsi dire, de ses cendres, et par eux se releva de sa honteuse défaite par le serpent, appelé à le tenter au dehors après les chutes du dedans, et à cause de ces chutes intérieures. Car, et ce que j’avais oublié de dire, avec DIEU, dans le cas d’Adam, c’était et ce devait être tout ou rien. Il fallait, ou que l’union devint imperdable, ou que le crime de l’éloignement se consommât. Dans l’ordre de la justice divine, il faut que le bien et le mal arrivent jusqu’à leur plénitude et soient poussés jusqu’à leurs dernières bornes. DIEU ne veut ni des justes, ni des pécheurs à demi. C’est ce qui est dit : Que celui qui est juste doit l’être toujours plus, et que celui qui est injuste le soit davantage encore 15. Ainsi il fallait, ou qu’Adam consommât son péché, comme il l’a fait, ou que le combat fût terrible contre le tentateur, à qui ses chutes internes donnaient accès, et qu’elles avaient appelé ; et il y avait alors à parier du tout, qu’il succomberait par et à cause de l’amollissement du dedans, et de la perte qu’il y avait faite de la force pleine que lui donnait primitivement l’esprit divin.
Voilà donc Caïn qui avale les suites de la chute et en suce le venin, tandis que les saints Patriarches issus de Seth ramassent, pour ainsi dire, les miettes de ce pain céleste qu’Adam avait d’abord en son intégrité et sa plénitude. Dès lors deux postérités sont séparées ; l’une des hommes laissés à eux-mêmes, et qui vont de chute en chute, de cascade en cascade, se perdre en des horreurs et des égarements sans fin. La seule idée fait frémir en voyant la terre inondée d’abominations, d’idolâtries et de crimes. L’autre postérité, j’entends celle de Seth, Énos, etc., commençant à vivre de la foi, lumière plus haute que l’esprit astral. Alors le domaine de cette foi pure ressort comme un feu qui vit encore sous la cendre, et se dégage de l’abaissement où la chute l’avait tenu. Alors on commença à appeler cette postérité du nom de l’Éternel 16, en contraste du nom des enfants des hommes issus du premier des meurtriers. Alors on les distingua du nom de fils ou d’enfants de Dieu 17, jusqu’à ce que, par le mélange, ils s’alliassent avec les filles des hommes, et que tout enfin s’étant corrompu, Dieu appelât les eaux pour servir d’instruments à sa juste vengeance. Mais enfin, c’est ainsi qu’on vit auparavant un Hénoc qui, en perpétuelle union marchant avec Dieu, mérita d’être enlevé au ciel dans un char de lumière. Et depuis, il sortit avec Noé du sein des eaux un Abraham, chef des croyants, témoin et héraut de la vérité par la plus illustre foi dont il fut le modèle. C’est ainsi que le divin lumignon ne s’est jamais perdu tout entier, et qu’il a fait de tout temps une seule foi et une seule lumière ; sous l’ancienne loi, foi des justes en Jésus-Christ promis, et foi des Chrétiens en Jésus-Christ donné, formant, quant à son objet, une seule foi et une seule lumière.
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CHAPITRE VI
Des lumières inférieures et astrales qu’ont eues tous les peuples issus de Caïn et de Cham, et des abominations qui s’y sont glissées. Prophéties et miracles des Païens.
ET puisque je me suis engagé si avant et que j’ai marqué ces deux postérités, donnons ici, en en considérant un moment les suites et le double tableau, un petit tribut à la curiosité. Cette curiosité aura même une utilité de circonstance, dans ces temps malheureux où de fanatiques cerveaux ressuscitent en Europe tous ces phénomènes prestigieux de l’esprit astral, dont la malheureuse postérité de Caïn avant, et de Cham après le déluge, ont donné le spectacle, et qui semblaient jusqu’ici confinés aux pays où ils ont pris naissance. Mais l’ennemi, qui ne dort jamais, a la permission de leur faire faire le tour de la terre, en punition des criminels égarements des hommes 18. Il est question, comme on l’entend, de ces pratiques Chaldéennes, Babyloniennes, comme les appelle le poète Horace, Babylonios tentare numeros. Pratiques qui ont produit une infinité de reflets, et qui sont ressuscitées parmi nous sous les noms de somnambulisme, etc., et toutes condamnées dans nos livres saints, comme le plus grand crime. Mais comme j’aurai occasion d’en parler ailleurs dans cet ouvrage, je n’en lâcherai ici que deux mots, qui serviront d’introduction et d’éclaircissement à ce que j’en dirai plus bas.
Mais c’est plutôt l’origine de ces abominations que j’annonce ici, que ces abominations elles-mêmes. L’esprit astral peut donner une infinité de reflets ; il a la connaissance des analogies inférieures ; il peut suivre toutes les formes et les pouvoirs de l’air primitif ou de l’éther, et par le moyen de ce fluide animé, mis en jeu par la volonté déréglée de l’homme, à qui Dieu laisse sa liberté, parce qu’il ne rétracte point son don, il peut occasionner les prestiges, les phénomènes les plus étonnants aux yeux de ceux qui n’ont pas la clef de cette féerie inférieure, et en une certaine quantité diabolique. Moitié physiques, et moitié du domaine de l’ennemi, qui s’y glisse et a le pouvoir de s’y glisser. C’est ainsi que de la postérité et par la postérité de Caïn privée de l’Esprit de Dieu, on vit descendre toutes ces pratiques d’astrologie, de divinations, d’oracles, de prophéties, d’esprits de Python, d’enchantements, etc., etc. N’allons pas plus loin dans ce noir catalogue, dont le fragment qui nous reste de la prophétie d’Hénoc, cité par S. Jude 19, nous ouvre l’abominable perspective. Alors on vit les combats du vrai et du faux, des saints miracles enfants de la foi, et les faux miracles qui les imitent, dont les magiciens d’Égypte donnèrent l’imitation aussi loin que ce domaine diabolique peut aller. Alors on vit les prophéties dictées par l’Esprit de DIEU, imitées en analogie inférieure par l’esprit astral animé, réchauffé par l’ennemi intéressé à tout brouiller et à tout confondre. Alors on vit les guérisons d’Esculape douteuses, momentanées, opposées aux miraculeuses guérisons opérées par les saints, et mises effrontément à côté d’elles. On vit un Apollonius de Thyane mis en parallèle avec.... Ô blasphème ! que toutes les plumes de l’univers périssent, avant que la mienne achève le mot. Ô mon Dieu ! où en est la race humaine ?
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CHAPITRE VII.
Des différentes espèces de magies et forces attirantes,
ou saintes, ou mauvaises, ou mélangées.
MAIS il faut s’exprimer nettement dans un sujet si embrouillé, et où presque personne ne voit clair, et non pas même ceux qui sont en possession de ces théories ténébreuses, et de ces ténébreuses pratiques ; car tout ce qui vient du Père de tout mensonge porte les ténèbres pour son étendard. Essayons toutefois de percer dans ce nuage.
Le mot de magie 20 dans son acception la plus générale peut être prise dans un bon et un mauvais sens. C’est une force attractive, un ressort qui met en jeu, ou le surnaturel, ou le naturel, ou le domaine inférieur ; une force ou puissance occulte et agissante, ou sur les esprits, ou sur les corps, par conséquent aussi sur toutes les couches d’air, depuis le plus primitif, qui a le plus grand ressort, jusqu’au plus grossier qui en a le moins. Or on sait que l’ennemi est le prince de la puissance de l’air 21 ; et parce qu’il a vaincu Adam, ou plutôt achevé la défaite commencée en Adam par Adam même, il peut avoir influence sur l’esprit astral, qui fait la raison naturelle et non régénérée par la foi ou l’esprit de DIEU.
Cela posé, il peut être cinq sortes de magies que nous connaissons, sans compter les nuances ou mélanges qui peuvent s’insinuer dans les degrés inférieurs.
Il y a d’abord la toute haute, sainte et divine magie, ou force attirante du Verbe DIEU, qui attire à soi, et adopte tout ce qui purifié, peut être reçu et admis en lui. Lorsque je serai élevé de la terre, j’attirerai les hommes à moi. Nul ne vient au Père que par moi 22. Cette magie divine est en proportion avec la foi, et son opération est du pur et saint esprit. 2° Il est une magie angélique, et cette magie peut déjà être mélangée, parce qu’il est de bons et de mauvais anges ; et que ceux-ci peuvent avoir influence et pouvoir sur les êtres désordonnés, sur les hommes méchants. 3° Il est une magie naturelle et physique ; les corps s’attirent réciproquement par une proportion que le savant Newton a calculée, et par l’influence des tourbillons de Descartes, qui sont les liens, les médiateurs et les véhicules de ces attractions naturelles. Tellement que pour la vérité, il faut, sans exclusion de l’un ni de l’autre, adopter les deux systèmes, chacun dans sa quantité de vérité. 4° Il est une magie charnelle dont la source est dans les appétits, désirs et passions des facultés inférieures de l’homme animal et de la brute, qui sont le siège de l’irascible et du concupiscible. 5° Enfin, comme il peut être une magie angélique, sainte, épurée, et sans mélange, il peut être aussi, pour les perdus méchants, une magie uniquement diabolique. Telle est la recension de toutes les magies possibles, dans lesquelles toutes il peut y avoir des mélanges, excepté dans la sainte et toute haute magie divine, infiniment puissante par elle-même, infiniment supérieure à toutes les autres, mais qui, n’exerçant sa puissance que selon l’ordre de la justice, laisse, dit l’Écriture, l’ennemi agir sur les enfants de rébellion. Ainsi magie divine, magie angélique, pure et non mêlée, magie naturelle, magie charnelle, et magie diabolique uniquement telle, mais dans la seconde et cette dernière il peut y avoir du mélange, comme aussi, par conséquent, dans la naturelle et la charnelle. Telle est, dis-je, la théorie dans laquelle je me serais bien passé d’entrer si les horreurs de nos jours ne m’en avaient fait une impérieuse nécessité. Je laisse le lecteur tirer les conséquences, qu’il doit voir clair comme le jour, sortir de cette discussion, que je soutiens à la face de l’univers, aussi philosophiquement que divinement vraie, toute fondée sur l’Écriture Sainte, sur l’immuable parole de DIEU, qui l’établit et la démontre aux yeux du croyant, comme elle est très-accessible à la simple raison tant soit peu affinée. Cependant, avant de sortir de ce domaine ténébreux, où je n’ai jeté un regard qu’à contrecœur, je répéterai : 1° Que ces magies inférieures et leurs mélanges sont la source et tout-à-la-fois l’explication de cette infinité de spectacles, ou diaboliques, ou mélangés, que les histoires, la fable des païens nous présentent, et qui sont incroyables à ceux qui n’ont pas les yeux assez perçants pour creuser jusqu’à leur origine, et dont la première clef est dans la chute des anges révoltés, et dans toutes ses consécutions. Et en effet, on ne le pourrait croire, si un DIEU, plein de miséricorde pour ses enfants, n’en avait LUI-MÊME fait donner toute l’histoire dans sa sainte parole, afin de les préserver et tenir en garde contre ces prodiges, capables de séduire les élus, s’il était possible 23 ; oui même, dit S. Jean, jusqu’à faire descendre le feu du ciel en la présence des hommes 24. Ainsi, ô vous qui ne voulez pas périr, prenez-y garde. J’en reparlerai plus bas. 2° Un mot sur le magnétisme simplement tel. Comme on a vu qu’il est une magie naturelle, et que d’elle-même elle pourrait être innocente si elle n’était que physique et sans mélange, il ne serait pas impossible que sur mille cas donnés, il n’y en eût un qui opérât une guérison par la simple force attractive naturelle, mise en jeu par la volonté d’un homme qui ne serait pas méchant, et sans que l’ennemi s’y glissât. Mais outre la presque impossibilité du non-mélange, le magnétisme peut mener au somnambulisme, qui dès lors est du domaine absolu de l’ennemi. 3° Comme l’ennemi sait se transformer en ange de lumière pour tenter, il peut faire paraître les plus grands prodiges, et même d’admirables vérités en des prophéties inférieures, afin qu’en effet on les admire très-stérilement pour le cœur, et afin d’injecter en même temps des erreurs capitales à qui ces vérités servent de sauf conduit. Tels ont peut-être été les vers sibyllins, et toutes ces belles, mais inférieures et stériles prophéties des païens, très-inutiles quant à la vraie foi, qui n’en a que faire ; ou plutôt infiniment nuisibles à cette foi pure et simple du Chrétien. Tellement qu’on pourrait appeler toutes ces lumières astrales et éthériennes, le contraste, la rouille, la peste, l’extinction et la mort de toute véritable foi. Et voilà le plus haut degré, ou comme on voudra, le plus dangereux et le plus mauvais degré, où l’esprit astral ou naturel de l’homme a pu s’élever dans la postérité de Caïn, de Cam, et de tous les peuples païens, leurs descendants depuis la chute. Voilà l’effort auquel il a pu s’élancer, et où l’homme, par cet esprit, a pu atteindre.
Cependant il faut convenir que, depuis que les deux postérités se furent mêlées, comme on l’a vu plus haut, il était comme inévitable qu’il y eût çà et là, en divers temps, en divers lieux, et en nombre d’hommes issus de ces alliances, de ces mélanges de foi et d’esprit astral qui, n’étant purement ni l’un ni l’autre, ni tous les deux, ont fait des demi-vérités ou des erreurs broyées avec le mensonge ; théories brillantes et très-dangereuses. C’est ce qui, dans tous les temps, a fait les hérésies et les hérésiarques ; c’est ce qui a fait les vains et beaux génies ; comme quelqu’un qui irait prendre les belles couleurs de l’arc-en-ciel pour en orner, embellir ses infernales ombres. C’est ce que l’Écriture appelle des géants, issus de ces alliances de Seth avec Caïn 25, ou de la foi et de l’esprit astral, ou de la raison : c’est ce qui s’est vu dans tous les siècles et chez tous les peuples. Ce sont de faux et séduisants reflets du rayon du bon esprit engagé dans le nuage de l’esprit naturel. C’est ce qui a fait et fait encore ces hommes de renom, dont il faut se défier, ces coryphées qui entraînent les ignorants à leurs façons abusives et à leurs colorées et brillantes erreurs. Ceci a une infinité de points de vue et est vrai dans un très-grand nombre de cas. Je n’en dirai pas davantage là-dessus.
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CHAPITRE VIII.
Raison pour laquelle Dieu renvoya dans la postérité de Seth de grands rayons ou éclairs de la lumière perdue par la chute.
MAIS hâtons-nous de sortir de toutes ces fanges plus ou moins bourbeuses pour revenir à l’immortel domaine de la lumière. Et pour y remonter par degrés, il faut considérer un moment la raison pour laquelle un DIEU dont les miséricordes sont inépuisables releva, bientôt après la chute, une partie des hommes de la bassesse et des ténèbres qu’elle avait occasionnées ; et pourquoi le rayon, par elle presque éteint, se ranima tôt après, et redonna une grande quantité de lumière, et avec elle une postérité de foi et d’amour. C’est ici que brille cette infinie bonté de Dieu, qui a mis dans cette dispensation un ordre, une suite qu’on n’admirera jamais assez. Il fallait que fussent préparés des pères saints à la semence bénite qui, pour réparer le crime du premier homme, devait paraître en homme sur la terre. Il fallait qu’à cette semence bénite de toute bénédiction, il fût préparé de quoi composer un corps absolument saint, pur, immaculé, qui pût servir et fût digne de servir d’hôte et d’étui à L’ESPRIT-DIEU même qui, en union hypostatique, indissoluble, imperdable, devait à jamais n’en faire qu’un être indivisible, sous deux natures réunies. Il fallait que ce tabernacle de l’alliance, ce temple de la divinité, fût composé, construit des plus exquises pierres ; et ces pierres du sanctuaire, j’entends, comme vous l’entendez aussi, la très-sainte humanité de Jésus-Christ, ces pierres devaient être prises, rassemblées de tout ce qui, depuis Adam jusqu’à lui, avait été juste et saint. C’est ce que j’apprends de S. Paul, dans ce très-clair, et tout-à-la-fois mystérieux passage de l’Épître aux Romains 26, où cette vérité, pour tout entendeur, est mise au-dessus de tout doute. Par ce passage, on voit qu’il a été, parmi les justes et saints de l’ancienne loi, des hommes qui n’avaient point péché en la manière d’Adam, ou qui, en des cas difficiles, avaient surmonté les tentations et s’étaient conservés purs : et on y voit encore que ces suites d’hommes, ou de parties d’hommes victorieux dans ces cas, étaient la figure ou la forme de celui qui devait venir ; c’est-à-dire, que son humanité devait être formée, composée des saintes parties, des purs lambeaux, de ce qu’il y a eu de saint dans les Patriarches, pour, de ces parties rassemblées en lui, faire un tout qui fût l’homme Jésus-Christ et donnât à ce très-saint corps la pureté parfaite et sans mélange de toutes ces parties....
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CHAPITRE IX.
De l’immortalité de l’esprit, et comment il peut être immortel. Que la parole de Dieu est la seule véritable et sûre lumière.
Il me paraît qu’avant de résumer ce discours sur l’origine de ce qu’on appelle la raison, et de présenter en groupe les vérités qui y sont disséminées, je ne ferai pas mal de montrer le sort de cette raison ou esprit astral, mis en regard avec la destinée de quiconque, heureusement admis à la lumière de l’Esprit de Dieu, s’est élevé au-dessus de cet esprit astral, ou de la raison proprement dite de l’homme naturel, raisonnable et irrégénéré. Les philosophes ont fait les plus grands efforts pour démontrer ce qu’ils appellent l’immortalité de l’âme ; mais, par tout l’attirail de leur philosophie, ils n’en ont jamais su voir le comment. Il est très-vrai que l’esprit de l’homme est immortel, car il a été créé pour voir la lumière : et cette lumière spirituelle est faite pour les esprits ; ils sont en rapport de création, et but et fin l’un de l’autre. DIEU n’a pas émané de lui-même la lumière de tous les degrés en vain, ni les esprits pour qu’ils ne la voient pas. Tout comme le soleil, entre autres buts, est fait pour nos yeux, et nos yeux pour le soleil. Mais si on s’exprime nettement sur cette intéressante matière, il en résultera : 1° Que ce point simple, qui est allumé ou par l’esprit astral ou par l’Esprit de DIEU, est UN, non composé, et par conséquent indestructible à tout agent naturel, et ne peut périr par dissolutions de parties, qu’il n’a pas. Que pour être détruit, il faudrait qu’il fût renvoyé au néant. Mais DIEU l’a créé pour durer toujours ; voilà ce qui regarde son indestructibilité, bien différente de l’immortalité ; car il y a encore bien loin de l’une à l’autre. Pour celle-ci, il faut que l’être ait la connaissance sensible, intuitive, réflexive et expérimentale de son existence ; qu’il soit conscius sui, qu’il sache, à n’en pouvoir douter, que c’est lui-même qui existe. Or si la lumière quelconque était retirée de ce point, il n’aurait plus l’aperception de soi-même ; il serait comme n’étant pas ; son existence pour l’homme qui la possède ne serait d’aucune conséquence, d’aucun avantage pour lui. Mais comme DIEU n’a rien créé sans but, ai-je dit, il veut que ce point soit toujours allumé ; et d’ailleurs ce même point, comme on l’a vu, a un appétit famélique de la lumière, et le besoin qu’il en a l’appelle, pour ainsi dire, à grands cris.
2° De plus, pour l’immortalité de ce qu’on appelle l’essence de l’homme, composé de diverses facultés intérieures, il faut que l’âme sensitive, distinguée de l’entendement ou de l’esprit, lui soit réunie à la mort, et vive aussi 27. Mais enfin, sans en parler, et pour revenir au point de l’esprit, sa lumière astrale n’est pas faite pour le Ciel et pour la vie céleste, qui ne peut plus se perdre, avec laquelle cette lumière astrale n’est point en proportion. Elle est bien une lumière, mais elle n’est point cette lumière de la vie, comme l’appelle notre Seigneur, celui qui me suit ne marche point dans les ténèbres, mais il a, remarquez bien, la lumière de la vie 28. C’est donc une lumière, mais une lumière de mort. C’est une lumière pour le monde, et une sombre et fausse lueur quant à la vraie, céleste et vitale lumière. Ainsi celui qui meurt, n’ayant que l’esprit astral ou sa raison, sans l’esprit vivifiant de DIEU, conserve bien une lumière, mais une lumière toujours vivante et toujours mourante, et trouvant à chaque instant la mort dans son immortalité, ou plutôt dans son existence même.
3° St. Paul appelle l’homme naturel une âme vivante 29, et introduit et représente en contraste l’homme régénéré comme possédant l’esprit vivifiant, l’esprit qui éternellement redonne la plénitude de la vie. Et cet esprit vivifiant, qui est la lumière des enfants de DIEU, est inséparable de la vie de l’amour et de la foi qu’il donne ; et cette foi est précisément en proportion avec le domaine céleste, qu’elle montre par anticipation. Elle est ici-bas, si je puis m’exprimer ainsi, la carte géographique des Cieux, ainsi qu’on montre par avance à un voyageur la carte du pays qu’il a à parcourir. Elle est même bien plus, car elle est ce pays même, en germe, en miniature, déjà ici-bas et comme une carte réduite. Elle est la semence même de cette immortalité, dont en même temps elle donne la perspective : c’est encore ce que j’ai appris de St. Paul, réunissant ces deux vérités inséparables, et qui n’en sont qu’une, dans un même passage : La foi est l’hypostase (c’est le mot de l’original), la substance même des choses qu’on espère et une démonstration de celles qu’on ne voit point encore 30.
4° Au contraire, l’esprit astral ou la raison simplement telle, n’a ni cette hypostase ou semence immortelle, ni cette carte géographique des lieux à laquelle sa sombre lumière n’atteint point, et où elle ne peut pas lire par anticipation : qu’est-ce qui est dit de celui qui n’a qu’elle : Il marche dans les ténèbres, il ne fait ni d’où il vient, ni où il va.... Il marche, ainsi il a une action, une vie, mais c’est dans les ténèbres ; ce sont des ténèbres visibles, et une lumière sombre et ténébreuse.
5° Que le Lecteur avisé fasse attention à ces choses. De tout ce que je viens d’exposer, il résulte qu’il n’y a de vraie immortalité qu’en Jésus-Christ et dans son Esprit. Que ce qui est dit : Il a mis en lumière la vie et l’immortalité, est une vérité absolue, sans restriction et sans bornes ; que c’est lui seul qui peut mettre sur la tête des siens cette couronne immortelle, donnée à la lumière de la foi inséparable de l’amour. Qu’il n’y a que le Christianisme qui dévoile ces vérités, et que les Philosophes, après mille peines et avoir sué et gratté leur front, n’ont fait que balbutier là-dessus. Qu’il n’y a à cet égard, comme à tout autre égard, sans exception, aucune réelle philosophie que dans la parole de DIEU, en qui sont renfermés tous les trésors de la science et de la sagesse 31. Comme je déclare devant ce même DIEU qu’elle est seule le magasin, la source inépuisable de toute vérité pure et non mélangée, et infectée d’erreurs. Les Philosophes peuvent voir que je fais peut-être assez de ce qu’ils appellent la Philosophie 32, mais je leur laisse autant cette illusoire et fastueuse philosophie qu’elle leur est chère ; c’est là leur trésor, et si on le leur enlevait, ils n’auraient ni la vérité pure et divine, ni ces mélanges d’erreurs et de vérités inférieures et naturelles dont ils se repaissent comme de gousses vides et sans suc. Ils croient toutefois avoir trouvé la lumière dans la lumière et s’être élevés ad sapientem templa serena.
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CHAPITRE X.
Confirmation du Chapitre précédent. Éclaircissement. De la Foi obscure, etc.
IL résulte encore de là, pour résumer, qu’il ne peut, comme je l’ai dit déjà, y avoir ni dans le temps ni dans l’éternité aucun vrai salut qu’en Jésus-Christ : qu’il n’est aucun autre nom sous le Ciel qui soit donné aux hommes par lequel ils puissent être sauvés 33 ; que le salut et l’immortalité ne sont faits ni pour l’esprit astral, ni pour la raison de l’homme, tant exaltée que vous puissiez la supposer. Que pour que l’homme arrive à la lumière de DIEU, il faut que tout ce qui est astral disparaisse, et qu’ainsi toute cette lumière naturelle en rapport avec l’univers, supérieurement physique, doit être tuée peu-à-peu, ou dans ce monde ou dans l’autre ; tout comme les luminaires des Cieux perdent leur clarté quant à nos yeux au lever du soleil, qui en absorbe la lumière par sa lumière plus puissante et plus haute. De même il faut pour que le soleil de justice, seul possesseur de l’immortelle et céleste lumière, puisse la lever sur l’esprit de l’homme ; il faut, dis-je, que tout autre luminaire inférieur lui cède la place, sans quoi il n’aurait jamais le jour pur, serein et éternel ; et c’est pour cela et à cet égard que les vrais entendeurs appellent la foi obscure. Cette foi et ses objets sont très-clairs par eux-mêmes, mais elle obscurcit la raison par sa splendeur infiniment plus haute ; et c’est ce que St. Paul appelle la transformation de l’entendement ou son renouvellement 34. Que s’il est en l’homme un mélange de ces deux lumières, et tant que ce mélange subsiste, il n’a pas la lumière céleste, mais il lui arrive au contraire ce qui a lieu au lever du soleil, lorsqu’on ne veut pas éteindre la bougie qui éclairait dans la nuit ; on n’a ni le plein jour offusqué par cette lueur, ni cette lueur pleine bien plus offusquée encore par le jour qui s’avance. Ainsi lumière douteuse, incertaine, à faux reflets, qui, pour le dire en passant, a fait parmi les Chrétiens toutes les hérésies, et qui fait qu’on lit l’Écriture tout de travers ; ou on ne la comprend point, ou bien on lui attribue son propre sens et non point celui que l’esprit saint y a jeté.
Mais en voilà assez là-dessus, pour tout homme qui veut bien prendre intérêt à lui-même et à son sort ; le Lecteur peut y aviser. Je le prie d’être persuadé que je lui ai dit la vérité, dont j’espère n’avoir pas à rougir ni à me dédire devant le tribunal de Dieu, qui est la vérité même. Je le prie de laisser tomber, de faire taire, par amour pour lui-même, les préventions, les préjugés qu’une science, faussement ainsi nommée, peut lui avoir injecté, et d’abandonner tous les principes accoutumés qui en lui seraient en contraste avec les vérités que j’ai étalées dans ce discours, qui doit servir de base et de fondement à ceux qui doivent suivre.
Que si l’incrédulité et le déisme, dont les noires vapeurs sont au temps qui court, répandues sur l’atmosphère de presque tous les esprits, jugeait à propos de s’élever contre ces discours, d’objecter, de faire de prétendues réfutations, pour affermir par leurs nuages l’impiété de leur cohorte, je ne répondrai point. C’est déjà assez et trop pour moi, qui ai à me nourrir de la Parole de vie et de cette lumière dont, malgré mon indignité, l’Esprit saint a daigné recourber un petit rayon sur mes ténèbres naturelles ; c’est assez, dis-je, et il me suffit d’avoir, dans cet ouvrage, suivi avec le plus grand dégoût les vétilleuses chicanes de ces caractères à épines, et réfuté les dangereuses erreurs d’une fausse raison qui, en eux, se croit forte de sa faiblesse même, et dont l’orgueil frappé d’un aveuglement qu’il mérite se croit dans le chemin de la vérité même, lorsqu’il en est dans le plus grand et le plus funeste éloignement. Je ne dis point ceci par aucune haine, au contraire, tandis que leurs ténébreuses doctrines me font horreur, ils me font vraiment pitié, et ce serait pour moi une grande satisfaction de leur montrer une bienveillance Chrétienne. Mais dans leur hauteur et leur dédain, ils en refuseraient les effets ; on n’a jamais fait avec eux, leur carquois ne s’épuise point, et semblables à l’Hydre de la fable, si on coupe une tête, sur-le-champ il en renaît une autre ; voilà les mensonges d’une raison prétendue. On les verra réfutés dans les Discours suivants ; dans celui-ci, je n’ai pas prétendu le faire, mais simplement donner une déclaration et un témoignage public de la divine et sûre vérité et de ma foi, en même temps que jeter une théorie et des principes qui préparent cette réfutation et en montrent les fondements.
Vous avez vu, dans ce discours préliminaire, l’origine de ce qu’on appelle la raison, dont le plus haut point est l’esprit astral, et qui est un substitut inférieur à l’esprit de DIEU, qui éclairait Adam avant sa chute. Lumière faite pour le monde, et non pour être éternelle : vous avez vu cet esprit qui animait l’homme innocent, après avoir été mis en fuite par la chute, revivre, si j’ose m’exprimer ainsi, par lambeaux dans cette postérité de justes, séparés de la masse ; et chemin faisant, beaucoup d’autres vérités, et entre autres les horreurs du somnambulisme, dont il sera parlé dans cet ouvrage. Vous avez vu enfin en quoi gît ou ne gît pas ce que l’on appelle l’immortalité de l’esprit après la mort du corps, sans parler des autres facultés de l’homme, sur lesquelles je n’ai pas jugé à propos de m’étendre, pour éviter des longueurs excessives.
Cependant, malgré tant de vérités, ce discours n’est proprement que préparatoire à ceux qui vont suivre. Ces vérités y seront envisagées dans leurs conséquences et sous tous leurs points de vue. Considérant la raison de l’homme selon la définition qu’en donne communément le vulgaire des Philosophes, c’est-à-dire, pour la faculté d’apercevoir les rapports ou l’enchaînement des vérités accessibles à la lumière naturelle, j’en serai voir et les usages et les abus. Je mettrai cette lumière en regard avec celle de la foi, je montrerai, je nuancerai même les différences de l’une et de l’autre, et même les quantités de contradictions ; les chocs entre l’une et l’autre lumière ; je les considérerai dans leurs effets ou bons ou mauvais. Enfin, j’exposerai les abus même que l’orgueil, l’aveuglement et les passions de l’homme peuvent glisser dans le domaine de la foi, lorsqu’elle n’est pas pure et entière, mais teinte et mélangée de la fausse lumière d’une raison plus ou moins corrompue. Ainsi, pour répandre plus de variété dans ces discours, et si j’ose le dire, en même temps plus de richesses, dans le suivant, je ne me servirai pas de l’expression d’esprit astral (sauf à y revenir ailleurs), mais j’y emploierai les mots convenus entre ce qu’on appelle les Philosophes, pour désigner l’esprit ou l’entendement de l’homme, j’entends de l’homme naturel et non régénéré par l’Esprit de DIEU.
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LIVRE SECOND.
La raison envisagée selon le sens qu’on assigne à cc mot sous le point de vue ordinaire. De ses usages et de quelques-uns de ses abus.
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CHAPITRE PREMIER.
De ses usages en général et du premier en particulier.
LE livre précédent peut avoir préparé le lecteur à réduire la raison de l’homme à ses justes bornes et, en creusant son origine, à comprendre qu’elle est plutôt faite pour ce monde que pour le Ciel, que son ressort épuise son énergie dans les affaires humaines, et ne peut guères aller plus loin. Que l’homme, pour regagner ce que notre premier Père a perdu et nous avec lui, doit retrouver un principe plus haut et plus pur que la raison, qui, après la chute et par la chute, est devenue un substitut nécessaire, mais inférieur à ce principe uni à Adam durant son innocence. Que cette raison en rapport avec ce monde et faisant accord avec lui n’est à l’égard de la vraie lumière de l’homme primitif ou rétabli et réintégré, qu’une lumière subalterne et affaiblie, à la vérité très-appropriée au système du présent siècle, mais très-incapable par elle seule d’élever l’homme à la noblesse primitive de son origine et de la fin où il doit refluer et se perdre. Que très-utile et nécessaire pour le monde et sa continuité, si elle n’est inutile pour le Ciel, elle ne peut servir toutefois que d’une manière très-indirecte de véhicule pour arriver à DIEU, dont l’union est la vraie fin de l’homme ; et même elle n’y peut servir de degré qu’en la supposant dégagée de tous les alliages étrangers des passions, de l’amour-propre, de l’opacité dont les objets l’offusquent, de l’exemple qui l’entraîne et d’une infinité de malheureux accessoires qui, la rendant toute terrestre, la font déraisonner avec eux. Dégagement qui est presque impossible aux forces de l’homme seules ; cependant tout en lui enlevant ses prétentions et la fausse couronne qu’elle se met sur la tête, il ne faut pas lui refuser les éloges qu’elle mérite ; c’est ce qu’on verra dans ce livre. Élevons donc la raison au plus haut point où elle peut s’élever, et tout en arrêtant la hardiesse de son vol, ne lui coupons pas les ailes.
Supposons donc en l’homme une raison droite ; cette raison peut avoir dans le présent siècle quatre et même cinq genres d’utilités. Elle sert de flambeau, 1° dans les affaires de la vie, 2° pour toutes les sciences humaines et les arts, 3° pour les vertus naturelles et du second ordre, 4° pour arriver à la croyance de l’Évangile, distinguée de la vraie foi, et 5° enfin, pour découvrir le sens littéral de l’Écriture Sainte. Tels sont les cinq chefs que je vais parcourir.
J’ai dit, 1° que la raison a pour objet, pour sphère d’activité les affaires de la vie humaine ; elle guide l’homme dans ce qu’il a à traiter, le fait agir avec prudence dans son commerce, dans son travail, prévoir, prévenir, concerter ses desseins, adapter les moyens à la fin qu’il se propose, etc., etc., etc. Et comme elle est la lumière destinée à éclairer l’homme dans cet ordre de choses, il doit s’en servir en toute droiture, et lorsqu’il n’a pas un principe d’action, une motion, un ressort plus haut, et lors même qu’il l’a ; car chaque faculté a son objet, auquel elle se termine : lorsqu’elle a la capacité d’arriver à une fin qui est son terme, il ne faut pas croire que Dieu, qui l’a donnée dans ce but, en donne de surcroît une autre pour le même but ; là serait le désordre, là les moyens excéderaient la fin. Ainsi il y aurait des moyens de trop, ou plutôt ils ne pourraient servir de moyens et seraient exclus par conséquent. Ce serait donc une contradiction, un désordre, une absurdité, un fanatisme ; et voilà ce que j’observe, soit parce qu’il y a eu et qu’il y a toujours des imaginations ardentes, des cerveaux allumés qui, fanatiques ou de la raison ou de la grâce, confondant, mêlant ces deux choses, sans respect pour les vraies bornes, sont des assortiments monstrueux, soit surtout parce qu’un monde aveugle et malin contre tout ce qui porte l’empreinte d’une vraie piété et d’une religion solide, dont il ne veut rien, parce qu’elle le condamne ; ce monde moqueur, cherchant à tout confondre, ne manque point de jeter des dérisions, des ridicules sur la piété même la plus raisonnable. Le chrétien est tout-à-la-fois citoyen des Cieux : (Notre conversation est comme de bourgeois des Cieux, dit l’Apôtre 35) et citoyen de la terre. Au-dedans il est mû par l’esprit d’amour de Dieu et de foi, qui le rend citoyen de la cité éternelle, dont il a le germe heureux en soi ; au-dehors, il se sert de sa raison pour tous les objets de la vie humaine, pour couler avec ses circonstances et agir selon elles. Il ne remue point ces deux bornes, quoiqu’à la vérité, éclairé de plus haut, il n’en fait qu’infiniment mieux ses affaires légitimes et avec infiniment plus d’équité et de droiture : or les mondains, dont la société fourmille, et qui ne connaissent rien de plus haut que leur raison teinte des passions, ne manquent point de jeter leurs insultes sur tout ce qui, même dans les affaires de la vie, a un air de piété ; ils crient à l’inspiration, au fanatisme ; sans respect pour ces limites très-bien posées. Je n’oserais même répéter leurs discours, crainte de prendre part moi-même à leurs dérisions profanes. Ils sont un mélange monstrueux de l’esprit de Dieu et de ce que dicte la saine raison, pour avoir le droit de gloser et de critiquer.
Sans doute il est dans le domaine de la religion des fanatiques ; il en sera traité plus bas ; mais c’est que ces hommes abusés, qui donnent un dangereux exemple et un prétexte aux mondains de tout mettre sur la même ligne, n’ont jamais connu la vraie piété et la religion pure qui met de l’ordre en tout ; ce n’est ni la religion, ni la droite raison qu’on en doit accuser, mais eux seuls dont l’orgueil et les passions se mêlent dans leur piété prétendue. Cependant, quoiqu’infiniment éloigné d’être le défenseur de ces fanatiques, dont je déplore les illusions, si je voulais ici récriminer, je pourrais faire le plus long catalogue des fanatiques de la raison, et de cette infinité de systèmes en l’air qu’enfante en eux cette raison imprégnée de tout l’orgueil des passions dont ils sont les jouets. Et comme les fanatiques de religion, si je puis m’exprimer ainsi, enfantent des systèmes qui ne peuvent point être des vérités de circonstances et sont impossibles, depuis que la chute du premier homme a ouvert l’ordre malheureux, et dès lors nécessaire, de la propriété ; ainsi, par exemple, que serait une communauté de biens, qui ne peut avoir lieu que quand le monde entier aurait le vrai esprit du Christianisme. De même ces fanatiques de raison prétendue, s’élèvent en leur orgueil contre tout le système actuel, dans l’idée flatteuse de corriger les gouvernements, d’en dicter fastueusement les organisations et de les ramener à un ordre primitif actuellement impossible ; au lieu de se soumettre humblement à l’ordre établi, lorsqu’il n’est pas absolument tyrannique, ainsi que faisaient les premiers Chrétiens.... Combien d’exemples de cet enthousiasme de raison ne pourrais-je pas citer ? Il y faudrait de gros volumes, et ils n’y suffiraient pas. Car qui ignore que l’imagination de tels hommes ou de tels enthousiastes ne s’arrête point dans ses écarts sans bornes et enfante une infinité de monstres différents et d’opinions qui se reproduisent sans fin sous de nouvelles formes. Les exemples aujourd’hui en sont plus marqués et plus multipliés que jamais. On pourrait bien à propos appliquer aux circonstances présentes les paroles qui servirent de prétexte à l’avarice de Nabal, pour refuser un présent à David : Aujourd’hui est multiplié le nombre des serviteurs qui se débandent d’avec leurs maîtres 36....
Il faut revenir à ce moment : lorsque je dis que dans les choses naturelles et le cours de la vie et des affaires, on ne doit point attendre d’inspiration, il n’en faut pas conclure qu’on n’ait pas toujours besoin du secours de DIEU. Car en vérité, quelque droite qu’on suppose d’abord la raison, sa rectitude court bientôt fortune d’être ternie, courbée, soit par notre corruption naturelle, par un amour-propre désordonné, soit par les intérêts divers et par le choc de nos passions et de celles des autres qui nous font sortir de notre base et nous emportent au-delà du vrai et du juste ; si cette même raison n’est décrassée, qu’on me passe cette expression, par une sorte de grâce occulte qui lui conserve, ramène sa rectitude et qui ne se refuse point à quiconque la demande avec sincérité. Je m’explique ; l’esprit de DIEU a dans sa main une infinité de grâces de différents ordres. Il est un seul esprit, dit l’Apôtre mais il y a diversité de dons 37. C’est lui qui est la vraie vie de tout, et qui approprie son opération aux différentes natures des êtres, qui donne aux plantes la végétation, aux bêtes la vie animale et sensitive, à l’homme la vie raisonnable, au chrétien, enfin, la vie de la foi et de l’amour de DIEU, vraiment goûté et connu en Jésus-Christ. Il est en général deux genres de grâces d’un même donateur, l’esprit de la nature et l’esprit de la grâce ; l’un et l’autre ont leurs degrés. C’est le même feu qui allume le sujet tel qu’il est, mais il est plus beau, plus brillant dans une bougie bien épurée que dans une chandelle grossière. Cet esprit fait la raison dans l’homme naturel ; le vrai esprit de la grâce fait le régénéré et le chrétien. Que celui donc qui ne l’est pas encore, demande du moins ce bon esprit, qui lui fasse régir ses affaires avec une raison rectifiée et purgée de l’opacité du péché et des prestiges des sens, de l’imagination et des passions.
D’ailleurs, la prudence humaine n’a pas de fort longues lunettes, elle est bientôt au bout, si une prudence plus haute ne vient secrètement à son secours. Nous sommes de pauvres petites taupes, dont il faut de temps en temps nettoyer, éclaircir les yeux. Or un DIEU tout sage veut bien que nous soyons prudents. Il est des buts plus hauts les uns que les autres, mais tout ce qui arrive à son but est sage. L’abeille, la fourmi sont sages de la sagesse qui leur sont propres, de la sagesse de leur degré. La prudence est louée dans l’Écriture : J’ai vu, dit Salomon, quatre choses bien sages 38, et encore : Va, paresseux, à la fourmi, et contemple ses voies. Il faut donc demander à DIEU une prudence plus haute que la nôtre, dans la régie des choses éventuelles que nous avons à traiter.
Mais encore, il faut lui demander sa bénédiction. La bénédiction de l’Éternel est celle qui enrichit. Ô hommes ! vous croyez tout mener, tout manier par vous-mêmes ; je crains que vous ne meniez mal et tout de travers : Je me suis tourné et j’ai vu que la bataille n’est point pour le fort, ni la course aux légers, ni le pain pour le sage, etc. 39 C’est DIEU qui donne à tout le bâton, pour me servir des termes de l’Écriture, c’est-à-dire, cette force secrète, cette bénédiction invisible et mystique, qui fait que les êtres sortent leurs effets et produisent ce qu’on en peut raisonnablement attendre de bon. C’est lui qui amène les circonstances heureuses ou malheureuses ; il maudit quelquefois les bénédictions même, c’est-à-dire, encore qu’il ôte, quand il veut, la force à qui l’aurait naturellement : Je maudirai vos bénédictions, et même je les ai déjà maudites 40. Enfin, vous voulez vous garder vous-mêmes et par votre propre prévoyance ; je crains pour vous encore que vous ne soyez très-mal gardé. Si l’Éternel ne garde la ville, celui qui la garde fait le guet en vain ; c’est en vain que vous êtes matinal et que vous vous couchez tard, etc. 41 Il faut donc demander à DIEU la prudence et sa bénédiction, même dans les choses de la vie qui sont de la sphère de notre raison.
Que le Lecteur qui voudra marcher droit se rappelle les deux remarques que je viens de faire, et en applique ce qu’elles ont d’applicable aux autres genres d’utilité de la raison que je vais parcourir. Par là, tenant le vrai milieu, et une religion solide, il sera également préservé du fanatisme et de l’impiété, des travers de ceux qui croient ou trop ou mal, et des travers de ceux qui ne croient rien.
Cependant il faut le répéter en finissant cet article ; la raison toute seule et envisagée en abstraction fourmille de défauts et fait une infinité de fautes dans les affaires même de la vie humaine, qui sont pourtant son vrai district. Tout ce qui n’est pas teint, détrempé de l’esprit de Dieu, en qui réside toute vraie sagesse, est défectueux et ne saurait se soutenir dans le bien. Il est défectueux dans son principe, puis qu’ainsi qu’on l’a vu au premier livre, la raison de l’homme n’est qu’un substitut très-inférieur à une lumière plus haute, et une sorte de débris et de dégradation de cette lumière divine, dont Adam, créé innocent, avait été gratifié. L’homme simplement raisonnable fera ses affaires, ou maladroitement pour lui-même, parce que l’intérêt, la passion l’aveuglent ; ou souvent injustement, pour ne pas dire ordinairement, à l’égard des autres. L’orgueil bat l’orgueil et est battu à son tour ; ce sont des couleuvres réciproques, données et rendues à avaler. L’ambition, féconde en faux pas, fait une infinité de martyrs : les concurrences sont dans la société d’éternelles et interminables guerres ; point de paix, d’union, si ce n’est un vil plâtre que l’amour-propre forme et détruit. La religion est de mise partout ; sans cet assaisonnement, sans ce sel divin, on ne fait rien avec la prudence divine, et on pèche contre soi-même et contre les autres. La propriété, fruit de la chute, ne veut point se mettre à leur place ; elle ne veut point de cette égalité de l’amour du prochain, ni de cette règle, de cette base immuable de toute bonne morale. Ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le-leur de même. Combien ne pourrais-je pas étendre ces réflexions ? hélas ! tout l’univers et presque tous les hommes en sont une perpétuelle preuve. Le fruit ne peut pas être meilleur que la sève qui le produit, et le Seigneur a dit : faites l’arbre bon et le fruit fera bon et l’inverse. Le vrai et grand remède à tous ces défauts qui se glissent dans les affaires humaines, et même le remède seul efficace, serait de s’accoutumer à l’acte réfléchi et intérieur de la présence de DIEU. Mais les hommes inattentifs, légers, passionnés, impatients de tout frein, ne veulent point de ce remède et de ce regard attentif à DIEU, qui les gênerait. Enfin, ce que je viens de dire confirme la nécessité d’un secours invisible, dans les affaires même qui en semblent le plus indépendantes, et où il paraît que l’homme se peut suffire à lui-même.
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CHAPITRE II.
Deuxième utilité de la raison. Les sciences humaines.
LE second genre d’utilité de la raison, c’est, ou ce sont, toutes les sciences naturelles ; et cette utilité est très-grande dans le système du présent siècle : car qui est-ce qui pourrait douter et des agréments et des avantages qu’une bonne philosophie et toutes ces sciences ont apportés et apportent tous les jours à la pauvre nature humaine ? L’utilité de l’histoire, de la géographie, l’utilité de l’astronomie pour la navigation, des mathématiques, de la physique, de la médecine sont connues, etc., etc. Combien encore de plaisirs et de profits nous ont apportés les beaux-arts, la sculpture, la musique, l’architecture, etc. Certainement sans toutes ces choses, l’homme serait réduit ici-bas, en quelque sorte, à la condition des brutes ; et c’est sans contestation pour tous ces objets que la raison qui l’élève tant au-dessus d’elles lui a été donnée ; car ces sciences et ces arts font proprement son district et le champ vaste dans lequel elle peut se promener à son aise et cueillir les plus belles fleurs.
C’est bien ici qu’on peut appliquer le beau mot d’un Païen,
In deliciis usque amamur.
Sénèque.
Toutefois encore ici, il ne faut pas s’abuser, ni remuer les bornes de chaque chose. Marchons avec prudence et la balance de la vérité dans la main, et sans outrer ni de part ni d’autre, nous apprécierons en équité. Rien n’est plus vrai que toutes les inventions des hommes, que toutes les découvertes utiles, que tout ce qu’il y a de réel dans les arts pour le soulagement de l’homme, que tout ce qu’il y a de grand et d’avantageux dans les sciences, que tout cela réclame DIEU pour son auteur ; DIEU, dis-je, qui semble alors cacher sa bienfaisante et secrète opération sous les forces et les facultés naturelles de l’homme. L’homme paraît y être tout seul ; c’est à son industrie, à sa sagacité, à sa pénétration, à son génie que ces choses semblent dues. Et c’est DIEU qui est, pour ainsi dire, non-seulement l’inspirateur caché, mais encore qui a marqué, dans le décret de son éternelle Providence et dans la profondeur de son conseil, le moment précis de toutes ces inventions et de toutes ces découvertes. Chacune succède et s’enfante au temps déterminé ; elles tiennent trop à la chaîne des grands évènements, et les moments de ces découvertes ont un rapport trop juste avec l’inflexion des choses humaines pour qu’on n’y voie pas comme à l’œil une direction particulière de la Providence d’un DIEU qui prend le plus tendre soin de ses créatures. Et remarquez encore qu’il est parmi les hommes une presqu’infinie variété de talents appliqués chacun à son objet. C’est DIEU de qui vient tout don parfait, qui non-seulement donne le bon esprit, mais encore tous les tours d’esprit différents qui ont aussi des objets divers. Si c’était la raison seule, sans être invisiblement dirigée, la diversité des talents ne serait pas si grande, ni si justement appliquée à tant d’utilités diverses, qui font ensemble une si grande beauté, et dans cette variété un tout si parfait.
Et comme il est, dans l’église de DIEU, nombre de ministères différents, dit l’Apôtre, de même dans l’ordre naturel de l’univers, il est une infinité de talents, d’instincts accordés pour l’utilité des hommes, pour remplir toutes les nécessités, pour faire enfin de ce grand corps un tout lié par les besoins et les secours réciproques. Il faut donc encore ici reconnaître une sorte d’inspiration naturelle, très-inférieure et différente de cette opération plus haute du saint Esprit dans le domaine de la foi et de la grâce. Et c’est ainsi que la Providence de DIEU concourt à ces objets naturels, non-seulement comme conservatrice des forces de l’homme qu’elle continue, mais encore comme directrice. Voilà ce qui vient de DIEU et de sa Providence, mais le mal qui s’y glisse vient de l’homme seul et de sa dépravation.
Et certainement s’il était quelqu’un qui osât réclamer contre cette vérité, je lui ferais honte par les Païens même ; c’est ici que vient encore cette belle parole de Sénèque : Magister ex occulto Deus, et tant d’autres qu’on voit répandues dans les livres de leurs Poètes et de leurs Philosophes.
Est Deus in nobis ; agitante calescimus illo :
Impetus hic sacrae femina mentis habet.
OVID. fast. Lib. VI.
Mais sans emprunter des Païens les appuis de cette vérité, nous avons de plus tranchantes et plus respectables autorités. Qui est-ce qui a donné à Betselaël et à Aholiab l’esprit d’artifice 42 ? comme parle l’Écriture, pour exécuter les ouvrages saints dont Moïse avait reçu l’ordre et le modèle des mains de DIEU même ? Combien voit-on de ces traits dans nos livres sacrés ? et sans les alléguer tous, qu’il nous suffise ici de rapporter le beau mot de saint Paul aux Colossiens, où les exhortant de retenir Jésus-Christ seul, tel qu’il leur a été enseigné, il ajoute qu’en lui 43 sont renfermés tous les trésors de la science et de la sagesse 44. Où allez-vous donc, hommes abusés ? Où courez-vous, pauvres philosophes ? C’est Jésus-Christ seul qui est la vérité ; c’est en lui seul qu’elle est contenue ; oui, la vérité universelle et toutes les vérités sont dans son sein. Ce que vous avez pris pour la vérité ne l’est point ; vous l’avez manquée, parce que vous l’avez cherchée par une raison offusquée, gâtée, et fière même de ses erreurs. N’avez-vous pas dédit dans l’automne de vos jours ce que vous pensiez au printemps ? Votre soir a-t-il ressemblé au matin ? N’avez-vous pas changé d’opinions comme on change d’habits ? Quel est ce choc qu’on entend, et quelle cette effroyable quantité de livres qui se battent ? quelles sont ces disputes acharnées, ces controverses éternelles, où chaque champion est à peine arrivé sur la scène, qu’il est terrassé par un autre qui va l’être à son tour ?
Opinionum commenta delet dies.
CICER.
Mais la vérité est une et ne se contredit jamais. Et sans nous amuser avec ces esprits, fiers même de leurs erreurs, achevons simplement notre raisonnement. Que si Jésus-Christ est l’auteur, la source, le père de toute vérité, soit transcendante, soit de celles qui ne sont qu’à temps et de circonstances, il faut nécessairement qu’il la donne, qu’il la transmette par son esprit à jamais inséparable de lui. Il faut donc encore reconnaître en lui des opérations diverses selon les degrés, et appropriées aux différents buts qu’il se propose ; une sorte d’opération cachée, qui est comme naturelle, et pour le Chrétien l’opération surnaturelle de la grâce. C’est-à-dire, qu’il est nécessaire, pour que l’homme naturel et simplement raisonnable le soit véritablement, il lui faut par intervalles ce que j’appellerais une régénération naturelle, distinguée de cette régénération surnaturelle de la grâce, qui met dans le domaine de la foi ; il faut que, de temps en temps, son horizon offusqué, et insensiblement chargé du nuage des passions, des habitudes, des préjugés qui se glissent et l’obscurcissent, soit nettoyé, par une secrète opération de cette lumière naturelle, qui se mêle à l’acte invisible de la conservation ; et renaissant, pour ainsi dire, de sa défaite, lui donne des moments lucides, qui écartent les ténèbres, comme on voit un éclair briller dans la nuit de la nature.
Aposita intortos extendit regula mores.
Mais sans m’étendre sur cette vérité, que tant d’hommes aveuglés n’apercevraient pas, il faut aller plus loin. Ce serait un beau spectacle, sans doute, que celui d’un homme dont, tandis que le cœur religieux brûlerait d’amour pour DIEU, l’esprit serait orné des sciences de ce monde. Il n’est pas besoin du dernier cas pour faire le Chrétien, mais celui qui réunit les deux peut être d’une plus grande utilité. C’est à cet homme qu’on peut appliquer les paroles de Jésus-Christ : Tout Scribe bien instruit dans le Royaume des Cieux tire son trésor des choses anciennes et des choses nouvelles. Les choses anciennes, c’est le trésor des sciences humaines, qu’une solide et heureuse éducation lui a procuré dans les états de sa première naissance, parce qu’elle tient au vieil homme et est la première en date ; et les choses nouvelles, ce sont les vérités divines de la foi, qu’il reçoit dans cette régénération, qui fait de lui un homme nouveau.
Que cet homme est heureux ! Il peut soutenir la vérité avec une force victorieuse, avec une dialectique triomphante. Un corps en santé tourne tout ce qu’il admet de nourriture en suc bienfaisant, et en chyle restaurant et doux ; tout sert à lui donner une vie vigoureuse et qui s’égaye en sa force. De même un Chrétien savant fait tout tourner au profit de la Religion ; il sanctifie, pour ainsi dire, toute la nature. Ce qui est à l’impie une odeur de mort est pour lui l’odeur de la vie, dont encore il embaume les autres, attirés par ce parfum exquis qu’il répand avec tant de charité et tant de force. Que cet homme est heureux ! Il sait transporter comme l’Israël de DIEU ces vases qu’il a dérobés aux Égyptiens, dans ce divin désert de la foi, qu’il soutient et fait triompher. Multumprodest viro philosophia si religione imbutus fit animus. Lactance. Que cet homme enfin est heureux ! Par la vérité supérieure que lui a donnée la régénération, il sait, semblable à l’habile et industrieuse abeille, trier et choisir, parmi le chaos de tant d’opinions, la vérité, qui y est comme noyée, et tirer de tant de sucs amers le miel le plus pur.
Mais qu’ils sont en petit nombre, ces hommes fortunés qui ont reçu au-dedans d’eux, et le Royaume de DIEU et sa justice, et tout ce qui est donné par-dessus 45 ! On ne voit presque que des cœurs qui tournent en poison les meilleures choses ; et on peut bien dire de celui qui s’engage dans le labyrinthe, le dédale des sciences :
Incedit per ignes
Suppositos cineri doloso.
Quel champ ! qu’il est vaste ! qu’il est magnifique ! Mais dans ce champ si beau, la frêle et éclatante rose n’y va point sans l’épine piquante et traîtresse ; l’aconit et la ciguë y sont toujours à côté des fleurs immortelles. Elles semblent semées sur le chemin ; mais on y marche sur des précipices toujours prêts à engloutir le malavisé voyageur qui, dans la sécurité, n’est pas perpétuellement en garde. Ô cœur de l’homme ! qui dépeindra ta malice ? Tu tires le poison de tout, et tu fais naître du sein de la plus belle mer des écueils contre lesquels tu vas te briser en étourdi et faire le plus triste naufrage. Il faut marquer quelques-uns de ces écueils seulement, parmi le grand nombre.
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CHAPITRE III.
Abus de la raison dans les sciences.
LES abus de la raison dans les sciences sont en effet innombrables. Et je n’ai garde d’en entreprendre la recension entière. Je ne parlerai ni de l’incertitude des connaissances humaines sur laquelle on a déjà tant écrit, ni des erreurs de tous les genres que les cerveaux des hommes enfantent, et mêlent avec un peu de vérité, ni des abus infinis de l’art de raisonner, et qui souvent rendent ce bel art si méprisable, ni, ni, ni, ni, etc. Je me bornerai à quelques réflexions sur les écueils qui m’ont paru les plus considérables.
Et premièrement, je trouve qu’on enfle beaucoup trop les avantages des sciences humaines. Les savants, à cet égard iniques appréciateurs, en relèvent trop l’importance aux yeux des ignorants. Quelquefois l’ignorance est heureuse, tandis que quelquefois encore la science n’est, pour un cœur corrompu, qu’un art d’affiner sa corruption, d’anoblir et de soutenir avec plus d’avantage le libertinage et le mensonge. Montaigne a dit dans son langage : « L’affinement des esprits n’en est pas l’assagissement. » C’est précisément l’histoire de ce siècle, vainement subtil et criminellement raisonneur. On en a actuellement des exemples sans fin. L’orgueil de ces hommes va de pair avec leurs erreurs, et l’entêtement marche de front en eux avec cet orgueil et ces erreurs. Cependant, sans nous trop arrêter à ce triste tableau, je mettrai un moment en regard l’un des affreux abus de la fausse raison dans les sciences, en prenant l’histoire pour un exemple entre tous. Qu’on compare la manière de l’écrire dans un Bossuet, un Rollin, etc., etc., avec celle de Voltaire ; le contraste est infiniment frappant. Dans ceux-là les évènements sont présidés par la première cause, et par cette adorable et éternelle Providence, qui veille à tout, et qui fait servir les causes secondes d’instruments aux desseins de sa sagesse. Un DIEU se trouve sous la plume de ces hommes, si j’ose m’exprimer ainsi ; sous celle de Voltaire il est banni, et l’univers va tout seul ; les causes secondes sont le seul DIEU des évènements. Nulle vérité chez Voltaire, dont pourtant à chaque page il atteste cette vérité pour colorer ses mensonges ; l’amour de la vérité, dont il se vante, n’est chez lui que l’amour des séductions et des impostures. Je le demande à quiconque n’a pas abjuré toute religion, et même seulement toute droiture, est-il une page, pour ainsi dire, où il ne jette son venin, et où il ne cherche l’occasion d’embrouiller tout ce qu’il y a de vraiment bon, utile et essentiel dans l’histoire ? Est-il une page où il ne cherche sourdement à ébranler la religion, à affermir l’impiété ? Qui est-ce qui pourrait jamais compter le nombre de ses ruses et de ses artifices, pour anéantir, s’il l’eût pu, cette religion sainte ? Toutes les couleurs que peut donner l’ennemi sont au bout de son pinceau.
Mais pour continuer, envisageons les savants par le cœur dont l’orgueil est une des grandes sources de leurs erreurs et des abus de leur raison dans les sciences. Chacun d’eux ne fait-il pas les plus magnifiques éloges de la faculté, du genre de science où il excelle ? Ils regardent en pitié, et avec un orgueilleux dédain, les ignorants qui n’y sont pas exercés. Les gens de lettres ne se plaignent-ils pas de ce qu’on n’a pas pour eux assez d’égards, qu’on n’honore pas assez, et eux, et leur art. Ne voudraient-ils pas être regardés comme de petites divinités ? Ici je ne me permets qu’un mot ; qu’on considère ces célèbres et fastueux académiciens..... même dans la conversation ordinaire et le commerce de la vie. L’orgueil perce par tous les pores.
Et n’est-ce donc pas avec la plus grande raison que le saint Apôtre a dit : La science enfle, mais la charité édifie. Que le grossier laboureur, sans lequel les savants mourraient de faim, serait à plaindre si cet étalage de tant de science était l’essentiel et si, hors d’elles, il n’y avait point de salut. Mais non, cet homme qu’ils ne regardent que comme un insecte rampant sur la terre, cet homme a un cœur ; que s’il a un cœur, il peut aimer Dieu, et sans fatras, sans science, sans discussions, sans s’égarer dans la vanité de ses pensées, après avoir bonnement fait tracer au bœuf son sillon, pour nourrir ceux qui le dédaignent, il peut, plein d’une foi simple, être porté dans le sein de DIEU. C’est là qu’il apprendra la vraie science, celle qui sait adorer dans l’éternité, celle qui est exempte d’erreur et des mensonges que les savants y mêlent ; celle qui, sur les ailes de la charité, élève l’homme à contempler les grandeurs de la Divinité, et la magnificence de ses œuvres, sans nuages et sans voiles. Mais hélas, où les trouve-t-on, ces laboureurs simples, droits, et à conscience pure et intègre ? Les passions ne sont-elles pas le malheureux partage de l’humanité, et ne se glissent-elles pas partout ? Toujours les mêmes dans tous les hommes, elles ne font que changer d’objets. Le savant méprise l’heureuse ignorance, heureuse, dis-je, lorsqu’elle est unie à un cœur pur, et l’ignorant se rit de ces savants qui se guindent si haut. Chacun a pour objet de son estime ce qui est pour lui la vérité ; c’est-à-dire, vérité selon sa prétention, et mensonge dans le vrai. C’était le mot de Pilate à Notre Seigneur, Qu’est-ce que la vérité ? Moi je ne connais de vérité que dans mes intérêts, dans ma splendeur, dans mon élévation et dans ma puissance. Ainsi, qu’on m’entende bien, chacun se fait sa vérité, c’est-à-dire dans le vrai, son mensonge et son idole. Les grands de la terre ont pour leur vérité la domination, le faste, les lambris dorés ; et le laboureur, son champ et sa glèbe ; à force de sillonner, de labourer sa terre, il s’y attache, il y prend une grossièreté qui, en lui, met couche sur couche, et se durcit, et qui, au lieu d’affiner sa raison, du moins, lui met de nouvelles bornes et la fait ramper.
Trahit sua quemque voluptas.
Que si la moralité de l’homme, si son âme intelligente n’était pas en même temps immortelle et destinée comme capable de rendre compte ; s’il n’avait ni créateur ni supérieur qui lui ait donné des lois ; si toute la scène était finie après sa conversation dans ce monde, et que la mort fût seulement son dernier pas vers le néant ; alors, sans doute, il n’y aurait, dans l’univers, rien de plus grand pour l’homme que les sciences et les arts humains, dont elles sont les mères. Mais après la cité d’ici-bas, il s’ouvre un nouvel ordre de choses, et le voile déchiré par la mort laisse voir la scène de la cité éternelle. Il faut alors être mesuré, essayé avec ce nouvel ordre, bien différent de celui que nos yeux contemplent. Il faudra voir alors si la science a détruit en nous ce péché qui nous tient sous le réat et sous l’éloignement d’un DIEU tout saint ; il faudra voir si la science n’a pas simplement fardé la misère dans laquelle nous naissons, et qui est notre fond ; fardé, dis-je, cette misère, au lieu de la corriger et la changer en la toute richesse qui est la possession de DIEU par le cœur. Il faudra voir si la science, qui nourrit le propre esprit, ne lui a pas défendu les approches de l’esprit de Dieu, par lequel il faut, dit l’Apôtre, que notre entendement soit renouvelé 46, et qui trouvant la place prise par ce tas de sciences, souvent vaines, ne perce point, et se retire gémissant. Il faudra voir si la science n’a pas donné à l’âme cette fausse richesse, qui la remplit d’elle-même, au lieu de cette pauvreté d’esprit 47 qui, seule, selon l’éternelle parole de Jésus-Christ, héritera le Royaume de Dieu. Il faudra voir si la science n’a pas été l’idole du savant et ne l’a pas rendu à lui-même sa propre idole ; s’il ne s’y est pas porté, je ne dis pas pour son plaisir, ce plaisir peut être légitime et doux, s’il est contenu dans ses bornes ; mais pour établir sa propre gloire, au lieu de la gloire d’un DIEU à qui elle est due toute entière ; mais pour devenir un prodige de réputation et de célébrité, pour faire dire aux autres, c’est lui, tandis qu’en son orgueil il dit lui-même, c’est moi ; et pour trouver dans ces vains applaudissements la vaine récompense de ses vains travaux.
La connaissance sera abolie, la science périra, mais la charité seule, dit l’Apôtre, subsistera à jamais ; et quand je parlerais le langage des hommes et des anges, quand j’aurais toute la science, si je n’ai pas l’amour de DIEU, je suis comme l’airain qui résonne, et la cymbale qui retentit 48.
Il faudra savoir alors si ces beaux vases qu’il a volés aux Égyptiens, si vantés pour leur sagesse, et loués même dans l’Écriture, il les aura transportés avec lui dans le désert de la foi, à laquelle toute science humaine doit être soumise, au lieu de l’étouffer ou de la dominer avec empire. Philosophia, je ne dis pas Theologia ancillans, mais Deo et Christo ancillans ; voilà mon mot. Il faudra savoir.... mais n’allons pas plus loin dans cette discussion ; car de combien de questions ne pourrais-je pas confondre ces superbes savants qui, tout en s’éloignant eux-mêmes du Royaume de DIEU, ne font souvent, par leurs vaines leçons, que d’en détourner les insensés qui courent après eux, au lieu de s’en tenir à la simplicité de l’Évangile, fait pour nourrir le cœur, et non une curiosité vaine ?
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CHAPITRE IV.
Continuation sur les abus ou dangers dans les sciences humaines.
EN second lieu, l’esprit que l’on hume dans les sciences, ce qu’on appelle esprit de discussion et d’analyse, cet esprit qui est nécessaire dans toutes les facultés philosophiques, est infiniment dangereux lorsqu’on l’ingère témérairement dans la religion et les divins objets de la foi. Et quand est-ce qu’on ne le fait pas ? L’esprit et le cœur du savant y jouent à l’envi sourdement ; ils se courbent à l’habitude de ne rien admettre que ce qui, selon leurs abusives prétentions, est évident. En vain on les avertit du péril, ou ils n’en croient rien, ou ils veulent bien le courir. Et que pourrait-il alors leur arriver sinon de faire, quant à la foi, le plus triste naufrage. Heureux encore, heureux du moins si ce naufrage les inquiétait, mais non, il les désembarrasse philosophiquement, méthodiquement, et en raisonnant, d’une foi importune. Alors l’ennemi tient sa proie sans qu’il y paraisse ; la raison, au lieu d’être soumise, triomphe de sa malheureuse victoire, elle se couronne de ses propres mains ; l’orgueil et l’amour-propre se nourrissent du plaisir insensé de penser que tout ce dont on ne voit pas la vérité, comme deux et deux font quatre, n’est que des contes de vieilles, faits pour endormir les enfants. Qu’il est doux, qu’il est flatteur, de croire qu’on pense mieux que ce vil troupeau du genre humain, qui se laisse bonnement bercer et repaître de choses ridicules et incroyables ! Voilà le portrait du cœur de ces hommes, voilà l’histoire de leur esprit 49.
Il y a longtemps qu’on l’a dit, pour être philosophe, il faut voir évidemment, mais pour être chrétien, il faut croire. Qui croit ne voit pas, qui voit ne croit pas. Le goût d’évidence ôte insensiblement le goût de la foi pure ; et l’évidence de la seule raison ne fut jamais l’esprit du Christianisme, si ce n’est dans les vérités d’une morale humaine, qui seules ne font point le chrétien et sont infiniment éloignées d’en former la réalité. Pour le chrétien, il faut bien autre chose que cette morale inférieure, il faut le mystère de Jésus-Christ et sa vertu réalisés en lui ; il faut son esprit qui attaque, crucifie le vieil homme, et établisse sur les ruines l’homme nouveau, comme on le verra dans la suite. Où seront les raisonnements de la logique, où seront les mesures des mathématiques, où sera le télescope de l’astronomie, pour arriver là ? Au contraire, l’esprit philosophique, par ses discussions, est en opposition au vrai mystère de Dieu, inaccessible à la raison dégradée. Le savant saura-t-il toujours se dire : voici ce qui n’est plus de la sphère de ma raison, et s’arrêter tout court, son orgueil ne tend-il pas à en grossir le domaine et l’empire ? Accoutumé à asservir les cieux, la terre, les êtres, l’univers à son calcul, il vient bientôt et tout naturellement à lui asservir aussi les voies d’un Dieu qui sont insondables, et à traiter de folie ce à quoi sa prétendue règle de vérité, prétendue, dis-je, dès qu’il la fait universelle, ne saurait atteindre. Le grand Fénelon a dit un mot qui n’est que trop vrai ; il appelle détestable l’esprit de géométrie : remarquez que ce n’est pas la géométrie qu’il qualifie de cette épithète flétrissante. La géométrie envisagée en elle-même est une science aussi utile que belle. À la vérité, pour le dire en passant, il n’est pas vrai, comme on le dit, que les vérités en soient éternelles ; il n’y a rien de transcendamment éternel que l’infini, dans lequel il n’y a ni dimension, ni mesure. Mais l’ordre des mathématiques s’est ouvert du moment qu’il y a eu des êtres créés, bornés, et dès qu’ils ont dû être créés.
Ce n’est donc pas la géométrie ni aucune des sciences philosophiques qui sont détestables, mais c’est le transport de l’esprit géométrique en des objets sur lesquels il ne peut ni ne doit avoir prise ; c’est l’application que tant de prétendus philosophes font de l’esprit d’analyse et de discussion à ce qui est trop haut pour lui et n’est nullement de son ressort. C’est l’habitude de chercher l’évidence en des choses où l’évidence humaine ne saurait atteindre et qui sont faites, non pour être saisies par la raison, mais pour la mettre à l’épreuve et pour la soumettre ; voilà le danger. Il y en aurait bien moins dans les sciences si on ne confondait jamais les domaines, si on n’en remuait pas les bornes ; et moins encore dans la raison de l’homme, s’il ne l’employait que là où elle atteint, s’il savait lui lâcher et serrer la bride, s’en servir et la contenir, la laisser agir où il faut et la faire taire, lui imposer un silence respectueux lorsqu’il est à propos.
Celsa sedet Eolus arce,
Sceptra tenens : mollitque animos et temperat iras.
Ni faciat, maria ac terras coelumque profundum
Quippe ferant rapidi secum, verrantque per auras.
. . . . . . . . . . . . . . .
Regem dedit, qui foedere certo
Et premere, et laxas sciret dare jussus habenas.
VIRG. Eneid. Lib. 1.
Mais quel est le philosophe attentif à ces bornes et assez avisé pour ne point les outrepasser. L’habitude de tout discuter devient une seconde nature, et cette habitude fait un combat perpétuel contre cette grâce qui seule donne la foi au cœur humble et démis.
Beaucoup de personnes religieuses sont surprises et affligées de voir tant de beaux esprits, tant de savants, de mathématiciens, de physiciens, etc., donner dans l’incrédulité. C’est un lamentable spectacle sans doute ; mais il faut les en plaindre et ne pas s’en étonner ; les causes en sont claires, et le malheureux effet en est pour ainsi dire infaillible. Ce serait au contraire un grand étonnement que ces gens là eussent cette foi véritable qui est un don de Dieu et de son pur esprit. Il faudrait qu’un miracle les préservât de l’écueil contre lequel, sans une grâce forte qui les maîtrise et les captive, pour ainsi dire, malgré eux, il est tout naturel et en quelque sorte inévitable qu’ils aillent se briser.
La Parole éternelle l’a prédit, et ses saints Apôtres ont tenu le même langage. Partout la sagesse humaine est foudroyée et introduite comme frappée d’aveuglement ; les passages en sont pour ainsi dire innombrables ; et quand nous ne compterions pas chez les uns le dégoût de la prière et des choses saintes, parce que l’esprit dont la capacité est bornée, amusé aux sciences qui sont sa passion, ne peut pas faire tant de choses, et séduit le cœur, qui va avec lui en sécurité et sans s’embarrasser de rien ; quand nous ne compterions pas en d’autres une corruption naturelle, à laquelle ils n’ont ni le temps ni la volonté de remédier et que même ils ne veulent point voir ; corruption que le Dieu de toute vérité sainte ne saurait honorer de son union ; en d’autres, un libertinage d’esprit qui les place à une distance immense de la grâce ; en presque tous enfin, pour ne pas allonger, un orgueil secret qui leur fait dérober la clef de la science pour en faire parade, pour affecter l’empire des lettres, orgueil auquel DIEU résiste ; quand nous ne compterions pas toutes les malheureuses causes et beaucoup d’autres qui ne sont que trop réelles, il est certain que les moins malavisés d’entre eux sont ici séduits par une apparence de religion même.
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CHAPITRE V.
Continuation du même sujet. Nouvel abus de la raison dans les sciences.
UN physicien est accoutumé à contempler, admirer les beautés de la nature, il est habile à la saisir, à en prendre l’opération sur le fait. Cet homme, à moins que son esprit ne soit dépravé et son cœur dans un renversement total, cet homme, ce savant remontera sans doute par l’ouvrage à l’auteur. Ne parlons pas ici d’athées, ils ne méritent pas qu’on les nomme ; mais parlons d’un savant, qui par l’œuvre remonte à l’ouvrier, qui, admirant le superbe spectacle offert à ses regards et à ses recherches, en prend occasion d’admirer bien davantage la grandeur de DIEU, dont la savante main a si bien disposé, arrangé tous les êtres. Il voit l’univers d’une grandeur qui l’étonne ; et il se forme de la grandeur de DIEU une idée qui l’étonne bien davantage. Il relève cette grandeur, il en parle dans ses ouvrages, il y mêle quelques réflexions, que j’appellerais d’une piété de raison ou d’une piété naturelle. C’est quelque chose sans doute, mais cet homme ne sait pas que la grandeur de DIEU, inaccessible à toutes nos pensées, ne se peut louer en nous véritablement que par le cœur qui s’y unit, et par un silence d’admiration plus énergique que tous les discours. Ô Dieu ! la louange t’attend dans le silence 50. C’est le beau mot de David : Que toute pensée cesse, que toute imagination se taise, etc. 51, c’est le mot du Prophète. Mais enfin ce savant qui croit en DIEU en célèbre par ses accents les grandeurs, en la manière qu’il les peut et qu’il croit le devoir. Voici maintenant, sous cette apparence de religion, le danger caché et pour lui-même et pour les autres.
Je dis premièrement pour lui-même. Accoutumé d’abord à contempler l’ordre constant, la beauté, les proportions de l’univers physique, les causes amener sans faute les effets, à envisager un système lié dont les parties concourent, il en est bientôt porté à conclure que rien ne dérange cette constance ; il regarde cet ordre comme immuable et les lois qui l’amènent comme des lois qui ne souffrent point d’exception. Il croira même, par cette pensée, relever encore la grandeur de DIEU, qui embrasse tout d’une seule vue, dont la marche majestueuse est toujours la même, et qui dans sa sagesse a une fois pour toutes établi des lois qui ne passent point. Dès là, cet homme est tenté de nier le miracle ; c’est un exemple pour tous. L’ordre qu’il admire en serait renversé ; et il ne sait pas voir que ce qu’il nie et qu’il exclut, fait, par le désordre apparent, la plus belle partie de cet ordre universel, et la plus utile. Il prend l’ordre physique pour le tout ; et il ne sait ni ne veut voir qu’il n’a été créé qu’en vue de l’ordre moral ; que comme l’homme est pécheur, il lui faut des évènements extraordinaires qui l’étonnent, le confondent et le ramènent ; qu’il faut enfin que le physique, la nature serve au domaine de la grâce, pour laquelle seule elle est faite. Que sais-je ? L’habitude de contempler, d’admirer des corps, donne à son âme, à cet égard, une certaine terrestréité qui l’empêche de s’élever à la vérité transcendante et totale. Et malgré toute la prétendue sagacité de ses recherches, il ne sait ni ne peut voir que tout le visible, le sensible, la matière, les corps, tout le physique, en un mot, encore que l’ordre y mette tant de symétrie et tant de beautés, que tout cela n’est point l’être véritable, n’est que la dégradation de l’être, que l’excrément de l’être.... Qui poterit capere capitat.
Ajoutez encore que l’univers entier ne peut pas se passer d’un maître ; que, créé de Dieu, il est inévitable qu’il en soit dirigé, par l’absolue impuissance de se conduire soi-même, et sans une puissance qui contienne les lois, même générales, dans leurs bornes ; et non-seulement il doit être dirigé, mais il l’est par la justice, et par cette sagesse qui fait servir l’ordre physique à l’ordre moral, qui en est le but et la fin. Bien plus, sa dialectique qu’il serait facile au savant d’appliquer à l’évidence morale, qui lui démontrerait la vérité des faits miraculeux, il ne la tourne point à cet objet ; il la jette sur sa science favorite, qui absorbe et ses raisonnements et ses pensées ; et sans discussion, son cœur déjà gâté, malgré l’apparence du bien, et son esprit abusé, nient le miracle. Voilà un grand pas vers l’incrédulité ; mais il n’est pas encore dans l’abîme, il y a seulement mis le pied, et voici comment il y descend.
DIEU se montre en quelque sorte plus grand, de la grandeur qu’entendent ces savants, de celle dont ils se forment l’idée, dans les œuvres de la nature que dans celles de la grâce. Si on ose le dire, dans la nature DIEU est grand, et dans la religion il est humble, oui, le souverain humble pour qui l’entend bien ; et cette souveraine humilité fait la vraie grandeur de Dieu, plus grand là en effet que dans toutes les œuvres de la nature ; si jamais, quoi que fasse un DIEU infini, il pouvait être plus grand ou plus petit que lui-même. Mais ce n’est pas la notion que ces savants se forment de la grandeur de DIEU ; au contraire, celle-ci étonne et déconcerte toutes leurs pensées. Comprenez maintenant, dans le progrès sourd de leur incrédulité, la manière dont ils achèvent le naufrage. Un DIEU qui a créé les globes, l’univers, un DIEU à la grandeur duquel nous osons à peine penser ; ce DIEU tout grand s’incarnerait, il se manifesterait en chair 52 ! il s’unirait à un être faible et chétif ; il deviendrait inséparable d’un homme qu’on crucifie, après avoir passé par l’enfance, les mépris, les rebuts, les opprobres, les affronts et tous les états les plus humiliants et les plus bas.... Ah ! c’est ici qu’échoue toute la sagesse humaine et toutes les vues de l’homme, à qui les voies d’un DIEU tout grand et tout humble sont inaccessibles ! Et c’est pourquoi cette sagesse humaine est chez St. Paul mise en opposition avec la folie de la Croix : Les Grecs cherchent la sagesse, mais nous, nous prêchons Christ crucifié 53. Elle est mise en opposition avec la loi même ; les Juifs veulent des miracles, mais voici le miracle des miracles, le Fils de DIEU attaché à la Croix, qui veut y attacher avec lui toute la race humaine, pour la punir, la purifier et la sauver.
Ces philosophes, abusés sur l’idée fausse de la grandeur d’un DIEU, ne voient pas que l’homme ayant donné dans l’orgueil de la rébellion en son chef, il fallait, ou que l’homme périt, ou que DIEU même devînt le souverain humble, pour expier cet orgueil de l’homme, qui attaque sa Majesté infinie. Ô moyen ! ô grandeur ! non, mon DIEU ! vous n’êtes jamais si grand aux yeux de vos enfants que lorsque vous daignez vous abaisser jusqu’à eux. L’homme ne pouvait plus s’élever à DIEU, il fallait que DIEU descendît jusqu’à lui. Voilà la vraie grandeur et tout ce qu’un DIEU en qui en réside l’infinité pouvait en montrer de plus fort à ses pauvres créatures. Il descend sans s’avilir, il s’abaisse jusqu’à l’homme, pour élever l’homme jusqu’à lui. Toujours grand en lui-même, toujours grand au-dehors, toujours DIEU, quel que soit le personnage qu’il fasse.
Mais, répétons-le ici, ce n’est pas le calcul de la sagesse humaine et des fastueux raisonnements des philosophes qui s’ancrent par principes dans l’incrédulité et dans leurs erreurs, et qui, tandis qu’ils mesurent les Cieux, ne savent pas mesurer l’infaillible besoin que des pécheurs comme nous avons de toute l’économie du Christianisme, pour nous ramener à DIEU, qu’ils croient trouver par le seul effort de leur esprit et qu’ils ne trouveront jamais.
Ainsi ils ne peuvent croire ce divin mystère de piété que l’Apôtre appelle si grand, sans contestation le mystère de piété est grand 54 ; et quel est-il ce tout haut mystère ? DIEU manifesté en chair. Ce DIEU dont ils adorent la grandeur dans la nature, ils ne savent pas en voir une plus haute grandeur encore dans ses abaissements mêmes ; il faut à leurs esprits superbes une grandeur superbe comme eux ; ils n’ont pas le goût affiné ni tourné à ce point de vue si digne d’occuper nos esprits et de les faire pâmer d’admiration et d’amour.
De là qu’arrive-t-il ? En punition de l’erreur née de leur orgueil, elle s’enracine et augmente ; alors ils veulent l’établir par principes et en faire d’indubitables maximes ; ils se croient obligés de montrer au genre humain que tout ce qu’il croit du Christianisme n’est que des fables. Ils sont vengeurs de la vérité ; ils mettent en fuite l’ignorance et la superstition ; il n’est point de religion que la naturelle. Ils croient même, dans leur aveuglement, rendre service aux hommes, de les tirer de ces petitesses incroyables et de ces pitoyables misères ; ainsi ils deviennent enfin séducteurs par principes et sous de spécieux prétextes. C’est ce qu’a dit le Seigneur : Le temps vient que ceux qui vous feront mourir croiront rendre service à DIEU 55. Voilà jusqu’où les pousse l’orgueil, et en punition un DIEU irrité qui les abandonne à leur sens réprouvé 56.
Que si la nature d’un écrit comme celui-ci ne m’imposait pas la brièveté, de combien de réflexions ne pourrais-je pas appuyer celle-ci et montrer, comme à l’œil, toutes les ruses du chef de l’abîme, qui se sert de ces hommes pour en faire des précepteurs du mensonge, dont il est le père, sous le masque imposteur d’ange de lumière, qu’il sait si bien prendre lui-même, et donner à ceux dont il a besoin, et qui sont alors les plus propres à étendre son empire.
On m’objectera qu’il est nombre de savants qui ne sont pas à ce taux. Eh ! nous serions bien misérables si l’ennemi pouvait tout enlacer dans ses filets. Oui, nous savons qu’il est beaucoup de philosophes qui reconnaissent le miracle, que beaucoup de métaphysiciens l’insinuent et le comptent dans l’ordre total de l’univers ; nous savons qu’il en est un grand nombre qui croient à l’Évangile ; mais il faut distinguer, comme je le ferai plus bas, la croyance de la vraie foi. On peut croire l’Évangile sans avoir cette vraie foi. Ce sera à eux à voir s’ils en ont les caractères, là où je les montrerai. En attendant, concluons, par rapport aux superbes incrédules, par le beau mot de S. Paul : Prenez garde que personne ne vous butine (c’est la force du mot de l’original) par la philosophie et par de vaines illusions, selon la tradition des hommes et les éléments du monde, et qui ne sont point selon Jésus-Christ 57. Voilà ce que disait S. Paul aux Colossiens ; voilà ce qu’il dit à toute la race humaine ; voilà ce qu’il dit à tous ceux qui veulent se hasarder sur l’orageuse mer des sciences ; et voilà enfin l’un des grands dangers de la raison envisagée par rapport à la philosophie 58.
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CHAPITRE VI.
Morale des incrédules.
MAIS remarquez encore l’imposture de ces incrédules, et comment elle est colorée, au point qu’il n’y a que ceux qui sont instruits à l’école de la vérité pure qui sachent s’en défier et la démasquer. Ces gens-là semblent élever les plus beaux édifices d’une morale séduisante et pompeuse. C’est le troisième des usages de la raison que j’ai annoncés, et c’est où se trouvent encore d’innombrables abus.
Il est sans doute à propos de sonder les droits et les devoirs en raison. À DIEU ne plaise que, trop désapprobateur, je fasse main basse sur le bon, même inférieur, comme sur le mauvais, et que, sous prétexte d’arracher l’ivraie, j’enlève le bon grain en même temps ! Le droit naturel est utile ; il sert de fondement à la morale humaine et aux devoirs réciproques, dont les seules forces de l’esprit humain peuvent démontrer la nécessité et la convenance. On a, des Païens, d’assez beaux traités de morale naturelle. Platon, Cicéron, Sénèque, ont dit, au fait des vertus que j’appelle du second ordre, de fort belles choses. Mais tout ce qui ne vient pas de Jésus-Christ directement ne saurait longtemps se soutenir, ni manquer de montrer son faible. Ces mêmes Païens ont apothéosé de grands vices ; ils n’ont fait qu’anoblir le péché ; c’est le mot de Saint Augustin, des péchés brillants ; ils ont manqué par le principe ; ils ont déguisé la pure vertu, à laquelle ils n’ont point pu arriver ; ils l’ont transformée en un fastueux héroïsme, aussi éloigné de l’humilité Chrétienne que les cieux le sont de l’abîme.
Vicit amor patriae, laudumque immensa cupido.
Et Sénèque le tragique :
Vivite fortes et cum lethaeos saeva per amnes
Vos fata trahent, iter ad superos gloria pandet.
Et encore :
Nunquam stigias fertur ad umbras, inclyta virtus.
Remarquez cet inclyta, il leur fallait la célébrité. La gloire, la réputation, l’estime des hommes, voilà le pivot sur lequel leurs vertus étaient posées.
Mais, sans nous arrêter aux Païens, qui ont tant et usé et abusé de la raison, venons au Christianisme. Il me semble que les Chrétiens devraient être fort sobres à faire des traités de morale, parce qu’outre que ce n’est pas la morale seule qui fait le Chrétien, comme je l’ai dit et le montrerai encore, ni la force de l’homme, ni son propre esprit, nous avons la pure, la divine, la céleste morale de l’Évangile, qui est bien une autre morale que tout ce que les hommes peuvent écrire, et tout ce que leurs cerveaux peuvent enfanter de plus beau. Hommes présomptueux, vous vous donnez bien des airs ; vous devriez savoir qu’un seul est notre docteur, et ne pas mettre vos leçons en ligne de compte, après que l’éternelle sagesse a elle-même parlé ! Car que font-elles, ces belles leçons, sinon de risquer des gloses téméraires, ou de contredire Jésus-Christ lui-même, ou enfin d’amuser le genre humain sous quelque apparence de bien, de le détourner de la divine simplicité de l’Évangile, de l’arrêter à une morale traînante, humaine, naturelle, inférieure, au lieu de le laisser aller directement et tout droit par l’Évangile et par la prière à cette grâce qui seule peut nous faire pratiquer véritablement nos devoirs. On donne beaucoup trop à présent dans ce qu’on appelle la morale. La vraie morale vient uniquement de la grâce ; il n’en est point sans elle ou, tout au plus, une morale ou fausse et abusive, ou stérile et impuissante. Jamais nous ne pouvons fidèlement pratiquer nos devoirs que par le pur principe de l’amour de DIEU, que nous donne son esprit, et non toutes les forces de l’homme. Voilà le principe, la source, la seule sève du bon fruit. Il faudrait le gagner, cet amour, au lieu d’en disserter sèchement, le gagner, dis-je, par la démission, l’humilité, l’oraison, et en se nourrissant de la moelle, de l’onction des écrits sacrés, au lieu de les étouffer sous un tas d’écrits tout humains.
Mais ce n’est pas là le compte des incrédules modernes. C’est ici encore que l’on voit l’une des grandes ruses de l’ennemi. De la même main sacrilège dont ils osent s’en prendre à Jésus-Christ, ils cherchent à faire des élixirs, des quintessences de vertus affinées, anoblies, filtrées à travers leurs cerveaux déréglés. Et pourquoi croyez-vous que ces hommes sans foi cherchent à si bien tailler leurs plumes, à écrire de si séduisants morceaux de morale, à élever des statues en apparence si belles, mais qui, hors de Jésus-Christ, ne sont que des colosses monstrueux ? C’est parce qu’ils sont intéressés à faire les moralistes ; c’est afin de se faire applaudir comme des hommes vertueux ; c’est afin que les Princes les considèrent comme de vrais et utiles citoyens, et pour les séduire eux-mêmes ; c’est afin de se faire envisager comme des pièces nécessaires à la société ; c’est afin de pouvoir élever autel contre autel, celui de l’impiété, sous l’apparence de vertu, contre l’autel, seul non idolâtre, celui où on sert Jésus-Christ ; c’est afin de faire dire : ces hommes qui sont incrédules ont pourtant une belle morale ; et de faire conclure qu’on peut très-bien se passer de Christianisme, et que la société est très-bien ordonnée sans lui ; c’est afin de séduire par là une infinité d’insensés, qui s’affolent de ces idoles et de ces hommes à prestige qui, à force de faux bel esprit et de style, entraînent tout dans le tourbillon de leur incrédulité si bien masquée. Hélas ! hélas ! il n’est pas jusques dans le sanctuaire même où l’on ne trouve de ces pauvres abusés qui, courants après la belle phrase, ne savent pas voir le venin caché sous les fleurs, et sont les apologistes de gens dont ils devraient avoir les écrits en horreur. Ô hommes ! jusques à quand ignorerez-vous que l’Évangile n’est pas seulement un système de morale dans le sens que vous l’entendez, mais une leçon vivante de régénération et de vie intérieure et cachée en DIEU 59 ; qu’il est lui seul l’occasion et le témoin extérieur de cette grâce, seule capable de vaincre notre corruption inhérente ; que ce n’est pas seulement les devoirs extérieurs pratiqués tellement quellement, mais le vieil homme, attaqué jusques dans ses volutes, ses tortuosités, cherché en nous jusques dans ses réduites et les profondes cachettes où il se tient, inaccessibles aux yeux de la nature, et d’une raison impuissante ? Jusques à quand ignorerez-vous que le Christianisme est l’œuvre du Saint Esprit, et non d’une raison qui ne peut jamais émonder que les dehors : du Saint Esprit, dis-je, qui perce, pénètre jusqu’aux dernières divisions de nos cœurs désespérément malins 60, comme dit l’Écriture ; une fois apprenez que le Christianisme est la pure lumière, qui nous montre notre immense misère, et non la fausse richesse d’une morale humaine, annoncée, vantée, et très-mal pratiquée par ces hommes, qui ne fait que la farder, et dérober ainsi la connaissance de l’ulcère qui ronge tous les enfants d’Adam et que le seul esprit de Dieu peut guérir. Apprenez qu’il n’est aucune vraie morale que l’amour de DIEU 61, non pas pompeusement décrit par des plumes qui ne sont pas seulement païennes dans le bon sens, mais gravé réellement, et par une touche ineffaçable, sur le cœur. Apprenez une sois que c’est la grâce seule qui, nous mettant en charité, nous fait alors pratiquer tous nos devoirs par une suite inévitable de l’amour de DIEU ; que la vraie morale et toutes nos vraies œuvres sont le fruit partant de cette sève, et non point un édifice que puisse bâtir l’homme seul, et qui puisse subsister indépendamment. Et ce n’est pas même par les œuvres de la charité, ni à cause d’elles proprement, que le Chrétien sera sauvé, mais par la charité elle-même, qui lui donne la divine vie de Jésus-Christ, qui seule est éternelle. Tout comme ce n’est pas le fruit qui fait vivre l’arbre, mais bien la sève qui le produit. Le fruit est l’inévitable effet de la bonne sève, mais il n’en est pas le principe. Le Chrétien est l’homme du monde le plus moral, le plus social au-dehors, ou plutôt il est le seul vrai moral, mais il est encore au-dedans Chrétien de surcroîts, c’est-à-dire uni à Jésus-Christ, qui lui applique la vertu réelle et effective de sa mort et de sa résurrection. Allez, hommes insensés, et trouvez cela, si vous le pouvez, dans tous ces coryphées de la morale et de l’impiété, architectes de l’abîme, et non de la cité éternelle, qui a pour fondateur Jésus-Christ, et pour architecte son Esprit.
Ces déistes, qui affectent la théorie d’une morale en apparence si belle, cherchent donc alors à triompher ; ils disent : « Nous pouvons bien nous passer du Christianisme ; nous n’avons pas besoin de ce fanatisme ; nous sommes citoyens et hommes moraux ; quelle nécessité avons-nous d’autre chose ? » Abus et imposture ! Et moi je leur dis en face qu’ils ne peuvent être ni vrais citoyens, ni hommes véritablement moraux ; et moi je leur dis avec tous les croyants : c’est le Chrétien seul qui est citoyen ; c’est lui seul sur la moralité de qui on peut s’assurer. La société ne peut ni ne doit se passer d’eux, mais elle peut très-bien se passer d’une peste comme eux, qui dérange les cerveaux, qui veut renverser ce qui est établi, ébranler la base de la foi, affermir l’impiété, et faire la guerre à cet esprit qui, seul, étant le lien de la divine charité, l’est seul de la vraie sociabilité 62.
On pardonne à un païen, qui ne connaît rien de plus haut, de s’en tenir aux vertus naturelles ; s’il leur est fidèle, si sa raison est droite, il est alors dans son ordre ; mais ceux qui, dans le sein du Christianisme, veulent ramener ce paganisme usé, nous les appelons, sans façon, des profanateurs, qui font la guerre à DIEU, et qui vont (et on en a à ce moment la plus lamentable preuve), qui vont, dis-je, à tout bouleverser dans la société.
Le grand protecteur et disséqueur des insectes, Mr. de Réaumur, avait une fois assemblé quatre-vingt mille araignées ; il voulait tenter d’en tirer de la soie. Le résultat en fut le carnage et la destruction ; elles se massacrèrent toutes. Image infiniment juste. Je voudrais bien qu’on mît ensemble quatre-vingt mille déistes ; qu’on assemblât les Voltaire, les Rousseau, les Buffon, les d’Argens, les Toussaint, les Diderot, les Helvétius, les Schafburi, les Bolingbroke, les, les, les, etc., on verrait beau jeu. Vous verriez la belle soie que ces araignées vous fileraient. Vivants parmi les Chrétiens, qu’ils regardent comme leurs ennemis, et par conséquent en des circonstances où ils seraient intéressés à s’accorder, ils ne le peuvent. L’orgueil et les passions se heurtent, et font leur éruption. Ils ont des disputes honteuses, qui recèlent leur bassesse. Que serait-ce, s’ils vivaient ensemble, dans une société à part ? Mais non, ici je m’abuse. Quoique l’orgueil et les passions les mettent entre eux dans une guerre perpétuelle, du moment que ces passions et cet orgueil sont mis le moins du monde à l’épreuve, et excitent leur irritabilité ; il est un point dans lequel ils sont parfaitement d’accord et en concours : c’est de renverser des mêmes mains l’encens dû à DIEU et le diadème, les sceptres et les autels : voilà leur point de réunion.
Les Chrétiens se disputent aussi, j’en conviens, ah ! ils ne se disputent que trop, mais ce n’est pas comme Chrétiens, c’est parce qu’ils ne le sont pas, au lieu que les déistes se déchirent précisément parce qu’ils sont déistes, et que là où la foi manque, qu’est-ce qu’il pourrait y avoir, sinon les divisions de l’orgueil et des passions ? Voilà ce que c’est que la vertu sans religion ; l’une ne peut aller sans l’autre. Ce n’est qu’une fausse vertu qu’on peut en séparer 63. Tels sont donc, à l’égard de la morale et des vertus naturelles insuffisantes par elle-même, les usages et les abus de la raison.
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CHAPITRE VII.
Usage de la droite raison. L’évidence morale, qui fonde la persuasion à l’Évangile. Distinction entre les vérités évidentes et les vérités certaines.
IL est encore un quatrième usage de la droite raison. Lorsqu’elle veut en bonne foi se servir de ses forces, elle peut arriver à la croyance de l’Évangile ; je dis croyance, et non pas foi, deux choses fort différentes, et qu’on confond si souvent toutefois. Je les mettrai bientôt en opposition, afin qu’on voie jusqu’où, à cet égard, la raison peut arriver, et ce qui lui est inaccessible. Ainsi l’on discutera ici l’un des plus grands usages de la raison, et tout, en levant les équivoques, ce à quoi son exercice peut s’élever de plus heureux et de plus haut.
Imaginez un esprit droit et sincère. Cet homme, né dans le Christianisme, veut savoir à quoi s’en tenir ; il examine, il pèse, il tourne ses réflexions sur la vérité ou la fausseté de la religion qu’il voit professer. Je dis de cet homme que s’il fait ses recherches avec franchise, par sa seule raison, et par les seules forces de son esprit, il peut arriver à ce que j’appelle la croyance à l’Évangile, c’est-à-dire, à une persuasion raisonnée et philosophique que l’Évangile est divin, et que Jésus-Christ, dont il contient la religion et les préceptes, a été véritablement l’envoyé de DIEU ; et je dis hardiment de quiconque s’aviserait de faire cette recherche, et n’arriverait pas à cette conclusion indubitable, ou qu’il n’a pas la cervelle bien étoffée, ou que ses passions ont mis le nuage sur cette vérité simple, ou le libertinage de l’esprit ; ou enfin qu’il s’est roidi contre l’évidence, parce qu’il a intérêt de ne pas croire à une religion où on rend compte, et où toutes nos actions sont de conséquence.
Je viens de dire évidence ; pour éviter l’équivoque, il faut distinguer, quant à l’esprit humain, deux genres d’évidence, une évidence que j’appelle mathématique, comme deux et deux font quatre, et une évidence morale. Celle-ci, qui a pour objet des faits non vus de nos yeux, tire sa force et sa certitude des facultés morales de l’homme ; et voilà pourquoi on l’appelle morale ; c’est-à-dire, dépendante et suite de ce que l’homme est un être qui a de la raison, une intelligence, une volonté, une liberté, une conscience et un intérêt à lui-même. Cette évidence morale peut acquérir, selon les cas, une force invincible, et même une certitude absolue ; tellement que toute personne droite et dans son bon sens ne pourra pas ne pas croire ces faits ; il faudrait auparavant lui ôter l’esprit et la faculté de raisonner, c’est-à-dire, la dénaturer et lui ôter l’humanité.
C’est en procédant par l’évidence morale et en calculant tous les degrés de crédibilité que tant de bons écrivains sur la vérité de la Religion Chrétienne (dont, sans contestation, Abbadie est le premier) ont invinciblement prouvé cette vérité, par une démonstration, non pas mathématique, mais toute aussi forte, en son genre et dans son ordre, que le peut être une démonstration mathématique dans le sien.
Les faits ne comportent pas la même évidence que les vérités mathématiques ; mais il est à ces égards deux genres d’évidence ; ils sont, quoique différents, également forts, chacun de la force qui lui est propre. Un homme qui exigerait, sur un fait qu’il n’a pas vu, la même manière de démonstration, le même procédé, les mêmes principes dont on se sert pour prouver que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits, serait un fou qui ne mériterait aucune réponse.
Mais lorsqu’à un homme sage et raisonnable, à un homme dans son bon sens, et qui veut s’en servir, lorsqu’on prouve à cet homme un fait qu’il n’a pas vu, par tous les indélébiles caractères du témoignage le mieux revêtu de tous les degrés et de toutes les marques de crédibilité ; je dis que cet homme est forcé de renoncer à sa raison et à son sens naturel, ou de croire ce fait qu’on lui annonce ; de le croire, dis-je, avec une certitude et une persuasion tout aussi grande, ni plus ni moins (quoique de différent genre), que je fuis forcé à croire qu’en arithmétique deux fois deux font quatre : ce sont deux vérités aussi vraies l’une que l’autre, et qui doivent être aussi fortement crues. Les vérités mathématiques ne sont pas plus vérités que les vérités du témoignage. Dès que j’ai une raison, je m’en sers pour adopter les unes, et je m’en sers pour adopter les autres. On m’a démontré, et je me fuis assuré par moi-même, que le carré de l’hypoténuse est égal aux deux autres carrés, etc., j’en suis très-sûr. Mille voyageurs m’ont dit qu’il y a une ville de Londres, que je n’ai jamais vue ; les histoires, les gazettes en parlent, et le supposent ; j’en suis très-sûr encore ; je n’en ai pourtant pas l’évidence, mais j’en ai la certitude pleine, entière, parfaite, en un mot. Et voilà comment il faut, non confondre, mais distinguer ces deux genres de vérités, vérités évidentes et vérités certaines. Et je ne puis ni ne dois plus refuser mon acquiescement à l’un de ces ordres de vérité qu’à l’autre.
Il est donc des vérités certaines et des vérités évidentes. La nature des unes, c’est la certitude du fait, et la nature des autres c’est l’évidence, quant à notre manière de concevoir. Et ces deux ordres de vérités sont tous les deux accessibles à la raison, qui en peut faire un merveilleux usage. Mais brouiller ces deux ordres, les sortir, pour ainsi dire, d’eux-mêmes et de leur suite, vouloir ingérer l’un dans l’autre, ce serait absolument déraisonner et remuer les bornes établies ; ce serait vouloir rentrer dans le chaos, dans le pays de la non-intelligibilité, et dans la nuit ; ce serait tout bouleverser et tout confondre. Je dois donc, soit pour l’acquiescement de mon esprit, soit pour ma conduite et ma pratique, être aussi content, aussi satisfait du genre de preuves qui s’emploient dans les faits et dans l’évidence morale que je le suis dans les mathématiques des preuves qui sont de leur ressort. Et je dois recevoir les vérités certaines, quoiqu’elles ne soient pas évidentes, tout aussi bien, et ni plus ni moins, que je dois recevoir les vérités évidentes par elles-mêmes. Je me suis un peu étendu là-dessus, parce que c’est une des équivoques que font les incrédules en confondant ces deux choses.
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CHAPITRE VIII.
Courte démonstration morale de la divinité de l’Évangile.
ALLONS plus loin maintenant. On m’a dit et attesté que Jésus-Christ est ressuscité ; je ne l’ai point vu ; et cette vérité, qui est un fait, ne m’est pas évidente par elle-même, ni ne me peut être démontrée en la manière qu’on me démontre l’algèbre. C’est pourtant un fait très-important à discuter, parce qu’il tient à la plus intéressante des chaînes. Tellement que ce chaînon, ou lié ou rompu, est de la plus grande suite et d’une conséquence infinie. Si Jésus-Christ est ressuscité, tout l’édifice de la Religion repose sur sa base, et encore sur une base immuable ; s’il n’est point ressuscité, la Religion Chrétienne tombe d’elle-même ; parce qu’encore qu’elle soit d’ailleurs de la plus grande beauté, il ne faut pas que, pour une Religion Divine, il y ait le plus petit endroit à percer, ni qu’elle ait pour auteur un homme qui ne fût pas ressuscité, après avoir dit et déclaré qu’il ressusciterait. Aussi voyons-nous que les Apôtres font plus d’une fois dépendre de ce seul point l’acquiescement aux vérités et à la divine Religion qu’ils proposent.
Que ferai-je donc ? Je n’ai pas vu ; je ne puis pas me démontrer ce fait mathématiquement ; je n’ai pas cette foi qui n’a aucun besoin de preuves ; je suis encore dans ma seule raison, à qui il en faut, et qui ne peut être satisfaite et se nourrir que de conviction. Comment procéder et instituer mes recherches ? La seule ressource qui me reste, mais ressource parfaitement appropriée au cas, c’est d’examiner si, n’ayant pas vu moi-même, je ne pourrais pas avoir vu ce fait si intéressant par les yeux des autres, et cela, avec un ordre de certitude aussi grand, aussi parfait qu’est l’ordre de certitude que je tirerais de mes propres sens. Tellement que je puisse dire : je suis aussi assuré qu’il est des personnes qui ont vu réellement ce fait miraculeux, que je suis assuré de voir de mes yeux bien ouverts le papier sur lequel j’écris.
Douze personnes, sans compter un très-grand nombre d’autres, ont déclaré que le fait est vrai. Ces hommes ont des yeux, et c’est tout ce qu’il faut pour cela ; ils disent l’avoir vu de leurs yeux, et même y avoir employé plus d’un sens ; ils ont vu et touché : Ce que nous avons vu de nos yeux et touché de nos mains, du Verbe ou de la Parole de vie, nous vous l’annonçons 64. Voilà où commence la crédibilité ; c’en est du moins un degré, un premier échelon. Ce témoignage réveille mon âme, et lui doit du moins faire mettre en question ce fait, et l’appliquer à le discuter. Que sais-je si ce petit filet d’eau sera étouffé dans sa source, ou s’il ne sera pas grossi dans sa course par une infinité d’autres filets, qui s’y joindront, et qui enfin feront avec lui un fleuve majestueux, au courant duquel il n’y a pas moyen de résister, et sur lequel, entraîné par sa force, je pourrai voguer à pleines voiles, et naviguer avec autant d’utilité que de certitude ?
Ces douze hommes et ces beaucoup d’autres attestent ce fait hautement ; ils le crient avec toute la force dont ils sont capables. Deuxième degré de crédibilité, qui, mis avec le premier dans la balance, commence déjà à servir de contrepoids aux raisons de ne pas croire, tirées de l’extraordinaire de ce fait et de ce que d’autres, qui ne l’ont pas vu, le nient en aveugles.
Ces douze hommes qui attestent hautement ce fait sont des hommes qui, par leur caractère et par leur état, naturellement, n’auraient pas imaginé, à supposer le fait faux, une aussi audacieuse imposture. Troisième degré.
Ceux qui nient le fait ne peuvent pas en avoir vérifié l’imposture ; ils sont capables de s’acharner contre la vérité de ce fait ; il est même naturel qu’ils le fassent, quand même ils le croiraient vrai, par une suite de leurs procédés et de la passion qui, naturellement, ne doit pas vouloir démordre ; et parce qu’ayant malicieusement crucifié Jésus-Christ, il est de leur intérêt, ou que le fait de sa résurrection ne soit pas vrai ; ou s’il est vrai, de le nier effrontément à bon compte, de peur que l’univers entier ne les accuse de déicide. Voilà une raison négative qui grossit le poids des degrés de crédibilité. Afin d’abréger, je ne les dirai pas toutes ; j’en donne un seul exemple, et j’en avertis ici une fois pour toutes.
Ces douze hommes se montrent en tout et partout des gens de bien ; ils parlent de DIEU magnifiquement, et publient des choses aussi hautes que nouvelles ; ils sont simples, et sans fard ; ce sont de pauvres pêcheurs ; leurs récits sont ingénus, et ont un ton de candeur, une teinture de sincérité, et en même temps, d’une onction divine, qui en imposent et forcent le respect. Quatrième degré de crédibilité.
La progression des idées se fait, les poids augmentent, et avec eux la curiosité d’approfondir la vérité. Il faut tenter l’aventure jusqu’au bout. Ici l’esprit est encore un peu en suspens ; il faut avoir de quoi rebrousser, quitter la recherche, ou se déterminer tout-à-fait.
Ces douze hommes, si le fait est faux (ce qu’ils savent infailliblement, parce qu’ils sont sûrs, ou de l’avoir vu, ou de ne l’avoir pas vu), n’ont aucun intérêt, quelconque, à l’attester pour vrai, ils n’y sont engagés par aucun motif de quelque espèce et de quelque nature que ce soit ; or le soutenant, ils le soutiennent sans aucune raison d’amour-propre recourbée sur le moi ; rien ne les y engage, ne les y pousse, ne les y contraint. Cinquième degré de crédibilité.
Ces douze hommes, au contraire, supposé le fait faux, ont le plus grand de tous les intérêts, le principe d’impulsion le plus fort, le ressort le plus puissant, pour ne pas le soutenir. Leur calcul autrement serait le plus insensé de tous les calculs. Ils n’ont aucun bien, aucun avantage, aucune récompense, aucun dédommagement à attendre ; ils n’y gagnent rien, mais ils perdent tout, biens, crédit, honneur, réputation, vie douce et tranquille, pour courir en fous aux opprobres, aux affronts, aux rebuts, à la persécution, à la fureur des tyrans, au supplice. Sixième degré de crédibilité.
Enfin ils meurent tous, non pas seulement en soutenant, mais précisément pour soutenir la vérité de ce fait. Septième degré de crédibilité.
De combien de réflexions ne pourrait-on pas nourrir cette démonstration morale ? Mais ce n’est pas mon but ici, et je ne fais qu’achever le raisonnement. Pour l’invalider, il faut supposer des hommes qui n’ont ni yeux, ni âme, ni intelligence, ni intérêt à eux-mêmes, ni amour-propre, pour qui les biens et les maux ne sont que des noms, ou plutôt pour qui le bonheur est malheur, et les plus affreux des malheurs, le plus grand bonheur, sans but, sans raison, sans idée, sans raisonnement ; il faudrait faire de ces hommes des êtres qui ne sont point hommes, qui sont exactement l’opposé de l’homme, plus brutes que les brutes, plus barbares envers eux-mêmes que le tigre ne l’est à sa proie. Il en faut faire enfin des êtres renversés et dénaturés, qui courent, contre tout sens, à tous les maux de l’humanité, pour les terminer par un plus grand mal encore, le plus affreux des supplices, et encore supplice juste et bien mérité. Trouvez, si vous le pouvez, ces caractères-là dans les écrits des Apôtres.
Je défie l’univers d’invalider au tribunal d’une droite raison la force de cette démonstration. Mais, comme l’a dit Pascal, l’incrédulité n’a jamais assez de preuves, et la foi n’en a pas besoin. Remarquez qu’il ne dit pas : une droite raison n’a jamais assez de preuves ; non ; elle est satisfaite, contente, lorsqu’elle a l’évidence morale ; mais c’est l’incrédulité qui, comme l’abîme d’où elle sort et où elle est destinée à rentrer, ne dit jamais, en fait de preuves, c’est assez. C’est cette pente d’un esprit fier et libertin et d’un cœur corrompu qui assemblent tous les nuages pour en offusquer le jour brillant de la vérité, et qui se roidissent contre les preuves les plus claires. Voilà ce qui n’a jamais assez de preuves ; mais ce n’est pas la faute des preuves elles-mêmes ; tout comme ce ne serait pas la faute du soleil, s’il n’éclairait jamais un homme qui aurait juré de fermer les yeux, et qui, en effet, ne les ouvrirait jamais à sa lumière.
Mais quoique je ne croie pas que rien puisse affaiblir cette démonstration, je n’ai pas prétendu en donner une de la Religion Chrétienne ; si c’eût été mon dessein, je l’aurais étendue bien davantage ; j’ai seulement voulu faire voir l’un des grands usages d’une raison droite, et montrer que je sais distinguer ce qu’elle peut avoir d’utile, des abus énormes auxquels on la fait servir. J’ai voulu y montrer l’un de ses plus grands, de ses plus nobles, et le plus heureux de ses exercices. Car en quoi pourrait-elle s’exercer plus heureusement qu’à pénétrer l’homme de la vérité de la Religion ? J’ai voulu y montrer enfin jusqu’où peut aller le plus haut degré de ses forces 65. Mais avant que de montrer le point précis où ces forces n’atteignent point, et par conséquent où elle doit s’arrêter, et pour ainsi dire se surpasser elle-même, appuyons sur le très-douloureux spectacle de l’obstination des déistes, dont la clarté, la solidité victorieuse de cette preuve morale ne peut vaincre l’incrédulité. Les causes n’en sont que trop nombreuses, et l’effet que trop malheureux et certain. Et c’est ce qu’on verra dans le livre suivant où on réfute aussi leurs principales objections.
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LIVRE TROISIÈME.
Digression. Des causes qui, dans l’esprit des incrédules et des mondains, énervent la force de l’évidence morale, et en font avorter le fruit. Objections des déistes réfutées.
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CHAPITRE PREMIER.
Première cause. L’inattention, la légèreté et la dissipation perpétuelles dans lesquelles vivent la plupart des hommes.
LES causes : d’abord, la corruption et les passions, sans doute. Mais, sans nous en tenir à des réflexions vagues, et tant de fois répétées, allons à la source du mal et, en la creusant, nous ferons l’histoire de ces hommes et de la funeste incrédulité qui les dévore. On peut en général partager ces incrédules en deux classes : ceux qui refusent tout examen, et ceux qui examinent, ou qui, du moins, en font le semblant. Dans les premiers, ou ceux qui n’examinent point, la source de leur négligence vient de plusieurs causes, ou de l’une d’elles. Il est des hommes stupides et qui, vivants à la manière des brutes, n’ont quasi de l’homme que la figure : je n’en parle pas. Il en est d’autres qui, moins brutaux, sont toutefois dans une insouciance de leur sort, dans une indolence et une léthargie assurément déjà bien criminelle. D’autres n’examinent point ; parce que distraits par des occupations ou des plaisirs qui les absorbent, auxquels la passion, les livrant tout entiers, leur donne l’inattention pour tout ce à quoi ils n’ont pas légué leurs âmes. Ces deux derniers cas se sont réunis dans le célèbre La Fontaine, qui, jusqu’à peu de temps avant sa mort, où le réveil vint, et avec lui le remords, avait vécu toute sa vie sans foi et sans doute, sans croyance, et sans incrédulité, et dans l’indifférence à l’égard de la Religion. Sa raison, qu’il avait mise toute entière dans ses fables, et malheureusement son esprit à ses contes, absorbait, engloutissait tout autre point de vue, et toute recherche. Il vivait au jour la journée, moins criminel, toutefois, que ces hommes séducteurs dont je parlerai plus bas, qui, hérauts de l’incrédulité, cherchent à y entraîner les simples avec eux. Il n’est personne qui ignore le mot de Racine le fils.
La Fontaine en gémit, à ses remords rebelle,
Sa main sert, malgré lui, sa plume criminelle.
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Vrai dans sa pénitence, à la fin de ses jours ;
Du Juge, qui s’approche, il prévient la justice ;
Et l’auteur de Joconde est armé d’un cilice.
C’est ainsi que se vérifie, en la plupart des hommes, le mot de la sagesse éternelle, sur le Royaume de Dieu, semblable à des noces auxquelles elle les invite ; tous refusent, et chacun pour aller à son trafic intérêts, à ses affaires, à la figure du monde 66. Voyez l’évaporée jeunesse ; à peine a-t-elle ouvert les yeux à la lumière, à peine ses premiers pas sont affermis, qu’ils ne veulent marcher qu’avec le monde ; sa légèreté lui en fait parcourir tous les objets, semblable au volage papillon, qui va de fleurs en fleurs ; une éducation, ou nulle, ou effleurée, ou toute mondaine ; la négligence de ses parents, indifférents eux-mêmes à l’égard de la seule chose importante, moyennant que leurs affaires aillent bien, et qu’ils puissent tourbillonner dans l’intérêt, l’amour-propre, ou les plaisirs. Cette négligence pour eux-mêmes se porte sur leur postérité et lui en donne en même temps le funeste modèle. Point de dévotion domestique, nul exemple de piété ; des instructions qui, pour faire un mélange de mondanité et de religion, sont absolument manquées. Le subtil poison des romans ; les vertus théâtrales, ces vertus païennes, toutes rentrantes dans un faux amour-propre, pétries, mêlées d’impuretés, et montées sur toutes les échasses de l’orgueil ; le jeu habituel, les vains et même criminels babils des assemblées, où il ne se dit rien de ce qui se doit dire, et tout ce qu’on ne devrait pas ; où l’inutile et les riens, où la soif des nouvelles qui allument la passion, où la flatterie et l’illusion des amitiés de la terre engloutissent toutes leurs pensées. Le bal, les dissipations, le soin des parures.... Mais j’irais sans fin dans ce vil catalogue ; et qu’il me suffise de dire que c’est ainsi que les cerveaux de presque tout le genre humain tournent le dos à la seule chose nécessaire, à celle qui, au lieu d’une fortune de boue, assurerait leur fortune éternelle, à celle qui, au lieu des vains et fugitifs plaisirs, leur vaudrait le plus solide bonheur. La vie se passe, et on élude toute recherche sérieuse : on craint la vérité, qui arrêterait cette course insensée, ou qui jetterait quelque trouble sur des occupations ou des fausses joies, dont on veut jouir sans remords 67. La sombre vieillesse arrive sur les ailes d’une vie qui n’a été tissue que de mondanité ; et on meurt sans recherche, sans Religion, sans foi, sans espérance, sans éternelle consolation, et sans Dieu.
Mais de toutes ces funestes causes de l’irréligion et de l’incrédulité, il en est peu de plus funeste encore, et de source plus empoisonnée que celle que je vais indiquer. Celles-là souvent sont plutôt une inattention et un entraînement de dissipation qu’une criminelle roideur qui se bande contre la Religion et qui la brave. Ce peut être plutôt une faiblesse qu’une malice proprement, et une légèreté très-condamnable, à la vérité, et non une volonté malignement réfléchie, bien plus condamnable encore. L’âge peut mûrir une jeunesse évaporée ; et un DIEU qui cherche l’homme en tant de manières peut arranger des circonstances qui ramènent la réflexion, et qui touchent un cœur plus égaré que méchant, et non volontairement endurci. Mais il est de brillants et horribles livres ; une incroyable foule en est sortie des presses. Vous croiriez peut-être que je veux parler ici des Voltaire, des Rousseau : cela va sans dire, et se suppose. Non, c’est des Helvétius, des Marmontel, des, des, des... et de tous les livres semblables, reçus avec une avidité qui désigne l’insensé désir de faire le naufrage, et lus par les femmelettes et les prétendus beaux esprits ; livres qui disent tout à l’imagination et rien à la solide raison ; où les éblouissants prestiges du style tiennent lieu de preuves et les éludent ; où les agréables délires, agréables, dis-je, à la corruption d’un cœur déjà gâté, égarent sans fin, loin de la vérité (comme deux lignes qui s’écartent à l’infini) les malavisés qui se laissent prendre à ces lacs de soie si bien tendus ; livres qui promènent et font parcourir aux chercheurs et chercheuses d’esprit le pays du plus séduisant mensonge, caché sous les fleurs. Poison caché et lent, qui mine à la longue, et enlève à ceux qui veulent parcourir ce brillant et dangereux domaine tout humide radical de l’âme et du cœur ; où, sous l’apparence du sentiment, on amollit, énerve le sentiment. Livres qui défendent jusqu’aux approches de toute discussion sérieuse, rendent insipides toutes les fructueuses vérités de la Religion, et au lieu de la vraie grandeur et de la vraie élévation, qui n’est qu’en elle, donnent une fastueuse hauteur et une enflure boursouflée. Livres qui donnent le funeste plaisir de se perdre avec esprit, et de descendre dans l’abîme à travers la fugitive couleur des roses.
Impia sub dulci melle venena latent.
Livres où, sous un attirail de raisonnements, tous tirés des lueurs de l’imagination, on détruit tout raisonnement et toute raison ; où on la dépouille de sa simple et majestueuse beauté, en la masquant sous un habit ou, pour parler néologiquement, sous un costume de clinquants. Il n’est rien de plus artificieux que leur manière de glisser un principe, dont ils fardent la fausseté par la malheureuse habileté de leur pinceau. Passez-leur le principe, les conséquences vous entraînent, et vous êtes perdu. Dès que vous n’avez pas su démêler le premier mensonge, vous allez inévitablement avec eux d’erreurs en erreurs, qui vous semblent dès lors démontrées. La trace de ces fausses preuves, cette suite d’erreurs, s’imprime chez le lecteur abusé, s’établit dans son cerveau, et s’y fixe en possessoire, et en voilà pour la vie. La vérité se retire gémissante. En vain, dans un âge plus mûr, la raison, une pointe de grâce même, qui cherche à percer en certains moments, voudrait tourner ces hommes séduits du côté de la Religion ; la place est prise, et la cuirasse y est. Les faux arguments de ces impies auteurs reviennent sonner la charge dans la mémoire. À peine le combat commence entre une aurore de vérité et ces impostures, que ces prétendues preuves présentent le bouclier contre toute solide raison et contre toute grâce ; et on meurt enfin privé de la lumière, qu’on a contristée et refusée ; elle est changée en ombre de mort. Les pieds bronchent dans l’obscurité des montagnes, où on ne voit plus clair. C’est la sublime image du Prophète (Jérémie 13) ; on meurt, dis-je, avec les séducteurs, dans toutes les horreurs de la séduction, où on s’est perdu avec eux. Telle est la lamentable histoire de ceux qui se sont affolés du livre d’Helvétius ; et tel l’un des spectacles que nous présente cc siècle. Le livre de l’Esprit ancre une infinité de personnes dans une incrédulité raisonnée, et faussement philosophique : c’est son caractère diabolique.
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CHAPITRE II.
Nouvelle cause. La morale de l’Évangile rebute les gens du monde.
MAIS parmi ce grand nombre d’insensés, ne s’en trouverait-il pas de plus sages ? Sans doute : toutefois, si nous examinons la chose de près, nous verrons que les recherches même n’aboutissent à rien, ou souvent, du moins, sont peu fructueuses. Supposez le cas le plus favorable. Figurez-vous un homme sensé, qui prend son temps pour s’instruire, qui a des intervalles de réflexions, des moments lucides ; il parcourt le pays de cette évidence morale dont j’ai parlé ; il calcule en bonne foi les probabilités ; enfin il s’assure de la certitude du témoignage des Apôtres, tous confesseurs et martyrs. Dès là il est tenté, par une juste conséquence, de croire l’Évangile divin ; il vient même d’abord à le penser ; et quoique cet homme, jusques là, ait fait beaucoup moins que vous ne l’augureriez, du moins il a fait quelque chose ; il a mis le pied sur ce premier échelon, qui peut le conduire plus haut. D’après cette persuasion, il lit l’Écriture. Qu’arrive-t-il alors à cet homme, qui n’a que sa raison, et par conséquent qui ne lit cette divine Écriture que par son esprit naturel ? Il a encore bien des dangers à éviter avant que d’être préservé du naufrage ; et il est très-rare qu’il n’aille pas se briser contre l’un ou contre l’autre de ces écueils, semés sur ses pas.
Il a cependant un grand avantage d’abord. Il y voit une morale sublime, et posée sur le divin fondement ; mais outre que la vue de cette morale, quoique adoptée, admirée même par son esprit, n’a pas la force de vaincre l’intime de sa corruption, ni la ténacité des habitudes auxquelles, par tant d’actes réitérés, il avait vendu sa liberté, outre que sa raison toute seule, amollie, énervée, n’a pas non plus la force de le vaincre, ni même de se vaincre elle-même ; si, comme on le verra dans la suite de ce discours, il n’y a pas un ressort plus haut, une puissance plus victorieuse et plus énergique qui vienne à son secours ; cette même morale, qu’il ne peut s’empêcher d’admirer, présente à ses préventions, à ses passions, à ses actes accoutumés, un front sévère, qui commencera à lui donner de l’éloignement. Il n’y trouve rien qui flatte sa corruption ; rien qui puisse l’accommoder, et quand même il aurait naturellement un cœur honnête ; il voit tant de mécompte à une félicité illusoire que son imagination se forgeait quand on la cherche dans la Religion en l’alliant avec les autres plaisirs du monde ; tant d’opposition de sa nature, accoutumée à n’être point sous le joug, avec des préceptes rebutants pour l’amour-propre, l’intérêt si cher à soi-même, au point d’aimer en réalité son prochain comme ce soi-même, jusques là si usurpateur ; aimer DIEU d’un amour suprême, et infiniment plus que nous ; l’aimer, et haïr tout ce qui est et peut être un obstacle à cet amour suprême que nous lui devons ; tant d’opposition des habitudes fortes, qui sont devenues une seconde nature, avec la règle de renoncements que lui propose l’Évangile ; le monde, son esprit, ses usages, ses maximes, qu’il a aimés et aime encore, où il a tant conversé, dans lequel il s’est tant assis, foudroyés dans l’Écriture : voilà ce qui le rebute et le fait rebrousser.
Mais, chemin faisant, je marquerai ici plus précisément deux grandes causes de toutes les conversions manquées. 1°. Ce sont les premiers changements et les premiers pas qui sont difficiles, et qui rebutent ; parce que, dans ces essais ou projets de conversion, on ne voit et on ne sent que la peine actuelle, et ce qu’il en coûte à la nature pour opposer des actes contraires à des habitudes invétérées. Cette nature fait les hauts cris, parce qu’elle ne voit ni ne sent alors l’infini dédommagement qui, déjà en ce monde même, en jouissance pure et délicieuse, serait la couronne de son courage et de ses efforts ; car la piété a les promesses de la vie présente comme de celle qui est à venir 68 ; et les délices que goûte le juste au-dedans, inconnues aux mondains, sont ineffables. Toute la nature entière lui rit, et la jouissance, suite de son union avec Dieu, ne se peut comprendre que par celui qui l’éprouve ; mais il faut premièrement avoir chargé le joug de Jésus-Christ 69, qui ne devient léger et infiniment agréable, qu’après qu’on s’est désembarrassé péniblement du joug tyrannique du monde, en contraste avec le sien. Il faut premièrement chercher en soi le Royaume de DIEU et sa justice, avant d’avoir le centuple ici-bas, et tout ce qui est donné par-dessus 70. DIEU ne se laisse jamais vaincre en magnificence, mais il ne le fait pas d’abord, parce qu’il ne le fait que lorsqu’il le peut, selon sa sage justice, c’est-à-dire, lorsque le mondain retourne à lui et se détourne de ses habitudes ; et voilà ce que la lâcheté ne veut point comprendre. Tout ce qui coûte, un rien même, un effort en vue de plaire à DIEU, n’est jamais perdu. Ô hommes ! quels faux et malheureux calculs ne faites-vous pas ? Ce qui serait facile dans la jeunesse devient de jour en jour plus pénible ; c’est la plus excellente instruction que celle du principiis obsta ; mais quand on ne l’a pas fait, la peine, plus ou moins grande, leur fait trouver rebutant ce qui, par lui-même, est infiniment doux, et le serait de même pour eux, après avoir eu le courage de se vaincre.
La seconde cause des conversions manquées, c’est le temps du rétablissement, après une maladie, et même en général le peu de profit qu’on tire des contretemps de tout genre, que la Providence jette sur la course de l’homme pour le réveiller. Dans une maladie, les sens sont contenus, ils sont, pour ainsi dire, tués ; leur action, leur vie est suspendue ; ils ne peuvent mordre et se livrer aux objets. Alors vous diriez des Saints, mais passato il pericolo gabatto il santo. Au rétablissement, qui est le vrai temps du danger, le convalescent, au lieu de se prendre sur le temps et de continuer autant que possible ce dénuement des sens appauvris, ne peut supporter ces privations sans un grand combat. Ces sens rouverts aux objets cherchent à le rentraîner à leur licence, et à lui faire faire des actes de vie ; ils semblent, par leurs impétueuses demandes, vouloir se venger de la contrainte où ils ont été tenus, et se dédommager de la suspension. Le goût pour les objets et la sensibilité qu’ils excitent deviennent plus affinés et, dans ces convalescences, plus grossièrement ou subtilement délicieux que jamais. La figure du monde revient en détail ; l’âme, au lieu de combattre avec la force que ces moments critiques exigent, se laisse entraîner, séduire à ce charme ; elle s’amollit de nouveau, et elle redevient esclave, et plus esclave que jamais, sous le joug qu’elle reprend volontairement ; et le dernier état de cet homme est pire que le premier 71, parce que l’endurcissement augmente en proportion de ces rechutes.
Et pour revenir au discours, l’Évangile, à la vérité, propose une couronne éternelle ; mais outre que c’est là une perspective éloignée, qui fait bien moins d’impression sur l’homme naturel, tant qu’il n’est que raisonnable, que l’actuel et le présent, dont le charme, tout faux et illusoire qu’il soit, l’entraîne comme un torrent, auquel sa faiblesse ne peut résister ; on ne propose d’ailleurs cette couronne que pour prix du combat et de la victoire. Mais quel combat et quelle victoire ? Retourner sur ses pas, faire mourir en soi ce qui y a fait tant d’actes de vie, subir des privations, des renoncements ; perdre les objets de ces délectations impures et mondaines, dont on avait joui ; imposer un frein à cette dissipation éternelle, dans laquelle on avait vécu, et la changer en un recueillement capable de faire, pour ainsi dire, sauter la nature, ou plutôt devenu impossible par l’invétérée habitude de vivre en dehors, sans DIEU et sans soi-même ; éprouver les réveils d’une conscience endormie, qu’on avait jusqu’alors courbée, appliquée au rêve imposteur de la vie et à la vile conversation du siècle ; sentir les pointes aiguës de cette conscience, alors tournée contre soi-même, devenue sa propre ennemie, et se déchirant de sa main, lorsque le voile levé, elle est citée au Tribunal de cette redoutable vérité que les passions lui avaient dérobée en l’offusquant de leurs nuages ; perdre ce qui avait pris une possession si bien établie dans la volonté et le cœur ; fermer cette porte large par laquelle on avait tant passé 72 ; enfiler cette porte étroite, dont l’aspect seul fait frissonner la mollesse, la sensualité habituelle ; le ressouvenir de tous les plaisirs goûtés, qui viennent sonner la charge et rappeler ce fugitif qui ne fait pourtant que d’impuissants et langoureux essais de les fuir ; l’imagination, qui grossit le plaisir de ces fausses jouissances, en leur assignant de surcroît un prix qu’elles n’ont point en réalité 73. Tout cela, selon l’expression de S. Augustin, le tire par la manche, lui reproche sa désertion, lui représente, comme impraticable la nouvelle vie qu’il va mener ; et lui met tant tous les objets à l’envers, trouble son horizon, jette un misérable voile sur la vérité qui voulait percer, et rentraîne sa faiblesse ; et cette vérité est perdue pour le sentiment, comme on voit un feu trop faible pour amollir, fondre les glaces ou une lumière dont le pur rayon, engagé dans le nuage, perd son éclat et sa force.
Mais cette même imagination qu’on peut, en l’homme irrégénéré et corrompu, comparer au Démon même, si vous tournez la médaille, vous pouvez en faire, pour ainsi dire, un Ange ; lorsque, dans l’homme réhabilité et rentré dans l’ordre, elle est remise à sa vraie place et, si j’ose m’exprimer ainsi, dans son étui et dans ses bornes. On peut dire d’elle comme de la parole et de la langue, tous les maux et tous les biens, selon leurs usages et leurs abus. Elle est la mère de tous les arts ici-bas, imitateurs des arts célestes que les esprits glorieux inventent et façonnent avec la plus splendide matière. Lorsqu’elle n’usurpe plus l’empire et que, soumise à l’esprit éclairé, elle sert et ne commande plus, lorsqu’une volonté réglée l’a captivée ; rien n’est plus beau que ce qu’elle peut produire pour l’utilité et les plaisirs légitimes ; et elle peut ici-bas nous retracer une image de la vaste et divine scène des Cieux.
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CHAPITRE III.
Par la seconde cause l’évidence morale s’énerve, perd sa force, et laisse le mondain et le tiède retomber dans l’incrédulité.
QU’ARRIVERA-t-il alors à cet homme ? Il est presque inévitable qu’il lui arrive l’une de ces deux choses ; ou une incrédulité, dont ses recherches l’avaient fait sortir un moment, ou il se fera une religion à sa mode, une religion qui n’en fut jamais une. Je dis d’abord qu’il retombera dans cette incrédulité d’où à peine avait-il été dégagé. La contradiction de son état actuel, de sa faiblesse et de ses penchants avec la règle que lui impose cet Évangile, de la Divinité duquel le témoignage des hommes l’avait convaincu, le rebute, ai-je dit. N’ayant jamais connu de force étrangère plus puissante que la sienne ; tous les secours d’une grâce qu’il n’a point demandée ignorés, il voit l’impossibilité où il est d’atteindre à cette morale si contrastante avec les pas de son évaporée jeunesse durant laquelle il marchait selon le regard de ses yeux et la pente de son cœur 74 ; et cette impossibilité qu’il se figure telle le révolte bientôt et le bande contre une si inquiétante morale. Il se résout à la repousser ; il veut jouir sans rien d’incommode ; il dit en lui-même ce que le Prophète lui met dans la bouche, comme une ânesse sauvage accoutumée à vivre à son gré, humant le plaisir comme le vent que rien ne peut faire rebrousser dans sa course ; il dit, c’en est fait, non, car j’aime les étrangers (la figure du monde) et j’irai après eux 75. Il faudrait, pour servir de contrepoids aux funestes pensées de ce dromadaire léger dont la fluctuation l’empêche de tenir une route certaine 76, qu’il eût toujours présent à l’esprit cette évidence morale qui, sans le vaincre, l’avait convaincu ; mais peu-à-peu la la force de cette preuve s’use, pour ainsi dire, par le mécanisme invisible d’une volonté qui refuse de se rendre et en punition de ce qu’il ne la met pas à profit. Retenant ferme cette preuve, il faudrait en avaler les conséquences amères à qui veut jouir sans remords et ne mettre d’autres bornes à un abus continuel que l’abus lui-même. Il en détourne donc le regard ; elle s’affaiblit ; il n’a pas bien vu. Tenté de revoir, il le craint ; les velléités du bien s’étouffent ; la rosée du matin, qui s’était versée sur lui, se dissipe, fondue par la chaleur de la passion, qui met en fuite ces essais de piété, faibles et mourants, pour ainsi dire, dans leur naissance ; et il se désembarrasse de cette preuve trop incommode, que l’ennemi, d’accord avec la pente de son cœur, lui fait oublier, ou dont, en jetant un nouveau nuage, il lui dérobe la force.
En vain, alors, cet air de vie céleste qu’on respire dans la parole de DIEU, pénétrante comme une épée à deux tranchants dans le plus intime des moelles 77 ; en vain cette divine teinture d’onction sacrée qui est son caractère, sa marque distinctive ; en vain cette beauté toujours naïve, toujours ingénue du discours ; en vain ce ton d’autorité si simple et si fier, si insinuant et si haut ; ce style si sûr de lui-même et de sa cause, si peu ressemblant au style des hommes, qui l’avait d’abord étonné ; en vain il avait en lui excité une admiration, qu’elle force et qu’il ne pouvait lui refuser. L’habitude l’émousse, une seconde lecture l’étonne moins, une troisième laisse reprendre à son esprit son froid mortel ; et ce qu’il devait goûter avec la saillie, la profondeur du sentiment, ne fait plus que glisser ; son esprit rentre dans la nuit funeste dont l’avait fait sortir une aurore qui n’est jamais suivie du jour ; et son cœur dans la corruption dont il ne s’était jamais bien dégagé.
Dans la suspension toutefois où le tenait cette preuve au temps de l’examen, une pointe de grâce était prête à percer ; elle se tenait à la porte 78, elle voulait ouvrir et se faire un passage ; elle voulait doubler, tripler, porter à leur comble les secours. De la plus douce et paternelle voix, elle criait au-dedans, elle voulait lui inculquer un nouveau courage contre lui-même ; l’armer d’une force divine pour en faire un vigoureux combattant, un athlète victorieux ; mais cette douce voix l’était trop, et trop faible contre la voix plus haute du monde, des préjugés et de lui-même. Et cette grâce, cette fleur immortelle, mais délicate, qui se fane à l’attouchement de l’homme qui se roidit, se retire gémissante. Alors toutes les ténèbres reviennent, et reviennent bien plus épaisses même, grossies des duplicités d’une conscience qui vend la lumière, et en punition de cette lumière contristée. Et c’est ainsi que se venge la vérité vue et méprisée, connue et repoussée ; le bon esprit se retire, les sombres voiles de l’incrédulité se tendent de nouveau, et font une nuit que rien ne peut percer désormais.
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CHAPITRE IV.
Tout au plus, on se fait une fausse religion, une religion plâtrée, et qui, dès lors, n’en est plus une.
QUE si cet homme qui a examiné le témoignage ne peut pas en éluder la force, et ainsi se commander, ni le doute, ni encore moins l’incrédulité ; si bon gré malgré lui, la conviction victorieuse du préjugé et des passions lui imprime pour la révélation le respect qui lui est dû ; la confiance, la soumission marcheront-elles de front et en seront-elles l’heureuse suite ? Ah ! c’est ici qu’on ne peut comprendre la fureur, en effet incompréhensible, de l’homme à se tromper lui-même ; c’est ici qu’on ne peut trop lamenter sur sa malheureuse folie. S’il ne peut pas se commander une erreur, il se ménage la misérable ressource de se jeter dans une autre, en un sens, toute aussi dangereuse. Et c’est là le cas de presque tous les hommes qu’une aurore de vérité, qu’un coin du rideau levé empêche de donner dans une incrédulité absolue. Ils croient l’Évangile divin, et ils en renient l’Esprit ; ce qui, en lui, les troublerait, et qui les retiendrait dans leurs courses, est mis de côté ; on en détourne le regard ; on en déchire l’ensemble ; on n’en adopte que ce qui n’inquiète point ; tout le reste est outré, excessif, impraticable. Cet Évangile éternel et de tous les temps ; ces vérités universelles et faites pour tous les états, pour toutes les conditions et pour tous les hommes ; ils en font, dans leurs gloses de mensonge, des vérités de circonstances. Cela était bon pour les cas d’alors ; cela était approprié aux Apôtres et à leur temps. Ce n’est plus nous et nos temps que ces préceptes regardent..... enfin c’est ceci, c’est cela. Car l’erreur de la raison, d’accord avec la pente d’un cœur amolli et gâté, ne s’arrête point dans ses écarts sans bornes. On ne veut voir que ce qui console, et rien de ce qui met l’homme aux prises avec lui-même et avec sa nature désordonnée et rebelle. On veut bien les consolations, dis-je, mais on ne veut point des combats qui y mènent et en préparent la réalité. On veut la couronne sans la gagner, et la rose immortelle sans parcourir les pointes de l’épine auparavant. C’est le mot que met le célèbre Montesquieu dans la bouche d’un mondain : « Je ne veux rien dans la Religion de ce qui pourrait contre-quarrer mes vues, mais je lui permettrai de me consoler à la fin d’une vie toute mondaine. Je veux bien lui faire cet honneur et cette grâce. »
Voyez ce vieillard ; voyez cette vieille personne, toute dégoûtante encore de mondanité, en qui les passions et l’amour d’un monde, dont le néant n’a jamais pu la déprendre, ont leur siège fixe et enraciné. Le moment d’une mort inévitable se présente quelquefois à sa mémoire. C’est alors qu’on veut des consolations, qu’on n’a jamais cherchées, dont toute la vie a été une fuite. On se fait des idées arbitraires et confuses de la bonté d’un Dieu qu’on n’a ni craint ni aimé, dont on a perpétuellement rejeté les tendres avertissements. On les cherche, dis-je, mais en vain ; et on meurt dans ses ténèbres, dans ses passions et dans son péché. C’est ce qu’a dit le Seigneur : Je m’en vais ; vous me chercherez, et vous mourrez dans votre péché 79. Ah ! c’est alors que le monde échappant, à son défaut, on se cherche des appuis vains, nuls, et que sans monde, perdu pour jamais, sans DIEU, qu’on a dédaigné, on entre, on se précipite dans les abîmes de l’éternité.... Et c’est ainsi que la raison laissée à elle-même, et seule, faible, bornée, impuissante, entraînée par les sens et par les objets, et déraisonnant avec eux, ne met ni ne veut mettre à profit pour le cœur et pour une conduite Chrétienne le secours de l’évidence morale, par lui-même très-vrai, très-solide, très-réel, mais impuissant à cause des ténèbres et de la corruption de la nature. Elle ne peut se faire qu’une Religion inconséquente, plâtrée, alliant les contraires, et qui n’en fut jamais une.
Mais ces premiers écueils sont bien éloignés d’être les seuls semés sur les pas de l’homme à recherches. Sa navigation roule sur bien d’autres périls ; j’en marquerai encore quelques-uns.
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CHAPITRE V.
Nouvelle cause. Les mystères, pierre d’achoppement pour la raison corrompue et sensualisée. Et preuve en même temps que l’esprit astral ou la raison exaltée et affinée pourrait les connaître ; et par conséquent que les incrédules et déistes qui ne voient pas ces mystères ou les refusent n’ont qu’une raison fausse et privée de la lumière qu’elle pourrait avoir. Des Illuminés. Du Somnambulisme, etc.
UN nouvel écueil consiste dans la pierre d’achoppement et de scandale, que la raison, encore que d’abord vaincue par le témoignage, doit naturellement trouver dans ce qu’on appelle les Mystères : j’en ai effleuré quelque chose plus haut. Et ces mystères peuvent lui faire rebuter, rejeter même cette preuve morale, quelque indubitable qu’elle soit par elle-même. L’homme veut voir, et la curieuse inquiétude de son esprit n’a point de repos et repousse naturellement tout ce à quoi il n’atteint pas ; c’est en vain qu’il est forcé de convenir, s’il lui reste une ombre de bonne foi, qu’en se jetant dans l’incrédulité il est obligé d’avaler des contradictions infiniment plus fortes, de dévorer des choses mille fois plus incroyables que tous les mystères.
N’importe, son orgueil, d’accord avec une corruption qui se cherche partout des ressources, cet orgueil ici joue sourdement, et répudie ce qui passe sa portée, par un mouvement brusque, subit, qui met en fuite la vérité. Le premier coup d’œil, le révoltant, lui en fait perdre la trace et l’égare, parce qu’il l’indispose ou l’arrête. On ne veut plus examiner, plus de bénéfice d’inventaire ; on condamne à première vue, et sur l’étiquette du sac.
La raison dégradée, qui ne peut voir les rapports, l’enchaînement, que de vérités très-inférieures ; cette raison qui, comme on l’a vu au premier livre, est un fruit de la chute, ou du moins un effet et une suite, en ce que dès lors elle a été donnée à l’homme en supplément, ou plutôt en substitut à cette lumière plus haute qui, venant de DIEU en droite ligne, éclairait Adam dans l’état d’innocence. La raison sensualisée ne peut connaître Dieu en la manière sûre, précise et détaillée dont il manifeste aux hommes ce qu’il lui a plu de son être infiniment insondable 80 : Trouverais-tu le fond de DIEU en le sondant, connaîtrais-tu parfaitement le Tout-puissant ? Ce sont les hauteurs des Cieux ; ce sont des abîmes de profondeur, etc. C’est ce que dit le saint homme Job ; c’est ce que dit toute l’Écriture. On va voir bientôt que si elle avait cette grande et heureuse capacité, il n’y aurait eu aucun besoin de révélation ; puisque si l’Esprit de Dieu ne s’était pas retiré d’Adam pécheur et de sa postérité pécheresse en lui et en elle-même, l’esprit de l’homme allumé, éclairé de DIEU même, l’aurait connu, et dans la nature et dans lui-même, aussi bien que l’homme de foi, ou, ce qui est le même, le régénéré peut le connaître dans la révélation et interne et externe, et en sa parole et en lui-même. Mais avant d’entrer dans cette grande vérité, et la déduire dans toute sa force, on doit facilement, ainsi qu’on l’a vu plus haut, comprendre combien un seul Dieu en trois personnes, un Dieu vrai Dieu, qui se fait homme et enfant ; le Dieu suprême qui, dans l’humanité, vient souffrir, être rejeté, contredit, méprisé, mourir enfin de la plus cruelle mort ; combien ces mystères et tous ceux qui sont exprimés dans les livres saints, étant inaccessibles à la raison corrompue, elle est tentée de leur contredire et de les rejeter même sans examen. Elle ne distinguera point ce qui la surmonte et surpasse de ce qui est contradiction à ses yeux aveuglés, sans l’être en soi-même. Car remarquez : son orgueil va de pair avec ses bornes, et ses bornes mêmes sont son orgueil ; ce sont deux choses à l’unisson. Fière de sa misère et de son aveuglement même, cet orgueil fait son éruption. Capable de raisonner sur quelques vérités inférieures et de les connaître, elle croit pouvoir juger DIEU, et, ce qui soit dit sans blasphème, toiser la divinité même.
Il faut cependant lever une équivoque. Ce que je viens de dire de la raison, que les mystères de la Religion étonnent, déconcertent et surpassent, n’est pas vrai dans tous les sens ; ce n’est que la raison faussée, courbée au-dessous de sa capacité primitive, parce qu’elle est offusquée et plus ou moins aveuglée par les nuages des passions, par l’entraînement des sens et des objets, et enfin par son union en flux et reflux avec des cœurs déréglés et des volontés dépravées ; car le dérèglement du cœur fait l’erreur de l’esprit, et l’inverse, par un commerce malheureux et réciproque. Telle est la raison de la plupart, de presque tous les hommes. Et c’est cette raison (qui n’est point véritablement raison), c’est cette fausse raison qui ne peut ni adopter, ni encore moins comprendre les mystères saints. Mais si on suppose l’esprit de l’homme avant même d’être régénéré dans sa pureté primitive, et non altéré par l’âge, par le commerce outré des objets et les préjugés de l’éducation, par les préventions universelles, et surtout par la dissipation et le péché habituel, j’ose assurer qu’une telle raison pourrait, par les idées simples et les analogies inférieures, lire, pour ainsi parler, tous les mystères de la Religion dans les objets que la nature offre à nos regards, et même une telle raison pourrait les voir partout et en elle-même, en se repliant sur la contexture de son être ; elle y verrait les cieux, la terre et leurs accords. On a de cette vérité une indubitable preuve de fait, au temps qui court, dans cette foule d’illuminés qui s’élèvent de toutes parts et qui l’attestent hautement. Ils protestent voir les mystères dans la nature, et font même des choses étonnantes, dont les esprits offusqués et prévenus sont déconcertés et, pour ne pouvoir les comprendre, refusent de les croire, et les taxent d’illusion et de folie ; mais ces choses n’en sont pas moins sûres, et la vérité en demeure. Je puis d’autant mieux le soutenir qu’en en certifiant la vérité, on ne peut pas me suspecter d’intérêt à ma propre cause, vu que je ne fais pas du tout cause commune avec ces illuminés, quoique je connaisse aussi bien, et peut-être mieux qu’eux-mêmes, toute leur théorie, et la source d’où ils puisent leurs lumières. Tel a été Swedenborg, et tels sont actuellement un très-grand nombre d’autres. Je connais leurs émancipés, comme ils les appellent, et tout ce qu’ils peuvent et savoir et opérer. La plupart d’entre eux ne sont rien moins que régénérés par le Saint Esprit, malgré de si spécieuses et si éblouissantes apparences ; mais ils peuvent voir ces choses merveilleuses et ces mystères par ce que j’ai appelé au premier livre l’Esprit astral, qui les leur montre en analogie, soit dans la nature, soit dans le fond primitif de l’éther, qui, répondant à l’esprit naturel de l’homme et à son imagination, leur donne la connaissance inférieure des mystères et des prophéties, peintes dans l’imagination comme dans un miroir. Et quant aux miracles, ils sont opérés, non par la haute, transcendante et victorieuse force du pur Esprit de DIEU (on voit ces différences parfaitement marquées et distinguées dans toute l’Écriture), mais opérés par la force incroyable de l’air le plus foncier, ou éther, ai-je dit. Car personne n’ignore que plus l’air est primitif, plus il a de ressort, et qu’il peut agir, influer et opérer sur toutes les couches d’air, moins subtiles et moins agissantes, et par cet ébranlement opérer sur le physique. Voilà, j’ose l’assure, la clef de ces surprenants phénomènes d’aujourd’hui ; et voilà comment ces hommes à prodiges peuvent voir, et même montrer et enseigner les mystères de la Religion par l’Esprit astral, ou Esprit exalté de la haute nature, et par lui encore faire des miracles et des prophéties analogiquement inférieurs. À la vérité, je ne nie pas que parmi eux il ne puisse y en avoir qui aient une teinte de régénération par l’Esprit de DIEU ; et c’est alors les meilleurs. Mais encore tout cela peut être suspect des mélanges de la nature exaltée avec la grâce ; et tôt ou tard, parmi la vérité, il s’insinue de l’illusion, même dans ce cas. La chose parle d’elle-même ; car ils voient et opèrent par ce qui n’est pas hors du domaine du Président et Prince de la puissance de l’air, qui agit avec efficace sur les enfants de rébellion, et qui fait se transformer en Ange de lumière 81. Voilà l’origine du Mahométisme ; cet ennemi ayant pris l’image et le morphisme de l’Ange Gabriel, et ayant dicté même de grandes idées de DIEU, pour mieux séduire, écarter et confondre la doctrine seule pure et sainte de la Trinité et du Verbe DIEU. Peu importe à l’ennemi de montrer des milliers de brillantes vérités, moyennant qu’à leur faveur, et sous leur sauf-conduit, il puisse injecter quelque erreur capitale et quelque damnable hérésie. Mais pour revenir à ces illuminés, ils peuvent rendre croyants quelques incrédules au moyen de leurs lumières et de leur art. Mais ce n’est pas là la vraie foi salutaire ; il s’en faut encore infiniment. En général, il faut se défier de toutes ces voies extraordinaires, de toutes ces visions, révélations, etc., dont la vraie, pure et simple foi n’a nul besoin ; et qui, quand même elles pourraient faire quelque bien à certains incrédules, ne font par une curiosité, ou nuisible, ou inutile, que de détourner de cette foi pure que la pente et inclination de l’homme pour l’extraordinaire peut altérer et corrompre.
Les deux chapitres suivants vont éclaircir, étendre et développer toute cette théorie, que je n’ai fait ici que présenter en bref. Mais en attendant, je prie le Lecteur de remarquer par avance que si ce que je viens de dire de ces Illuminés, de la meilleure ou de la moins mauvaise espèce est très-vrai ; si ces lumières et ces routes extraordinaires sont souvent douteuses, incertaines, dangereuses même ; combien infiniment plus ne pourra-t-on pas le dire des derniers degrés de ce domaine, tout-à-la-fois si éblouissant et si ténébreux, si séduisant et si funeste, si agréable à la curiosité et à l’insatiable démangeaison de savoir ? On comprend que j’entends parler du Somnambulisme, impur rameau issu de cette racine et sarment de cette vigne sauvage : mais comme j’en traite plus bas et en plus d’un endroit, je n’y appuie pas ici. Je remarque seulement encore par anticipation qu’il y a des degrés très-nombreux entre le plus haut point et le moins impur de ces illuminations jusqu’au plus bas de tous, et que ce somnambulisme commence les degrés inférieurs de toutes les horribles diableries, magies, sorcelleries, talismans, amulettes, astrologie, sur lesquelles je ne veux pas seulement jeter un regard.
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CHAPITRE VI.
Digression. Confirmation du chapitre précédent. Théorie curieuse. Différence entre les effets de la raison commune et ceux de l’esprit astral. Des prodiges et prophéties des Païens. Des Cieux purs et des Cieux impurs, en l’homme et hors de l’homme. Dans les impurs, l’ennemi a accès. Des Illuminés de tout degré. Tentation de notre Seigneur ; et comment il voyait les objets absents.
JE vais ouvrir à la curieuse attention du Lecteur une scène qui doit l’intéresser et lui éclaircir ce qui de tout temps a fait l’étonnement, et des vérités qu’on a mécrues, faute de pouvoir les comprendre. En confirmation de ce qui est répandu dans cet ouvrage, je dirai un mot des miracles et des prophéties des Païens, de l’esprit astral et de ses degrés, des différences entre lui et ce qu’on appelle communément la raison ; différences qu’on n’a peut-être jamais bien démêlées, et dont l’ignorance a jeté tant d’obscurités et tant de doutes sur tous les étonnants phénomènes qui résultent de l’esprit astral, au point que ceux qui n’y ont rien pu comprendre ont tout nié ; c’était leur plus court pour faire bonne contenance. Je parlerai des différents cieux purs et impurs qui répondent en l’homme à tout ce qui peut s’y passer et font la plus sainte régénération ou des visions plus ou moins impures. J’indiquerai la différence des vrais et saints miracles, et des prophéties divines, et des miracles et prophéties des Païens, différence vue dans leurs causes et dans leurs effets. Des mélanges qui peuvent s’y insinuer. Je parlerai des différentes espèces de visions et d’illuminations depuis la plus haute et la plus pure, jusqu’à la plus inférieure. Pour cela je n’ai qu’à poser les principes et je traiterai le tout en bref, laissant à la méditation du Lecteur à étendre et appliquer ces principes, sans quoi je donnerais en des longueurs qui ne finiraient point. D’ailleurs j’en ai préparé les fondements au premier livre.
D’abord, malgré la quantité de ressemblance entre ce qu’on appelle la raison et l’esprit astral, il y a une différence essentielle. La raison dans l’homme ne peut être développée qu’après que les sens extérieurs lui ont fourni ses magasins : et cela est vrai quel que soit le système qu’on adopte à l’égard de l’union de l’âme et du corps. Nihil est in intellectu quod prius non fuerit in sensu. D’après ces matériaux reçus, l’Esprit et les facultés de l’homme, l’imagination et la mémoire doivent agir ; dans les effets de l’esprit astral, au contraire, ces facultés n’agissent pas ; leur force ou action est suspendue, concentrée, séparée des sens extérieurs. C’est une opération soufferte et une peinture qui se fait sur ces facultés dont la fécondité est passive à recevoir ce qui lui est montré. Voilà l’origine des prophéties des Païens, comme il sera démontré plus bas, de même que la source de toutes les visions que peut donner ce domaine des astres, mêlé d’une quantité d’impuretés.
Mais cette différence n’a rapport qu’aux effets différents de la raison corrompue, offusquée, et de l’esprit astral dont l’impureté est d’un autre genre que l’impureté de ce qu’on appelle communément la raison. La corruption de celle-ci vient de ce qu’elle s’est laissée entraîner par la sensitivité, et qu’au lieu de conserver son empire et sa supériorité sur l’âme sensitive, sur les sens, sur les objets, etc., entraînée et pour ainsi dire souillée par eux, elle a perverti la rectitude de son jugement et s’est laissée offusquer par la volonté inférieure et dépravée, qui insensiblement a mis en elle nuage sur nuage. C’est ce qu’on verra mieux au chapitre de la sensibilité. Les erreurs dans le domaine de l’esprit astral ont une autre source ; elles viennent des tromperies de l’ennemi qui s’y insinue et en a le pouvoir, quoiqu’il faille encore convenir qu’il peut y avoir des mélanges et de la fausse raison sensualisée, et de l’impureté de la lumière astrale. C’est pourquoi il est très-difficile de nuancer en précision ces deux choses et de montrer les degrés et la nature de l’erreur, et d’où elle vient. Mais ceux qui sont éclairés de l’esprit de Die, ne s’y méprennent point, et ils ont, comme on verra, la règle infaillible pour en juger.
Quant aux miracles ou prodiges des Païens, exécutés dans le domaine des astres, il y faut ajouter l’action de la volonté de l’agent, plus ou moins dépravée, et plus ou moins ainsi sous le domaine du président de cet esprit astral.
Toute cette théorie va être fondée sur l’immuable vérité de la parole de DIEU. Il y est dit : le Royaume de DIEU est en vous. Donc, sans m’étendre, tous les cieux y sont ; on le verra dans le chapitre où je montre que l’homme est le microcosme, ou le petit monde, et peut-être le microthée, ou le petit DIEU, et doit par la régénération le redevenir. Ce principe est d’une fécondité immense et montre, à qui peut l’embrasser, que l’homme a en soi, en miniature, tout ce qui est dans l’univers, les cieux, leur jeu, l’image des anges, celle des êtres physiques, etc. Et que tout ce qui se passe dans cet univers peut, dans son genre et en raccourci, se passer chez lui ou en lui.
Mais il est deux espèces générales de cieux, et même bien davantage, quoique je n’en marque ici que deux, parce qu’il n’est que ces deux qui soient relatives à mon but. Il y a les Cieux purs de l’Éternel, selon ce qui est dit : J’effacerai son nom de dessous les cieux de l’Éternel 82. Et il est des cieux impurs ou mélangés d’impureté selon ce qu’a dit Job. Les cieux même ne sont pas purs devant lui 83. Ces cieux différents sont autant d’espaces marqués par la différence, et le plus ou moins de pureté des éléments dont ils sont composés. L’air, l’eau et le feu, etc.
Les cieux purs, ou plutôt les cieux des cieux, sont le domaine du verbe-DIEU et des anges saints sous ses ordres, et l’ennemi ne peut y avoir accès. Les cieux impurs, au contraire, sont de son domaine ; jeté dans ces cieux et dégradé, il les a infectés de son impureté, et cela en la quantité proportionnelle de l’impureté dont sa révolte avait ouvert l’ordre ; c’est-à-dire, comme je viens de le dire, pour l’ordinaire d’un tiers, proportion au nombre de cette révolte qui entraîna le tiers des anges. Il faut bien remarquer cette distinction très-sûre, car c’est sur elle que va se poser toute ma théorie.
Voilà donc deux espèces de cieux composés des éléments, ou purs, ou mélangés d’impuretés. Et c’est sur ces cieux, et hors de l’homme, et dans l’homme, que s’exécutent tous les phénomènes, bons, mauvais, ou mélangés, saints ou impurs, des prophéties, visions, révélations, ou saintes ou plus ou moins impures. Il en est de même des miracles, à quelques distinctions près, qu’on va voir tout à l’heure. J’ai dit encore que ces cieux, formés en partie des différentes couches d’air, ont plus ou moins de ressort selon que ces couches sont plus ou moins primitives et pures. La force de l’éther, ou du fond primitif, est incalculable ; et cette force, que DIEU même, les anges ou la volonté de l’homme meuvent et mettent en jeu, est plus ou moins active selon les degrés d’air, jusqu’à notre grossier atmosphère. Et c’est sur ces différentes couches d’air et d’éléments inférieurs que s’opèrent tous les phénomènes physiques et surphysiques ou astraux, tous les météores et tous les étonnants spectacles d’effets prodigieux, de prestiges et de miracles inférieurs qui, de tout temps, ont fait la surprise de ceux qui n’ont pu atteindre à cette connaissance. Et c’est ici qu’est la distinction entre les saints miracles et les miracles exécutés dans les cieux astraux. Les premiers se font dans les cieux purs par les Agents dont la volonté est ou uniforme ou conforme du moins à la volonté de DIEU, et qui, armés de sa puissance, exécutent cette volonté dans ces cieux, purs au-dehors ou au-dedans de l’homme. Et voilà, pour le dire en passant, pourquoi les vrais miracles, outre l’énergie qu’ils ont en eux-mêmes, ont de surcroît, et comme une suite infaillible, le pouvoir prépondérant sur les miracles astraux, et même le pouvoir de les anéantir et dissiper quand il en est besoin, selon les vues de Dieu, qu’ils remplissent exactement 84. Or tout ce qui est du domaine astral a, dans l’ordre de la justice, été abandonné à l’ennemi. C’est là où il exerce son empire, en punition ou d’aveuglement ou de douleurs sur les hommes. Et pour cela il peut montrer les plus grandes lumières astrales pour injecter l’erreur à laquelle ces lumières servent de passeport ; voilà pour les visions ; et faire aussi sur ces cieux astraux les plus étonnants prodiges, en les mettant en jeu et en action. C’est pourquoi il est appelé le prince de la puissance de l’air 85 ; il a donc à son commandement, par permission, l’air astral, ou les couches d’air depuis les cieux astraux jusqu’à notre grossier atmosphère. Et quant aux visions ou lumières, il est dit qu’il se transforme en ange de lumière 86 pour tenter par les plus brillantes apparences, afin qu’on ne s’en défie point. Je proteste ici que c’est là la vraie doctrine ; mais on verra des mélanges du pur et saint avec ce domaine astral, et ce sont des nuances qu’il est infiniment difficile de démêler dans l’application. Je dis difficile à la plupart des hommes dissipés et aveuglés ; mais infiniment facile à quiconque connaît l’Écriture sainte et la comprend par la lumière de l’esprit de DIEU 87. Les élus ne s’y méprennent point, comme a dit notre Seigneur, l’ennemi ne peut pas leur en imposer ; la séduction ne peut pas aller jusqu’à eux, jusqu’à séduire les élus, s’il était possible 88. Il n’y a qu’à lire tout le chapitre vingt-quatre de St. Matthieu, outre une infinité d’autres endroits de l’Écriture, on y verra au doigt et à l’œil toute cette théorie et tous les préservatifs.
Avant d’aller plus loin, je remarque encore deux choses. 1° Que cela montre pleinement la distinction qui existe entre ce qu’on appelle vulgairement ou philosophiquement la raison de l’homme naturel et les visions de l’entendement, montrées à cet entendement par l’esprit astral ; et on y voit pourquoi j’ai, dans cet ouvrage, envisagé l’une et les autres, chacune sous son point de vue, et sous l’aspect qui lui est propre. Ainsi il n’y a point de confusion ; il n’y a qu’à voir dans leurs sources, les bornes et les districts, et ne point les remuer, mais au contraire assigner à chacune sa sphère 89. 2° On peut, pour éclaircissement, se rappeler ce que j’ai dit au premier livre, dans la recension des magies, où l’on voit une introduction à ce que j’avance ici.
Tout cela posé, on voit clairement l’origine des miracles et des prophéties des Païens ressuscités de nos jours dans le somnambulisme et dans les visions plus ou moins pures des illuminés, dont on fourmille aujourd’hui et qui donnent un spectacle si étonnant pour les ignorants ; et on voit encore le critérium ou les marques caractéristiques et indubitables au moyen desquelles on peut discerner les visions pures de celles qui ne le sont pas, sans compter les caractères moraux qui mettent une infinie différence entre les unes et les autres, de même qu’entre les saints miracles et les prodiges, qui jusqu’à un certain point les imitent.
Il est vrai, ai-je dit, que dans le cas des mélanges, car il peut y en avoir, il est difficile à qui ne connaît pas par l’Écriture sainte, les ruses et les profondeurs de Satan 90, de démêler l’ami véritable de tant de faux amis, pour ainsi parler : mais elle en donne les marques en nombre d’endroits, les plus assurées, et surtout au commencement du treizième chapitre du Deutéronome. On voit, par ce passage même, qu’il est des mélanges, mais on le voit principalement dans ces remarquables paroles de notre adorable Sauveur : Seigneur, n’avons-nous pas fait des miracles et des prophéties en ton nom ? Je ne vous connais point 91. Ainsi, comme Balaam, on peut prophétiser au nom du Seigneur, et comme lui être rejeté ; et quant aux miracles, on peut aussi en faire par la force astrale, inférieurement analogue à la force divine ; car le Seigneur, dans ce passage, ne leur nie point d’en avoir fait.
Ainsi, ni la prophétie ni le miracle ne sont une preuve d’adoption ou de sainteté. Les Païens ont eu et l’une et l’autre dans leur degré, mêlé des liens d’obscurité sous lesquels ils étaient tenus. Ils ont eu aussi leur genre inférieur d’inspiration.
Pectus anhelum nec mortale sonans
Afflata est numine quando, jampropiore Dei.
Et encore la Sibylle prophétisant sur Esculape, dans un passage que j’alléguerai plus bas.
Jam ubi vaticinos concepit mente furores, etc.
Et on voit dans Sénèque le tragique une très-remarquable prophétie de la découverte de l’Amérique, plus de quatorze siècles avant cette découverte ; cette prophétie sera citée vers la fin de cet ouvrage. Mais ces citations seraient innombrables, et ainsi le fait existe et ne peut être révoqué en doute. On peut tout voir sur l’éther, et surtout lorsque les sens grossiers sont en suspension ; on peut y lire l’histoire des évènements et le jeu de l’univers 92. C’est, pour le dire en passant, sur le fond primitif de l’urine répondant à l’éther, fond qui se conserve plus longtemps que ses véhicules ou enveloppes ; c’est sur ce fond que le célèbre Schoupach de Langneau lisait, comme à l’œil, la nature et le siège des maladies, sa vision étant assez perçante pour pénétrer jusqu’à ce fond. Je ne fais qu’effleurer ces matières qui me mèneraient trop loin ; mais les principes que j’établis sont la clef de tous les phénomènes.
On peut, par ce que j’ai dit, augurer encore la manière dont la tentation de notre adorable Sauveur s’exécuta par l’ennemi. Adam avait été vaincu par les objets du dehors, par lesquels le Diable l’avait alléché, et qu’il avait fait servir à sa tentation et à sa défaite. Il fallait que le nouvel Adam vainquît en contraste, par ces objets mêmes qui devaient lui être présentés en épreuve. Or, tout cela se passa en une vision qu’on appelle imaginaire, c’est-à-dire, dans l’imagination où se peignent et se peuvent peindre tous les objets, comme présents quoiqu’absents, et en miniature ; car il eût été impossible que du sommet de la plus haute montagne, l’ennemi eût pu lui montrer tous les royaumes du monde et leur gloire 93, en toute réalité physique et visuelle. Ainsi cela se passa dans l’imagination de notre adorable Sauveur 94 ; je pourrais faire une infinité de réflexions là dessus, et montrer, à tant d’aveugles étonnés de ce mystère de la tentation par l’ennemi sur le juste et le saint par essence, la plus admirable de toutes les économies et l’un des divins chaînons de la religion. Je montrerais la convenance et les proportions de la victoire sur l’ennemi en contraste de la défaite du premier homme ; et par conséquent la ressemblance nécessaire dans les épreuves, pour que la victoire fût proportionnelle à cette défaite et que Satan fût vaincu dans et par les mêmes choses où il avait triomphé. Je montrerais les infinis abaissements de l’homme-DIEU, et la reconnaissance que nous lui devons au-dessus même de l’infini, s’il pouvait être quelque chose au-dessus de l’infini. Mais cela seul mériterait un volume, et ce n’est pas mon but dans cet ouvrage. Pourquoi faut-il que tant d’hommes stupides ou dénaturés méconnaissent jusqu’aux bords de ce que le Sauveur a fait pour eux ? Pourquoi faut-il que tant d’ingrats, ou ignorants, ou dédaignant et bravant ses bienfaits et l’infinité du prix qu’ils lui ont coûté, ou le méconnaissent, ou le déchirent et le blasphèment ?
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CHAPITRE VII.
Récapitulation. Propositions confirmatives et explicatives pour servir de règle, de jugement, etc.
JE n’approfondirai point un si inépuisable sujet ; j’ajouterai seulement quelques propositions qui pourront servir de règles de jugement et répandre une nouvelle vue et une nouvelle lumière sur le chapitre précédent.
1° Ainsi les Païens ont pu voir et prophétiser par l’esprit astral et par la force de l’air ou de l’éther qui lui répond, faire les miracles inférieurs, imitateurs en ce bas mais analogique degré des vrais et saints miracles 95.
2° Je ne traiterai pas des signes ou marques morales qui distinguent ces vrais et saints miracles des miracles inférieurs, parce qu’outre que personne n’ignore ces preuves morales qui en sont une essentielle différence, je ne prétends parler que du fait ou des faits, les éclaircir et en montrer l’origine. Cependant on en verra quelque chose dans ce chapitre.
3° Ce qui était le domaine abandonné aux Païens n’est et ne doit pas être pour les chrétiens, qui ont à s’élever à une foi pure, à une confiance nue, au-dessus de tout l’extraordinaire, dégagée de l’avidité de savoir et d’une vaine et inquiète curiosité. DIEU avait donné les astres à servir à tous les peuples, Deutéron. IV. v. 19, et le treizième chapitre. Je laisse au lecteur intelligent à faire les réflexions infiniment profondes que ces passages lui présentent, à admirer cette dispensation de justice...... et l’adorer en tremblant..... C’est la preuve que la lumière des cieux astraux était celle des Païens......
4° Il est des visions de différents genres et de différents degrés, abstractives, intellectuelles, imaginaires, etc. Ces différences, et de genre et de degrés, ont leur source dans les concauses ou raisons composées. 1° Selon le degré de pureté de l’esprit astral et de ce qui est au-dessus ou au-dessous. 2° De la proportion où est l’état du patient ou récipient avec cette pureté ou impureté. Ainsi la sainteté, vérité ou mensonge ou mélange dépend de l’état proportionnel de celui qui reçoit ou souffre la vision, ou dans l’entendement ou dans l’imagination, etc., etc.
5° Il en est de même des miracles ou prodiges non purs et saints. Ils sont en proportion avec l’état, non plus proprement du patient, mais de l’agent, parce qu’en meilleure part ils dépendent de la volonté. C’est une chose incroyable que la force d’une volonté dépravée, animée invisiblement par l’ennemi, qui a droit et pouvoir sur elle, et en la quantité qu’il a ce droit et pouvoir de l’animer ; et par conséquent tout ce qu’il peut produire en concours réciproque. Le saint roi David connaissait bien ce mystère. Les forts ont cherché mon âme 96. Et au Psaume XCI on voit cette économie ténébreuse, dont nos prétendus philosophes se moquent. Les dangers seraient innombrables si DIEU ne contreminait et ne bornait invisiblement l’activité de l’air plus ou moins impur, animé par l’ennemi et mis en jeu contre les hommes. Mais un bouclier invisible le repousse. La bride lui est lâchée ou serrée et retenue. Et c’est surtout ceux qui sont sous la protection plus immédiate de DIEU, et ont su la gagner, qui sont garantis, comme on le voit au même Psaume. Il est souvent parlé de ces forts dans l’Écriture, conspirateurs contre les hommes dans le physique et dans le moral ; il y aurait d’infinies choses à en dire ; mais ce que j’ai dit suffit amplement aux entendeurs avisés pour ne cesser de chercher et de se mettre sous la protection du DIEU vivant 97, seul fort par-dessus tous ces forts, seul invincible, seul bouclier de ses élus, contre toute la force de l’ennemi, seul victorieux dans les siens et pour les siens, seul enfin à qui soit la gloire éternelle ; gloire qui ressortira et résultera un jour, même de tous les efforts de l’abîme......
6° Sans entrer plus profondément dans la discussion des visions, révélations, prophéties, et même des miracles ; ni de leurs genres, natures et degrés ; on ne peut nier qu’il n’y en ait de très-purs et de très-saints, tout comme il en est une infinité d’impurs, soit dans les causes, soit dans les buts, soit enfin dans les agents ou patients. Sans cela il faudrait, quant aux derniers, brûler tous les livres des Païens et fermer les yeux sur ce qui s’est vu de tout temps et se voit aujourd’hui, que ces phénomènes ont pris pied et se sont multipliés en Europe. Et quant aux premiers, j’entends les saints miracles et les pures et divines prophéties, il faudrait, pour les révoquer en doute, brûler aussi, soit dit sans blasphème, nos saints livres. Sans cela que deviendraient les célestes visions d’Ézéchiel, de toutes les prophéties de St. Jean ? etc. Et même ces divins livres annoncent et décrivent toutes les visions et miracles impurs, pour qu’on se précautionne contre eux et qu’on s’en défie, en indiquant les sûres marques auxquelles on peut les distinguer, comme je l’ai déjà dit.
7° Qu’à quelque degré de sainteté que puisse être parvenu un prophète ou un agent de vrais et saints miracles, et quelque pureté même qui puisse être dans ce qu’il voit ou opère, ce n’est point par ces prophéties ou miracles qu’il est sauvé. Ce sont des dons extraordinaires qui peuvent accompagner la sainteté, mais qui, par eux-mêmes, uniquement, ne sont pas salutaires pour le canal qui en est l’instrument. Car ces dons ne lui sont pas accordés pour lui proprement, mais bien pour les autres, en instructions ou témoignages, etc. C’est à DIEU seul qu’en doit revenir la gloire, et qui a ses vues dans la concession de ces dons, plus relatives à LUI-MÊME et aux autres qu’à celui à qui il les accorde. Tellement que si cet agent miraculeux en prétendait tirer quelque gloire ou profit quelconque pour lui-même, dès ce moment il deviendrait un démon renversant le but de Dieu dans ces dons et s’appropriant injustement une partie de la gloire due à DIEU seul. Ce n’est aucun de ces dons qui fondent le salut. Il ne peut être accordé qu’à la foi pure, à l’espérance chaste, et à la charité, c’est-à-dire, à l’amour pur et suprême de DIEU, et à l’union avec lui. Tout le reste est des accessoires quant au salut éternel, qui n’est qu’en Jésus-Christ et dans l’imitation de sa vie, et il n’est pas besoin d’avoir ces vocations extraordinaires pour l’obtenir.
8° Je déclare, et je n’ose le nier, que parmi l’innombrable nombre de ce qu’on appelle aujourd’hui les illuminés, et qui sont et secte et spectacle en Europe, parmi ce nombre de plus ou moins mauvais, plus ou moins fondés, ou jouets de l’illusion et des passions qui se glissent dans ce domaine ; je n’ose point nier, dis-je, qu’il n’y en ait de vrais, et des vases appareillés par une vie de renoncement à eux-mêmes, pour recevoir de ces communications pures. À la vérité, le nombre de ces derniers, s’il existe, est infiniment petit. Rari nantes ingurgite vasto. Ces personnes très-rares ont ce qu’on appelle la vision intuitive, qui leur montre les vérités universelles, les saints mystères, les cieux, les célestes intelligences, la terre, le jeu de l’univers, et dont ils peuvent donner une démonstration par l’Écriture Sainte, à laquelle on ne peut pas se refuser 98.
9° Que quand même la miséricordieuse sagesse de Dieu ouvre cette économie de lumières dans nos temps, que leurs besoins la sollicite d’ouvrir, il ne faut pas croire que ces Illuminés même du plus haut et du plus pur degré, et malgré la certitude de leurs lumières, soient les seuls en possession de la sainteté ; ni même qu’il n’y ait pas une voie plus sainte encore que la leur, quoiqu’elle ait la perfection de son genre. La pure route de la foi simple et aveugle surpasse encore infiniment celle de ces intuitions. Chacun a sa vocation, et la leur peut être bonne et appropriée aux vues que Dieu prétend tirer de ce don en eux : et il faut que chacun soit très-fidèle à sa vocation, sans quoi il se sortirait de la volonté de DIEU. Le Juste vivra de sa foi 99, de la foi qui lui est particulière, et encore : Ô Éternel ! je connais que la voie de l’homme ne dépend pas de lui 100. Et quoique je sois bien éloigné de blâmer ces illustrations et lumières pures, et que même, comme on voit, j’en établis l’utilité appropriée aux desseins de DIEU, variant sa marche selon les temps et les circonstances où la liberté de l’homme amène les évènements, les consécutions et les besoins ; je prie le Lecteur toutefois de se rappeler le beau mot de St. Paul, dans sa première Épître aux Corinthiens, chapitre 13, les versets 1. 2. et 8, et même tout le chapitre entier. Et je dois dire ici, pour qui en voudrait faire son profit, qu’il n’est rien de plus admirable que le plein jour que madame Guyon a répandu, dans ses ouvrages, sur la différence des deux routes de lumière et de la foi pure. Là, en assignant à chacune sa place et son prix, elle montre invinciblement que la route de la pure foi surpasse encore infiniment celle des lumières, quelque pures qu’elles puissent être 101.
10° Après cette discussion, qui répand le plus grand jour sur tout ce qu’on lira dans la suite, j’avertis encore que les voies de lumières, ou bonnes, ou inférieures à celle dont je viens de parler et dont les degrés sont en grand nombre, jusqu’à ce que le somnambulisme a de plus impur, que tout cela doit être infiniment distingué du vrai mysticisme, calomnié également par les ignorants et les incrédules, et de la vraie vie intérieure et cachée en DIEU 102, pour parler avec l’apôtre, en laquelle consiste tout vrai, pur et saint mysticisme, qui n’est autre que la religion du cœur, de l’amour et de l’adoration intérieure. Je fais cette remarque pour précautionner tout lecteur avisé contre la confusion que l’ignorance du peuple et la malignité des incrédules jettent de concert sur cette pure et sainte route, en appelant mysticisme tout ce qu’il ne comprend pas ou qui porte l’empreinte de l’extraordinaire. Le vrai mysticisme, ou le vrai intérieur, n’a rien de commun avec toutes ces choses et même en est infiniment éloigné. Il n’a rien de brillant, mais il a tout le divinement réel dans le cœur, et l’intérieur de l’homme uni avec Dieu par l’amour et la charité qui le lie à lui. La charité, ou amour de DIEU, est le lien parfait 103, dit l’apôtre, et j’ajoute le seul parfait, et toute lumière même la plus angélique et céleste qui ne part pas de cet amour ou n’y conduit pas, les mystiques et intérieurs la laissent à ceux qui en font tant cas, à leur charge et à leur décharge. Et j’avertis encore que les illuminés dont je parle doivent aussi être soigneusement distingués des inspirés dont il est question dans le livre de cet ouvrage qui traite de la foi. Je le remarque encore dans cet endroit-là, afin de lever toute équivoque. Les illuminés vont par la voie de lumières objectives, vraies ou fausses, pures ou impures, divines ou mélangées ; et les inspirés vrais ou faux ont pour guide, non pas tant les lumières dans le genre et en la manière des autres, qu’une motion interne, un attrait qui les pousse à agir ou à n’agir pas. Et il en est à leur égard comme des illuminés dans leur genre, c’est-à-dire, que cette inspiration peut être de tous degrés, de pureté ou de mélange, depuis la toute haute, sûre et divine inspiration des saints Prophètes et Apôtres, jusqu’au plus bas degré des mélanges que l’ennemi peut y injecter en punition de l’orgueil, qui mérite d’être livré à l’erreur, et en venant réchauffer et animer cet orgueil. Voilà la différence entre les illuminés et les inspirés. Les uns voient par une intuition objective et les autres sont mus, sans voir, quoiqu’il peut aussi y avoir des mélanges et d’illumination et d’inspiration. Mais ce que je viens de dire est la ligne qui les distingue.
11° Des personnes scrupuleuses, en même temps que peu instruites des bornes qui séparent la vérité du mensonge, et ne sachant pas les discerner, crieront peut-être au péril, d’après ce que je viens de déduire. Elles diront : « Comment, en des objets si dangereux et d’une si grande conséquence, pouvoir éviter la méprise, comment distinguer le vrai du faux, le saint de l’impur, et cette quantité de mélanges qui peuvent se glisser, comment se garantir de l’illusion et des tentations de l’ennemi ? etc. » Je leur réponds : 1° Que je leur ai donné la règle infaillible de faire ce discernement ; qu’il n’y a que l’orgueil, les passions et l’amour-propre, ou l’amour d’une excellence qu’on s’approprie, où l’ennemi puisse avoir accès ; toute vraie humilité, démission et défiance de soi-même, et dans cette disposition le recours du cœur à DIEU, sans vaine curiosité, voilà ce qui échappe infailliblement à tous les traits de l’ennemi et le repousse de bien loin. Voilà le vrai discernement des esprits 104, pour parler avec l’Écriture, selon la précaution qu’elle indique, de ne pas croire à tout esprit. 2° Que cette même Écriture donne, à qui veut les voir et les rechercher en elle, toutes les marques sans exception ; et les signes indubitables au moyen desquels on peut faire ce discernement ; et, avec une vérité et une plénitude digne d’elle, indique tous les cas ; tellement que le Lecteur attentif peut y lire avec la plus grande certitude et y apprendre à démêler les vrais et faux miracles et prophéties même dans tous leurs degrés et mélanges. Les passages qu’on en pourrait citer sont innombrables 105. 3° Mais ma grande réponse et celle qui termine absolument toute objection et toute question, c’est que le Chrétien n’a pas même besoin de faire ces discernements qui pourraient l’amuser, le distraire, l’entortiller de doutes et de scrupules, et le détourner de la route simple dans laquelle il doit marcher en la présence de DIEU 106 et en pleine confiance. Il n’a qu’à aller son chemin en intégrité et par le cœur, en laissant tomber et oubliant tout l’extraordinaire que DIEU vérifiera en son temps, s’il vient de lui, et qu’il amènera dans les moments de sa providence, sans que le Chrétien s’en mêle lui-même ni les anticipe par une vue curieuse ou par son action propre. La piété réelle ni l’amour de Dieu, qui sont la seule chose nécessaire et essentielle, ne gisent point dans l’extraordinaire ; et non-seulement ils s’en peuvent passer, mais ils en sont très-indépendants.
12° Pour confirmer ces vérités et y répandre un plus grand jour encore, il faut faire ici une distinction à laquelle on n’a pas fait assez d’attention. Les miracles, les prophéties et tout l’extraordinaire de ce genre, quelque vrais et saints qu’ils puissent être, lorsqu’on les envisage littéralement, ne sont que des preuves externes de la religion. Ils parlent aux sens et à la raison, mais ils ne vont pas plus loin ; ils fondent la persuasion à l’Évangile, et servent de base et de démonstration à ce que j’appelle dans cet ouvrage la croyance, très-distinguée, comme elle doit l’être, de la véritable FOI, qui n’a aucun besoin de ces témoignages extérieurs, dès que le Chrétien est élevé à ce domaine de la FOI. Il a en soi et dans son intérieur le vrai miracle et la vraie prophétie ; le St. Esprit lui apprend tout au-dedans. Vous avez reçu l’onction du St. Esprit, et ainsi vous connaissez toutes choses, dit St. Jean 107 ; et ceci me rappelle le beau mot du bon Roi St. Louis dans la Terre Sainte. On voulait le mener voir un miracle qui se faisait ; il refusa d’y aller, disant : « Je crois, je n’ai pas besoin de voir. » J’ai, dans la foi, ma vue au-dedans, qui est plus haute et plus sûre encore que toutes les vues. Le Chrétien vraiment intérieur a bien plus encore au-dedans de lui-même que tous les miracles et les prophéties, puisqu’il a gravé en soi, incrustés du doigt même du St. Esprit, les divins mystères de la religion, qui s’opèrent en lui très-réellement, quoiqu’invisiblement pour le monde. Il n’a que faire de tout le reste ; et les miracles de la grâce sont, en leur genre, une analogie parfaite aux miracles que notre Seigneur opérait au-dehors.
13° Ainsi, il ne faut pas confondre les domaines ni remuer les bornes assignées à chaque chose. Les miracles et prophéties littéraux sont destinés à vaincre l’incrédulité et, par ces témoignages extérieurs, à l’élever à la persuasion ; mais aucun miracle externe ni prophétie ne donne la vraie Foi, qui s’injecte au-dedans par le St. Esprit seul. On voit que notre adorable Sauveur, à qui la nature entière était soumise, et qui avait la puissance et les êtres à son commandement, refuse aux Scribes et Pharisiens le miracle qu’ils lui demandaient, parce que la croyance n’aurait servi de rien à leurs cœurs dépravés et incapables d’arriver par ce témoignage extérieur à la FOI salutaire, à laquelle il ne peut servir que d’échelon. La nation méchante et adultère recherche un miracle, mais il ne lui en sera point donné d’autre que celui du prophète Jonas, etc. 108 Et Paul, son Apôtre, dit : Les Juifs demandent des miracles, et les Grecs cherchent la sagesse (la fausse sagesse, celle qui nous rend sages à nos propres yeux, et qui dès là n’est qu’une folie), mais pour nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, qui est scandale aux Juifs et folie aux Grecs 109. Ainsi, le Chrétien a en soi le mystère de la crucifixion de Jésus-Christ, qui est la vraie sagesse, et un témoignage d’un ordre plus divin encore, plus direct que tous les miracles et les prophéties externes. Il fallait les miracles et les prophéties pour fonder l’extérieur de la religion.
14° Mais je puis aller plus loin, et montrer comment, malgré l’erreur même que l’ennemi peut glisser dans les choses extraordinaires, un vrai Chrétien ne pouvait pas être trompé, et non pas même quand il serait un moment, ou pour un temps, dupe de l’illusion ; car, sans parler davantage des marques distinctives, sans parler de l’instinct secret qui, par un mouvement sûr (quoique sans illustration) par lequel il peut rejeter le faux et l’illusion, par le dégoût et l’aversion de son cœur établi dans le vrai sentiment et gardé par lui, j’ose assurer que même cette illusion lui tournerait tôt ou tard à profit ; qu’une chute même, que DIEU permettrait, pour l’humilier plus profondément encore et écraser les restes de l’orgueil de grossier devenu spirituel ; que cette chute lui tournerait en bien et serait une perte pour l’ennemi, qui, prétendant établir son règne, ne ferait que le détruire par sa séduction même sur ce Chrétien, dont l’élection est affermie dans l’habitude du cœur tourné à DIEU. Toutes choses tournent en bien à ceux qui aiment DIEU 110 ; toutes choses, sans exception, et leurs fautes même. C’est ici que viennent les exemples de David et de St. Pierre ; et on voit la bonté infinie de DIEU dans ces permissions, et le parti que sa miséricordieuse sagesse en sait tirer pour le salut de ses Élus ; que ces chutes, qui semblent l’ébranler et détruire, ne font, pour la suite, que préparer plus plein et, par la pénitence et les regrets, que l’affermir davantage. Félix culpa ; mais je parle ici du Chrétien affermi, et non du mondain, qui se jette dans le péril ; des chutes qui échappent à la fragilité, et non des chutes volontaires et délibérées, des chutes permises de DIEU, un moment retirant sa grâce pour montrer l’homme à lui-même et ce qu’il serait sans cette divine grâce, et non des chutes de ceux qui se ruent volontairement dans le mal et qui bravent tout. La différence est infinie ; l’un est sous la direction de DIEU qui, par la chute permise, veut arracher un reste d’orgueil qu’il a en détestation ; et l’autre, en la main de son propre conseil 111, est abandonné à lui-même, et va sans frein et sans retenue, selon son cœur 112 et sa volonté dépravée ; et il faut bien distinguer encore ce qui est habituel d’un acte isolé, momentané, qui vient d’une surprise des sens et échappe à la fragilité.
15° S’il n’y a point de danger pour le Chrétien dans les miracles et prophéties où il s’insinue du mélange et qu’il n’a qu’à laisser tomber et condamner à l’oubli sans y faire attention, ces mêmes prophéties et miracles, quoique mélangés et en une certaine quantité infectés de faux, peuvent indirectement et par contrecoup être en quelque sorte utiles pour étonner les incrédules, les réveiller, et même en faire passer par ces illustrations quelques-uns au doute, du doute à la persuasion, ou évidence morale ; et enfin les élever par degrés au domaine de la Foi. La raison en est qu’il y a toujours une quantité de vérités parmi le mensonge ; que les vérités théorétiques y sont quelquefois prépondérantes et plus fortes que l’erreur qui y est mêlée ; que ces vérités prophétiques et ces lumières sont très-brillantes et séduisantes, par conséquent, pour la curiosité de l’homme, qui aime l’éclatant, l’extraordinaire, et est toujours avide de la nouveauté ; parce encore que les vérités (quoique mêlées) qu’elles montrent sont au profit de l’évidence morale, et découvrent dans la religion des secrets et des théories que la simple raison sensualisée ne voit point par elle-même. Je le répète, c’est le cas actuellement des livres de Swedenborg et de ceux de ce genre. Ces livres font du bruit et spectacle, on les recherche, on lit, on est étonné. Beaucoup même d’incrédules qui en commencent la lecture dans l’intention de s’en moquer, au bout du compte viennent à soupçonner du vrai et, enfin, semblables au papillon qui voltige longtemps autour de la bougie, s’y prennent comme lui. Et que serait-ce si, en des Écrivains plus hauts et plus purs, on voyait dans les nouveaux phénomènes qui s’élèvent, et dans le nouvel ordre de choses qui s’ouvrent en contrepoids à l’incrédulité dévorante et universellement répandue, que serait-ce, dis-je, si on voyait paraître des ouvrages où les vérités les plus curieuses, et tout-à-la-sois divines et pures, seront étalées, démontrées par un système lié de l’Écriture sainte uniquement, et mises à la portée de la raison, qui sera forcée d’en convenir et de les croire ?
Et c’est ainsi, ô mon DIEU ! que votre miséricorde infinie en faveur des hommes et les industries de votre sagesse non moins infinie savent tirer le bien du mal même ; que malgré l’erreur, votre vérité s’étale et se montrera aux yeux même les plus malades ; que tenant les rênes de l’univers, vous les lâchez à l’ennemi, vous les retenez selon les vues de votre justice ; que dans vos mains cet ennemi, croyant établir son règne, le détruit, et par les tentations même dont il prétend et l’étendre et l’affermir. Et qu’enfin, ô mon DIEU ! votre gloire sort déjà par parcelles, par étincelles, du fond de l’abîme, jusqu’à ce qu’après que tous ses vains efforts seront épuisés et sa rage anéantie, cette gloire, qui doit enfin se retrouver pleine, en ressorte toute entière. Saint, Saint, Saint est l’Éternel, le DIEU des armées ; tout ce qui est dans toute la terre est sa gloire 113 !
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CHAPITRE VIII.
De Mahomet.
PUISQUE j’ai dit un mot de Mahomet, je donnerai encore ici un petit tribut à la curiosité du Lecteur. Il ne faut pas se figurer que ce faux prophète n’ait été qu’imposteur ; il a été tout-à-la-fois séduit et séducteur. Son Ange Gabriel, (l’ennemi se transforme en Ange de lumière 114), il l’a cru plus d’une fois, le vrai et saint Ange qui a ce nom dans l’Écriture. Voilà la source de ses visions et révélations ; çà et là il a parlé de DIEU d’une manière sublime (mais vaguement, comme un déiste), parce que l’ange de ténèbres, transformé, ai-je dit, en ange de lumière, devait colorer sa séduction, qui n’aurait pas eu son efficace s’il n’y eût eu un mélange de grandes choses et un air de religion et même de piété ; c’était là le passeport à ses ridicules erreurs.
Il a été tout-à-la-fois et séducteur involontaire et séducteur volontaire. D’abord, il est certain qu’il a reçu des révélations ; mais comme le genre des révélations, vraies ou fausses, et le caractère qui leur est commun, est d’être momentanées, inspirées par lambeaux, par intervalles et par saillies, sans contexture, sans continuité et sans suites (ce sont des visions momentanées et qui passent, des mouvements impétueux, par reprises, qui cessent et ont des suspensions, et par conséquent n’ont pas un ordre d’enchaînement, comme sont les démonstrations du discours ordinaire et uni), il suit de là que Mahomet, voulant faire servir ses révélations à son agrandissement, et une politique en apparence religieuse à son ambition, il était nécessaire à son but qu’il bâtit un système de religion, qu’il fît un corps de doctrine, si du moins, on peut appeler corps de doctrine, un ramas monstrueux de quelques belles et grandes idées avec un tas de sottises. Il fallait, pour composer ce système de religion prétendue, que les lacunes entre l’une de ces révélations et une autre qui, après un intervalle, lui était montrée sans liaison entre elles, mais comme jetées sans ordre ni de temps, ni d’idées ; il fallait, dis-je, que ces lacunes fussent remplies. Et voilà en quoi a consisté son imposture volontaire et sa fourberie.
Quelques secours ont rempli ces besoins et ont servi de supplément et de liaison à ces révélations. 1°. Sa raison propre, teinte des faux brillants d’une imagination vive et orientale, colossale et gigantesque. Il y a çà et là, dans l’Alcoran, des beautés d’imagination, et même du sublime, dans ce qu’on appelle les beautés d’illusion. C’est quelquefois un beau désordre et un délire attrayant ; souvent il n’est rien de si beau que ce que le Diable fait produire à une imagination qu’il remue. Nous en avons des exemples frappants dans quelques-uns de nos incrédules modernes. Et Ste. Thérèse n’avoue-t-elle pas qu’avant d’être instruite et préservée d’en haut, et avant que l’esprit de régénération lui eût appris à démêler les ruses de l’ennemi, elle en avait plus d’une fois été la dupe, et avait eu plus de douceur et de plaisir aux lumières séduisantes qu’il lui envoyait pour sa part, et aux sentiments agréables que lui donnaient ces lumières, qu’elle n’en avait eus aux lumières chastes et pures du St. Esprit, qui ne remuent point la partie sensuelle, mais qui sont toutes au profit du cœur et de l’amour de DIEU ?
Pour revenir à Mahomet comme imposteur volontaire, je disais donc que son imagination et sa raison ont été l’un des suppléments aux révélations qu’il recevait par intervalles. Il en a trouvé un autre, qui le démasque absolument et accuse à jamais son imposture, quand tout, sans exception, ne la mettrait pas pleinement à découvert ; je veux dire les secours et les lumières qu’il a tirées d’un certain Batiras, hérétique Jacobite, mais surtout, de Sergius, moine Nestorien, et de plusieurs Juifs, qui pouvaient lui donner de grandes lumières, excepté la connaissance du VERBE VRAI DIEU, qu’ils ne connaissaient pas ou ne voulaient pas connaître, et qu’ils avaient un diabolique intérêt à blasphémer.
Ainsi, l’Alcoran est un ramas, une compilation, dont trois sources ont fait la couture, et ont mis ensemble tant d’idées, étonnées, pour ainsi parler, de se voir réunies. 1°. Les révélations de l’ennemi faisant une prosopopée, prenant la figure et jouant le personnage de l’Ange saint et véritable. 2°. L’imagination de Mahomet réchauffée, animée et enfantant des tableaux et des prestiges éblouissants.
3°. Enfin, les secours et les lumières, quelque fois vraies et plus souvent fausses, qu’il a tirés de son association et de son commerce avec des hérétiques assez lâches et impies pour lui fournir des idées et habiller ses impostures, mais surtout de Juifs détestant le Christianisme et qui, dignes successeurs de leurs pères déicides, étaient charmés de lui prêter des armes et de l’aider de tout leur pouvoir à détracter et ruiner l’Évangile, s’ils l’avaient pu.
Il est des personnes instruites qui ont mis en question si ce pseudo-prophète n’avait pas eu quelques vraies révélations, qu’il a ensuite étouffées, soit par ses propres lumières ou lumières fausses de sa raison, soit par celles qu’il recevait de ces gens là, soit enfin parce que le système dont il a obscurci ce peu de révélations du bon Ange s’accommodait mieux avec sa politique et la fureur de dominer et de s’agrandir. Quoique je ne connaisse que trop les horribles mélanges que peuvent faire la nature et les passions dans l’homme avec la lumière pure, je ne crois point que Mahomet ait eu aucune révélation du vraiment bon et divin Ange ; mais à supposer le contraire, il n’en serait qu’infiniment plus coupable ; car cet Ange divin n’aurait pu manquer de lui donner la connaissance du VERBE, et de lui montrer qu’on ne peut connaître DIEU qu’en son Fils adorable ; en qui seul il s’est peint et révélé. Mais il fallait à cet imposteur un contraste avec le Christianisme qui lui faisait ombrage, sur les ruines duquel il voulait s’élever, dont les progrès n’étaient pas son compte et contrecarraient ses vues, et qu’il lui convenait de détruire.
Comme Mahomet n’est pas du tout mon but dans cet ouvrage, et que je ne l’ai envisagé un moment que par rapport à ces Illuminés de toutes sortes, de tous degrés et de toute taille, si je puis m’exprimer ainsi, qui au temps qui court s’élèvent de toutes parts, je n’approfondirai point ce qui regarde le Mahométisme, dont il y aurait toutefois une infinité de choses très-curieuses à dire ; ainsi, je ne m’y appesantirai point, ni n’examinerai la morale de l’Alcoran, que beaucoup d’ignorants ont vantée le plus mal-à-propos du monde ; car la morale qui n’est que morale et qui propose les vertus naturelles, les droits et devoirs sociaux et réciproques, fondés et sur la nature et sur les relations et les circonstances ; cette morale (on l’a vu au second livre de cet ouvrage) est de tous les peuples et de toutes les nations, du Païen, du Déiste, etc., et d’ailleurs ne peut être purement pratiquée que par le principe plus pur du Christianisme et du St. Esprit qui, régénérant l’homme, le met dans l’amour de Dieu, seul vrai principe de toute morale pure, exactement mise en pratique ; sans cela, toutes les vertus apparentes ne sont que de fausses vertus, des branches qui ne partent pas de la vraie sève et qui, manquant de ce seul vrai principe, et par le motif, sont soufflées et jetées au vent à la moindre approche de la règle invariable de toute morale. Ainsi, à cet égard, le Mahométisme ne peut pas du tout se vanter d’avoir rien de plus que les Païens, les Déistes, et pour tout dire en un mot, rien de plus que tout l’univers corrompu.
Mais encore, si on envisage la morale de l’Alcoran et le système de Mahomet du côté politique, qui fait une partie de la morale, rien n’est plus monstrueux que cette morale politique. Le despotisme, la justice la plus arbitraire ou, pour mieux dire, point de justice envers les sujets que dans la volonté d’un méchant prince qui, au gré de son caprice, se joue de la vie d’hommes comme lui ; les sujets qui se révoltent à tout instant et à tout propos, et qui se vengent du despotisme en demandant la tête du despote ; les tyrannies réciproques, les horribles cruautés, les fureurs, les haines, les inhumaines vengeances exercées contre les ennemis. Voilà le tableau, le spectacle issu de l’Alcoran, et les hauts faits de son admirable politique.
Je ne m’appesantirai pas non plus sur cette hérésie de la prédestination à la Turque, sans ordre, sans suite, sans vérité, où toutes les idées sont brouillées, où on confond le certain avec l’infaillible, où le destin règle tout par saut, sans poids ni mesure, où les causes n’ont point de liaison avec les effets, ni les effets leur source et leur règle dans les causes où jamais le contraire de ce qui arrive n’a été possible, où, où, où.... Cette matière est traitée dans mon ouvrage sur la Prédestination.
Mais ce qui mériterait un regard un peu approfondi, un coup d’œil du moins, ce serait deux choses assez curieuses. 1°. La première origine du Mahométisme. 2°. Sans vouloir témérairement entrer dans les profondeurs du conseil de DIEU, essayer humblement de voir la grande raison pour laquelle sa Providence a permis et même dirigé du concours général cette séduction et lui a abandonné de si étonnants progrès. Ces deux discussions demanderaient un calcul assez fin. Je dirai de chacune deux mots, sans épuiser une si abondante matière.
1°. La première origine du Mahométisme. Vous la trouverez dans la promesse que DIEU fit à Abraham, à l’égard d’Ismaël, et qu’il réitéra à Agar sa mère, désolée de voir mourir son enfant dans le désert, faute d’eau 115. Ceci demanderait un long détail, j’abrégerai au possible. Pour bien entrer dans ma pensée et dans la vérité, il faut comprendre, que ce patriarche père et chef des vrais croyants était, par son illustre foi, le grand favori de DIEU, et qu’ainsi les plus excellentes, les plus complètes et les plus divines bénédictions reposaient sur sa tête, non pour lui seulement, mais pour toute sa postérité, encore, dont il était tout à la fois le tronc et la figure. Il était le dépositaire de ces promesses. Mais comme c’était par Isaac qu’elles devaient s’écouler et se transmettre à ses descendants jusqu’à la semence bénite Jésus-Christ, voilà ce qui était la bénédiction directe, pure, pleine et descendante en droite ligne, si j’ose m’exprimer ainsi. C’est en Isaac que te sera appelée semence, ou pour mieux traduire, c’est d’Isaac que doit sortir ta race 116. Qu’on lise avec attention toute la suite de cette histoire au chapitre XXI que j’ai cité et au chapitre XVI à laquelle St. Paul fait allusion aux Romains IX v. 7, et aux Hébreux XI v. 18, et on verra dans son ensemble et dans ses rapports tout ce que je vais dire éclairci et vérifié.
Abraham était tellement favorisé de DIEU, que tout ce qui devait sortir de ses reins ne pouvait manquer d’avoir une certaine bénédiction. Ainsi, il n’avait pas seulement la pure, sainte et directe, mais comme on voit dans la nature, le soleil, outre son rayon lumineux et éclatant, faire par ses réfractions, et ses brisures une lumière indirecte, moins pleine, et toutefois une sorte de lumière, de même Abraham avait en lui, selon la promesse de Dieu, toutes les espèces de bénédictions, la sainte et directe, et, par un reflet de faveur infaillible, outre la bénédiction légitime, il en avait une bâtarde, indirecte. Ce sont les sous-bénédictions, les bénédictions de surcroît, une surabondance de bénédiction, de la quantité et qualité qu’elle peut l’être, n’étant pas la vraie et directe. On voit la même économie de bénédiction transcendante et pure et de ces sous-bénédictions répétée dans celles qu’Isaac donne à Jacob et Ésaü. N’as-tu qu’une bénédiction, mon père, s’écrie Ésaü dans son amertume 117. Or comprenez maintenant comment, en quelle quantité et qualité subordonnée, le Mahométisme a pu s’établir et avoir les plus étonnants succès, par la raison que les Mahométans et leur chef Mahomet sont descendus du patriarche Abraham par Ismaël et Agar, quoiqu’à la vérité par la suite des temps, les Ismaélites, ou Arabes ont été mêlés par les Iduméens avec le sang d’Ésaü. Tellement que les Mahométans se vantent très-mal à propos de la pureté de leur origine, tirée, selon eux, du seul Abraham par Ismaël.
Quoi qu’il en soit, car cela fait peu à mon sujet, il faut considérer : 1° Que les succès de domination temporelle avaient été promis à Abraham pour Ismaël et les douze Princes ses descendants 118 ; et ce genre de prospérité de très-peu de valeur, si on le compare à la bénédiction vraiment divine, cette prospérité temporelle, dis-je, s’est comme résumée en Mahomet et ses successeurs qui l’ont ramassée. Je dis de très-peu de valeur comparativement à la sainte bénédiction qui devait être transmise par Isaac, vu que les périssables avantages de la terre n’ont aucune commensurabilité avec les permanents biens du ciel et la vie divine et éternelle. Vous avez la preuve de ces promesses temporelles faites à Abraham pour Ismaël et ses descendants dans les passages les plus formels de l’Écriture, et vous y voyez encore la différence vraiment infinie entre ces promesses et celles qui devaient reposer sur Isaac le vrai Fils, et être transmises par lui.
Abraham aimait beaucoup Ismaël (et il ne faut pas s’en étonner, au fond il était son Fils), car lorsque Sara, indignée de ce que ce Fils de l’Égyptienne Agar se moquait, voulut qu’Abraham le chassât, il est dit en propres termes : cela déplut fort à Abraham au sujet de son fils 119, mais DIEU, condescendant à son chagrin, et voulant lui montrer en dédommagement infini la différence entre les deux promesses, lui dit : n’aie point de chagrin au sujet de l’enfant et de ta servante, etc. C’est en Isaac que sera ta vraie semence ; et toutefois je ferai devenir aussi le fils de la servante une nation, parce qu’il est ta semence. Et cette promesse fut confirmée à Agar dans le même chapitre, et surtout au chapitre XVI, où l’on voit que, méprisant sa maîtresse, elle reçut l’ordre de retourner et s’humilier sous elle, et, pour la consoler, l’Ange de l’Éternel lui dit : Je multiplierai beaucoup ta postérité, tellement qu’elle ne se pourra nombrer tant elle sera grande. Tu enfanteras un Fils que tu appelleras Ismaël. Ce fera un homme farouche (voilà son caractère marqué) comme un âne sauvage, sa main sera contre tous (voilà sa force) et la main de tous contre lui, etc. Ainsi la force, la férocité, la domination temporelle ne pouvaient manquer d’avoir lieu dans les descendants d’Ismaël, et par conséquent en résumé sur Mahomet, vu l’infaillibilité et l’immutabilité des promesses de DIEU. Et voilà la clef de ses succès.
Et franchement Agar semblait avoir dans l’ordre de la justice quelque droit à cette sous-bénédiction, c’était Sara elle-même qui, se voyant stérile, l’avait donnée à Abraham ; sans compter plusieurs autres raisons ; mais l’orgueil qu’Agar en conçut et ses mauvais procédés méritaient en même temps qu’elle fût chassée, ce qui d’ailleurs était figuratif et typique, comme on le voit en St. Paul, et disposé et ordonné ainsi de plus haut 120. Je ferai, chemin faisant, une remarque singulière sur ce que Sara, donnant Agar à Abraham, dit : peut-être aurai-je des enfants par elle. Il ne faut pas croire que le vrai sens de ces paroles soit que les enfants des concubines fussent toujours comme fils à l’Épouse légitime, car on voit ici tout le contraire ; mais selon un sens intérieur et très-vrai, il arrivait et est même arrivé plus d’une fois, par un très-grand mystère, que sous l’ancienne loi, une épouse légitime et stérile ne pouvait avoir des enfants et que sa fécondité ne pouvait avoir lieu qu’après que l’Époux avait eu une personne que lui donnait la vraie Épouse. Ceci tient à un principe que j’appelle l’Ipsaïté, ou les cas semblables dont l’un appelle l’autre. C’est, dans un sens très-mystérieux et très-haut, ce que l’Écriture appelle les bénédictions de l’abîme d’en bas 121 ; c’est l’expression dont se sert Jacob bénissant ses enfants. Il fallait que ces patriarches eussent, comme Abraham leur père, tous les genres de bénédictions directes et indirectes, etc. Mais ce que j’ai remarqué ici est trop profond, non pas seulement pour le commun des Lecteurs, mais même pour nombre d’entendeurs, ainsi je n’y appuierai pas davantage 122.
Voilà donc pour la prospérité temporelle, et les succès de Mahomet et de ses descendants, en voilà l’origine. Je prie le Lecteur de pardonner ces longueurs où m’ont entraîné les illuminations vraies ou fausses ; longueurs qui semblent d’abord déplacées et inutiles, mais curieuses toutefois pour avoir creusé la source de ces succès ; et d’ailleurs malgré le mépris très-juste que l’on a pour Mahomet et sa secte, il ne demeure pas moins vrai que ç’a été un homme très-extraordinaire, et sa secte une énigme qui dure depuis environ douze siècles. Que si le Lecteur ne s’y ennuie pas, je vais considérer encore un moment le Mahométisme du côté de la Religion, et montrer en même temps l’une des grandes raisons pourquoi la Providence a permis que cette secte se soit élevée et se soutienne depuis si longtemps.
Ismaël était fils d’Abraham, et Abraham vrai dépôt, source et tout-à-la-fois type de la foi personnifiée. Ici il est des quantités contraires et un choc de raisons opposées qui, réunies, font un alliage et un tout monstrueux. Fils d’Abraham, en cette quantité et sous ce point de vue, Ismaël l’est de la foi. Et même rien ne pouvait sortir des reins de ce père des croyants qui n’eût au moins une petite part, une teinture de la foi. Ismaël n’était pas dans l’alliance de DIEU, comme il est dit, c’était le seul Isaac ; mais cette exclusion ne déroge pas à ce que je viens de dire, vu qu’il faut ici envisager et combiner les raisons composées. D’un autre côté, ce fils d’Abraham l’était non de son Épouse, mais d’une Égyptienne. Or l’Égypte dans l’Écriture est type, comme on sait, du monde et de son faux esprit, et ces espèces de mariages ou d’unions irrégulières sont les mélanges moraux et les irrégularités, ou contrariétés morales et antimorales.
Calculez donc, et d’après ces idées vous le pouvez facilement. L’Alcoran a une apparence, une teinture de foi, en ce que c’est un corps et de religion et de morale. Mais semblable à toutes les hérésies qui sont des enfants illégitimes de la foi et un mélange monstrueux de dogmes et de fausseté ; le même Alcoran, que j’appelle avec justice la plus haute de toutes les hérésies, est un monstre de religion, un corps à quelques beaux traits, mais dont les membres, sans concert, sans liaison, sans divine contexture, décèlent ces mélanges et la source, en très-petite partie assez bonne, et, en un plus grand nombre de parties, l’autre source, bourbeuse et empoisonnée.
Mais pourquoi la divine Providence a-t-elle permis une si horrible séduction et semble-t-elle même l’avoir couronnée d’un si long succès, etc. ? Je pourrais en donner une infinité de raisons et répondre qu’on pourrait aussi demander pourquoi il a permis que tant d’autres hérésies aient jeté des semences si empoisonnées pour étouffer, si cela eût été possible, la plante céleste de la pure vérité. Je pourrais vous dire que DIEU se sert de ces mélanges issus des passions et de l’abîme, parce qu’il veut les chocs et les combats pour épreuves de la foi, et par les attaques même l’affermir et l’épurer dans ses enfants. Mais sans y aller sans fin, je n’ai pas été au conseil du Très-Haut, qui sait infiniment tout ce qu’il fait et qui le fait avec une sagesse qui, pour être infinie, déconcerte la raison et ses courtes vues ; toutefois je vois une raison de ce procédé, qui me paraît toute simple. Ce grand DIEU recteur de l’univers procède lentement, parce qu’il est éternel, patiens, quia aeternus, dit St. Augustin, et qu’il se rit de l’abîme et lui laisse épuiser tous ses efforts, parce que, dans son éternité, il trouvera le moment de ramener tout à un ordre exquis, et même par tous les efforts du désordre et de l’abîme.
Mais la raison qui me paraît palpable dans la permission du Mahométisme est en vrai parallélisme avec ce que j’ai dit plus haut. Comme il annonce l’unité d’un DIEU, il peut, et même selon moi, doit être envisagé comme un entre-deux du Paganisme, ou Polythéisme, et de la sainte et pure religion Chrétienne, et comme une sorte de véhicule de l’un de ces deux extrêmes à l’autre ; un degré, un échelon entre l’idolâtrie Païenne et l’adoration d’un seul Dieu, que l’Alcoran annonce. Et on peut voir ici comment tout est en collusion, les promesses de DIEU à Abraham, la sous-bénédiction, ou bénédiction indirecte et mélangée ; un peu du domaine de la Foi, infecté par Agar des ténèbres de l’Égypte ; quelques grands traits de lumières offusqués par d’infernales ombres, une apparence de religion et une horrible hérésie en réalité ; et tout cela dirigé, préparé dans les desseins de DIEU, qui ne ramène la nature humaine, si criminelle, qu’à pas comptés, qui la laisse longtemps dans le séjour des ténèbres qu’elle a voulues, et auxquelles elle s’est vendue, et qui toutefois tire de ces mélanges d’erreurs et de vérités une sorte de bien, en attendant qu’après avoir enfin tout ramené, il en tire sa vraie, pure et éternelle gloire. Mais quand est-ce, ô mon DIEU ! que cela aura lieu ? Vous l’avez dit, Seigneur : Voici, je viens bientôt, oui, Seigneur Jésus, venez, Amen 123. Oui, bientôt, bientôt, bientôt ; il faudra, et le temps en est plus près qu’on ne croit, et tout ce qui se voit dans ces temps l’annonce ; il faudra que tous les Royaumes du monde viennent se rendre à DIEU et à son Christ 124.
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CHAPITRE IX.
Trois miroirs de la Divinité, ou VERBE-DIEU, dans lesquels il s’est peint. Premier miroir. L’homme.
IL est trois miroirs de la Divinité dans lesquels elle a peint l’image d’elle-même ; et ces trois miroirs, ou images, confessent et démontrent la vérité de son être, non pas seulement en la manière vague et générale dont les Philosophes pourraient l’entendre, mais encore pour qui saurait le voir, dans tous les détails qu’elle nous a donnés d’elle-même, en se nommant de divers noms dans la Révélation et dans les énoncés des mystères qui y sont contenus. Ces trois miroirs sont les portraits naïfs et fidèles de tout ce qu’un DIEU éternellement infini en lui-même a jugé à propos de montrer de sa nature au-dehors, par le Verbe qui, dans l’instant simple, éternel, en émane, et en qui sont peints les idées ou prototypes éternels, les originaux d’où viennent l’univers et tous les mondes qui ont été créés d’après et sur ces modèles primitifs.
Ces trois miroirs sont l’UNIVERS, l’HOMME et la RÉVÉLATION. Il n’y aurait pas eu besoin de la dernière si l’homme, demeuré fidèle, eût toujours eu la lumière Divine qui lui aurait montré et en soi et dans la nature la vérité de tous ces adorables mystères, et tout ce que renferme la révélation positive, depuis la chute et l’aveuglement qu’elle a produit, devenue nécessaire, en supplément à la lumière interne que l’esprit de DIEU avait retiré du premier homme tombé. Pour procéder par ordre, prenons ces miroirs l’un après l’autre.
1°. Je dis d’abord l’homme 125. Les vrais Philosophes appellent l’homme, avec raison, le microcosme, ou le petit monde, rassemblant en foi et en miniature, autant que sa nature le comporte, les idées et le modèle du grand monde. Les traits en sont aussi marqués que complets, pour qui saisissant les idées simples et les analogies, a la dextérité de les voir. Voilà l’homme naturel et simplement raisonnable.
Mais si le chef du genre humain n’avait pas mis en fuite la lumière divine qui allumait son esprit, alors il n’aurait pas seulement pu être appelé le Microcosme, mais encore réellement et de fait, le Microthée, ou le petit DIEU. Créé d’abord à l’image de DIEU 126, il voyait et aurait vu en soi non-seulement tous les traits de cette image, dans le détail, comme la peinture du DIEU-homme ou de la Divinité même, mais encore l’ordre des créations à l’extra, dans le modèle qui en était mis en lui ; et même demeuré dans l’innocence ; et ayant heureusement franchi le temps de l’épreuve à laquelle sont appelés tous les êtres moraux, le VERBE, son Créateur, s’écoulant dès lors, s’émanant toujours plus en lui, il aurait fouillé dans toutes les profondeurs de la Divinité et, de révélation en révélation, il aurait parcouru cet abîme sans jamais pouvoir l’épuiser et sans sortir de lui-même, où il aurait eu successivement les visions pures du DIEU-Verbe éternel, infini, immense..... Il faut s’en taire, pour n’en pouvoir parler assez dignement. Tout discours, tout langage y est impuissant ; et voilà ce que l’homme tombé est par la régénération, fruit de la rédemption du VERBE, mort en son humanité pour les hommes ; voilà, dis-je, ce qu’il est appelé à regagner et à reconquérir.....
Les Théologiens disent que l’homme appartient au VERBE-DIEU par la création, ou, ce qui est le même, au VERBE fait homme ou DIEU humanisé par la rédemption, double titre qui fait infailliblement de l’homme sa possession et son domaine. Mais voyez comment tout collude dans l’ordre des vérités et de l’immuable chaîne de la religion ; ce que ces Théologiens ne disent pas ou n’expliquent point clairement, c’est qu’ils ne connaissent pas et ne font pas connaître l’infinie richesse et l’immense fécondité de l’image de DIEU dans l’homme, ne serrent pas cette idée d’assez près et ne savent point assez s’en servir pour montrer l’absolue impossibilité où est l’homme de n’avoir pas, pour sa dernière et imperdable fin, l’homme-DIEU. Je ne ferai qu’indiquer à ce moment cette idée, et plutôt l’annoncer simplement que de la déduire, puisqu’elle trouvera dans un autre ouvrage sa démonstration certaine, lorsque, d’après l’Écriture et la vérité éternelle, j’y traiterai des morphismes peints sur le VERBE, émané et émanant. Je dis donc que l’homme est l’un de ces morphismes, ou images, ou ressemblances, qu’il est peint et représenté, qu’il existe en réalité d’une manière infiniment spirituelle et glorieuse dans le VERBE, sortant de l’infini resplendeur de DIEU 127, et en même temps splendeur primo-première de ce qui devait être créé et exister dans l’univers. L’idée de l’homme entrait dans le décret et a été imprimée dans les morphismes ; c’est ce qu’on peut appeler l’Adam supérieur, et par les descendances des créations où il s’est toujours trouvé il est enfin arrivé sans interruption et sans saut à son être tel que nous le voyons ici-bas et dans la dernière de ses descendances. Tellement que l’idée de l’homme, ayant sa base supérieure, sa racine dans le VERBE même, est imperdable et doit toujours se retrouver.
Et c’est là l’une des grandes raisons pour lesquelles le VERBE infini en charité comme en toutes choses est venu ici-bas pour racheter et reprendre son image dégradée, parce qu’il est de convenance que la plénitude des morphismes se retrouve en lui, selon ce qui est dit et que je tourne ici au plus haut sens : Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés 128 (sinon le fils de perdition, qui est la quantité de mal qui, s’étant réalisée, doit périr), et c’est par la même raison que ce VERBE, comme Père, ne peut manquer d’accepter la médiation de son Fils ; car le Père ne peut se complaire qu’en son Fils, qui est son image. Il est seul, oui, lui seul l’objet de ses éternelles complaisances : C’est ici mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon plaisir 129. Là où est son image universelle, il y est ; ce où elle n’est pas comprise, il le répudie ; et il ne peut manquer de se complaire en ce que, selon notre façon bornée de voir, on pourrait appeler les parties de cette image universelle, n’était que dans ce premier, ou primo-premier prototype, on ne peut ni on ne doit concevoir de parties ni de divisions ; il n’y a rien de morcelé ; tout y est UN, la suprême UNITÉ, mais les morphismes, quoiqu’en un sens toujours à jamais UN, sortent pourtant de lui en distinction. Et ainsi que l’union hypostatique avec l’homme, qui en est la ressemblance, en sortant au-dehors et s’exécutant, ils sortent tout-à-la-fois distincts et à jamais inséparables en lui 130.
Que si je voulais pousser cette idée, et si c’en était le moment, je dirais que l’homme, vu dans ce point de vue et en abstraction du péché et de la révolte, qui ont tout barbouillé et désordonné en lui ; je dirais qu’avant le péché, il était très-réellement un petit DIEU, un DIEU en petit (le microthée) ; et que même depuis le péché, par la force de la rédemption, infinie par elle-même, s’il se la laisse appliquer et si, redonnant sa liberté, il laisse l’esprit du Verbe-DIEU agir en lui et y détruire tout ce que le péché a mis sur cette image, il est destiné à redevenir un petit DIEU, ou Jésus-Christ lui-même ; ou comme l’Écriture l’explique, un des membres de ce Jésus qui relativement à l’homme, comme en tout et partout, est le chef Éternel.
Saisissez ma pensée et comprenez, si vous pouvez. Ce n’est point ici une idée vague, et telle qu’on l’exprime pour l’ordinaire ; ce n’est point seulement cette idée générale, qu’en lui nous avons la vie, le mouvement et l’être 131 ; ce n’est pas seulement DIEU en nous par le principe de la conservation, ou création continuée, et par son concours général aux actions des hommes ; ce n’est pas seulement DIEU dans l’homme, par le principe de son immensité, et même dans le plus perdu des méchants, où il est clos et renfermé en LUI-même sans se communiquer à lui, quoiqu’il le conserve. Ce n’est pas même seulement par l’idée de l’image de DIEU, ou de la très-sainte Trinité mise en nous, et vaguement envisagée ; mais c’est cette idée même, vue dans le sens le plus serré, le plus littéral et le plus précis, et dans toute sa fécondité relative à l’homme, et dans son inexprimable richesse 132....
Ô mystère ! ô mystère ! ô hommes, venez voir dans votre inexprimable grandeur les infinies miséricordes d’un DIEU dont la charité et la sagesse ont tout mis en vous, tout préparé pour vous élever jusqu’à lui.
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CHAPITRE X.
L’un des traits de l’image du VERBE-DIEU dans L’homme. La Parole.
ON comprend que je ne fais que présenter ces idées dont la fécondité et l’infinie beauté mèneraient à des détails prodigieux. Aussi ne donnerai-je ici qu’un seul exemple de développement sur l’idée de l’homme, soit microcosme, miroir du monde, soit microthée, miroir ou image de la divinité. Les Théologiens ont beaucoup parlé, bien ou mal de cette image, et ont donné de certains détails. Je ne répéterai point ce qu’ils ont dit de bon, mais il est un trait de cette image très-exacte de DIEU dans l’homme qu’ils n’ont pas assez envisagé. Je ne parle pas de l’empreinte de la Trinité gravée en lui, au point de ne pouvoir ni la nier ni s’y méprendre pour les entendeurs, vu que toute la nature et tous les êtres, selon leurs degrés, portent cette empreinte de la Trinité adorable. Simplement c’est une idée singulière de l’image du Verbe dans l’homme que je vais déduire ici en peu de mots 133. Tous les Apôtres et St. Jean en particulier parlent du Verbe créateur, ou parole créatrice, car le Verbe est la parole du Père et son expression ; c’est par le Verbe que la divinité parle, et en parlant crée. Mais avant de développer mon idée, je remarque qu’on a très-mal traduit dans la plupart des bibles ce beau commencement de l’Évangile de St. Jean ; les traductions portent au commencement était le verbe, ou la parole 134, et ce n’est point cela. Le mot original est εναρχή. Ce mot αρχή désigne singulièrement, non le commencement, mais le chef, le principe, la source de l’être, l’abîme de l’être. C’est principium essendi, ou existendi, et non principium incipiendi. Le VERBE de toute éternité simple est en DIEU avec DIEU, inséparable de DIEU, et non point un verbe qui commence comme s’il était créé, et non émané en dehors dans le moment éternel sans succession. Ainsi il faut traduire dans le principe était le VERBE (qui était avec DIEU), principe de tout l’être, et ce VERBE était DIEU. Et en suivant la vérité et traduisant de cette fidèle manière, on lève la contradiction entre l’idée du DIEU Verbe infini, éternel, et l’idée de commencement qui en est exclue, et ne peut subsister avec celle de l’éternité transcendante et simple. Mais ce n’est pas proprement où j’en veux venir, et je n’ai fait cette importante remarque qu’en passant. Ce que j’ai à montrer ici, c’est un trait frappant et peu envisagé de l’image de ce DIEU adorable, gravé en l’homme. Un trait, dis-je, entre tous. Le mot grec λογος, qui est l’original, signifie également VERBE, raison, parole, expression. Et le VERBE Jésus-Christ est l’idée, la raison, la sagesse, l’expression, la parole du Père, ou de la Trinité interne dans laquelle il est contenu, et d’où il s’émane éternellement et rayonne en dehors. Or ce verbe, ou parole, est créateur. Par elle toutes choses ont été faites, et sans elle rien de ce qui a été fait n’a été fait 135. Et St. Paul : Par lui ont été créées toutes les choses qui sont aux cieux et en la terre, les visibles, les invisibles, les trônes, les dominations, les principautés, les puissances, toutes choses ont été créées par lui et pour lui, et il est avant toutes choses, et toutes choses subsistent par lui 136. Mais à quoi sert d’accumuler ces passages qui sont sans nombre ? Et comment ce Verbe DIEU, infini de l’infini, a-t-il créé toutes choses ? Le roi David va nous l’apprendre ; il a dit : (il parle du Jéhova de l’ancien testament qui est le même Verbe sous le nom de Jéhova, et révélé aux Juifs sous ce nom sacré) Les cieux ont été faits par la parole de Jéhova, (traduit par le mot d’Éternel) et toute leur armée par le souffle de sa bouche 137 ; car, ajoute-t-il : il a dit, et ce qu’il a dit a eu son être, il a commandé et la chose a comparu 138. Ainsi toutes choses ont été faites par la parole, qui est infiniment féconde et créatrice. DIEU ne peut pas parler sans créer, ce qui serait en lui une imperfection dont il est infiniment éloigné. En lui, le parler est faire et effectuer, est amener du néant à l’existence. Sa parole est impérieuse, une parole de commandement, il faut que ce qu’il prononce arrive. Or sans plus m’étendre là-dessus, vous trouvez ce grand et admirable trait du verbe-DIEU, pour autant et en la quantité qu’il peut y être, en l’homme son image.
Le même David appelait sa langue, ou sa parole, sa gloire. Réveille-toi, ma gloire 139, lorsqu’il voulait louer DIEU et exhaler à sa louange le parfum de ses paroles. La raison de ce titre est infinie, car ce serait le plus beau des traits de l’homme, image du VERBE, s’il en était un plus beau que l’autre. Mais c’est du moins celui qui semble renfermer l’idée la plus précise et le rapport le plus exact et le plus frappant. La parole en DIEU, ai-je dit, est créatrice ; elle est éternellement féconde, son fond ne s’épuise point ; plus elle a créé, plus elle peut créer, et le néant immense, souple à son commandement, ne lui fait jamais de résistance. À sa parole, il traverse dans l’instant, il franchit l’espace infini qu’il y a de lui à l’être. DIEU par sa parole heurte à ses portes, et elles s’ouvrent et produisent. DIEU dit que la lumière soit, et la lumière paraît 140. DIEU parle à l’univers qui n’est pas, et l’univers répond : me voici.
Comprenez maintenant ce à quoi la plupart des hommes n’ont peut-être pas fait une réflexion assez approfondie. L’homme en ce point est la vraie image du VERBE, son créateur et recréateur. Que s’il ne peut pas, comme lui, faire sortir les êtres du néant, s’il ne peut créer un grain de poussière, s’il ne peut faire un cheveu blanc ou noir 141, qui est-ce, toutefois, qui pourra exprimer la puissance dont le VERBE l’a armé en lui donnant dans la parole une imitation inférieure de lui-même ? Qui pourra raconter tous les pouvoirs de l’homme dans ce seul trait, et le blanc signé qu’il a reçu avec lui de produire une infinité de changements, de détruire, d’édifier, de combiner, de varier à chaque instant la scène de l’univers ? Quelle influence sans bornes de la parole dans tous les ordres, les règnes spirituels, moraux et de la nature !
Considérez ce tableau et suivez-en avec moi quelques traits. Rien n’est plus fort et rien n’est plus fécond que la parole. Dans l’homme, employée par lui, elle ne crée pas ce qui n’est pas, mais elle crée ce qui est. Elle forme à sa façon, elle emploie ce qui est créé et le met à profit. Elle fait l’homme tout ce qui est et (s’il le veut) tout ce qu’il doit être. C’est par son respectable ministère que se forme la raison, que l’intelligence se développe, que l’entendement croît pour ainsi dire. Par elle, l’enfance, la jeunesse est instruite et peut sucer le lait de la grâce, au sortir de la mamelle qui a nourri ses premiers moments. Par la parole, on pose en elle (hélas ceci n’est que trop rare) ces principes immuables qui doivent lui servir de guides. Par elle on façonne son jeune cœur, on y inspire l’instinct des vertus, on y grave le devoir. Par elle, il est nourri de la vérité. Par elle, on lui montre DIEU, ses relations avec lui, la religion, la manière et les moyens de son salut, et sa destination éternelle. Sans elle, il ne serait presque rien de plus que la brute, et par elle il peut s’élever au-dessus de lui-même, et devenir un être glorieux et divin, un saint, un ange, un archange, un DIEU même, puisqu’il peut, selon l’Écriture, devenir semblable à DIEU 142 et être fait participant de la nature divine 143. Car quel est le premier moyen d’une telle destination ? Et quel le premier échelon de cette divine échelle ? Qu’on laissât un enfant sans lui parler jamais, qu’il soit toute sa vie seul dans un bois, le germe qui est en lui de tout ce qu’il y a de plus grand est inutile et étouffé, il périrait, faute de développement. Au contraire, la parole est à ce germe sa culture, son soleil, sa pluie, ses rosées bienfaisantes, son accroissement, sa fertilité, ses bénédictions....
Ainsi, la parole en l’homme image du VERBE est tout-à-la-fois (selon ses bornes) créatrice et recréatrice. Après que l’homme a dégénéré, la parole le reforme en Jésus-Christ. Par elle, il est renouvelé dans l’esprit saint. Sans elle, point de révélation extérieure, point de prophétie, point de conduite dans l’œuvre de la grâce dont elle est le canal et l’organe. Paul plante, Apollos arrose par la parole 144. Sans elle, point de Discours du seul saint qui ait paru sur la terre ; point de cette prédication 145, moyen du salut, appelée folie, parce qu’elle est le remède à la folie de nos dérèglements, qu’elle n’était pas du plan primitif et n’aurait pas eu lieu sans la chute. C’est la parole qui jette en nous cette foi divine, inséparable de l’amour qui peut nous mener jusqu’à DIEU même ; car, dit St. Paul, la foi est de l’ouïe, et l’ouïe de la parole de DIEU 146, dont il a mis le moyen, le véhicule dans la parole de l’homme.
Que si, sans nous étendre sans fin dans cet inépuisable sujet, nous descendons du moral, du spirituel au physique, on peut dire que dans cet ordre rien de ce qui se fait ne se serait sans la parole. Elle bâtit, elle plante, elle fait qu’on s’accorde à agir. Elle double ainsi, triple la puissance et la rend, pour ainsi dire, sans bornes. Ce que les hommes entreprennent par la parole, ils en viennent à bout ; et lorsque leurs audacieuses entreprises sont contre le conseil du Très-Haut, il faut, pour les renverser, qu’il confonde leur langage 147, tant la parole est puissante et ne le cède en pouvoir qu’à la seule puissance de Dieu. Elle fait et la possibilité et la douceur des commerces. Elle anime, elle vivifie la société, avec elle tout le système du monde se continue ; sans elle, il rentrerait dans le chaos, et les rapports entre les êtres, les droits, les devoirs, et tout dans la nature serait confondus....
Mon âme se refuse à montrer le revers de ce tableau et, dans la conduite presque universelle des hommes, l’avilissement, la dégradation, la profanation de cet infiniment beau trait de l’image du Verbe en eux. Qui est-ce qui pourrait compter tous les péchés de la langue, et toutes les manières dont un trait si divin est courbé aux plus horribles usages ? Vous n’y pensez guères, ô hommes, un jour vous y penserez, devant ce VERBE, votre juge, dont vous flétrissez, vous fanez, vous pervertissez ce beau don. Ah ! je ne m’étonne plus de ce que les hommes seront jugés même sur leurs paroles inutiles, éternellement répétées, puisque rien ne nous ayant été donné sans but, manquer ce but, même sans apparence de péché, est un péché. Et que sera-ce de toutes les horreurs qu’enfante la parole, et des mondains et des impies ? Ô DIEU ! Qui est-ce qui pourrait raconter ces contrastes éternels avec la fin pour laquelle elle a été donnée ? Quoi donc, ce qui est fait pour une sainte ressemblance à DIEU même, nous le tournons tout au profit de l’ennemi. Trouvez, si vous le pouvez, l’usage de ce beau don dans ces vains et éternels babils, dans ces perpétuelles et horribles formules de jurement, dans ces mensonges, ces parjures, ces médisances perpétuelles, ces calomnies noires, tous actes de la langue, enfants de la malignité, de l’atrocité humaine, issus de l’abîme et destinés à y rentrer. Tellement que ce que DIEU a donné à l’homme pour lui ressembler, il en pervertit l’usage au point de le faire ressembler au démon. Le démon est blasphémateur, il est menteur 148, il est calomniateur, et l’homme en devient la criminelle copie. Ô langue, ô parole. Petit membre, dit l’Apôtre, qui peut se vanter tout-à-la-fois de si grandes, de si saintes et de si horribles choses 149 ; petit feu qui allume tant de bois, monde d’iniquité, parole qui bénit et qui maudit. Fontaine de l’eau la plus pure, ou qui fait jaillir l’eau la plus empoisonnée ! Il faut se taire ; hélas ! où en est la race humaine ?
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CHAPITRE XI.
Le Monde, ou l’Univers, second miroir, d’accord avec la Révélation, qui est le troisième miroir.
LE Monde, ou l’Univers, deuxième miroir du VERBE prototype ou modèle supérieur. On voit déjà, par ce que je viens de dire, qu’il y a un rapport aussi parfait que possible entre le grand monde et l’homme microcosme ; et par conséquent entre le monde et le microthée, puisqu’ils ont tous deux été formés et modelés sur les mêmes traits. Mais, sans prétendre expliquer cette idée dans toute sa fécondité, ne croyez pas, je le répète, que ce soit ici un miroir qui présente une image confuse, vague, brouillée, ni par conséquent, qui vous offre stérilement le DIEU des Philosophes, ou des Mahométans, qui n’exista jamais. Ce n’est pas même seulement la grandeur, la sagesse, la bonté de Dieu, vaguement envisagées et connues par son ouvrage. C’est bien cela, sans doute, mais qui ne rend point mon idée, ni la vérité dans sa plénitude, dans son détail et son point de vue.
Philosophes superbes, vous louvoyez, vous circuitez, et vous n’arrivez jamais : contents de vous amuser à l’écorce des êtres, à montrer votre esprit, votre habileté à saisir les différences et les ressemblances extérieures, superficielles des animaux et des plantes, croyants avec les Buffons et les.... que vous attrapez sur le fait, une nature dont vous ignorez même les bords ; vous croyez faire beaucoup et tenir en votre possession toute la science, par ces recherches qui amusent votre curiosité et dessèchent vos cœurs. Hélas ! vous n’avez rien, vous ne tenez rien, si ce n’est peut-être quelques utilités pour la société et ses besoins, qui résultent de ces ingénieuses recherches. À moins que vous ne disiez, comme il est vrai en effet, que le plaisir légitime est l’un des besoins de l’homme. Mais comme le mal est toujours à côté du bien et que la corruption abuse de tout, ces recherches de nuances extérieures entre les êtres, ces différences du chameau et du dromadaire, ces dissections d’insectes ; tout cela, sous l’apparence du sentiment qui élève à Dieu et à le faire connaître, est perdu toutefois et sans profit pour le vrai sentiment de son amour et de sa connaissance réelle.
Mais encore, ces amusements, satisfaisant vainement la curiosité de l’esprit, l’empêchent d’aller plus loin. Ô Philosophes abusés ! naturalistes prétendus perçants, vous ne savez être curieux qu’à demi. Vous croyez voir et vous ne voyez rien ; enfoncez, et sans vous laisser par ces écorces superficielles de l’être défendre les approches des profondeurs de Dieu que ce même être physique vous présente autant qu’il le peut ; voyez dans la nature, si vous le pouvez, les mystères mêmes, oui, eux-mêmes, dans tous les détails, les mystères, dis-je, que la religion sainte vous présente. Lisez, dans ce livre écrit par dehors, comme au-dedans de vous-mêmes 150. Voyez-y, si vous le pouvez, et le duplicata et la fidèle copie de ce que la Révélation étale de vérités divines à la foi du Chrétien. Dans l’une (la nature) le DIEU-VERBE créateur a gravé, incrusté tout ce que l’on peut connaître de Lui ; et dans l’autre (la révélation), il a parlé par son Esprit à vos esprits mêmes, pour les tirer de leur aveuglement et de leurs bornes. L’un des livres vous apprend le contenu de l’autre ; il n’est rien dans l’un qui ne soit dans l’autre ; aussi, pour qui peut le voir et a les yeux oints du divin collyre 151, et ces bienheureuses oreilles qui entendent cette musique universelle des cieux et de la terre, cette harmonie ineffable, qui est entre le terrestre et le divin, le naturel et le surnaturel, et ce qui est révélé à nos esprits, et ce que nos yeux contemplent.
Mais, ô hommes de petite foi, vous n’avez ni des yeux pour voir, ni des oreilles pour entendre. Tout fait retentir à vos oreilles le saint et sacré Nom, le Nom trois fois saint 152 ; tout, jusqu’aux pierres, vous le crie ; mais ces mêmes oreilles, toujours ouvertes à la voix de l’enchanteur 153, qui vous séduit, sont toujours sourdes à la voix du VERBE qui vous a créé, qui vous parle aux cieux et en la terre, dans tous les êtres, depuis l’infini jusqu’à la plante qui rampe, et au grain de sable que vous foulez. Oui, dans cette plante chétive même, il vous montre une image, vile, inférieure, il est vrai, mais une image toutefois de ce qu’il est et de ce qu’il a fait pour vous, une image de tous ses mystères, de sa conception dans le sein de la Vierge, de sa naissance, de toute l’histoire de sa vie, dans toute sa suite, et trait pour trait. Tout vrai Théosophe m’entendra très-bien, et l’attestera avec moi ; tout haut et vrai Chimiste même, le confessera et dira que dans ces opérations chimiques, qui unissent, désunissent, décomposent, réduisent les êtres à leurs éléments, ils voient de leurs propres yeux les mystères de Jésus-Christ, la suite de sa passion et, en abrégé et en phénomènes chimiques, son histoire. Je n’en impose point. C’est ainsi et par là que la chimie même a ramené des mécréants qui, voyant de leurs yeux et touchant de leurs mains, forcés par la conviction, ont passé de l’incrédulité à la sûre et heureuse connaissance de la religion et de ses mystères.
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CHAPITRE XII.
Continuation et confirmation.
Les sages Païens ont vu la plupart des Mystères de la Religion dans la nature.
ET n’est-ce pas une inspection de la nature, plus approfondie mille fois que la contemplation superficielle et légère de nos déistes modernes, par un regard plus pénétrant et plus sagace, que tant de sages et de philosophes, dans le sein même du Paganisme, ont entrevu les mystères de la religion, qui sont gravés dans les êtres et qui les annoncent à leur façon aux yeux clairvoyants et attentifs ? Qu’on lise les beaux morceaux qu’on trouve dans Pythagore, dans Platon, dans les anciens Gymnosophistes et tant d’autres, où l’on voit des traces de nos plus profonds mystères. Qu’on rassemble ce qu’en ont dit les poètes Païens même ; et on verra dans ce choix et dans ces extraits, cousus, assemblés, un grand nombre des divines vérités que la Révélation présente à notre foi. On a fait de ces extraits et de ces réunions de passages, qui étonnent ; à la vérité, il s’en faut infiniment qu’aucun de ces sages Païens ait tout dit, ni avec la même divine suite et plénitude, ni avec l’air d’autorité qu’on voit dans nos livres saints. Mais ce que les yeux perçants de ces Païens ont vu, ces vérités sorties des sombres nuages de la Gentilité, ont été comme des éclairs, qui brillent dans la nuit, et qui, mis ensemble et vus réunis, forment une grande et éclatante lumière. Il n’y a même actuellement pas un peuple, pour encrassé qu’il soit dans les ténèbres du Paganisme, où on ne remarque quelques traces de Christianisme, et même des hommes qui en ont la loi écrite dans leur cœur. C’est ainsi que l’infinie bonté de DIEU, malgré tous les crimes et toutes les horreurs dont la chute du premier homme a préparé les affreux développements sur la terre ; c’est ainsi que, malgré tant d’abominations, ce grand DIEU n’a jamais entièrement abandonné la nature humaine à elle-même ; qu’i ne s’est jamais laissé sans témoignage 154, et qu’on peut appliquer ici ce beau passage d’Ésaïe, vu dans ce sens : Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière ; et la lumière a lui sur ceux qui conversaient dans la région de l’ombre et de la mort 155.
Voilà ce qu’on pourrait vérifier, et par des exemples sans fin, et par des citations innombrables. Et qu’est-ce que tout cela, dit aux incrédules, ou plutôt, qu’est-ce qu’il ne dit pas à leur obstination même ? Quoi ! sinon de confirmer ce que St. Paul crie à leurs oreilles, que la vérité ne peut jamais percer : Tout ce qui se peut connaître de DIEU est manifesté en eux, car DIEU le leur a manifesté 156. Remarquez bien : Tout ce qui peut se connaître de DIEU ; tout ce que l’infini a voulu montrer des ineffables, des insondables mystères de lui-même ; il l’a manifesté ; à qui ? Aux Païens, non pas, à la vérité, à cette masse de Païens, qui leur ressemblent en aveuglement et en obstination, ou plutôt, oui, à eux-mêmes, à toute la Gentilité entière, mais qui ne l’y a pas vu mieux qu’eux, ni eux mieux que ces grossiers Païens, dans leur superbe aveuglement. Mais encore, où et comment ce DIEU-VERBE créateur leur a-t-il manifesté ce qu’on peut connaître de lui-même ? Dans la nature, dans la nature et dans la nature encore ; puisque c’est des Païens que parle l’Apôtre, la chose est claire par elle-même, quand tout le reste du chapitre n’en serait pas la plus ample confirmation. Aux Païens, dis-je, et à nos incrédules, qui devraient bien plus rougir qu’eux encore ; à eux qui, ayant de surcroît et en infini supplément la Révélation, d’accord avec la nature, nous répètent dans nos temps, dont ils sont et le malheur et l’opprobre ; nous répètent, dis-je, leur criminelle et lamentable histoire.
St. Paul disait aux Athéniens qu’ils ne connaissaient pas le vrai DIEU ; ils avaient dressé un autel au DIEU inconnu 157 : hé bien, leur disait-il, ce DIEU que vous ne connaissez pas, c’est précisément celui que je vous annonce. Et voilà le langage qu’on peut tenir à nos déistes : ce DIEU suprême, Jésus-Christ, vrai DIEU et vrai homme ; oui, dis-je, fait homme pour vous ; ce DIEU qui vous est inconnu, que l’orgueil de vos esprits et l’ingratitude de vos cœurs méconnaît ; c’est celui que je vous annonce. Ce DIEU qui se montre à vous, en tout et partout dans la nature, dans la révélation et en vous, toujours le même et unique DIEU ; celui que toujours, hors de vous-mêmes, emportés par les passions, celui que toujours, hors de la révélation, vous dédaignez ; c’est celui que dans vos vaines, amusantes et très-stériles recherches de la nature et de sa grossière écorce, vous méconnaissez toujours ; oui, c’est ce DIEU que je vous annonce.
Presque tout l’univers et les Chrétiens mêmes ignorent les infinies grandeurs de Jésus-Christ, parce que ses abaissements en faveur de l’homme les voilent aux esprits bornés ou prévenus de fausses idées de la grandeur, et que d’ailleurs on ne connaît pas l’Écriture, et on ne perce pas dans la profondeur de ses sens. Il est le Créateur et le seul vrai DIEU de l’univers ; il est l’infini, qui se manifeste en dehors ; il émane éternellement dans l’instant, simple, sans succession, de l’infini interne, en qui il a son infinie, indissoluble et éternelle racine. Il est au-dedans et il est au-dehors en splendeurs ; il est la gloire interne et la gloire externe. En lui est peinte et répétée cette Trinité infinie du dedans ; en lui sont peints tous les morphismes, ou modèles des mondes qu’il voulait créer, et l’homme est un de ces morphismes, celui qui regarde notre globe, comme tous les morphismes qui regardent les autres globes, et qui sont en rapport avec eux. Ainsi, il a en soi tous les Élohims, ou Dieux, qui ne sont qu’un seul VERBE. Le soleil, sa vile image, et tous les soleils, ou étoiles fixes, peuvent vous aider à le comprendre, et ils ne font qu’une seule lumière. Il a créé l’univers selon les modèles peints en lui, par son infinie sagesse 158, qui de toute éternité en a tracé le plan ; ainsi, en émanant l’être au-dehors, il voyait son esquisse pour créer ; et comme il voulait créer l’univers, il s’est engagé et a contracté de racheter ce qui en dégénérerait, par et à cause de la liberté des agents moraux qui entraient dans son plan, pour une plus grande gloire externe ; il a contracté, dis-je, avec toute la Trinité, de racheter sa création, prévue, dégradée, et de prendre en abaissements le morphisme des êtres créés, pour leur injecter sa valeur, et par les contrastes de son obéissance avec leurs révoltes, leur valoir de remonter jusqu’à lui, en y retraçant son image. C’est pourquoi, en même temps qu’il est le DIEU infini, il est l’agneau immolé dès la fondation du monde 159, et le sacrificateur éternel, à la façon, de Melchisédech 160. Qui poterit capere, capiat. Vous savez, mon DIEU ! que je ne mens point, et que, Créateur, ou Rédempteur, vous êtes toujours le même DIEU infini, et faisant le personnage de racheter.... J’espère étendre, expliquer et démontrer ces divines théories dans un cuivrage à part, mais ce n’en est pas ici le lieu. Ô hommes ! voyez, si vous le pouvez, l’univers sous ce point de vue et, dilatant vos esprits bornés et vos cœurs rétrécis, adorez !...
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CHAPITRE XIII.
La gloire du Verbe-Dieu, manifestée dans la Révélation, écrite ; troisième miroir. Perfection de l’Écriture Sainte.
QUE s’il fallait une nouvelle confirmation de la collusion de l’accord de la nature, de la révélation et des mystères de DIEU gravés en l’homme comme en la révélation et dans la nature, le même St. Paul, qui vient de les montrer en celle-ci, va les montrer dans l’Évangile. Il l’appelle la manifestation de la gloire de Dieu, qu’on y peut contempler comme dans un miroir 161.
Je ne citerai à ce moment, au sujet de la révélation, que ce passage de St. Paul ; car qui dit la gloire de Dieu dit tout, et tout est renfermé dans ce seul mot. Que si je voulais l’étendre, comme pourtant je le ferai bientôt davantage, il me faudrait transcrire toute l’Écriture. Mais avant d’entrer en un sujet si grand, que je ne puis qu’effleurer, j’ose conjurer le lecteur pour lui-même, et par tout ce qu’il y a de plus fort, de plus tendre, en même temps que de plus sacré dans la divine vérité, de ne pas prendre ce qu’il va lire pour le discours d’une imagination allumée, ou le langage d’un enthousiaste, outré, excessif et qui, dans son délire, ne sait pas s’arrêter avec sa cause. Au contraire, j’écris de sens très-rassis, comme St. Paul disait à Festus 162 ; quoiqu’au moment que je vais bégayer, seulement, de l’infinie beauté et de la perfection de nos livres saints, je me sens si écrasé par la grandeur du sujet, qu’il s’en faut peu que la plume ne me tombe des mains. Qui me donnera des couleurs et un pinceau ? Comment atteindre à ce qui est au-dessus de toute expression et de toute pensée ? C’est sur ce sujet que tout homme instruit à l’école de l’Esprit saint (et non d’une mensongère philosophie), s’il peut avoir un reproche à me faire, c’est d’être, et quelque effort que je fasse, toujours infiniment au-dessous de la vérité.
Et quoique je me sente autant écrasé par ma propre indignité que par la hauteur du sujet ; quoiqu’autant anéanti par ma propre misère devant ce VERBE-DIEU, et devant cet esprit saint, infini, inséparable de lui, qui a dicté ses oracles ; mon cœur ne peut se contenir ; il brûle d’exhaler ce dont il est plein ; et plût à ce grand DIEU que ma faible voix pût percer, retentir de l’un des bouts de la terre à l’autre 163 ! et se faire entendre à toute langue, à tout peuple 164 et à toutes les nations qui sont sous les cieux, à tout l’univers et à tous les hommes ; au chrétien, au païen, au déiste surtout, et à l’hérétique, qui fausse cette divine Écriture ; je leur crierais : Voilà le livre, voilà le livre de la vérité, seule sûre ; voilà la vérité pure, exempte en elle-même de toutes les disputes des langues 165, et de l’erreur que l’orgueil aveugle, et les passions aveugles ont cru y voir, en la tordant. Voilà la vérité transcendante, complète, universelle, éternelle, hors de laquelle il n’en fut jamais. Voilà la vérité primitive et originale, qui s’allonge, s’étend à toute vérité particulière ; voilà la vérité de Dieu, des cieux, de la terre et de l’univers ; voilà la vérité (quoique cachée encore à nos vues bornées) de tous les globes ; voilà la vérité. Voilà la vérité de l’être véritable, émanant par sa fécondité, par sa puissance créatrice, toutes les vérités et tous les êtres qui en descendent en degrés, en nuances, en ordre et sans sauts, depuis les coteaux de l’éternité 166 jusqu’au ciron et à la mite. Voilà la vraie Théogonie, dont la certitude, la plénitude, la perfection, sont sans bornes ; voilà le seul trésor de toute sagesse et de toute lumière 167 ; voilà l’ordre de l’univers visible et invisible, étalé à l’homme, le but des êtres et moraux et physiques, leur principe et leurs fins ; les créations et la rédemption ; les descendances et descentes des moraux et leur réhabilitation. L’origine du mal et du péché ; les économies et dispensations de l’éternelle Providence ; le jeu de l’univers, sa direction, l’accord ou la dissonance des parties avec le tout, et les causes de ces dissonances, vues dans la désunion des êtres libres et intelligents d’avec DIEU.
Mais, à quoi sert ici de s’étendre ? Voilà l’histoire de l’univers, voilà l’Évangile de tous les temps, de tous les lieux, de tous les espaces, de tous les cieux et de tous les êtres ; voilà cet Évangile d’éternelle structure, et qui, plus ferme que tous les cieux, subsistera sur leurs débris, lorsqu’ils seront pliés et roulés ; voilà enfin la parole de DIEU même, qu’on peut lire ici-bas, et qu’on lira au sein de Dieu, dans l’éternité, et où on fouillera dans cet abîme de vérité toutes celles qu’on peut lire dans le temps. Ô trésor ! ô sagesse ! ô grandeur ! ô lumière ! ô abîme de la vérité de DIEU, contenu dans l’espace d’un petit livre !
On comprend que, dans ce petit tableau, je n’entends parler que de la partie théorétique de nos saints livres, ce qui est proprement l’objet de ce chapitre. Que serait-ce si j’y avais joint la partie pratique, et qu’à côté des vérités éternelles, j’eus fait l’esquisse de l’infinie beauté et de l’excellence unique de ses préceptes ? Que serait-ce si j’eus peint ces devoirs, tous fondés sur la nature des êtres, DIEU, l’homme et l’univers ; si je les avais montrés dans leurs sources et dans leurs rapports ; et si j’avais étalé le solide bonheur, la couronne immortelle, que cette divine Écriture présente pour la fin bienheureuse de leur exécution ? Que serait-ce si j’y avais ouvert ces entrailles de l’infinie miséricorde que DIEU y montre, et aux pécheurs et à ses enfants, et tous les moyens, les ressources et les industries de son amour pour les sauver. Les tendres soins de sa Providence sur eux, ses touchants regards sur chacun des hommes, comme si elle n’avait à faire qu’à un seul, tant est précis et exact ce regard et unique, et universel, et général, et particulier. Les menaces pour réveiller le méchant par une frayeur salutaire ; les promesses pour encourager le faible, pour raffermir le chancelant, pour réchauffer le tiède, pour animer le froid. Tous les personnages faits et épuisés, DIEU lui-même, venu sur la terre pour ramener l’homme, voilà, pour le dehors, l’Esprit saint, promis et donné à qui le demande ; voilà, pour le dedans, et afin qu’il ne manque rien à l’homme pour retourner à Dieu, son principe et sa fin bienheureuse. Toutes les directions pour tous les temps, pour tous les lieux, pour toutes les situations, pour tous les cas, les circonstances et pour tous les hommes. La main de DIEU même tendue à l’univers, pour le faire remonter, et en le dégageant de ses dégradations, l’élever jusqu’à lui. Les plus touchants avertissements et faits pour percer jusqu’aux moelles de quiconque n’a pas abjuré tout sentiment et tout intérêt à son sort. Les instructions jetées déjà sur le berceau de l’homme, jusqu’à la vieillesse toute blanche. Mon enfant, dès ta jeunesse, donne-moi ton cœur 168. Souviens-toi de ton Créateur aux jours de ta jeunesse et sur tous les âges 169. Donnez gloire à l’Éternel votre Dieu avant que les ténèbres viennent et qu’il n’ait changé votre lumière en ombre de mort 170. Mais arrêtons ici, le sujet est inépuisable.
Que s’il est quelque Lecteur, ou ignorant, ou moqueur qui croie que dans ce court tableau j’aie exagéré, je puis si fort l’assurer du contraire, et je suis si sûr de ma cause, que je lui permets de me le reprocher à la face de l’univers, au grand jour où tout paraîtra, et où la vérité sera étalée dans son éclat, et de me faire la honte que je mériterais. Mais DIEU, en la sainte présence de qui je viens d’écrire, fait que je n’ai ni menti, ni exagéré, et qu’on ne pourrait me reprocher que d’y être trop faible.
Il faut à ce moment baisser d’un ton, et descendre du transport où me met toujours la seule idée de l’Écriture sainte, lue toute ma vie, et dont la lecture a fait presque l’unique, solide et réel plaisir que j’aie goûté en ce monde. Revenons donc à la nature et à l’homme, qui contiennent chacun une révélation analogue à cette divine révélation que St. Paul a appelée la gloire de Dieu.
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CHAPITRE XIV.
La gloire externe. Le Verbe-Dieu et homme, et son Royaume, habitant en l’homme.
IL est en DIEU une seule, infinie et éternelle gloire ; il est à lui-même sa gloire, mais selon notre manière de concevoir, on peut et on doit l’envisager sous deux points de vue ; gloire interne et essentielle en lui-même, qui ne peut ni changer, ni augmenter, ni diminuer, et gloire externe ou accidentelle, qui est la manifestation de tout ce qui, de cette gloire interne, infinie, peut rayonner en dehors 171. Et, pour le dire en passant, c’est en brouillant, confondant ces deux points de vue, et faute de vouloir connaître cette distinction, qu’une femmelette dont l’orgueil s’est avisé de bâtir un système du tout hérétique, Mlle. Hubert, a fondé sa prétendue Religion essentielle à l’homme, où, entre autres impiétés, elle fait main-basse sur tous les mystères. Et à ce propos, il n’est pas vrai que Mr. Rousseau, plus impie encore, puisse s’appeler novateur, comme ses sectateurs le prônent ; car il a pris presque tout son système du livre de la religion essentielle, ou plutôt dans ce que ce livre a de plus mauvais.
Cette gloire externe, si infiniment rayonnante, puisqu’elle est l’expression du VERBE, la splendeur même de la Divinité 172, doit contenir tous les mystères, et ces mystères montrés à l’esprit dans la révélation sont peints plus grossièrement, plus inférieurement, mais peints toutefois dans la nature. Et enfin, ils sont gravés dans l’homme image de DIEU et portrait du monde tout-à-la-fois. C’est ce qu’a dit cet infiniment adorable DIEU-Verbe lui-même : Le royaume de DIEU est au-dedans de vous 173 : or si le royaume de DIEU est en nous ou dans l’homme ; il faut nécessairement que le Roi lui-même y soit, car il n’est point de royaume sans roi ; il faut qu’il y ait sa cour, ses apanages ; or le Roi éternel de ce royaume, c’est le Verbe DIEU et homme 174 ; ce n’est pas DIEU seulement, c’est DIEU et l’homme, inséparables (comme vous verrez) que vous avez en vous, l’homme-DIEU, prêt à se communiquer à vous, à vous donner son être et sa divinité même ; oui, rien moins que sa Divinité, à jamais inséparable de lui, à vous la donner, dis-je, par participation, comme il l’a lui-même par sa nature, par adoption, comme il l’a en essence et en substance. Ce mystère tout à la fois si simple, si accessible et si ineffable qui vous montre, ô homme ! toute votre richesse, si sans vous rebuter de ce qu’il en coûte, vous voulez vous en mettre en possession ; ce mystère, fondé sur toute l’infaillible suite de la parole de Dieu, qui en montre toute la contexture, et dans tous ses rapports le principe, le but et la fin de l’homme, et dans cette fin, sa divine grandeur, c’est ce mystère 175 ; écoutez le mot de l’Apôtre, qui existait bien à la vérité, mais qui avait été caché dans tous les siècles et dans tous les âges, et qui est maintenant manifesté, à qui ? à ses Saints, dit St. Paul, et non à l’homme naturel, dégradé et irrégénéré. Ce mystère, inconnu, ignoré avant la venue littérale du VERBE humanisé sur la terre, qui seul par sa venue pouvait rompre les sceaux du livre, où il est écrit dès l’éternité, et ce que St. Jean appelle la Révélation de Jésus-Christ à l’homme 176. Ce mystère digne d’un DIEU et de ses magnificences, par lequel il a voulu donner à connaître quelles sont les richesses de la gloire de ce mystère, maintenant manifesté aux nations (aux Gentils, Païens, Déistes, Mahométans, si leur aveuglement ou leur orgueil ne les empêche pas de le saisir), ce mystère, l’Apôtre, levant le voile, l’exprime en un mot, savoir, dit-il, Jésus-Christ en nous 177.
Ainsi c’est le VERBE lui-même qui est, habite et réside en vous ; c’est cet homme-DIEU qui y vit en lui-même, mais qui se tient à la porte de vos cœurs, et qui y frappe pour se faire ouvrir ; il frappe 178, dis-je, perpétuellement, mais le bruit du monde étouffe ces coups si touchants et si doux, et vous empêche de les entendre, comme un son subtil est absorbé par un son plus bruyant et plus fort 179, auquel votre volonté prête l’oreille et s’obstine contre ce divin attrait du dedans ; c’est ce Verbe-DIEU et homme qui veut vous faire entendre sa tendre et paternelle voix ; si quelqu’un entend ma voix 180 ; et encore les paroles que je vous dis sont esprit et vie 181 ; cette parole incessable, cette parole que je prononce éternellement en vous, qui vous unirait à moi, changerait votre substance en la mienne, votre être sali et dégradé en mon être tout pur, tout saint et rétabli en vous ; cette parole qui échangerait votre esprit avec le mien ; votre vie animale, grossière en ma vie divine ; cette parole hélas ! vous ne l’écoutez point et vous n’en voulez rien ; et vaincu sous l’empire des sens, vous vous obstinez à n’écouter que la parole du dehors, celle que le monde prononce, et ainsi, au lieu de mon esprit et de ma vie, vous ne voulez converser que dans la région des ténèbres et de la mort. Ô douleur ! ô perte trop irréparable ! et c’est ainsi qu’au lieu de rentrer en vous-mêmes, en oubli du monde et de tout l’univers, excepté les affaires de vocation légitimes, ou les récréations nécessaires à la faiblesse de votre nature, c’est ainsi qu’au lieu de refluer au-dedans en ce Jésus, qui est votre dernière et éternelle fin, par la douce tendance de votre cœur et ce cri, cette oraison intérieure que rien ne devrait interrompre ; vous allez chercher par tout l’univers cette fin dernière, ces appuis frêles et faux ; vous parcourez tous les objets, et par vos sens, et par votre imagination, et par vos fausses jouissances, et tout est votre but et votre fin, excepté votre fin elle-même. Vous voulez bien que toutes les choses du monde soient à vous 182, vous tâtonnez, vous essayez partout ; vous voulez jouir ; mais vous ne voulez pas être à ce DIEU-Verbe qui vous a créés, qui est venu vous racheter, qui est en vous, qui veut vous donner en réalité ce que vous n’avez dans le monde qu’en prestige trompeur et en songe décevant (celui qui vaincra héritera toutes choses) et qui, après vous avoir tout donné, partagerait avec vous jusqu’à son trône et se donnerait lui-même enfin tout entier à vous en jouissance, et pour votre portion éternelle.
Quelle frénésie ! la Parole, le Verbe est en vous 183, dit l’Apôtre. Moïse l’avait dit avant lui : Il est dans votre bouche, il est dans votre cœur. Vous n’avez pas besoin de monter aux cieux ; (ils sont en vous les cieux et DIEU avec eux) ni vous n’avez pas besoin de descendre dans l’abîme 184. Tournez-vous en vous-mêmes, et vous y trouverez ; non, je ne puis cesser de le répéter, qui ? un DIEU vrai DIEU, qui ne demande qu’à se communiquer par l’amour infini qu’il vous porte, un DIEU-homme, qui est le véhicule avec lui-même, pour vous élever jusqu’à lui ; un DIEU qui vous crie perpétuellement au-dedans : prépare-toi, ô mon enfant, ô homme que je veux élire, que j’appelle, que j’invite, prépare-toi, au-dedans, à la rencontre de ton DIEU 185, ouvre la communication. Oui, c’est un DIEU qui en vous ne désire qu’à se manifester à vous, comme il s’est pour vous dans le monde et au-dehors manifesté en chair 186, et à accomplir et réaliser en vous cet ineffable mystère de l’incarnation qu’il a accompli dans le monde.
Ô Jésus, mon DIEU ! DIEU infini, DIEU verbe, DIEU émané et émanant, DIEU chef et principe de tout, DIEU roi de l’univers, ou DIEU fait homme, DIEU descendu, DIEU enfant, DIEU et homme souffrant et crucifié, DIEU si haut et si abaissé, si infiniment grand et si humble, si terrible et si doux, si éloigné dans votre infinité de tous les êtres qui ne sont pas vous, et pourtant si infiniment intime à notre fond. DIEU par tout, mais pour nous DIEU en nous. C’est donc ainsi que vous traitent les hommes, pour qui vous êtes mort. Par un écart perpétuel, ils s’éloignent de vous, et s’éloignent toujours plus ainsi de leur fin bienheureuse. Ils n’ont point de fureur plus pressée que de s’en écarter, ô DIEU, inconnu au monde et aux hommes dissipés et évaporés, mais DIEU senti, mais connu, mais goûté au-dedans par le sage et avisé Chrétien qui, recueilli, replié en soi, sait s’unir à vous au-dedans de lui-même.
On trouvera sans doute que je m’appesantis trop sur cette idée et que je répète au point même d’être ennuyeux ; mais vous n’en êtes pas encore quitte, car cette idée est le tout ; oui, toute la religion et tout l’homme. C’est en ceci que gît tout le secret, comme tout le moyen de votre bonheur éternel ; et d’ailleurs il était nécessaire de démêler cette vérité de l’Écriture, si sublime et si usuelle, qu’on n’a point envisagée, ou qu’on a si fort embrouillée, du moins, faute de la déduire clairement. Mais quoi ! est-ce que l’idée d’un DIEU qui, infini en lui-même, daigne en vous prendre les bornes et la forme de l’homme, et ne dédaigne pas de descendre jusqu’à vous sans s’avilir, comme il a enfermé sa divinité dans le sein d’une vierge, dans le sein même de sa créature ; ah ! si cette idée tournée et retournée vous ennuyait, quelle marque et quel préjugé contre vous ; et qu’en penser, sinon que vous êtes des esprits obstrués et tout terrestres, et des cœurs renversés et dénaturés.
Il vous tend les bras, cet adorable Sauveur ; il vous crie dans sa parole extérieure, il crie en vous par sa parole intérieure : Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi 187. « Ne croyez pas seulement en DIEU tout seul, au DIEU infini, ce qui ne vous servirait de rien ; mais croyez en moi comme DIEU-homme, comme un DIEU qui, ayant pris votre nature, veut l’élever jusqu’à ma divinité même, par l’indissoluble liaison qu’il y a entr’elle et moi homme, et que je veux étendre, si vous le voulez, jusqu’à vous. » Moi et mon Père viendrons faire notre demeure en vous 188.
N’est-ce pas cet adorable mystère que dévoilent tant de paroles de l’Écriture ? Être faits une même plante avec Dieu 189. Ô mot au-dessus de tout ! être planté par DIEU en DIEU même : Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Jésus-Christ qui vit en moi 190 ; et remarquez l’expression, en effet très-remarquable : l’Apôtre vit dans la foi du Fils, ce n’est plus dans la foi au Fils, celle-ci est bien un degré et un échelon, mais il vit en la foi du Fils même ; c’est le Fils même qu’il est devenu qui croit, vit, agit, jouit et pâtit en lui, tandis qu’il est encore enveloppé dans les ombres de la mortalité, et avant que sa foi soit changée en vue. N’est-ce pas encore ici ce mystère, si peu compris des aveugles, de la formation de l’homme nouveau 191, Jésus-Christ en nous, créé selon DIEU, sur les débris et les ruines du vieil homme, enfant de la chute, de tout son attirail, et de son vil et honteux vêtement.
Mais encore, si vous vous laissiez instruire dans l’école de la divine sagesse, vous auriez ici la clef d’une infinité de passages des Prophètes et de tout le vieux Testament, où le VERBE JEHOVA est introduit, comme montant, descendant 192 ; il descend en vous, il remonte en lui quand vous le repoussez. Si vous le laissez faire, il touche les montagnes et elles fument. Ces montagnes en vous sont l’orgueil et les passions, les élévations du cœur, et ce que l’Apôtre appelle l’orgueil de la vie 193, pris dans tous les sens. Il fait en vous les mêmes marches, si j’ose m’exprimer ainsi, qu’il fait au-dehors, et si son esprit, comme à Lydie, vous ouvrait le cœur pour entendre les Écritures 194, vous verriez toutes ces adorables marches, ou par lui-même, ou par les Anges, ses serviteurs et ses ministres. Je descendrai et je verrai s’ils ont fait entièrement selon le cri qui est venu jusqu’à moi 195. Anges, qui prennent souvent le nom de celui qui les envoie.
Enfin, cette vérité si grande, si sublime et si pratique, de Jésus-Christ, ou le Verbe-DIEU et homme en nous, n’est-elle pas encore pleinement vérifiée par ce prodigieux nombre de passages, où l’homme est représenté comme le temple de DIEU même 196 ? Vous êtes le temple du DIEU vivant, selon ce que DIEU même a dit : J’habiterai en eux et j’y marcherai ; (remarquez bien, j’y marcherai) et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Et encore : Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que son esprit habite en vous ; si quelqu’un détruit ce temple, DIEU le détruira ? Vous êtes ce temple 197. Mais à quoi sert d’accumuler les passages. C’est l’esprit de toute l’Écriture du vieux comme du nouveau Testament même. Je mettrai, dit le Jehova, mon tabernacle au milieu de vous ; j’y marcherai, je vous ferai Dieu, et vous ferez mon peuple 198. Et ce prodigieux nombre de passages encore, où il est parlé de l’alliance de DIEU avec les hommes ; alliance qui, pour avoir lieu et être réelle, ne peut jamais l’être qu’au dedans de l’homme ; alliance qui, pour le chrétien fidèle, devient enfin si parfaite, qu’elle va se concentrer en unité : Qu’ils soient un en nous, comme toi et moi, mon Père ! sommes un 199.
J’irais sans fin dans cette vérité, plus immuable que les cieux, et pour résumer cet article ; j’ai montré que l’homme a pour dernière fin Jésus-Christ, le Verbe DIEU et homme, qu’il est sa possession et son domaine, non-seulement par et à cause de la création et de la rédemption, extérieurement et péniblement exécutée ; mais surtout à cause de l’image de l’homme, gravée du doigt éternel, sur la première émanation de l’infini ; image qui doit se retrouver et y refluer enfin. Et lorsque ce reflux sera complètement arrivé, c’est alors que le DIEU, en tant qu’homme remettra le royaume à DIEU son Père, afin qu’il soit tout en tous 200. Et c’est alors que l’homme divinisé, redevenu Jésus-Christ, verra Dieu face à face, tel qu’il est, et enfin, remonté d’où il était descendu, sera fait semblable à lui. Et voilà ce que la divine révélation nous montre ; et je n’ai fait que bégayer de la grandeur de ces vérités, qui ont entraîné mon cœur à cette discussion, que des cerveaux stériles et froids appelleraient un écart.
Et c’est ainsi que les trois voix de la révélation, de la nature entière et de l’homme, ne forment qu’une seule voix ; que ces trois concerts sont trois parties d’un unique concert 201, en harmonie parfaite ; et ces trois chœurs, un seul chœur général, toujours uniforme et toujours immortel en l’honneur du Verbe DIEU et homme, émané de l’infini dans l’instant simple et éternel, et mort sur la croix pour le salut des hommes 202.
Ô hommes aveugles, et par cet aveuglement malheureux, pauvres dans le sein de la plus grande abondance, cerveaux stériles dans la plus inexprimable fécondité ; quand est-ce que vous connaîtrez enfin l’infinie richesse qui est en vous ? Quand est-ce qu’une fois repliés sur vous-mêmes, et rappelant au-dedans vos dissipations éternelles, vous saurez lire par les yeux de votre esprit et le sentiment de vos cœurs, dans ce livre que vous êtes vous-mêmes, tout ce que le Verbe y a pu mettre en image, de sa gloire en elle-même infinie ? Quand pourrez-vous parcourir toutes ces pages où il a gravé de son doigt sacré la vérité de son être et de ses mystères ? Oui, quand est-ce que vous pourrez enfin comprendre la beauté, l’infinie fécondité de ce principe, qu’un DIEU créateur de tout, que ce DIEU, en qui est tout l’être, l’abîme de l’être, l’infinité de l’être, par cela même qu’il a émané l’être hors de lui, ne peut manquer d’y avoir peint, d’y avoir gravé, quelque chose qui confesse sa vérité, et des images plus ou moins viles de lui-même, proportionnées aux natures de ces êtres. Mais ces vérités si simples se refusent toujours à l’orgueil de l’esprit, et sont inaccessibles à l’égarement où cet orgueil le jette, Dieu résiste aux orgueilleux 203 ; et elles ne peuvent se voir que par ceux qui ont le cœur humble et doux.
Que s’il en est ainsi, si comme je le déclare hautement, c’est la vérité même, la vérité pure, sans restriction ; quel parti ne peut-on pas tirer de ce principe, contre le désordonné édifice que cherche à élever le déisme sur les ruines de la cité du DIEU vivant ?
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CHAPITRE XV.
Grandes objections des Déistes. « Que s’il est une révélation, elle doit être pour tous les hommes. » Exposée et réfutée.
JE n’ai presque pas le courage de descendre jusqu’à l’incrédulité de nos impies modernes ; cependant, il faut encore confondre une objection qu’elle a osé élever sous le spécieux prétexte d’une justice à sa mode, et qui n’en fut jamais une.
Écoutons donc encore son langage, s’il se peut sans impatience. « S’il était réellement une révélation, il faudrait qu’elle fût pour tous les hommes, autrement, où en serait la justice de DIEU ? où serait cette balance toujours sûre, toujours égale qu’on lui met à la main ? où serait ce poids du sanctuaire ? Quelle idée ne nous donnerait-on pas de ce DIEU qu’on annonce sans partialité, et n’ayant acception de personne ? Quoi ! une justice arbitraire, qui favoriserait les uns et rejetterait les autres, enverrait la lumière sur une partie, et laisserait dans les ténèbres l’autre partie des hommes, tous ses créatures et l’ouvrage de ses mains ; où est l’égalité, où serait la justice ? »
Ces hommes, qui osent ainsi tracer à la Providence son sillon et lui montrer le chemin qu’elle doit suivre, ne se plaindront pas, j’espère, que je n’aie pas présenté cette objection dans tout ce que sa faiblesse peut ramasser de forces. Faiblesse effective et force apparente, dont ils séduisent, entraînent les simples, dont ils les enchaînent à leur cause malheureuse.
Il est certain qu’il y a ici un blasphème. Il faut voir de quel côté il est, et qui d’eux ou de nous sont les blasphémateurs ; ou d’eux, qui, sous prétexte de relever en DIEU une justice dont ils n’ont pas seulement une idée, sont en fait les détracteurs de sa gloire ; ou de nous, qui trouvons et cette gloire et cette justice dans les marches mêmes et les procédés qui la leur font et blasphémer et méconnaître.
Je pourrais leur dire d’abord : la voilà, cette Révélation universelle, de tous les temps, de tous les lieux et pour tous les hommes. Elle leur a été triplement donnée ; on vient de le voir dans les chapitres précédents. Il n’est et n’a jamais été un homme sur la terre qui n’ait pu avoir, s’il l’eût voulu, les révélations de la nature et de l’homme ; et en ces deux il aurait eu (sans l’avoir sous ses yeux) la révélation positive, parfaitement d’accord avec elle, et qui n’a été donnée que parce que la masse des hommes a abusé des deux premières et, dans ses égarements sans fin, les a dédaignées.
Mais malgré que ce qu’on a vu plus haut soit du tout décisif contre eux, poussons la complaisance au point d’entrer encore en dispute avec eux.
Je pourrais donc leur dire en surcroît qu’il paraît que la présomption ne leur manque pas. Je pourrais leur demander d’abord, si ce DIEU dont le conseil doit être un abîme absolument insondable aux faibles mesures de vers de terre comme nous, si ce DIEU qui a dit : Mes voies ne sont pas vos voies, ni mes pensées vos pensées 204 ; si ce DIEU redoutable, dont les Chérubins et les plus hautes intelligences, tous pourtant ses confidents, cherchent à pénétrer son secret jusqu’au fond ; si ce DIEU, qui fait brûler des feux de son amour ces Séraphins qui environnent son trône, ne leur dévoile pas toutefois toute la profondeur de ses voies, à la contemplation desquelles ils couvrent leur face 205, pour ne pouvoir soutenir tout l’éclat d’un rayon de son infinie lumière ; je leur demanderais, dis-je, si ce DIEU devant la majesté duquel tout l’univers anéanti doit demeurer à jamais dans la poussière ; si DIEU, dis-je, dans les cieux, dans tous les globes et dans l’univers, les a choisis pour être les confidents et les juges de sa justice ? s’il les a fait les présidents de son conseil, les chanceliers de ses arrêts, les gardes-des-sceaux de son secret ? et s’il leur a remis la clef de son infinie sagesse ? si c’est à eux qu’il a donné la régie de l’univers et des hommes ; et si les marches de son éternelle Providence doivent se régler aux décisions de leurs cerveaux ? Qu’ils mesurent ses pas et les redressent, qu’ils montent comme l’Ange révolté au-dessus des cieux, (a) au-dessus des étoiles du Dieu fort ; qu’ils aillent, s’ils le peuvent, lui arracher le sceptre et l’empire !
Ô hommes ! à peine sortis du néant pour venir murmurer sur la terre ; commencez par nous dire, si vous le pouvez, ce que c’est que le grain de fable que vous foulez, ce que c’est que l’herbe qui rampe, montrez-nous le primitif des êtres, le fond d’où ils sont sortis ; dites pourquoi vous êtes Parisiens, Anglais et non Chinois, ou Toupinamboux ; dites.... commencez par mesurer les infiniment petits, montrez-nous les parties intégrantes de la matière ; oui, dis-je, commencez par là, et nous commencerons peut-être aussi à être moins consternés pour vous de la témérité de votre vol.... Cependant il faut discuter, et surtout en faveur de ceux qui n’ont pas achevé le naufrage ; il faut raisonner pour les simples et les armer du bouclier de la Foi 206 ; il faut raffermir ceux qui ne sont qu’ébranlés, et redresser les chancelants. C’est à vous, dont les pas incertains n’ont pas encore été jusqu’à la chute, c’est à vous, qui conservez encore une inquiète croyance, en contrepoids de l’incrédulité pure ; c’est à vous, dis-je, qu’avant de revenir à elle, je vais parler à ce moment. Vous trouverez la clef de cette absence de la Révélation en tant de peuples qui en sont privés, la clef des ténèbres auxquelles cette privation les livre, vous la trouverez dans cette première justice de DIEU, qui commence par venger sa lumière contristée, par les ténèbres, par la soustraction de cette lumière, dédaignée et obstinément refusée ; premier jugement avant la punition effective ; trésors de colère 207, amassés et soufferts avant qu’elle fasse son explosion. Car comme le péché et la révolte sont un aveuglement qu’on se commande, un refus obstiné de la lumière qui, montrant la grandeur de DIEU et la majesté de ses lois, étant le crime de lésion de la Divinité et de sa gloire, il est naturel, il est juste qu’un DIEU si essentiellement offensé retire cette même lumière, dont presque tous les hommes ont abusé et contre laquelle ils se sont opiniâtrement obstinés. Je pourrais encore vous montrer que cette Révélation, donnée à une partie de l’univers, refusée à l’autre, a été et est précisément, en quantité proportionnelle, la récompense de la fidélité à l’Esprit saint et à la Révélation de la nature, que les Saints primitifs ont conservée avant cette Révélation écrite, et qu’ils ont ainsi préparé par la miséricorde d’un DIEU, devant qui le bien comme le mal ne se perd jamais, cette gerbe de lumière, ce germe de bénédiction à leur postérité bénite en eux.
Mais je pourrais dire bien davantage encore, et montrer cette économie de la Providence, en la sortant du chaos d’opinions dont les incrédules l’ont obscurcie. Premièrement, il fallait une Révélation positive, parce que la miséricorde de DIEU le sollicitait à ne pas laisser engloutir dans les plus horribles ténèbres la masse entière des hommes, infiniment coupables, et par leurs crimes et par le refus de voir le VERBE, leur créateur, et dans la nature et dans eux-mêmes. DIEU ne voulait pas que le monde rentrât dans le chaos d’où il l’avait fait sortir.
Mais fallait-il cette Révélation universelle ? La justice divine ne comportait pas cet ordre. La miséricorde ne pouvait pas envahir sur elle, ni elle sur la miséricorde, et il fallait un tribut à l’une et à l’autre. D’ailleurs, les temps sont en la main de DIEU, et ce n’était pas l’époque de rendre cette révélation universelle, comme elle la sera un jour. Il fallait qu’une partie du genre humain, si criminel, fût tenue sous les ténèbres qu’il s’était commandées, durant un long temps, pour faire la funeste expérience de ces ténèbres elles-mêmes, et laissée sans avoir à s’en plaindre à cette lumière, suffisante par elle-même, dont les hommes avaient tant abusé. Il est des époques précises dans les marches de la Providence, avec un ordre digne d’elle. Un jour viendra, et il se hâte, auquel cette Révélation deviendra universelle, et alors on verra l’accord merveilleux des trois miroirs, ou images du Verbe-DIEU et homme, dont j’ai parlé plus haut. Et quand nous ne compterions pas dans l’intervalle ces missions apostoliques, ménagées par la Providence pour aller baptiser, prêcher, éclairer les Païens de tant de pays divers ; il nous suffirait de dire, que la justice Divine se montrera un jour dans tout son éclat, justifiera ses voies et sera victorieuse en son jugement 208. Ces missions toutefois, qui ont lieu en tant de pays et chez tant de peuples, sont comme des germes heureux qui préparent par parties, de proche en proche, pour la gentilité, les plus admirables développements. Comme on voit dans les corps une infinité d’étincelles et de particules de feu qui y sont contenues, renfermées jusqu’au temps que, rassemblées, elles feront leur explosion et, dans leur réunion, brûleront et purifieront tout le grossier de notre globe.
Ainsi, la miséricorde a donné la Révélation, l’inexorable justice, et à qui il faut son tribut, ne l’a pas donnée universelle. Or ceux qui ont eu et en eux, et dans l’inspection de la nature, une révélation en elle-même, parfaitement suffisante, et qui en abusent criminellement, auraient-ils droit de se plaindre ? Ton œil est-il malin de ce que je suis bon 209 ? Ne t’ai-je pas donné, et en profusion, tout le nécessaire ? Si je veux donner à cet autre plus qu’à toi, que t’importe ? Je demande si on trouve mauvais dans certains tribunaux humains qu’on décime les coupables ? Tous méritent la mort ; et si on les exécutait tous, ce serait justice : mais le sort se jette, celui qui est destiné à la mort n’a point à se plaindre ; il l’a méritée, et les autres ont à adorer la miséricorde.
On peut prendre encore ici une comparaison. Il en est dans son genre comme de la grâce générale, universelle et absolument suffisante par elle-même, mise en regard avec la grâce efficace, ou la grâce d’élection, accordée à quelques-uns parmi la masse des appelés. Tous ces appelés n’ont absolument point à se plaindre de la préférence ; car il ne tiendrait qu’à eux de se laisser élire. Ils ont cette lumière primitive, jetée sur leur berceau, et ainsi tout le nécessaire et même en profusion. C’est comme si moi, particulier, très-jouissant et très-heureux sous la protection des lois, je me plaignais et murmurais, par une désordonnée ambition, de n’être pas moi-même le Roi. Ajoutez enfin, que ce VERBE-DIEU, créateur et recteur de l’univers, n’a pas dans sa régie une marche sèchement raisonnée et stérilement symétrique. Elle est d’autant plus belle et sainte qu’elle est désordonnée aux yeux des aveugles, et elle serait fausse, s’ils pouvaient la comprendre 210. Il en est comme dans la nature, où une loi physique s’élève et pousse son jet, qui semble contraster et désordonner toutes les autres ; et c’est de ce désordre apparent et d’un moment que résulte dans la suite le plus grand ordre. Mais dans cette futile objection, les incrédules qui voudraient en donner à garder aux ignorants, et leur jeter de la poudre aux yeux, devraient aller cacher leur honte. Qu’ils cherchent, s’ils le peuvent, à s’accorder avec eux-mêmes ; ils ne veulent point de révélation, ils la dédaignent et ils se plaignent en même temps de ce qu’elle n’est pas générale. Ô hommes incompréhensibles !
Mais non encore, ici je m’abuse, et ne semblerais-je pas me contredire ? Et quoique ce que je viens de dire soit très-vrai, ce n’est pas un argument convaincant au Tribunal suprême de ces Déistes, dont les leçons pour les abusés sont les arrêts des Mèdes et des Perses. Le Maître a parlé, et il suffit ; Rousseau a dit, Diderot a dit : il n’y a plus de lieu à la discussion et le doute ; l’examen serait un crime. Revenons donc sur nos pas ; je le leur ai déjà montré, mais il faut le leur redire encore. Qu’ils prennent la peine de lire les livres des sages Païens, anciens et modernes, des Indiens, des Sophis de Perse, etc. 211, ils verront par les passages de ces sages, cousus et rassemblés, presque tout ce que la Révélation écrite nous montre de mystères. Par la seule inspection de la nature, ils se verront accablés du poids de toute la Gentilité, remontée aux vérités transcendantes. Les idées simples, les rapports les ont guidés, et de degré en degré ils se sont élevés jusqu’à elles 212.
Ainsi, tout Païen qui n’a pas vu ni voulu voir la religion dans la nature est inexcusable ; et par conséquent tout Déiste est inexcusable de ne pas voir dans la nature la Révélation, et de ne pas voir la Révélation en lui-même, d’accord avec la nature ; et par conséquent encore, il n’a jamais été, n’est, ni ne sera dans le monde un homme qui ait manqué de révélation. Où est donc la plainte de ces messieurs, sur l’apparente injustice, sur le mensonge que la Révélation n’étant pas faite pour tout le monde, il y aurait en Dieu, ce qui soit dit sans un blasphème, dont mon âme a horreur, une partialité arbitraire, une préférence injuste. Voilà le Moïse et les Prophètes de tout l’univers, la Révélation, l’homme et le monde.
Que si la masse des Païens n’a pas cru et ne croit pas à ce Moïse et à ces Prophètes, à ce livre ouvert à tous les yeux, elle ne croirait pas non plus au Moïse et aux Prophètes, annoncés dans la Révélation proprement dite. Elle ne croirait pas même à la résurrection d’un mort ; outre les doutes de sa mort, ils auraient bientôt à y opposer des miracles, des prodiges de mensonge 213. Je n’en veux d’autre preuve décisive que nos Déistes eux-mêmes ; ils ne voient pas le vrai DIEU dans la nature, et ils ne le voient pas dans la révélation ; et ils ne le voient pas dans l’une parce qu’ils ne le voient pas dans l’autre. Ces personnages, pourtant, ne croient pas aux miracles des Chrétiens, mais avec leur bonne foi ordinaire, avec un fanatisme honteux, ils croient les miracles des Païens à bon compte. Que s’ils ne les croient pas, ils nous les opposent, du moins, et Diderot et ses semblables ressuscitent les Jambliques, les Porphyres, les Juliens, les, les, les...... et nous viennent avec un front d’airain opposer les miracles de l’antiquité Païenne.
C’est ainsi qu’ils sont une grande pièce justificative de ce que j’ai avancé. Les grossiers Païens n’ont point voulu être loi à eux-mêmes 214, et ils ne peuvent voir la loi incrustée dans la nature. Les Déistes ne veulent voir la religion ni en eux, ni dans la révélation, ni dans la nature ; orgueil partout, ténèbres partout et de toutes parts : L’Évangile leur est couvert 215, la nature est voilée à leur ignorance, et ils ne savent ni ne veulent voir en eux ce que la nature et la révélation leur annonce y exister, et avoir mis et gravé partout son infiniment adorable portrait.
Hé ! hommes obstinés, faites du moins un pas de plus, et ne vous arrêtez pas en si beau chemin ; les moins ignorants d’entre vous savent si bien dire que DIEU a imprimé le caractère de l’infini même dans ses plus petits ouvrages. Hé ! bien encore, cet infini, que vous croyez voir dans la nature, c’est ce même VERBE-DIEU infini qui, sans cesser d’être à jamais le DIEU infini, a pris pour vous les bornes du fini. Voilà votre pierre d’achoppement ; et tandis qu’un Dieu, par ses abaissements, est venu pour guérir votre orgueil, ce même orgueil filtre dans vos cerveaux, un DIEU qui ne peut s’abaisser sans s’avilir, et vous vous faites un titre de rejection du plus beau des traits que vous montre ce DIEU des miséricordes, si en lui, comme je l’ai déjà dit, il pouvait y avoir des traits plus beaux l’un que l’autre, et si en tout, partout et toujours, il n’était pas le DIEU infiniment adorable.
Il est dit dans cette divine révélation : Les Ninivites s’élèveront en jugement contre cette nation 216. Il y est dit qu’il en viendra d’orient, d’occident, du midi, du septentrion, et les enfants du Royaume feront jetés dehors 217, et une infinité d’autres passages relatifs. Ainsi les Païens mêmes seront leurs juges, et les sages d’entre eux les citeront à leur tribunal. Ils n’ont pas connu Jésus-Christ explicitement, mais ils l’ont connu plus ou moins dans la nature, et plus ou moins encore en eux-mêmes. Ils en ont dit de grandes choses ; ils ont prophétisé sa venue. Que si du moins ils ont connu quelques traits de ses adorables grandeurs, cachées sous ses adorables bassesses ; s’ils ont été fidèles et à la lumière versée en eux, et au guide du dedans, comme Socrate, Pythagore et tant d’autres ; cela, sans doute, a été décisif pour eux, comme il est décisif contre ces incrédules de nos jours.
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CHAPITRE XVI.
Éclaircissement, confirmation. Appel des Païens.
L’APÔTRE a dit : Quand nous aurions connu Jésus-Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus de même 218. Ces sages Païens n’ont pas connu Jésus-Christ selon la chair, mais ils ont pu, ai-je dit, en quelque sorte, le connaître selon l’esprit. Or le même Apôtre a dit : Tous ceux qui sont conduits par l’esprit de Dieu sont enfants de Dieu 219. Que s’ils ont été fidèles à la vérité, en la quantité que l’économie et les dispensations d’alors le comportaient ; en cette proportion-là, ils étaient donc enfants de DIEU 220 ; et en cette proportion encore, quoiqu’ils n’aient adoré ni à Jérusalem, ni sur la montagne 221 ; ils ont adoré ce Père de l’univers et Sauveur des hommes 222 ; où ? en eux-mêmes, en esprit et en vérité, en la quantité que cet esprit n’a pas dédaigné de couronner leur sincérité, en jetant en eux un rayon plus ou moins victorieux du nuage que le péché avait attiré sur la masse. Et ainsi ils verront un jour, dans l’admiration et dans le transport de l’amour, que ce VERBE-DIEU, qu’ils avaient littéralement méconnu et servi toutefois, selon leur lumière en leurs cœurs, c’est ce même Jésus qui se montrera leur Sauveur : Car il n’y a point de nom sous le Ciel autre que le sien qui soit donné aux hommes par lequel ils puissent être sauvés 223. Cette idée s’étendra plus bas.
Il ne faut pas s’abuser ; c’est le moment de lever le voile dont on a tant couvert ces vérités, c’est le moment d’élargir cette ligne de démarcation, d’enlever ce mur de séparation que les scrupules et la crainte très-bien fondée des hérésies avaient élevé. Longtemps il a fallu, par une nécessité de circonstances, séparer le Christianisme, littéralement envisagé, de tous les affreux colosses qui étaient érigés contre lui. Il a fallu que la différence infinie entre le vrai dogme et l’hérésie, entre Jésus-Christ explicitement connu et révélé, comme VERBE-DIEU, et l’impiété Mahométane ; entre la révélation claire d’un seul Dieu et l’idolâtre Polythéisme du Paganisme, il a fallu que cette différence fut marquée, prononcée, au point de ne pouvoir s’y méprendre. Cela a été infiniment nécessaire, et l’est encore dans nos temps ; car la vérité de la Révélation demeure éternellement, et tout l’enfer, l’erreur, l’hérésie, les ténèbres, les passions, épuiseront vainement leurs efforts contre elle.
Cependant il faut penser aussi que, l’esprit d’un DIEU infini étant partout, il est dans l’homme, et même dans le plus perdu des méchants, par la nécessité de son existence et une suite de son immensité ; mais dans ce méchant, il est fermé, cacheté en lui-même et non communicatif. Ce saint et divin esprit a donc été de tous les temps et de tous les lieux ; il est, on l’a vu, la source originale et infiniment féconde de toute révélation, soit interne, soit externe, soit dans la nature, soit dans la grâce, soit dans l’homme ; et quiconque saurait le trouver en soi-même, en le demandant et en laissant enlever les obstacles à son écoulement, a en soi et peut y lire la Révélation écrite de son doigt sacré.
Le Mahométan et le Païen de tous les siècles, anciens ou modernes, il n’importe, n’ont point la religion Chrétienne ou la vraie religion extérieurement prise et envisagée. Le gros d’entre eux la blasphème et la persécute même, en son ignorance, avec un brutal acharnement. Ne diriez-vous pas, à ce spectacle, que ces gens-là ont été et sont l’antipode du vrai Christianisme ? Et cela est infiniment vrai si vous l’envisagez, si vous le regardez par son côté extérieur, par ce qu’il a d’apparent ; et vrai encore pour ceux d’entre ces peuples qui, jouets des préjugés et du fanatisme, le sont encore du vice et des passions issues de la chute. Mais c’est ici qu’est le secret de Jésus-Christ, inconnu à tous les docteurs abusés, et presque à tous les hommes. C’est ici, oui, c’est ici que gît l’un des plus profonds mystères de ses ineffables et infiniment adorables abaissements. Il n’y a aucun peuple, aucune langue, aucune nation 224 où il n’ait des adorateurs, quand même ils ne le connaissent pas explicitement. Et le Diable, le serpent ancien, qui croit parmi tous ces peuples s’ériger un temple universel, se verra un jour dans la confusion, privé d’une partie de l’injuste patrimoine qu’il a usurpé, et lui échapper une infinité de proies qu’il croyait tenir dans ses horribles et abominables serres. Et ce que je dis ici est si vrai que notre Sauveur dit que celui qui, dans une ignorance non malicieuse ou invincible, aura blasphémé contre lui peut être pardonné, mais que le blasphème contre son esprit ne le sera point, et ne peut l’être ni dans ce siècle, ni dans celui qui est avenir 225. Donc il est des cas, des circonstances, où non-seulement on est pardonné de ne pas connaître Jésus-Christ explicitement, cela va sans dire, mais même pour en avoir mal parlé. Voilà donc le réat enlevé de dessus la tête de ceux que la naissance, les pays, les préjugés de l’éducation, les ignorances et préventions sucées avec le lait, ont éloignés de la connaissance explicite de notre Seigneur, d’ailleurs si infiniment précieuse pour ceux qui, se jetant pratiquement dans ses conséquences, savent la mettre à profit ; voilà, dis-je, le réat et la condamnation enlevés sur ces ignorances non volontaires, puisque même, comme l’avait fait St. Paul, on peut le blasphémer et persécuter dans cette ignorance.
À la vérité, il faut convenir, comme je l’ai déjà insinué, que le culte Chrétien et l’avantage d’être né dans l’Église extérieure et d’y avoir reçu littéralement le St. Baptême est en soi d’un privilège et d’un avantage vraiment incalculable, soit pour être dirigé à son vrai objet, sans mélange de faux, soit surtout par la prérogative infinie des très-saints sacrements, qu’on ne trouve point ailleurs ; voilà le vrai. Mais les misérables Chrétiens de nom se prévalent-ils de ces insignes avantages ? Ne les négligent, ne les dédaignent-ils pas, n’en abusent-ils pas, et même ne les profanent-ils pas à leur condamnation éternelle ? Infiniment plus coupables en cela que ceux d’entre les Païens qui peuvent et savent, sans ces infinis secours, s’élever à toute l’excellence de leur vocation, que comportent leurs circonstances. Mais s’il en est ainsi, la conclusion est indubitable : que les Déistes parmi les Chrétiens sont infiniment plus coupables que les Déistes Mahométans et Païens, parce qu’ils refusent opiniâtrement une lumière que ceux-ci n’ont pas ; une lumière qui cherche à les pénétrer de tous côtés et que l’orgueil de leur esprit refuse avec une odieuse obstination. Et voilà la réponse à cette objection, qu’ils croient si triomphante ; que s’il est une Révélation, elle doit être pour tout le monde. Et pour épuiser, si possible ce sujet, et ne leur laisser aucun subterfuge, enfonçons davantage dans cette vérité.
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CHAPITRE XVII.
Du genre d’élection des sages Païens et de leurs Martyrs.
IL ne faut pas croire que ce que j’ai dit de la raison des sages Païens, qui ont vu dans la nature et sous des ombres les mystères du Christianisme, déroge en rien aux bornes que j’ai mises dans cet ouvrage, à la raison de nos Déistes modernes, ni même à la raison de l’homme croyant à l’Évangile sans avoir la véritable foi, telle qu’on la verra distinguée, dans la suite, de la simple croyance.
On n’a d’abord qu’à se rappeler ce que j’ai dit plus haut de l’esprit astral, qui est une raison épurée et ennoblie, et les différences entre cet esprit astral et la raison commune et entraînée par la sensibilité, telles que je les ai posées. Or les sages Païens ont eu cet esprit astral, ou raison épurée au plus haut degré, c’est-à-dire, tous ceux d’entre eux qui ont eu l’œil simple 226 ; de la droiture dans leurs consciences, et un cœur honnête et bon. Cet esprit astral était l’esprit de leurs temps et de leurs circonstances. Ils se sont élevés à voir aussi haut qu’il leur a pu montrer.
Je viens de dire que des milliards de preuves de fait se voient dans les livres de leurs Philosophes, comme Pythagore, etc., et de leurs Poètes mêmes, comme Virgile, Homère, etc. Ils sont montés jusques là, mais non pas plus haut ; montés, dis-je, jusques là, parce que l’esprit astral peut connaître les mystères de la religion par les analogies inférieures, car ces mystères sont peints partout ; et ils ne sont pas montés plus haut, par la raison que le même esprit astral ne s’élève pas au domaine supérieur de la toute pure, divine et céleste vérité, dégagée de toute ombre et de tout nuage. Ajoutez que ces sages et clairvoyants Païens ont pu avoir des traditions des Juifs, et par eux des connaissances très-relevées, ainsi qu’une infinité de bons auteurs et de savants à recherches le soutiennent ; outre cela, dis-je, il peut être nombre de raisons qui éclaircissent ce point, lèvent pleinement cette prétendue contradiction.
1° D’abord j’ai montré qu’ils onc eu les plus grands secours dans l’inspection de la nature, approfondie avec un esprit droit et un cœur pur, et encore en rentrant en eux-mêmes.
2° Ils ont su tirer un grand parti de ces traditions et documents reçus par les Juifs, parce qu’ils en avaient besoin pour s’éclairer, au lieu que nos Déistes, qui n’en auraient nul besoin, possédant la Révélation, dédaignent ces traditions, et même les dédaignent à cause du rapport qu’elles peuvent avoir avec cette Révélation sainte ; les Païens ont mis tout à profit, parce qu’ils avaient besoin de tout. Ils ont ramassé jusqu’aux miettes ; tandis que les incrédules, ayant tout en profusion, refusent tout. Il en est en son genre, de même des Chrétiens prétendus, qui n’ont que la croyance ; ils sont contents de cette écorce, de cette superficie, et ne veulent ni ne demandent rien de plus.
3° Comme, ainsi que je l’ai insinué plus haut, DIEU n’a jamais totalement abandonné la nature humaine à l’épaisseur des ténèbres que méritaient ses désordres, il s’est choisi parmi ces Païens des hommes qui ont vu plus clair que la masse, afin d’avoir des manières de témoins, des espèces de confesseurs appropriés aux circonstances et au caractère de ces temps. Témoins et confesseurs, ai-je dit, non chacun de la vérité toute entière, et dans un enchaînement universel ; mais tous en ont dit, montré et répandu quelque chose.
4° On peut leur appliquer ce qui a été dit de la Fable, et le leur appliquer à bien plus juste titre, Faces accendit in umbris. Ils ont été des éclairs brillants dans la nuit du Paganisme ; c’est le rayon engagé dans le nuage. Phaebus in nebulis. Ils n’ont pas eu la vraie foi explicitement ; mais on pourrait dire qu’ils ont en quelque sorte été touchés par l’esprit qui donne la foi, et qui, sans leur en donner cette plénitude, que les temps d’alors ne comportaient pas, a toutefois rectifié, affiné leur raison naturelle, au point de les rendre capables de voir ce qu’ils ont vu et non plus ultra ; et pourquoi ? Parce qu’il fallait que, dans l’ordre de la justice divine, la nature humaine, si criminelle, éprouvât longtemps les ténèbres vengeresses, sans toutefois leur être universellement livrée et sans ressources. Dieu, si on ose le dire, agissant en cela en raison composée de la punition et de la miséricorde ; celle-ci tempérant ce que l’autre avait de rigoureux et de terrible.
On peut dire que le Paganisme a eu son genre d’élus, c’est-à-dire, de sous-élus, ou élus naturels, ou élus du second ordre, comme on voudra les appeler, tout ainsi que le domaine du Christianisme a ses vrais et saints élus parmi tant d’appelés 227 qui forment la masse. Cela s’est vu chez tous les peuples et chez les Juifs même, et cette économie se voit encore aujourd’hui chez toutes les nations livrées à l’idolâtrie, qui ont toutes leurs sous-élus, qui montrent et annoncent des traces de l’esprit du Christianisme.
5° On peut dire de ces sages anciens et modernes, qui s’élèvent au-dessus de la grossière masse, qu’ils sont comme dans l’antichambre de la foi. La foi les touche, les effleure, les entoure, sans qu’ils l’aient explicitement et en entier. Le gros des Chrétiens qui n’a que la croyance est dans l’avenue, mais tant qu’il n’a que la croyance, il n’entre point véritablement.
6° Tout ce que je viens d’avancer est le pur esprit de l’Écriture sainte qui, dans une infinité d’endroits, montre cette théorie. Les Prophètes, les Apôtres, notre Seigneur même ; les citations en feraient voir dans l’Écriture elle-même. Et c’est ainsi et par là qu’est pleinement levée la contradiction apparente et non réelle entre les bornes que j’ai assignées à la raison, mise en opposition avec la foi. On verra qu’il est des degrés dans l’une et dans l’autre ; il y a dans les hommes la raison corrompue, celle qui l’est moins, celle enfin qui est droite, mais qui ne fut jamais la vraie et pure foi. Les Païens, qui n’ont pas eu de révélation écrite, ont eu ce grand Supplément à la révélation, en voyant des vérités analogues, soit dans la nature, soit en eux-mêmes ; et on peut assez bien leur appliquer le mot gradatim ad sidera tollor.
Mais cette petite discussion en amènerait naturellement une autre, et en elle la réfutation d’une autre objection, dont nos incrédules cherchent à invalider la force du témoignage tiré du martyre des martyrs Chrétiens, des Apôtres, Confesseurs, etc. Ils avancent donc que toutes les religions, toutes les sectes, tous les peuples, le Paganisme même ont eu leurs martyrs. Si je voulais traiter cet objet dans toute sa plénitude, je pourrais dire des choses très-piquantes pour la curiosité ; mais comme ce n’est pas mon but dans cet ouvrage, et qu’il n’y est qu’un accessoire, je me bornerai à quelques réflexions qui suffiront, malgré leur brièveté, à distinguer les vrais martyrs des faux Martyrs, ou sous-martyrs, si on veut (dans le sens que je viens de parler des sous-élus) et à rendre au Christianisme toute la force de cette preuve morale que les incrédules ont de tout temps cherché à lui arracher.
Le mot de martyr vient du grec, et est un terme vague, qui proprement ne signifie qu’un témoin (μαρτύρ). Ainsi on peut l’être du mensonge tout comme de la vérité. Il est nombre de genre de martyrs, si on les considère dans leurs objets ; il est des martyrs du diable, il en est du monde, des passions ; il en est des vertus sociales, il en est de l’amitié, et un grand nombre d’autres, dont je n’entreprendrai pas la recension ; il en est enfin de la vérité pure et de la charité ; c’est-à-dire, de la foi et de l’amour de DIEU, connu et goûté dans le VERBE créateur et DIEU de l’univers. Il est un vers qui fait proverbe ;
Le crime fait la honte, et non pas l’échafaud.
Et je dis, en l’appliquant à mon sujet, c’est la cause qui fait le martyr (vrai martyr) et non pas le supplice. St. Paul a dit : Quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai pas l’amour de Dieu, je ne fuis rien 228. Jusques à quand confondra-t-on ici le droit avec le fait ? la bonne cause et les préventions, et mettra-t-on sur la même ligne ce qu’a donné de force et de courage la plus sainte vérité, et la force frénétique et le courage que donnent les préjugés, l’orgueil, l’erreur, le fanatisme, l’enthousiasme, ou des vertus secondaires ? etc. Ne parlons pas des fous, mais des plus sensés et plus raisonnables martyrs parmi les Païens. Je dois avouer qu’il en est d’entre eux qui ont eu presque l’accessit du vrai martyre ; mais j’atteste en même temps qu’aucun d’eux n’a été témoin, ni de la vérité pure, ni du vrai et parfait amour de DIEU.
Voyons en peu de mots ces deux objets. Les exemples des sous-martyrs de tous les degrés sont très-nombreux parmi les Païens. Pythagore, selon moi, serait le premier de tous, si sa persécution, par l’impie Cylon, était bien avérée. Alors je l’appellerais, non le martyr de la foi, qu’il n’avait pas, mais de l’esprit astral et du grand nombre de vérités sublimes qu’il a vues par cet esprit astral, qui était le télescope des sages et savants Païens ; télescope allant jusques là, mais ne portant la vue ni plus haut, ni plus loin. Et j’appellerais encore Pythagore martyr d’une conduite non sainte, mais pure, exacte, coûteuse à la nature et bien ordonnée. Tout a ses degrés, ses nuances et ses bornes, et il ne faut jamais les outrepasser ; parce que comme a dit le bon Horace :
Sunt certi fines quos ultra citraque nescit consistere rectum.
Socrate a eu encore, selon moi, l’accessit du martyre. Les raisons en seraient trop longues à déduire, et chacun connaît son histoire, et même le mot d’Érasme à son sujet. Il a été le martyr de l’obéissance et de la soumission aux lois ; et tandis que nos incrédules modernes les foulent aux pieds, et renversent tout ce qui est établi pour tout désordonner, Socrate, condamné injustement, et ayant la plus parfaite facilité à se soustraire au supplice, a voulu le subir, et a été ainsi un insigne exemple, pour tous les siècles, de la soumission aux lois établies, même dans le cas où leur autorité était injustement appliquée. Il a été le martyr (non peut-être de l’unité d’un DIEU, car cela est douteux, et il y a encore un nuage là-dessus), mais d’une morale humaine, aussi pure que possible, et au plus haut degré où elle ait pu s’élever, et martyr des lois. J’ajoute seulement qu’il était très-naturel qu’un si homme de bien dût sa condamnation aux farces théâtrales dont, en ce siècle perdu, tous les cerveaux sont affolés.
Plusieurs Païens ont été martyrs de l’amour de la patrie. Un célèbre exemple en a été donné par le bon roi Codrus, cet homme généreux qui, dans son opinion et son intention, se sacrifia pour elle. (Codrus pro patria non timidus mori.) Marcus Curtius de même, et Regulus, ce grand homme parmi les Romains, le fut et de sa parole, qu’il regardait comme sacrée, et de l’amour de la patrie en même temps. Toutes vertus du second ordre.
Il a été des martyrs de l’amitié dont, chez Denis le tyran, Pythias et Damon, sans en avoir eu la couronne, ont eu l’intention. Je ne parle pas ici de tous les sous-martyrs modernes entre les Païens ; on peut tous les mettre au même taux.
Concluons et résumons. Les Déistes se sont donc donné une peine très-inutile à chercher des martyrs hors du Christianisme, vu que nous-même nous en trouverions tout autant qu’eux. Mais ils devraient rougir d’en confondre et les causes et les motifs ; nous avons pour ces sages Païens l’estime qu’ils méritent, mais nous les réduisons à leur juste valeur. Plût à DIEU seulement, que nos incrédules ressemblassent aux vrais sous-martyrs d’entre eux ! Nous serions charmés de pouvoir leur donner les mêmes éloges. Mais, justes envers ces sous-martyrs, nous ne pouvons pas être injustes envers le vrai DIEU, ni trahir sa cause pour la cause des hommes.
Comme il est dans la nature un très-grand nombre de grains, tous bons, chacun selon son espèce ; de l’orge, du seigle, de l’avoine, du froment ; quoique tous utiles, il faut distinguer les degrés. Nous savons que partout nos livres saints font ce discernement ; ils nous le montrent dans l’arbre de vie, dont les feuilles, dit St. Jean, sont pour la santé des Gentils, ou des Païens ou des nations. Remarquez, ce sont les feuilles et non pas le vrai fruit de cet arbre céleste, qui ne part que de la sève de la divine charité. Nous avons encore cette distinction dans les diverses divisions, dans les compartiments de ce temple matériel de Jérusalem, figure en même temps de ce temple céleste de la Jérusalem d’en haut, où chaque chose, chaque vertu est mise à son degré et à sa place, et reçoit sa rétribution proportionnelle 229. Là était l’avant-temple, le parvis des Gentils ; remarquez encore le parvis des Païens, qui approchait du temple, qui le touchait, mais qui n’était pas le temple lui-même 230. Je pour rais aller bien plus loin, et montrer par une infinité de passages de l’Écriture, qui dévoilent tout ce mystère, quand, comment et pourquoi tout ce qu’il y a eu de bon dans le paganisme entrera..... et comment aucune de ces miettes ne sera perdue. Je le montrerais, dis-je, plus clair que le jour ; mais
Je n’ai pas mes degrés et je ne prétends pas
Hasarder pour un mot de dangereux combats.
Et pour revenir, en finissant, à cette objection des incrédules ; nous les prions, pour leur honneur, de ne plus confondre les degrés des vertus et les êtres ; nous les prions de nous montrer dans la Gentilité cette pure vertu, absolument exempte de l’orgueil qui a infecté celle des Païens, et même de leur propre aveu, comme je le pourrais montrer par des passages innombrables. Ils s’avisaient même si peu de cette toute haute et pure vertu, qu’ils n’ont pas honte de se vanter de leur orgueil : Vicit amor patria laudumque immensa cupido.
Enfin, nous prions ces incrédules de nous montrer hors de la cause du Christianisme un seul vrai martyr qui l’ait été de tout point et qui en ait complété l’idée, soit dans le but et l’intention, soit dans l’objet et la cause, et qui ainsi en ait rassemblé tous les traits. Et sans rien dégrader ni tenir plus bas que ne l’exige la vérité, je les somme de nous montrer, hors de la religion sainte, un seul martyr qui l’ait été pour soutenir les intérêts et la cause du seul vrai Dieu, du VERBE créateur de l’univers, du VERBE rédempteur de l’univers, du VERBE recteur de l’univers, de la foi en lui, que les Païens n’ont pas eue, et de cet amour pour lui, infiniment juste et porté à son seul vrai objet, qui leur a fait sacrifier leurs biens, leur honneur et leur vie, pour grossir son empire, lui rendre ainsi amour pour amour, et lui donner la vraie gloire, dont il recourbera sur eux le rayon dans l’éternité.
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CHAPITRE XVIII.
Les incrédules trouvent de l’injustice à avoir chassé les Cananéens de la Palestine ; et ce font les horreurs du somnambulisme et de toutes les pratiques ténébreuses, issues de la même cause qui les ont fait chasser. Citations.
IL faut revenir sur nos pas, après une si longue mais non inutile digression. Comme on voit dans la nature un haut rocher posé sur les bords d’une mer en furie se jouer de ses vains mugissements et de ses ondes menaçantes, l’élément fougueux, par ses inutiles efforts, vient à ses pieds briser l’orgueil de ses vagues, telles sont, dans l’ordre moral, toutes les vétilleuses et morcelées objections des incrédules contre la force de l’évidence morale qui, pour qui l’entend bien, les écrase toutes. Car en vérité, depuis quand, en logique, les tireurs de conséquence seront-ils admis contre ce qui est bien et dûment prouvé ? Quiconque n’est pas dans une crasse ignorance de l’art de raisonner, sait que toutes les objections viennent échouer contre une démonstration avérée, et qu’un côté obscur de faibles raisonnements, des demi-vérités qui ne sont que l’erreur, des assertions tirées de l’aveuglement d’une raison qui, pour ne pas tout comprendre, veut rejeter fièrement ce qui la passe, ne sauraient l’entamer ; telles sont les morcelées et pitoyables objections des incrédules.
Je les ai jusqu’ici combattues avec le plus grand dégoût. L’indignation saisit, le sentiment se révolte, le génie se rétrécit, devient petit et minutieux, quand on veut les suivre dans leurs allures tortueuses. Aussi ne ferai-je plus la même folie, et je ne parlerais pas d’une injustice qu’ils prétendent voir dans nos livres saints, n’était que cette petite discussion me fournira l’occasion de dire encore un mot du somnambulisme et de toutes les pratiques ténébreuses issues de la même cause. Voilà à quoi je me bornerai et ce qui terminera ma glose avec eux ; car semblables en leurs procédés à un torrent auquel on oppose d’inutiles digues, si l’on bouche un endroit, il en mine bientôt un autre et, de digue en digue, d’opposition en opposition, de réfutations en nouvelles chicanes, il faudrait parcourir avec eux tout le pays de l’impiété et du mensonge.
L’injustice dont ils osent accuser la théocratie, ou la conduite de DIEU, sur son peuple, c’est la dépossession, c’est l’expulsion et la destruction des nations du pays de Canaan. De quel droit les déposséder, et pourquoi exterminer des nations qui ne lui avaient point fait de mal ? Telle est l’objection ; perdons encore un moment à leur répondre.
Il n’est pas question de leur dire que c’étaient des nations abominables, et dont l’impiété était à son comble ; que c’étaient des peuples qui, ayant étouffé toute idée du vrai Dieu, toute piété et tout culte saint, avaient érigé tous les horribles autels aux faux dieux sur les ruines de l’autel où on le sert ; DIEU ne pouvait plus les souffrir sur la terre, qui les vomissait de son sein. Il n’est pas question de leur répondre qu’il est le maître souverain de donner et de reprendre, d’établir et d’enlever les bornes des peuples, lorsqu’ils ont lassé, épuisé sa longue patience. Ils peuvent penser tout à leur aise que la balance des empires et la régie de l’univers est remise en leurs sages mains ; comme en effet, au temps qui court, ils ont le magique pouvoir de bouleverser les royaumes....
Mais tout ce qu’il y a de personnes sensées se moqueraient de moi si je m’amusais avec eux à une discussion sérieuse et approfondie. Ainsi, je me bornerai à dire ici que c’est précisément ce somnambulisme et les abominables pratiques, qu’en nos jours on ressuscite de ces Païens, qui les a fait expulser de la terre sainte ; c’est ce somnambulisme descendu de Caïn le meurtrier, par Cham son digne successeur et répandu dans tout l’univers Païen de tous les temps ; ce sont ces esprits de Python qui gazouillent et qui grommellent ; ce sont les ventriloques, ce sont ces prophéties, ces augures, ces divinations de tous les Païens, ai-je dit, anciens et modernes, des Lapons, des Indiens, qui en ce fait en savent bien plus que leurs singes Européens ; ce sont les dignes pratiques de l’apostat Julien, leur ami par excellence, ce sont.... Oui, c’est précisément ce somnambulisme et toutes les pratiques qu’aujourd’hui on ingère dans le Christianisme d’une main audacieuse et forte, de la puissance du prince des ténèbres et de l’air, à qui a été abandonné ce domaine en faveur de ces enfants de rébellion, sur qui il peut agir avec efficace 231. C’est là que, sachant se transformer en ange de lumière 232, pour entortiller mieux encore ces abusés dans les filets dans lesquels ils sont déjà enlacés ; il leur montre de dangereux succès, à côté de déroutes pourtant, des opérations surprenantes, pour leur faire admirer, adorer ce noir président de tant de belles choses ; pour leur faire substituer à la pure et sainte religion ces opérations criminelles, et la croyance à l’ennemi à la divine soi du Chrétien 233.
Mais il faut en donner la preuve, et dans cette preuve montrer la condescendance da DIEU juste et vengeur à donner à son peuple la raison de ce sévère jugement, dont pourtant il ne doit compte à personne. Quand tu seras entré au pays que l’Éternel ton DIEU te donne, tu n’apprendras point à faire selon les abominations de ces nations là ; il ne se trouvera personne au milieu de toi qui fasse passer par le feu son fils ou sa fille, ni de devin qui se mêle de deviner, ni de pronostiqueur de temps, ni aucun qui use d’augures, ni aucun sorcier, ni d’enchanteurs qui usent d’enchantements, ni d’homme qui consulte l’esprit de Python, ni de diseur de bonne aventure, ni aucun qui interroge les morts ; car quiconque fait ces choses est en abomination à l’Éternel ; et c’est à cause de ces abominations que l’Éternel ton DIEU chasse ces nations de devant toi. Tu agiras en intégrité avec l’Éternel ton Dieu, car ces nations-là, dont tu t’en vas posséder le pays, écoutent les pronostiqueurs et les devins ; mais quant à toi, l’Éternel ton DIEU ne t’a point permis d’en agir de la sorte 234.
Hommes coupables qui, sous le spécieux prétexte de quelques guérisons, et très-douteuses, et peu durables, et d’un magnétisme coloré de l’apparence d’un innocent physique, mais qui n’est pas moins sous le prince de la puissance de l’air, de ce fluide que vous faites agir et réagir, opérer, influer, de ce magnétisme que vous ne laverez jamais, de mener au somnambulisme ; et quand il n’aurait d’autre défaut que d’être l’origine, la cause de ces atroces suites ; arborez donc l’étendard de ces impiétés au milieu de la Chrétienté. Moquez-vous d’un DIEU terrible, et bravez-en les vengeances ; passez par ces pratiques une odieuse éponge sur la foi et la confiance auxquelles il appelle ses enfants. Arrachez de la terre, si vous le pouvez, l’arbre de vie, pour lui substituer l’arbre de la mort. Amenez les ténèbres de l’abîme, pour en offusquer la lumière pure de l’Évangile. Appelez à votre secours l’apostat Julien ; criez à son tombeau et réveillez ses mânes ; ramenez-nous les guérisons vaines d’Esculape ; dressez contre nos autels les autels de l’ennemi, présidant si souvent à vos manipulations. Ressuscitez Apollon, la Pythie, l’antre de Trophonius, la sibylle de Cumes, Ocirroë et toute cette séquelle. Faites-les deviner parmi nous ; faites les miracles des magiciens d’Égypte, pour embarbouiller nos très-saints et véritables miracles, et pour faire crier : Qui est semblable à la bête, qui est semblable aux somnambulistes ?
Il y avait près d’Héliopolis un arbre que le Diable avait magnétisé par art magique, où il se faisait adorer. La sainte famille l’en chassa, s’étant reposée sous son ombre, dans le voyage d’Égypte, pour fuir la fureur d’Hérode. Que les magnétiseurs fassent attention à ceci, car rien n’est plus dangereux que cette manipulation.
Ces faiseurs de miracles peuvent aller voir en Égypte leurs maîtres dans cet art ; là on coupe les serpents en morceaux et, par l’art du magnétisme Égyptien, les morceaux se rejoignent, et le serpent reprend la vie, comme si de rien n’était. Je ne cite que ces exemples, entre des milliards que les histoires anciennes et modernes en fournissent. J’ajouterai seulement que les miracles des convulsionnaires de Paris sont un magnétisme assez raffiné et exalté par lequel, sous toute apparence de piété, et par ce qu’une vie austère a de plus éclatant, l’ennemi, qui sait se transformer en ange de lumière, et qui y présidait pour sa part, cherchait à injecter dans les esprits l’erreur du Jansénisme, dont ces convulsionnaires étaient les hérauts.
Je finirai de si désagréables réfutations par ces mots, très-applicables à ce sujet : Sed jam me pudet ista refellere, cum eos non puduerit talia sentire, etc.
Cependant, avant d’en venir à l’heureux domaine de la foi, je donnerai deux ou trois exemples des oracles, prophéties, divinations, augures des Païens, par l’esprit astral, qui était la source et, pour ainsi dire, le lieu de leurs inspirations.
On voit d’abord la prophétie de la découverte de l’Amérique par le poète Sénèque le tragique, que j’ai déjà citée quelque part dans cet ouvrage. C’est le numéro 1.
Vous voyez ensuite au Nos 2 et 4 le genre de leurs inspirations et de leur enthousiasme, lorsqu’ils avaient à prophétiser et qu’ils étaient ravis au-dessus de la raison commune jusqu’à l’esprit astral qui, dans ces moments de transports, leur peignait les évènements.
Remarquez surtout au No 2 la dernière moitié de la citation ; vous verrez dans cette prédiction sur Esculape une imitation inférieure et manquée de l’histoire de la mort et de la résurrection de notre Seigneur, telle que l’esprit astral pouvait montrer cette vérité analogique, en la peignant à leur imagination ou la leur montrant dans la nature, mais mêlée des ombres qui étaient le caractère et l’esprit des Païens, dont les prophéties ont des vérités et inférieures et nuagées. Et cela vérifie ce que j’ai dit, que les mystères de la religion sont peints grossièrement dans la nature et sur les cieux astraux. Je pourrais ajouter beaucoup de choses curieuses sur Esculape, médecin des âmes et des corps, pour montrer ces analogies inférieures, et ces tout-à-la-fois vraies et fausses imitations des saintes guérisons opérées, et sur les âmes et sur les corps, opérées, dis-je, invisiblement, par le céleste médecin Jésus-Christ.
Enfin, vous voyez au No 3 un exemple que donne Virgile des enchantements que les Marses exerçaient sur les serpents, etc., avec la main et la voix. Il est parlé dans l’Écriture de la voix de l’enchanteur, expert en charmes, qu’on ne doit point écouter. Je pourrais ajouter une infinité de traits, mais je suis ennuyé, rassasié d’en parler ; ces échantillons peuvent suffire.
Senec. Trag. Medea, Act. 2. Chor. vers. 375. etc.
No 1. …. Venient annis
Secula feris, quibus Oceanus
Vincula rerum laxet, et ingens
Pateat tellus, Tiphysque novos
Detegat orbes ; nec sit terris
Ultima Thule………
P. Ovidii Metamorph. Liber II. vers. 635. etc.
No 2. Ecce venit rutilis humeros protecta capillis
Filia Centauri : quam quondam Nympha Chariclo
Fluminis in rapidi ripis enixa, vocavit
Ocyroën. Non haec artes contenta paternas
Edidicisse fuit : fatorum arcana canebat.
Ergo ubi fatidicos concepit mente furores,
Incaluitque Deo, quem clausum pectore habebat ;
Aspicit infantem, totique salutifer orbi
Cresce puer, dixit : tibi se mortalia saepe
Corpora debebunt : animas tibi reddere ademtas
Fas erit. Idque semel dis indignantibus ausus,
Posse dare hoc iterum flamma prohibebere avita :
Eque Deo corpus fies exsangue ; Deusque,
Qui modo corpus eras : et bis tua fata novabis.
Æneid. Lib. VII. vers. 750. etc.
No 3. Quin et Marrubia venit de gente sacerdos,
Fronde super galeam et felici comptus oliva,
Archippi regis missu, fortissimus Umbro :
Vipereo generi et graviter spirantibus hydris
Spargere qui somnos cantuque manuque solebat,
Mulcebatque iras, et morsus arte levabat,
Æneid. Lib. VI. vers. 45. etc.
No 4. Ventum erat ad limen, cum virgo : poscere fata
Tempus, ait : Deus, ecce, Deus. Cui talia fanti
Ante fores, subito non vultus, non color unus,
Non comptae mansere comae : sed pectus anhelum,
Et rabie fera corda tument ; majorque videri,
Nec mortale sonans : afflata est numine quando
Jam propiore Dei.
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CHAPITRE XIX.
Confirmation de la doctrine répandue dans cet ouvrage, touchant le magnétisme et le somnambulisme ; par une lettre qui m’a été écrite par un savant amateur de la vérité, qui après avoir eu toutes les expériences, et du magnétisme et du somnambulisme, en a connu les abus et les dangers, et a quitté toutes ces pratiques.
« JE vous remercie, Mr., de ce que vous avez bien voulu me communiquer vos idées sur l’esprit astral, le magnétisme et le somnambulisme. Votre théorie est ingénieuse, profonde, mais, mieux que tout cela, elle est très-vraie ; une longue expérience m’a confirmé tous les principes que vous amenez. Vous avez établi parfaitement le danger du magnétisme ; j’aurais désiré que vous fussiez entré dans un peu plus de détail, pour indiquer comment le magnétisme opère. Cet opérer dépend de l’exposition de vos principes, je les reprends en peu de mots.
« La chute de l’homme influa sur tous les êtres de la création ; ces êtres devaient être régis par l’homme, et l’homme dirigé par l’esprit de Dieu.
« L’homme, après sa chute, conserva encore l’image de sa puissance, mais il fut obligé de descendre à des jouissances inférieures. Vous prouvez admirablement comment l’esprit astral fut en lui substitué à la place de l’esprit divin.
« Parcourant ensuite ce domaine de l’esprit astral, vous montrez comment il peut suivre toutes les formes et les pouvoirs de l’air primitif ; que cet air primitif, ou ce fluide, peut être mis en jeu par la volonté de l’homme, que cette volonté est le premier agent de sa liberté, que cette liberté fut laissée à l’homme, malgré sa chute, parce que DIEU ne rétracte pas son don. Mais vous établissez que le démon est le prince de la puissance de l’air ; d’où il suit que si l’homme, usant de sa volonté, agit par l’esprit astral sur l’air primitif, il entre dans le domaine de l’ennemi, et il peut en résulter de grands dangers.
« Je pourrais vous dire que le magnétisme est le produit de la volonté agissant par l’esprit astral sur l’air principe : c’est par cette cause que la plupart ou, pour mieux dire, presque tous les magnétiseurs, ont opéré des effets si étonnants, et je puis vous assurer qu’un très-petit nombre se sont même élevé jusques à cette cause. Il est cependant un autre genre de magnétisme, supérieur et aussi éloigné de celui-ci que le jour est éloigné des ténèbres ; mais comme ce n’est pas contre celui-là que vous vous élevez, je vais continuer de poser des bases pour faire entendre de quelle manière opère celui que l’enthousiasme a adopté sans le connaître, et que l’ignorance a rejeté avec aussi peu de fondement.
« L’existence et l’influence de l’air primitif a été prouvée par les savants, soit qu’ils l’aient considéré sous son rapport d’agent universel ou de magnétisme universel (indépendamment de la nécessité de cette cause pour parvenir à expliquer quelques-uns des grands phénomènes de l’univers) : Kirker, Boerhaave, Vanelmon, Wirdic et tant d’autres auteurs célèbres en ont parlé, qu’il est étonnant que les académiciens modernes aient nié dans ces derniers temps l’existence de ce principe, trop subtil pour ceux qui veulent tout soumettre à une manipulation grossière, et qui n’avouent de réalités que celles qu’ils peuvent réduire à l’analyse de leurs opérations.
« Une science plus réelle et plus approfondie aurait fourni aux commissaires de l’académie des moyens plus péremptoires que ceux qu’ils ont employés pour empêcher la propagation de la doctrine dangereuse de Mesmer. Ils ne se seraient pas jetés dans les hypothèses et parcouru le pays des chimères. Ils n’auraient pas assigné pour principe et cause aux phénomènes qu’ils ne pouvaient expliquer, le feu de l’imagination et de la mémoire. Mais reconnaissant avec leurs maîtres en fait de science cet air primitif, ils auraient pensé que ce fluide environnant toutes les substances pouvait être réuni et concentré par une multitude de circonstances, et notamment par la volonté de l’homme, si l’homme a le pouvoir de réunir l’air commun en un plus petit espace, et le concentrer au point de produire la plus violente explosion ; pourquoi n’aurait-il pas le pouvoir de réunir les effluvies qui sortent de lui et les appliquer sur un corps qui aurait plus particulièrement de l’analogie avec le sien ? La multiplicité d’expériences devait au moins inspirer quelques doutes à messieurs les commissaires, et malgré leurs assertions et la solennité de leur décision ; des savants subalternes, et non décorés du titre fastueux d’académicien, ont renouvelé à tel point les expériences, qu’ils n’ont pu douter et qu’ils ont eu l’évidence que la volonté de l’homme était un levier suffisant pour soulever dans une atmosphère infiniment élastique des particules encore plus subtiles que cette atmosphère. D’où ils ont conclu que la réunion des effluvies de deux corps différents devaient produire un résultat ; car lorsque deux causes se combinent, il en résulte nécessairement un mixte, pour peu que ces causes ne soient pas similaires et qu’elles aient une dissemblance. Or les affections particulières, les passions particulières, les tempéraments différents produisent des effluvies différentes chez les hommes ; d’où il suit que ces effluvies différentes doivent produire une différence dans le corps de celui sur qui on dirige ou on applique les effluvies. Ne fissent-elles que d’accélérer le mouvement, cette cause serait suffisante pour expliquer les phénomènes sans nombre que produit le magnétisme ou, pour mieux dire, l’effet de la volonté agissant par l’esprit astral sur l’air principe.
« Les esprits animaux qui entourent les fibres les plus déliées, et qui volutent autour de ces fibres pour leur conserver leurs actions, ont un mouvement régulier, mais qui peut être accéléré de mille manières. Les commissaires de l’académie connaissent-ils, ont-ils soumis à leur analyse la nature de ces esprits, l’étendue de leurs atmosphères ? Cependant, les plus fameux médecins en confessent l’existence ; or, s’ils existent, ils doivent se mouvoir dans un fluide, et ce fluide doit avoir une action sur eux : cela posé, revenons aux principes que vous avez posés.
« L’esprit astral est la possession de l’homme et son domaine, depuis qu’il a perdu l’esprit supérieur. Cet esprit astral peut être mis en jeu par la volonté de l’homme, et il peut suivre toutes les formes et les pouvoirs de l’air primitif. Si l’air primitif est le fluide dans lequel se meuvent les esprits animaux, l’homme a pouvoir sur les esprits animaux par l’air primitif, et peut les réunir et les rassembler en partie dans leur centre, qui est le principe sensible. Duquel principe sensible ils partent et se réunissent, comme les rayons du soleil partent et se réunissent à lui. Vous devez voir combien cette théorie a d’analogie avec celle que vous avez sur le soleil, et je ne peux que vous engager de la publier. Au reste, je vous propose ceci comme infiniment plus satisfaisant que la dénégation de messieurs les commissaires, qui, je crois, n’ont pas suffisamment étudié la question qu’ils ont soumise à leur décision.
« Il faut néanmoins se hâter de prévenir une objection que cette théorie pourrait faire naître à des têtes exaltées. Elles pourraient en inférer que l’homme pourrait bouleverser le système de l’univers, s’il avait par sa volonté la puissance que je lui attribue. Que ces enthousiastes ne perdent pas de vue que, comme DIEU a fixé des limites aux vagues de la mer, il en a fixé de même à la puissance de l’homme dans la proportion de la nature et de la quantité des actes que chaque être et chaque individu doit opérer. Ainsi la masse de l’air primitif étant le domaine général de tous les êtres ; l’homme ne peut en déplacer que la quantité qui lui en a été permise.
« Il me semble que je m’éloigne peu de vos idées, d’après lesquelles il serait aisé d’établir que le magnétisme, simplement tel, pouvait être utilement employé comme diagnostique en médecine. Que c’était par ce même principe que Michel Schoupac avait acquis de la célébrité, et qu’il lui était possible de lire les maladies dans l’urine, attendu que les parties similaires de l’homme se peignent sur le fond primitif de l’éther de l’urine, et peuvent y être aperçus par des yeux exercés, comme elles se peignent sur le fond primitif de l’éther de l’atmosphère. J’ai vu un savant minéralogiste découvrir dans la gangue d’une pierre ce que de très-habiles physiciens et chimistes, avec une loupe extrêmement bonne, pouvaient à peine apercevoir. Ainsi, si les parties similaires se peignent sur le fond primitif de l’éther atmosphérique qui l’entoure, il n’est pas plus étonnant que Schoupac ait eu la connaissance des maladies par l’inspection des urines, qu’il n’est étonnant que l’on voie, par le même principe dans l’atmosphère qui environne les corps, la nature des effluvies qui en sortent, comme l’on aperçoit aux rayons du soleil l’immensité de molécules qui se jouent dans ce rayon ; comme l’on peut aussi, par l’ombre qu’occasionne la réflexion des rayons de lumière, juger de la réalité de l’objet que cette ombre représente.
« Dès lors le médecin qui emploierait le magnétisme comme diagnostique, qui en ferait usage dans cette seule vue, s’il connaissait parfaitement le jeu universel de toutes les fibres qui composent le corps humain, leur rapport entre elles, s’il ne se servait de cet agent que pour augmenter le mouvement dans telle ou telle partie, sans en priver telle ou telle autre ; s’il parvenait à connaître la simplicité de l’être et la cause originale et simple qui a occasionné une maladie ; cet agent aussi simple qu’universel acquerrait déjà un grand mérite entre ses mains, mais guérirait-il par ce moyen seul ? Non, monsieur, cet agent universel, cet air principe, étant simple de sa nature, ne doit avoir qu’une influence de même nature ; ainsi si une maladie est le résultat ou le concours de huit ou dix causes, cet agent simple ne peut détruire un pareil composé ; il doit même être dangereux de s’en servir, puisque par lui on pourrait augmenter, dans la partie malade, un mouvement qui accélérerait la dissolution et la mort. Oh ! si le magnétisme, considéré sous le simple rapport physique, est d’un tel danger, que sera-ce si nous le considérons sous un rapport plus élevé ?
« Nous sommes convenus que l’air primitif étant le fluide dans lequel se meuvent les esprits animaux, l’homme a pouvoir sur ces esprits par l’air primitif, qu’il peut les réunir, du moins en partie, dans leur centre, qui est le principe sensible ; il ne s’agit que de former un courant à cet air principe, et d’entraîner les esprits animaux dans ce courant.
Lorsque ces esprits animaux sont en parfaite affinité avec le principe sensible, il s’ensuit qu’ils se précipitent au moindre appel vers ce centre ; alors ils abandonnent plus ou moins les sens extérieurs pour aller se raviver dans ce centre ou principe sensible. C’est cette affinité et cette tendance plus ou moins perfectionnée qui détermine dans les magnétisés les états de convulsions, catalepsies, sommeils, somnambulisme. Plus le magnétisé a soumis sa propre action, sa propre volonté à l’action, à la volonté du magnétiseur, plus le magnétiseur a eu de facilité à réunir, dans le centre du principe sensible, les esprits animaux qui avivaient les sens extérieurs. Plus les sens extérieurs sont tournés à ce centre, plus ils restent dans l’inaction, et moins ils fournissent au principe sensible d’aliment pour les sens supérieurs, qui sont l’entendement, la mémoire et l’imagination. Alors le principe sensible ne renvoyant pas aux sens supérieurs les esprits animaux qu’il a pompés aux sens inférieurs, et ces supérieurs n’étant plus alimentés par ces esprits, ils puisent dans leur propre atmosphère, qui s’étend, comme nous avons vu, jusques aux confins du domaine de l’esprit astral, les idées mélangées, inférieures, que les hommes crédules et abusés se sont si souvent plus à regarder comme les expressions de la vérité. Vous avez parfaitement saisi, dans votre ouvrage, l’esprit de cette doctrine, et vous en avez tiré de merveilleuses conséquences, pour proscrire ces pratiques Chaldéennes, Babyloniennes, contre lesquelles l’Écriture s’élève en tant d’endroits ; pratiques maudites, qui attirèrent sur les Cananéens les maux qui les dépouillèrent justement de cette terre fortunée dans laquelle, se livrant avec complaisance aux actes de la puissance inférieure qu’ils avaient sur la nature, ils la forçaient de lui révéler ses secrets et tâchaient d’arracher à la Divinité le voile dont elle couvrit ses beautés à l’homme à l’instant de sa chute ; ils élevaient autel contre autel, ils oubliaient leur destination primitive pour se livrer à l’orgueil de leurs vaines découvertes ; c’est là ces pratiques dont Mesmer a osé se dire l’inventeur. Avec plus de bonne foi, il aurait pu nous compter la fin désastreuse de son maître et, au lieu de s’envelopper des voiles du mystère pour fonder sa fortune, il aurait dû nous prémunir contre ses résultats fâcheux. Le magnétisé soumet sa propre action et sa liberté au magnétiseur, sans être pour cela dégagé de son propre intérêt ; car l’esclave même ne peut par lui-même se dépouiller de cette possession qui nous est si nuisible. Le magnétisé n’est donc qu’un esclave, et de cet esclave on ose se promettre des oracles de vérité ! quelle erreur ! La vérité n’est qu’une, et dans ceci on ne peut se promettre que des mensonges, en raison composée de l’intérêt du magnétisé et de la volonté propre du magnétiseur ; de manière qu’il est impossible qu’on ne s’égare dans cette route. Si la volonté du magnétiseur est droite, que lui sont toutes les connaissances qui ne sont pas DIEU ; si cette volonté n’est pas droite, le malheureux esclave, ou le magnétisé, ne verra dans l’atmosphère qu’on le force à parcourir ou, pour mieux dire, ne sentira que les choses qui sont analogues à la volonté à laquelle il s’est soumis. Ces choses viennent s’imprimer dans les puissances de l’âme du magnétisé comme dans un miroir de réflexion. L’intérêt de cet esclave magnétisé élabore encore cette vaine apparence, et n’en transmet que ce qui n’est pas contraire à son intérêt propre ; voilà le seul résultat qu’on peut se promettre. Ainsi, la nature de la volonté, la force de l’imagination, le genre des occupations favorites, détermineront toujours la nature, la force, le degré des somnambules. De manière qu’en connaissant le magnétiseur, il est facile de deviner quelle est l’espèce de sommeil de celui qu’il magnétise.
« Le matérialiste n’obtiendra pas un somnambule d’un ordre supérieur à celui de la matière. Celui qui s’élève à un ordre moral pourra en obtenir dans ce genre ; mais s’il s’élève à un ordre spirituel, qu’il tremble ! C’est le démon même qui rendra ses oracles ; voilà le DIEU qu’il a établi dans le cœur de son malheureux abusé. Dénoncez, monsieur, aux pères de famille, magistrats, citoyens, les grands abus que je ne fais qu’effleurer.
« En voulant ne vous présenter que mes idées, je me suis aperçu que je m’emparais quelquefois des vôtres ; mais la vérité est si semblable à elle-même, que les nuances même lui prêtent plus de charmes. Au reste, faites de cette lettre l’usage que vous voudrez ; si elle contient quelques idées nouvelles, identifiez-les avec votre excellent ouvrage. J’ai peut-être passé les bornes d’une lettre, et quoique je me sois fixé à vous parler du magnétisme inférieur, je ne crois pas qu’un grand nombre de ceux qui le pratiquent et qui en parlent l’aient même entrevu sous ce point de vue, quoiqu’étant le plus inférieur degré. Oh ! si celui-ci peut à peine être compris, je n’ose pas même indiquer les moyens pour parvenir à l’autre. »
Je suis, etc.
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CHAPITRE XX.
Confirmation, par un seul exemple pour tous, sur ce que j’ai dit des sages, ou Païens, ou hors du Christianisme extérieur.
JE joins ici en pièces justificatives, parmi le nombre infini qu’on pourrait tirer des Païens et des Mahométans, ces sentences persanes. Un exemple pour le tout. Ces hommes pieux, j’allais presque dire saints, se sont élevés, je l’ai dit, par la seule idée de DIEU, métaphysiquement envisagée, et dans ses conséquences, adoptées par le cœur en qui elles allumaient le feu de son amour ; se sont élevés, dis-je, à ce haut point de perfection. Voilà, j’ose le dire sans enthousiasme, l’esprit du Christianisme, et de quoi faire à jamais rougir, et nos impies Déistes, et toute la masse de ces Chrétiens extérieurs prétendus, qui n’en ont que le nom, et qui en ont renié et abjuré la force.
J’ai été bien aise de prendre cet exemple, et je l’ai affecté, pour faire voir que la religion intérieure, qui dans le fond (sans exclure le culte extérieur) est pourtant la seule réelle et solide, puisque sans elle il n’en est point ; que cette religion intérieure est posée comme sur une base immuable, sur la seule idée de Dieu, et qu’elle peut se démontrer invinciblement par les plus légitimes conséquences et une chaîne infaillible de cette seule proposition : Il y a un Dieu. Tout cœur pur et sincère s’attire la grâce et l’esprit de DIEU, qui fait le chrétien intérieur et, pour parler avec le Seigneur, les adorateurs en esprit et en vérité. Et cet esprit saint, dans le cœur droit, lève les affreux nuages qui reposent sur nos Déistes et sur les gens du monde qui, tous, ignorent absolument ce en quoi consiste la religion de Jésus-Christ, seule vraie, seule sûre, seule universelle, seule éternelle, et la seule (selon son Esprit) de tous les temps, de tous les lieux et de tous les hommes, qui ne refusent pas cet esprit et qui ne ferment pas obstinément les yeux à la lumière de ce soleil infini.
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SENTENCES PERSANES.
Dans le livre du Gutchendras, code sacré des Sophis de Perse,
se trouvent ces beaux préceptes.
N’ENGAGEZ pas la conversation avec le premier venu, mais tenez-vous tourné vers DIEU en toutes rencontres. Ne cessez jamais de pousser des soupirs ardents vers Dieu, ni de publier sa gloire et ses grâces. Ainsi vous posséderez pleinement la véritable vie en ce monde et en l’autre.
Ô ardeur de l’amour de DIEU ! venez à mon secours, afin que nous brûlions sans cesse l’un et l’autre ; car il faut brûler ainsi, pour dire l’état d’un cœur enflammé d’amour.
La source du plaisir est dans le sein de l’objet aimable. Pour moi, je ne travaille à autre chose qu’à me jeter à corps perdu dans cet abîme.
Ô vous qui me conviez aux délices du Paradis, ce n’est pas le Paradis que je cherche, je cherche la face de celui qui fait le Paradis.
Si l’ignorant découvre en soi une seule vertu, il croit en avoir cent, mais quoiqu’il ait mille imperfections, il n’en aperçoit aucune. Au lieu que s’il en aperçoit quelqu’une en un excellent sujet, il lui semble en voir mille.
Un célèbre docteur disait toujours ces paroles, après avoir donné une décision. –Ceci est une opinion, et toute opinion est sujette à l’erreur, car il n’y a de certitude ni de vérité qu’en DIEU. Écoutez et vous apprendrez ; tenez-vous dans le silence et vous serez en paix.
Contentez-vous de ce que DIEU vous donne, et vous serez bien riche. – Le vrai pauvre ne possède rien, et rien ne le possède. La pauvreté volontaire met donc un homme au-dessus du monde.
Servir DIEU par intérêt est un service de marchand ; par crainte est un service d’esclave ; par amour, c’est un service d’homme libre.
Un novice ayant dit à son supérieur qu’il ne pouvait prier DIEU où il y avait du monde, il lui répondit : vous êtes bien faible, si vous songez encore au monde.
Le prix d’un homme se compte par les choses qu’il estime. S’il estime le monde, il n’est pas estimable ; parce que le monde ne l’est pas. S’il estime l’autre vie, le Ciel est son prix ; mais s’il estime DIEU par-dessus tout, il est sans prix.
Toutes les portes de l’Enfer peuvent se fermer par l’oraison, excepté la porte du larcin.
La parole de DIEU s’accommode au cœur d’un chacun, et donne la paix au cœur de l’homme simple.
Tout le monde est d’accord sur la Divinité, et qu’elle est. Tout le monde succombe sur l’idée de ce que c’est. En cet Océan, mille navires ont coulé bas, dont on n’a pas trouvé une planche sur le rivage. Quel profit de passer les jours et les nuits la tête inclinée sur cet abîme !
S’il arrive à un homme pieux d’être tiré par l’amour de DIEU, à la connaissance de ses secrets, on ferme sur lui la porte pour ne pas retourner.
À un de ces oiseaux de Paradis, on couvre les yeux comme à un faucon. Et à celui à qui on laisse les yeux ouverts, les ailes sont coupées. Personne n’a trouvé le chemin pour aller à ce trésor, car si quelqu’un l’a trouvé, il s’est perdu.
Je me sens enfoncé dans ces flots fameux en naufrages, hors desquels nul n’a ramené son navire entier.
Si tu pries DIEU à présent de passer cet espace inconnu qui mène à lui, envisage-toi bien avant dans le miroir de ton cœur, tu y trouveras peu-à-peu les traits divins. La seule ardeur de l’amour t’enivrera. Tu te souviendras de l’accord fait avec DIEU au commencement du monde. Du pied de l’oraison, élève-toi à la contemplation, et là tu prendras des ailes qui te porteront à l’amour de DIEU.
La vérité déchirera à ton bord le voile des doutes.
Il n’y aura plus de voile étendu devant toi, mais tu seras frappé de la lumière. Et si le cheval de l’esprit se sent emporté, prends la bride tout surpris, disant : arrêtons-nous sur cette mer ; nul ne s’est embarqué qui ne fut transporté d’amour.
Une goutte d’eau tomba de la nue dans la mer, elle demeura toute étourdie, en considérant l’immensité de la mer. Hélas ! dit-elle, en comparaison de la mer, que suis-je ? Sûrement, où la mer est, je ne suis qu’un vrai rien. Pendant qu’elle se considérait ainsi dans son néant, une huître la reçût dans son sein et l’y éleva. Le Ciel arrangea la chose, et la porta au point qu’elle devint la perle fameuse de la couronne du Roi.
L’attention à la présence de DIEU est l’exercice particulier des fidèles en ce monde, et la félicité des bienheureux en l’autre.
Rien n’est plus intime à l’homme que DIEU, et rien cependant qui lui soit moins connu ; chose étrange ! que DIEU soit si proche de l’homme, et que l’homme soit si éloigné de DIEU.
La volonté et le bon plaisir de DIEU est la pierre de touche qui nous éprouve, afin que celui qui n’est pas de bon aloi fasse paraître la noirceur qu’il cache au-dedans.
Qui ne vit que pour DIEU ne meurt jamais. Heureux donc, et mille fois heureux, l’homme qui n’est animé que de son esprit !
Les bigots vivent en jeûnant, et les vrais dévots jeûnent en vivant.
Le fidèle ne doit s’employer aux œuvres de subrogation qu’après avoir fait les œuvres d’obligation.
Citations de quelques Philosophes Arabes.
Celui qui s’embarque dans la contemplation de l’unité de DIEU, après avoir vogué longtemps sur l’océan de la multiplicité des êtres, arrive au port de cette union qui, rassemblant tous les objets différents, n’en fait plus qu’un.
L’unité ne se trouve que dans ce qui est nécessaire et éternel, et la multiplicité ne se rencontre que dans ce qui est contingent et passager.
De là vient que ceux qui se regardent eux-mêmes, et qui vivent encore à eux-mêmes, sont toujours dans le danger de se perdre par la multiplicité des objets ; au lieu que ceux qui se sont entièrement dépouillés d’eux-mêmes se trouvent dans l’unité. Passez la plume et effacez hardiment tout ce qui est couché sur le compte de votre être et de votre propre fond.
Marchez courageusement et prenez le chemin royal de l’abnégation et de l’anéantissement ; car à force de battre ce chemin dans lequel on ne voit encore rien, on arrive enfin à cette retraite sacrée où l’on ne voit plus que DIEU seul.
Vous ne posséderez jamais la vraie piété jusqu’à ce que vous vous détachiez et dépouilliez de ce que vous aimez le plus ; des biens de la terre, des honneurs et des charges, vous en servant seulement pour secourir ceux qui ont besoin de protection ; de votre corps, employant ses forces au service de DIEU ; de votre propre cœur, ne se laissant posséder ni s’occuper que du seul amour de DIEU ; et enfin de l’esprit même, en le retirant de tout ce qui l’éloigne, ou de ce qui ne le porte pas à DIEU.
Dans un commentaire de l’Alcoran, Selemi dit.
Quiconque se dépouille de ce qu’il aime dans ce monde, parviendra à la jouissance de ce qu’il prétend obtenir dans l’autre : mais celui qui sacrifie tout ce qu’il a dans ce monde, et même toutes ses espérances pour l’autre, arrivera certainement à une union intime avec DIEU.
Methnevi dit.
Celui-là boira le vin pur de l’union divine qui a mis entièrement en oubli ce monde et les récompenses de l’autre ; car l’état du pur amour fait que l’on ne regarde plus DIEU comme rémunérateur.
L’auteur de Laovami dit.
L’amour est proprement une pente et une inclination au seul et véritable Bien, pour sa souveraine beauté en général et en particulier, ce qui se peut considérer en trois manières, du général au général, du général au particulier, et du particulier au général. Lorsque DIEU contemple sa propre essence dans le miroir de son essence même, sans le milieu d’aucune autre substance, c’est alors qu’il produit de toute éternité ce premier amour. La seconde manière de considérer l’amour est du général au particulier, c’est lorsque Dieu, par son essence qui est unique, jette une infinité de regards sur les splendeurs de sa beauté, soit sur l’excellence de ses attributs divins, soit sur la perfection de ses ouvrages. L’amour du particulier à l’universel est celui qui fait que les âmes choisies de Dieu quittent toutes les pensées et les affections pour les choses d’ici bas, et ne se servent de la considération de leurs qualités que pour s’élever jusqu’à celui qui les possède toutes dans leur source, et pour s’attacher à cette essence unique et parfaite qui en est le principe. C’est cet état dans lequel se trouvait celui qui disait : mon cœur est au-dessus de la circonférence des Cieux, mon cœur se sépare entièrement et ne s’attache plus ni aux qualités, ni aux attributs ; mon cœur, enfin, ne peut plus recevoir d’autres impressions que celle de la splendeur de l’essence divine.
Doualnoun Alrefadel, chef des Sophis, disait un jour à un grand Docteur qui passait les jours et les nuits à l’étude des sciences.
Pourquoi êtes-vous venu en ce pays ? Et quel est votre dessein ? Car si c’est pour apprendre toutes ces choses qui se sont déjà passées en ce monde, pourquoi vous fatiguez-vous inutilement ? Vous perdrez absolument votre peine et vous ne prenez pas le bon chemin pour les savoir, car DIEU ne sait-il pas toutes ces choses ? Mais si vous me dites que vous cherchez DIEU et que c’est pour le trouver que vous travaillez, sachez que DIEU est partout et qu’il se trouve au premier pas que vous avez fait, et que c’est en vain que vous le cherchez hors de vous-même.
Baharastan Giami dit.
Seigneur, j’ai cru jusqu’ici que vous étiez hors de moi, et je pensais qu’il fallait beaucoup courir pour vous trouver ; mais maintenant que je vous ai trouvé dans moi, je connais que je vous avais laissé dès le premier pas que j’ai fait pour vous chercher ailleurs.
Fouzouli dit.
L’attirail de toutes les choses qui subsistent dans le monde ne sont que du bruit et ne causent que du trouble. Fuyez et faites votre retraite dans le royaume du néant, et vous y trouverez le repos.
Gieuneid dit.
Il y a cinquante ans que je m’exerce dans la pratique de foi envers l’Être Souverain, et je recommence chaque jour cet exercice, sans m’abandonner jamais à mon propre raisonnement.
Un autre Philosophe Arabe dit.
Votre propre raison est elle-même une erreur ; le secours de la foi est donc absolument nécessaire. Passer un seul moment sans la connaissance de la vérité, c’est un état d’erreur. Adhérer à ses propres sentiments et à ses lumières, c’est le grand chemin de l’impiété et une idolâtrie de soi-même, car puisque vous ne pouvez penser ni raisonner que sur l’Être contingent, toutes vos pensées et tous vos raisonnements ne peuvent vous conduire que dans les ténèbres de l’orgueil et de l’opiniâtreté. Il faut donc quitter absolument cet attachement à ses propres lumières, puisqu’après avoir par couru tous les êtres, vous trouverez enfin qu’il n’y en a point proprement d’autre véritable que DIEU seul.
Les inscriptions suivantes se trouvent sur un tombeau d’un roi de Perse.
Tout ce qui n’est pas DIEU n’est rien. Dieu, et c’est assez. Toute louange non rapportée à DIEU est vaine, et tout le bien qui ne vient pas de lui n’est qu’une ombre du bien. Le dévot ne doit pas aimer DIEU en vue de la récompense.
L’amant qui se plaint d’être séparé de son objet et voudrait vivre toujours dans l’union et la jouissance, n’est pas véritable amant, puisqu’il ne se résigne pas au bon plaisir de ce qu’il aime.
Le comble du plaisir est d’être uni à l’objet qu’on aime. Pour moi, je ne travaille à autre chose qu’à me jeter à corps perdu dans cet abîme.
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CHAPITRE XXI.
S U P P L É M E N T.
L’un des plus grands des traits ou mystères de la religion vu dans la nature. Origine, suite, effets, application et fin de la croix, dans tout l’univers et dans le physique. Des nombres. La croix, ou la religion de la croix, seule vraie, universelle et éternelle. Et ainsi la religion de Jésus-Christ est la seule qui ait jamais été.
JE vais faire ici une dissertation qui ne sera pas sèchement didactique et scrupuleusement divisée en tant ou tant de points.
Dans un ouvrage aussi court que celui-ci, il est du tout impossible de tout dire ; j’ai à peine approfondi un trait de chaque idée universelle qui y est vaguement répandue. Et comme j’en ai donné dans la parole un pour tous de l’infiniment féconde idée de l’image du VERBE-DIEU dans l’homme ; j’en donnerai de même en supplément dans ce chapitre, un seul sur la théorie, non moins féconde, brièvement et vaguement jetée dans les chapitres des trois miroirs de la Divinité. « Que tous les mystères de la religion, sans exception, peuvent se voir et se lire, par des yeux attentifs, dans le physique, dans les œuvres merveilleuses de la nature et dans tout le jeu de l’univers. » Un mystère pour tous. Je choisis le plus palpable et celui qui serait le plus grand ; si dans cette religion sainte, une, universelle, hors de laquelle il n’en fut jamais, il pouvait y en avoir de plus grands les uns que les autres. Et on verra ici comme à l’œil vérifier cette idée que je n’ai fait que glisser ailleurs : que cette divine religion (religion unique) est de tous les degrés, comprend tout l’univers, les cieux, la terre, les globes, les êtres moraux, depuis qu’il y a eu parmi eux des dégradations qui ont amené les besoins de cette religion, de cette réunion avec Dieu, de qui la révolte et le péché les avaient désunis ; et enfin tous les êtres physiques, jusqu’au plus brute d’entre eux, sans exception. J’entre en matière.
Le plus grand de tous les mystères de la religion, le plus palpable du moins, et absolument universel dans la nature, c’est la croix. C’est par elle et par l’amour infini du VERBE-DIEU et homme pour l’homme, qui l’y a attaché, que s’est opéré le salut de l’humanité 235..... J’ajouterais volontiers que c’est ainsi que s’opère éternellement le salut, les réhabilitations, les réunions de tout ce qui dans le total de L’univers s’est dégradé.... n’était que cette idée immense me plongerait en des détails et des profondeurs d’analogies sans fin.... Il me faudrait montrer comment ce VERBE-DIEU, par la croix, rachète dans les temps marqués en son conseil et sa sagesse éternelle les morphismes dégradés, s’il en est d’autres que l’homme, ainsi qu’on peut parfaitement l’augurer ; car tout ce qui tient, ne fut-ce que par un petit bout, au physique, est suspect, non-seulement de la possibilité de la dégradation, mais de son actualité même..... Il me faudrait montrer comment c’est là l’infiniment beau jeu de l’univers et moral et physique, les descentes, les retours, les pertes, les regains, les degrés, les échelles des êtres, l’ineffable manière dont, en tout l’univers, la justice et l’infinie miséricorde s’exercent. Il me faudrait envisager un si grand et si divin objet sous une infinité de points de vue pour en embrasser le total, s’il était possible, et qui tous se constants à eux-mêmes, concourraient à l’infaillible démonstration du tout....
Mais au lieu de parcourir tout l’univers d’un vol trop audacieux et impossible à nos ailes, prenons seulement notre point d’appui sur la terre, et de peur d’une trop lourde chute, redescendons jusqu’à elle. Également par les infaillibles rapports, elle nous montrera tout.
J’envisagerai donc ce très-simple et ineffable mystère de la croix presque uniquement quant au morphisme de l’homme et au jeu physique des éléments et des corps. Cent volumes n’en donneraient pas la théorie en détail ; ainsi, j’effleurerai, je planerai et je donnerai vaguement les idées qui ouvrent une si vaste scène, une si intéressante et si curieuse perspective. Il en résultera que la croix se trouve dans les trois miroirs dont j’ai traité, dans la révélation, qui en parle partout, dans la religion, qui est fondée sur elle, dans l’homme, qui lui est assujetti et, par elle, doit remonter et refluer en sa fin ; et enfin dans toute la nature entière.
Je vais donner toute cette théorie par propositions, en idées jetées sans ordre apparent, et avec beaucoup d’ordre toutefois, autant que le sujet, si brièvement présenté, pourra le comporter.
1° St. Paul appelle la croix une folie ; mais c’est la plus belle, la plus divine et la plus céleste folie ; c’est la folie de Dieu, plus sage infiniment que toute la sagesse des hommes, des anges et de tous les êtres. Elle est folie, parce qu’elle est en contraste ses descendances directes..... Elle est folie parce qu’elle sert de remède à une autre folie, qui est l’abus de la liberté, la révolte, le péché, la désunion, qui sont la véritable folie, et il faut un dérangement à ces dérangements pour les ramener à l’arrangement, et ce désordre de la croix pour ramener ces désordres à l’ordre... Elle est folie, parce qu’encore que ces dérangements avaient été prévus, ils n’entraient point dans le plan primitif, antécédent de la sagesse originale, laquelle a dû varier ses procédés et se courber aux dégradations des agents moraux, en suivre les consécutions et les effets, pour par la croix leur appliquer le remède.... Ce passage est de tous les degrés, DIEU vit ce qu’il avait fait, et voilà il était très-bon 236. Ainsi, tout ce qui est sorti des mains du VERBE créateur aurait été exempt de la croix douloureuse et destructive s’il n’y eût pas eu des écarts des volontés, des révoltes de la liberté.... Voilà pour les agents moraux. Double point de vue d’une seule sagesse dans le VERBE, directement ou indirectement appliquée ; souplesse infinie à suivre les dégradations pour faire jouer l’univers et repomper par la croix les dégradés....
Ô sagesse ! ta parole a fait sortir l’univers.
RACINE.
Et j’ajoute : ô sagesse créatrice, tu rappelles l’univers par la croix.
2° Sans hacher toutefois de si grandes idées et une si transcendante théorie, enfonçons un peu dans le détail. La croix, donc, est répandue dans tout l’univers physique, et semée sur les pas de tous les êtres moraux dégradés par les dérèglements d’une liberté soustraite à son donateur, agissante en contraste avec sa volonté, toujours sainte et toujours caution du bonheur de tout être soumis. Cette croix est de tous les temps et de tous les lieux ; elle est le sel de la sagesse, dans toutes les occurrences et tous les cas. Rien n’existe dans le physique qui ne doive être détruit par elle, et rien n’est détruit par elle qui, par elle, encore (comme on verra) ne doive être vivifié, restitué et revivre. Elle est de mise partout. Phénomènes perpétuels dans la matière et les corps, et phénomènes plus ou moins éphémères. Tantôt fondés et liés par la croix, et par la croix démolis et déliés, pour être liés de nouveau. Entéléchie des corps par elle envoyés à la dissolution, décousus dans leurs formes, enlaidis dans leur beauté, pour être recousus et restitués dans une forme plus belle. Elle fait les existences, elle les défait pour les refaire encore. Elle amène les êtres plus haut, elle les envoie et enfonce plus bas.....
Ô sagesse ! ô justice ! ô miséricorde de mon DIEU ! quand serez-vous connue des hommes ingrats, aveugles, ennemis d’eux-mêmes, furieux contre eux-mêmes ; de ces hommes qui ont horreur de la croix qui les sauverait, et qui, n’ayant dans leur faux calcul et leur délire point de fureur plus pressée de l’éviter, s’arrêtent en l’évitant et se perdent...... Ô dictionnaire du monde ! quand seras-tu brûlé pour jamais, et les mots bonheur et malheur arrachés de tes mensongères définitions, et réduits à de viles cendres !
3° Mais ce n’est pas le moment d’en parler, et au lieu de lamenter il faut déduire. Dans les animaux, cette divine croix fait la vie et la mort. Elle fait la vie, puis elle la tue ; et elle tue la mort même, pour en faire ressortir la vie. Ô mort ! je serai ta mort 237. Ô vie, je serai ta mort ! ô mort, je serai ta vie ! Que l’avisé m’entende, que celui qui est instruit, non sur les bancs et aux académies des faux docteurs, mais à l’école de l’éternelle vérité, me comprenne. Qu’il entre dans ce sanctuaire, qu’il pénètre au-dedans du voile ; qu’il lève, s’il se peut, tout le rideau qui cache à l’ignorance et à la grossièreté de l’homme ces ineffables mystères qui leur sont d’autant moins accessibles qu’ils sont plus simples.
La croix détruit ce qui n’est pas par ce qui est et par ce qui n’est pas elle détruit ce qui est, pour que DIEU soit seul et que personne, dit St. Paul, ne se glorifie. Elle torture les passions, l’amour-propre, et les change en amour divin. Elle décrasse, elle brûle, elle consume les jouissances impures ; elle affine les pures pour les rendre plus pures encore ; elle punit les fausses délices : Versez-lui dans le sein le double de tourment qu’elle a eu de délices, multipliez son deuil et ses privations 238, etc. Elle anéantit les fausses richesses, et les usurpations ne sauraient se soutenir devant elle ; elle les fait vomir 239. Là où est le mal, là est sa force ; et, semblable à l’aigle et au vautour, là où est le péché, là est sa proie ; elle s’y acharne et le dévore ; elle en ronge la rouille, la vermoulure, et en dessèche les os 240. Un DIEU tout saint ne veut point de ce faux être, de ce parasite de l’être, de cet accessoire de l’être ; il faut qu’il périsse, et c’est la croix qui sert de ministre à cette destruction, qui est armée pour servir d’instrument aux vengeances et à la justice.
4° DIEU, dans l’univers, veut être seul avec l’être qu’il a donné lui-même ; il ne veut point d’étranger, ni de la fausse existence du péché et du pécheur. Il faut que cette plante parasite, cette mousse qui étouffe, empoisonne le suc de l’arbre de vie, s’en aille par la croix à la mort. Il faut que la plante véritable, seule sortie des mains du VERBE créateur, se retrouve seule enfin ; et, dégagée de la glu infecte du péché, surnage, reprenne les heureuses ailes qui reportent leur vol dans les cieux, et l’homme avec elles par la croix.
Ainsi, tout ce qui est dégradé doit être immolé et subir ses destructions et ses mutations.
Tandis que l’Éternel, le Souverain des temps,
Est seul inébranlable en tous ces changements.
Tels étaient les sacrifices de l’ancienne loi, et tels même ceux de tous les peuples qui ont eu de la croix une idée confuse. Les premiers (ceux du peuple élu) étaient figuratifs et réels ; ils étaient et les types de la croix, et cette croix elle-même. Ils figuraient le jeu de l’univers, et ils montraient dans les sacrifices un abrégé de son histoire. Les figures étaient sans bornes dans leurs allusions et leurs points de vue ; et toutes ces allusions et ces points de vue allaient aboutir et se confondre dans l’idée du grand porte-croix, qu’elles préfiguraient, comme dans l’heureux centre où elles devaient se perdre. De ce porte-croix éternel descendu du ciel sur la terre dans le temps ; de ce porte-croix intérieur et extérieur, au jardin des olives et sur la croix, à la suite duquel ont marché les martyrs, et doit marcher encore tout ce qui est destiné à le suivre et remonter avec lui dans la gloire. C’est le porte-enseigne, et tout doit marcher sous ce céleste étendard.
5° Les Païens, dans leurs superbes rêveries, disaient :
Iter ad superos gloria pandet.
SENEC. Trag.
Et le Chrétien qui voit la lumière dans la lumière dit :
Iter ad superos per crucem pandet.
Mais où est-il, ce Chrétien ? qui est-ce qui me comprendra ? où est l’oreille faite pour un tel langage ? C’est de l’arabe, pour les hommes amoureux de leur fausse existence, et qui ne veulent pas la laisser tuer pour l’échanger contre une meilleure. Ils veulent les impures et grossières jouissances, ils les retiennent en toute fureur. La croix, la divine croix, fait peur à la mollesse ; elle fait frissonner la volupté ; ils veulent sous leurs coudes les trompeurs coussins du monde. Leur vie est toute dans le terrestre, et non dans la croix qui les en dégagerait. Ils ne peuvent vivre que dans cette mare immonde ; comme aux renards, il leur faut des tanières dans la terre, où ils s’enfoncent ; et ils ne voient pas, ces insensés, que s’ils ne sont crucifiés au monde, ils ne seront jamais crucifiés pour le ciel, et jamais, non, jamais, qualifiés pour les demeures éternelles. Ils veulent des lettres de noblesse sur la terre, il leur faut des titres de vanité, des blasons, des parchemins, jouets de la vermoulure, de la rouille et la proie des vers. Ils aiment appeler les terres de leur nom 241, dit le Prophète, qui leur annonce dans ce formidable Psaume que la mort les mâchera, se repaîtra d’eux. Ils ne veulent pas mourir à eux-mêmes par la croix, pour, par la croix, vivre éternellement dans la gloire, et ils mourront sans la croix du temps pour séjourner dans la croix des siècles, des siècles.... Là est le hurlement, là la désolation, là les ténèbres du dehors, là les grincements de dents.... là....
6° Ô Jésus ! Souverain porte-croix, éternel et céleste prototype de cette croix, que vous allongez jusqu’à vos enfants ! Qui est-ce qui veut vous suivre dans le chemin que vous leur avez frayé ? Ô croix ! croix divine et divinisée, empourprée du sang de votre humanité, empourprée, dis-je, du sang d’un DIEU qui en est inséparable ; qui est-ce qui connaîtra et l’ineffable bonheur d’y être attaché avec vous, et cette noblesse des cieux, cette noblesse au-dessus de toute noblesse, ce titre éternel, cette marque d’adoption, ce sceau de la filiation divine, où le ver ne perce point, que la rouille ne peut entamer, et qui seule sert de passeport et de sauf-conduit, pour remonter même au-dessus des Anges ; et des fanges de la terre, jusqu’au trône de son Roi. Divine croix ! ah ! je ne m’étonne pas que dans une communion Chrétienne, on en salue la vile et grossière image ; mais non, ici je m’abuse ; il n’est rien de vil en ce qui en présente l’empreinte, qui la rappelle à l’esprit, qui en porte le désir dans le cœur ; mais aussi, il vaudrait infiniment mieux s’élever de la figure au réel, de la lettre à l’esprit, l’estimer dans l’entendement, l’embrasser (et non l’esquiver) par le cœur, bien plus, et mille fois plus, que d’en embrasser le bois des bras de la chair.... que de tuer son âme par la lettre superstitieuse, et d’en renier et la force et l’esprit.
7° Mais, où me laissé-je emporter ! qui est-ce qui ne me prendra pas pour un enthousiaste, pour un homme à délire ? Les ineffables beautés de la croix m’ont entraîné, et le monde la trouve affreuse ; rien dans l’univers n’est plus grand, et le monde la dégrade en son estime. Elle est le chemin du bonheur éternel, et le monde l’a en horreur.... Taisons-nous, et ne jetons pas de si belles perles..... Toutefois il faut la lui montrer malgré lui ; il faut qu’il la voie du moins, s’il en refuse l’heureuse expérience ; il faut la lui montrer en tout et partout ; et s’il ne veut la voir dans ses suites pour le ciel, qu’il voie du moins son action universelle sur la terre. C’était proprement le but de ce discours. Ainsi, après avoir vu cette croix chérie de Dieu, parce que son Fils l’a portée, voyons encore comment le mystère de la croix est, universellement et sans exception, répandu et gravé dans toute la nature. Là, rien sans croix, tout par la croix ; et par là nous verrons encore que la religion qui annonce, qui montre et prêche la croix, est la religion de tous les temps (depuis les révoltes) de tous les lieux, de tous les êtres, la religion, seule religion, la seule universelle, la seule vraie, la seule qui embrasse tout, depuis la cime des cieux jusqu’au plus bas de la terre.... la seule éternelle....
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CHAPITRE XXII.
De la croix répandue dans toute la nature et dans tout l’univers astral et physique.
JE ne puis qu’en bégayer ici ; le sujet est trop vaste. Je poserai quelques principes ; je les proposerai à la méditation du sage plutôt qu’à la dérision des insensés, et de les morceler par des détails qui ne finiraient point. Ce que je dirai suffira pour voir ce mystère de la religion répandu partout dans la nature, de même que tous les autres mystères. Voyons donc à ce moment la croix considérée uniquement comme religion physique, si j’ose m’exprimer ainsi. Et je puis prendre à témoins de la vérité de cette théorie tout autant d’êtres, d’ordres d’êtres, de combinaisons d’êtres, de changements d’êtres existants ensemble et successifs, qu’il y en a dans la nature. Tout subit la croix dans les corps, et sans elle rien de ce qui s’y fait ne se ferait ; elle entre dans tout le physique, depuis le primitif des éléments et leur fond le plus délié et le plus subtil, jusqu’à ce que nos yeux contemplent de plus grossier et de plus brute. Je ne ferai qu’effleurer.
Commençons par les éléments ; c’est eux qui font le foncier des êtres, ce qu’ils ont de ressort, de premier, de vital, de réalité invisible ; ils sont les prométhées qui animent, vivifient les corps. Et pour la vie de ces corps, il leur faut leur juste proportion, sans que l’un envahisse sur l’autre ; trop de feu, trop d’eau ou trop d’air étouffe l’être ou le déconfit. Ils sont la source, la matière, l’occasion et l’effet de tout ce qu’on appelle les météores. Ils pâtissent et agissent, reçoivent et réagissent, sont contenus, ou font leurs explosions heureuses ou malheureuses, détruisantes ou vivifiantes ; leur union ou leur désaccord sont les vies ou les morts de l’animal. La fable contient sous ses enveloppes tous ces mystères naturels....
Mollia cum duris pugnabant humentia siccis.
OVID. Met.
Et toutes ces choses et ce jeu de l’univers physique s’exécute et s’accomplit par la croix ; tout ce qui vient à l’existence et à la vie y vient par la croix ; tout ce qui descend à la mort y descend par la croix. Les éléments se croisent l’un l’autre ; le croisé croise et est croisé à son tour. Tous les changements dans les êtres se font par leurs mouvements, par leur projectile, leur inflexion, leur enchaînure ; la vie, l’existence complète par leur proportion ou les nombres (on verra bientôt ce que c’est), la mort et les décompositions par leurs disproportions et par leurs combats.
Tanta est discordia fratrum.
Idem.
D’eux procèdent les existences de l’être et les non-existences du chaos ; et tout cela se fait, est amené, pesé, calculé, dérangé, arrangé par l’adorable Moteur invisible qui, par son inflexible et invariable justice, fait servir hors de notre raison aveugle et avec une raison infinie le physique au moral, les toise et les calcule tôt ou tard sur cette éternelle et impassable justice de la croix ; et comme il est presque universel que les hommes les plus vainement spirituels soient et les plus aveugles et les plus abrutis quant à la solide vérité, il en est peu qui me comprendront, mais c’est assez, et il me suffit d’être avoué au tribunal de cette vérité sainte sans me mettre en peine de savoir s’ils me comprendront ou non, et sans m’embarrasser de leurs discours, de leurs dérisions ou de leurs gloses.
2° Je ne m’amuserai pas à considérer toutes ces vérités et tous les changements qui arrivent dans le visible par la figure même de la = 242, qui pourtant nous donnerait une infiniment belle théorie générale. Je laisse ces sortes de discussions à l’auteur du livre intitulé Des erreurs et de la vérité, et aux ingénieux écrivains de ce genre, qui n’est pas le mien ; et il me suffit de dire qu’on pourrait appeler la croix la reine de l’univers, en ce qu’il n’est dans la nature aucune loi plus générale ; que j’oserais défier tous les savants et les plus profonds philosophes de me montrer l’ombre du plus petit changement, la plus petite action dans la nature sans que la croix y soit un grand agent, y soit exprimée, et par conséquent qu’elle est le grand instrument qu’emploie le Souverain Moteur et Directeur pour gouverner l’univers et faire servir le moral au physique, et l’inverse, et être enfin le ministre de sa sagesse, de sa miséricorde et de sa justice, comme on le verra bien mieux encore tout-à-l’heure. C’est ainsi qu’il ne se fait ni opère rien dans les êtres créés, composés, décomposés, finis, remués, agissants ou agis sans que la croix y entre et y joue le plus grand rôle.
3° La croix fait le bien réel et le mal métaphysique, c’est-à-dire, les bornes de l’être fini, sa figure, sa contexture, ses qualités, ses proportions, son contour, son aptitude, ses couleurs, ses odeurs, ses mouvements directs, ses reflets indirects et tous les phénomènes qui paraissent et disparaissent dans l’univers ; et tout cela s’opère par la croix, selon les nombres et l’enchaînement des causes et des raisons qui s’entrelacent par la sagesse et par la justice, selon lesquelles la nature et les êtres qui la composent sont mus, gouvernés, changés, détruits, renouvelés, et existent en ces phénomènes, ou momentanés, ou plus ou moins durables.
4° Mais il faut s’expliquer nettement enfin, et ne pas s’en tenir à des généralités ; et pour le faire comprendre, je prendrai quelques exemples propres à mettre le Lecteur au fait. Cependant, avant de le faire, je dois avertir celui qui sera assez intelligent pour saisir ce que je vais dire que non-seulement le mystère de la croix, mais même tous les mystères quelconques de la religion se retrouvent et s’exécutent dans les lois de la nature, en la manière très-claire et très-précise (quoiqu’en très-inférieure analogie) que ces lois des êtres physiques peuvent représenter ces mystères et en être les images ou figures réelles. Et je montrerais cette vérité en de surprenants détails, n’était qu’outre les longueurs où ils me jetteraient, j’en ai déjà présenté l’idée dans les chapitres des trois Révélations ; on y verrait peints sur les toiles physiques et dans les lois des êtres et astraux et matériels la Ste. Vierge (fond primitif des êtres), la conception, image du germe premier de l’être, que l’esprit de la rature obombre, fomente et réchauffe, la naissance, qui est la perfection et l’entéléchie de l’être ; la mort, image des destructions naturelles ; la résurrection, image des réhabilitations après les morts ; et le tout avec une précision de représentations et d’images aussi parfaite que possible, une analogie entière à la seule exception près, qui même en ce cas en est à peine une, de ce canon de philosophie, nihil est tum simile quod etiam non sit dissimile ; car ces rapports sont aussi parfaitement justes que la nature des êtres le comporte. Et c’est, je le répète encore, par une inspection sagace et la connaissance approfondie de ces analogies que les sages et savants philosophes Païens ont vu, dans le sens inférieur, les mystères du Christianisme ; et que leurs poètes les ont chantés en fables et d’une manière brouillée ; car leurs fables, pour qui sait l’entendre, ne sont autre chose que le jeu de l’univers physique, de ses lois, et les histoires des changements des corps l’action des éléments et de la nature ; et ils ont déifié en Jupiter, Junon, etc., et en cette foule de faux dieux les agents de cette même nature. J’ouvre ici une grande clef.... Du reste, il peut y avoir encore d’autres points de vue dans la fable des Païens, parce qu’il est une infinité d’analogies.... Et les savants qui se disputent sur ces sens ont tous tort, chacun, d’exclure celui qui n’est pas le sien....
5° Mais il faut revenir de cette digression, assez hors d’œuvre, et avancer quelques exemples, tout-à-la-fois en explication et en preuves de ma théorie. Le premier qui se présente sans choix et très-accessible pour être très-familier, ce sont les saisons et l’ordre de leurs successions ; elles s’amènent, se succèdent et se détruisent l’une l’autre par la croix ; et par la croix, ces mêmes saisons font le jeu des destructions et des existences. Tout renaît au printemps, tout mûrit en été ; et l’automne, perfectionnant ce que l’été a presque achevé, nous présente en leur perfection les fruits de la terre ; puis vient le sombre hiver qui détruit tout. Celui qui n’aurait pas l’expérience de ces renaissances du printemps croirait, à voir les aquilons fougueux et destructeurs, les frimas, la gelée, etc., que tout est perdu, et n’augurerait jamais que du sein de ces destructions sortirait peu après la plus admirable scène de résurrections, et ces beaux tapis de verdure poussant leur jet d’une terre amortie. Hé bien ! tout cela se fait par la croix ; une saison tue l’autre, qui est tuée, pour ainsi dire, à son tour. Et les lois générales, qui subissent aussi la croix, et toutes, une sorte de circoncision, concourent toutes à ces changements. L’approche ou l’éloignement du soleil est l’une des grandes concauses de cette variété des saisons, les vents, etc., et toutes ces lois agissent et sont réagies par la croix, et subissent par elle une circoncision, qui fait le bel ordre et l’arrangement de l’univers physique. C’est ainsi, par exemple, que le mouvement de la terre est circoncis pour obéir à deux puissances ; au soleil qui l’attire et à la pesanteur qui l’en éloigne ; et cette circoncision précise et juste lui fait parcourir l’orbe qu’elle décrit 243 et, n’obéissant à aucune des deux lois qui lui feraient parcourir la perpendiculaire, elle donne à chacune le tribut d’obéissance qui fait le cercle ; et c’est donc ainsi que les montagnes sont pesées au crochet et les coteaux à la balance 244, par l’invisible et tout sage Moteur ; et ainsi enfin que la balance éternelle fait donner l’équilibre à l’univers pesé, mesuré, circoncis par la croix et calculé sur elle.
Mais enfonçons plus avant encore. C’est donc ainsi que tout est croisé dans la nature ; les éléments sont tous croisés.... Il faut aux vents le Quos ego 245..... Tout mouvement fait une croix, par cela même qu’il fait un déplacement, une action, un changement... Tous les reflets qui sont un si beau spectacle, si varié, si adouci, si approprié à notre nature et à notre vie, s’opèrent par la croix et la circoncision des agents qui, s’ils n’étaient croisés en juste proportion, amèneraient trop de forces d’un côté et, rien n’étant proportionné, tout se détruirait, et jamais les êtres n’arriveraient à leur perfection, parce que les causes efficientes envahiraient sur les finales, et les puissances sur les raisons, et qu’ainsi, sans la croix qui les lie, les enchaîne, les brode, pour ainsi dire, les entrelace l’une avec l’autre, l’univers, en un instant, rentrerait dans ce chaos d’où l’esprit de Dieu, échauffant les principes, les amenant, les circoncisant, et taillant chaque être en dimension proportionnelle avec le tout, l’avait fait sortir. Je viens de parler de broderie ; on peut voir cette théorie infiniment vraie dans ce beau psaume de David, où il dit à DIEU qu’il le voyait lorsqu’il le façonnait comme de broderie, en un lieu secret 246, etc., sur quoi il faut remarquer, que l’accroissement du fœtus dans le sein de la femme est dans une analogie parfaite avec les lois des êtres extérieurs, et qui sont formés, ainsi qu’on l’a vu, comme de broderie. C’est une tapisserie, c’est une trame, une ourdissure de causes et de raisons, qui se lient et se croisent, sans quoi le fœtus ne viendrait jamais à grandir et à la perfection de sa nature.
C’est aussi le sens très-profond du mot de l’admirable cantique de Déborah, si peu entendu dans ses profondeurs, où elle parle si mystérieusement des couleurs de broderie 247. Je le répète à cette occasion ; l’Écriture, infiniment divine, est toute physique en même temps, et il est impossible que cela ne soit pas, par l’indubitable principe des analogies, que j’ai tant éclairci et démontré, et qui fait que la vérité est et se répète dans tous les degrés et échelles des êtres.
6° Tel est donc l’ordre de l’univers ; les causes et les raisons s’y enchâssent et s’y entrelacent ; et tout cet ordre, si digne d’admiration, s’y exécute par la croix des nombres, comme on va voir tout-à-l’heure. C’est-à-dire, qu’on m’entende bien, par les dimensions mathématiques, et les quantités algébriques des causes et des raisons, de leurs liaisons, concours ; amies, ou ennemies, selon les besoins des proportions de l’être avec lui-même, et de ce même être avec le tout. Je ne glisse que ce mot à ce moment ; j’ajouterai seulement que c’est d’après cet aperçu que le savant et pieux mathématicien Barrow, par une idée un peu hardie, mais heureuse, a osé dédier l’un de ses livres à DIEU, GÉOMÈTRE. C’est ici que viendrait encore en citation la belle théorie des nombres, de Pythagore, selon mon estime, le plus savant des Païens, et peut être celui de tous qui a le plus approché, surtout à cet égard, des théories de nos livres saints. Mais j’ose dire que Pythagore lui-même n’a pas percé dans toute la profondeur et l’infinie fécondité de cette science des nombres ; il ne l’a pas vue dans ce qu’elle présente de largeur et de vastitude, et l’a morcelée en l’appliquant trop à des cas particuliers ; comme le son, la musique, etc., quoique ce qu’il en dit soit aussi vrai que profond.
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CHAPITRE XXIII.
De l’infini. De l’être. Du zéro. Doctrine ou théorie des nombres, ou nombres de la Croix.
IL n’y a, ni il ne peut y avoir, de nombre dans l’infini pur et transcendant ; quoique tout soit contenu en LUI, mais d’une manière infinie et incompréhensible. Car qui dit nombre, par conséquent dit fini, dit susceptible d’augmentation et de diminution ; ce qui ne peut avoir lieu dans l’unité infinie.... Les nombres sont des aggregata, des jonctions, soustractions, etc. Ainsi, on ne peut les assigner à l’infini UN, ou unité suprême, sans le dégrader et tomber dans la plus insigne des contradictions. L’unité infinie, s’unissant au néant, lui donne la puissance du zéro, et le zéro, par cette union, et pour ainsi dire, détrempé de l’être, émanant de la source originale, de l’abîme de tout l’être, acquiert ainsi une puissance indéfinie et multiplicative, au point d’être presque infinie, s’il pouvait y avoir quelque chose de presque infini et s’il n’y avait pas une éternelle et impassable ligne de démarcation entre l’infini pur absolu et tout ce qui n’est pas lui. Joignez le zéro à une somme d’unités, vous la multipliez à volonté, et d’une manière qui étonne.
Les nombres, donc, ne sont pas dans l’infini, mais ils en sont exclus ; et en DIEU, la seule action d’exclure, qui est, pour ainsi dire, une action négative, donne l’être, tant est infinie et sa fécondité et sa puissance. Que ceux qui pourront m’entendre m’entendent. L’être fini pourrait s’appeler un excrément de l’infini. Mais quel excrément ! quelle beauté ! quelle magnificence ! il faut s’en taire.... C’est ce qu’un DIEU infini, immense, éternel fait sortir ; j’ai tout dit en ce mot ; et tout ce qui sort de l’infini a une quantité déterminée, et ainsi est soumis à la mesure et aux nombres. Car ces quantités, ces mesures de l’être fini, contenant plus ou moins de parties intégrantes, sont assujetties au calcul, par conséquent ; et ce calcul est moral pour les êtres intelligent (car ils ont leurs quantités morales) et il est physique pour les corps et tous les deux sont entrelacés, comme on verra en causes et raisons et dans une union qui les lie ensemble, et elles avec le tout, par une vaste, particulière et tout-à-la-fois immense combinaison, digne de la sagesse éternelle.... Si une combinaison pouvait être immense.
Que si je voulais emprunter ici le langage de l’École, qui, tout barbare qu’il soit, peut cependant assez heureusement quelquefois servir au besoin, je dirais : tout ce qui n’est pas l’infini pur et qui existe est un être privativopositif. Il est positif, car il a l’être ; et il est privé, car il n’est pas l’infini. Il lui manque quelque chose de l’être ; car, au fond, pour qui l’entend bien, il n’y a d’être véritable que l’infini ; le fini n’a pas la continuité absolue, le vrai plein ; il est local, il s’arrête à ses bornes, il est toujours autour de lui un espace infini, où il n’est pas, et quand vous le feriez plus grand que la grandeur même, car qui dit grandeur dit fini, et jamais le fini ne sera commensurable avec l’infini ; et fissiez-vous ce fini aussi gigantesque et incomparablement plus encore que Mahomet n’a fait ses Anges.
Ainsi, par un mystère infiniment adorable et dont la profondeur ne se sonde point, l’être fini émane de DIEU par soustraction ; il est réel et circoncis. Réel, car il émane de la source de l’être, circoncis, parce qu’il ne peut pas être infini 248, DIEU s’unissant le néant en essai, ne peut l’admettre en soi, car en DIEU rien n’est ni ne peut être néant, mais cet essai, même en faisant rejeter le néant, est à profit, et donnerait une raison combinée ou composée entre l’infini et le néant si, avec l’infini, il pouvait y avoir de composition....
Mais de là il résulte l’être fini, peint, brodé, figuré sur le néant, mesuré en ses bornes par l’éternelle sagesse, qui ne calcule pas à notre manière, mais qui a vu de son infiniment perçant coup d’œil, et d’une vue simple, infinie, tout l’ouvrage qu’elle voulait faire. Elle l’a vu de ce simple coup d’œil, dans toutes ses parties et dans son ensemble ; parties concourantes au système universel. Et c’est pourquoi, non le monde, ce qu’il faut extrêmement remarquer, mais le décret de créer le monde, ou l’univers, est éternel, parce que l’intelligence, la sagesse, la fécondité, la puissance est éternelle ; car il faut bien distinguer entre le décret éternel de créer et la création elle-même, qui s’est faite par degrés, comme on voit dans la Genèse I. Les premiers êtres étant créés, non dans l’instant (car c’est le seul VERBE infini, incréé, qui vit dans l’instant simple éternel), mais dès les instants ; ce qu’il faut, dis-je, bien distinguer encore ; et les êtres secondaires, ou après eux, ont été créés dans le temps, ou déjà il y a des successions et des mesures. J’ai tout cela expliqué dans cet ouvrage, çà et là.
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CHAPITRE XXIV.
Continuation du même sujet. Nombres de la Croix. Les causes et les raisons liées ensemble par la Croix.
ET pour revenir aux nombres, avec lesquels, à cause de la beauté de cette théorie et de la scène immense qu’elle présente, je n’ai pas encore fini ; et qu’ils aident d’ailleurs merveilleusement à expliquer le système de la croix, universellement répandu dans toute la nature et dans tous les êtres ; ce qui était proprement le but de ce discours. Je disais que les saisons qui se succèdent se tuent, pour ainsi dire, l’une l’autre. Chacune d’elles a ses nombres et positifs et négatifs, et elles sont croisées l’une dans l’autre, et l’une par l’autre en même temps. Et les nombres de chacune d’elles sont circoncis, sans quoi il ne pourrait y avoir de variété ; tout est tué l’un par l’autre dans l’univers physique, et tout y est encore vivifié l’un par l’autre. Ce sont les nombres de la croix, je l’ai dit : et cette croix universellement répandue est, je le répète, la cause ou l’agent de toutes les destructions et de toutes les existences des êtres, selon la perfection ou imperfection de leurs natures respectives, ainsi qu’on le verra plus bas dans un exemple. Un seul mot dans nos livres saints est quelquefois d’une profondeur inexprimable ; rien n’y est indifférent, tout y renferme un abîme de lumière pour qui sait percer, et même jusqu’à ce qui, aux yeux des esprits aussi aveugles que superbes, y paraîtrait puérile et minutieux. Il est dit que le patriarche Jacob avait fait ou donna une robe bigarrée 249 à son fils Joseph. Voilà une image en ce seul mot de l’univers physique, donnée, jetée comme sans dessein dans nos livres saints, et un exemple comme quoi le jeu de cet univers se trouve tout entier décrit dans la Révélation, pour qui sait l’y voir 250. Tout s’accorde ensemble ; les trois miroirs ; le physique n’existe que par une bigarrure de causes et de raisons, par un entrelacement du moral et du physique, formé par la croix et par la circoncision de chaque force, à moitié agissante, à moitié contenue et réprimée, pour qu’elle n’anticipe pas sur les forces qui doivent concourir, contenues aussi et réprimées à leur tour, selon les nombres qu’appellent les besoins ou moraux ou physiques.
Lorsqu’une loi n’est pas croisée et circoncise, et qu’elle anticipe, alors l’équilibre est perdu, la balance penche trop d’un côté et n’est plus égale ; alors est le désordre, les chocs malheureux, les conflits, les destructions ; là est la solution, le relâchement d’une heureuse continuité raisonnable ou proportionnelle, philosophiquement prise. Là, il n’est plus de lois heureusement combinées ; là sont les pestes, les maladies, les ravages, les inondations, les calamités, et tous les flots versés sur la terre. Les concauses sont discordantes et ne concourent plus à la conservation de l’être ; et l’invisible et tout sage Directeur lâche la bride pour, par le désordre physique, ramener l’ordre moral. Rien n’est plus clair et en même temps plus divinement beau que ces deux économies, toutes deux admirablement décrites dans l’Écriture, et qui, quoique l’homme abruti n’y voie rien, montrent combien et à quel point l’univers est gouverné par la sagesse, la justice, et tout-à-la-fois la miséricorde. Le philosophe Leibnitz a entrevu quelque chose de cette infiniment grande vérité, en disant que la nature et la grâce sont en parallélisme.... Mais Leibnitz, qui se croyait un aigle à percer par sa vue jusqu’au soleil, n’était encore et tout au plus que philosophe.
J’ai dit un mot sur les reflets, réflexions et réfractions que font dans l’univers la croix et la circoncision des lois, des causes et des raisons. Ces réflexions et réfractions qui tempèrent les lois générales et particulières, et les assaisonnent, pour ainsi dire, du sel des proportions, font les beautés, les symétries qui existent et dans les corps physiques et dans tous les arts ; et non-seulement elles en font les beautés, mais même elles en font encore les grâces, c’est-à-dire, ce je ne fais quoi qui s’insinue et qui enchante, quoique moins régulier, ce semble, que la beauté elle-même. On connaît ce vers :
Et la grâce plus belle encore que la beauté.
Ainsi, la croix universellement répandue fait dans tous les sens la bonté, et intrinsèque et relative, de tous les êtres ; elle en fait la beauté et les grâces ; et lorsque dans le physique elle décompose ces bontés et ces beautés, et les envoie en des destructions qui semblent révoltantes et inspirent la teneur et l’effroi, c’est pour établir sur leur ruine l’ordre moral, lorsque ces deux ordres ne peuvent pas être unis, et que les agents moraux ont mis sur ces unions des obstructions et une mousse malheureuse. Il faut alors que la rouille se décrasse et s’enlève par des opérations violentes qui semblent tout détruire, et qui, en détruisant, sont destinées à établir un ordre plus haut. Je maudirai vos bénédictions, et même je les ai déjà maudites. Alors les éléments en combat sont appelés pour servir de ministres à ces destructions ; alors la terre n’amène point ses fruits à perfection. DIEU semble donner d’abord, et puis il fait ce que nous lui faisons ; nous feignons de lui donner nos cœurs, et nous les reprenons toujours ; il reprend donc ce qu’il paraissait vouloir donner d’abord ; vous diriez la plus grande abondance, vous augurez les plus belles moissons, la terre promet tout et ne tient rien. Les magasins, les trésors de la grêle, réservés pour le jour de l’indignation 251, se déploient et se versent comme des flots ravageants ; le hanneton, la sauterelle, le hurbec, la grande armée de DIEU, vient tout dévorer, et les hommes éperdus peuvent alors rappeler à leur souvenir un DIEU et une Providence qui sont ordinairement bannis de leur mémoire.
Je viens de citer un vers ; que s’il m’était permis d’égayer un instant un sujet si sérieux, de tempérer d’un badinage une matière si grave, je serais aussi à mon tour une bigarrure, et je rappellerais au Lecteur un mot que je me rappelle moi-même à ce moment. Le sybarite, l’efféminé, le voluptueux poète de Théos, à vers si ingénus et si aisés, Anacréon, dans ses odes, qui ne respirent que la mollesse, pour faire l’apologie des buveurs, en a fait une où il s’autorise agréablement de l’exemple de tout l’univers et de tous les êtres, qu’il transforme en autant de buveurs ; l’un boit l’autre ; il les fait passer en revue. La terre boit le soleil, le soleil boit la pluie, etc. Ils se boivent les uns les autres ; (ce sont les nombres des lois et des êtres qui s’entrelacent, s’unissent et se circoncisent) et après qu’il les a tous fait boire, il finit par cette conclusion digne de lui. « Enfin, tout boit, dit-il ; pourquoi donc, mes amis, ne voudriez-vous pas que je boive à mon tour ? » Ainsi, tout boit et est bu en effet à son tour dans l’univers. Ridendo dicere verum, quid vetat ?
Et pour achever de me faire entendre sur la croix, le nombre de la croix répandu dans l’univers, la circoncision des lois qui doivent s’unir et se retrancher le trop l’une à l’autre, selon les nombres des raisons et des causes ; je prendrai encore l’exemple le plus familier ; et cet exemple, bien déduit, rendra très-accessible et l’ensemble et les parties de cette théorie 252.
Figurez-vous un arbre. Pour que cet arbre arrive à son entéléchie, ou à la perfection, il faut bien des choses, et toutes ajustées, appropriées ensemble et se combinant réciproquement. Il faut d’abord le germe, qui est son existence primitive et sa réalité en miniature ; puis un grand nombre de concauses, ou causes concourantes, ou raisons combinées, nécessaires à ses développements et à son accroissement. Jeté dans la terre, il lui faut l’esprit de la nature, ou air primitif, les sucs, les huiles, les sels, etc. Sorti de la terre et pouffant son jet, il lui faut le nombre du soleil, le nombre de la pluie, des rosées, le nombre des vents, et tout cela proportionnel, et chacun en une heureuse quantité ; ils s’unissent tous sur ce germe, ou cette plante. Une infinité de germes périssent lorsque ces causes n’ont pas leur quantité ou leur nombre, soit en juxtaposition, soit en soustraction à propos ; et lorsqu’elles l’ont, l’être arrive à sa plénitude et à son complet. Tous ces abstraits font le concret ; et tout cela, on le doit à présent comprendre de reste, se fait par la circoncision et par la croix ; là où elle manque, l’être est manqué.
Que si l’on veut à ce moment voir dans le même exemple l’entrelacement ou l’enchaînure des causes et des raisons et leur parfait accord, par la croix encore, on n’a qu’à faire attention à ce que je vais dire.
J’avance d’abord en forme de principe ou d’axiome indubitable que toute cause est raison et toute raison est cause : que toute cause efficiente a pour suite inévitable une cause finale : enfin, que ce qui concourt à l’être, concourt à la raison de l’être ; et c’est ce qu’il faut vérifier par le même exemple. Le germe de cet arbre est sa base et la cause, ou condition sine qua non de son existence ; et l’arbre (ou ses développements) est la raison de l’existence du germe, sans parler d’autres concours.
Cet arbre-raison devient cause à son tour, il porte du fruit, lequel est la raison de l’existence de l’arbre, le but pour lequel il existe. Mais ce fruit-raison devient cause à son tour, puisqu’il l’est de ma nourriture et de la conservation de ma vie. Ma vie est donc la raison de l’existence de ce fruit, et ma vie devient cause à son tour d’une infinité d’actions, toutes causes et raisons, etc. Que ce seul mot nous suffise, car on pourrait pousser, en prenant la nature sur le fait, cet argument circulaire à l’infini, si on pouvait aller jusqu’à l’infini dans ce qui est nombre et mesure ; mais ce serait une contradiction. Et cette petite et très-courte déduction suffit en effet pour montrer que rien dans l’univers, depuis les plus hauts cieux jusqu’au vil grain de sable, n’existe sans être tout-à-la-fois cause seconde et raison. Voilà de quoi confondre l’athéisme, et montrer la suprême intelligence qui a tout fait, tout arrangé et tout ordonné ; et la croix, ou édifiante ou détruisante, entre infailliblement dans tous ces arrangements et dans tous ces êtres. Mr. de Leibnitz et ses sectateurs ont assez bien parlé là-dessus et posé le vrai principe, c’est ce qu’il y a de meilleur dans leur philosophie ; mais ils ne l’ont pas assez expliqué selon moi, et montré que toute cause est raison, à un autre égard, et toute raison est cause à un autre égard encore.
Je pourrais envisager, pour rendre cette discussion plus complète, les croix destructives par les animaux féroces, les poisons, etc. Mais je ne veux pas parcourir cette carrière ; je dis seulement que ces croix détruisantes et contraires viennent de la chute de l’homme qui, devenu contraire à Dieu, s’est fait dans la nature des ennemis en quantité proportionnelle. La révolte de l’homme a fait la révolte des êtres, etc., en la mesure qu’il devait être châtié, puni et non pas détruit en son espèce ; et la raison de ces ennemis, ou croix détruisantes, c’est la justice, tempérée toutefois par la bonté ; et l’univers est gouverné par la justice.
Il est temps, sans doute, de résumer cette dissertation sur la croix. J’y ai insinué son origine, ses suites, ses effets, son application universelle, sa raison et sa fin. Que si l’on veut, pour plus de netteté encore, creuser jusqu’à son origine 253, il faut la considérer sous les deux points de vue que j’ai indiqués, ou édifiante et concourante à l’être, ou destructive. Au premier égard, il faut remonter au plus haut des cieux, parce que l’être même le plus céleste, dès qu’il n’est pas le VERBE incréé, mais créé par lui, par cela même qu’il a été créé et qu’il n’est pas l’infini, a subi la croix ; mais croix infiniment heureuse et jouissante, et qui n’a fait que les bornes entre l’infini et cet être, ce qui n’empêche pas la presque infinie jouissance de son être, et même de l’infini à qui il est uni. Et tout être qui n’est pas l’infini a été assujetti aux nombres, ou du moins a un nombre simple, et non composé à la manière des corps. Voilà la première et directe origine de la croix ; le second point de vue est la croix détruisante et désordonnante (pour ramener l’ordre enfin) ; et cette croix a dû sa première origine, sa date, son époque à la révolte des Anges libres, qui a occasionné et tous les désordres et les ordres inférieurs que la sagesse infinie a fait sortir de ces désordres....
Il faut finir ; j’ai donc montré ce que je m’étais proposé en supplément aux chapitres des trois Révélations, ou des trois miroirs 254. J’ai montré le type de l’un des plus grands traits de la religion, universellement répandu dans l’univers et dans toute la nature. Ainsi, la religion de la croix est la religion seule, de tous les temps, de tous les degrés, de tous les lieux, de tous les hommes et de tous les habitants, même de tous les globes. C’est la religion éternelle, peinte dans la nature, également révélée dans nos livres saints, et gravée en l’homme, qui lui est assujetti, et qui par elle doit remonter à son principe et à sa fin bienheureuse. Ainsi, que l’impie Déiste aille cacher sa honte, que le Juif, pour qui cette croix salutaire est scandale, apprenne que c’est par elle seule qu’il sera rappelé un jour, et qu’après avoir, en déicide, percé le grand porte-croix, il ne le verra et ne remontera qu’après en avoir été percé lui-même. Que le Mahométisme, qui ne fut jamais une religion, que le Mahométisme, aussi impie et audacieux que le Déisme ; que ce Mahométisme, issu d’un conciliabule de l’abîme, pour ternir, s’il l’avait pu, l’immortel rayon que le VERBE jette de lui-même dans l’univers, et pour offusquer cette éternelle lumière ; que ce Mahométisme rentre enfin dans cet abîme d’où il est sorti, et soit éteint lui-même par cette éclatante et universelle lumière qu’il a cherché à éteindre. Ô croix ! divine croix, qui un jour me réunirez au grand porte-croix, qui me donnerez des ailes pour voler jusqu’à lui ! Ô Jésus ! seule religion de l’univers, soyez à jamais la religion de mon cœur ! Que j’aille enfin à vos pieds fléchir le genou et à la face de cet univers, vous reconnaître pour le seul Seigneur de la gloire ! Mes os tressaillent, mon esprit se pâme, il défaut à cette douce espérance qui repose dans mon sein que tous les Royaumes du monde iront enfin par la croix se rendre à vous, et se perdre dans une adoration éternelle. À vous et en vous, avec vous et par vous, au Père et à l’Esprit Saint, avec qui vous êtes UN, et à jamais inséparable, soit la gloire aux siècles des siècles, et dans l’éternité des éternités, que vous nous avez gagnée en portant la croix.
Crux manifestavit triadis magnale, creando
Sed redimendo, hominum cum cruce, parta salus :
In caelo, in terra crucis almae signifer, orbem
Christus utrumque replet, Christus utrumque beat ;
Nam qui principium rebus fuit ante creandis :
Idem instaurandis denique finis erit.
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CHAPITRE XXV.
Du néant. Différence du mal métaphysique et du mal moral. Des Manichéens et de leur détestable principe. De la création. Vraie doctrine sur l’absolue unité du Verbe, toujours seul Créateur, et à jamais un. Des Élohims exécutés d’après ses portraits. Protestation solennelle. L’homme inférieur et supérieur aux Anges. Durée du mal et de l’enfer pour notre globe. Des siècles des siècles. Prière au Verbe-Dieu, inaccessible à nos connaissances.
DE prétendus Philosophes maigres, secs et décharnés, se seront, comme j’ai déjà dit dans une note, moqués de moi, de ce que j’ai mis en quelque sorte le néant en service et d’usage dans la création des êtres finis. Je sais tout aussi bien qu’eux que le néant est néant, et qu’en rigueur on n’en peut rien faire ; mais le néant même n’est point stérile ni inutile dans les mains de l’Être infini ; d’ailleurs, il ne sert que pour les bornes et figures des êtres limités qu’il circonscrit ; c’est le mal métaphysique, c’est-à-dire, la privation de l’être relativement à l’infini ; mal qu’il faut distinguer avec le plus grand soin du mal moral. Ce mal métaphysique, qui est proprement les bornes de l’être, a existé au moment où l’ordre des êtres finis a été ouvert, et très-longtemps avant l’introduction du mal moral, qui n’a eu lieu qu’à la révolte des Anges, qui en ont ouvert la source. Le premier n’est point un mal proprement, parce qu’il n’est pas volontaire, et on a eu tort de se servir de ce mot pour exprimer les bornes de l’être fini ; mais le mal moral est le mal lui-même et en personne.... Et, pour revenir, ces philosophes auraient grand tort de me blâmer sur ce que je dis du néant, car cette idée est merveilleusement propre à expliquer, autant qu’il est possible, à des taupes comme nous, la création de l’univers opérée par le seul VERBE infini (l’unité qui prend le zéro, l’arrange et le façonne au gré de sa sagesse), sur quoi il me convient ici de faire deux remarques infiniment importantes pour réfuter deux horribles et damnables erreurs qui peuvent se glisser en des matières si délicates, et où il est si facile de décliner de la vérité complète.
La première consiste dans une opinion que je sais s’être renouvelée de nos jours parmi de certains prétendus Illuminés, qui croient avoir tout vu et qui n’ont pas même mis le pied dans l’antichambre de la vérité et de la lumière. Cette opinion, déjà répandue du temps de Platon, et par lui, ou plutôt par des Platoniciens, qui ont tordu, barbouillé de surcroît et dégradé ses idées, consiste à avoir fait créer l’univers physique par des êtres inférieurs, ou secondaires, par des Anges, et même par de mauvais anges, etc. Ô mon DIEU ! jusqu’où ne se pousse pas l’erreur dans les cerveaux aveuglés et, à cause de l’orgueil, frappés des ténèbres ! Ces infiniment dangereux hérétiques, ou hérésiarques, ont pris ici l’occasion pour la cause. L’univers physique, à la vérité, a été amené à son existence grossière et inférieure, à l’occasion de la révolte des Anges.... Et c’est eux qui ont été l’occasion des descentes et dégradations de l’être jusques là ; mais rien dans l’univers, ni l’univers des univers, soit glorieux, spirituel, ou physique de tous les degrés, n’a été créé que par le Verbe seul, dont la sagesse infinie a tiré parti de la chute des Anges pour amener l’être à ce bas degré, ayant fait de ces dégradations ce qu’elle a pu, selon l’ordre de sa justice et sans la blesser.... Je le déclare ici encore une fois, et en la plus solennelle manière, en présence de ce VERBE-DIEU devant qui je m’anéantis, que c’est lui seul à jamais qui a tout créé, est la seule et unique source de toutes les existences ; que dans la création et les créations, ni dans l’éternité, ni dans le temps, il n’a eu aucun associé (excepté sans exception, toutefois, la TRINITÉ infinie, dont il est l’expression entière et qui est à jamais UNE avec lui). Que toute l’Écriture sainte déduit cette unité de Créateur, qu’elle en retentit partout, qu’elle n’y a qu’une voix, avec une supériorité et une clarté dignes d’elle. Qu’associer quelqu’un, sous quelque prétexte ou point de vue que ce soit, à ce VERBE-DIEU créateur, infiniment élevé au-dessus de tout ce qu’il a créé, c’est donner dans la plus damnable hérésie. Que c’est à ces idées de Platon, et blasphématoires, surtout dans ses successeurs, que St. Paul fait singulièrement allusion, dans les graves paroles qui servent d’épigraphe à cet ouvrage. Prenez garde que personne ne vous dilacère (c’est la force du mot original) par la philosophie et par de vaines illusions, selon la tradition des hommes et les éléments du monde, et qui ne sont point selon Jésus-Christ, en qui sont renfermés tous les trésors de la science de la sagesse 255. Que même les Élohims, ou ce qui est appelé ainsi dans l’Écriture, c’est-à-dire, les Dieux supérieurs, dont parlent David, St. Paul, et toute l’Écriture, et dont j’ai fait mention dans cet ouvrage, non-seulement n’ont rien créé, mais ont été créés eux-mêmes par le VERBE un, infini, d’après les modèles que sa suprême intelligence a vus en soi et les portraits ou premières et supérieures idées des êtres qui y sont peintes ; qu’ainsi ces Élohims mêmes ne sont point le Fils unique, VERBE créateur tout seul, quoique tous contenus en lui et qu’ils sont non-créateurs, mais sous lui recteurs et administrateurs, et miroirs premiers, chacun de son globe auquel il répond et dont il est le premier portrait, ou premier morphisme ; et les Anges sont sous eux administrateurs en sous-ordre (Hébr. 1. v. 14), et même tout le chapitre, qui fait une opposition du VERBE FILS UNIQUE avec tout ce qui existe dans les cieux et dans tout l’univers 256.
Et pour faire mieux comprendre cette théorie si vraie, en même temps que si délicate et difficile à traiter, j’ajoute que l’homme, par exemple, ou l’Adam supérieur ou le prototype de l’homme, est un des morphismes contenus dans le VERBE infini, où il est peint. Et ce morphisme, dans le VERBE, est un des Élohims ; mais outre qu’il est infiniment éloigné d’être le VERBE lui-même, ou tout le VERBE, c’est que cet élohim, ou morphisme supérieur de l’homme, et tous les autres morphismes, sont créatures et non-créateurs, et sont sortis du VERBE en créatures distinctes, quoique toutes contenues en lui infiniment, incompréhensiblement et sans distinction. À la vérité, comme ces créatures premières ou morphismes supérieurs sont sortis de lui plus directement et avec une union indissoluble, avec le tout infini du VERBE, ils ont, selon mon estime, ce qu’a eu l’homme-DIEU ici-bas, c’est-à-dire, l’union hypostatique et imperdable avec le VERBE ; et c’est à cause qu’il faut que tous les morphismes se retrouvent sans doute, que le Verbe s’est uni à l’homme, l’un d’eux en la personne adorable de Jésus-Christ. Voilà la vraie et sûre doctrine.
Il serait infiniment douloureux pour moi, dont ce Jésus que j’adore connaît les intentions et la pureté de mes vues, que la vaste, intéressante et si divine scène, toute contenue dans l’Écriture, pour qui sait l’y voir, que je viens d’étaler et ouvrir également au véritable philosophe et au chrétien, que cette déduction pût être, contre mes intentions, une occasion à des esprits, ou confus ou mal faits, de détracter l’infinie UNITÉ d’un seul VERBE, seul créateur, sans aide, sans associé, sans qu’aucun autre que lui ait dû ni pu s’en mêler. Je déclare que d’admettre quelque autre Créateur que lui, ou adjoint avec lui, sous quelque prétexte que ce soit, est une idée ou opinion absolument et diaboliquement fausse, et que mon âme a en souveraine horreur. Et je fais cette déclaration de ma très-sûre foi en sa très-sainte et infiniment adorable présence, afin d’éviter toute équivoque blasphématoire contre son Infinité, seule créatrice ; équivoque dont je me lave les mains, et d’éviter encore toute idée, non-seulement d’un damnable polythéisme, mais encore d’un non moins damnable manichéisme, dont toute cette théorie est la plus écrasante réfutation. Car ce que ces impies manichéens, tant et si bien réfutés par St. Augustin, osent appeler le mauvais principe, est si peu éternel, qu’il n’a commencé à exister qu’après la révolte des Anges, qui a amené le mal ; et il est si peu créateur, qu’il n’est pas même un élohim, vu qu’il en est la dégradation et le débris ; il n’est pas même un être, car le mal est l’absence de l’être, le contraire de l’être, l’opposé de l’Être véritable, et il faut qu’il soit détruit 257.
Après une si solennelle protestation, je puis, hardiment et en sécurité, ajouter à cette divine théorie que l’élohim Adam supérieur, ou le morphisme de l’homme, entant que créé en distinction et en être fini, a en Jésus-Christ, dont la Divinité suprême s’est revêtue ici-bas, a un temps déterminé pour remonter à sa première origine et retrouver dans ce VERBE infini le point ou le principe, le premier état d’où il est descendu ; et ce temps, déterminé dans nos livres saints, est marqué par l’expression des siècles des siècles ; c’est ce qu’on voit dans toute l’Écriture, et c’est la raison pourquoi il est dit dans les Doxologies : À lui soit la gloire aux siècles des siècles. Ces siècles des siècles, comme on comprend, sont un temps très-long, et c’est celui qui doit se passer avant la fin de ce monde-ci, qui n’aura lieu que lorsque ces siècles des siècles seront épuisés. Et alors le morphisme de l’homme sera tout entier repompé, pour ainsi dire, aura remonté et reflué dans le VERBE infini qui l’a créé ; et cet élohim l’homme sera alors lui-même assujetti, dit St. Paul, à celui qui lui a assujetti toutes choses 258, c’est-à-dire, au VERBE infini, dans lequel il rentrera pour l’éternité ; afin, ajoute l’Apôtre, que DIEU, ce VERBE-DIEU, soit tout en tous. Ô merveille ! ô plume, parole, langue, taisez-vous ! Ô mon DIEU ! je fuis confondu, abîmé, anéanti devant VOUS......
Et à l’occasion de ces siècles des siècles, je remarque que, pour raisonner en analogie avec notre globe, il est apparent et à soupçonner que tous ces morphismes ou élohims, à les envisager dans leurs descendances, ont dans les autres globes des temps fixés et déterminés pour refluer et remonter dans le VERBE UN leur créateur. Voilà, selon moi, l’infiniment admirable jeu de l’univers ; mais cette théorie ne nous regarde pas.... Je ne fais, sans m’étendre, que dire mon opinion là-dessus ; et j’omets une infinité de réflexions par cette raison, et parce encore que le détail en serait infini....
Seulement je remarquerai encore, en second lieu, qu’on peut voir, par la très-claire et pourtant très-profonde théorie que j’ai déduite, comment le morphisme de l’homme est tout-à-la-fois au-dessus et au-dessous des Anges et de ce que l’Écriture appelle simplement Anges. Le Roi-Prophète disait, parlant de l’homme : Tu l’as fait un peu moindre que les Anges, et tu l’as couronné de gloire et d’honneur 259. Pour le comprendre, il n’y a qu’à considérer l’homme sous un double point de vue, ou plutôt le prendre en deux temps et dans les diverses circonstances ou degrés où il s’est trouvé, et qu’il a parcouru depuis sa descendance directe de l’Adam supérieur, ou morphisme supérieur de l’homme contenu dans les portraits, ou idées primitives du VERBE, jusqu’à son image réelle ici-bas, ou dans sa dernière descendance. Il est certain qu’à prendre l’homme tel qu’il est sur la terre, dégradé par le péché, lié à un corps grossier, terrestre et sujet à la mort ; dans cet état et dans cette circonstance, il est moindre que ce que l’Écriture sainte appelle simplement les Anges ; mais si vous le faites remonter jusqu’à son premier principe, jusqu’à son prototype, et refluer dans sa première origine, comme cela lui arrivera un jour, ainsi qu’on l’a vu ; alors, et dans cet état, il sera bien supérieur aux Anges, à envisager simplement ce mot et selon que son idée le comporte 260.
Mais au lieu de nous amuser à cette perspective encore si éloignée, du moins pour l’humanité en entier ou tous ses individus, remontons dans ce moment à celui qui, par sa toute-puissante bonté, peut seul en réaliser le bonheur. Élevons nos esprits en haut, et que nos cœurs pleins d’adoration et d’amour montent avec eux jusqu’à ces cieux qui sont son palais immortel et sa demeure resplendissante de gloire.
Vous avez vu, mon cher Lecteur, l’absolue, l’infinie unité de ce VERBE adorable ; vous avez vu que ne pouvant, tant il est grand et au-dessus de toute conception, se manifester lui-même à nos esprits si aveugles et si bornés, il a voulu du moins leur donner quelque idée de lui-même ; et en créant les élohims, ses enfants et tous l’ouvrage de ses mains, nous montrer dans ces divines peintures de sa sagesse éternelle, dans les noms qu’il leur a donnés et présentés à nos faibles intelligences en sa sacrée et véritable parole, quelque chose, quelques traits qui confessent du moins l’infinie vérité de son être et, autant qu’il est possible, la rendent accessible à des atomes, à des néants comme nous. Ô bonté ! ô grandeur ! ô charité, non moins infinie que mon DIEU lui-même ! Pardonnez ces bégayements, ô VERBE ÉTERNEL ! devant qui je mords pour jamais la poussière de la terre, qui n’est point assez basse pour recevoir mes anéantissements ; pardonnez-les, ô DIEU ! non pas très-haut, mais DIEU infiniment au-dessus encore de toute hauteur, et de toutes les hauteurs de hauteurs ; pardonnez-les à un cœur qui voudrait vous louer, et que l’extase, le transport rend muet et réduit au silence. Ô Seigneur ! ô Jésus ! c’est donc vous, vrai Dieu et vie éternelle, qui avez été attaché à la croix pour moi, et je ne serais pas à jamais anéanti et mourant d’amour ; et le ver de terre comme moi ne serait pas écrasé à la seule idée de votre être et de votre amour, et sans pouvoir jamais me retrouver moi-même éclipsé et anéanti sous le poids immense de cet amour. Que ce saint amour me tue, qu’il fasse éclipser ma vie, pour la changer en la vôtre, qui est toute amour ! ma vie périssable en cette vie immortelle que vous seul vous pouvez donner ; ma vie pécheresse, en cette vie sainte, seule digne de vous, qui, marchant par la croix sur vos traces, peut seule me réunir à vous pour jamais.
Pardonnez, oui, pardonnez ma témérité, ô mon DIEU ! d’avoir osé parler de votre Être adorable, vous qui échappez à toutes nos pensées, vous en qui est tout l’être, et qui êtes si infiniment DIEU, que vous avez créé des Dieux, pour que tout l’univers pût au moins concevoir, non vous, mais quelque chose de vous ; car il n’y a que vous seul qui puissiez dire ce que vous êtes ; et même, tant vous êtes grand, vous ne pouvez le dire qu’à vous seul, parce qu’il n’est point de langage infini et qu’il n’y a que vous seul infini qui puissiez vous comprendre et vous parler à vous-même tout votre langage. Insensés que nous sommes, nous croyons vous atteindre, et vous nous échappez toujours ; vous vous rendez, ce semble, accessible à vos créatures ; vous vous nommez, vous prenez des qualités et des titres pour vous mettre à notre faible portée, on croit sottement que c’est vous, et vous êtes encore infiniment au-dessus de tout ce que vous vous dites être ; vous nous montrez des faces, des aspects, des splendeurs, et ces faces seraient à peine des portions de votre être, si votre être éternellement UN pouvait être divisé et avoir des portions.
Aussi, mon DIEU ! ne pouvant vous montrer à votre serviteur Moïse tout entier et dans votre tout incompréhensible, vous lui dites simplement je suis. Je suis l’être par essence, l’abîme de l’être, qui est tout en moi. Je suis ; je suis ce que je suis ! Je suis en moi et pour moi tout, mais je suis pour vous ce que je veux être ; et vous montrer de moi, qui n’est jamais tout moi, ce que vos faibles esprits peuvent concevoir. Je suis tout ce que je veux, et je suis encore infiniment au-dessus de ce que je veux être pour l’univers, incapable d’arriver à cet infiniment au-dessus. Que toute pensée cesse, que toute imagination se taise, à la présence du DIEU de l’univers ! Alleluya.
Jean-Philippe DUTOIT, dit DUTOIT-MAMBRINI,
De l’origine, des usages, des abus, des quantités
et des mélanges de la raison et de la foi, 1790.
Fin du premier Volume.
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TABLE DES CHAPITRES
Contenus dans ce Volume.
LIVRE PREMIER.
Où l’on traite de l’état d’innocence. De la chute. De ce qui l’a précédée et suivie. De l’entendement de l’âme. De l’esprit astral. De l’origine de la raison. Du retour d’une lumière plus pure. De l’immortalité de l’Esprit. Du magnétisme et somnambulisme. Des postérités de Caïn et de Seth. Des bonnes et des mauvaises magies, etc.
CHAPITRE PREMIER.
De l’état d’innocence. De la nécessité de la tentation ou épreuve. De la chute du premier homme, gui a fait retirer l’Esprit de Dieu, et ouvert en substitut la lumière qu’on appelle la raison. Comment la chute a eu lieu, etc.
CHAPITRE II.
Continuation du sujet.
Des commencements de la chute, et de ses suites par rapport à l’esprit de l’homme.
CHAPITRE III.
De l’origine de la raison. De l’esprit astral.
CHAPITRE IV.
Des différents degrés de lumières répandues dans tout l’univers depuis la lumière infinie. Et des corps glorieux.
CHAPITRE V.
Du retour de la pure et sainte lumière, par parties ou lambeaux. Des deux postérités de Seth et de Caïn, et de leur mélange, relativement à la lumière.
CHAPITRE VI.
Des lumières inférieures ou astrales qu’ont eues tous les peuples issus de Caïn et de Cham, des abominations qui s’y sont glissées. Prophéties et miracles des Païens.
CHAPITRE VII.
Des différentes espèces de magies et forces attirantes, ou saintes ou mauvaises, ou mélangées.
CHAPITRE VIII.
Raison pour laquelle Dieu renvoya dans la postérité de Seth de grands rayons ou éclairs de la lumière perdue par la chute.
CHAPITRE IX.
De l’immortalité de l’esprit, et comment il peut être immortel. Que la parole de Dieu est la seule véritable et sûre lumière.
CHAPITRE X.
Confirmation du chapitre précédent. Éclaircissement. De la Foi obscure, etc.
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LIVRE SECOND.
La raison envisagée selon le sens qu’on assigne à ce mot et sous le point de vue ordinaire. De ses usages et de quelques-uns de ses abus.
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CHAPITRE I.
De ses usages en général et du premier en particulier.
CHAPITRE II.
Deuxième utilité de la raison. Les sciences humaines.
CHAPITRE III.
Abus de la raison dans les sciences.
CHAPITRE IV.
Continuation sur les abus ou dangers dans les sciences humaines.
CHAPITRE V.
Continuation du même sujet. Nouvel abus de la raison dans les sciences.
CHAPITRE VI.
Morale des incrédules.
CHAPITRE VII.
Usage de la droite raison. L’évidence morale qui fonde la persuasion à l’Évangile. Distinction entre les vérités évidentes et les vérités certaines.
CHAPITRE VIII.
Courte démonstration morale de la divinité de l’Évangile.
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LIVRE TROISIÈME.
Digression. Des causes qui, dans l’esprit des incrédules et des mondains, énervent la force de l’évidence morale et en font avorter le fruit. Objections des déistes réfutées.
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CHAPITRE I.
Première cause. L’inattention, la légèreté et la dissipation perpétuelle dans lesquelles vivent la plupart des hommes.
CHAPITRE II.
Nouvelle cause. La morale de l’Évangile rebute les gens du monde.
CHAPITRE III.
Par la seconde cause l’évidence morale s’énerve, perd sa force, laisse le mondain et le tiède retomber dans l’incrédulité.
CHAPITRE IV.
Tout au plus on se fait une fausse religion, une religion plâtrée et qui, dès lors, n’en est plus une.
CHAPITRE V.
Nouvelle cause. Les mystères. Pierre d’achoppement pour la raison corrompue et sensualisée. Et preuve en même temps que l’esprit astral, ou la raison exaltée et affinée, pourrait les connaître ; par conséquent que les incrédules et déistes qui ne voient pas ces mystères ou les refusent, n’ont qu’une raison fausse privée de la lumière qu’elle pourrait avoir. Des Illuminés. Du Somnambulisme, etc.
CHAPITRE VI.
Digression. Confirmation du chapitre précédent. Théorie curieuse. Différence entre les effets de la raison commune et ceux de l’esprit astral. Des prodiges et prophéties des Païens. Des Cieux purs et des Cieux impurs, en l’homme et hors de l’homme. Dans les impurs, l’ennemi a accès. Des Illuminés de tout degré. Tentation de notre Seigneur ; et comment il voyait les objets absents.
CHAPITRE VII.
Récapitulation. Propositions confirmatives et explicatives pour servir de règle, de jugement, etc.
CHAPITRE VIII.
De Mahomet.
CHAPITRE IX.
Trois miroirs de la Divinité, ou VERBE-DIEU, dans lesquels il s’est peint. Premier miroir. L’homme.
CHAPITRE X.
L’un des traits de l’image du VERBE-DIEU dans l’homme. La Parole.
CHAPITRE XI.
Le Monde, ou l’Univers, second miroir, d’accord avec la Révélation, qui est le troisième miroir.
CHAPITRE XII.
Les sages Païens ont vu la plupart des Mystères de la Religion dans la nature.
CHAPITRE XIII.
La gloire du Verbe-Dieu, manifestée dans la Révélation, écrite ; troisième miroir. Perfection de l’Écriture Sainte.
CHAPITRE XIV.
La gloire externe. Le Verbe-Dieu et homme, et son Royaume, habitant en l’homme.
CHAPITRE XV.
Grandes objections des Déistes. « Que s’il est une révélation, elle doit être pour tous les hommes. » Exposée et réfutée.
CHAPITRE XVI.
Éclaircissement, confirmation. Appel des Païens.
CHAPITRE XVII.
Du genre d’élection des sages Païens et de leurs Martyrs.
CHAPITRE XVIII.
Les incrédules trouvent de l’injustice à avoir chassé les Cananéens de la Palestine ; et ce font les horreurs du somnambulisme et de toutes les pratiques ténébreuses, issues de la même cause, qui les ont fait chasser. Citations.
CHAPITRE XIX.
Confirmation de la doctrine répandue dans cet ouvrage touchant le magnétisme et le somnambulisme, par une lettre qui m’a été écrite par un savant amateur de la vérité, qui après avoir eu toutes les expériences, et du magnétisme et du somnambulisme, en a connu les abus et les dangers, et a quitté toutes ces pratiques.
CHAPITRE XX.
Confirmation par un seul exemple pour tous, sur ce que j’ai dit des sages, ou Païens, ou hors du Christianisme extérieur.
SENTENCES PERSANES.
Dans le livre du Gutehendras, code sacré des Sophis de Perse, se trouvent ces beaux préceptes.
CHAPITRE XXI.
S U P P L É M E N T.
L’un des plus grands des traits, ou mystères de la religion, vu dans la nature. Origine, suite, effets, application et fin de la croix, dans tout l’univers et dans le physique. Des nombres. La croix, ou la religion de la croix, seule vraie, universelle et éternelle. Et ainsi la religion de Jésus-Christ est la seule qui ait jamais été.
CHAPITRE XXII.
De la croix répandue dans toute la nature et dans tout l’univers astral et physique.
CHAPITRE XXIII.
De l’infini. De l’être. Du zéro. Doctrine, ou théorie des nombres, ou nombres de la Croix.
CHAPITRE XXIV.
Continuation du même sujet. Nombres de la Croix. Les causes et les raisons liées ensemble par la Croix.
CHAPITRE XXV.
Du néant. Différence du mal métaphysique et du mal moral. Des Manichéens et de leur détestable principe. De la création. Vraie doctrine sur l’absolue unité du Verbe, toujours seul Créateur, et à jamais un. Des Élohims exécutés d’après ses portraits. Protestation solennelle. L’homme inférieur et supérieur aux Anges. Durée du mal et de l’enfer pour notre globe. Des siècles des siècles. Prière au Verbe-Dieu, inaccessible à nos connaissances.
1 Je découpe ici et distingue les différentes facultés de l’homme et singulièrement l’esprit de l’âme. L’esprit ou entendement est la source ou le siège, ou suppôt de nos idées, de nos raisonnements, etc. C’est l’intelligence ; l’âme est le foyer, la source ou le siège de nos sensations. Par votre esprit vous pensez, par l’âme vous sentez. Celle-ci nous est commune avec la brute, et par l’autre, j’entends l’esprit, nous lui sommes supérieurs. C’est ce qui en distingue l’homme.
Il faut s’exprimer nettement dans ces choses. Les langues Hébraïques et Grecques les distinguent très-bien. Dans la première l’esprit est appelé רוח et l’âmeנפש . Dans le grec on appelle l’esprit νῦς, qui signifie l’entendement, et l’âme ψυχὴ, comme qui dirait respiration de vie ou vie animale. L’esprit est un, simple, indestructible à tout agent naturel ; l’âme au contraire, plus composée et moins simple, étant dans un plus bas degré de l’être, peut être divisée, décomposée, et même, par sa division, être tuée. C’est pourquoi la parole et la vérité éternelle a dit (Matth. 10. v. 28) : Craignez celui qui peut tuer l’âme. Et c’est pourquoi encore l’Apôtre Saint Paul, instruit à l’école de son adorable Maître, faisant très-nettement cette distinction de l’esprit et de l’âme, dans son vœu aux Thessaloniciens, souhaite (1. Thessal. 5. v. 23.) que leurs âmes soient conservées dans leur intégrité. Que l’esprit, l’âme en entier et le corps soient conservés sans reproche. À cette occasion, je déclare ici, en la sainte présence de DIEU, que l’Écriture sainte apprend tout et la vérité sans mélange, à qui sait voir, à qui a des yeux et des oreilles, qu’elle n’est pas seulement le trésor de toute sagesse, mais encore de toute science, sortie émanée du VERBE-DIEU, infini en lumière et qui l’a versée dans l’Écriture ; mais ce n’est pas là où nos vains aveugles et abusés philosophes la vont chercher (Coloss. 2. v. 3.). En lui sont renfermés tous les trésors de la sagesse et de la science.
2 Jean 1.
3 Corinth. 15. v. 49. et passim.
4 Comme il est parlé dans ce chapitre de la raison et de l’esprit astral, il convient de préparer ici l’intelligence au grand nombre de vérités relatives répandues dans cet ouvrage. Il est d’une difficulté extrême de les distinguer, parce qu’ils ont presque la même origine. Et ce n’est que dans leurs effets et dans la manière d’opérer et de recevoir qu’on peut voir leur différence. Le somnambulisme, dont je traiterai, peut beaucoup aider à la comprendre. La raison est le sens rassis de l’homme ; c’est un flux de pensées ordinaires, en résultat de ce que les sens lui ont transmis, et qui ont allumé, excité, mis en jeu sa fécondité interne, et en rapport avec ce qu’ils ont transmis. Et cette fécondité interne est astrale. C’est l’esprit astral, ou son allumement. Or cet allumement peut être envisagé, par rapport à ses effets, sous deux points de vue : ou bien il est des intervalles où il joue tout seul et en absolue abstraction des sens extérieurs ; et alors c’est ce qu’on peut appeler l’extase astrale, qui est d’un degré inférieur et plus impur que les extases qui ont lieu quelquefois en des saints ravis hors d’eux-mêmes, c’est-à-dire, de leur propre opérer, et concentrés en abstraction par le pur esprit de DIEU qui, en ces intervalles de pures extases, les élève au-dessus de leur propre sphère, pour les mettre dans sa lumière. Or ces extases astrales, qui certainement ont eu lieu de tout temps, sont le singe impur et inférieur des extases pures qui ont eu lieu en beaucoup de saints. Et elles sont la vraie origine de toutes les prophéties des Païens et des choses étonnantes qu’on a vues dans les sibylles, oracles et mystères, etc., vus dans ces intervalles d’extases astrales. J’ose dire qu’on le peut prouver invinciblement. Ainsi l’esprit de l’homme, agissant et recevant en la manière ordinaire et accoutumée, fait et est ce qu’on appelle la raison ; et le même esprit de l’homme, mis en abstraction centrale et dans ces moments indépendante des sens et de tout objet extérieur, fait l’extase astrale. Et c’est relativement à cet effet et à ces moments de suspension qu’on peut l’appeler esprit astral, distingué alors de la raison et de son opération ordinaire. Dans ces instants il reçoit passivement un tableau spiritualisé et analogique des choses, objets et évènements. Ils s’y peignent plus ou moins impurement, mais toujours au moins avec une quantité de vérité. J’ose assurer au Lecteur attentif, et qui pourra comprendre ceci, que j’ouvre à son intelligence la plus grande clef, et la facilité d’entendre tout ce que je dis dans cet ouvrage de relatif, et ce que j’y explique lui aidera en même temps à comprendre ceci ; il n’a qu’à prendre patience. Je proteste qu’en tout ceci je lui dis la vérité même. On pourrait appeler ces temps, où l’esprit astral (qui fait la raison ou l’esprit ordinaire et rassis) est élevé au-dessus de son opérer, on pourrait, dis-je, l’appeler la folie de la raison, parce que son acte ou passiveté est au-dessus d’elle, dans le sens impur ou inférieur, que St. Paul, dans un sens très-pur, disait : Si nous sommes fous, ou élevés au-dessus de nous-mêmes, c’est pour DIEU, si nous sommes de sens rassis c’est pour nous. L’un est la folie plus ou moins impure du païen, l’autre la sainte folie du chrétien. Je dois encore avertir ici que le plus haut degré de cet esprit astral et le moins impur touche presque au pur esprit de DIEU. Il n’y a qu’une ligne qui les sépare ; voilà pourquoi, lorsque ces extases astrales ont lieu dans un sujet moins impur et plus dégagé des passions, elles peuvent recevoir et communiquer aux autres d’étonnantes vérités, inférieurement analogiques aux vérités et aux visions ou révélations pures et célestes, et assez peu différentes d’elles. On verra dans cet ouvrage le criterium ou la règle pour les discerner. Mais ces cas de pureté astrale sont infiniment rares, et il s’y mêle presque toujours en rapport de l’état d’impureté où est l’homme, ou récipient passif dans ces extases. Mais les derniers degrés sont horribles, et comme on verra, peuvent être du pur domaine de l’ennemi. D’ailleurs, cela peut dépendre aussi de l’impureté de l’agent qui meut l’air primitif, ou éther, qui alors est sous l’influence ou la puissance de l’ennemi. Les degrés ainsi de pureté ou impureté astrale sont innombrables.
5 Ésaïe 10. v. 17. et alibi multoties.
6 Peut-être, le plus bas degré, le dernier échelon de cet esprit astral est-il ce qu’on appelle instinct dans la brute. Il n’y a qu’à supposer qu’en elles le point qui reçoit l’allumement est moins simple et pur que dans l’homme, et ainsi l’allumement sera plus obscur et d’une lumière moins saillante et développée, comme le même feu qui allume une chandelle grossière et une bougie raffinée donne dans l’une une lumière plus pure et dans l’autre plus opaque. Il est des animaux dont l’instinct est exalté d’une matière admirable et touche presque à la raison.
7 Jean 8. v. 12.
8 Quand je parle ici de l’accroissement de l’amour dans les saints consommés, etc., il ne faut pas se figurer que cet amour puisse recevoir des accroissements dans sa nature ou qualité, mais bien en extension et dilatation. Son fond, sa nature et son essence, c’est d’être absolument pur et désintéressé, sans quoi il ne pourrait pas être admis dans les cieux purs, où il n’y a plus d’intérêt propre qui mettrait la désunion entre ces esprits bienheureux, tous consommés en charité et heureux du bonheur de Dieu, qui est charité, et heureux encore du bonheur les uns des autres. De même, si cet amour n’était pas essentiellement désintéressé, il ne pourrait jamais mériter l’union avec le Verbe-DIEU, qui verse sur eux la lumière dont ils jouissent. Il y aurait une obstruction et un arrêt à l’écoulement de cette lumière, qui serait salie si elle n’était pas renvoyée à chaque instant, pour recevoir encore l’instant après, en flux et reflux réciproque et perpétuel. Mais si, comme il est vrai, cet amour ne peut pas être augmenté en nature et qualité, il augmente en progrès perpétuels, en expansion et en dilatation. Pour le faire comprendre, je prendrai un exemple dans la nature. Le germe d’un fruit, le pépin d’une orange, le noyau d’une pêche, ne peuvent pas changer de nature, leur qualité, leur essence est fixée. Ils n’en changent point, mais ils sont susceptibles d’un développement, d’une dilatation, pour ainsi dire, infinie, puisqu’un seul de ces pépins, non-seulement peut produire un arbre, et même des millions d’arbres, tous renfermés dans ce germe, qui ne peut chanter de nature, et peut toutefois peupler une terre entière de ses développements en arbre et de son fruit.
9 2. Corinth, 3. v. 18.
10 Psaume 104. v. 2 et 3.
11 1. Corinth. 15. v. 40 et suivants.
12 Matth. 17. v. 1 et 2.
13 Apoc. 21 et 22.
14 Jean 8. v. 12.
15 Apoc. 22. v. 11.
16 Genèse 4. v. 26.
17 Genèse 6. v. 2 et 4.
18 Apoc. 3. v. 10.
19 Jude v. 14.
20 Cette expression vient peut-être des Mages, ou Sages de Perse et d’Orient. C’était les Sages de ces temps et de ces pays qui, ayant l’esprit astral plus affiné, pénétraient plus profondément que les autres dans tous les mystères de la nature. Cet esprit astral leur donnait les plus hautes connaissances du domaine et naturel, et diabolique. Tels ont été aussi les sages d’entre les Égyptiens. Ces gens-là avaient tous les aperçus et toutes les combinaisons de tous les phénomènes de l’univers, excepté ce qui ne peut être vu que par l’Esprit de DIEU, et dans le domaine de la foi. Ce qu’ils ont vu et opéré par les forces de la nature, et en sachant les mettre en jeu, est presque incroyable. Ils étaient des faiseurs de prodiges naturels. On croit que Zoroastre a été leur chef. Il en était parmi eux de bons et de mauvais ; et un grand nombre opéraient des choses diaboliques, car le diable se glisse dans tout ce qui n’est pas le pur divin. Les mages ou sages qui vinrent adorer Notre Seigneur dans l’étable étaient des bons. On pourrait ajouter peut-être à mon catalogue, ou recension des magies, la magie artificielle, qui produit des spectacles étonnants ; la chimie en est une branche. Mais cette magie artificielle rentre dans les articles que j’ai énoncés. Il est possible que le mot latin d’imago, en français image, vienne de mages ou maggim, parce que tout se peignait dans l’imagination de ces mages, les prophéties, oracles, etc., et voilà la plus grande des raisons pourquoi Dieu, voulant défendre à son peuple ces vues, opérations et phénomènes naturels, et tout-à-la-fois fantastiques, leur dit dans sa divine loi : Tu ne te feras point d’image taillée ; ce qui se rapporte encore plus aux images du dedans qu’aux idoles grossières que la masse des païens fabriquait pour les adorer.
21 Éphés. 6.
22 Jean 12. v. 32.
23 Matth. 24. v. 24.
24 Apoc. 13. v. 12 et 13.
25 Genèse 6. v. 2.
26 Rom. v. 14.
27 Il faut en effet que l’homme, pour sa parfaite immortalité, reprenne toute son entéléchie, c’est-à-dire, toutes ses facultés spirituelles ; l’âme sensitive doit y être indispensablement admise, sans quoi l’être serait manqué. Mais pour pouvoir jouir de ces divines et célestes sensations, de ces plaisirs qui, dit David, sont à la droite de Dieu pour jamais, il faut qu’elle soit affinée et spiritualisée, et qu’elle perde et soit purifiée de toute la rouille qu’elle a contractée en s’unissant aux voluptés grossières et en en jouissant. C’est pourquoi l’Apôtre a dit, Abstenez-vous des convoitises charnelles qui font la guerre à vos âmes. Et puisque j’en suis venu jusques là, cette entéléchie de l’homme, qui formera la plénitude parfaite et consommée de son immortalité, doit encore finalement admettre et reprendre le corps. C’est pourquoi l’Apôtre, dans son vœu aux Thessaloniciens, en fait aussi mention : Que l’esprit entier, et l’âme et le corps soient conservés sans reproche, jusqu’à la venue du Seigneur. Les impies, qui font des objections contre la résurrection des corps, ne savent pas ce qu’ils disent, faute d’en comprendre la manière. Il est en l’homme le corps glorieux caché sous l’étui grossier. Le glorieux est le germe impérissable, et hors des atteintes de la dissolution : il est le ferment ou levain qui amènera et changera en soi la masse ou le grossier, après que ce grossier et corruptible aura pourri, été réduit en poussière, et conduit jusqu’au néant de toute sa composition. C’est alors qu’il sera dit, Habitants de la poussière, écoutez la parole de l’Éternel, écoutez-la, os secs, et revivez. En quelque lieu que les destructives causes secondes les aient disséminées, ces parties infiniment réduites se réuniront, et formeront une armée extrêmement grande.... Ézéchiel ; je m’en tais, pour ne pouvoir parler assez dignement de ce que j’en conçois, et, si j’ose le dire, de ce qui m’en a été montré. À l’impérieuse parole du maître, au son de la trompette, oui, ces néants se ranimeront : les morts sortiront du tombeau. Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, encore qu’il soit mort, vivra. Jean 11. v. 25. Il faut que ce corruptible revête l’incorruptibilité, 1 Corinth. 15. Et quant à l’objection des impies, tirée de ce que les corps mêlés ne sauront se démêler, et ce qui, en un sens, revient au même, la question que les Saducéens faisaient à Notre Seigneur, auquel des sept maris serait la femme. Elle ne mérite pas qu’on la réfute. Les saints consommés à la résurrection ne feront qu’un seul corps, qui composera le corps mystique et glorieux de Jésus-Christ, Chef et Tête de ses membres. Nous ne sommes qu’un seul corps, dit S. Paul. Chacun des corps glorifiés sera un membre du corps collectif ou universel, et les liens et jointures de ces membres ensemble, et avec le corps, seront indissolubles et éternel, et DIEU Tout en tous. Telle sera ainsi la plénitude de l’immortalité des justes : rien ne se perdra de leur être. J’aimerais à me taire sur la résurrection des méchants. Ils conserveront leurs corps glorieux, qui sont impérissables, comme les anges rebelles les ont..... Je n’ajoute rien de plus.
Que l’univers est beau, vu et considéré sous l’œil vigilant et juste de cette éternelle providence qui s’étend à tout et qui suit les consécutions de la poussière et du plus vil grain de sable, comme elle fait mouvoir les cieux !
28 Jean 8. v. 12.
29 1. Corinth. 15.
30 Hébr. 11. v. 1.
31 Coloss. 2. v. 9.
32 Coloss. 2. v. 8.
33 Actes 4. v. 12.
34 Rom. 12. v. 2.
35 Philip. 3. v. 20.
36 1. Samuel 25. v. 10.
37 1. Cor. 12. v. 4.
38 Proverb. 6. v. 6. et 30. v. 24.
39 Ecclés. 9. v. 11.
40 Aggée 1.
41 Ps. 127.
42 Exode 31.
43 Il ne faut pas s’y méprendre, je l’ai déjà insinué dans le livre précédent : toute lumière naturelle et surnaturelle vient de Jésus-Christ. Il est la lumière du monde ; il est la vie des hommes. Comme toutes choses ont été faites par le Verbe DIEU, Créateur de tout, il est aussi la lumière de tous les êtres (Jean 1). En lui est la vie, et la vie est la lumière des hommes. Cette lumière est de tous les degrés, et appropriée à tous les voyants ; elle est jetée sur le berceau de l’homme pour préparer sa raison par les développements de l’âge. Mais c’est précisément dans ces développements, ou durant ces développements, que sa pureté primitive s’altère et se corrompt. Les écueils sont perpétuels sous les pas de l’enfance ; les fausses maximes, comme on verra plus bas, le poison de l’exemple, la mauvaise éducation, les préjugés qu’elle reçoit, enfin les pièges qui sont tendus de toute part contre sa droiture primitive, contre la rectitude qui voulait servir de contrepoids à la souillure de son origine, la remplir de l’instinct des vertus et du devoir ; tout cela courbe, énerve, infecte et corrompt cette lumière naturelle, et y met le nuage.
44 Chap. 2. v. 3.
45 Matth. 6. v. 33.
46 Rom. 12. v. 2.
47 Matth. 5. v. 3.
48 Corinth. 13. v. 1-8.
49 Les incrédules ne manqueront pas de dire que je fais ici le personnage de déclamateur ; ils riront même de me voir partout mêler la vie à venir, et l’envisager comme le seul véritable point de vue de l’homme, tout autre but lui étant infiniment subordonné ; ils éliront que je fais ici des sermons ; et que ne diront-ils pas ? Mais, sans me mettre en peine de leurs dérisions, j’irai toujours mon chemin. Je ne cherche dans ce traité que la gloire de Dieu, et la vraie et solide utilité de quiconque n’a pas abjuré obstinément toute religion et tout intérêt à soi-même. Je préviendrai encore ici une objection que je prévois, en attendant qu’elle soit pleinement levée par toute la suite de cet ouvrage. On dira peut-être que les irrégularités et les abus que j’indique et marquerai encore, ne sont point de la droite raison, mais un alliage étranger qui s’y joint et qui n’est point cette raison elle-même ; et qu’ainsi ce n’est pas elle qu’on doit accuser de ces abus. Je réponds ici par anticipation et en attente : 1° que la raison de l’homme, quelque raisonnable que vous le supposiez, et à quelque haut point que vous portiez l’idée de sa raison, avant qu’elle soit régénérée par un principe plus haut, n’est jamais parfaitement droite. Il faudrait pour cela que nous n’eussions pas participé à la chute qui a dégradé et mis en désordre nos facultés, qui ont tant d’influence sur la raison par l’intimité du commerce qu’elles ont entr’elles. 2° Qu’ainsi la raison simple ne peut pas être sans passions, et ces passions sont en elle une grande source d’écarts, selon qu’elles sont plus ou moins mauvaises. 3° Que la raison toute seule ne peut jamais vaincre le fond inhérent de corruption qui est en nous ; elle peut émonder les dehors, mais le fond ne se purifie point par elle ; et il ne peut manquer de faire ses éruptions ou au-dedans ou au-dehors, et même de l’entraîner avec lui et de l’enchaîner à sa cause, parce qu’elle n’a ni la force de le vaincre et le détruire, ni même la vue assez haute et assez perçante pour en voir tout le venin. Je n’ai pas besoin de m’étendre davantage ici, là-dessus. On verra cette idée éclaircie et vérifiée dans la suite.
50 Ps. 65. v. 1.
51 Habac. 2. v. 20.
52 1. Timoth. 3. v. 16.
53 1. Cor. v. 22, 23.
54 1. Timoth. 3. v. 16.
55 Jean 16. v. 1.
56 Je ferai ici, à l’occasion de ce passage, une prédiction qu’on peut enregistrer pour un avenir plus proche qu’on ne croit, et qui s’avance à grands pas, ainsi que les évènements actuels, tous prédits dans l’Écriture, comme des avant-coureurs le démontrent. Le temps va venir où l’incrédulité, qui jusqu’ici n’a cessé de prêcher la tolérance, parce qu’elle en avait besoin, n’ayant pas encore la sanction civile, aura cette sanction, et que ces hommes impies, animés par l’ennemi, réchauffant, animant leurs passions et leur rage, la feront changer en loi d’État. Ces mêmes mains sacrilèges, dont ils commencent à renverser les trônes et les autels, se porteront en persécutions sur tout ce qui aura encore quelque empreinte du Christianisme ; on peut le voir par toute l’Écriture, et principalement au Chap. 24 de S. Matthieu. Il faut, avant l’avènement de Jésus-Christ sur la terre (ce n’est pas la fin du monde, qui est encore bien éloignée), que la foi soit presque éteinte, et ce n’est que du sein de la destruction qu’elle germera et revivra infiniment pure. Il faut auparavant que le Fils de perdition soit révélé par ses membres (2 Thess. 11. v. 3-12), et cela commence à se mettre visiblement en train. Rien n’est plus terrible que les descriptions que fait l’Apocalypse de ces combats précurseurs et de ces persécutions par lesquelles il semblera que le Christianisme soit détruit ; mais ce ne sera enfin que les méchants eux-mêmes qui le seront, après avoir persécuté et éprouvé les élus ; et alors la vraie Église s’élevera sur toutes ces ruines, non plus infectée des plus affreux mélanges, mais simple, pure, et toute intérieure. Je le répète, tout s’avance à grands pas ; le commencement de l’abomination, de la désolation, est déjà dans le sanctuaire.... le saint Esprit irrité s’est retiré de la terre ; il n’y reste pas même ce qu’on appelle le bon esprit naturel ; la foi s’éteint ; les passions ne connaissent plus de frein. (On en verra le tableau à la fin de cet ouvrage.) Triste et lamentable perspective ! Or, quand les évènements prédits seront au fort de leurs horreurs, ce sera aux Chrétiens d’alors, à ceux qui retiendront la sainte Religion dans le cœur, de s’armer d’un nouveau courage, pour que la lâcheté et la crainte des maux ne les conduise pas à une funeste apostasie ; car ces jours de douleurs seront abrégés, et la palme immortelle sera au bout pour les fidèles qui ne se seront pas laissé vaincre.... Lisez encore avec attention Luc 21, et nombre d’autres endroits. Les signes de l’an 1783 ont été un petit avertissement ; et tout s’acheminera par degrés.
57 Coloss. 2. v. 8.
58 Il semblerait presque qu’il y ait une malédiction cachée et qui est comme jetée sur la plupart des philosophes, les plus pieux, les plus religieux même. Leur raison et l’habitude sourde de tout ramener à elle leur joue toute sorte de tours. Je ne parle pas ici des déistes modernes, qui se perdent en des erreurs et des égarements sans fin ; mais des philosophes parmi nous véritablement, ou du moins jusqu’à un certain point, religieux. Newton et Clarke étaient Ariens ; en eux, la raison sonnait la charge. Bonnet.... Je m’en tais. Cette raison altière, pour ne vouloir pas céder, a fait une infinité de prétendus savants Sociniens. Les mélanges de raison et de religion ont produit une infinité d’aspects et de demi-vérités, qui, n’étant pas la vérité toute entière, n’ont point atteint à la vraie lumière, et n’ont presque été au contraire que des erreurs monstrueuses. Mais mon âme répugne à faire un plus long catalogue de ces philosophes errants en des points graves, sans toutefois manquer de religion.
59 Coloss. 3. v. 3.
60 Jérém. 17. v. 9.
61 Chacun croit savoir ce que c’est qu’aimer DIEU, et presque personne ne le sait véritablement par le cœur, ni ne connaît tout ce qu’il en coûte en dépouillements et en morts à soi même pour arriver à ce bienheureux état. Car il est impossible d’aimer DIEU en réalité si l’on n’est au préalable dépouillé par le cœur ; et quiconque peut se contenter de ce qui n’est pas DIEU et y trouver son appui et son repos, celui-là n’aime pas DIEU, parce que la loi d’aimer DIEU est exclusive de tout autre amour, sinon en vue de DIEU seul. Car aimer DIEU n’est pas proprement aimer un objet, mais c’est aimer sa volonté, mais c’est être capable de l’aimer telle qu’elle soit ; c’est même avoir en quelque sorte perdu notre volonté dans la sienne. Rien ne prouve mieux l’effroyable tache de notre origine que la propension de la nature humaine à aimer tout hors de DIEU et à se contenter des objets qui ne sont pas lui. Le commandement d’aimer DIEU comprend et renferme tout ; il est la quintessence de toute loi qui, par l’amour, est accomplie en l’homme dans tout ce qu’elle a de réel et de vivant. Aimer Dieu de tout notre cœur, c’est lui en avoir remis et donné tous les mouvements et toute la force de notre affection ; l’aimer de toute notre âme, c’est lui avoir donné toute notre vie et demeurer simplement dans cette remise ou donation ; l’aimer de toute notre pensée et de toute notre force, cela s’entend après ce que nous venons de dire. DIEU donc veut que toutes les parties de notre être et de notre vie l’aiment exclusivement. Aimer Dieu n’est pas une science qui s’apprenne par l’Esprit : on n’apprend jamais mieux à l’aimer qu’en l’aimant ; l’amour fait l’amour et l’augmente. Tous les hommes et même les idiots en sont capables. La perfection de l’amour de DIEU, c’est de l’aimer comme il s’aime lui-même, ce qui n’a lieu qu’après la transformation donc parle St. Paul (Rom. 12. v. 2.) ; alors Dieu lui-même vient s’aimer en cette créature transformée. Il faut aimer Dieu, non pas seulement plus que ses dons et ses œuvres, plus que tous les objets terrestres et tout l’univers, mais il faut encore l’aimer plus que tous les Anges, plus que le Paradis, plus que le Ciel, plus que notre salut même, lorsque nous l’envisageons en propriété abstractivement à DIEU, mais salut que nous devons aimer, parce que Dieu veut nous sauver et effectuer et gagner, parce que c’est sa volonté. Un roi de Perse, à la honte des Chrétiens, avait fait mettre sur son tombeau : « Ce n’est pas le Paradis que je cherche, c’est celui qui a fait le Paradis. »
62 Je ne cite ici qu’un seul exemple entre des milliards. Tout l’univers le voit aujourd’hui comme à l’œil. Rousseau et sa cohorte renversants tous les gouvernements : je l’ai déjà dit plus haut, et j’en reparlerai plus bas.
63 Je n’ignore pas combien les incrédules présentent avec un air de triomphe et d’insultes toutes les disputes, les controverses, les divisions, les chocs, les déchirements, les persécutions occasionnées par l’esprit de parti parmi les Chrétiens (extérieurs). Ils se commandent la malheureuse équivoque de ce vers de Virgile : Tantum religio potuit suadere malorum, et ne perdent pas une occasion d’en faire trophée. Mais ce ne fut jamais la religion et le vrai Christianisme qui ont occasionné tant de tristes scènes. C’est le Christianisme mal pris par les faux Chrétiens, c’est l’orgueil, père de l’erreur, ce sont les passions et l’entêtement communs à ces faux chrétiens et aux incrédules, qui en sont les seules véritables causes. Et il n’est que trop vrai que tant de scandales et d’acharnements entre les prétendus chrétiens ont donné beau jeu aux déistes et un grand prétexte de mettre sur le compte du Christianisme ce qui ne vint jamais de lui. Ils en ont saisi avec la plus maligne avidité l’occasion de tout brouiller et confondre avec ces horreurs le Christianisme qui en est infiniment éloigné et dont l’esprit est le parfait contraste.
64 Jean 1. v. 1.
65 Je renvoie le cinquième des usages de la raison, que j’ai indiqué, et qui est la capacité de saisir le sens littéral de l’Écriture ; je renvoie, dis-je, d’en traiter, au Livre où je mets en regard la croyance à l’Évangile avec la Foi.
66 Matth. 22. v. 3 et 4.
67 Il n’est de vrai bonheur qu’en DIEU seul ; et l’homme ne le trouvera jamais qu’en DIEU, en qui seul il doit le chercher. Déjà dès cette vie, le bonheur de ceux qui ont trouvé le secret de demeurer enfermés dans leur fond ou centre de l’âme, est au-dessus de toute expression ; parce que ce fond est comme immuable, absolument inhérent et permanent. C’est ce qui a fait dire à S. Augustin : Fecisti nos, Domine, ad te, et inquietum est cor nostrum, donec requiescat in te. Là il n’y a ni contrariété, ni adversité, qui puissent y arriver, point d’image, d’espèce, point de sensualité, aucune pointe de cupidité, point de fantaisie. Il n’est rien, aucun objet dans l’univers, à quoi il ne soit supérieur ; tout est au-dessous de lui ; comme quelqu’un qui serait sur la cime d’une haute montagne verrait à ses pieds les phénomènes, les variations, les nuages, les tonnerres, les chocs, les conflits. Enfin, ce fond n’a aucun rapport ni rien de commun avec les objets de la terre ; il est fixe, invariable ; et le plaisir ineffable qu’il goûte ne peut être mêlé de douleurs, vu qu’il est au-dessus de la partie irascible et sensible. Tel est le bonheur des âmes arrivées à leur fond, et qui jouissent de Dieu, toujours présent à leur cœur.
68 1. Timoth. 4. v. 8.
69 Matth. 11. v. 29.
70 Ibid. 6. v. 33.
71 Matth. 12. v. 45.
72 Matth. 7. v. 13.
73 Rien n’est plus dangereux qu’une imagination de réglée, c’est la vraie image de l’ennemi. À peine les sens sont éveillés par l’objet, que l’imagination s’en empare et commence à porter le ravage dans l’intérieur ; elle en enlève la simplicité, la pureté ; elle renverse les idées et offusque les pensées bien ordonnées, elle est la peste de la réflexion et la rouille du bon sens, du sérieux et de tout ce qui est d’utile et de légitime. Les sens ne montrent guères l’objet que tel qu’il est et selon la vérité de son être ; mais l’imagination franchit toutes les bornes du vrai. Cette grande maîtresse de l’erreur et du mensonge présente l’image avec les embellissements les plus faux, elle met le fard le plus trompeur sur les couleurs naïves et naturelles, elle donne à la frénésie des sens un nouvel aliment et bien plus dangereux encore ; elle devine ce qu’ils n’ont pas vu et met en jeux tout le foyer de la convoitise, elle déchire tous les voiles ; elle est toujours au-dessus ou au-dessous de la réalité ; elle mène dans les vastes, et pour ainsi dire, immenses pays de l’illusion, le malavisé qui s’y amuse, l’entretient et, entrant avec elle en un engagement de commerce, parcourt avec elle tous les égarements, et ne s’arrête point dans ses écarts sans bornes. Inventrice de ce qui n’est point, elle reproduit l’objet que l’œil a trop regardé, avec tous les charmes que lui prête la fiction et les couleurs les plus flatteuses pour la corruption. Là où les sens finissent, elle commence son jeu, elle supplée à leurs bornes, et elle met sur ce qu’ils ont vu toutes les broderies des vastes régions de la chimère, dont elle varie la scène à l’infini. Les couleurs de son criminel pinceau ne s’épuisent jamais : mère impure des tentations, elle est le malheureux ressort qui conduit à tous les dérèglements de l’acte. Ses séductions ne finissent point ; sur ses ailes on parcourt l’immense parterre du mensonge, émaillé des plus belles et des plus empoisonnées fleurs. Elle porte dans la république intérieure tous les ravages, la désolation et la ruine ; elle embellit les ombres de la région des ténèbres ; elle substitue les funestes lueurs à la véritable lumière ; elle offusque l’esprit, elle souille le jugement, elle salit la mémoire ; elle corrompt le cœur, elle l’amollit et l’entraîne à la lasciveté ; elle met tous les objets à l’envers et tout est sans dessus dessous dans l’homme malheureux qui lui donne le blanc signé de sa volonté. Cette enchanteresse enchaîne sa liberté ; de maître il devient esclave. Non, Circé n’eût jamais de coupe si empoisonnée ; elle fait de l’homme tout ce qu’elle veut, et l’amène enfin au degré de la brute. Et à quoi sert de s’étendre ? Jamais l’analyse la plus fine ne pourrait donner l’anatomie de ses infinis égarements. Et qu’il suffise de dire qu’elle énerve et sèche tout l’humide radical de l’homme, toute vraie vie, toute vérité, le rend terrestre, grossier, dupe perpétuelle de l’illusion, le met à une distance immense de sa vraie place, sépare de DIEU tout son être moral. Il serait très-facile de montrer qu’une imagination déréglée est trait pour trait l’imitation et la copie de celui qui est menteur dès le commencement. Qu’on lise, si l’on veut, Jean VIII. v. 44, et on en verra la ressemblance.
74 Ecclés. 12. v. 1.
75 Jérémie 2. v. 24 et 25.
76 Id. Ibid. v. 23.
77 Hébr. 4. v. 12.
78 Apocal. 3. v. 20.
79 Jean 7. v. 34, et 8. v. 24.
80 Elle le pourrait cependant, en la supposant dans sa pureté et la pleine rectitude que son idée peut comporter. On le va voir dans ce chapitre et plus bas, par l’exemple des sages Païens, et à l’article des trois révélations accessibles à l’esprit astral et au plus haut degré d’une raison affinée. On en aura des exemples frappants dans les Illuminés d’aujourd’hui, dont je vais parler.
81 Éphés. 6. v. 12.
82 Deuter. 29.
83 Job 15. v. 15.
84 On verra plus bas une note sur l’affaire des magiciens d’Égypte avec Moïse.
85 Éphés. 2. v. 8.
86 2. Corinth. 11. v. 14.
87 Je dis ici par anticipation que celui dont les yeux ont été oints du divin collyre (1. Jean 2. v. 19) voit dans l’Écriture Sainte la plus étonnante et même la plus extatique scène ; toutes les merveilles et toutes les beautés de l’univers lui sent dévoilées ; il voit l’harmonie, la marche constante, la plénitude et la concrétion de ce grand Tout : il voit le tronc, la racine, les radicules mêmes, l’arbre de l’être, ses rameaux, ses feuilles, ses fruits, les faces, les aspects, les descendances et leurs degrés, les êtres supérieurs, les invisibles, les visibles, les cieux et la terre, les rapports, les buts transcendants ou relatifs de leur existence, la raison des causes et des raisons unies par une indissoluble chaîne, depuis l’atome jusqu’au Verbe qui a tout créé. Il voit l’univers gouverné par la justice ; les causes efficientes inséparables des finales ; toute cause être raison, et toute raison être cause à son tour ; et ces causes et ces raisons entrelacées. Que les vrais philosophes m’entendent ; cette théorie est démontrée par le fait et, pour qui sait la comprendre, par tout autant d’êtres qui existent.... Et c’est ce qui montre l’intelligence et la sagesse infinies de celui qui a tout créé. C’est ce que Leibnitz et ses sectateurs ont dit de plus beau et de plus vrai, dans leur grand principe de la Raison suffisante, mais ils ne l’ont pas expliqué assez nettement, selon moi. Chaque cause est raison d’un autre être, et chaque raison est cause à un autre égard.
88 Matth. 24.
89 Pour plus de clarté encore dans un sujet si délicat et où il est si facile de se méprendre, j’ajouterai à ce que j’ai dit plus haut, sur la différence de ce qu’on appelle la raison et de l’esprit astral, que la première est plus du ressort des sens, de l’imagination et de la mémoire qui lui transmettent ses magasins, et avec lesquels son action est si souvent en commerce et, pour ainsi dire, à frais communs. L’autre (l’esprit astral) dépend davantage d’une abstraction qui le concentre en lui-même et qui lui donne la capacité et la possibilité de recevoir passivement les images, indépendamment des sens, etc., dont l’opérer est suspendu. L’esprit est alors comme un miroir qui reçoit l’image, et cette image ou ces images qui s’y peignent réveillent en lui une tectonicité ou fécondité interne, durant que toutes ses autres facultés sont en suspension ou abstraction, et ne brouillent en rien ces images astrales. Ces moments ou ces circonstances sont comme une extase astrale qui est d’un degré inférieur et plus impur que les extases occasionnées par l’esprit de Dieu en certains Saints ravis en abstraction et hors d’eux-mêmes dans ces intervalles d’extase pure, pour être concentrés dans la lumière de l’esprit de DIEU. Or l’esprit astral, qui est de tous les degrés inférieurs, produit analogiquement les mêmes effets, mais plus ou moins impurement, et est, dans ces moments de suspension, une imitation en rapport inférieur des vraies et pures extases des Saints. C’est là, comme on verra l’origine des prophéties astrales des Païens ; c’est la cause du Somnambulisme, etc. Or, ce qu’on appelle la raison commune n’est point cela. Elle est un sens rassis, allumé à la vérité, par le même esprit astral, mais ce sont les sens qui sont l’occasion de cet allumement ; le jeu de l’esprit astral est différent, c’est une abstraction du sens et une interruption de commerce avec lui.
90 Apocal. 2. v. 24.
91 Matth. 7. v. 22.
92 Ce que je dis de Schoupach est très-vrai. Ceci tient, en un sens, aux hémoïoméries, ou parties similaires des anciens philosophes. Ceux qui n’y entendent rien, disaient qu’il faudrait lui donner des élèves à former. Il aurait été nécessaire, pour cela, de leur donner ses yeux et la force de sa vision. Les médecins ordinaires, et même les plus habiles ou les moins ignorants, ne peuvent pas discerner par les urines, au bout d’un certain temps ; et lorsqu’elles sont brouillées, ils les font jeter comme inutiles, en moins de vingt-quatre heures. C’est un fait que Schoupach y voyait au bout de plus de huit jours et y lisait exactement le siège et la nature de la maladie, sur le fond éthéré, ou astral, ou primitif de l’urine. Il est aussi des hommes qui, par le sentiment éthéré plus affiné, ou esprit astral, savent voir les lieux où il y a des eaux souterraines, et font creuser dans ces en droits, quoiqu’il ne paraisse rien à la superficie et que les yeux vulgaires n’y découvrent rien.
93 Matth. 4. v. 9.
94 Il ne faut jamais oublier qu’en même temps que Jésus-Christ est le vrai Dieu, il est homme, et qu’en lui les deux natures, quoique distinctes, sont infiniment inséparables. Il avait sur la terre tous les attributs, facultés et qualités de l’homme, hypostatiquement unis avec sa Divinité. Mais, quoiqu’en lui ces attributs, facultés, ou qualités fussent de la pureté la plus parfaite et aussi saintes qu’il est possible ; elles avaient chacune le ressort ou la force qui lui est propre, et il les avait toutes telles qu’elles sont en l’homme, excepté le péché. Il avait l’esprit allumé par l’Esprit infini, la mémoire, l’imagination, les sens internes, la volonté, etc., comme autant de vases purs et saints, mais qui pouvaient, en l’homme-DIEU, recevoir et s’exercer chacun, selon sa nature, selon les besoins, ou selon qu’il le jugeait à propos.
D’après ce court exposé, si l’on est curieux de comprendre en quelques traits de la vie de notre Seigneur, en tant qu’homme, comment plusieurs choses s’exécutaient en lui ; on n’a qu’à s’en rappeler deux parmi le grand nombre. Le premier, c’est lorsqu’il envoya ses Disciples (Matth. 21. v. 2. et 3) chercher l’ânon qu’il voulait monter pour faire son entrée triomphante à Jérusalem ; et la seconde, lorsqu’il leur ordonna d’aller (Matth. 14. v. 13-15) préparer la chambre haute où il voulait célébrer l’auguste Cène avec eux. Il ne voyait pas de ses sens extérieurs ces objets qui n’étaient pas à leur portée, mais ils se peignaient purement dans sa très-pure imagination, et il les y voyait comme s’ils eussent été présents ; chaque faculté de l’homme, en Lui, faisant, selon sa nature propre et particulière, la fonction qu’il voulait, ou en pâtissant, ou en agissant. Je n’ai pas besoin d’étendre ces idées ; un Lecteur intelligent les comprendra très-bien, en verra la fécondité, et peut les appliquer à tous les cas analogues et à toutes les facultés de l’homme-DIEU en tant qu’homme. Et, je le répète, c’est dans son imagination que, par un mystère d’abaissement infiniment adorable, l’ennemi eut permission de peindre tous les Royaumes du monde et leur gloire, et de lui en présenter la miniature et la peinture réduite.
95 C’est ici que viendrait à propos l’histoire de Moïse et des Magiciens d’Égypte qui, trois fois imitèrent ses miracles. La verge de Moïse engloutit leur verge, et la verge est le signe de la puissance. Moïse fit ses dix miracles sur les cieux purs, par la force de DIEU qui y domine ; et les Magiciens firent les trois prodiges imitateurs sur les cieux astraux, où l’ennemi peut exercer sa puissance. Car il faut savoir que les cieux astraux sont en analogie des cieux purs, et peuvent, selon une certaine quantité, opérer les mêmes choses. Je l’ai éclairci et démontré dans un autre ouvrage ; et dans celui-ci, j’en dis assez pour qu’on me comprenne, et pour établir et vérifier cette théorie. Seulement j’ajouterai que l’ennemi a le pouvoir de montrer, par ses prodiges, les raisons contraires qui font, pour un temps, exception à la vérité totale. Il y avait trois raisons pour que le peuple ne sortît pas d’Égypte, et dix raisons d’en sortir. Trois grains dans un bassin de balance, contre dix dans l’autre. Et DIEU, devant qui rien ne se perd et qui divise par une justice infinie les quantités morales, permet que ces trois raisons inférieures soient soutenues par les prodiges de l’ennemi, avant d’être englouties par les dix. Comme on voit que dans une balance trois grains empêchent un instant les dix de l’autre bassin de monter aussi vite que s’il n’y avait aucun grain de l’autre côté. J’ose assurer que ce que je dis ici est de toute vérité, et que je n’en impose point au Lecteur. Ces quantités de vérités ne sont que le mensonge quant à la vérité totale du cas donné ; mais, par permission de Dieu, l’ennemi a le pouvoir et même le droit de les présenter et les mettre en ligne de compte par ses prodiges, jusqu’à ce que la complète et totale vérité commence à surcharger et à être victorieuse. Aussi Jamnès et Jambrès, ne pouvant aller au-delà des trois prodiges imitateurs, s’écrièrent : c’est ici le doigt de DIEU. Voilà les bornes de l’ennemi ; il ne pouvait plus continuer à en imposer par ses prestiges astraux et imitateurs, parce que la vérité commençait à écraser ses mensonges.
96 Ps. 54. v. 5, et 59. v. 4.
97 Ibid. 91. v. 1.
98 Quoique dans ma route toute simple, uniquement appuyé sur la foi et la confiance aveugle en Jésus-Christ, l’abandon en ses divines mains me suffisant, je ne donne pas dans ces choses extraordinaires et dans ces routes de lumière ; je suis persuadé que c’est le moment où bientôt on verra paraître des livres de ce genre, qui étonneront en ouvrant et rendant accessible le palais des célestes vérités, et d’une manière si démonstrative pour tous les incrédules que leur obstination sera vaincue et qu’ils ne pourront pas se refuser à l’évidence et, malgré eux-mêmes, seront forcés de croire la religion et tout son enchaînement contenu dans nos livres Divins ; et ce fera à eux à en faire leur profit, pour donner gloire au VERBE, qu’ils méconnaissent, en entrant dans les vues de ses infinies miséricordes, qui voudraient sauver tout le genre humain, rappeler les brebis perdues, qui les cherchent partout, qui épuisent tous les moyens, et qui ainsi, dans ces temps malheureux, dévorés par la plus affreuse incrédulité, ouvrent cette nouvelle économie de lumières pour opposer spectacle à spectacle, et servir d’antidote contre cette universelle incrédulité qui nous annonce de proche en proche les avant-coureurs de la fin, selon ce qui est dit (Luc 18. v. 8). Quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il de la foi sur la terre ? Oui, voilà ce que l’on verra dans peu, selon moi, et je crois pouvoir l’annoncer.
99 Habac. 2. v. 4, et Rom. 2. v. 17.
100 Jérém. 10. v. 23.
101 Qu’on lise surtout la belle explication qu’elle donne sur les chapitres 17, 18 et 19 du troisième Livre des Rois, selon la Vulgate et selon les Bibles protestantes, du premier Livre des Rois, qui contient l’histoire du prophète Élie ; explication où elle montre la différence de ces deux routes, avec la dernière clarté ; et tout en assignant à celle des pures lumières sa valeur, elle fait voir la suréminence de celle de la Foi, à quelque haut et parfait degré qu’on soit parvenu dans cette route de lumières.
102 Coloss. 3. v. 3.
103 Coloss. 3. v. 14.
104 1. Jean 4. v. 1.
105 Voyez surtout Deutér. 13. v. 1, 2 et 3 ; et alibi multoties.
106 Genèse 17. v. 1.
107 1. Jean 2. v. 19.
108 Matth. 12. v. 39.
109 1. Corinth. 1. v. 22.
110 Rom. 8. v. 27.
111 Proverb. 1. v. 31.
112 Ecclésiast. 12. v. 1.
113 Isaïe 6. v. 3.
114 2. Corinth. 11. v. 14.
115 Genèse 21. v. 13 et 18.
116 Id. Ibid. v. 21.
117 Genèse 27.
118 Genèse 35.
119 Genèse 21. v. 10, 11, 12 et 13.
120 Galat. 4. v. 22. et suiv.
121 Genèse 49. v. 25.
122 Que si le Lecteur désirait pourtant que je lui levasse encore un petit coin du rideau qui voile ces théories très-profonde, je lui alléguerais le passage très-mystérieux du Cantique des Cantiques, chap. 6. v. 8. Qu’il y ait soixante reines, quatre-vingts concubines et des vierges sans nombre. Tel est le passage, et il contient une recension, ou catalogue des membres de l’Église universelle et répandue partout, membres plus ou moins purs, divisés en trois classes ; au lieu que la vraie Église, toute pure et sainte, désignée au vers suivant, est la Colombe et la parfaite, et, comme on peut le voir dans le passage même, infiniment supérieure aux trois autres ordres, qui par leurs louanges et l’éloge qu’ils en font, confessent et célèbrent sa supériorité..... Je pourrais là-dessus jeter de grandes lumières, et toutes vérifiées dans l’Écriture, mais ce n’est pas mon but, et j’allongerais trop. Seulement on peut comprendre, par rapport à Mahomet et à Agar, que les concubines ont aussi leur espèce de privilège inférieur et à temps, avant que la légitime Épouse ramasse tout et que tout vienne s’y rendre.... Ésaïe 60. Apoc. 21.... Ô mystère ! adorable mystère.... pour qui sait l’entendre.
123 Apoc. 22. v. 20.
124 Ibid. v. 11-15.
125 Il faut se rappeler ici ce que j’ai établi dans le premier Livre.
126 Genèse 1. v. 27 et 28.
127 Hébr. 1. v. 3.
128 Jean 17. v. 12.
129 Matth. 3. v. 17.
130 On comprend que je parle ici et collectivement de tous les morphismes répondants à tous les globes, et qui sont peints supérieurement dans le VERBE Créateur, et singulièrement de l’image de l’homme, qui, dans ce VERBE infiniment adorable, est l’un de ces morphismes. Les autres morphismes ne nous regardent pas, ou ne nous regardent qu’indirectement, quoiqu’insinués dans l’Écriture, pour qui sait lever un coin du rideau qui les voile.... Je ne parle pas ici des systèmes planétaires.... Outre les longueurs où une telle discussion me jetterait, elle serait trop profonde pour le présent propos.
131 Actes 17. v. 28.
132 L’idée que je ne fais que jeter en bref dans ce chapitre est d’une fécondité, pour ainsi dire, immense, ouvre la plus vaste et la plus divine scène, et offre à la méditation du vrai philosophe, et à la sainte curiosité du Chrétien également, un trésor inépuisable des plus simples, des plus sûres et des plus sublimes vérités. J’ose assurer que des milliers de volumes ne suffiraient pas pour présenter cette divine théorie, toute contenue dans l’Écriture Sainte en tous ses détails. Et on pourrait, en quelque sorte, appliquer ici, à la vérité, dans un sens inférieur, le beau mot par lequel l’Apôtre St. Jean termine son Évangile, mot très-peu compris, et dont la profondeur est infinie, comme j’espère le montrer quelque jour : (Jean 21. v. 25) Que le monde entier ne pourrait pas contenir les livres qui donneraient le détail des choses que Jésus a faites ; mot, enfin, littéralement vrai, sans exagération, sans exception, et dans le sens le plus universel et le plus précis, puisque, pour le dire en bref, c’est le Verbe-DIEU infini, éternel et humanisé dans le temps qui a fait sortir du néant par degrés toutes les créations de tous les globes, de tous les univers, de tous les êtres successifs et co-existants, dès le moment simple de l’Éternité antérieure : Qui poterit capere capiat. Je n’indique que ce seul sens, mais il en est bien d’autres.... Le VERBE-DIEU a éternellement travaillé avec l’homme, son Fils et l’un de ses Prototypes. Mon Père travaille jusqu’à maintenant, et je travaille aussi. L’univers créé en est soutenu et conservé. Je le répète : j’espère donner là-dessus une philosophie pleinement démontrée qui ouvrira des vérités jusqu’ici ou ignorées ou peu envisagées.
133 Un Lecteur sourcilleux trouvera peut-être que je m’appesantis et reviens trop souvent à l’idée de l’image du VERBE-DIEU gravée en l’homme, et à celle de Jésus-Christ habitant et demeurant dans le Chrétien.
J’ai à lui répondre : 1°. Que je lui fais grâce (pour lui épargner des longueurs, malgré l’extrême importance d’un si beau sujet) d’une infinité de traits et de points de vue qu’une matière si féconde peut ouvrir à la méditation comme le champ à parcourir le plus vaste et le plus divin. 2°. Que comme cette vérité, qui en contient d’autres à l’infini, est le pivot, la base de toute religion et de toute vraie et solide doctrine, que d’ailleurs elle est oubliée, bannie et presque totalement abandonnée dans nos temps malheureux, il serait bien à propos d’y appuyer, de la présenter plus d’une fois, et sous toutes les faces et les aspects sous lesquels on pourrait l’envisager : ce que je n’ai pourtant point fait, me contentant de mettre le Lecteur à la piste et, sans suivre la trace de toutes ces vérités, me bornant à des idées vagues et universelles. 3°. Que je ne donne du particulier que dans ce chapitre et sur un seul trait pour tous ; parce que le tour que j’y prends m’a paru présenter ce trait d’une manière assez nouvelle.
134 Jean 1. v. 1.
135 Jean 1 et alibi multoties.
136 Coloss. 1. v. 16-17.
137 Psaume 33. v. 6.
138 Idem, v. 9.
139 Psaume 57. v. 9.
140 Genèse 1. v. 3.
141 Matth. 5. v. 36.
142 1. Jean 3. v. 2.
143 2. Pierre 1. v. 4.
144 1. Corinth. 3. v. 6.
145 1. Ibid. v. 18.
146 Rom. 10. v. 17.
147 Genèse 11. v. 7.
148 Jean 8. v. 44.
149 Jaques 3. v. 5.
150 Apocal. 5. v. 1.
151 Apocal. 3. v. 18.
152 J’assure ici, et j’atteste avec vérité et sans crainte d’avoir à en rougir un jour, et pour donner un seul exemple entre tous ; j’atteste, dis-je, qu’il n’y a pas un seul être dans l’univers physique, pour inférieur, vil et dégradé qu’il soit, non pas même la plus chétive plante, qui n’ait un trait, infiniment manqué il est vrai, mais toutefois un trait et une empreinte sûre de la TRÈS-SAINTE TRINITÉ ; et même qui ne démontre par son existence et sa manière d’être que c’est UN DIEU TRINUN qui l’a fait sortir du néant. Tout être dans l’univers porte cette marque, par cela même qu’il a l’être, et tout ce qui est sorti du néant le confesse et le montre à sa façon.
153 Psaume 58. v. 6.
154 Act. 14. v. 17.
155 Ésaïe 9. v. 1.
156 Rom. 1. v. 19.
157 Act. 17. v. 23.
158 Il n’est proprement point de sagesse dans le DIEU infini, envisagé comme seul en abstraction, et non comme Créateur. L’infini est à lui-même son infinie sagesse, il est à lui-même sa fin et son moyen ; il est au-dessus de toute sagesse, infiniment élevé au-dessus de toute sagesse et de tout ce que nos faibles esprits peuvent concevoir, définir et nommer ; mais de cet infini sort la sagesse originale, qui contient, qui comprend en soi toutes les sagesses particulières, appliquées et employées aux besoins des créations et selon les temps, les changements des êtres, les variations dans l’univers, les circonstances, les mêmes ou différentes, les rapports et le jeu des parties. Ainsi, cette sagesse originale, incréée, mais émanée de l’infini, dans l’instant simple, sans succession, sans séparation, sans division, sans suspension de moments, toujours coulant de l’infini, sans discontinuité, en flux éternel ; cette sagesse est tout-à-la-fois dans un éternel repos et une éternelle action. En elle-même, elle est dans un repos du tout imperturbable ; émanant de l’infini, elle a en lui sa racine, son immuable base ; mais sans sortir de ce repos central, son infinie fécondité, son intelligence, sa puissance productrice agit, réagit dans l’univers, avec une mobilité infinie. Du fond de ce repos, fort au-dehors, l’action une, totale, universelle, qui meut toutes les actions particulières de tous les agents en sous-ordre, créées pour tenir leurs places dans cet univers, et qui animant toutes les parties de ce grand Tout, le dirige, le conserve, le soutient, le varie, le combine, amène, détruit, tue, vivifie, suit les changements, les dégradations mêmes des agents moraux, pour varier et approprier son action à tous ces changements.
159 Apocal. 13. v. 8.
160 Hébr. 5. v. 6.
161 2. Corinth. 4. v. 4. et suiv.
162 Actes 26.
163 Psaume 19.
164 Apocal. 10. v. 11.
165 Ps. 31. v. 21.
166 Deutér. 33. v. 15, et Genèse 49. v. 26.
167 2. Cor. 4. v. 6-7, et Coloss. 2. v. 3.
168 Prov. 23. v. 26.
169 Eccles. 12. v. 1.
170 Jérémie 13. v. 16.
171 Pour plus ample explication sur ce que j’appelle dans le VERBE la gloire interne et la gloire externe, ou, ce qui revient au même, la gloire essentielle et la gloire accidentelle ; je dis : 1°. qu’elles sont toutes deux marquées dans l’Écriture. Job dit : (Job 22. v. 2) L’homme apporterait-il quelque profit au DIEU fort ? et David : (Psaume 16. v. 2) Mon bien ne va pas jusqu’à toi. Sans compter une infinité d’autres passages qui désignent cette gloire en elle-même infinie, indépendante, toujours la même, et non susceptible d’augmentation et de diminution, puisqu’elle est en soi infinie.
2°. Mais d’un autre côté, St. Paul dit : (1. Corinth. 6. v. 20) Glorifiez Dieu en vos corps et en vos esprits, etc., et Jérémie : (Jérém. 13. v. 16) Donnez gloire au Seigneur votre Dieu, avant que les ténèbres viennent, etc. Je ne cite que ces deux passages sur une infinité.
3°. Ainsi, ces deux derniers passages montrent que les créatures peuvent augmenter ou diminuer, non la gloire essentielle, invariable, mais la gloire extérieure ou accidentelle ; et c’est à quoi sont appelé tous les êtres créés, chacun selon ses facultés, sa place et sa nature. Les physiques par leur existence même et le bel ordre, l’admirable ensemble et les rapports qui sont entr’eux. C’est pourquoi le Roi-Prophète, dans presque tous ses Psaumes de louange, y invite tous les êtres de l’univers, depuis les plus hauts jusqu’aux plus vils.
4°. Mais c’est surtout les êtres moraux qui peuvent et doivent donner gloire au VERBE, créateur d’une façon plus éminente et plus particulière ; et c’est à quoi ils sont singulièrement appelés, par la raison claire et indubitable que leurs facultés y concourent, en sont capables et leur ont été données dans ce but ; vu qu’ils ont la connaissance intuitive des œuvres admirables du VERBE ; et que même, en lui donnant gloire, chacun selon sa capacité, ils se glorifient eux-mêmes en répondant aux fins de leur existence.
5°. C’est dans ce but que le VERBE a créé pour manifester, non sa perfection en elle-même infinie, qu’aucun être fini ne peut connaître toute entière, mais les perfections particulières, sainteté, sagesse, bonté, justice, etc., qu’il a étalées dans la création.
6°. Car remarquez que la gloire externe dépend de la louange, et la louange de la connaissance qu’a celui qui loue des perfections relatives et proportionnelles à cette louange, qu’il sait être dans l’objet loué. Ainsi, le VERBE doit être loué, suivant la manifestation qu’il nous a donnée de lui-même, dans les trois miroirs dont je parle, et dans les noms qu’il a pris dans l’Écriture sainte.
7°. La louange dépendant de la connaissance de l’objet louable, plus cet objet est louable, et plus il doit être loué. Ainsi la louange de l’homme pour le VERBE doit être sans bornes et épuiser toutes ses facultés, son admiration et son amour. Mais ce ne serait encore qu’une louange de fourbe et d’hypocrite, et ce que l’Écriture appelle la louange des lèvres : (Matth. 15. v. 8) Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est bien loin de moi, si cette louange n’emportait pas aussi la soumission de la volonté, à raison du néant de la créature et de la supériorité infinie du VERBE-DIEU, et pour l’homme VERBE-DIEU et homme, et l’obéissance à ses lois, sans quoi les actes démentiraient l’encens qu’exhale la bouche, et seraient en une absolue et monstrueuse contradiction avec la connaissance que ce Verbe a voulu donner à l’homme de lui-même ; et c’est le triste cas de la plupart des hommes.
8°. Et, pour revenir, c’est ainsi qu’on peut, qu’on doit et qu’il faut bien distinguer la gloire essentielle et la gloire accidentelle, sans quoi on donnerait (comme cela ne s’est que trop fait par de petites cervelles et de faux docteurs) dans la confusion et en d’affreuses erreurs et hérésies.
172 Hébr. 1. v. 4.
173 Luc 17. v. 21.
174 Ce royaume de DIEU, encore qu’il ne soit en l’homme, gravé qu’en miniature, peut être d’une étendue infinie, et contenir les plus grands et les plus nombreux mystères, dès qu’il est question d’un DIEU et de son image en miniature, germe heureux et divin, semblable et infiniment plus à un pépin qui renferme une infinité d’arbres de la même espèce.
175 Coloss. 1. v. 26.
176 Apocal. 1. v. 1.
177 Coloss. 1. v. 26.
178 Apocal. 3. v. 20.
179 1. Rois 19. v. 11 et 12.
180 Apocal. 3. v. 20.
181 Jean 6. v. 63.
182 1. Cor. 3. v. 22.
183 Rom. 10. v. 8.
184 Deuter. 30. v. 14.
185 Matth. 25. v. 6.
186 Timoth. 3. v. 16.
187 Jean 14. v. 1.
188 Jean 14. v. 22, 23.
189 Jean 15. v. 5.
190 Galat. 2. v. 19.
191 Coloss. 3. v. 10.
192 Ps. 144. v. 5.
193 1. Jean 2. v. 16.
194 Act. 16. v. 14.
195 Genèse 18. v. 21.
196 2. Corinth. 6. v. 16.
197 1. Corinth. 3. v. 16 et 17.
198 Lévitique 26. v. 11 et 12.
199 Jean 17. v. 11.
200 1. Corinth. 15. v. 28.
201 Apocal. 5. v. 13.
202 Remarquez ici ce qui vous donnera une clef pour entendre un très-grand nombre de passages sur le VERBE, ou l’HOMME-DIEU, représenté dans l’Écriture, et quelquefois même, dans le même verset, comme le DIEU éternel et comme homme faible, comme DIEU au-dessus de tout et comme homme abaissé et souffrant ; vous en avez entr’autres un grand exemple dans Hébreux 1. v. 3, où il est montré tout-à-la-fois comme le DIEU suprême et comme DIEU-homme, expiant et rachetant. C’est ce mélange, infiniment beau et infiniment vrai, qui a tant donné à tordre à une raison aveugle ; c’est en partie ce qui fait les incrédules, et que ce qui devrait les fondre d’adoration et d’amour est, à cause de l’orgueil de leur esprit frappé d’aveuglement, l’occasion et l’objet de leurs dérisions sacrilèges, au lieu de l’être de leurs adorations, de leurs louanges, de leurs connaissances et de leur amour. C’est aussi ce qui a fait éclore tant d’affreuses hérésies, qui par la plus blasphématoire impiété, dégradent ce VERBE vrai DIEU et vrai HOMME. La raison corrompue regimbe, se débat en furieuse contre cet à jamais adorable mystère.
203 1. Pierre 5. v. 5.
204 Ésaïe 55. v. 8.
205 Ésaïe 6. v. 2.
206 Ésaïe 14. v. 13, et Éphés. 6. v. 16.
207 Rom. 2. v. 5.
208 Psaume 51. v. 6.
209 Matth. 20. v. 15.
210 Ésaïe 55. v. 8 et 9.
211 Voyez le Vedam des Indiens, le Zenda-Vesta, ou Zend-Avesta de Zoroastre, et outre un très-grand nombre d’ouvrages qui entrent dans le sujet et qui justifient ce que je viens de dire : Tobia Pfanneri systema Theol. Gentilis, Basilea 1679, 4to. Quoique d’ailleurs cet ouvrage ne soit rien moins qu’approfondi et nullement de l’étendue donc il était susceptible ; il y manque un grand nombre de passages très-essentiels, lesquels devaient naturellement y entrer, ce qui rend ce recueil très-superficiel. Mais tous ces beaux livres des Païens, au bout du compte, ne sont que des connaissances astrales, et n’ont rien de beau et de bon que par la raison que les connaissances astrales sont en analogies certaines (quoiqu’inférieures et mélangées) avec la toute haute, pure, sainte et transcendante vérité, qui ne se trouve toute entière et dans cette parfaite pureté que dans nos livres saints. Ils ont eu des lumières très-brillantes, mais toujours enveloppées d’ombres et d’erreurs à côté.
212 C’est par et à cause des rapports perpétuels qu’il y a du physique au moral ; du physique grossier au physique glorieux, du physique glorieux au spirituel, du spirituel au céleste, et du céleste au divin, qu’ils ont connu tout ce qui se peut connaître de DIEU ; tellement que les cieux répondent à la terre, et la terre aux cieux, et que celui qui, exempt de l’orgueil de l’esprit, et avec un cœur docile et pur, contemplerait ici bas les phénomènes de la terre, y verrait les cieux même et tout ce qui s’y passe, par un rapport et une analogie aussi parfaite que peut avoir le grossier avec le spirituel ; mêmes linéaments, mêmes traits. Comme on voit un portrait répété mille fois ; c’est le même portrait, mais peint sur une base qui, plus ou moins vile, fait la seule différence.
213 2. Thessal. 2. v. 7-12, et alibi multoties.
214 Rom. 2. v. 14.
215 2. Corinth. 4. v. 3.
216 Matth. 12. v. 41.
217 Ibid. 8. v. 11.
218 2. Corinth. 5. v. 16.
219 Rom. 8. v. 14.
220 Remarquez qu’il fait consister uniquement et indépendamment de tout le reste la filiation Divine et le glorieux titre d’enfants de Dieu, dans la seule motion de son esprit et la fidélité à cette motion.
221 Jean 4. v. 21.
222 C’est ici que l’on pourrait alléguer en preuves une infinité de morceaux des sages Païens anciens et modernes. De Pythagore et des Gymnosophistes, du Chinois Foë et d’un grand nombre d’autres, dans tous les temps et pays de la Gentilité. La plupart de ces morceaux, faits presque pour exciter l’admiration, sont imprégnés, teints de l’esprit du Christianisme ; ils mènent l’homme comme par degrés à la régénération et à la nouvelle naissance ; je l’ai plus d’une fois vérifié moi-même. Peut-être citerai-je quelque part dans cet ouvrage des morceaux de doctrine de ces anciens Sophis, qui par la seule idée de Dieu, métaphysiquement ou philosophiquement envisagée, se sont élevés jusqu’à la théorie et à la pratique de son pur amour, absolument exempt de tout intérêt propre ; ont donné des directions qu’on pourrait appeler Divines et faites pour couvrir également de honte tous nos Déistes modernes et cette infinité de prétendus Chrétiens parmi nous qui n’en ont que le nom et qui sont pires, actuellement même, que la masse des Païens. J’en donnerai peut-être une preuve sur la fin de cet ouvrage, par des citations de cette profonde doctrine des Sophis de Perse, comme un seul exemple pour tous.
223 Act. 4. v. 12.
224 Apocal. 5. v. 9.
225 Luc 12, et Matth. 12. v. 31, 32.
226 Matth. 6. v. 22.
227 Matth. 20. v. 16.
228 1. Corinth. 13. v. 1, 2.
229 Remarquez que, dans ce temple mystérieux, il n’est pas jusqu’à la plus petite partie, pas la moindre circonstance ou particularité, qui n’ait tout-à-la-fois un grand nombre de sens et de significations très-mystérieuses et très-profondes ; en analogies et en rapports les plus précis et les plus parfaits avec l’Église triomphante de là-haut et l’Église universelle militante d’ici-bas, et particulièrement de tout ce qui se doit pratiquer et expérimenter, de même que de tous les états à passer par le vrai Chrétien, avant que d’être admis dans la céleste Sion et les tabernacles éternels.
230 On voit encore cette distinction très-bien marquée dans cet épithalame céleste où le plus sage des Rois célèbre le mariage de Jésus-Christ avec son Église, et où il fait en même temps la recension de toutes les classes dont est composée l’Église universelle, et visible et invisible : (Cant. 6. v. 8) Qu’il y ait soixante reines, quatre-vingts concubines et des vierges sans nombre. Voilà donc tous les membres de l’Église rangés sous 3 classes. La première, les reines, sont les âmes saintes les plus éminentes, dans l’Église invisible et visible dans les anciens justes avant Jésus-Christ, et visible et invisible depuis sa venue ; âmes les plus saintes du vieux et du nouveau Testament. Du vieux, par la force rétroactive du sacrifice (Apoc. 13. v. 8) de l’Agneau immolé dès la fondation du monde, dont l’immolation leur a valu son Esprit déjà avant sa venue. En un mot, ce sont les âmes les plus justes de l’ancienne loi, lesquelles figuraient notre Seigneur, et, depuis son sacrifice sur la croix, les âmes les plus saintes, qui l’expriment dans l’Église Chrétienne.
Elles sont appelées reines à deux égards : 1°. Parce que par la mortification des passions et de la propriété, dont la chute a infecté la nature humaine, sorties ainsi de cet esclavage dur et tyrannique, elles sont devenues reines sur elles-mêmes ; indépendantes et supérieures au monde et à la nature, propre et maligne. 2°. Parce qu’ayant vaincu en elles le moi et la fausse liberté des passions et de la nature, leurs volontés étant soumises à la volonté de Jésus-Christ, et étant mues sans obstacle par la force de l’Esprit saint, qui est devenu leur vie et leur action, elles sont ainsi entrées dans la liberté des enfants de Dieu, qui est la seule vraie, selon ce qu’a dit le Seigneur : (Jean 8. v. 36) Si le Fils vous affranchit, vous serez véritablement libres, et encore la vérité où elles sont mises vous affranchira. Et ainsi elles règnent avec Jésus-Christ, étant unies avec lui. Et c’est dans ce sens que les Chrétiens sont appelés Rois, régnant en effet sur le péché, sur le monde et sur eux-mêmes. C’est ce qu’exprime le Cantique nouveau des Saints consommés : (Apoc. 5. v. 10) Tu nous as faits Rois et Sacrificateurs à notre Dieu, et nous régnerons sur la terre. Ainsi, ces âmes suréminentes en grâce sont vraiment reines ; ce sont les plus saintes de l’Église de Dieu.
Dans la seconde classe viennent les concubines. Une concubine est aimée d’un dont elle n’est pas la vraie et légitime épouse. Or qui ne voit au premier coup d’œil que ce sont ces âmes qui, d’ailleurs inférieures aux reines, sont des saintes hors de l’Église extérieure, laquelle, dans le sens inférieur et littéral, est la légitime épouse ; car dans le vrai sens, l’Église véritable est intérieure, et est composée des membres fidèles à la motion de l’Esprit saint ; au lieu que l’Église extérieure n’est point proprement la toute pure et sainte Église, vu qu’elle est mélangée des bons et des mauvais, des fidèles et des méchants.
Les concubines, donc, sont les âmes qu’on pourrait en quelque sorte appeler saintes, quoique nées et vivantes hors de l’Église extérieure. Elles ne sont ni dans l’Église, ni hors d’elle ; elles n’y sont point, vu qu’elles ne sont pas épouses légitimes, mais concubines seulement ; et elles y sont car elles sont comprises dans la recension que l’Esprit saint, qui ne peut mentir, fait des membres de l’Église entière dans ce verset du Cantique, et que d’ailleurs elles ont l’esprit de l’Église. Ainsi, ces concubines, quoique engagées par leur naissance hors de l’Église extérieure, peuvent être dans l’Église invisible ; oui, même, comme on l’a vu, sans avoir jamais explicitement, et selon la lettre, connu notre adorable Sauveur. Elles ont eu cette lumière primitive jetée sur leur berceau (ou plutôt gravée sur leurs cœurs) (Jean 1. v. 9), qui éclaire tout homme venant au monde, pour servir de contrepoids à la tare de notre origine et à la pente au mal qu’elle nous injecte, et ainsi pouvant, par cette lumière, être remises en équilibre et capables de choix, puis être fidèles à cette lumière et à leur conscience naturelle ; et, en suite de cette fidélité, être amenées à cet esprit de régénération qui fait les hommes nouveaux, et qui, à cause de la force infinie de la rédemption, peut se donner aux Païens même, et corriger ainsi intérieurement l’accident extérieur ou la circonstance locale de leur naissance. Et lorsque j’ai dit que la vraie Église est invisible et visible, cela est clair par soi-même ; puisque cette Église consiste dans la motion du St. Esprit, qui met l’amour de DIEU dans le cœur.
Je ne parle pas des Vierges dans cette note, vu que ce n’est pas mon but d’en traiter ici, non plus que de la Colombe, l’unique et la parfaite, qu’on voit aussi dans ce passage, et qui désigne l’Église universelle toute entière, composée des trois ordres dont on vient de parler. Je n’ai entendu parler ici proprement que des Concubines, qui sont le point de vue relatif à ce chapitre.
231 Il ne faut pas se figurer que tous les incrédules soient somnambulistes ; car il en est qui ne retiennent pas même assez de fausse religion pour l’être. Il en est d’autres qui le sont en tout et qui, dans leur ignorance, ne peuvent croire qu’il y ait du réel en ces phénomènes et s’en moquent. D’autres les sifflent sans savoir pourquoi, d’autres les mécroient, à raison des friponneries qui se mêlent dans ce domaine sous-astral et des fourberies que des imposteurs y ajoutent ; ce qui le leur fait suspecter de faux et d’illusions tout entier. C’est ainsi que de célèbres fripons, comme Cagliostro Note de Biblisem : Cagliostro a été l’homme le plus calomnié de son temps, ce que l’auteur ne savait manifestement pas au moment où il a écrit cette note. C’est en effet beaucoup plus tard que la lumière a été faite au sujet de cette figure déconcertante contre laquelle les passions se sont injustement déchaînées. Pour avoir un portrait fidèle de l’homme, la meilleure source est le livre Cagliostro le Maître inconnu, de Marc-Haven, Mesmer et autres, ont trahi leur propre cause par les impostures qu’ils y ont mêlées, et qu’on a démasquées et prises sur le fait. Mais qui le croirait ? Il est de ces incrédules qui sont arrivés à une sorte de croyance, très-inférieure à la vérité, par le somnambulisme même, et pour avoir vu dans l’Écriture la description de ces étonnants phénomènes, qui excitent tant la curiosité, sans y voir en même temps, ou sans vouloir y remarquer que cette même Écriture, qui en fait en tant d’endroits la description, ne l’y fait que pour qu’on s’en défie et pour leur dresser l’anathème. Leur curiosité s’en tient aux descriptions et ferme les yeux pour ne point remarquer les foudres qui y sont lancées contre ces séduisantes pratiques. D’ailleurs, si je m’adresse ici à quelques-uns de ces Déistes en qualité de somnambulistes, on comprend que c’est pour faire, comme on dit trivialement, d’une pierre deux coups, c’est-à-dire, pour donner encore un coup de fouet à ces prestiges, tout en montrant l’une des grandes raisons pour lesquelles les nations de Canaan ont été chassées par l’ordre de DIEU, et réfutant ainsi cette objection des incrédules, sans alléguer d’autres raisons. Enfin, il est un grand nombre de Déistes qui autorisent et pratiquent, et le magnétisme infecté et le somnambulisme ; la plus grande partie de ses sectateurs sont même Déistes, au temps qui court, où l’ennemi est comme le maître des esprits et des cœurs.
232 2. Cor. 11. v. 14.
233 Je pourrais citer un millier de passages de l’Écriture sainte qui font et la description et l’histoire détaillée de ces pratiques, et en annoncent les succès diaboliquement réels ; descriptions qu’elle fait en tant d’endroits pour qu’on se garantisse de la séduction et qu’on ne se laisse pas entraîner par ces apparences tout-à-la-fois et réelles et trompeuses. Il fallait cet aliment aux cerveaux de nos impies modernes qui, vides de toute vraie religion et de toute foi, ont en effet besoin d’être remplis de tout ce qui n’est pas elle, et de devenir ainsi superstitieux, et les plus fous et les plus égarés de tous les hommes.
Je coterai ici quelques-uns des passages de l’Écriture, parmi le grand nombre, afin que les Chrétiens avisés sachent à quoi s’en tenir. Les curieux pourront vérifier les passages cotés ici dans l’Écriture elle-même. Deutéronome XVlll. v. 9-14, où est la recension entière de ces horreurs anciennes et ressuscitées aujourd’hui. 1. Samuel XXVIII. v. 7, la pythonisse d’Endor. Lévitique XlX. v. 26. Ésaïe VIII. v. 19. Actes VIII, Simon le magicien. Matth. XXlV. v. 24. Actes XVl. v. 16-19. 2. Thessalon. II. v. 7-12. Apocalypse XIII, tout le chapitre, et surtout le v. 13. Idem. XVI. v. 14 et idem. XlX. v. 20, et une infinité d’autres passages trop longs à coter, répandus dans toute l’Écriture. On peut voir aussi l’histoire des magiciens, prestigiant trois fois les miracles de Moïse. J’en traite dans mon ouvrage sur la Prédestination plus en détail que ce que j’en dis dans celui-ci. Je cite ici tout entier le passage de Deutéronome XVIII.
234 Deutéron. 18. v. 9-14.
235 Il ne faut pas croire que ce soit Judas, les Juifs, le Sanhédrin qui aient attaché notre adorable Sauveur à la croix ; c’est uniquement son amour infini qui s’est livré lui-même. Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi s’il ne t’était donné d’en haut. Et ce pouvoir était donné d’en haut à cause du consentement libre à s’immoler ; car le Sauveur aurait pu faire venir des millions d’Anges pour le défendre.
236 Genèse.
237 Osée.
238 Apocal.
239 Job 20. v. 15.
240 Id. Ib.
241 Psaume 49.
242 Il est un livre devenu fort rare et qu’il serait à souhaiter qu’on réimprimât, qui traite de cette matière, mais d’une façon différente de la mienne. Il est intitulé le Mystère de la croix de Jésus-Christ et de ses membres, etc. Il contient de grandes, importantes et très-curieuses vérités ; et j’ose dire que les prétendus philosophes et les vrais chimistes, singulièrement, peuvent y trouver beaucoup à apprendre, outre le Christianisme véritable qui y est répandu.
243 Je ne parle ici ni de tangente, ni de sécante, et je n’emploierai point, ou très-peu du moins, le langage des Mathématiciens, parce qu’autant que possible, je veux être entendu de tout le monde.
244 Ésaïe 40. v. 12.
245 Virg. Æneid. Liv. I.
246 Psaume 139, v. 13-16.
247 Juges 5. v. 30.
248 Je ne serais rien moins qu’étonné qu’on critiquât cette expression, DIEU s’unissant le néant en essai, et je suis même le premier à me mettre de la partie. Mais, en vérité, lorsqu’il est question de parler de DIEU et de son action créatrice, c’est un objet si infiniment grand, qu’on ne peut absolument qu’en balbutier ; l’impuissance du discours y est à son comble. Cependant j’ai cru pouvoir oser me servir de cette formule, très-impropre, comme je le confesse, pour dire du moins quelque chose, et pour faire comprendre que c’est sur le fond (sans fond) du néant que le VERBE créateur incruste, grave et ennature les êtres, et donne ainsi du moins un objet à nos faibles idées, infiniment au-dessous de ce sujet, qui leur est à jamais inaccessible. D’ailleurs, je me suis cru d’autant mieux autorisé à me servir de ces sortes d’expressions, que l’Écriture sainte elle-même fait usage de ces figures, et même semble faire quelque chose du néant. Job (12. v. 22) dit que Dieu met en lumière l’ombre de la mort, et nombre d’autres passages. Or l’ombre de la mort est au-dessous de la mort et le néant. Au reste, je le répète, il est impossible à nos faibles esprits de concevoir, ni l’action créatrice du Verbe, véritablement, ni encore infiniment moins le Verbe créateur lui-même. Il est dit : Trouverais-tu le fond de Dieu en le sondant, connaîtrais-tu le Tout-puissant ? Et le Prophète introduit DIEU, disant : Suis-je un DIEU de près, et ne suis-je pas aussi un DIEU de loin ? Ce qui veut dire, dans un sens, que DIEU voit de loin et a vu toutes nos actions depuis le berceau, ou du moins l’âge de connaissance ou de discrétion, afin de les rappeler toutes à son tribunal et les y faire passer en revue pour les juger : Je rappellerai le tout par ordre en ta présence, Ps. 50. v. 21. Mais ce n’est pas cc sens que j’envisage dans cette note ; il en est, sur ce passage d’un Dieu de loin, un qui y vient fort à propos. C’est comme si DIEU disait : « Je ne suis pas seulement un DIEU de près, mais aussi un DIEU de loin. » Je suis tous les deux, toujours infiniment loin de vos esprits, à qui j’échappe toujours, et toujours infiniment près de vos cœurs, du moment qu’ils veulent s’ouvrir à mon union. Tous les efforts de l’esprit sont à jamais incapables de nous faire connaître DIEU, et tout vrai et pur mouvement de son amour nous en approche et nous y unit au point que David a dit qu’il est très-facile à trouver. Et Moïse et St. Paul : Le Verbe est près de vous, il est dans votre cœur. Tout cela montre qu’un seul mouvement, ou vrai et pur acte d’amour de Dieu, en mépris de tout autre amour, ou supérieur du moins à tout autre amour, vaut mieux encore que toutes les lumières du monde. L’amour est la force attractive qui unit les intelligences avec DIEU, et cette force, pour qui sait mourir à soi-même, est sans bornes. Elle peut aller jusqu’à l’unité avec DIEU. Ô force d’amour ! Afin qu’ils soient un avec nous, comme toi et moi, ô mon Père ! nous sommes un, Jean XVII. v. 21. L’amour est la sainte, céleste et toute forte magie qui attire réciproquement les êtres moraux avec DIEU et les concentre en lui.
249 Genèse 37. v. 3.
250 Les faux philosophes et les beaux esprits ont beau jeu ici pour se moquer de moi, s’il leur vient d’aise, de ce que je trouve de semblables allusions, et que j’en trouve en tout ; mais je ris d’eux, moi, qui sais à quoi m’en tenir sûrement. Il ne faut pas croire que ce qui est dans le livre de DIEU n’ait pas un sens très-profond, sans quoi ce serait une sottise, ou du moins une puérilité. J’établirai les sens mystiques au second Tome.
251 Job 38. v. 23.
252 Il ne faut pas se figurer que dans ces chapitres qui contiennent la théorie de la croix j’aie épuisé un si admirable et si divin sujet, il s’en faut infiniment. Si j’avais voulu l’entreprendre, il aurait fallu montrer bien d’autres vérités, toutes tirées de cette théorie, et l’envisager singulièrement sous le point de vue de la rédemption et d’une manière plus relative au salut de l’homme, uniquement opéré par la croix, portée par son chef immortel et envoyée sur ses membres. J’aurais montré mieux l’infinie noblesse de la croix et son indispensable nécessité, pour réaliser en l’homme la force et la vertu de la rédemption, et lui ouvrir les portes éternelles (Ps. 24.) du ciel, où le grand porte-croix l’a précédé, l’attend et l’attire. Mais ce n’a pas été mon but dans cette discussion ; le Lecteur comprendra que je n’ai voulu que montrer ce grand mystère de la religion répandu dans toute la nature, en preuve et en supplément de ce que j’ai avancé dans les chapitres des trois Révélations, ou des trois miroirs. Je souhaite de tout mon cœur que la piété supplée à ce que je n’ai pas dit. Cette doctrine, vue du côté de la rédemption, est aussi infiniment belle que pratique, et le pur esprit de l’Évangile. Le vieil homme doit être tué par la croix, et alors, par l’application de la croix, portée par Jésus-Christ, le nouvel homme est insinué et établi sur les ruines de la première naissance. Ceux qui voudraient voir la croix sous ce rapport peuvent lire très-utilement le livre du mystère de la croix de Jésus-Christ, appliquée à ses membres, dont j’ai parlé dans une autre note, et qui d’ailleurs, contient une infinité de choses très-curieuses.
253 Par toute la théorie répandue dans ces chapitres, il paraît clairement que la connaissance du nombre de l’être (non infini) donnerait la connaissance de l’être lui-même, mais connaissance analytique, et par conséquent très-inférieure, et qui a peut-être été trop cultivée par une espèce de savants déjà dégagés des sombres et affreux nuages du matérialisme, mais qui n’ont encore ni pu ni su, ou peut-être ni osé s’élever et se perdre dans le principe même de tous les êtres (et planer ainsi dans les régions supérieures, au lieu de circuiter autour d’eux-mêmes), les connaître par le nom qui leur est propre, ainsi qu’Adam les connut, parce qu’il les avait vus dans leur principe créateur, mais pour cela il faudrait être vraiment régénéré. Et si j’ai parlé du nombre des êtres, l’un de mes buts dans cette discussion a été d’élever au possible ceux qui se borneraient à cette étude, qui s’amuseraient à cette chimère, supérieure, à la vérité, à celle de tant d’impies académiciens, mais si futile encore, si on s’y borne ; c’a été de les élever, dis-je, à la science par excellence, à la science principe, à la science de DIEU (et si j’osais et qu’on put le dire par impossible) à la science-DIEU même, à laquelle ce même DIEU nous invite et nous appelle, comme je l’ai indiqué en tant d’endroits de cet ouvrage ; car on peut connaître par là, de DIEU, ce qui n’est pas l’infini pur, mais tout ce qu’il lui a plu de nous montrer de sa Divinité par les noms qu’il a pris.
Macte animo soboles, oculos ad sidera (ad Deum) tolle.
254 J’espère donner, ou dans le second volume de ce livre ou dans un autre ouvrage, un autre grand type des mystères du Christianisme, dans la nature entière, qui sera une dissertation sur la Ste. Vierge, dont l’image et la représentation se trouvent dans tous les êtres de l’univers, et qui s’y voit sous un très-grand nombre de points de vue, et généraux, ou universels, et particuliers.
255 Coloss. 2. v. 8 et 13.
256 Pour mieux faire entendre ce très-profond sujet, et lever mieux toute équivoque, je donnerai encore une note là-dessus, quelque part au second volume.
257 Quand je dis que le mal que les aveuglés et audacieux manichéens osent appeler le mauvais principe (deux mots contradictoires, et dont l’un exclut l’autre, car qui dit mauvais, ou mal, dit le contraire d’un principe), quand je dis que ce mal sera détruit, je n’assure pas positivement qu’il le soit une fois dans tout l’univers, et dans tous les globes et tous les êtres, mais il le sera du moins dans chaque globe à son tour, à mesure que chacun d’eux sera purifié. Il est possible, dès que cet ordre est échappé, qu’il y ait toujours du mal çà et là dans l’univers collectivement pris, sur quoi je n’assure rien ; mais supposez même la chose, il ne peut avoir que l’éternité postérieure et n’a jamais eu l’’antérieure. Mais, ici encore, je m’exprime le plus mal du monde ; car il n’y a rien ni d’antérieur ni de postérieur dans la simple éternité, c’est un instant sans succession, qui n’a ni avant ni après, qui ne peut être ni morcelé ni divisé ; il est toujours, et toujours le même. C’est le moment éternel ; mais on se sert de ces mots antérieure et postérieure selon notre manière de parler, et pour nous faire comprendre et aider à concevoir. Ainsi, l’expression d’éternité ne peut en aucun sens s’appliquer au mal ou au péché ; ce sont deux choses qui ne peuvent subsister ensemble, et l’idée de l’un exclut infailliblement l’idée de l’autre. Le mal ou le péché a commencé, et il est très-sûr qu’à le considérer individuellement, il finira, quoiqu’à l’envisager in globo et dans la niasse entière de l’univers, il est possible qu’il y en ait toujours, ce que je n’assure pas positivement et résolument ; mais il semble que cela doit être, dès que cet ordre est échappé par l’abus qu’ont fait de la liberté les agents moraux dans le temps, je dis dans un temps très-déterminé et après une éternité toute entière, si on pouvait dire après une éternité ; et ce mal ou péché qui a commencé finira infailliblement çà et là dans l’univers, et sera graduellement détruit et anéanti, quoiqu’il soit possible qu’il y en ait toujours ; d’autant plus que l’infinie sagesse du VERBE sait, du mal même et du péché qu’elle a permis et même prévu en accordant la liberté, sait en tirer un parti digne de toute admiration. La divine Madame GUYON chante dans un cantique :
L’amour pur est le feu que je nomme éternel ;
Lui seul porte ce caractère ;
L’enfer ne saurait être tel :
Puisque le crime fut son père.
Je ne donnerai point de commentaire sur ces quatre vers, ils sont à eux-mêmes leur commentaire....
L’enfer que le mal et le péché ont creusé ne peut avoir lieu pour notre terre que jusques aux siècles des siècles, ce qui est, comme on l’a vu, le temps fixé à la réhabilitation de notre globe et jusqu’à cette complète réhabilitation. Il est dit : Et la fumée de leurs tourments monte, ou montera jusqu’aux siècles des siècles. (Apoc. 14. v. 11.) Je n’en dis pas davantage là-dessus....
De tout ce que dessus, il résulte, par la plus infaillible et la plus indubitable conséquence, qu’il n’y a point de principe mauvais, que le mal et le péché ne furent jamais un principe ; et que bien loin d’être un principe, ils ne sont pas même un être réel, à prendre le mot d’être dans sa vérité et dans sa force.
258 1. Corinth. 15.
259 Psaume 8. v. 6.
260 Il est dit : Il n’a pas pris les Anges, mais la race d’Abraham, et c’est parce que le VERBE a épousé la nature humaine qu’elle est destinée à une si haute grandeur.