L E S T R O I S
C A R A C T È R E S
P R I M I T I F S D E S
H O M M E S,
O U
L E S P O R T R A I T S
D U F R O I D , D U B O U I L L A N T
E T D U T I È D E.
A V A N T - P R O P O S.
LE Froid, le Bouillant et le Tiède sont les trois Caractères primitifs, dont le mélange fait tous ceux de l’ordre moral vicieux ou vertueux.
Ils sont aux différents Caractères des hommes ce que sont à cette variété prodigieuse de nuances les couleurs primitives de l’Arc-en-Ciel.
Je ne dis pas : et moi aussi je suis peintre, mais je dis, j’ai reçu des couleurs ; contemple-les, mon cher Lecteur, et si tu les trouves heureusement mêlées ; donne gloire à DIEU, et reçois instruction.
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S E C T I O N P R E M I È R E.
P R E M I E R C A R A C T È R E.
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APOC. III, v. 15 et 16.
Ô si tu étais ou froid ou bouillant ! Mais parce que tu es tiède et que tu n’es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche.
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L E F R O I D.
LE Froid, vu dans sa beauté, est un caractère solide, fondé, non chancelant, non vacillant. En lui les bornes qui déterminent un caractère sont bien posées. C’est un homme sur qui on peut faire fond. Ses vues sont bornées, vous ne trouverez point en lui ces grandes idées, ni ces saillies d’un zèle ardent, ni même cette fleur d’une piété vive et tendre, qui la rend si touchante et si aimable. Ce n’est point non plus un torrent impétueux, qui ravage, qui surmonte les grandes difficultés, mais qui aussi sèche par intervalle et tarit. C’est une rivière tranquille, qui roule ses flots lentement et sans bruit, mais qui coule toujours. Il ne donne pas dans les vertus grandes, éclatantes, difficiles, mais il possède les vertus solides, qui sont propres à son caractère. Il n’est pas ce violent, qui arrache, qui retranche le 1 membre qui le scandalise ; qui ravit avec effort 2 le royaume. Il n’a pas besoin de cette violence, et il n’est pas même destiné, peut-être, à en user. Son caractère presque toujours le même est établi sur une base ferme. S’il ne donne pas dans les beaux excès du violent, il n’est pas non plus sujet à ses écarts. Il est cet homme essentiel, qui marche devant DIEU en intégrité, qui, quoique froid, ne cherchant rien, ne prévoyant rien, se trouve dans l’occasion et se montre au besoin un homme de raison, de piété, de conscience et de droiture. Sans être remué par les grandes vues de l’Esprit et par les grandes passions de l’âme, il ne laisse pas d’avoir ses bons mouvements ; et ne manque pas d’activité dans les choses qui sont de sa sphère ; et néanmoins il est froid pour le mal ; son cœur est fermé aux tentations, auxquelles le bouillant succombera plutôt que lui dans un triste moment de suppression de la grâce. C’est un homme qui, sans sortir du cercle de ses devoirs, sait les remplir ; peu vif, peu remuant, restant dans l’ordre et ce qu’il doit être. Simple, uni, ne recherchant point ce qui n’est pas fait pour lui, demeurant dans ses bornes ; n’approfondissant point ce qu’il doit ignorer, ne se doutant pas même qu’il sache ou qu’il ignore quelque chose ; c’est une candeur toute unie, qui vit pour le moment, peu curieux du passé, se repliant peu sur le présent, peu en souci sur l’avenir, un œil simple, qui se cherche peu, qui a peu de retours inquiets sur lui-même, dont les joies et les déplaisirs ne sont pas fort grands, qui n’a pas ici bas les avant-goûts du Ciel qu’a le Bouillant, mais qui n’a pas non plus des aridités si entières, des suppressions de grâce si totales.
Ses vertus n’ont pas ce lustre, cet éclat, cet air de vie, cette chaleur, qui font une impression vive et prompte et en rehaussent le prix aux yeux des hommes ; mais elles sont pourtant solides et bonnes devant DIEU ; elles n’ont pas ce grand, ce touchant, ce sublime, qui ravit et entraîne le sentiment ; aussi est-il moins l’objet de l’admiration que de l’estime, moins célèbre qu’honoré, possédant moins ce que le monde appelle la réputation qu’une sorte de considération personnelle, peu connue au loin ; les hommes avec qui il vit, et qui peu à peu parviennent à le connaître (car il ne s’annonce point tout d’un coup et il faut du temps pour le démêler), l’estiment enfin solidement et le considèrent. C’est une estime sourde, mais vraie et continuelle ; c’est une confiance sourde, mais qui n’est altérée par aucun soupçon ; on l’aime de même plus qu’on ne croit l’aimer, et ce n’est que dans une occasion marquée qu’on s’aperçoit combien on l’estime, combien on l’aime, combien il s’est imperceptiblement et à la longue emparé de notre confiance.
Le Froid est plus capable que les autres caractères de s’attacher à de petites choses, d’y procéder avec lenteur, de les amener à leur fin avec patience. Caractère souvent précieux aux yeux de DIEU, qui ne pèse pas dans la même balance que les hommes, et qui mesure la grandeur et la petitesse bien plus selon la règle du cœur que selon les apparences et la grandeur extérieure.
Dans le Froid tout est plus décidé et plus entier qu’éclatant.
C’est un roc, sa maison est fondée dessus ; les vents, les orages, la tempête y viennent échouer. Les violentes tentations, ai-je dit, y perdent leur force ; une main invisible les repousse pour lui, son âme ne s’y ouvre point, il ne les connaît pas ; tels, peut-être, ont été plusieurs des saints Patriarches.
Comme il n’y a pas en lui des principes extrêmement contraires, il éprouve peu d’alternatives et ne passe pas avec rapidité dans des états fort divers ; parce qu’il n’a pas besoin d’être beaucoup exercé ; il n’y a point en lui de fièvre spirituelle. Il a peu à lutter, il n’a pas de grands combats à livrer, il court moins le risque d’une grande défaite que le Bouillant. Son calme est plus durable, son repos moins interrompu ; c’est un vaisseau qui vogue sur un fond calme, et qui arrivera.
Tel est à peu près le Froid vu dans sa plus grande beauté.
Mais il n’est pas sans défauts ; ils sont plus ou moins grands dans chaque homme de ce genre, selon qu’il s’éloigne plus ou moins du caractère primitif et général du Froid, et dans l’ordre de nos idées selon qu’il s’éloigne plus ou moins de la notion abstraite qui le fixe.
Moins exercé, moins remué, moins agité que le Bouillant, il est plus esclave de l’habitude, ses défauts sont plus tenaces, il est plus 3 figé sur sa lie.
Dans un sens il en est moins responsable et ainsi moins punissable, en ce que les bornes de son esprit étant à l’unisson, il ne connaît guères ses imperfections. Le même 4 œil simple, qui l’empêche de connaître ses bonnes qualités et de s’étonner d’être vertueux, lui met un voile sur les mauvaises. L’alliage en lui est serré, uni, opiniâtre. Comme son caractère fait un tout plus lié, plus homogène que celui du Bouillant, il lui est plus difficile et de démêler et de séparer le mélange qui altère son or ; aussi demeure-t-il tel qu’il est ; et le Juge scrutateur des cœurs 5 qui ne gâte pas une grappe de raisins, lorsqu’il y a en elle de la bénédiction ; Jésus condescendant, 6 qui n’éteint par le lumignon qui fume, laisse l’ivraie dans ce champ, pour ne pas emporter avec elle le bon grain 7 et rendre la déchirure pire.
Le Froid a un même cœur et un même esprit, comme dit l’Écriture ; il n’est pas double.
Si le caractère du Froid est outré, s’il est trop froid, les bornes de son âme abaissent ses vues et le font ramper ; son cœur sans chaleur devient sec et il forme un tout stérile.
Le Froid est d’ordinaire plus sage qu’habile.
Le véritable Froid, celui que le Seigneur entend dans ces paroles, celui que je crois avoir peint, sera heureux. Le désir que ce Sauveur jaloux des âmes exprime au Tiède pour qu’il fût plutôt froid en est la preuve ; on peut voir même le fondement de son bonheur dans son caractère. Mais pour en montrer le degré, mettons-en par anticipation trois en regard. La béatitude destinée au Froid tient plus à l’ordre des gratuités. Celle qui est destinée au Bouillant tient plus au genre des récompenses. Il a plus combattu et plus souffert. Le Froid sera heureux, le Bouillant couronné ; le Tiède, comme on verra, ne sera ni l’un ni l’autre.
Il y a du bon dans le Froid et du mérite dans le Bouillant.
Le Froid, caractère estimable, le Bouillant, caractère admirable.
J’ai dépeint le Froid dans toute sa beauté, et j’ai rassemblé divers traits pour en faire le plus beau Froid, comme une notion abstraite et un point qui fixe ce caractère. Il est bien d’autres Froids et bien des degrés et des nuances de froideur, depuis la dernière nuance du Bouillant jusqu’au Stupide et à l’Idiot.
Il est des Froids indifférents, il est des Froids stupides, il faut ici faire attention que je peins un Froid idéal, sans quoi on court risque de se méprendre ; les tempéraments, les caractères se mélangent pour ainsi dire à l’infini. Il est tel homme qui sera froid en un point, bouillant à d’autres égards, et tout à la fois tiède à d’autres, et tout cela dans des proportions si différentes et si variées, qu’on ne saurait dépeindre ces situations.
Considérez cet homme du siècle, froid pour la religion, froid pour ses devoirs, vif pour ses penchants, bouillant pour satisfaire ses passions. J’ai dit, froid pour la religion, et j’ai dit mal peut-être, car un homme qui a connu la religion une fois ne peut plus être froid pour elle ; une fois connue, son indifférence n’est plus froideur, c’est tiédeur.
Et on voit par-là que la vraie notion du Froid consiste singulièrement à n’avoir pas connu. C’est une âme ou bornée par la nature, par tempérament, et dont le cœur n’a de mouvements qu’à l’unisson de son âme, ou bien un homme placé dans des circonstances extérieures, où la haute vérité n’est pas mise à sa portée.
Imaginez toute cette échelle et cette variété de degrés de froideur depuis le bouillant le moins bouillant, jusques au stupide le plus stupide, vous aurez l’idée de tous les froids possibles.
Il est des froids qui valent beaucoup, et d’autres qui ne signifient rien. Quoiqu’on ne puisse pas dire absolument que les premiers sont estimables et les derniers méprisables, il est un sens selon lequel le froid ne peut être ni l’un ni l’autre ; il n’a rien d’acquis, il ne s’est point créé, il ne se change pas ; tout vient d’ailleurs ; il est ce qu’il a été fait ; cependant, à le considérer dans ses états antécédents, il peut être tout cela.
Il est des hommes qui n’ont que l’apparence de la froideur ; combien d’hommes bouillants intérieurement sont froids au dehors ; il est des hommes qui n’ont que l’apparence du caractère bouillant, vivacité sans consistance, rosée du matin qui se dissipe.
Il est des hommes plus froids de cœur qu’ignorants, c’est déjà le tiède ; il est des hommes qui ont encore plus de chaleur dans le cœur que de lumière dans l’âme, et c’est le vrai et parfait Bouillant.
Tous ceux en qui ces deux choses sont en proportion, et qui ne sont pas ou bouillants, ou dégradés d’une lumière plus haute, tous ceux-là sont froids.
Il est des hommes stupides, il en est d’endurcis ; au dehors il est des occasions où ils paraissent un même homme ; ils sont néanmoins fort différents. Qu’ils se trouvent dans le même point, dans le même état ; l’un des deux y a été mis ; l’autre s’y est amené ; le dernier est inexprimablement coupable, l’autre l’est beaucoup moins.
Il est des hommes qui, par la croûte, les ténèbres mises sur leur âme, et par les circonstances extérieures, ne connaissent point DIEU. Tels sont ses Païens grossiers ; à cet égard ils sont froids, mais ils ne sont pas proprement athées ; il est vrai que la seule inspection de la nature devrait leur donner cette connaissance, mais elle n’a pas prise sur leur âme, elle est trop terrestre. L’Athée est celui qui a été à portée de connaître DIEU, mais dont le cœur corrompu a amené les ténèbres de l’Esprit, il s’est dégradé.
De même il est des hommes privés de la connaissance de Jésus-Christ, tels sont encore les Païens ; ils ne sont pas Déistes ; le Déiste est celui qui a pu le connaître, et qui ne l’a pas voulu, ou 8 à qui le DIEU du siècle a aveuglé l’entendement.
Le froid, envisagé par rapport au sentiment, c’est-à-dire, au mélange du cœur et de l’esprit, n’a pas une existence réfléchie ; en tant que froid, il ne saurait être voluptueux.
Je connais des Froids toujours froids, excepté quand vous touchez le point de leur passion ; touchez la corde, elle rend le son.
Un sentiment et un goût gâté par le luxe, les raffinements, et par tout ce qui est artificiel et factice, sera froid pour les beautés de la nature, et pour les vrais sentiments naturels.
Un laboureur grossier sera froid pour tous ces raffinements ; son âme ne s’y ouvre point, ne les connaît point ; tout cela ne dit rien à son cœur.
Poussez ce qu’on appelle dans le monde les beaux sentiments avec un paysan, vous trouverez une âme stupide et froide ; exprimez des idées d’honneur, vous n’en tirerez rien.
Il est à peu près inutile de donner des remèdes aux défauts du froid ; il faudrait qu’il les connût, il faudrait l’agiter, le remuer, etc. Il est un peu léthargique ; il doit être fort en garde contre ses habitudes ; mais il ne sait pas même qu’il en a ; il a, outre le voile que la coutume met sur la connaissance de ses habitudes, le voile naturel de sa froideur.
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S E C O N D C A R A C T È R E.
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L E B O U I L L A N T.
OÙ trouverai-je le Bouillant que je Veux peindre ? Est-il à ce moment au ciel ou sur la terre, dans la solitude, absorbé, englouti dans la vision des perfections de son DIEU, dans un de ces instants où déjà 9 assis dans les Cieux avec Jésus-Christ, ils lui sont ouverts et il contemple ? Ou faut-il le suivre dans un intervalle de vie active, répandant la rosée des cieux dans une conversation religieuse, ou prodiguant ses dons au pauvre, consolant l’affligé, fortifiant le faible, ranimant l’abattu, secourant, servant le malade, confondant le vice, corrigeant le pécheur, laissant partout d’heureuses traces de ses pas ; faisant tout avec une onction, un touchant, un pathétique, et cette impétuosité divine, qui ravit et qui entraîne ? Prie-t-il ; ou agit-il ? Loue-t-il son DIEU, ou avance-t-il son règne ? Ou bien, est-il dans un triste moment d’aridité et de suppression d’une grâce, dont son ardeur a fait trop de dépense, et qui, l’abandonnant à la force d’une tentation, le laisse succomber ? Est-il dans l’instant de la chute, ou dans la pénitence qui l’en relève ? Est-il dans la joie ou dans les pleurs, dans les goûts de la grâce, ou couvert de sac et de cendre, dans les mortifications, les austérités, la componction et les larmes ? Vrai dans sa chute, plus vrai dans sa repentance, grand en tout, ardent en tout, marchant avec force en des routes toutes diverses, dans laquelle l’atteindrai-je à ce moment ?
Avez-vous considéré David dans tous ses états intérieurs et dans ses fortunes diverses ? Le voyez-vous dans leur totalité et leurs rapports ? Vous avez l’homme que je peins ? Le petit David tuant le fort Goliath, David manié, mis dans les situations les plus opposées ; David humilié, fugitif, attaqué, persécuté, réduit aux états les plus extrêmes ; David juste et saint, criminel, et pénitent. David ravi en esprit, entrant 10 dans le Sanctuaire du Fort ; David éprouvant les ennuis et les sécheresses les plus profondes ; David combattant et combattu, victorieux et vaincu ; David Berger et Roi ; David adultère et homicide ; David jeûnant, priant, gémissant, soupirant, baignant son lit de larmes, restant huit jours sur le carreau sans boire ni manger ; aussi grand dans sa pénitence qu’horrible dans sa chute ; David par son crime allumant le feu de la colère divine, et par ses inexprimables violences faisant rentrer l’épée dans le fourreau. David supérieur au ridicule que jette le mondain sur les saillies de zèle, dans un saint délire, dansant devant l’Arche : David malade pour avoir profané en lui le temple de DIEU, et renouvelé dans sa jeunesse et sa santé comme l’aigle ; David célébrant son DIEU avec une ardeur, une moelle, des saillies, cette rosée des Cieux, cette pompe, cette majesté qui annoncent l’Esprit de DIEU même, qui se loue en lui ; David d’un naturel admirable, et plus admirable par les dons de la grâce.
Tel est le Bouillant ; vous avez dans ce Roi son caractère et les états purifiants par où l’économie de la Providence et les routes de la grâce le font passer.
Mais pour voir les rapports de ces routes avec le fond de son caractère, et considérer le tout dans ses sources, il faut comprendre que le Bouillant est un homme extraordinaire, qui n’est pas fait pour les voies communes, et pour aller terre-à-terre ; son chemin n’est pas un sentier uni. Destiné à une haute demeure, il faut qu’il la gagne, qu’il y monte par un chemin escarpé, qu’il force le passage.
Ses lumières sont vives et promptes ; les vues de son esprit sont grandes et perçantes, son âme a de grandes puissances. Son cœur est à l’unisson, il est admirable et remué par les mouvements les plus impétueux ; ainsi le Bouillant est mû par les plus grands ressorts ; et il est de conséquence que tant qu’il reste dans l’effervescence de son caractère, tout en lui soit extrême. Ses dons sont admirables ; mais le beau fond est mêlé, infecté du venin de la nature, et de ce poison qu’on suce avec le lait.
L’œuvre de la Grâce, sage et condescendante, n’anéantit pas la nature dans l’élu qu’elle veut amener à ses fins, c’est-à-dire, à la destination qui lui est propre. Elle suit longtemps le fond de son caractère, elle émonde, elle ne tranche pas, elle corrige, elle ne détruit pas, au plutôt elle détruit les mauvais mélanges et conserve l’homme. Ainsi elle fait voguer le Bouillant sur une mer orageuse ; toute autre route n’est pas la sienne. Son vaisseau doit rouler sur les vagues furieuses et à travers les écueils semés sur son passage. Il lui faut, pour arriver au port, de la force, de la dextérité et du courage. La trempe de son tempérament, moins uni que celui du Froid, a besoin de tempêtes au dehors et d’accidents imprévus. Il doit s’attendre à tout, faire face à tout, ne point se laisser déconcerter, ne s’étonner, ne s’ébranler de rien. La victoire est difficile, elle coûte plus, mais la couronne est plus belle et la récompense plus grande ; on voit dans l’Apocalypse 11 ces différentes récompenses proportionnées aux différents genres de combats et de victoires.
Tout cela vient des dons admirables qu’il a reçus, des forces de sa nature et de celles que lui destine une grâce qui supplée, lorsque les naturelles ne suffisent pas. 12 À qui il est beaucoup donné, il est beaucoup redemandé ; et 13 celui qui est juste, le doit devenir davantage ; 14 à celui qui a déjà, il doit lui être donné encore plus.
Le Bouillant est un vaillant guerrier, et si on peut le dire, 15 un puissant chasseur devant l’Éternel ; aussi lui donne-t-on, selon ses forces ou ses besoins, de fortes guerres à soutenir. Ses états divers sont en proportion avec son caractère, sa route avec le lieu et la fin qui lui sont destinés.
Il doit passer avec rapidité dans les états les plus divers, se brisant quelquefois contre le nombre des écueils dont sa voie est semée, tombant pour se relever promptement, plus grand dans sa pénitence, que le Froid dans sa justice continuée, recommençant le combat, luttant jusqu’à la chair et au sang ; il est non le froid, qui marche dans le chemin, mais le violent, qui ravit, qui force, qui gagne le Royaume. Ainsi il éprouve quelquefois la honte d’une grande défaite, et quelquefois le succès de la plus belle victoire.
Après une chute, il connaît le danger de son état ; il en a une vue claire et un sentiment vif et profond ; vue claire, parce que le retour de la lumière en lui est d’autant plus plein et plus complet qu’elle a été totalement supprimée au moment de la chute ; c’est un éclair d’autant plus vif, que la nuit été plus profonde, et une lumière qui se venge de la contrainte où on l’a mise.
Le sentiment est vif et profond, parce qu’accoutumé aux goûts, aux joies sensibles, à une certaine saveur de la grâce, lorsqu’une chute en fait tarir la source dans la justice divine, qui la retire et laisse le Bouillant à ses privations et à sa misère ; il sent avec profondeur tout ce qu’il a perdu. Et c’est là l’origine de sa douleur, de ses violences, de son repentir et de tout ce qu’il fait de grand, de difficile, de courageux, d’étonnant, d’impossible, pour réparer sa perte.
Ainsi la sage économie de la grâce fait tourner ses chutes à sa purification. Ce qui est violent n’est pas durable. Lorsque le Bouillant éprouve ces alternatives d’aridité, de privation, de sécheresse, si une tentation survient dans ces terribles moments, il peut être écrasé par une chute lourde. Les torrents trop enflés, après avoir tout inondé, tarissent ; une rivière coule toujours.
L’ennemi, jaloux du bonheur qui lui est destiné, a permission de l’attaquer vivement et quelquefois 16 de le vaincre. Il sent que son règne va prendre fin en lui, que c’est une proie qui lui est arrachée, et il décoche ses traits avant que d’abandonner la place. Tels on représente les Parthes qui lançaient les leurs en fuyant.
Le Bouillant est un grand cœur, il faut du sublime, du grand, du touchant pour l’intéresser.
Il est des temps d’amortissement à son caractère ; il y a quelquefois des intervalles de froid. Cependant il ne saurait être vicieux ; il peut tomber dans le crime, mais il ne va pas à l’endurcissement, ni même à l’habitude.
Il y a dans son fonds un feu purifiant, un principe de fièvre interne, que les accidents du dehors entretiennent dans son activité pour le purifier, jusqu’à ce qu’il soit amené à un état solide et durable.
C’est un aigle qui prend son vol vers le Ciel, et qu’un orage subit et prompt confond et fait tomber à terre.
Le Froid est comme une liqueur, un breuvage, qui n’a pas des principes de chaleur au-dedans, aucune aptitude à être remué ; aussi le feu du dehors n’a pas de prise sur lui, pour l’agiter et le faire bouillir. Ainsi il reste froid, il est homogène ; c’est ce qu’il est, c’est ce qu’il doit être, s’il était autrement, il serait déplacé et désordonné. Il est tel qu’il le faut pour le Maître qui en veut user, qui dans l’ordre de sa grâce et de sa justice lui a assigné ce caractère, pour lui assigner aussi le genre de demeure, la place, le degré de béatitude, que sa sagesse lui prépare et que sa bonté lui donnera.
Le Bouillant est un fonds plus beau, plus fécond, plus heureux ; c’est une meilleure trempe, et néanmoins son caractère est moins fixe et déterminé. Ses parties sont moins unies, moins liées, moins fondues ensemble. C’est un métal précieux, un or admirable. Tel est l’intérieur et le fonds. Cependant sur ce fonds il y a du mélange, de l’alliage. Or considérez et l’opération de la grâce et ses vues sur lui, et la manière dont elle parvient à ses fins, en suivant son tempérament par une sagesse seule digne d’elle.
L’habile Chimiste le met au creuset pour séparer les principes divers, pour rendre l’or pur et digne de lui. L’opération est douloureuse ; il est des parties qu’il faut séparer, parce qu’elles ne sont pas à leur place ; il en est qu’il faut mettre ailleurs ; il faut retrancher, diviser, remuer, faire évaporer l’inutile, le superflu, amender, corriger. L’Être en souffre, la vie propre est dans la douleur ; mais c’est une nécessité. Avant l’opération, le Bouillant n’est pas ce qu’il doit être. À la vérité, il est une pierre de l’édifice, il en est une partie déterminée ; tel qu’il est, néanmoins, il n’est pas tout-à-fait propre à la place où il doit être mis, et il n’est pas destiné à servir dans un autre lieu. Il faut donc que la pierre soit appropriée, elle a des angles, des irrégularités, qu’il faut tailler, polir, ciseler ; et l’artisan, l’architecte de la cité éternelle veut un bâtiment lié, où il n’y ait point de disproportion, et dont toutes les parties soient en concert et entre elles et avec le tout ; ce que fait le tailleur sur une pierre à la quelle il donne les dimensions selon ses vues, ce que fait le potier à l’argile qu’il façonne, ce que fait le chimiste sur un métal trop mêlé, le Divin opérateur sur les âmes, l’architecte de l’édifice, le fait sur le caractère admirable et néanmoins mêlé du bouillant.
Il le taille, il le forme, il allume le feu au dehors, il souffle, il l’entretient, le varie, le ménage, le rend ardent ou moins vif, selon les divers états et les besoins de la matière. Ainsi sa miséricordieuse Providence ménage au Bouillant, dans les états divers où il le fait passer, des moyens de purification, jusqu’à ce qu’il soit tel qu’elle le veut.
Que si vous désirez des exemples de ses besoins et de la manière dont on y pourvoit, comme le Bouillant a beaucoup de lumières et de grandes vues dans l’esprit, il est clair qu’il ne peut en même temps être assez simple et assez borné, assez 17 pauvre d’esprit, pour ignorer une partie de ce qu’il vaut. Et il faut qu’il soit amené à ce point ; autrement il ne s’apercevrait bientôt plus que ce qu’il possède de forces et de vertus est un don de DIEU, les prétentions et un orgueil secret toujours détestable à ses yeux s’y mêleraient tôt ou tard, tant il est vrai que l’homme a un penchant invincible à s’approprier et à corrompre ainsi les plus beaux dons. Que fait-il donc, ce tout-puissant et tout sage Directeur des âmes, lui qui ordonne 18 de retrancher le membre qui est en scandale, à qui rien ne coûte pour sauver, qui bouleverserait pour ainsi dire l’univers, s’il en était besoin, pour le salut de ses élus, tant les âmes sont précieuses à ses yeux ? Le Bouillant a besoin d’humilité et pour cela il n’a qu’à se connaître et être montré à lui-même, qu’à se voir tel qu’il est ; mais il n’est point d’humilité réelle sans humiliation et sans un vif sentiment de sa misère.
La grâce se retire pour quelques instants ; et que devient alors un homme abandonné à lui-même ? Que va-t-elle devenir cette pauvre et malheureuse âme, donc DIEU n’est plus la force ? Faible alors, lâche, ouverte à toutes les séductions, bientôt une chute vient, confond sa présomption et écrase son orgueil ; alors elle voit ce qu’elle est par elle-même ; alors elle comprend que c’était en DIEU seul son protecteur et son bouclier que résidait toute sa force et le peu de vertu qui était en elle. Tous les faux appuis et les aliments de son orgueil sont détruits, elle ne peut alors assez s’humilier dans le sentiment vif et profond de ses faiblesses.
Considérez David avant sa chute. L’entendez-vous, fort de sa vertu, dire avec assurance 19 Mon DIEU, fais-moi justice, j’ai lavé mes mains dans l’innocence, venge-moi, fais-moi droit, j’ai marché dans mon intégrité, et autres expressions semblables ; il semblait que DIEU lui en dût de reste. On lui fit bientôt droit, on l’abandonne à lui-même. Et quel nouveau langage vient alors contredire le premier, et qui exprimera la profondeur de l’humilité et l’anéantissement où le jette sa chute ? Le voyez-vous s’abîmer, se confondre dans son néant, crier non plus justice, mais grâce et miséricorde avec des sentiments si vifs et si profonds que l’expression ne peut les rendre.
Ainsi, ô sagesse, ô routes ineffables ! DIEU se sert de sa chute pour l’amener à la précieuse humilité ; ô vues au-dessus de toutes les vues des hommes ! DIEU, retirant sa grâce du présomptueux David, lui montre ce qu’il est, et il aime mieux David tombé, pénitent, humilié, anéanti, écrasé, que David innocent, intègre et orgueilleux, si on pouvait être innocent dans l’orgueil. C’est ainsi que DIEU montre à l’homme présomptueux ce que c’est que son cœur. Avant ses chutes, il se méconnaît, il prend pour siens les dons de DIEU, il se les approprie. Injustice inouïe ! Alors on envisage comme due une récompense qui n’est que gratuité, et comme un droit acquis un don qui n’est que le dernier et la couronne des autres. 20 DIEU résiste à l’orgueilleux et fait grâce à l’humble : 21 il abat le puissant et relève le chétif. Ainsi fait-il à St. Pierre, à ce Pierre présomptueux, qui se croit fort, prêt à tout, capable de tout, ainsi fait-il au Bouillant.
De même le Bouillant a reçu d’admirables facultés spirituelles, de grandes vues, un génie vaste et perçant, une imagination vive, riche, un esprit fécond, de la dextérité, de la sagesse, mais bientôt corrompus par la nature, ces dons admirables s’altéreraient en lui ; bientôt il s’égarerait dans ses projets, il se perdrait dans ses vues, il se confondrait dans sa propre sagesse, ou tendrait à des fins qui ne sont pas celles de DIEU sur lui, que fait ici encore la Providence ?
DIEU descend, il vient et visite cette tour qu’on veut avec confusion élever jusqu’aux Cieux, il confond le langage, il surprend le sage ; il oppose, ai-je dit, des écueils à cette hardie navigation, il déconcerte les vues, dérange les projets, et pour épurer cette sagesse qu’il avait donnée et qui est mêlée des fausses vues que l’homme y ajoute, il la rend premièrement folie.
Comme le Bouillant est 1° juste, 2° grand génie, il sera porté, s’il ne tombe, ou à mépriser des cœurs moins grands et moins vertueux, ou à blâmer, à juger, à condamner impitoyablement le pécheur ; or Jésus, pontife miséricordieux, ne veut point d’homme qui ne soit miséricordieux, point d’homme qui juge et condamne, lui qui n’est pas venu pour 22 condamner le monde, mais pour le sauver.
De même le Bouillant est vif, prompt au bien, impétueux, mais son zèle, mais son ardeur, mais sa grande vivacité s’oppose en lui, met obstacle à des vertus admirables, qui ne s’allient guères avec elle : la douceur, la modération, la résignation, la patience. Que fait encore ici celui qui le veut purifier ? Il le fait passer par des états tout contraires ; il sème sur sa route les épreuves et la souffrance. Ainsi il amortit cette ardeur et ce bouillonnement ; il l’accoutume au joug, il lui apprend à le porter avec docilité, à supporter tranquillement tous ses états. Ainsi il est éprouvé, manié, plié, exercé par les fortunes les plus étranges ; ainsi réprime-t-on l’impétuosité de ses mouvements qui le porteraient à l’inquiétude et à l’irritation ; et on l’exerce jusqu’à ce qu’il ait appris avec St. Paul à être content quel que soit l’état où il se trouve.
Sans pousser plus loin les exemples, telles sont les sources de l’agitation que met dans le Bouillant l’opération de la grâce pour le conduire à la perfection qui lui est propre. C’est l’heureuse épée du Sauveur qui 23 divisé son âme, et qui tranche pour mieux réunir et fonder le tout.
Ainsi le Bouillant ne doit et ne peut guères rester tonte sa vie dans l’effervescence de son caractère et dans sa première ardeur ; il faut qu’il soit amené à une certaine règle ; Jésus ne retire point l’épée et son opération qu’il n’ait 24 mis sur cette terre une règle, et qu’il n’ait amené la justice victorieuse. La race fait enfin en lui tôt ou tard un résumé, elle y établit un caractère solide et ferme, qui tient tout le vrai, le grand, le sublime de sa piété et fortifie son âme, en la rendant supérieure aux tentations. Alors ce n’est plus cet Ange, qui du haut du Ciel peut descendre quelquefois jusques dans l’enfer ; c’est un homme, mais un homme admirable, mais un homme 25 selon DIEU, qui n’est plus sujet aux écarts et aux chutes ; un homme, qui de ses violences dans le bien et la route du Ciel, retient ce zèle éclairé, tempéré par la prudence, une aimable vivacité d’esprit, au dehors une admirable activité dans tout acte louable et chrétien, une défiance de ses forces, une lutte, une précaution, une vigilance continuelle, dans laquelle ses anciennes chutes et la crainte de retomber l’ont établi ; une ardeur dans ses prières, une véhémence dans ses dévotions, une onction répandue sur tout ce qu’il fait ou qu’il dit ; une moelle dans ses louanges ; un air de chaleur et de vie, qui réchauffe et qui intéresse ; une humilité profonde, où la grâce l’a amené par ses chutes, qui rehausse l’éclat de ses vertus et leur donne un nouveau prix ; elle lui rappelle le souvenir de ses chutes, pour l’humilier encore et pour éviter les mouvements les plus secrets d’un orgueil que DIEU déteste. Alors il est grand et modeste, sage et simple, vrai sans aigreur, zélé et prudent, juste et néanmoins miséricordieux pour le pécheur.
Alors comme le Froid, sa maison est fondée sur le roc, mais l’édifice est plus beau, plus grand, plus vaste, plus hardi, et néanmoins tout aussi solide ; c’est un édifice où il n’y a pas les défauts du Froid ; la fièvre purifiante, qui a agité le Bouillant, l’a purgé de ses impuretés.
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S E C T I O N T R O I S I È M E.
T R O I S I È M E C A R A C T È R E.
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L E T I È D E.
§. I.
HOMME tiède, qui te peindra ? Qui te rendra sur le fait dans tes routes moitié droites et moitié tortueuses ? Homme sans vrai caractère et sans consistance, où est le pinceau assez sûr pour rendre les traits non décidés, pour analyser les mouvements étouffés et les parties manquées de ton cœur ? Moitié faux, ai-je dit, et moitié vrai, peu fait pour la terre et bien moins fait pour le Ciel, plus faible que fort ; assez fort d’esprit, mais faible de cœur, léthargique et réveillé, chancelant toujours et tombant lorsque la prudence humaine ou des motifs accessoires et faux n’empêchent pas la chute ; ayant connu et vendu la vérité ; voyant la route et n’en faisant que la moitié, assez éclairé pour mépriser le monde et assez bas pour le ménager ; homme lâche et timide, plein de réserves, n’ayant pas le courage de se donner à DIEU, et ne consommant pas le sacrifice ; cœur double, qui n’a ni l’intégrité du Froid, ni la belle violence du Bouillant ; double même dans le mal, faux dans ses retours et sa pénitence ; faisant peut-être le bien à moitié, et par conséquent ne le faisant point ; faisant le mal à demi et par conséquent consommant la malice devant DIEU scrutateur des cœurs, qui démêle les nuances et balance les circonstances, qui lui avait d’abord donné la force, le pouvoir d’être intègre, et devant qui rien ne saurait subsister s’il n’est plein et entier. Homme qui voudrait le Ciel et ne s’élève point jusqu’à lui, craignant l’enfer et s’y précipitant par ses duplicités, mentant à DIEU, au monde, à soi-même, méprisable aux yeux de ceux qui le connaîtraient par d’autres yeux que ceux que leur donne à eux-mêmes la tiédeur, et répudié de DIEU.
Tel est l’homme que le Sauveur 26 vomira de sa bouche, comme un breuvage dégoûtant, qui n’est pas fait pour s’unir à son corps.
État infiniment digne et de mépris et de compassion, et néanmoins état de la plupart de presque tous les hommes ; il renferme dans l’ordre ou moral, ou spirituel, une fièvre intérieure et lente. Elle n’est pas assez forte pour chasser les humeurs peccantes, mais elle ravage insensiblement, elle mine imperceptiblement jusqu’à ce qu’elle ait porté le coup de mort.
C’est comme une liqueur qui ne bout jamais pleinement, il n’y a plus au fond assez de chaleur pour donner la vraie agitation ; c’est la figure : ou c’est comme un arbre dont la sève a dégénéré, et qui peu succulente poussera bien des boutons ou des feuilles, espérance frêle, mais ne produit jamais le fruit ; aussi est-il destiné à la 27 malédiction du figuier.
Pour traiter de la tiédeur avec méthode, il faut la considérer dans son origine, dans ses progrès, dans ses degrés ; prendre le tiède sur le fait dans les différents états, dans les révolutions et les alternatives qu’il éprouve, le suivre dans ses symptômes, démêler ses nuances jusqu’à l’endurcissement auquel il est destiné. C’est ce que je dois faire avant que de montrer sa condamnation et d’indiquer les remèdes.
Comme il est des Froids et des Bouillants dans l’ordre de la nature, ainsi que dans celui de la grâce ; il est aussi deux espèces de tièdes. Il est des hommes tièdes, il est des chrétiens tièdes, et selon cette idée la tiédeur a une double origine, selon qu’on la considère dans l’homme irrégénéré et dans le chrétien.
Si on la considère dans ce qu’elle a de plus primitif, le premier pas que l’homme y fait, c’est la première révolte de son cœur, la première infidélité de sa volonté à la lumière naturelle et à la voix de sa conscience. Le premier pas qu’y fait le chrétien, ou l’homme régénéré, c’est sa première infidélité aux directions de la grâce et de l’esprit de Jésus-Christ, qui l’anime et veut le conduire.
Mais pour percer dans ce que cette origine a de premier, DIEU, qui crée l’homme naturel dans le sens qu’il fait tout dans l’Univers, lui donne, selon ses circonstances, et l’épreuve à laquelle il l’appelle, certaines affections corporelles et animales ; un cœur plus ou moins pur, une âme sensitive, plus ou moins sujette aux appétits sensuels, et enfin un esprit, qui dans chacun a ses bornes déterminées, et tout-à-la-fois semblables et différentes des bornes des autres esprits ; il est donc en cet homme deux principes contraires, l’un de raison et de droiture, qui est la faculté supérieure ; l’autre les affections des sens. C’est la révolte du corps, qui présente ses droits, ses prestiges, ses phantômes, ses mensonges ; ici est le 28 combat de la chair et de l’Esprit. Si l’Esprit, qui doit tout soumettre sous sa loi, se laisse subjuguer, alors commence la tiédeur ; mais pour le comprendre mieux encore, considérez qu’il est un troisième principe, lequel n’est rien proprement par lui-même, et qui cependant est tout dans un autre sens ; c’est cette spontanéité, principe d’action, qui s’exerce en suite de la dernière détermination, laquelle fait la volonté. Si l’Esprit ne se laisse point aller au penchant des sens et à leurs motifs confus de séduction, s’il garde sa supériorité, cette spontanéité s’exerce librement 29 et heureusement. Esprit, cœur, ou volonté et action, tout est alors à l’unisson ; le corps et les sens sont contenus ; tout l’être est dans l’ordre et ce qu’il doit être ; mais si le contraire arrive, si l’esprit se laisse offusquer par les fausses vues des sens, et si la volonté penche à leur obéir et à s’exercer irrégulièrement et indépendamment des idées de l’Esprit, alors vous avez la première source de la tiédeur dans le premier acte de ce genre.
Si ce principe, qui est mon cœur et ma volonté, abandonne les idées claires de l’Esprit, si son fonds se laisse aller sourdement, secrètement, imperceptiblement au trompeur penchant des sens, ce n’est plus une vraie volonté, c’est cette fantaisie que j’appelle docteur de mensonge et maîtresse d’erreur.
L’homme dissipé, fugitif de lui-même, charnel et grossier, n’aperçoit point ces premières infidélités insensibles de son cœur ; il faudrait, pour y atteindre, que, plus replié sur lui-même, il en sût lever le voile, démêler les tortuosités, pénétrer les mystères, percer les profondeurs et les abîmes du serpent qui y est caché, jusqu’à ce que sa vue arrivât à son fond et à ce qu’il y a eu de primitif.
Voilà pourquoi il ne s’aperçoit point de l’origine de sa tiédeur ; et tels en sont cependant dans le cœur le germe et la semence. C’est d’abord comme un point qui augmente en dimension et grossit.
Car que suit-il de cet acte d’une volonté devenue fantaisie pour se porter plutôt au penchant des sens et à leurs vues confuses ? C’est que le cœur, le principe de détermination se dérègle, il dérange la liaison où il doit être avec l’esprit ; il n’y a plus d’unisson et d’harmonie, ce n’est plus un tout lié, et la discorde est en proportion avec le vice ou la grandeur de cette fantaisie, et avec la réitération de ses actes, et rien n’est plus varié que les effets de cette désunion.
Le cœur donc se dérègle insensiblement et à mesure que la fantaisie s’exerce, soit par une suite naturelle de l’ordre établi, soit par l’acte de la puissance divine, qui concourt, qui conserve l’homme et le recrée à chaque instant, non tel qu’il était auparavant et primitivement, mais tel qu’il a voulu être.
C’est ainsi que le cœur se corrompt, s’endurcit plus ou moins, mais toujours imperceptiblement, et alors autant de temps que l’esprit, que la partie supérieure reste la même et a toujours la même lumière ; voilà la vraie tiédeur. Plus de lumière dans l’esprit que de force dans le cœur ; l’esprit dans le même degré de lumière, et le cœur dans un moindre degré de chaleur. L’esprit subsiste, le sentiment se perd ; l’entendement conservant ses principes, son même enchaînement de vérités, et le cœur dégradé de sa liaison avec lui, en sorte que l’esprit ne l’anime plus, ne le conduit plus ; le fil qui les liait est rompu, et l’esprit n’éclaire plus tout l’être de l’homme d’une manière efficace et mise à profit ; sa clarté ne sert qu’à être le témoin contre la dépravation du cœur et la règle qui mesure le degré de cette dépravation. Voilà pour les commencements de la Tiédeur.
Mais pour voir les états successifs du Tiède, à tous les degrés par où il descend, depuis le premier jusqu’à l’endurcissement ou l’impénitence qui est sa fin, il faut considérer encore un moment le concours de la Providence et son acte dans la conservation de l’homme, et autant qu’il nous est donné de percer dans ces profondeurs, la manière dont elle l’exerce, et le temps auquel elle l’exerce.
Un DIEU conservateur, qui n’a d’autre règle que lui-même et sa justice, n’agit pas dans l’acte de la conservation des êtres moraux, c’est-à-dire, libres et spirituels, d’une manière toujours uniforme.
Quelquefois il semble pendant un temps laisser aller les choses selon leur ordre, leur cours, et la loi de continuité des causes secondes, sans qu’il se fasse de saut ni de changement remarquable ; il en est insensiblement selon l’inflexion que l’homme, par ses opérations intérieures de l’esprit et du cœur, se donne à lui-même ; c’est comme s’il se conservait tout seul, quoique ce soit en DIEU, que nous 30 avons la vie, le mouvement et l’être 31.
Dans ces intervalles le cœur suit sa pente, il est entraîné de proche en proche à un endurcissement plus grand ; à chacune de ses opérations de révolte la fantaisie s’ancre, se nourrit, se fortifie ; l’insensibilité aux vues et aux sollicitations d’un esprit et d’une lumière qui reste pendant cet intervalle à peu près la même, s’accroît ; la lumière veut guider, présente les mêmes idées, le même jour ; mais le cœur, sur le fond duquel se sont posées une suite d’infidélités, repousse et n’est point docile.
Cet état de l’homme tiède, que je viens de prendre sur le fait, est la source de ces moitiés inquiétudes, de ces demi remords qu’il éprouve et qu’il étouffe alternativement ; la lumière de son esprit, que son cœur contriste, se venge, en témoignant contre lui, en l’inquiétant, en le réveillant, en l’exhortant, en lui présentant des motifs supérieurs et purs ; elle le remue, mais l’agitation n’a pas de prise sur ce cœur déjà trop obstiné, en qui le vrai sentiment s’énerve et diminue tous les jours. Qu’il est à propos, qu’il est utile de considérer ici l’ordre adorable de la justice divine dans cette économie intérieure, dans cette dispensation de conservation dont elle a établi la suite dans l’homme naturel ! Ô qui pourrait la considérer ici dans tous ses côtés, en pénétrer le fond et se confondre assez, s’anéantir assez, être assez pénétré de frayeur, et adorer assez ce conseil profond, qui est un abîme, qui est tout-à-la-fois si visible et si caché ; si visible à celui à qui la grâce donne de 32 scruter les choses profondes de DIEU, selon le langage de l’Apôtre, et si caché à homme léthargique et grossier, ou qui vit toujours en dehors sans faire attention à lui-même.
Dans ce premier état, pendant un peu de temps, son âme réveillée par intervalles, et en des moments de lumière et de clarté, voit toute son infidélité, la lâcheté de son cœur, et ne peut ne pas soupçonner le sort qui l’attend. C’est cette lumière pure et primitive qui revient, parce qu’il ne l’a pas encore absolument supprimée. La justice divine l’y applique, soit pour se venger de ses infidélités et le punir, soit surtout pour le réveiller, l’agiter et le tirer de sa tiédeur.
Dans ces instants de lumière, il est en proie aux agitations, à l’inquiétude, à la terreur ; alors il exécute, mais à moitié ; il fait des essais de combat, mais comme son cœur lâche et timide n’achève rien, que la guerre qu’il fait à ses passions n’est point assez vive et déclarée, que ces essais de combats ne sont jamais suivis de la victoire ; alors ne parvenant point à la victoire, et ne pouvant sans elle parvenir à la paix, et faire taire ainsi cette lumière vengeresse qui l’inquiète, il prend l’un de ces deux partis, et peut-être tous les deux à la fois, pour se tirer de la géhenne et des pénibles pointes du remord.
Pour se persuader la paix et se plonger dans une sécurité moins incommode à ses penchants, ou bien il prend le parti de la dissipation, il devient fugitif de lui-même et de cette lumière intérieure qui le condamne, il se retire de DIEU et de son lieutenant qui lui parle au-dedans, il cherche à s’étourdir, à se cacher son état, à supprimer la voix qui lui crie et à étouffer les mouvements de sa conscience ; il ouvre son âme à la figure du dehors ; la chasse, le jeu, les occupations, les amusements, les plaisirs viennent au secours ; il s’égare, il erre d’objet en objet, il cherche à s’aveugler, et au lieu de bander la plaie, il en détourne les yeux, et tâche de se persuader qu’il n’est point malade.
Ou bien, si sa lumière est trop vive encore, trop forte, trop pénétrante dans ses commencements pour que la dissipation y ait assez de prise à son gré ; si les alarmes reviennent et sont victorieuses de la distraction, il cherche à donner un tribut dans le dessein d’être laissé en repos, intéressé dans ces commencements à s’aveugler, à s’étourdir sur la prévarication qui lui fait étouffer la lumière et les inspirations du guide intérieur, qui lui indiquent ce qu’il a à faire, et ce qu’il ne veut pas, qui lui montrent où il doit porter le combat, attaquer le vif et la passion favorite, qui lui présentent le vrai fil pour sortir de ce labyrinthe, mais qu’il ne peut se résoudre à saisir, parce qu’il en coûterait trop à son lâche et timide cœur ; alors il substitue la fausse vertu à la vraie, l’alliage à l’or, l’œuvre de la loi à celle de la foi ; il veut amuser sa conscience, sans l’éclaircir, l’endormir sans la purifier. Il vent faire des échanges, marchander avec DIEU, donner des actes à la place d’autres ; il cherche à se mettre le bandeau d’une fausse confiance par la pratique de quelques devoirs faciles, et qui ne sont que l’écorce, par quelques vertus, de celles dont l’enfer est plein, a dit un Père ; des actes extérieurs de la religion accomplis ; des bienséances ; quelques vertus de tempérament ; d’autres dérivées de motifs purement humains ou impurs, de l’ambition, de la soif des louanges et de la considération, de l’honneur, ou de la crainte, de la honte et des lois humaines, des vertus qui n’ont aucun fondement en DIEU, 33 les dehors de la coupe et du plat nettoyés, tandis que le dedans est encore plein d’ossements, ou un reste de bien qui n’est pas encore effacé, voilà où il cherche les fondements d’une paix qui n’est que sécurité : il ira même plus loin, s’il en est besoin pour son mortel repos ; quant aux actes du dehors, il remplira toujours les devoirs extérieurs de sa vocation, tant qu’elle ne lui attire pas des dégoûts, des chagrins, des persécutions. Pour le dedans, il obéira aux inspirations intérieures, tant qu’elles n’iront pas au vif, et qu’elles n’attaqueront pas la passion favorite ; ce n’est que de ces deux points qu’il rebrousse lâchement. Il avance jusques là, ainsi il sera capable de bien des choses difficiles qui ne seront pas de sa vocation, mais il y a en lui un fonds de résistance pour les choses difficiles auxquelles il est appelé. Il ira même dans certains cas jusqu’à la surrérogation, en outrant en hypocrite certains devoirs, plutôt que d’attaquer le fond de la plaie ; il pourra se résoudre à souffrir pour le monde, plutôt qu’à être appliqué à la croix, avec Jésus-Christ, ce qui est le vrai martyre du Chrétien. Dans une rude épreuve, vous le verrez faire une honteuse retraite ; tels étaient les Laodicéens, incapables de gagner la couronne ; et tels étaient aussi les Nicodémites. Et néanmoins, quoiqu’il regimbe ainsi contre l’aiguillon et dispute le terrain, quoiqu’il n’y ait en lui, comme on voit, aucun vrai amour de DIEU, mais uniquement de lui-même ; toutes ces fausses vertus, qui ont de l’apparence sans réalité, aidées de la dissipation, le calment et le tranquillisent. 34 Voilà les remparts qu’il oppose à une lumière vengeresse et à une conscience qui s’élève en jugement. Alors insensiblement, selon qu’il a plus ou moins déjà amassé de ce faux or, il s’aveugle, il se croit dans la route, quoiqu’il en soit totalement dévoyé. Alors, quoique rongé et miné imperceptiblement par cette fièvre lente, il saisit la fausse apparence de santé. Insensiblement les traits de lumière diminuent, elle se ternit, le fond se tache, de fausses couleurs se mettent sur les objets, les vérités se mêlent avec le mensonge des facultés inférieures, le prestige et l’illusion s’insinuent, la lumière est à demi voilée, le nuage ne se dissipe plus qu’à moitié. Le monde et ses séductions, ses maximes empoisonnées et lâches font leur main ; le dehors et le dedans, tout concourt à attaquer cette place mal défendue ; des idées saines et justes d’abord dégénèrent en opinion, la règle se courbe et se plie insensiblement, la vérité se confond avec les principes accoutumés, les illusions, les préjugés ; l’esprit tôt ou tard devient la dupe du cœur, et bientôt l’apologiste de ce qu’il contrecarrait naguères. L’imagination, maîtresse d’erreur, est écoutée ; les objets sont vus à l’envers ; tout devient confus ; les idées de la justice et de la miséricorde divine deviennent arbitraires ; on ne voit plus sa propre laideur ; ce faux repos et cette mortelle sécurité tant cherchés s’établissent.
Il est vrai, on l’a vu, qu’il ne parvient que par degrés à cet état fixe et durable de sécurité, il n’y arrive même que tard. Le principe de santé, la lumière dispute le terrain ; quoique fugitive et se dissipant par degrés, elle n’abandonne la place qu’après avoir présenté tous ses droits, et parlé par intervalles et longtemps, quoique toujours plus faiblement. Alors dans cet intervalle le Tiède, avant que d’être amené à l’endurcissement et aux ténèbres, est moitié agité et moitié tranquille ; son trouble et sa paix sont un sentiment confus. Ho ! que de millions d’âmes sur la terre, qui conversent dans cette région moitié ténébreuse et moitié lumineuse, qui sont dans cet état confus et sourd d’idées, de sentiments, de mouvements, de calme et de crainte mêlés, moitié étouffés, moitié développés.
Je viens de suivre le Tiède depuis cette première infidélité, qui a commencé sa tiédeur dans différents états où il passe successivement. Avant que de l’amener à l’aveuglement et à l’endurcissement, qui est sa fin, je l’ai considéré dans les progrès qu’il y fait, on en a pu calculer les degrés, le suivre de proche en proche, le prendre dans sa marche si lente et si variée, revenir à ces retours de lumière qu’il éprouve, en suivre les suppressions et la diminution, saisir ces nuances de l’esprit et du cœur, si difficiles à être rendues, apprécier les différences qu’y apporte la diversité des naturels.
Mais malgré ce que j’ai fait, qui suivra ce protée ; qui démêlera toutes les couleurs de ce caméléon, les différents états de lumière, d’obscurité, de doute, les embarras de cette âme, ses clartés, ses éclairs, ses nuits, ses crépuscules ? Qui éclaircira les mystères de ce cœur et les abîmes de cette conscience ? Qui montrera tous leurs désaccords ? Qui lèvera ce voile ? Qui débrouillera ce chaos ?
Quelquefois, je l’ai dit, le Tiède est dans un état si équivoque et si douteux qu’on ne s’en démêlerait point, ce sont des parties qui n’ont rien de complet, et qui ne peuvent par conséquent être rendues ; elles sont si manquées que la peinture n’y a pas de prise ; à peine l’homme le plus attentif, le plus replié sur lui-même les sent-il. Et comment les analyser ? L’instinct les connaît, et elles échappent à la réflexion. C’est le cœur seul qui en peut juger, lui qui a ses raisons, que la raison ne connaît ni ne peut connaître.
Cependant je vais jeter quelques traits en forme de maximes, qui peut-être le feront mieux démêler, et qui seront une répétition lucide et même nécessaire.
Mais avant que de commencer, on doit remarquer qu’il n’y a pas seulement différents degrés, mais encore différents genres de tiédeur, qui quoique se perdant dans la même origine, et n’ayant qu’une même source, varient prodigieusement quant aux effets et aux ravages. Si on n’a pas cette idée présente, on trouvera souvent de la contradiction où il n’y en a point. Telle situation de tiédeur n’est pas faite pour tous les Tièdes, et toute la peinture qu’on en fait n’est pas toujours générale et applicable sans restriction. Ainsi, mon cher lecteur, lorsque lisant un des traits par où je le caractérise, tu ne trouveras pas qu’il te soit applicable, n’en conclus pas avec une confiance peut-être dangereuse que tu n’es pas tiède, cherche plutôt dans une autre nuance ton symptôme, examine ton cœur, et fouilles-y pour savoir s’il ne te dira pas ce que Nathan disait à David : Tu es cet homme-là.
Car à l’exception d’un petit nombre d’aigles qui prennent leur effort vers le Ciel, il n’est que trop vrai que le monde est divisé en deux partis, l’un composé de scélérats, et l’autre de tièdes ; et enfin la plupart de ces hommes sont tièdes sans savoir qu’ils le sont ; ils ne le pensent plus, ils ne s’avisent plus même de le soupçonner, on en verra plus bas la raison.
§. II.
M A X I M E S S U R L E T I È D E.
1. Le Froid est un homme, à prendre ce mot dans le bon sens, le Bouillant un prodige, le Tiède un avorton, et même un monstre ; il n’est rien de ce qu’il devrait être.
2. Le Tiède est un dissipateur (dissipateur de la grâce). 35 Quiconque n’amasse pas avec moi disperse, dit le Seigneur. Le Bouillant, il est vrai, dissipe aussi, mais il amasse beaucoup par sa dissipation même. Le Froid amasse à la longue et dissipe peu. Le Bouillant court, tombe, se relève, et continue de courir ; le Froid marche ; le Tiède ne court, ni ne marche ; il fait ridiculement la moitié du pas, et n’a rien de concerté et de plein.
3. Le Tiède est vraiment cet homme, 36 à qui on joue de la flûte et qui ne danse point, sur qui on fait des complaintes et qui ne lamente point.
4. Il n’a pas une volonté pour le bien, tout se réduit à des velléités : tantôt il résout, et lorsqu’il a résolu, il n’exécute point, tantôt il exécute à moitié, sans avoir fortement résolu.
5. Il ne rompt rien, mais il délie tout ; quelquefois il semble nouer, mais il n’unit rien. Figurez-vous un corps dont tous les membres, peu nourris, sans liaisons, et sans jointures, sont destinés par conséquent à la dissolution, parce que la vie et la chaleur ne se distribuent qu’à moitié ; tel est le Tiède dans l’ordre des esprits et des cœurs, dans l’ordre moral.
6. Il ne sait se prévaloir ni des restes de bien qui sont en lui, qu’il use et qu’il dissipe, ni de ses infidélités, qui sont des chutes imperceptibles, pour se reprendre et recommencer, ni de sa lumière mourante, ni du temps de lumière, ni du temps de chaleur, ni de d’occasion et de la circonstance extérieure, ni enfin de l’instant de facilité de conversion qui lui est ménagé.
7. Par les fausses vertus qu’il substitue à la vraie, il élude le combat, et cherchant une victoire plus aisée, il n’en obtient aucune véritable.
8. Le Tiède, tant qu’il demeure tiède, n’est ferme ni dans le bien ni dans le mal, et ainsi ne peut avoir ni les récompenses accordées à la vertu ici bas, ni celles que donne le monde aux enfants du siècle ; il n’a ni la vraie paix, ni la sécurité ; la lumière, qui l’inquiète encore, lui dispute par intervalles les fausses jouissances et en empoisonne la douceur.
9. Le Tiède n’est un caractère réel ni dans l’ordre moral, ni dans le spirituel. Il n’est pas un homme moral, car il était destiné à un degré plus éminent, ainsi il ne saurait guères être ce qu’on appelle un honnête homme : insensiblement il n’est plus un homme spirituel, car il s’est dégradé de cet ordre ; ainsi il n’est pas chrétien ; il faut être simple et entier pour être honnête homme ou chrétien ; le Tiède n’est ni simple, ni entier ; il ne peut être que leur singe, tout au plus.
10. Néanmoins il passera pour chrétien parmi les faux chrétiens, et pour honnête homme aux yeux du monde ; quoique mort, ou du moins mourant, 37 il a le bruit de vivre. Il est vrai que dans un cas frappant, dans une circonstance décisive où il sera en perspective, les démarches timides et ménagées de sa tiédeur lui feront peut-être perdre l’estime des vrais juges. Mais combien en est-il ? Et outre que ces cas sont rares, alors même le Tiède pourra se tirer du mépris en agissant par honneur, par fausse honte, par pur respect humain, comme le ferait par principe de conscience un homme de bien, et par sa foi un chrétien. Ainsi le vrai Tiède pourra faire pour le monde ce qu’il ne ferait pas pour DIEU.
11. Le Tiède dans l’ordre de la nature, ou dans l’ordre civil, est moins criminel qu’un scélérat, mais le Tiède dans l’ordre de la grâce est plus criminel peut-être qu’un scélérat. DIEU préfère un homme vrai dans le mal à un fourbe et à un hypocrite, qui ment à lui, an monde et à lui-même. Il aime mieux ou dédaigne moins un pécheur franc et entier qu’un demi-pécheur. Celui qui est vrai dans le mal peut l’être un jour dans le bien. Le Tiède ne l’est ni dans l’un ni dans l’autre.
12. Si l’on distingue les différents degrés de tiédeur spirituelle et que l’on prenne un de ces Tièdes dans l’état où il est déjà considérablement descendu, je dis alors qu’il est moins difficile que le mondain, l’homme du siècle, qui s’est même enfoncé dans le désordre et a lâché la bride à ses passions, soit converti, que ce tiède-là. On a vu de ces conversions, le bon Brigand, la Madeleine, la femme adultère, etc. C’est que ces personnes, quoique si criminelles, n’ont pas connu la route comme ce Tiède ; il est vrai qu’ils ont contristé la lumière naturelle, étouffé cet instinct de la vertu dans leur cœur, et fait taire la voix de leur conscience ; ainsi c’est assez, c’est beaucoup, c’est tout contre eux, s’ils ne se prévalent pas enfin des moyens de retour, des facilités d’amendement qui leur sont offertes jusqu’à la fin, et s’ils meurent sans conversion et dans l’impénitence, et néanmoins, quoique condamnés, ils seront traités peut-être moins rigoureusement que ce Tiède dans le grand jour. Ici s’appliquent sans contestation les paroles de notre Seigneur aux villes qui ne s’étaient point converties à sa prédication 38.
13. Il est encore deux espèces de tiédeur, l’une plus grossière, et l’autre plus délicate. Le Lecteur s’apercevra que je traite plus de la seconde que de la première.
14. Qu’on y pense bien, ce sont les fausses vertus que le Tiède substitue aux vraies, qui sont son danger, plus encore que la distraction et la dissipation, où il se jette ; car au fond, on ne peut pas être toujours distrait, et la réflexion reprend ses droits par intervalles, et même malgré nous dans le sein de la dissipation.
15. Jonas refusant d’aller à Ninive était rebelle et tout à la fois un vrai Tiède, l’amour en lui n’était pas suprême, ni l’obéissance entière. Sa punition qu’il trouve dans le poisson, qui l’avale et le vomit, était la figure en même temps de l’acte de la justice du Sauveur, qui vomira le Tiède de sa bouche.
16. Abraham sacrifiant Isaac était tout à la fois Froid et Bouillant ; il avait toute l’essence, la rondeur et l’intégrité du Froid, et l’admirable, la divine violence du Bouillant. Le tiède n’aurait point voulu sacrifier son fils ; il aurait hésité, douté, excepté, réservé : il aurait raisonné sur le précepte, et l’obéissance, après avoir été mise en doute, en question, aurait été refusée.
17. Il est des hommes moitié tièdes et moitié bouillants, et ceux-là sont les moins mauvais, il en est de moitié froids, et moitié tièdes ; cette misérable tiédeur se fourre partout.
18. La troupe qui suivit le Sauveur était tiède, mais c’était peut-être des moins mauvais, partagés entre Christ et le pain (la prospérité).
19. Dans le Tiède, on la vu, le cœur est amolli avant que l’esprit soit offusqué ; le cœur est le premier qui s’égare et qui rompt l’union. La sensualité, la mollesse s’en emparent, la volupté l’affaiblit.
La maladie du Tiède n’est pas aiguë, je l’ai dit encore, c’est une fièvre lente ; il ne donne rien aux extrêmes, mais il se donne tout à soi-même, exempt des chutes lourdes, exempt des crimes frappants, son cas est plutôt l’infidélité intérieure à l’attrait de la grâce, à l’instinct secret de l’esprit, qui désire de le mouvoir. Ainsi aucun instant de sa vie n’est marqué par ces traits saillants, qui réveillent en étonnant, et forcent le jugement par la surprise de l’âme ; la part qu’il met à la masse du scandale n’est pas spectaculeuse, mais sourde continuelle et n’en est que plus dangereuse. Sa décadence est tout à la fois intérieure et comme imperceptible dans chaque degré ; on n’en aperçoit la totalité et la grandeur qu’à la fin, lorsqu’on fait le compte. Il n’est pas abîmé tout d’un coup, mais il descend lentement dans l’abîme, il n’y est pas précipité, mais tiré ; aussi ni lui, ni les autres n’aperçoivent point la grandeur du péril sur lequel il roule, parce que tout est successif en lui et insensible ; il descend si lentement qu’on ne le voit pas descendre ; ce n’est que lorsqu’il est au fond de l’abîme qu’on voit qu’il y tendait, aussi descend-il plus sûrement.
C’est ainsi qu’enfin se réalise en lui l’état de sécurité et d’aveuglement que le Sauveur reproche au Laodicéen ; alors, par un sentiment confus et une illusion pernicieuse, il dit avec lui : 39 je suis riche, je n’ai besoin de rien, je suis dans l’abondance, etc.
Riche donc de quoi ? Voyez-le dans les Laodicéens introduits ici. Ils étaient riches des biens terrestres ; ils y mettaient une folle confiance. D’ailleurs ils connaissaient Jésus Christ et sa doctrine ; voilà deux principes opposés ; 40 on ne peut servir Dieu et Mammon dans son cœur ; il faut que l’un gagne et sous-mine l’autre. La crainte des contradictions si communes alors et de la perte de leurs aises, de leurs richesses, les empêchaient de porter ouvertement la livrée du Chrétien ; ainsi c’était des cœurs doubles et des âmes partagées, appliquons. Voilà l’état du Tiède, vu sous le point de vue moral, il est riche, n’a besoin de rien. Qui osera le révoquer en doute ? Il est honnête homme, homme d’honneur aux yeux du monde, il vit au dehors régulièrement, il évite les grands désordres, il sera bon ami, officieux, abondant même peut-être en aumônes, il ne sera littéralement ni ravisseur, ni dissolu, ni adultère, il pratique le culte extérieur, il se rend aux usages, aux bienséances, etc. Que de richesses, et comment soupçonner alors qu’on n’est pas dans la bonne voie ! Quel moyen de penser que cette route si sûre en apparence peut être encore la 41 porte large et le chemin de la perdition ? Comment sentir qu’avec tout cela on peut encore être mondain, plein d’orgueil, de mollesse, de lâcheté, de passions, d’habitudes intérieurement vicieuses, sans zèle pour DIEU, sans fidélité à son esprit, sans renoncement à soi-même, sans vraie repentance, sans désirs vraiment bons, enfoncé dans le monde et dans les passions fines qui font à l’âme une insensible guerre, et par conséquent être vide d’amour de DIEU, et par conséquent encore n’avoir pas les premiers principes de la vraie vertu ?
Mais écoutez le Seigneur qui lève le voile ; 42 ce Jésus qui a les yeux pénétrants comme la flamme de feu, 43 qui sonde les cœurs avec des lanternes et cherche les hommes figés sur leur lie, qui disent dans leur cœur séduit, l’Éternel ne me fera ni bien ni mal. Il ne connaît pas, lui dit-il, il ne sait plus qu’il est 44 malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu. Quel entassement d’épithètes, que de titres humiliants ! Il est malheureux et misérable ; misère présente, malheur futur d’être infiniment éloigné de DIEU seule source du bonheur, éloigné doublement et par ses fausses richesses, qu’il faut premièrement dépouiller, et par l’absence des vraies et sa misère réelle, ainsi il est pauvre, pauvre en vertus véritables, abondant en feuilles, stérile en vrai fruit découlant de l’amour de DIEU, qui en est la seule sève ; aveugle de se méconnaître lui-même et le sort qui l’attend ; nu enfin de la précieuse 45 robe de noces, de cette robe indispensable pour être admis au festin des noces de l’Agneau. Et voilà l’état de tout homme en qui l’amour de DIEU n’est pas entier. Tout ce qui ne le met pas dans un cœur n’y laisse qu’un germe de décadence et une semence de destruction et de mort.
Et qui exprimera en effet tout le crime de la vraie tiédeur malgré sa vertu apparente, qui montrera toute sa misère dans sa richesse trompeuse ; elle observe quelques points de la Loi et n’en observe point l’esprit, ce qui seul l’accomplit toute entière, l’acte vrai et réel de l’amour de DIEU, quoi qu’il en coûte à la nature. Et cependant, qu’on y prenne garde, je l’ai déjà insinué, le degré précis de son crime et de sa viciosité ne peut guères s’apprécier ni se déterminer absolument sur son état présent, quel qu’il soit, il faudrait le chercher dans le nombre, la suite, la nature et les qualifications des infidélités précédentes. Il faudrait comparer le point où il est avec celui d’où il est parti, calculer l’intervalle, et y ajouter ce que les circonstances soit extérieures, soit intérieures y mettent d’aggravant, comme les facilités diverses de retour et qui lui ont été ménagées et présentées.
Mais sans m’arrêter davantage à montrer au Tiède ses chutes, son crime, sa décadence, les états de dégradation par où il passe, ceux desquels il dégénère et descend, jusqu’à ce qu’ayant consommé la malice, il ait aussi consommé sa réprobation ; voyons-la dans la menace du Seigneur. 46 Celui qui est l’amen, la vérité, la règle éternelle du vrai et du juste ; le témoin des vertus et la règle contre les vices, Jésus, Juge des hommes et scrutateur des cœurs, qui en perce les replis, qui en lève les voiles, qui en démêle les profondeurs et toutes les tortuosités, qui en éclaire les obscurités ; Jésus, devant qui les plus petits mouvements sont nus et découverts, le vomira de sa bouche. Pour connaître la nature et la grandeur de la menace, développons la figure.
Tout ce qui est vraiment bon, vertueux, chrétien et fidèle, est la nourriture du Sauveur. C’est 47 sa viande, c’est son aliment et son breuvage. Il a faim et soif du juste et de tout ce qui est saint. Et tout ainsi qu’un homme introduit dans son corps une nourriture matérielle, qui le restaure, le Seigneur s’approprie spirituellement et fait entrer dans son corps mystique, dans l’Église ou militante ici-bas, ou déjà triomphante et couronnée, dont il est le chef, tout ce qui peut être adopté, tout ce qui est vrai, bon, juste et saint, tout ce qui est dans l’ordre et ce qu’il doit être. Il adopte le chrétien combattant, en l’établissant dans un état fixe et solide de grâce, jusqu’à ce qu’il l’adopte plus pleinement par le don de la béatitude et de la gloire. Ainsi le chrétien est la nourriture du Seigneur préparée dans cette vie et unie ensuite à son corps. C’est le breuvage dont il désaltère sa soif, c’est-à-dire son désir ardent du bonheur de ses élus et de l’accroissement et consommation de son corps.
Le Tiède n’y peut être admis en aucun de ces sens : il ne peut point l’être ici-bas par rapport à l’état de grâce, dont il déchoit tous les jours, décadence qui est le fondement et la mesure de sa réprobation. La grâce qu’il use, qu’il diminue en lui, qu’il contriste journalièrement, l’abandonne insensiblement à lui-même, à sa nature et à sa misère, premier état.
Quant au second, il n’est point alors un breuvage fait pour Jésus-Christ, la règle de la sainteté : il ne saurait être un membre de son corps, il n’est point une pierre de l’édifice. C’est, pour suivre la figure, une liqueur dégoûtante, qui fait mal au cœur. Longtemps sa gratuité l’a voulu admettre, il s’est obstiné contre elle ; elle ne peut plus l’admettre de nouveau, et elle le vomira. Quelle justice, grand DIEU ! Quelle exactitude à lui rendre selon ses états, ses démérites et ses œuvres. Comme le Tiède a fait de petits essais de se donner à DIEU, qu’il a eu non une volonté ferme, mais des velléités qui, n’étant jamais suivies d’une pleine exécution, ne sont dans un sens que des dérisions, une apparence d’obéissance et une révolte réelle, un hommage feint et un vrai mépris.
De même le DIEU Sauveur fait un essai pour l’introduire dans son corps, dans le lieu de son repos et de ses tabernacles éternels, il le porte jusqu’à sa bouche, mais il le fait rebrousser et retourner. Il le vomit ; tout comme le Tiède est retourné à ses propres voies, il ne s’est pas donné à lui de tout son cœur, ainsi Jésus-Christ ne saurait le prendre ; il a feint de se donner et l’a renié d’effet ; le Seigneur aussi feindra de l’adopter et le reniera en réalité. Après l’avoir introduit jusques dans sa bouche, il le rejettera comme une liqueur empoisonnée et pernicieuse, qui n’est pas faite pour être unie au saint par essence. Ô justice exacte et rigoureuse ! Jésus-Christ le traitera comme il en a été traité. Ô châtiment ! ô rétribution ! il l’introduira dans sa bouche. Là on lui fera, pour son plus grand supplice, savourer quelques instants les inexprimables douceurs, les inénarrables délices du palais de Jésus-Christ. Il sentira, il comprendra toute l’étendue de la perte qu’il a faite. Quels regrets pour le Tiède de voir toute l’étendue de cette perte, d’avoir été introduit jusques dans le sanctuaire pour y contempler un instant les éternelles beautés de ce corps céleste ; d’avoir goûté un instant les délices de ses saints, 48 vu les parcs herbeux, porté les lèvres 49 jusqu’aux puits d’eau vive, aux ruisseaux coulants du Liban, au fleuve des délices, de n’être entré jusques dans le cabinet nuptial que pour en être plus honteusement chassé ! Comme il a contristé la lumière, ce sera cette lumière elle-même qui le confondra. Elle se vengera en lui montrant tout ce qui lui était destiné, s’il eût été fidèle. Il verra les raisons de sa réjection et sera forcé de reconnaître la justice de sa condamnation. Plus malheureux mille suis d’avoir vu le Ciel et senti un instant ses célestes douceurs, pour en être privé, que s’il ne l’avait jamais vu. Le Ciel, dit un père, le brûlera plus que l’enfer. Tel le riche en enfer n’est pas seulement accablé du poids de son supplice, il en a encore un nouveau dans la vue de la gloire d’Abraham 50 et de Lazare dans son sein.
Il sera vomi. Comment le corps saint et céleste l’avalerait-il ? Lui dont la nourriture est la pure vertu, et qui n’y en trouvera que de la fausse ; lui dont la 51 livrée est l’amour, lui qui ne peut s’unir qu’à un cœur consumé de l’amour de son Père, comment adopterait-il une âme partagée, fuyant au moindre danger, timide à la persécution, lâche à l’épreuve, refusant le combat et la lutte du chrétien, préférant à DIEU soi-même, sa passion favorite et un monde vil et périssable.
Enfin comment pourrait-il ne pas vomir le Tiède, après avoir épuisé pour lui et pour le ramener toute l’œuvre de sa grâce, fait les miracles d’amour les plus étonnants, lui avoir accordé des forces, des lumières, avoir employé tant de coups, tant de voix, de marteaux pour le réveiller et le briser, lui avoir ménagé tant d’occasions et de facilités de retour, avoir 52 ébranlé, pour ainsi dire, les cieux et la terre, la mer et le sec pour le sauver ; avoir en un mot tout accompli ; l’avoir supporté, attendu, lui avoir donné du délai, l’avoir ranimé, fortifié, soutenu, secouru jusqu’à ce qu’ayant enfin consommé la malice par tant de révoltes particulières et insensiblement porté le mépris à son comble, il ne laisse plus de cours qu’à sa justice, et force enfin la patience de DIEU à se 53 tourner contre lui, pour en avoir abusé indignement.
Ainsi le témoin fidèle et véritable, le chef, 1e Roi, le juge, ne trouvant point dans le Tiède sa livrée et ses couleurs, l’enfermera sous cette terrible sentence, 54 dehors, dehors les timides, les lâches et quiconque aime et commet la fausseté.
§. III.
REMÈDES ET EXHORTATION AUX TIÈDES.
Ô TIÈDE ! contemple ton sort et sois pénétré de terreur, considère l’abîme, ou peut-être déjà tu es considérablement descendu, et retire ton pied avant que d’être totalement abîmé.
Homme Tiède, et à qui ne m’adressé-je pas, car on ne voit tout au plus sur cette terre que des lâches et des tièdes pour DIEU, 55 réveille-toi d’entre les morts, toi qui dors à moitié, pour être éclairé de nouveau ; attise ces restes précieux d’un feu mourant, ranime ces étincelles, ce petit lumignon d’une grâce que tu n’as point nourri, et qui néanmoins n’est peut-être pas encore entièrement éteint. Débats avec toi-même, brusque les temps, ne garde aucune mesure, force, lutte, arrache, emporte. Ô mon frère ! mets ainsi la soudure à ce roseau moitié cassé, qui peut-être n’est pas absolument brisé, et qu’une faible écorce lie encore. Abandonne tes faux appuis, tes fausses richesses, tes vertus apparentes, qui ne sont que le péché et la misère, et dont les issues ne sont que la mort. Et comptant tout cela pour rien, cherche, achète un amour de ton DIEU, entier, universel, qui est la seule vraie richesse, une obéissance sans borne, qui est la seule vraie vertu. Défie-toi de toi-même, des mouvements de ton cœur ; ne crois jamais avoir assez fait ; et comme on courbe un arbre de l’autre côté, afin de le redresser, va plutôt au-delà du but, si jamais du moins on pouvait aller au-delà. Hasarde, essaie, tente et poursuis avec vigueur et sans relâche. Ton DIEU, qui peut-être n’a pas encore signé la sentence déjà dressée contre toi, qui ne peut s’y résoudre, qui te cherche encore, te tiendra compte de toutes tes violences et mettra dans ses vaisseaux tout ce que tu auras fait en vue de te ramener à lui, dont l’amour éternel a encore pitié de toi malgré toi-même.
Écoute, ô mon frère ! la leçon de ce Jésus, qui soupire de ta perte, qui voudrait retrouver sa brebis perdue, et considère attentivement toute la suite et l’économie de son conseil.
Ô combien il te dit tendrement : Je te conseille d’acheter de moi de l’or éprouvé par 1e feu. À ce faux métal, à ton misérable alliage il veut que tu substitue de l’or, et de l’or épuré, qui a passé par les opérations purifiantes, la souffrance, la patience ; de l’or qui est sorti de l’épreuve, qui est l’amour stable et suprême de DIEU. Cet or précieux et pur, il faut l’avoir de lui, achète de moi, c’est lui seul de qui il vient. Viens donc de nouveau à lui, qui était venu à toi ; 56 travaillé et chargé, ennuyé de toi, de ta tiédeur, de tes incertitudes, de tes langueurs, de ta léthargie : plie-toi sous son joug ; pour cela 57 sens tes misères et te lamentes. Entre dans une vive et profonde méditation de ton état, dans un vif et profond sentiment d’indignation contre toi-même, d’avoir été assez renversé et dénaturé pour partager ton cœur entre un DIEU à qui tu dois tout, par qui tu respires à chaque moment, et un monde vil et périssable, qui n’est qu’une fumée, une ombre, une figure trompeuse et fugitive, et pour tout dire en un mot, le mensonge et le néant.
Mais remarque l’expression : il veut que tu l’achètes cet or. Il faut aller à lui comme un marchand. Il te vendra, il ne te donnera plus, il t’avait donné, comblé de dons et de grâces ; mais tu les as dissipés, ces dons, tu en as trafiqué à ta perte, tu ne les as pas fait prospérer ; follement et doublement prodigue, tu es allé deux fois chez l’étranger dépenser ta portion de l’héritage. Et telle est maintenant l’économie de sa justice, qu’il ne te donnera plus si libéralement, si gratuitement, si magnifiquement. Ce ne sera plus ce bienfaiteur, qui avait joint la gratuité à la toute richesse. Tu en avais été l’objet, car ta tiédeur est la suite des suppressions volontaires de la grâce. Aujourd’hui l’ordre a changé. Ô sagesse, ô justice ! Et néanmoins, ô ressources de la miséricorde d’un DIEU, il te reste pour ressource l’achat ; viens à Jésus, mais n’y viens pas les mains vides, apporte à ses pieds tes offrandes, présente tes violences, tes mortifications, les larmes des sacrifices, des retours, des combats et la lutte contre toi–même.
Alors à ton or seront ajoutés des 58 vêtements blancs, dont la blancheur reparaîtra insensiblement. Tu les avais aussi reçus, les vêtements blancs ; 59 car tu étais nu et découvert, et l’Éternel, le Seigneur, passa vers toi, étendit sur toi le pan de sa robe, et couvrit ta nudité. Il t’avait vêtu de broderies, d’hyacinthes, de fin lin, de soie, et paré d’ornements précieux, d’or et d’argent, d’une blancheur éclatante. Figures de la lumière et des forces qu’il avait jetées sur ta naissance, des perfections naturelles de ton âme, et de celles que ton esprit y avait ajoutées. Tu les as couvertes de taches honteuses. La blancheur même du fonds qui t’avait été donné, accuse maintenant toute leur laideur. Dissipe ces taches par tes austérités, afin que le fonds et sa candeur se retrouvent. Que si le même ne peut se retrouver, achètes-en un autre par tes violences, achètes dé Jésus des vêtements blancs, pour couvrir la honte de ta nudité.
Mais il désire, ce miséricordieux Rédempteur, qui te mène ici comme par la main, que tu oignes ter yeux de collyre. Il faut au préalable que le voile tombe, que ton aveuglement, que les ténèbres que tu as amenées sur toi disparaissent.
Mais ô Jésus ! comment pourra-t-il oindre ses yeux de ton divin collyre, si tu ne le lui donnes toi-même ? Comment se tirera-t-il de ces ténèbres profondes qu’il ne connaît presque plus, et qui, mêlées de fausses lueurs, l’empêchent d’en soupçonner l’épaisseur. Tu l’indiques bientôt, le moyen, ô Prophète par excellence. Tiède, écoute-le encore, et reçois instruction. Je reprends et je châtie tous ceux que j’aime. Quelle profondeur de conseil ! Prends donc du zèle et te repens. Il est infaillible, si tu n’es pas totalement endurci, que tu auras des afflictions et des épreuves, qui sont autant de coups destinés encore à te réveiller, et de marteaux pour briser la dureté de con cœur. C’est ton DIEU qui te le dit. Il envoie toujours des épreuves au Tiède, il t’en envoie par une miséricordieuse dispensation de sa Providence. Fais-les servir à leur destination, à te juger toi-même, à sortir de ta léthargie, à fortifier tes mains lâches, à 60 relever tes genoux tremblants. C’en est le moment, le temps, l’occasion, la circonstance.
Cette maladie qui t’est envoyée, t’apprend, et que le Seigneur est irrité, et tout-à-la-fois ce que c’est que ce monde passager, à qui tu as donné un cœur qui devait être tout entier à DIEU.
Ce contretemps te montre que la 61 bataille n’est pas pour le fort, ni le succès pour le sage, que les projets les mieux concertés n’ont d’issues heureuses que celles que le Tout-puissant leur donne.
Cet ami, devenu maintenant ton ennemi, te fait voir ce que c’est que les bras de la chair, roseaux fêlés, qui percent la main qui s’y appuie, et enfin ce que c’est que l’illusion des amitiés de la terre.
Cette mort imprévue de tes proches, te montre ce qu’est la vie mortelle, la santé, la prospérité, et tous ces avantages vains, qui ne sont pas fondés en DIEU seul.
Prends donc du zèle et te repens. Que tous ces sujets de réflexion fassent sur toi l’impression la plus profonde !
Tels sont, en gros, les moyens dont le Seigneur Jésus se sert pour te faire rentrer en toi-même, pour ranimer tes langueurs spirituelles, et te donner de la force et du courage. Tels sont ses instruments. Tout ce qui t’arrive, tous les états divers intérieurs et extérieurs par où tu passes, sont ménagés par sa main invisible et toute sage, et par une Providence désireuse encore de ton salut.
Voici, dit-il : je me tiens à la porte et je frappe. Il se tient à la porte de ton cœur ; son divin Esprit, qui t’environne, gémit sur toi, et désire, et sollicite de nouveau l’entrée. Il s’y tient par les objets de la nature au-dehors, destinés à te faire remonter à lui ; par ta conscience au-dedans, qui te parle faiblement, peut-être, il est vrai, parce que tu as tant de fois supprimé sa voix, mais qui conserve encore ses droits, et par intervalles se réveille. Ô quels coups il frappe ! en tout, partout, en toute façon ; coups doux et forts, éclatants, redoublés, ordinaires, extraordinaires, instructions, exhortations, sa parole au dehors, ses bienfaits, ses châtiments, ses promesses, ses menaces, fléaux, pertes, Providences marquées pour te ramener. Rien n’est omis, rien n’est oublié. Tout lui sert de coups et de voix. Ainsi a-t-il frappé toute ta vie, ainsi frappe-t-il encore. Telle est 62 sa voix forte, variée, continuelle ; aujourd’hui que tu l’entends encore, ô mon Frère ! 63 n’y endurcis pas ton cœur. Ne balance point, ne marchande point ; hâte-toi, le temps presse et est inexprimablement précieux. Chaque nouvelle lâcheté, chaque nouvelle infidélité rend l’œuvre plus difficile. Hé ! ne vois-tu pas qu’elle est déjà presque impossible, et qu’un rien encore t’établirait dans l’impénitence. Entends encore ce jésus qui crie : 64 Je m’en vais ; vous me chercherez, et vous mourrez dans vos péchés. Quel sort, ô bon Dieu ! mourir dans ses péchés et hors de la grâce ! Entends son excellente promesse : 65 Si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui et lui avec moi. Je le nourrirai, je le restaurerai ; s’il m’ouvre son cœur, je le fortifierai, je l’armerai, je l’animerai au combat, je serai son Protecteur et son bouclier.
Alors, mon Frère, le combat et la victoire te seront faciles sous ce tout-puissant combattant, que tu forceras de nouveau à retourner à toi, et à présider à tes combats. Tu réjouiras le Ciel, et les Anges qui en seront les spectateurs et te prépareront les couronnes.
À celui qui vaincra, je le ferai asseoir sur mon trône, comme moi j’ai vaincu et je suis assis sur le trône.
SOLI DEO GLORIA. ALLELUYAH.
F I N.
Jean-Philippe DUTOIT, dit DUTOIT-MAMBRINI,
Les trois caractères primitifs des hommes,
ou les portraits du froid, du bouillant et du tiède, s. d.
1 Matth. 5, 29.
2 Ibid. 11 et 12.
3 Sophonie 1, 12.
4 Matth. 6, 22.
5 Es. 65, 8.
6 Matth. 12, 20.
7 Matth. 9, 16.
8 2 Cor. 4, 4.
9 Col. 3, 1.
10 Ps. 73, 17.
11 Apoc. 2, 3.
12 Luc 12, 48.
13 Apoc. 22, 15.
14 Matt. 25, 29.
15 Gen. 10, 9.
16 Apocal. 11, 7.
17 Matth. 5, 3.
18 Matth. 5, 29-30.
19 Ps. 26. 1, 6 et 11.
20 1 St. Pierre 5, 5.
21 Luc 1, 52.
22 Luc 9, 56.
23 Héb. 4, 12.
24 Isaïe 42, 4.
25 Éphés. 4, 24.
26 Apocal. 3, 16.
27 Matth. 21, 19.
28 Rom. 7, 23.
29 Voyez, au livre de l’Origine de la Raison et de la Foi, le Chapitre de la Sensibilité, qui discute cet objet, et y répand le plus grand jour.
30 Actes 17, 28.
31 Il n’est ni du présent propos, ni de mon dessein de traiter ici d’une autre des Économies de la Providence dans la conservation des agents moraux deux économies, qui, vues dans leur ensemble, et réunies, montrent l’infinie justice, et tout-à-la-fois l’infinie miséricorde de DIEU sur l’homme, créé d’abord à son image. On peut voir là-dessus, mon ouvrage de Origine de la Raison et de la Foi, et plus précisément et utilement encore, mon Traité sur la Grâce, la Prédestination, la liberté de l’homme, etc., etc. Cette seconde économie, que je ne marque ici qu’en peu de mots, consiste dans une certaine réhabilitation de la liberté, qui après s’être vendue, et s’être mis elle-même des fers, est remise en équilibre dans certains intervalles ; et reçoit en ces moments une nouvelle lumière et une nouvelle force, pour résister aux penchants dont les habitudes lui avaient fait un besoin, et pour rompre les chaînes. C’est ici qu’est le secret de DIEU et de ses infinies miséricordes, qui en certains moments rappellent l’homme à lui-même durant toute sa vie, mais toujours plus faiblement, à mesure et en proportion qu’il vend de nouveau cette lumière momentanée à cette nouvelle force, et qu’au lieu de s’en prévaloir, il lui résiste et retourne avec obstination à ses penchants. Toute l’Écriture est pleine de cette vérité, et partout présente cette double économie.
321 Cor. 3, 10.
33 Matth. 23, 25-27.
34 Il y a telle voie qui semble droite à l’homme, mais dont les issues vont à la mort. Prov. 16, 25.
35 Luc 2, 23.
36 Matth. 11, 17.
37 Apocal. 3, 1.
38 Malheur à toi, Corasins ! malheur à toi, Bethsaïda ! car si les miracles qui ont été faits au milieu de vous eussent été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu’elles se seraient repenties avec le sac et la cendre.
C’est pourquoi je vous dis que Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous au jour du jugement.
Et toi, Capernaüm, qui as été élevée jusqu’au Ciel, tu seras abaissée jusques dans l’enfer ; car si les miracles qui ont été faits au milieu de toi eussent faits dans Sodome, elle subsisterait encore. Matth. 11, 21, 22 et 23. Voyez aussi Luc 10, 12, 13, 14 et 15.
39 Apocal. 3, 17.
40 Matt. 6, 24.
41 Matth. 7, 13.
42 Apocal. 1, 14.
43 Sophon. 1, 12.
44 Apocal. 3, 17.
45 Matth. 22, 11-12.
46 Apocal. 3, 14.
47 Jean 4, 34.
48 Ps. 23, 2.
49 Cantiq. 4, 15.
50 Luc 16, 23.
51 Cantiq. 2, 4.
52 Isaïe 24, 18.
53 Rom. 2, 3-5.
54 Apocal. 22, 15.
55 Éphés. 5, 14.
56 Isaïe 53, 4.
57 Jacq. 4, 9.
58 Apoc. 3, 5.
59 Ézéchiel 16, 8 et suivants.
60 Héb. 12, 12.
61 Ecclésiaste 9, 11.
62 Ps. 29, 4 et suivants.
63 Héb. 4, 7.
64 Jean 8, 21.