DIVINE VISION
&
REVÉLATION
des
TROIS ÉTATS,
L’Ecclésiastique, le Politique,
et l’Économique :
LAQUELLE
Moi JEAN ENGELBERT,
de Brunswick, ai vue de mes yeux et veillant,
étant à Winsem, au pays de Lunebourg,
L’an 1625.
Écrite pour une seconde fois àEmbden, l’an
1640 par l’Auteur même, en Allemand,
Et
Traduite en Français pour l’édification
des âmes qui cherchent Dieu.
À AMSTERDAM,
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Chez Pierre Arents, Libraire, rue de la Bourse,
M D C L X X X I V
Isaïe III. v. 7.
Certes Jérusalem estchuté et Judas est tombé d’autant
que leur langue(la Doctrine et les Docteurs)
et leur conduite sont contre le
SEIGNEUR, pour irriter les yeux
de sa gloire !
P R É F A C E
du Traducteur.
DAns un siècle si ténébreux que celui-ci, où le Diable répand partout à pleines mains ses ténèbres par la conduite, par les maximes, par les doctrines des hommes corrompus, et par tant de livres vains et même ouvertement impies dont le monde se remplit, je crois qu’on ne peut mieux faire que de mettre sur le chandelier la lumière divine qui n’estque trop couverte par la malignité de ceux qui devraient l’avoir eux-mêmes recommandée. Ce petit Traité que l’on vous communique, AMI LECTEUR, en estassurément un flambeau. Et partant il doit êtreagréable à tous ceux qui cherchent le bien, et ne peut déplaire sinon à ceux qui sont persévéramment dans la volonté d’êtredes méchants, desquels Jésus Christ a ditqu’ils haïssent la lumière parce qu’elle convainc leurs œuvres d’êtredes œuvres méchantes : car ceux qui étantméchants ont le dessein, ou croient avoir le dessein, de quitter le mal et d’embrasser le bien, ceux-là doivent rendre grâces à Dieu qu’il les avertit de leur iniquité, et ils doivent chérir les moyens dont Dieu se sert pour la leur faire connaître : que si quelques-uns en particulier ne sont pas coupables de tous les maux dont on fait mention, ils doivent croire que ce n’estpas à eux que l’on s’adresse, et qu’on n’a dessein que de parler à ceux qui les ont commis : quoiqu’à vrai dire si l’on était dans l’esprit de l’humilité avec quelque lumière, l’on pourrait bien découvrir dans l’intérieur des maux correspondants aux plus grands et aux plus palpables désordres du dehors ; et posé que cela même ne fûtpas la considération de notre fragilité qui nous peut faire tomber dans toutes sortes de péchés si tôt que notre présomption donnera sujet à Dieu de nous abandonner et au Diable d’avoir prise sur nous, cette considération dis-je, doit bien porter les meilleurs à s’appliquer les répréhensions de Dieu les plus rigoureuses comme des préservatifs pour l’avenir s’ils croient n’en avoir pas besoin comme de remèdes pour le passé ou pour le présent, qui esttoujours pire que l’homme flatteur et le cœur incroyablement trompeur ne se l’imaginent ; et qui ne peut êtrequ’universellement mauvais, puisqu’il oblige la justice de Dieu à menacer le monde de plaies universelles, au même temps que sa bonté estsi grande que de les rappelerà leur devoir, pour voir si peut-être ou tous, ou quelques-uns, pourraient les éviter, ou du moins les souffrir salutairement après s’êtreprémunis de ses divines instructions.
Ainsi nul, dans quelque état qu’il soit, ne peut avec raison prendre sujet de se mécontenter d’une chose si salutaire ; et comme toutes les œuvres de Dieu sont toujours pour le bien des hommes, s’ils ont dessein de profiter ils ne pourront que tirer un très grand avantage de cet ouvrage divin.
Cela ne vous doit pas surprendre, Lecteur, que je parle si déterminément de cet ouvrage comme d’une œuvre du S. Esprit, qui me paraît de même rang avec ce que Dieu a produit autrefois par les Saints Prophètes et les Apôtres. Je n’ignore pas que l’idée que l’on se forme vulgairement d’une chose divinement inspirée ne soit toute autre que celle que l’on aura d’abord de cet écrit : parce que l’on a mélangé dans cette idée mille choses accessoires qui, n’étant pas de l’essence de la vérité mais dépendantes des choses purement accidentelles et extérieures, peuvent ne pas se rencontrer partout où la vérité divine peut se trouver. L’on se représente les écrits divinement inspirés comme des choses qui doivent êtredans une langue étrangère, Hébraïque ou Grecque, faites depuis mille ans et davantage, publiées par des personnes vénérables et tenues pour Prophètes ou pour Apôtres, approuvéesde toute l’Église, et surtout des savants et des Docteurs, prêchées par eux, et tenues pour principes de la doctrine de la Foi, et pour la matière des textes de leurs Sermons. Si quelque chose n’a pas maintenant ces conditions, on ne peut se représenter qu’elle soit d’autorité divine. Et néanmoins du temps que les Saints ont parlé, ils n’avaient nulles de toutes ces marques ; et ceux qui les ont rejetés sous prétexte de ce manquement l’ont fait à leur damnation. En effet, ce n’étaientpas des personnes qui eussent étudié des langues étrangères : ils parlaient le patois de leur pays ; ce qu’ils disaient était alors sans antiquité, quelquefois les plus pieux étaient choqués de quelques expressions qui n’étaientpas à leur goût 1 : ils n’étaientpas des personnes pour qui on eûtdu respect comme pour des hommes de Dieu ; ils n’avaient pas l’approbation du peuple, encore moins des savants. L’un était un villageois qui s’appelait Éliséele laboureur 2, qu’on tenait pour un conteur de fables si incroyables 3 que Dieu même n’aurait pu les effectuer quand il aurait fait des fenêtres au Ciel ; l’autre étaitun garçon méprisé que l’on appelait Jérémie l’enthousiaste 4, que l’on souffletait et mettait en prison sans forme de procès comme un fou à cause de ses rêveries 5, et qu’il se mêlait trop de censurer l’ÉTATECCLÉSIASTIQUEet le POLITIQUE ; l’autre était un paysan grossier nommé Amos le bouvier 6, qui voulait aussi se mêler de parler contre la Religion du Roi et de la République 7 ; un autre étaitJean le sauvage et le possédé 8 ; un autre, le Fils du Charpentier et l’endiablé 9, qui disaient tous deux trop d’injures aux gens d’Église, les nommant des engeances de vipères, des aveugles, des fous, des hypocrites, des Enfants du Diable, et des meurtriers ; tous des francs idiots 10 ; et si quelqu’un avait eu un peu d’étude, on disait que cela lui avait troublé la cervelle 11, et qu’il étaitun babillard 12 : bien loin que leurs paroles et leurs écrits aient été tenus pour canoniques, on les condamnait comme des rêveries, comme des lettres de fanatiques 13, on les déchirait et on les brûlait 14, on disait qu’ils étaient contre Moïse et contre la Loi 15 ; même contre l’État 16. Ces pauvres gens se devaient cacher 17 : le peu qui étaient touchés de leurs Paroles et qui leur voulaient ouvrir leur cœur devaient aussi se cacher et choisir l’obscurité de la nuit pour leur aller dire en secret 18 : Maître, nous savons que tu es un Docteur venu de Dieu : car nul ne peut faire ce que tu fais si Dieu n’est avec lui. Tous ont été désapprouvés, rejetés, condamnés du peuple qui vivait de leur temps ; de ceux qui étaienttenus pour l’Église de Dieu ; et surtout ils ont eu l’honneur d’êtretous persécutés par Messieurs les Ecclésiastiques, par les Pasteurs et les Docteurs, dont la Diabolique subtilité (lorsqu’ils avaient assez d’Esprit pour cela) s’estamusé à tordre et à critiquer leurs paroles et leurs écrits, pour les tourner en hérésies, en donner de l’horreur au monde, et ainsi persécuter les Saints, même par voie de fait 19.
Voilà en quel état ont premièrement paru les ouvrages du S. Esprit. Voilà la première idée que l’on avait lors de leur publication, et ce que l’on pensait généralement du temps et du vivant de ceux qui les déclaraient pour la première fois. Ce n’a été que longtemps après leur mort que les successeurs de ces méchants qui les avaient maltraités ont commencé à les reconnaître et leur donner une approbation authentique et universelle, dont ils n’avaient guères de besoin, et qui n’a servi qu’à les faire embrasser plus par coutume et par égard humain que par le mouvement d’un cœur touché de Dieu et de l’amour de la vérité, laquelle estassez recommandable et reconnaissable d’elle-même à tous ceux qui la cherchent en sincérité et en droiture de cœur ; mais qui se cache à tous les méchants volontaires, qui, pensant l’embrasser dans quelques écrits sacrés que la coutume leur fait tenir pour divins, n’embrassent que de l’air, des paroles et des mots, qu’ils animent de leurs propres fantaisies et des fausses idées que leurs Maîtres aveugles leur ont enfoncées dans la cervelle, qu’ils se sont néanmoins imaginé êtredes habits essentiels à la vérité, ou d’êtrela vérité même, laquelle ne leur paraît pas plutôt dans des habits nouveaux avec d’autres livrées que celles de leur imagination, qu’ils se mettent à la déchirer comme des bêtes farouches qui ne connaissent pas leurs propres maîtres dans leurs habits les plus précieux.
Il est à craindre que la vérité que Dieu manifeste encore aujourd’hui d’une manière comme toute renouvelée ne soit traitée de la même sorte par ceux qui vivent du temps de cette déclaration : puisque les hommes sont incomparablement plus faux et plus méchants à présent qu’ils ne l’étaient autrefois ; et que le Diable a tant de pouvoir qu’au lieu qu’il n’avait pu autrefois faire rejeter les écrits des Prophètes et des Apôtres sous prétexte que Moïse avait défendu de ne rien ajouter à la parole de Dieu, il a maintenant persuadé à tous qu’il ne faut plus à présent attendre des nouvelles influences du S. Esprit, et qu’il n’agit et n’enseigne plus dans les âmes comme du temps des Saints Apôtres : quoique cependant toute l’Écriture Sainte soit pleine des promesses que Dieu a faites de répandre si abondamment son Esprit dans les derniers temps 20, que la terre sera pleine de sa connaissance comme le fond de la mer estcomblé de ses eaux 21. De plus, outre ces fausses impressions d’esprit que je viens de marquer, l’ennemi de notre salut a suscité tant de faux Prophètes, les uns ordinaires avec leur vocation humaine ; les autres extraordinaires, faisant les Nouveaux Réformateurs, les Rétablisseurs d’Israël, voulant réformer le Christianisme, ou par les savants, qui en sont les premiers et les derniers corrupteurs, ou par eux-mêmes, avec des jactances de prédictions, de visions, de signes et miracles, de dissolutions même, et de jouissance libre de tout ce qui estcréé, et mille diableries de cette nature, que les meilleures âmes ne savent quel milieu tenir. Ce qui les fait se déterminer, les uns à rejeter tout le bien avec le mal, et les autres à recevoir tout le mal avec le bien : peu étant si heureux que de prendre en partage tout ce qui estbon en renvoyant tout ce qui vient de l’esprit de fausseté.
Ce n’estpas qu’il n’y ait de règle pour faire cediscernement avec une souveraine certitude ; mais c’estque tous ne veulent pas s’en bien servir, et cherchent une autre pierre de touche que la véritable. Ni beaux discours, ni langage des Anges, ni études, ni sciences, ni miracles, ni belle apparence à l’extérieur, n’étantrien tout-seuls, selonSt Paul, ce n’estpas à cela qu’il faut regarder,mais à la seule Charité douée des conditions que cet Apôtredécrit 22 : et partant ceux qui ont d’autre but et d’autre conduire sont des esprits errans et enflés. Cet Auteur-ci revient à cela même lorsqu’il recommande partout que l’on s’abstienne des péchés connus, et que sans s’amuser à l’extérieur l’on rentre dans l’intérieur de son cœur pour y invoquer le S. Esprit afin qu’il vienne y opérer la Charité et la Foi, et toutes les vertus Chrétiennes. Ceux qui se rendent sincèrement à ces dispositions peuvent connaître la Vérité avec certitude. C’estce que le Fils de Dieu même a donné pour une règle très-certaine, que si l’on veut sincèrement faire la volonté de Dieu, tant celle que l’on connaît déjà que celle que l’on ne connaît pas encore, mais que l’on estdisposé à faire sitôt qu’il plaira à Dieu de la manifester, alors l’on pourra la discerner avec certitude : Si quelqu’un, dit-il, veut faire la volonté de celui qui m’a envoyé, il connaîtra touchant la doctrine si elle est de Dieu, ou si je parle de moi-même 23. Et : Si vous demeurez constants dans l’observance de ma parole, vous serez mes vrais disciples, et vous connaîtrez la Vérité 24. Il dit encore que ceux qui sont de ses brebis et qui suivent ses pas connaissent bien sa voix et savent discerner celle des étrangers et fuir d’eux 25. Hors de là, nul ne peut discerner l’Esprit de vérité d’avec l’Esprit d’erreur.
Mais ceux qui sont seulement dans le désir réel et ferme de ces dispositions connaîtront assurément la vérité par la miséricorde de Dieu. Ils n’ont pas besoin de toutes les marques extérieures, et encore moins de s’alambiquer l’esprit à toutes les finesses et creuses disputes de nos Docteurs pour savoir quels livres sont inspirés du S. Esprit et quels ne le sont pas. Ils verront assez que toute l’Écriture, sans excepter les livres que quelques disputeurs appellent Apocryphes, ni même cet admirable livre d’Esdras, le quatrième, qui estrejeté de tous, quoique si divin, si salutaire et si nécessaire au siècle présent qui y est si bien décrit, procèdent tous d’une divine source. Ils verront que Dieu ne s’estpas borné là, mais qu’en tout temps il a communiqué la divine lumière de son St Esprit par des âmes qui, étantabandonnées à lui, vivaient et parlaient par le mouvement de l’Esprit de Jésus Christ : comme ont été entr’autres dans ces derniers temps le solide Auteur de la THÉOLOGIEGERMANIQUE, Prêtre et Chevalier Teutonique ; le Saint Dominicain Jean Tauler ; l’humble Thomas a Kempis, Chanoine ; cette âme si pure et si sublime, Jean de la Croix, Carme Espagnol ; ce second Job, Matthieu Weyer, qui vivait du temps des réformations sans attachement qu’à Dieu seul (et dont l’on pourra peut-être bientôt voir les ouvrages en Français) ; ce très-intérieur Auteur nommé Hiel, homme sans étude ; le doux et sincère Herman Herberts, Ministre des Réformés à Ter-Goes en Zélande ; entre les Luthériens, le Mystérieux et profond Jacob Boehme, simple artisan (dont les admirables écrits sont si au-delà de toute la sagesse de nos savants qu’ils crèveraient plutôt avec toutes leurs sciences que d’en comprendre la solide réalité sans renoncer premièrement à leur folle sagesse, et recevoir une lumière particulière de Dieu). Ce simple homme, Jean Engelbert, dont voici un petit ouvrage, estaussi de ce nombre, avec encore plusieurs autres qu’il serait trop long de rapporter ici : mais comme ils sont tous retournés à celui qui les avoir envoyés, je ne puis que je ne fasse ici mention d’une personne que Dieu conserve encore en vie sur la terre pour y répandre la lumière de la Vérité par ses incomparables écrits. C’estune fille nommée Madlle Antoinette Bourignon, dont les divins Ouvrages, étant plus forts, plus lumineux, plus touchants, plus intelligibles, plus convaincants, plus découvrant la séduction et la corruption, plus inculquant à vue d’œil le solide et l’essentiel, plus développant les mystères divins que tout ce qui a jamais paru, doivent par conséquent attendre seuls plus, d’oppositions du Diable et de tous les méchants et les ennemis de la vérité que n’en ont soutenues les autres tous ensemble : car ce sont là les gages assurés dont le monde ne manque pas de payer ponctuellement ceux qui lui déclarent la pure Vérité. Cela n’a pas besoin de preuve, et cette marque n’a pas manqué à cet Auteur-ci, non plus que toutes les plus essentielles des vrais Envoyés de Dieu, ni même les extérieures : car il n’a pas étéun sage étudié ni unprudent du siècle (comme sont ceux à qui Dieu cache ordinairement ses secrets 26) ; mais il a étéun simple enfant, tout idiot ; il n’a pas étéd’entre les choses fortes, d’entre les nobles et les estimées, que Dieu a anéanties 27 ; mais il a étéd’entre les faibles, les basses et les méprisables, que Dieu a choisies ; c’étaitun pauvre Artisan, travaillant en draperie, comme S. Paul à faire des courtines, ravi aussi dans le Ciel comme cet Apôtre, mais par la mort ; d’où après y avoir reçu ses divines connaissances, Dieu l’a renvoyé sur la terre pour faire épreuve de cette parole de l’Écriture : S’ils n’écoutent ni Moïse ni les prophètes, ils ne croiront pas non plus quand quelqu’un des morts ressusciterait 28 : car en effet, mettant à part les choses miraculeuses et les divines visions qui lui sont arrivées, et qu’il n’a jamais recommandées comme des choses essentielles et nécessaires, mais seulement comme des moyens dont Dieu se sert pour réveiller l’attention de plusieurs ; il a étéquant à l’essentiel rejeté de tous, généralement parlant, et persécuté particulièrement des gens d’Église, dans et hors sa patrie, de ceux de sa Religion, et de certains autres qui ne pouvaient souffrir qu’il déclarât qu’il tenait pour une pernicieuse doctrine celle de la Prédestination de la manière que plusieurs la tiennent aujourd’hui, par laquelle ils anéantissent l’Amour de Dieu envers les hommes, l’Amour et le désir des hommes envers Dieu et les choses célestes, et favorisent le relâchement, le libertinage, le désespoir et le blasphème. Le peu d’écrits qui ont été publiés de lui sont parsemés de plaintes qu’il fait sur les excès des persécutions qu’il endurait de toutes ces sortes de personnes qui, sans doute, n’ont pas peu contribué à empêcher la publication de ses divins ouvrages, qui sont si naïfs, si simples, si solides, et si pleins de merveilles, que c’estun grand dommage que d’un si grand nombre, dont il fait quelque part mention, il n’y en ait seulement que quatre petits (que je sache) de publiés, en Allemand et en Flaman, savoir, Une Vision du Ciel et de l’Enfer, avec l’histoire d’une partie de sa vie ; La Vision d’une montagne au milieu d’un déluge universel ; Le Nouveau Ciel et la Nouvelle Terre ; et celui-ci, qui n’a point (non plus que les autres) encore paru en Français que maintenant, et qui pourrait être suivi des autres si l’occasion le permettait, même des nouveaux si l’on pouvait les recouvrer par quelque moyen.
Je sais bien au reste que ceci ne sera pas au goût de presque tous les savants du siècle. Les Grecs demandent après leurs sciences, et nous annonçons simplement Jésus Christ crucifié, dit S. Paul, ce qui leur est folie 29. Et les choses qu’ils estiment sont aussi à leur tour des folies devant Dieu, et même devant les hommes un peu désintéressés : car ils sont si égarés que de laisser échapper la vérité pour courir après des vaines curiosités qui n’ont de prix que ce qu’elles reçoivent de leurs fantaisies. Parce qu’une chose sera entrée dans la tête de quelqu’un il y a deux mille ans, et que ce quelqu’un aura étéun Romain ou un Grec, un Africain, un Arabe, un Païen, cela sera admiré, recherché, estimé. Si j’avais trouvé quelques vieux lambeaux de Tertullien, quelques suppléments de Tacite, les compléments des demi-vers de Virgile, comment étaientfaits les bonnets ou les souliers des Anciens, quelques médailles de Galba, de la mort et des funérailles de la fille de Cicéron, ou semblables bagatelles, cela serait capable d’attirer l’attention des Théologiens, des Politiques, des critiques, et de tous les savants, même de tous les hommes ensemble, y comprenant l’État Économique, si on leur découvrait l’Art de gagner beaucoup d’argent en peu de temps sans peine et sans hasard. Aveugles ! Jusqu’à quand (selon la parole du Prophète) changerez-vous en une image honteuse la gloire de Dieu (qui doit reluire dans votreâme créée à l’image Divine) 30, jusqu’à quand aimerez-vous la vanité et chercherez le mensonge ? Comme si un peu de matière pouvait rendre éternellement heureux les esprits immortels des personnes de vos familles, qui ne voient cette matière que hors d’elles et pour un petit moment ! Ou comme si (pour revenir aux autres) les sottises devenaient sagesse parce qu’elles sont Grecques et Latines, vieilles et étrangères ; et que la vérité fût moins solide et estimable parce qu’elle estnouvelle et domestique. Quelque absurde que soit ce procédé, il estcependant indéracinable de presque tous les Esprits. Cela estsi vrai que si (autant que la vérité de l’histoire aurait pu le permettre) cette pièce avait étéfaite par Socrate ou parÉpictète, ou qu’elle fûtmême une fiction de la main et à la façon de la table de Cèbes, toutes les paroles en seraient presque adorées ; et il n’y aurait rien de plus estimé ni de plus recommandé par les doctes : et néanmoins la différence de ces deux propositions : Cèbes de Thèbes a fait cet ouvrage, et Jean Engelbert de Brunswick en est l’Auteur, n’ajouteraient pas et n’ôterait pas un fétu de réalité à la substance et à la solidité de la vérité qui estcontenue dans lui tel qu’il està présent : quoiqu’après tout, quelque respecté qu’il eût pu êtresi ses habits avaient étéfaits dans la Grèce il y a quelques mille ans, il està croire qu’on aurait aussi peu pratiqué ses enseignements que l’on a fait les sages, et si je l’ose dire, les Chrétiennes instructions de ces vertueux et même saints Païens que je viens de nommer les derniers.
Je souhaite de tout mon cœur que Dieu fasse la grâce aux âmes sincères et simples, aux moins fins, à ceux qui cherchent et qui aiment impartialement la salutaire vérité à cause de Dieu même, et pour faire leur salut en s’y conformant, qu’ils puissent tirer du profit de cet ouvrage qui estpublié pour eux. Si des personnes d’autre disposition en entreprennent la lecture, il faut qu’ils prennent en patience et pour pénitence ce qu’ils n’y trouvent pas à leur goût, aussi bien que la simplicité ou, s’ils veulent, l’incongruité du langage de la Traduction, qui a étéfaite presque mot pour mot dans quelques sentiments d’amour pour la divine et naïve simplicité de l’Auteur, et que l’on n’a pas voulu changer pour ne pas disproportionner son langage d’avec son état et sa personne. Et je m’assure que ceux qui cherchent le beau style aimeront bien mieux le trouver dans la lecture des ouvrages galants et des Comédies (que certains Docteurs recommandent à ceux qui veulent se dresser à bien prêcher, sans doute pour accomplir le passage de S. Paul 2 Tim. 2, v. 3) que de le chercher dans l’École du S. Esprit, dans laquelle si tu veux profiter, Lecteur,
Abstiens-toi des péchés connus,
Prie l’Esprit dans toi, et quitte-toi toi-même.
C’est tout. L’Esprit viendra opérer le surplus,
Et apprendre à ton Cœur sa doctrine suprême.
Amen ! voire Amen !
P R É F A C E
de l’Autheur.
JE vous communique, Lecteur, une divine Vision et Révélation touchant les troisÉTATS, l’Ecclésiastique, lePolitique, et l’Économique, laquelle moi, JEANENGELBERT, ai vue clairement de mes yeux et en veillant. Je décris ici comment je vis alors ces trois États assis sur des chaises et dormant tous trois, et qu’un Ange vint frapper et précipiter jusqu’en terre l’État Ecclésiastique, qui tomba du siège où il était assis : ce qui fit tant de bruit que les deux autres s’en éveillèrent ; à quoi j’ajoute le reste de ce qui m’apparut dans cette vision, que j’écris maintenant pour une seconde fois, déclarant comment un Ange vint ensuite m’expliquer tout ce que j’avais vu, et que c’est le S. Esprit qui a régi tout ceci dans la manière dont j’ai dû l’écrire et l’expliquer comme je fais à présent que j’interfère dans ce récit beaucoup de bonnes pensées.
Celui qui voudra lire ceci dans l’Amour et dans la Crainte du Seigneur apercevra sans peine et sera obligé de confesser que c’est la vérité, et ne méprisera point l’ouvrage du Saint Esprit ; et s’il le prend à cœur, le S. Esprit viendra opérer beaucoup de biens dans son âme ; mais si quelqu’un veut blâmer cet œuvre et mépriser ce qu’ils n’entendent pas, Dieu ne le laissera point impuni, sinon qu’il désiste de ses blâmes et qu’il fasse une vraie pénitence. Les vrais Chrétiens, quant à eux, ne blâment pas ce qu’ils n’entendent pas ; mais ils le laissent dans sa valeur, le recommandent à Dieu, et adhèrent cependant à Jésus Christ et à sa sainte parole : ils le suivent dans sa doctrine et sa vie sainte, et disent d’eux-mêmes :Dieu est admirable dans ses œuvres et dans sa conduite ! Sa direction est merveilleuse : elle choque toute opinion, elle surpasse toute raison humaine. Telles sont les pensées des gens de bien et des vrais Chrétiens : Dieu (se disent-ils) est Tout-puissant. Nulle chose n’est impossible à son égard, et il fait tout ce qu’il veut dans le Ciel et dans la terre ; ce n’est à personne à lui donner là des lois ; et malheur à celui qui veut régenter Dieu dans son divin ouvrage !
Et partant que chacun se donne de garde de censurer, de juger, et de condamner ce qu’il n’entend pas : parce qu’à son tour il sera censuré, jugé, et condamné lui-même. C’est par le mouvement du Saint Esprit que je dois donner cet avis tout au commencement de ce traité, pour que chacun s’abstienne de ce qui lui serait dommageable, et qu’on ne condamne point ce que l’on ne comprend pas.
J’eus cette vision l’an 1625 lorsque j’étais dans la maison du Pasteur deWinsem, au pays de Lunebourg, une lieue proche de Zelle qui est la ville où le Prince a le château de sa Résidence. Je prie Dieu de nous faire arriver bientôt par son assistance à la résidence céleste de notre Grand Prince, et que dans cette Divine et céleste Cour nous vivions éternellement dans une joie et un salut qui n’ont point de fin. Amen !
JEANENGELBERT.
Prière Chrétienne
de l’Auteur.
ÔDieu, le grand et admirable ! qui peux toutes choses, qui es une divine Essence toute libre et toute puissante, qui as le pouvoir et le droit de faire tout ce que tu veux, et à qui nul n’a à donner aucunes Lois ! Toi qui viens de me manifester des choses si admirables ! Toi qui m’enseignes et qui me conduis si admirablement ! Je ne puis rien sans Toi. Puis donc que j’ai entrepris selon le désir de quelques bonnes et Chrétiennes personnes de mettre par écrit quelques-unes des choses et des visions merveilleuses que tu m’as fait voir et déclarées, par où tu m’as abondamment enseigné les bonnes choses de ta parole (car c’est là l’école où tu m’apprends ta parole divine : école qui paraît bien étrange à présent aux yeux des hommes : mais, néanmoins c’estlà que tu m’enseignes ta parole), je te prie donc en vraie Foi au Nom de JÉSUSCHRISTqu’il te plaise de me verser par ton Saint Esprit dans mon cœur et dans mon entendement les choses que je dois écrire à présent, et la manière dont je dois les écrire. Porte-moi par l’inspiration de ton Esprit Saint aux choses que j’en écrirai, et augmente-moi continuellement par le même Esprit la sagesse, l’intelligence, la force et la puissance dont j’ai besoin pour bien écrire ce que je dois en écrire : que ce soit par ta divine vertu que je mette par écrit tout ce que je sais devoir y êtremis. Autrement, Seigneur, tu sais que par ma sagesse, par ma force, et par ma vertu humaine, je ne puis et ne sais écrire rien de bien ; puisqu’en ce point, je suis l’homme le plus chétif et le plus misérable qui puisse être sur la terre. C’est pourquoi je dois me tourner vers toi par Ia prière de la foi, afin qu’il te plaise de me prêter la sagesse, l’entendement, la force et la puissance dont j’ai besoin lorsque j’entreprends de faire quelque bonne chose. Car je ne puis faire nul bien sans toi.
Mais parce qu’il te plaît de m’instruire à présent dans cette merveilleuse école, et que par le mouvement de ton S. Esprit j’en déclare quelque chose à quelques-uns, donnant étendue à ton divin œuvre selon l’exhortation que m’en a faite Raphaël ton Saint Ange, cela donne un si grand dépit au Diable, qu’il suscite ci et là les uns et les autres, tant des savants que des personnes sans étude, à outrager ton divin ouvrage, à le mépriser, à le décrier comme une fiction humaine, comme si j’inventais en faveur de mon ventre ce que je propose : ou même ils le décrient comme un ouvrage de quelque hypocondriaque, d’imagination blessée, de rêveur, de fanatique, comme une fausse fiction, et choses semblables et impies ; quelques-uns mêmes le décrient comme un œuvre tout diabolique, et me disent que le Diable m’a révélé les choses que j’ai vues et ouïes dans ces visions ; que c’est lui qui m’a donné et les visions et les instructions de la parole de Dieu que je cite des Saintes Écritures ; qu’il s’esttransformé devant moi en Ange de lumière, et que par ce moyen c’est lui qui m’a révélé tout ce que je propose.
Or que ton divin ouvrage soit ainsi blâmé ; que ce divin œuvre soit appelé mauvais et qu’il soit rapporté au Diable ; que la lumière soit ainsi nommée ténèbres, et qu’il me faille ouïr que ce divin œuvre soit blasphémé de la sorte par ceux qui veulent passer pour des Chrétiens, c’est une chose qui m’afflige extrêmement le cœur. C’est pourquoi je te prie en vraie foi au Nom de JÉSUS, console-moi, voire console-moi à ce sujet par ton S. Esprit dans l’intérieur de mon cœur, afin que je puisse endurer patiemment toutes les angoisses et les douleurs que mon cœur en ressent, par lesquelles mon esprit estsi abattu que je ne puis proposer si bien ton divin œuvre par mes discours que je pourrais le faire sans cela si mon esprit n’étaitpas abattu par ces sortes d’ouvrages : car alors je puis bien mieux parler de ton œuvre divin, et tout ce que j’en dis coule bien mieux lorsqu’on écoute volontiers les bonnes choses que j’en dis, et lorsque je n’entends point qu’il soit blâmé. Car autrement mon cœur en est souvent si oppressé, que de fois à autres je ne puis bien parler de cet œuvre divin, mais que je demeure court au milieu de mon discours, jusques là que tout ce que je veux dire me tombe entièrement hors de l’Esprit : tellement que je ne puis toujours dire le bien que je voudrais dire, ni m’en acquitter comme je m’en acquitte autrement. Ce qui me vient de ce que je dois ouïr des blasphèmes contre ton œuvre divin ; et c’estlà ce qui oppresse et abat dans moi l’esprit par lequel il me faut écrire et parler.
Car tu sais que ce n’estpoint de ma tête que je dis et que j’écris ce que j’écris, mais que c’estde ton S. Esprit qu’il me vient. Je ne le sais pas d’une manière semblable à celle des savants qui prêchent ta parole par l’application et l’opération de leurs têtes, où ils l’ont eux-mêmes imprimée par une instruction étudiée et artificielle, à la manière d’un artisan qui apprend un métier et qui, l’ayant appris, sait l’exercer par la production de plusieurs choses utiles qu’il fait selon les impressions qu’il en a formées dans sa tête. Car c’est ainsi que plusieurs savants prêchent ta parole. Ils le font comme un exercice de leur métier, et par la force de l’impression qu’ils en ont mise artificiellement dans leur tête. Ce n’estpas dans l’Esprit Saint qu’ils la tirent lorsqu’ils la prêchent ; mais c’esthors de leurs têtes : avec quoi leur cœur demeure toujours le même sans changement, toujours également méchant, également faux, fier, orgueilleux, ambitieux et avare. Oui, Seigneur, ils prêchent ta parole pour en tirer effectivement de l’honneur et de l’argent, et c’estpour cela même qu’ils l’ont si bien imprimée dans leur raison humaine par leurs études que de la savoir d’une manière littérale et historique par la force de leur mémoire, mais sans l’entendre ; comme un Enfant qui sait l’Oraison dominicale sans en avoir l’intelligence. C’estainsi en effet que les savants n’ont pas la vraie intelligence de ta parole : ils la prêchent seulement en épuisant les impressions de leurs têtes, et non pas en la puisant dansle S. Esprit, parce qu’ils ne vivent point dans l’humilité afin que le S. Esprit vienne leur illuminer le cœur ; et partant ils ne la prêchent pas la tirant de cet Esprit Saint ou de son illumination intérieure par une force divine, mais ils ne prêchent que par leur force et faculté humaine, et s’arrêtent à la seule lettre. Ce sont des Prédicateurs de la lettre, et non pas de l’Esprit : car ils demeurent fixes à la lettre, et n’entrent point dans l’Esprit dont la S. Écriture estprocédée. Et partant, ce sont des aveugles dans les choses spirituelles : ce sont des Docteurs et des Conducteurs aveugles ; et ceux qui se laissent conduire par eux sont par eux égarés et séduits ; et comme ils sont des aveugles aussi bien qu’eux, ils tombent tous ensemble dans la fosse, comme dit Jésus Christ : Comment peut un aveugle conduire un autre aveugle ? Ne tomberont-ils pas tous deux dans la fosse ?
Tous ces savants qui s’opposent à moi dans cet œuvre divin montrent bien par leur opposition qu’ils n’ont point encore de vue spirituelle, et qu’ils sont des aveugles dans les choses de l’esprit. Ils parlent de mon divin dessein comme les aveugles parlent des couleurs, et blâment ton œuvre divin parce qu’ils ne peuvent le voir des yeux de l’Esprit. Ceux qui ne le blâment point ouvertement le blâment néanmoins dans leur cœur ; et si tout au plus ils n’y mettent point d’obstacles manifestes, pour le moins ne veulent-ils pas contribuer à son avancement. Ils le laissent aller comme il voudra : et s’ils ne parlent pas si ouvertement alencontre, aussi ne veulent-ils pas aider à l’avancer publiquement, mais s’en taisent plutôt entièrement. Ils témoignent par-là que ton œuvre divin n’estpas agréable à leur cœur, et que dans leur fond ils ne l’aiment point, mais qu’ils lui sont contraires de cœur : et par conséquent ils font assez voir de la sorte qu’ils sont encore des aveugles spirituels, qu’ils n’ont point encore la vue de l’Esprit, ni la capacité de bien juger de mon divin dessein : car s’ils avaient la vue de l’esprit, ils pourraient en faire un droit jugement et me prouver qu’il est diabolique et mauvais en cas qu’il fût effectivement tel ; et alors ils devraient s’opposer manifestement à moi dans un œuvre diabolique, me contredire ouvertement, arrêter et éteindre dans moi un œuvre du diable, afin que je ne séduise personne par là ; mais si mon dessein estun œuvre de Dieu, comme il l’est véritablement, et comme je puis le prouver incontestablement ; et si ces personnes avaient la vue de l’Esprit, qu’ils fussent illuminés par le S. Esprit dans le cœur, s’ils s’étaient régis et gouvernés par lui, et qu’ils cherchassent d’un vrai cœur la gloire de Dieu et le salut des hommes, l’Amour de Dieu et du prochain les obligerait aussi à contribuer à l’avancement public de ce divin œuvre. Mais ne faisant pas cela comme ils le pourraient bien, ils font paraître par là qu’ils ne cherchent point du fond de leurs cœurs la gloire de Dieu et le salut des hommes, mais qu’ils ne cherchent rien que leur propre honneur selon le monde, rien que le bien des hommes pour en bien entretenir leur propre ventre : comme en effet ce n’est que pour le ventre et pour la gloire humaine qu’ils font tout ce qu’ils font.
Que ce soit pour cela qu’ils agissent, ils le font paraître en ceci : c’estque, lorsque je leur dis qu’ils sont des ambitieux et des avares, ils s’animent de haine et de colère contre moi, pendant que ce n’estque par le mouvement du Saint Esprit que je leur représente cette vérité, et que c’estle Saint Esprit lui-même qui les reprend par moi de leurs péchés. Et c’est ce qu’ils ne peuvent souffrir ; mais ils s’en irritent et en deviennent malignement emportés contre moi. Ils ne regardent pas le Saint Esprit qui estdans moi et qui les reprend par moi, mais ils regardent ma personne ; et par ce détour, ils se remplissent d’amertume et de malignité contr’elle. Ils prouvent par là bien incontestablement qu’ils sont régis par un esprit d’amertume et de malignité, et non pas par l’Esprit Saint de la charité, laquelle supporte tout : car, en effet, la Charité supporte tout, et même souffre tout ce qui ne concerne que la propre personne de celui où elle estsans toucher l’honneur de Dieu et le salut des hommes : mais lorsque la gloire de Dieu serait choquée, et aussi son œuvre divin ; par lequel les hommes pourraient êtreavancés vers le salut, alors la charité est animée de zèle et de colère, ne pouvant tolérer ces choses. Et ce zèle n’estpas un zèle humain, mais c’estun zèle divin : c’estle zèle du S. Esprit, qui le porte et qui anime le fidèle chrétien à l’émotion pour la gloire de Dieu et pour le salut du prochain, et non pas pour son propre honneur ou le propre profit. Je sais bien pour moi, et je le sais très assurément, que je ne suis point ému de zèle et de colère pour mon propre honneur pour mon propre honneur, ou pour mon profit, lorsque je m’échauffe de zèle ou que je me mets en colère sans pouvoir ni vouloir souffrir les blâmes et les mépris ; mais c’est pour la gloire de Dieu et pour l’amour de mon prochain que je m’émeus de zèle et de colère par le mouvement du S. Esprit ; et je résiste alors fortement aux méchants, aux mensonges, aux calomnies, et m’anime à ce sujet de zèle et de colère, ne pouvant souffrir les mensonges et les blâmes qui retombent sur Dieu même.
Et certes il faut que les choses que je propose soient de Dieu si elles ne sont pas du Diable ; il faut assurément qu’elles soient bonnes ou méchantes (Divines ou Diaboliques). Cela estincontestable, puis qu’elles ne sont pas naturelles ni humaines. Et aussi m’est-il absolument impossible d’inventer un œuvre tel que celui que je propose, et nul homme du monde n’en pourrait inventer de semblable par toute l’habileté et l’adresse humaine qu’il pourrait avoir : quelque savant qu’il puisse être, il lui estimpossible de proposer un œuvre si divin et si céleste que celui que je propose. Si doncnul savant ne saurait le faire, beaucoup moins le saurais-je, moi qui ne suis qu’un idiot et qui n’ai rien appris ni étudié dans la Bible, et n’ai même pu le faire dès ma jeunesse comme les autres enfants le font. Car j’ai étédès ma jeunesse si misérable et si impuissant, que quoique j’écoutasse la parole de Dieu avec autant de soin et d’attention que plusieurs autres qui savent la retenir, même sans qu’ils sachent la lire, néanmoins je n’en ai pu rien apprendre ni retenir, comme eux. De sorte qu’il m’estentièrement impossible de pouvoir proposer humainement un œuvre tel que celui que je propose. Et partant il s’ensuit incontestablement que ceci, étant surnaturel, doit être ou de Dieu ou du diable, bon ou méchant : car il n’y a point de milieu. Que si ce dessein était du diable, sans doute que les Savants et les Puissants du monde devraient l’arrêter et l’éteindre. Mais s’il estde Dieu (comme il l’est), ils sont obligés à l’avancer : ce que ne faisant pas, ils témoignent par-là qu’ils sont des aveugles spirituels, comme je l’ai déjà dit ; qu’ils n’ont point encore la vue de l’esprit, et qu’ils ne peuvent voir ni éprouver ce qui estbon et ce qui estmauvais.
Or tous ces outrages que beaucoup d’impies font à ton divin œuvre, même avec des railleries, éteignent et suffoquent fort l’esprit dans moi, jusques là que je n’en puis si bien avancer ton ouvrage divin, ni le publier comme je voudrais bien le faire : car alors je demeure souvent court dans mes discours, ou ne m’exprime pas bien, ou me méprends et me reprends moi-même quelques fois, ou même je demeure quelquefois tout court, ne pouvant rien dire ; sans continuer mon discours, sinon qu’il me faille premièrement penser un espace de temps à ce que je dois dire. Cela donne sujet aux méchants de se moquer de moi et de dire : Si son dessein étaitde Dieu et qu’il fût régi et mu par le S. Esprit, le S. Esprit ne le laisserait jamais demeurer court ni muet en parlant, mais il lui mettrait dans la bouche toutes les paroles qu’il doit dire, sans le laisser ainsi confus et exposé à la honte des hommes. Mais lorsque tu permets que cela arrive, je te prie au Nom de JÉSUSen vraie foi, donne-moi, s’il te plaît, la grâce de pouvoir souffrir dans la patience cette honte et ces dérisions, et de ne m’en point inquiéter : même quand tous les hommes du monde se moqueraient de moi et que tu me laisserais confondre de honte devant tous, que néanmoins je sois content et satisfait de tout ce traitement et que je ne m’en mette pas en peine : voire quand tous les hommes de toute la terre deviendraient tous mes ennemis, quand mes meilleurs amis m’abandonneraient, que je serais chassé et rejeté de tous les hommes, tellement que personne ne me voulûtsouffrir auprès de soi, et qu’il me faudrait aller errant et vagabond dans les déserts avec les bêtes sauvages, et souffrir là toutes sortes d’incommodités, la froidure, la faim, la soif, la disette de tout, que néanmoins je puisse souffrir toutes ces choses en patience, que je me contente de Toi seul, et me réjouisse d’une chose : c’estque tu es mon Ami et que je Vis dans ta grâce, et que tu es mon Dieu et mon Père, qui ne peux et ne veux m’abandonner. Que je croie constamment et fortement cette vérité, et qu’ainsi j’aie une bonne, une cordiale, une enfantine confiance en Toi. Pour cet effet, donne-moi toujours ta grâce et ta bénédiction, et fais-moi continuellement croître et avancer dans ta divine sagesse, afin que je puisse me bien comporter dans toutes mes croix, que je puisse les endurer toutes avec patience dans ta force et ta puissance divine, particulièrement lorsque je suis méprisé, moqué, raillé et outragé : ce qui pourrait donner beaucoup de peine à mon orgueilleuse chair terrestre, laquelle ne veut pas volontiers êtreméprisée. Donne-moi donc toujours ta grâce dans ceci, afin que par l’Esprit je puisse vaincre mon orgueilleuse chair. Que je ne vive point selon la chair, mais que je vive toujours selon l’Esprit, et que je puisse toujours batailler et combattre contre cette méchante chair et la vaincre par la force du Saint Esprit. Que je crucifie toujours ma méchante chair avec mes méchants plaisirs et désirs. Que tout cela soit toujours soumis à l’Esprit. Que jamais la méchante chair ne puisse dominer ni régir dans moi, mais que ce soit l’Esprit. Que je vive toujours dans l’Esprit, dans la Foi, dans la Charité, dans la Douceur, dans l’Humilité, dans la Patience, dans la Paix, et dans toutes les vertus Chrétiennes. Que je ne puisse vivre dans la chair, dans la concupiscence des yeux, la concupiscence de la chair, et l’orgueil de la vie, dans l’amour de l’argent, dans l’amour du monde, dans l’infidélité, la fierté, la haine, l’envie, la colère, et semblables malheurs, desquels s’il te plaît, ô Mon Aimable Père Céleste, préserve-moi pour toujours, aussi bien que de tout leur apanage méchant, diabolique, et charnel. Que je n’y vive point, mais que je vive toujours dans l’Esprit, et que je puisse toujours faire la guerre à cette chair méchante, orgueilleuse et criminelle, et enfin la vaincre parfaitement, afin qu’après ce temps ma chair et mon corps deviennent lumineux, célestes et spirituels dans l’Éternité, où toute malignité sera alors parfaitement exterminée de ma chair. De quoi le commencement se doit faire ici, étantnécessaire de commencer en ce temps à se purifier de toute cette méchante impureté, afin que là, dans la vie Éternelle, on soit et demeure à jamais net en pleine perfection. C’est une disposition qui doit s’embrasser ici et se commencer dans ce temps, afin d’êtreensuite perfectionnée dans toute l’Éternité. Et c’estainsi que mon corps sera purifié pour toute l’éternité de toute chose méchante, pécheresse et terrestre. Donne-moi donc pour cet effet toujours ta grâce ; que par une vraie foi en Christ je puisse dans ce temps purifier toujours de plus en plus mon corps de tout ce qui estmauvais et impur ; et que par cette foi je sois sanctifié et nettoyé toujours plus parfaitement ; que pendant ce temps je te serve toujours dans Ia Sainteté et dans la justice comme il t’estagréable. Et je ne prie pas seulement pour moi en vraie foi, mais je te prie aussi pour tous ceux qui désirent les mêmes choses que je désire. Que ceux-là puissent aussi te servir dans la sainteté et la justice, comme tu l’agrées. Donne-leur toujours pour cet effet ta bénédiction et ta grâce, à cause de ton saint honneur, de ta charité, et de ta grande miséricorde. Amen !
RÉVÉLATION DIVINE
des trois ÉTATS
Mes amis et bien-aimés en Jésus-Christ,
PUISQUE vous avez désiré que je vous décrive la VISION DES TROIS ÉTATSet que je vous communique maintenant par écrit ce que vous m’avez ouï raconter de bouche, et qu’aussi à l’occasion de votredésir je trouve dans mon cœur une impulsion du S. Esprit à cela, j’entreprends selon votresouhait de le décrire comme il plaira au S. Esprit de me régir pour ce sujet, quoique je l’aie déjà écrit il y a quelques années et que je l’aie dans mon logis à Brunswick. Je le décrirai néanmoins présentement de nouveau, puisque telle estla volonté de Dieu que je le fasse, et que ce qui est bon ne peut être fait trop de fois : car tout ce qui estconduit par le S. Esprit estbon, et sans sa direction je ne puis rien faire de bien.
2. J’ai souvent averti dans mes écrits que personne ne se doit formaliser de ce que je ne puis proposer mon dessein selon l’art et la méthode des hommes, puisque le S. Esprit ne le conduit pas de la sorte : mais je dois avancer selon ma simplicité et une manière toute enfantine tout ce qui m’a été révélé. C’estde quoi j’avertis encore : que personne ne s’en scandalise, mais qu’on pense qu’il plaîtainsi à Dieu de sauver par une folle prédication ceux qui y croient, et que les œuvres de Dieu sont folles à la raison humaine, mais elles sont salut à ceux qui ne s’en scandalisent point, qui ne s’y heurtent point, et qui ne les considèrent point selon la raison, mais qui les méditent en la crainte de Dieu et selon sa parole, et pensent : « Dieu estun Dieu Tout-puissant, lequel peut faire, et a le droit de faire tout ce qu’il veut, en quoi nul homme n’a à lui donner des lois ; car il estune Essence Divine toute libre et puissante, qui fait tout ce qu’il veut dans le Ciel et sur la terre, et qui esttrès-Admirable dans sa conduite, étantaussi pour ce sujet appelé Admirable, Conseiller, Puissant, comme en effet il estGrand en conseil et Puissant en fruits, et il peut effectuer tout ce qu’il veut ; oui, tout ce qu’il a conclu de toute éternité dans son conseil divin et secret, et qu’il veut exécuter dans le temps en sa saison, lorsque le temps auquel il le veut manifester arrive. Ce qui est caché à toute raison humaine : car elle ne comprend rien de tout ce que Dieu a conclu dans son conseil secret jusqu’à ce qu’il arrive. »
3. Or quoique ce que j’avance ne soit pas couché en termes exprès dans la parole de Dieu, non plus que tout ce que Dieu m’a manifesté, sur quoi plusieurs personnes d’esprit dans Brunswick peuvent témoigner combien de merveilles Dieu a faites en moi ; cela n’estpas néanmoins contre la Parole de Dieu, ni contre sa Puissance : car il n’estécrit nulle-part que Dieu ne veuille pas faire ce qu’il m’a manifesté et qu’il a fait envers moi. Cela n’est donc point contre la Parole de Dieu ni contre la Puissance, puisque Dieu peut et qu’il a le droit de faire tout ce qu’il veut. Que chacun y pense en la crainte de Dieu, et qu’il se garde de suspecter par sa raison l’œuvre de Dieu. Que chacun lise soigneusement les Révélations secrètes de S. Jean : il y verra bien plus de visions Divines et admirables que ce que j’en dis et que j’en écris. Or ce que Dieu a fait et a pu faire alors, il peut encore le faire à présent : car sa main n’estpas raccourcie. Il estencore aussi riche aujourd’hui qu’il l’était alors, et il peut encore faire des choses plus admirables, s’il lui plaît, que celles qu’il fit alors.
4. Mais celui qui ne peut ou qui ne veut pas croire que Dieu m’ait fait voir de telles visions que je dis et que je décris et fais même imprimer, qu’il le laisse ; que chacun reçoive simplement la parole de Dieu à laquelle toutes ces visions conduisent les lecteurs, et qui estcouchée clairement dans la Ste Écriture, à quoi nul Chrétien ne peut contredire. Pour ce qui estdes visions qui me sont avenues, elles sont seulement mon École, où la Parole de Dieu m’a étéenseignée par le S. Esprit. Aussi ne renvoyé-je personne aux visions et à cette mienne École ; mais je renvoie chacun à la claire et lumineuse parole de Dieu, qui estdans la Bible, laquelle j’ai apprise dans cette École. Car il a plu à Dieu de me faire premièrement paraître de telles visions et de me laisser voir diverses choses de cette manière ; et puis de me faire paraître un Ange pour m’expliquer ces choses selon la parole de Dieu, et pour me faire entendre ce qu’elles signifient, et à ces occasions me mettre en pensée et m’enseigner la parole de Dieu, à laquelle je renvoie les personnes, les adressant à cette pure et claire parole, et non pas à mes visions. Or puisqu’il plaîtà Dieu de m’enseigner ainsi sa sainte parole, il faut bien que cela me plaise aussi, et que je sois satisfait de la volonté de Dieu : comme en effet j’en suis content, moi à qui ceci estarrivé. Que donc les autres à qui il n’estpas arrivé en soient aussi contents : car que leur importent mes visions ? Et partant c’estune grande folie que d’autres s’en mettent en colère, se fâchent et deviennent mauvais parce que je déclare à ceux qui veulent bien l’ouïr que ceci ou cela m’estainsi arrivé. C’estune grande malignité à ces personnes de s’en fâcher de la sorte et d’êtresi inquiets de ce que je parle et que j’écris des visions, avec ce que j’en ai ouï en les voyant. Cependant, cela ne les touche point, et aussi ne leur en dis-je rien contre leur volonté ; et je ne vais point vers eux, mais j’en demeure assez éloigné, sans leur rien dire de mes visions : nonobstant cela, ils sont si mal à leur aise de ce que j’en parle à ceux qui veulent m’en ouïr parler. N’est-ce pas une grande sottise ? Certes, c’estmême une impiété et une méchanceté que de se fâcher de ce que je parle à ceux qui m’écoutent volontiers. En cela ils font bien paraître leur grande folie et la méchanceté qui estdans leurs cœurs. Si j’allais dans leurs logis contre leur gré, et que je voulusse leur dire quelques-unes de ces choses contre leur volonté, alors ils pourraient se fâcher contre moi, et n’être pas contents de ce que je leur parlerais ; mais comme je n’agis pas de la forte et que je demeure assez éloigné d’eux, et que cependant ils ne sont pas à leur aise au sujet de ce que je propose, c’està eux une grande malignité.
5. Mais quant à vous, mes bons amis et frères Chrétiens, à qui mon divin dessein estagréable et plaisant, que cela ne vous scandalise et ne vous arrête point : mais pensez un peu comment il en est allé à Jésus Christmême : comment les Pharisiens ont étéopposés à Jésus Christau sujet de son Divin dessein, et n’ont pas voulu entrer au Ciel par J. Christet par sa sainte doctrine ; mais que même ils empêchaient autant qu’ils pouvaient que d’autres bonnes personnes, lesquelles voulaient aller par lui au Ciel, n’y allassent pas et ne fussent sauvées par lui. Il en va encore de même aujourd’hui : les méchants ne veulent point aller au Ciel par Jésus Christ ; et ils empêchent autant qu’ils peuvent les autres personnes qui veulent y aller. Cela n’est-il pas épouvantable ? Car dans tous mes desseins je n’adresse personne qu’à Jésus Christ, afin qu’on soit sauvé par lui, sans aucunes opinions ou sentiments d’homme. Je renvoie seulement à Christ, comme Jean Baptiste y renvoyait, afin qu’on ait le salut par lui seul, sans tous les sentiments humains et particuliers qu’on a de CHRIST, mais seulement par la foi en CHRIST, laquelle estopérante par la charité, et laquelle le Saint Esprit fait naître dans le cœur. Et voilà ce qui fait mal aux méchants, que je donne ces adresses au monde : ils ne veulent pas souffrir que je fasse ainsi ; mais ils voudraient bien que je mène les personnes à leurs opinions et à leurs sentiments humains, disant qu’ils sont nécessaires à salut, et non Jésus Christseulement : et par ce moyen ils font égarer les personnes de la droite Foi, laquelle le S. Esprit opère dans le cœur, et qui est agissante par la charité ; et ils établissent une foi toute autre, laquelle consiste en plusieurs articles ramassés ; et par là, disent-ils, doit-on être sauvé. Cependant c’est de là que sont venus beaucoup de malheurs dans le monde. Chaque Secte estime que ses Articles de foi soient nécessaires au salut, et chacun veut défendre avec la parole de Dieu sa foi articulaire : par où ils sont venus dans la dissension, les envies et les débats, faisant ainsi voir suffisamment que le Diable se joue là-dessous, et qu’il domine aussi bien dans une secte que dans l’autre, puisque l’une juge et damne l’autre, et que l’une s’imagine que personne ne peut avoir la vraie foi sinon celui qui entend la parole de Dieu au sens qu’eux-mêmes l’entendent : et si quelqu’un n’est point membre de leur assemblée, un tel, à leur avis, doit être damné. Voilà comment une Religion juge et damne l’autre. Ce qui est un œuvre du Diable, et non pas un œuvre de Dieu. Car le S. Esprit n’opère point cela dans l’homme, savoir, que l’un damne l’autre. Cela n’appartient à aucun homme. Juger, condamner et damner n’appartient qu’à Dieu seul, et pas à l’homme.
6. Chaque secte voudrait bien aussi m’avoir de son côté, et que je reconnusse pour bon tout ce qu’ils avancent et qu’ils enseignent, quoique je ne sache pas encore seulement ce qu’ils enseignent et ce qu’ils proposent partout, ni quel est le nombre des articles qu’ils estiment être nécessaires à salut. Mais lorsque je parle seulement de la Foi Chrétienne, ils ne veulent pas se contenter de cela ; mais ils veulent que je reconnaisse une Foi humaine pour droite et pour bonne, comme la foi des Papistes ou celle des Luthériens, ou celle des Calvinistes ou Réformés, comme ils s’appellent, ou la foi des Mennonistes ou Anabaptistes, ou quelqu’autre foi d’homme, quels qu’ils soient : quoique cependant il ne m’ait étérien ditni manifesté dans le Ciel touchant ces noms ou ces fois d’homme, et nul Ange ne m’a jamais dit dans ce monde que je devais mener les personnes à ces noms ou à ces fois d’hommes ; mais les Anges m’ont dit que je devais adresser tous à J. Christ et à son Nom. Car le Nom du Seigneur estune fortetour, le juste y courra, et sera défendu et garanticontre tous maux. C’estlà qu’il fallait que je mène les personnes, à la vraie Foi Chrétienne, à Christ, à sa Sainte doctrine et à sa vie, à quoi toute la Ste Écriture nous mène aussi ; que je devais aussi mener à cela seul, et non pas à la manière dont chacun entend l’Écriture Ste, selon sa fantaisie, par où personne n’est sauvé, mais seulement par la foi en Christ, laquelle le St Esprit opère dans le cœur, et laquelle est aussi agissante par la charité.
7. Car devant Dieu ne veut ni la circoncision ni l’incirconcision ; non plus aussi que ni le Baptême, ni la Cène, ni quelqu’autre chose d’extérieur, mais seulement la nouvelle créature et le Chrétien régénéré, qui soit régénéré par le S. Esprit, qui croie en Christ, et qui soit par là une créature nouvelle. Un tel estagréable à Dieu, un tel vaut devant Dieu, et vit de la sorte en Christ, et Christen lui par son S. Esprit. Or quoique le Royaume de Dieu soit en ce temps au-dedans de l’homme, et non pas hors de lui, comme J. Christ dit : Le royaume de Dieu est au-dedans de vous ; que l’on ne doive pas dire : Le royaume de Dieu est ici ou là ; qu’il ne consiste point dans des cérémonies extérieures, dans le Baptême ou la Cène (car combien que ces sacrements soient établis par J. Christ même, le salut n’y consiste point pourtant, et n’est pas à y trouver) ; quoique, dis-je, je parle et que j’écrive de la sorte, je ne rejette pas néanmoins pour cela le Baptême, ni la Cène, ni les autres Cérémonies Chrétiennes. Je les laisse dans leur valeur et n’en retire personne : car chacun peut bien s’en servir ; mais personne n’y doit rechercher son salut, ni se faire de ces choses comme une idole, se fier là et s’y arrêter. Ce n’estpas pour cela que J. Christles a établies, mais il les a établies afin que l’on soit mené par elles à lui, quepar là l’on se souvienne de lui, et qu’ainsi chacun vienne par elles à Christdans le fond du cœur, qu’on se fie sur lui dans la vraie foi, et non pas sur une œuvre extérieure d’aller à l’Église, d’écouter la parole de Dieu, se servir des Sacrements. Cela ne fait pas un vrai Chrétien : mais voici ce qui fait un vrai Chrétien : c’estlorsqu’on entre dans le S. Esprit en son cœur, et que là on y entend du S. Esprit même la parole de Dieu, et qu’on l’apprend de lui ; qu’on estbaptisé du S. Esprit, qu’on lui donne lieu et place dans le cœur, où il y puisse opérer la foi, la charité, la débonnaireté, l’humilité, et toutes les vertus Chrétiennes ; et que l’on y introduit aussi J. Christ, et qu’avec lui l’on peut tenir la Ste Cène dans le cœur en vraie foi. Alors est-on bienheureux ; et en cela consiste le salut dans cette vie. Cela estle Royaume de Dieu, lequel consiste ainsi en esprit et dans une foi vivante et opérante, et non pas dans les cérémonies extérieures lorsqu’on y demeure attaché, qu’on les tient comme une idole, et qu’on s’y appuie : car de cette sorte, les cérémonies sont beaucoup plus nuisibles que profitables. Mais lorsque par elles l’on vient dans l’Esprit, et que l’on y estainsi mené ; que l’intérieur estexcité par l’extérieur, et que l’on vient dans toute sorte de bien et de pensées spirituelles par l’ouïe de la parole extérieure, par l’usage des Sacrements extérieurs et par la pratique de toutes les Cérémonies Chrétiennes, alors l’extérieur est très bon et profitable, cherchant de la sorte le spirituel dans le corporel, le surnaturel dans le naturel. Tout l’extérieur estalors très utile et très bon à un Chrétien ; et même tout ce que l’on voit extérieurement dans ce monde et que Dieu a créé, tout cela, dis-je, peut avancer un Chrétien dans sa perfection Chrétienne : beaucoup moins, donc, méprisé-je les Sacrements que J. Christ a établi lui-même et qui sont utiles à un Chrétien à l’avancement dans sa perfection.
8. Si bien que ceux-là me font tort et injustice qui disent que j’avance qu’un Chrétienne doit pas se laisser baptiser ni se servir de la Cène. Ce que je n’ai jamais dit ; et je ne dis pas encore à présent que les Sacrements soient des signe vides ou une chose morte : mais je dis que le S. Esprit opère par là puissamment dans le cœur lorsqu’on se sert bien de ces signes ; alors le S. Esprit vient par là dans le cœur : mais lorsqu’on s’attache à ces signes, ou qu’on s’appuie seulement sur eux, et que l’on ne vient pas par là dans son cœur vers le S. Esprit, ils ne sont à ces méchants qu’une chose morte, laquelle nuit davantage qu’elle ne profite. Il en estde même de la S. Écriture, laquelle estaux méchants une lettre morte, et ne leur profite de rien ; et quoique très souvent ils écoutent la parole de Dieu, tout cela leur estplus dommageable queprofitable ; il va alors selon cette parole : La lettre tue, mais l’esprit vivifie. Mais à celui qui vit dans l’Esprit, lequel vivifie, l’Écriture ne lui estpoint une lettre morte, mais une lumière claire et Divine : et plus on lit l’Écriture dans l’Esprit, plus est-on éclairé dans l’entendement et fortifié dans la foi, et plus croit-on et augmente-t-on dans la Charité et la douceur, l’humilité, la patience et la consolation, et dans toutes sortes de vertus Chrétiennes. Ainsi l’Écriture est aux croyants une claire lumière qui coule du S. Esprit ; mais aux impies, c’est une lettre morte. Il en est de même de l’ouïe de la parole de Dieu et de l’usage des sacrements : aux croyants tout estlumière et vie, tout leur estprofitable et bon pour les avancer dans le vrai Christianisme, même tout ce que Dieu a créé et qu’ils voient de leurs yeux : mais aux méchants tout est des œuvres mortes, qui leur font grand dommage ; beaucoup moins leurs sont-elles utiles et en sont-ils avancés dans le Christianisme.
9. Voilà comme on me doit bien entendre, et non pas tordre mes paroles et mes sentiments : car ce que je dis, l’Écriture le dit aussi : que la lettre tue, à savoir les méchants, et non pas les bons : mais si par la lettre le méchant se tourne vers Dieu et vient dans l’Esprit, alors l’Esprit vivifie, et l’Écriture lui estune claire lumière, et non plus une lettre morte. Alors le S. Esprit éclaire l’homme de plus en plus par l’Écriture à mesure que plus on y lit dans la crainte de Dieu ; et plus aussi on lit dans la crainte divine ce qui dérive encore aujourd’hui du S. Esprit, plus en devient-on toujours illuminé de l’Esprit de Dieu, pourvu qu’on le lise dans le S. Esprit, dont cela est coulé : de même manière celui qui lit dans le S. Esprit et dans la crainte de Dieu ce que j’écris par l’impulsion du S. Esprit et touchant mes divines visions et révélations, celui-là en sera par là éclairé de plus en plus par le S. Esprit.
10. Ainsi je ne décris pas à présent mes divines visions pour les méchants, mais en faveur des bons. Que si les méchants ne les veulent pas lire, parce qu’elles leur sont contraires, ils peuvent les laisser là : qu’ils les laissent lire aux bons qui y ont du goût. Mais si vous autres méchants ne voulez pas être sauvés par J. Christ seul, vous ne serez jamais sauvés, et mes visions ne nous sauveront pas. Vous pouvez bien être sauvés si vous venez à J. Christpar le moyen de la Ste Écriture, ne dussiez-vous jamais entendre ni lire mes visions. Aussi n’estimé-je point qu’elles soient nécessaires ausalut, comme vous autres estimez nécessaires au salut vos opinions humaines, vos sentiments sur l’Écriture, et vos Fois Articulaires : quoi que cela ne doive aider nul de vous au dernier jour, quand même vous auriez bien compris dans vos têtes et dans votre sens et entendement humain tout ce qui estdans la Ste Écriture, et que vous vous appelleriez Catholiques, Luthériens, Réformés, Mennonistes, tout cela ne vous aidera point au dernier jour, voire il ne vous servira de rien au dernier jour que vous vous soyez appelés uniquement Chrétiens, sans vous réclamer d’aucun nom d’homme et que vous eussiez dit uniquement : Nous sommes des Chrétiens, et c’estpar cela seul que nous voulons être sauvés. Vous fussiez-vous même avec cela servi des sacrements ; toutes ces choses ne vous profiteront point au dernier jour aussi avant que vous ne serez pas des vrais et fidèles Chrétiens. Car ce ne sont pas les Chrétiens de nom, de bouche, ni de paroles qui seront sauvés, mais ce sont les vrais Chrétiens d’effet. C’estpourquoi chacun peut bien s’éprouver, assavoir, s’il n’estpas seulement un Chrétiende nom et de bouche, mais s’il estun vrai Chrétien de fait, suivant J. Christ dans la Sainteté de sa doctrine et de sa vie, servant Dieu dans la sainteté et la justice, comme il lui estagréable, quitant tous ces noms idolâtres des hommes pour se réclamer seulement du nom de CHRIST, comme étant des droits et des fidèles Chrétiens effectivement.
11. Quant à moi, je ne désire point en matière de foi d’êtreappelé d’aucun si nom d’homme : car le nom de CHRISTdoit seul valoir, à l’exclusion de tout nom d’homme, quelque saint et quelque docte qu’il puisse être. Et pour cet effet, je ne veux rien savoir, dire, ni écrire d’aucune autre foi que seulement de la Foi Chrétienne qui estopérante par la Charité, selon quoi Christjugera uniquement au dernier jour, comme j’ai dit ailleurs dans mes imprimés publics, où je réponds à la question : Quelle estla meilleure Religion ?Je dis que ce n’estpas aucune Religion qui soit nommée d’un nom d’homme, mais seulement la Religion Chrétienne, c’està dire, la Sainte Écriture. C’estselon elle qu’il faut vivre. Cela suffit à salut. Je ne suis pas obligé de dire d’autres paroles que celles qui sont dans la Sainte Écriture ; je ne suis pas aussi obligé de recevoir d’autres paroles que celles qui sont dans la Sainte Écriture. Tout ce qui estnécessaire à salut y estcouché avec une grande lumière et clarté. L’un l’y peut lire aussi bien que l’autre. Mais ce qui n’estpas couché clairement et évidemment dans l’Écriture Sainte, et que l’un ne peut pas si bien entendre que l’autre, parce que ce sont quelques mystères à quoi estnécessaire une particulière illumination du Saint Esprit dans le cœur, cela n’estpoint aussi nécessaire au salut, et par conséquent les savants ne doivent pas disputer ni se débattre là dessus pour une chose qui n’est point nécessaire au salut ; mais ils doivent tous unanimement enseigner ce qui estnécessaire pour être sauvé, suivre Jésus Christdans la sainteté de sa Doctrine et de sa Vie, et marcher les premiers en bon exemple devant leurs auditeurs dans la Charité, dans la douceur, dans l’humilité et dans toutes les autres vertus Chrétiennes ; et ils doivent tous aller par une même voie, afin que leurs auditeurs les puissent suivre en l’unité d’une foi sainte, qui est celle que le Saint Esprit opère dans le cœur. Il y a bien plus d’importance en ceci que non pas en ce qu’ils se disputent et se débattent comme ils font par leurs opinions, sur ceci et cela, se divisant par là les uns d’avec les autres, et vivants dans les haines, dans les envies et les dissensions mutuelles, par où le Saint Esprit ne peut opérer dans leurs cœurs aucun bien. Ils doivent donc se supporter mutuellement dans la vie et la doctrine autant qu’ils peuvent et qu’il estpossible, afin que le Saint Esprit puisse opérer dans leurs cœurs l’Amour de J. CHRISTet toute sorte de biens.
12. Or qu’il m’ait fallu premièrement donner tous les avis que je viens d’écrire avant que de coucher par écrit la vision même, c’est le Saint Esprit qui en a ainsi disposé pour certaine raison. C’est pourquoi, mes chers amis, ne nous ennuyez point de lire ceci avant de lire la vision même. Acquiescez de la sorte à la conduire admirable du S. Esprit : car le S. Esprit ne fait rien sans sujet, quoique vous n’en entendiez pas la raison incontinent. Vous la trouverez bien en son temps.
13. Je vais maintenant, selon votredésir, décrire la VISION DES TROIS ÉTATS, comme il plaira au S. Esprit de me diriger. J’ai vu cette vision mes yeux ouverts et en veillant, non pas en esprit ; comme celle du NOUVEAU CIEL ET DE LÀ NOUVELLE TERRE, ainsi que je l’ai décrit. Celle-ci fut vue de mes propres yeux. Or que j’aie vu clairement tant de merveilles devant mes yeux corporels, c’est ce qui ne doit formaliser ou arrêter et personne : l’on n’a qu’à se souvenir incontinent de la merveilleuse puissance et de la conduite admirable de Dieu, comme je l’ai déjà dit ; et penser : Dieu peut par-dessus toute mesure faire davantage que l’on ne peut croire, écrire, ni entendre. J’ai eu cette vision au commencement de l’Année 1625, dans la maison du Pasteur, à Winsem, au Pays de Lunebourg, à une lieue de Celle, là où j’ai eu diverses autres visions. Quant à celle-ci, je ne l’ai pas eue de jour, mais de nuit. J’étaiscouché sur le lit et veillais, m’entretenant avec Dieu par la prière de la foi dans mon cœur, étantalors dans une grande anxiété d’esprit. Comme donc je parlais ainsi à Dieu dans mon cœur par la prière de la foi, mon cœur devint soudainement plein de joie par le S. Esprit, et reçut de lui une joie et une force très sensible et très réelle. Il sortit soudain de mon cœur dans mes yeux une flamme divine que l’Esprit de Dieu y poussait, et par là mes yeux corporels étant éclairés je vis une nuée claire et rayonnante au dessus de moi dans la chambre où j’étais, laquelle devint par elle plus lumineuse et plus claire que si l’on y eûteu fait venir beaucoup de nos lumières terrestres. Cette chambre resplendissait d’une manière aussi éclatante que si elle eûtété toute dorée partout. Je vis ensuite un autel d’or où étaient assis trois hommes vêtus de blanc sur des chaises, et ils dormaient la têteappuyée dans leur main : l’un avait deux épées à ses pieds, l’autre une verge et un livre doré mis aussi à ses pieds, et le troisième avait pareillement à ses pieds une épée et une balance. Je vis aussi venir dans la chambre douze hommes habillés de blanc, qui se divisèrent en trois bandes, quatre à quatre. Quatre avaient des instruments dans leurs mains, l’un avait un luth, l’autre une harpe, le troisième un cistre, et le quatrième un violon. Quatre autres avaient des livres de musique dans leurs mains, et tous ces huit s’assemblèrent en rond l’un auprès de l’autre, un de ceux qui avaient dans leur main un instrument auprès d’un qui avait un livre dans sa main : et tous les huit faisaient un cercle fermé. Je vis de plus une étoile claire et brillante qui couvrait ces huit aussi avant que leur cercle s’étendait : après quoi ces huit commencèrent à chanter et à jouer sur leurs instruments le Te Deum laudamus, Ô Dieu, nous te louons ! Ô Dieu, nous te rendons grâces, etc. Et chantaient et figuraient musicalement ce cantique depuis le commencement jusques à sa fin. Mais les quatre autres personnages firent encore deux bandes, se mettant deux à deux, marchaient et se promenaient allant et revenant, et discouraient ensemble : deux parlaient des misères de ce triste temps ; et les deux autres s’entretenaient des joies de la vie Éternelle. Cependant les trois premiers étaienttoujours assis sur l’autel, dormaient toujours également, et ne s’éveillaient pas pour une chose si ravissante, une musique et une mélodie si charmante. Après que les huit eurent chanté d’instruments et de voix ce beau cantique, ils disparurent tous huit de devant mes yeux, l’étoile aussi, et les quatre autres hommes de même ; mais les trois premiers demeurèrent sur l’autel et dormaient continuellement. Or après que ces douze hommes s’en furent allés, il y vint un saint Ange volant de cette claire et lumineuse nuée. Il étaitvêtu d’une longue robe blanche qu’il avait retroussée et ceinte en haut comme un qui voudrait voyager, de peur que la robe ne flottâtsur ses pieds, et afin qu’il puisse plus vitement et alertement courir. Cet Ange avait une clef d’or en sa main droite, et une chaîne d’or pendante sur son bras, et dans sa main gauche il avait un bâton d’or. Il s’en alla vitement devant l’autel et mit la clef et la chaîne sur l’autel, et puis il prit cette verge d’or à deux mains, et en frappa à la têteun de ces trois hommes qui dormaient sur l’autel, savoir, celui qui avait devant soi les deux épées, si bien qu’il tomba de l’autel en bas : ce qui fit tant de bruit lorsque l’ange le renversa de la sorte, que les deux autres s’en éveillèrent, et commencèrent à regarder à l’entour d’eux : mais l’Ange ne les précipita point, ils demeurèrent assis sur leurs sièges, et l’Ange mit son bâton sur l’autel, releva l’homme qu’il avait abattu en terre, et le fit seoir de nouveau dans le siège sur l’autel, puis il lui donna les deux épées dans ses mains, lui disant : JUGEZDROITEMENT. Et à l’autre, il lui donna la verge d’or dans une main, et dans l’autre le livre d’or, et lui dit aussi : JUGEZDROITEMENT. Il donna pareillement au troisième l’épée dans une main, et la balance dans l’autre, et lui dit de même : JUGEZDROITEMENT, Et après ces paroles, il leur dit à tous : L’ANTÉCHRIST À RÉGNÉ ASSEZ LONGTEMPS DANS VOUS, JÉSUS-CHRISTVEUT AUSSI Y RÉGNER UNE FOIS ET Y DOMINER. Et ces trois se tenaient assis, et tenaient très-fermement leurs instruments dans leurs mains, et regardaient cet Ange. Alors l’Ange leur dit à tous trois : Il ne vous faut pas regarder si fixement sur moi, mais regarder celui qui m’a envoyé ; et servez-vous bien de vos instruments dans ce à quoi ils vous ont été donnés : ne soyez point négligent avec eux, et ne dormez plus de nouveau, de peur que vous ne laissiez encore tomber vos instruments : car si celui qui m’a envoyé vient et vous trouve dormants, et que vous ayez laissé tomber de nouveau vos instruments, il vous précipitera jusqu’au fond de l’Enfer. C’est pourquoi prenez ceci pour une advertance, et vous servez de vos instruments dans ce à quoi ils vous sont donnés. Lorsque l’Ange eut dit ces choses, il s’envola dans la nuée et prit avec soi le bâton pour montrer qu’avec cela il avait exécuté une bonne œuvre : mais il laissa la clef et la chaîne, pour témoigner qu’il devait se faire une bonne œuvre avec ces choses. Mais les trois hommes demeurèrent encore assis sur l’autel et tenaient leurs instruments fermement en leurs mains, voyaient clairement et regardaient à l’entour d’eux comme des vrais hommes vivants. Ils commenceront aussi à me regarder fixement, sur quoi je m’étonnais fort, pensant à ce que cela pouvait signifier. Et je disais en moi : Les douze hommes habillés de blanc s’en sont allés, l’étoile aussi, l’Ange de même, mais ceux-ci demeurent toujours assis. Que peut signifier cela ? pensais-je. Mais lorsque je m’étonnais si fort, il y vint un autre Ange qui vola de cette claire et blanche nuée, ayant une longue robe blanche qui étaitadmirablement belle, comme si elle eut été brodée de perles et de petites couronnes d’or, arrangées en façons de traits saillants en courbure ronde sur cette robe blanche, si pleine de perles que là où il n’y avait point de couronnements d’or cela étaitparsemé de perles. Toute la robe étaitainsi : elle était extraordinairement majestueuse, belle, et brillante aux yeux : et cet Ange ne l’avait pas troussée comme le premier, mais elle lui flottait sur ses pieds, que je ne pouvais voir. Étantdonc volé de la nuée sur le pavé (lequel était admirable et aussi éclatant que s’il eûtété de fin or étendu), il marcha doucement sur ce pavé vers l’autel, où étant venu, il ne dit rien aux trois hommes qui y étaient, mais il prit de dessus cet Autel la clef et la chaîne que le premier Ange y avait mises, vint vers moi devant le lit, et me demanda si je savais bien ce que ces merveilles que j’avais vues et que je voyais encore signifiaient ? Je lui dis : Non, je ne le sais pas. Sur quoi cet Ange me dit : Puisque vous ne le savez pas, Dieu m’a envoyé vers vous afin que je vous le dise et que je vous révèle tout ce que signifie ce que vous voyez encore et que vous avez déjà vu. L’Ange donc m’exposa et m’expliqua spirituellement selon la parole de Dieu tout ce que j’avais vu et ce que je voyais encore.
14. Voilà la description de cette vision, telle qu’elle étaitet autant que le S. Esprit m’a conduit et m’a fait ressouvenir de ce que j’ai dû en écrire. En quoi nul ne doit donner des règles au S. Esprit, quelque étonnante que lui paraisse la chose. Je sais pour assuré, quant à moi, que j’ai vu tout ceci de mes propres yeux ouverts, veillants et éclairés, et que j’ai ouï de mes oreilles corporelles tout ce que je viens de dire.
15. Je vais maintenant décrire en peu de mots l’explication de cette vision, comme l’Ange me l’a expliquée selon la parole de Dieu, et déclaré ce que signifient toutes ces choses. Je décrirai le tout par ordre, selon qu’il plaira au S. Esprit de me régir à présent : car je ne puis l’écrire autrement que comme cet Esprit S. en disposera, comme j’ai dit souvent ; et je ne puis aussi écrire des choses que l’Ange m’a dites qu’autant que le S. Esprit m’en fera ressouvenir et qu’il en informera mon cœur et mon esprit, lequel estuni avec le S. Esprit, lié et joint à lui. Et comme le S. Esprit témoigne avec mon Esprit que je suis enfant de Dieu, aussi l’Esprit de Dieu admoneste et enseigne-t-il mon Esprit touchant ce que je dois écrire, et comment j’y dois agir : ce que je dois dise, et la manière de l’écrire ; car mon Esprit n’estpas enseigné ni instruit par les hommes, ni par les livres, comme un homme estenseigné par un autre homme en beaucoup de choses, avec quoi néanmoins le cœur demeure hautain, faux, impie, et orgueilleux. Il n’en estpas ainsi de mon Esprit, mais il estinstruit et enseigné du S. Esprit dans l’intérieur de mon cœur ; avec quoi mon cœur ne peut demeurer méchant, et plein d’orgueil. Il devient au contraire plus charitable, plus doux et plus humble.
16. Je dis ceci afin que personne ne s’appuie sur ce qu’il serait enseigné et instruit extérieurement par les livres, ou verbalement par la parole de Dieu ; mais que chacun rentre en soi-même, dans son cœur vers le S. Esprit et y applique ses pensées ; et qu’il y prie et invoque le S. Esprit qu’il lui plaise de lui enseigner la parole de Dieu et de vouloir l’instruire. Ô heureux l’homme que le S. Esprit enseigne lui-même dans l’intérieur, qu’il informe et qu’il instruit dans le cœur, et qui entend ce que le Seigneur dit dans lui, comme dit David : J’écouterai ce que le Seigneur dit dans moi ! Chacun doit aussi prendre soin à pouvoir entendre ce que Dieu dit dans lui : car par cette voie il pourra plus apprendre dans une heure du S. Esprit au dedans de son cœur qu’il ne pourrait apprendre pendant toute sa vie de tous les hommes du monde. Ô heureux et plus qu’heureux l’homme qui entend dans son cœur la voix du S. Esprit et qui se conforme à ce que le S. Esprit lui enseigne dans son cœur ! Cet homme estassurément heureux. Il commence de l’être en ce temps, et le sera parfaitement ci-après dans toute l’éternité : car son âme estilluminée dans ce temps-ci ; et aussi véritablement que son âme estici illuminée, aussi vrai son corps le sera-t-il après ce temps. Que si quelqu’un désire d’aller à Jésus-Christaprès ce temps dans la joie et la béatitude éternelle, et veut y voir corporellement Jésus-Christavec ses yeux, celui-là doit premièrement venir à lui en ce temps dans son cœur d’une manière spirituelle, et le voir des yeux de l’esprit et de la foi, il doit ouïr Jésus Christdans son cœur par son S. Esprit, et y doit apprendre de lui l’humilité et la débonnaireté.
17. Voilà comment tous mes desseins mènent un chacun dans son cœur au Seigneur Jésus-Christ même, lequel se veut manifester à chacun dans le cœur par son S. Esprit, l’enseigner et l’instruire. Personne donc ne doit s’arrêter à ce que j’écris de bon par le mouvement du S. Esprit, mais chacun doit se tourner dans son cœur vers Jésus-Christ même, qui veut lui enseigner par son S. Esprit et par sa Divine parole tout ce qu’il doit faire et laisser. Car le S. Esprit ne veut pas seulement enseigner les hommes par le moyen de ma personne ou de mes écrits, ou par d’autres saints écrits qui sont dans la Bible, ou par le moyen d’autres gens de bien, dans le cœur desquels le S. Esprit règne, ou par le moyen des beaux écrits qu’ils font par son mouvement : mais il leur veut aussi enseigner par lui-même dans leurs cœurs tout ce qu’il leur enseigne extérieurement par les hommes et par leurs écrits. Il leur veut renouveler et leur enseigner les mêmes choses s’ils se tournent vers lui dans leurs cœurs, et par là leurs cœurs seront changés et deviendront bons et fidèles lorsque le S. Esprit y pourra ainsi tenir son école, y régner et pousser l’homme à tout bien, instruire et enseigner l’esprit. Alors l’esprit de l’homme devient uni avec l’aimable S. Esprit, et l’homme estrendu bien sensé selon Dieu et Chrétiennement, et son Esprit humain devient participant de la nature Divine, pourvu qu’il fuie les plaisirs périssables, se garde des péchés grands et connus, leur résiste dans son cœur, et qu’il crucifie sa chair avec ses aises et ses désirs. C’estainsi qu’il devient véritablement participant de la nature Divine, comme dit S. Pierre, que ceux qui évitent les plaisirs passagers deviennent participants de la nature Divine, etc.
18. Et sans doute que ceux qui fuient les désirs périssables crucifient aussi leur chair avec ses plaisirs et ses affections. Et par conséquent ils ne suivent point les mauvaises concupiscences, mais ils leur résistent, car tout cela s’ensuit inséparablement. Donc ils purifient ainsi leur cœur par la foi en Christ. Et lorsqu’ils sont ainsi purs de cœur, ils voient Dieu en foi, comme Jésus-Christdit : Bienheureux sont ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu. Ils le verront par manière de commencement en foi dans ce temps, et ci-après d’une manière parfaite, même corporelle, face à face, comme sa sainte parole l’enseigne aussi. Or celui qui estainsi pur de cœur et qui voit Dieu, il a aussi tout ce qu’un cœur saurait désirer et souhaiter, ici par commencement, et ci-après en perfection dans l’éternité. Car si quelqu’un prend plaisir en Dieu, Dieu lui donnera ce que son cœur désire.
19. C’està ce but que vont toutes mes entreprises, afin que les hommes en puissent venir là, premièrement dans ce temps, et puis en perfection dans l’éternité. Tout ce que je dis et tout ce que j’écris va là, aussi bien que tout ce que je veux encore écrire touchant l’explication de cette vision autant que le S. Esprit voudra m’en faire ressouvenir. Car Dieu enseigne les hommes au commencement en diverses façons et manières, comme il les nourrit extérieurement par diverses sortes de viandes terrestres, le tout à une seule fin, qui estque l’homme soit rassasié et que sa vie naturelle dont il doit vivre ici selon la volonté de Dieu en soit entretenue. De même Dieu enseigne l’homme extérieurement en diverses manières, mais à une seule et même fin, qui estque son âme soit nourrie et entretenue pour la vie éternelle, et que par l’extérieur l’homme soit mené à l’intérieur.
20. Et comme Dieu fait présenter aux hommes plusieurs sortes de mets et en envoie à quelques-uns si pleinement qu’ils n’en ont pas seulement pour leur nécessité, mais aussi pour leur plaisir et leur délectation, en ayant à superfluité et plus qu’il ne leur estnécessaire, ainsi Dieu, ce céleste, ce bon, ce doux et ce miséricordieux Père fait présenter et annoncer aux hommes sa parole, qui est la nourriture de l’âme, en plusieurs façons et très libéralement, plus que ne l’exige la nécessité de leurs âmes ; et les bons peuvent en avoir abondamment à plaisir pour s’y récréer et réjouir. Dieu fait donc présenter ainsi sa sainte parole aux bons Chrétiens en plusieurs manières, tantôtune chose, tantôt une autre, maintenant d’une manière, et peu aprèsd’une autre : à présent on leur présente ce mets, un autre suivra incontinent : ici l’on traite et écrit de cette matière, et là de cette autre : l’on explique tantôtce point-ci, tantôt celui-là. Dieu donne à entendre ceci à l’un, et cela à l’autre, afin d’avancer le bien et le profit commun des Chrétiens, le tout pour leur amendement, à la joie et au plaisir des fidèles Chrétiens. Tantôt ce beau livre vient en lumière, un peu après il en vient un autre, par où les fidèles se peuvent en plusieurs manières réjouir en Dieu ; même l’un sera plus agréable et de meilleure odeur que l’autre, comme il en est de plusieurs belles fleurs, d’une infinité de diverses couleurs et de tant de plantes agréables que l’on peut cueillir dans un parterre et faire un beau bouquet de toute cette diversité de fleurs. Ainsi peut-on de plusieurs beaux livres qui sont dérivés du S. Esprit cueillir beaucoup de choses pour en faire un bouquet, spirituellement parlant, et en tirer du plaisir et un divertissement spirituel, et se réjouir par là dans Dieu en plusieurs manières, puisque tout ce qui édifie dans le vrai Christianisme et qui sert pour le bien commun vient de Dieu : car tout bien vient de Dieu, et coule du S. Esprit, les bonnes donations aussi bien que tout ce qu’il y peut avoir de bon dans la Bible même, car tout bien et tous les dons parfaits viennent toujours de Dieu, et descendent du Père des lumières. Les bonnes donations sont tous les dons terriens et transitoires qui servent à la nécessité de l’homme dans cette vie naturelle, et même à son plaisir : tous les autres dons aussi qui sont parfaits et bons viennent d’enhaut du Père des lumières, comme dit S. Jacques ; ceux-ci sont tous les dons spirituels qui servent à l’homme dans la vie spirituelle de son âme. Et ces dons-là ne sont pas seulement bons, comme les terrestres ; mais aussi ils sont parfaits, puisqu’ils sont spirituels et qu’ils servent à l’homme non seulement pour la vie terrestre, mais aussi pour la vie éternelle.
21. Pour cet effet, l’on doit recevoir tout le bien qui peut servir à l’homme pour la vie spirituelle, autant que le bien qui estdans la Bible même ; puisque tout vient du S. Esprit : de la même sorte que l’on reçoit tout le bien qui vient de la terre en plusieurs manières. Car le S. Esprit donne aussi ses biens en plusieurs façons afin que les Chrétiens puissent s’y récréer et s’en réjouir. Mais les têtes dures et de propre sens ne veulent lire que la Bible et ce qui vient de bon par eux. Voilà seulement ce qu’ils reçoivent ; et quant au bien qui vient d’un autre, par écrit ou par paroles, ils le rejettent et le méprisent.
22. Ceux qui agissent de la sorte et qui sont ainsi pleins de leur propre sens se trompent grandement là dedans, et montrent par là qu’ils ont encore un cœur hautain et orgueilleux, qui ne veut pas s’humilier sous un autre ; car ils s’élèvent par dessus un autre et sont encore pleins de propre sagesse, croient qu’ils sont assez sages et qu’ils n’ont pas besoin d’apprendre d’un autre, mais qu’ils sont bien plus sages et plus prudents qu’un autre : ils s’imaginent que le S. Esprit opère seulement dans eux, et non point dans un autre, et qu’ainsi ils peuvent entendre une chose aussi bien que les autres la puissent entendre. Cependant l’Esprit de Dieu opère où il veut : il peut aussi bien opérer dans le cœur d’un ignorant qui esthumble que d’un qui estdocte dans les sciences. C’estpourquoi il ne faut rien mépriser de ce qui estbon, quand même il serait avancé par un homme de peu de considération dans sa simplicité. Il ne faut point regarder à l’homme, soit-il docte ou indocte. Il ne faut point aussi regarder à sa manière de parler ou d’écrire, si elle estadmirable ou artificielle : mais il faut seulement regarder au bien et à la vérité, laquelle vient du S. Esprit, fût-elle proposée dans une simplicité la plus grande de toutes, sans artifice, et sans êtreparée selon l’art et la manière des hommes.
23. Il ne faut donc pas mépriser pour ce sujet le bien, non plus que la vérité, mais on doit la recevoir, puisqu’elle vient du S. Esprit. Et chacun doit encore plus aimer et estimer ce qui vient du S. Esprit par un autre et ce que le S. Esprit aproduit de bon dans un autre, que non pas ce qu’il a produit dans lui et par lui : car chacun doit penser qu’un autre fait encore mieux que lui ce qu’il fait par la conduite du S. Esprit. Chacun doit aimer un autre plus que soi-même ; chacun doit plus tenir d’un autre que de soi-même, et doit plus estimer l’œuvre d’un autre fait par le S. Esprit que non pas le sien propre qu’il fait aussi par le S. Esprit. Lorsque les hommes sont ainsi disposés les uns envers les autres, et que l’un s’humilie ainsi devant l’autre, cela engendre la charité, la paix, et l’unité : mais lorsque l’homme estime toujours son œuvre meilleure que l’œuvre d’un autre, et qu’ainsi il s’élève par dessus un autre, s’imagine qu’il estplus sage et plus prudent que son prochain, et le méprise, cela fait naître des divisions, des combats, et toutes sortes de malheurs, sous quoi le Diable fait son jeu.
24. Que donc chacun se donne garde de ceci ; que chacun se tienne dans son cœur pour le moindre de tous, et pense qu’il n’estpas meilleur devant Dieu que son prochain. Dieu a créé le plus méprisable de tous les hommes aussi bien que lui, et J. Christestmort aussi bien pour un tel que pour le plus grand homme de tout le monde. Personne ne doit s’élever par dessus son prochain à cause de ses dons ; mais plus de dons Dieu lui donne, plus aussi doit-il être humble dans son cœur ; et ainsi le S. Esprit pourra encore opérer plus de choses dans son cœur : car le S. Esprit opère dans les cœurs humbles, mais non pas dans les superbes.
25. Mais ceux qui ne veulent rien lire ou recevoir que la Bible et leurs propres œuvres ou perceptions, ceux-là montrent par là qu’ils n’aiment pas encore Dieu dans leurs cœurs. Car s’ils aimaient Dieu dans leurs cœurs, ils aimeraient aussi tout ce qui vient de Dieu. Mais comme ils ont une aversion pour ce que d’autres écrivent encore à présent et qu’ils ne veulent pas le lire, quoiqu’ils le puissent ; même ne veulent pas éprouver (le pouvant bien) s’il estbon ou mauvais ; ils témoignent par là qu’ils haïssent leur prochain, qu’ils lui portent envie dans leur cœur, et qu’ils ne l’aiment point ; et par conséquent ils haïssent même le Dieu du Ciel, lui portent envie et ne l’aiment point aussi : car celui qui hait son prochain hait aussi Dieu qui estdans le Ciel : car comment peut-il aimer Dieu, qu’il ne voit pas quand il hait son prochain et n’aime point celui qu’il voit, comme dit S. Jean : Celui qui dit qu’il aime Dieu et qui hait son prochain, celui-là estun menteur : puisque Dieu ne veut êtreautrement aimé dans ce monde que dans l’homme ; car celui qui veut aimer Dieu lequel il ne voit pas, il faut qu’il aime les hommes ses frères qu’il voit : et il ne doit pas seulement aimer ses frères, mais ses ennemis : car qu’un ami aime un autre ami, cela esthumain, les païens et les malvivants le peuvent faire aussi ; mais c’estlà une chose Chrétienne d’aimer aussi ses ennemis, que l’on aime ceux qui nous haïssent et que l’on surmonte le mal par le bien. Cela estla doctrine de Jésus-Christ, que l’on bénisse ceux qui nous maudissent, que l’on fasse du bien à ceux qui nous font du mal : et celui qui ne veut point faire ainsi autant qu’il peut n’estpas encore un vrai Chrétien, quelque sage et prudent qu’il soit d’ailleurs, qu’il écoute la parole de Dieu tant et plus, qu’il se serve des Sacrements, fasse du bien à ceux qui l’aiment : cependant il n’estpas encore avec tout cela un vrai Chrétiensi longtemps que par la charité il ne fait pas de tout son possible à ses ennemis ce qu’il fait à ses amis. Car telle estla doctrine de Jésus Christ, tel estson commandement, lequel nous devons écouter et pratiquer si nous voulons êtresauvés. C’estainsi qu’enseigne J. Christ, et c’est cequ’il commande de faire, que nous aimions nos ennemis. Qui ne peut faire cela n’a pas encore l’Esprit de Christ, et ainsi ne lui appartient pas : car ceux qui ont l’esprit de Christ, ils lui appartiennent.
26. Ceux-là sont les vrais disciples de J. Christ. Et ceux qui ont son Esprit et qui se laissent régir et conduire par lui peuvent aimer de cœur leurs ennemis et leur faire tout le bien possible qu’ils peuvent leur faire. Que ceci soit véritable, je puis non seulement le prouver par l’Écriture, mais je puis bien le dire et l’écrire par ma propre expérience, sans y chercher de la gloire. Car je le dis devant Dieu, qui sait et qui connaît toutes les pensées secrètes et devant lequel rien n’estcaché. Ilsait bien que j’aime de cœur mes Ennemis, qui me haïssent et qui me portent envie sans sujet, quoique je ne manque en rien à leur égard, et qu’ils ne me puissent prouver aucun mal, nonobstant quoi ils ne laissent pas de me diffamer et me blâmer, de me haïr et êtreanimés d’envie contre moi : néanmoins je les aime de cœur. Oui, mon cœur brûle d’amour dans moi pour eux, et je soupire et prie tous les jours pour eux, que Dieu leur pardonne les péchés qu’ils commettent envers moi : qu’il ne les punisse point, mais qu’au sujet de ce qu’ils blâment son Divin œuvre, ses châtiments sur eux soient temporels, afin que par là ils puissent venir à la connaissance de leurs péchés, se convertir, et ainsi ne pas tomber dans les peines éternelles : car il estmeilleur d’être châtié de peines temporelles, et venir par là à la connaissance des péchés et en faire pénitence pour en obtenir le pardon, que si l’on tombait dans les peines éternelles. Voilà ce que je souhaite du fond de mon cœur aux méchants qui me font toutes sortes de maux, assavoir, qu’ils puissent devenir éternellement justes et bienheureux. En quoi je montre que je les aime de cœur.
27. J’ai dû pour certaine cause écrire ceci et y porter ma pensée avant que d’écrire l’explication de cette vision, pour exciter par là chacun à lire avec affection et charité l’explication que l’Ange même m’en a donnée, et ce que je vais en écrire par la conduite du S. Esprit. Que chacun tâche de le lire dans la crainte de Dieu, comme je vais le décrire par la gouverne de son S. Esprit. Il ne faut pas qu’aucun le rejette à cause de la bassesse de ma personne non plus qu’à cause de ce que c’estun Ange qui l’a dit et expliqué. Mais chacun doit le recevoir et le lire à cause qu’il vient du S. Esprit, et que c’estlui qui conduit la chose comme je ladécris. Et quand même le S. Esprit permettrait pour certaines raisons que s’y entremêle quelque chose de mauvais ou d’errant, l’on ne doit pas pourtant rejeter le bon avec le mauvais, mais l’on doit laisser là le mal et retenir le bien, suivant cette parole de l’Écriture : Éprouvez toutes choses, retenez ce qui estbon.
Quoique je sache très-assurément que le S. Esprit me régit et que tout ce que j’écris par lui est bon, puisqu’il donne à mon esprit l’intelligence du bien, il ne s’ensuit pas cependant que tout ce que je puis écrire soit bon ; car le diable m’attaque puissamment et voudrait bien semer son ivraie parmi le bien que je fais, afin de faire rejeter le bien et le mal tout ensemble ; car où Dieu a une Église le Diable y voudrait bien avoir tout auprès une chapelle (comme l’on dit), il voudrait bien êtrede la partie et gâter tout le bien : mais après tout, il ne peut faire davantage que ce que Dieu lui permet. Si donc Dieu permet pour certaines raisons que le diable me donne des mauvaises pensées que j’écrive avec les autres, et que je ne le remarque et ne le connaisse pas moi-même, mais qu’un autre le remarque et connaisse que quelque chose serait une erreur et une chose mauvaise, alors il doit me le montrer et prouver que c’estune erreur, afin que je puisse le remarquer et le rejeter moi-même, et que je n’appelle pas le mal bien.
28. Mais jusques à présent personne ne m’a pu encore rien montrer de mauvais dans mes écrits, que je sache. Quant à ce qui se fera à l’avenir, je n’en sais encore rien, mais quelque fortement que le diable m’attaque par des mauvaises pensées, il ne s’ensuit pas pourtant de là que le S. Esprit permettrait que j’écrive le mal avec le bien. Jusques à présent je ne saurais me ressouvenir que le S. Esprit ait permis que j’aie mêlé du mal avec le bien. Si cela s’estfait, je n’en sais encore rien jusques à maintenant, et cela m’estcaché ; et quant à ce que j’écrirai à l’avenir, cela m’estaussi caché. Mais si le S. Esprit veut que je n’écrive rien de mauvais par les tentations du diable, il peut l’empêcher et conduire le tout si bien, que je n’écrive que le bon purement, et rien de mauvais. Mais quand même le S. Esprit permettrait que j’écrive quelque chose mauvaise, cela ne pourrait me nuire ni me tourner à mal ; au contraire il me ferait du bien et me tournerait à bonne fin : car à celui qui aime Dieu tout sert à bien, quelque mauvaise que soit la chose même ; parce que lorsque le Diable pense faire mal et qu’il le fait, le S. Esprit dirige la chose en sorte qu’elle fait du bien : le diable y pense à mal, mais, contre sa volonté, avec ce mal il doit faire du bien aux vrais Chrétiens : tant sont admirables les conduites du S. Esprit.
29. Et partant le meilleur serait de s’abandonner purement à la volonté du Seigneur et laisser aller les choses comme elles vont. Un chrétien ne devrait pas s’en mettre en souci, mais chacun devrait faire simplement pour soi, et l’une après l’autre, les choses auxquelles il est incité, lorsqu’il connaîtque ces choses sont bonnes ; mais lorsqu’elles lui semblent mauvaises et qu’il est convaincu dans son cœur que ce à quoi il est poussé est assurément mauvais, il ne doit point faire ce mal, mais y résister de toutes ses forces autant qu’il lui estpossible, et ne doit pas effectuer sciemment le mal. Que s’il arrive qu’il doute si la chose à quoi il est poussé estbonne ou mauvaise, il doit invoquer Dieu et le prier qu’il lui laisse comprendre sa volonté pour qu’il puisse connaître avec certitude et sans perplexité si la chose estbonne ou mauvaise. Mais si Dieu le laisse encore dans le doute, il peut bien faire la chose à laquelle il est incité, s’il a la volonté de la faire, en invoquant et priant Dieu en même temps, protestant que si danscela il pèche contre lui, c’està son insu qu’il le fait, et sans savoir assurément ce qui est bon ou mauvais, si donc par ignorance il fait quelque mal dans cela, que Dieu le lui veuille pardonner. Celui qui agit de la sorte, qui vit ainsi continuellement dans l’humilité et dans la crainte de Dieu, et qui prie pour la rémission de ses péchés, estassurément dans la droite voie du Ciel, quoiqu’il péchât par ignorance ; et le diable ne lui peut faire aucun dommage, quelques attaques et tentations qu’il lui fasse.
30. Ainsi donc, au Nom de JÉSUSet par la conduire du S. ESPRIT, je m’en vais décrire l’explication de cette vision, et ne veux point craindre que le diable, encore qu’il m’attaquerait de plus en plus, et que le S. Esprit permettrait que j’écrivisse avec ceci quelque chose de mauvais ; car après tout, cela ne me ferait nullement du mal, mais me servirait à bien. Ceux qui ne veulent pas lire tout ce que j’écris doivent le laisser. Je le retiendrai pour moi et je prendrai plaisir et m’égayerai dans ce que j’écris par la direction du S. Esprit : car cet ouvrage n’est ni mien ni humain, mais c’estun œuvre du S. Esprit, de quoi je puis moi-même apprendre beaucoup de bonnes choses et me conduire à l’avenant, et d’autres aussi qui pourront lire ceci. Ainsi donc au nom de Dieu, je commence cette explication.
Explication de la vision des TroisÉTATS, comment
plusieurs sont endormis en tous, dans
l’ECCLÉSIASTIQUE, dans l’ÉCONOMIQUE,
et dans le POLITIQUE.
31. Lors donc que l’Ange m’eut apporté cette Clef et la Chaîne, comme j’ai dit ci-dessus, qu’il eut commencé à parler, et me demander si je savais bien ce que ces merveilles signifient, et que je lui eus répondu comme j’ai dit ci-dessus, alors il m’expliqua cette vision et me dit premièrement : Cette nuée claire et luisante que vous voyez devant vos yeux et cette grande clarté signifie la clarté du Seigneur, le grand et ineffable AMOURde Dieu, qui luit sur tous les hommes qui sont au monde, aussi-bien sur les méchants que sur les bons. Ces trois Hommes que vous voyez assis sur l’autel et qui ont été endormis signifient les méchants qui sont dans tous les trois États où plusieurs s’endorment dans des péchés connus : et néanmoins l’amour de Dieu les illumine aussi-bien que les bons qui sont veillants ; mais les bons mettent leur joie à contempler cet amour de Dieu et à y penser dans leurs cœurs, au lieu que les méchants qui dorment dans leurs péchés connus ne voient point cet amour de Dieu et n’y pensent pas, et partant n’en reçoivent point de joie. Sur quoi l’Ange me dit que je devais avertir les méchants lorsque le S. Esprit m’y inciterait, qu’ils se réveillent de leurs péchés grands et connus, et qu’ils n’y dorment pas, mais qu’ils regardent à l’amour de Dieu, qui luit sur eux aussi bien que sur les bons, et qu’ils se réjouissent dans lui.
32. Quant aux douze hommes vêtus de blanc que j’avais vu debout, ils signifiaient douze envoyés particuliers par lesquels Dieu fait annoncer sa parole, afin que les méchants se réveillent du sommeil de leurs péchés. Ceux-là sont tous les prophètes, les Apôtres, et tous les fidèles Docteurs et Prédicateurs que Dieu a envoyés au monde en tout temps depuis le commencement du monde, par lesquels Dieu fait annoncer sa parole aux hommes dans ce monde, afin de les réveiller du sommeil de leurs péchés.
33. Pour ce qui estdes trois hommes habillés de blanc assis sur l’autel, ils signifiaient les trois ÉTATS, l’ECCLÉSIASTIQUE, le POLITIQUE, et l’ÉCONOMIQUE, dans lesquels plusieurs étaientassis qui dormaient dans des péchés connus. Le premier homme vêtu de blanc qui avait deux épées posées à ses pieds marquait l’État Ecclésiastique, et lesdeux épées la Foi et la Charité. Il y en a maintenant beaucoup dans cet étatqui ont l’épée de la Foi et de la Charité mise à leurs pieds. Le second homme vêtu de blanc qui avait une verge d’or et un livre d’or jetés à ses pieds, signifie l’État Économique, où plusieurs sont assis qui dorment et ont mis à leurs pieds la verge d’or de la Discipline, et le livre d’or de l’Humilité. Et le troisième homme vêtu de blanc signifie l’État Politique, dans lequel plusieurs, étantassis, dorment et ont à leurs pieds l’épée de la Charité avec quoi ils devraient punir les méchants et protéger les bons, aussi-bien que la balance de la Justice.
34. Quant à ce que ces huit étaient debout en cercle et magnifiaient Dieu à haute voix, et que cependant les trois autres ne s’en réveillaient pas, cela signifie que Dieu fait abondamment annoncer sa parole et la communique libéralement aux méchants, les fait avertir et exhorter à la pénitence ; mais eux ne veulent pas se purifier par là, ni se réveiller du sommeil des péchés. Ils continuent plutôtdans leurs péchés grands et connus, ne veulent point s’en abstenir, ni s’en purifier, quoique Dieu leur fasse assez abondamment annoncer sa parole. Même la plupart des prédicateurs qui annoncent la parole de Dieu ne vivent pas eux-mêmes selon cette parole de Dieu, mais vivent contre leurs propres prédications dans des péchés connus, dans un grand orgueil, dans la haine et l’envie, dans l’ambition et l’avarice, dans l’amour de l’argent et celui du monde : en quoi l’état Économique et Politique les imitent, sans se convertir et se purifier nullement selon la teneur de la parole de Dieu, ne réglant pas leur vie selon elle, et n’en devenant pas meilleurs quoiqu’elle leur soit annoncée et qu’ils sachent qu’ils doivent vivre selon elle. Ils en deviennent plutôtpires, et vivent tout-directement à l’encontre.
35. Puis donc qu’ils vivent si méchamment et qu’ils ne veulent pas retourner à Dieu ni à sa parole, qu’il leur fait annoncer assez clairement et qu’ils ont assez abondamment dans la Bible, laquelle ils peuvent lire et ouïr pour en apprendre comme ils veulent vivre, et que néanmoins ils vivent tout à rebours, pour cet effet, Dieu envoyera son Ange avec une Verge ou un Bâton, c’està dire, qu’il veut fortement frapper les hommes et les punir par guerres, par effusions de sang, par épée et par feu, par famine et par misères, et par toutes sortes de maladies : et par ces choses les hommes seront frappés et battus. C’est ce que signifie cet Ange avec le bâton, qui frappa et jeta de l’autel en terre l’un de ces hommes vêtus de blanc, avec tant de bruit que les autres s’en éveillèrent.Cela signifie donc que Dieu leur envoyera toutes sortes de plaies et de punitions, par où ils seront tourmentés et punis, et que s’ils refusent de se convertir par sa parole et ne veuillent se laisser corriger ni se réveiller par elle à la pénitence, ni se relever de leurs péchés, Dieu se jettera sur eux par des coups violents et par toutes sortes de plaies ; comme je viens de le dire ; et par là plusieurs se réveilleront, qui auparavant ne se sont point voulu laisser éveiller par la parole que Dieu leur avait fait annoncer si clairement et si intelligiblement.
36. Ces huit hommes qui se tenaient debout en un cercle signifient aussi l’Église Chrétienne, c’està dire, tous les vrais Chrétiens, qui louent et magnifient Dieu, particulièrement dans leurs cœurs, et quant au corps sont dispersés par-ci par-là dans tout le monde, entre toutes sortes de méchants : mais Dieu connaît les siens quelque-part qu’ils soient, il connaîtceux qui le craignent et qui font bien, dans le cœur desquels le S. Esprit peut opérer à son gré toute sorte de biens ; et quoique de tels ne pourraient apprendre la parole de Dieu écrite, ni la lettre de cette écriture, ils peuvent cependant prendre cette parole dans l’Esprit, quoique dans leur raison ils n’en sachent rien, n’en entendent rien, et n’aient pas la connaissance selon la chair : ils peuvent bien avoir la connaissance selon l’esprit, puisque le S. Esprit peut opérer dans leurs cœurs l’Amour de Christ. Mais lorsqu’un Chrétien qui estappelé Chrétien connaît Jésus-Christ selon la chair, dans sa raison humaine, par le moyen de l’Écriture Sainte, comme il est là décrit quelle personne Jésus-Christ est, quel est son office, ce que Christa fait dans ce monde, comment il est né, mort, ressuscité des morts, et monté au Ciel ; et qu’il confesse de bouche que cela s’estfait pour son bien, et qu’il croit en Christ : lors, dis-je, qu’il entend bientoutes ces choses dans sa raison et qu’il y consent, tout cela ne fait pas encore un vrai Chrétien : un Chrétien de nom ne sera pas sauvé avec cela ; mais il faut que ceci y concoure encore, savoir, que le S. Esprit opère dans son cœur une Foi agissante par la Charité, et que par là il embrasse J. Christ dans l’esprit. Voilà le Royaume de Dieu. Voilà la vie éternelle. Voilà la droite connaissance de Dieu, dans laquelle est la vie éternelle, comme J. Christdit : C’est ici la vie éternelle, qu’ils te connaissent bien, ô Père, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.Voilà la vraie connaissance de Dieu, que l’on connaisse bien Christavec le Père dans le S. Esprit, et nonpas selon la raison, selon la lettre, d’une manière historique, cette dernière connaissance ne sauvant personne : les méchants pouvant bien connaître J. Christ en cette manière par l’Écriture dans leur raison, mais cela ne les sauve pas. Si bien que la connaissance extérieure que l’on a dans la raison humaine, par le moyen de l’Écriture Sainte, ne sauve personne ; mais la connaissance intérieure qui est selon l’esprit et dans le S. Esprit est la seule qui sauve : car le Royaume de Dieu ne consiste pas dans une connaissance et une confession extérieure, mais dans l’intérieure : le Royaume de Dieu n’estpas extérieur et visible dans ce temps, mais intérieur, comme J. Christdit : Le Royaumede Dieu ne vient point avec une apparence extérieure ; l’on ne dira pas : Il est ici ou il est là ; mais le Royaume de Dieu est dans vous. C’est là que chacun le doit chercher, dans son cœur, comme j’ai dit, et non pas au dehors ; et par l’extérieur l’on doit se tourner vers l’intérieur, par lequel seul l’on est sauvé.
37. Celui-là donc à qui Dieu donne sa parole ou la S. Écriture, d’où il peut apprendre J. Christ dans sa raison, selon la chair, d’une manière historique, par laquelle il peut conséquemment venir à Jésus-Christ dans l’Esprit au dedans de son cœur, qu’il rende grâces à Dieu ; mais qu’il prenne bien garde de ne pas abuser de la S. Écriture et ne s’en pas faire une idole ; qu’il ne s’appuie pas sur ce qu’il a l’Écriture dans la tête, mais que par cela il se tourne vers Dieu dans l’esprit au dedans de son cœur, où Dieu veut se révéler à tous ceux qui le cherchent intérieurement par la prière de la foi et qui s’appuient ainsi sur le seul Dieu vivant et véritable qui a créé le Ciel et la terre. Car Dieu est le Dieu unique, lequel s’esttellement révélé dans sa parole dans le Nouveau Testament (savoir,Dieu le Père, le Fils, et le Saint Esprit) que nul homme ne peut comprendre avec sa raison comment il estun seul Dieu, une essence unique, et qu’il y a néanmoins une Trinité dans lui, le Père demeurant dans le Fils, et le Fils dans le Père, et le S. Esprit procédant des deux, du Père et du Fils, comme Dieu me l’a manifesté dans une vision. C’est sur ce Dieu Unique, le Père, le Fils, et le S. Esprit, que les hommes doivent seulement s’appuyer, comme lui-même l’a ainsi révélé par sa parole. Chacun doit donc aller à Dieu par la Sainte Écriture, sans néanmoins s’arrêter à l’Écriture, car elle n’estqu’un témoin de Dieu, qui conduit à Dieu, et n’est pas Dieu elle-même : mais seulement Dieu se manifeste par elle.
38. Or quoique Dieu se soit manifesté par l’Écriture, cependant nul Chrétienn’y doit tellement attacher Dieu, comme si sans elle Dieu ne voulait pas se faire connaître soi-même dans le cœur d’aucun homme par le S. Esprit (en quoi seul consiste le Royaume de Dieu), et que tous ceux qui ont la S. Écriture dussent s’imaginer que nul homme ou même nul peuple ne pût être sauvé sinon seulement ceux qui ont la S. Écriture, particulièrement celle du Nouveau Testament. Il ne faut point attacher Dieu à cela, ni damner tous ceux qui n’ont point le Nouveau Testament. Non : ce n’estpas de la sorte que les Chrétiens doivent agir : car Dieu estune Essence toute Libre et Puissante, qui peut faire tout ce qu’il veut et qui en a le droit ; et personne n’a à lui donner des règles là dedans ; si bien que s’il lui plaît, il peut se manifester spirituellement au cœur de ceux qui n’ont pas la Sainte Écriture : et s’il veut le faire, qui voudra l’en empêcher ? C’estpourquoi nul Chrétienne doit condamner un non-Chrétien : cela n’estbien séant à nul Chrétien : car un homme peut bien êtresauvé par J. Christ si le S. Esprit opère dans son cœur la Foi en Christ, laquelle agisse par la charité, quoiqu’un tel ne le connûtpas par sa raison : il peut bien nonobstant cela être sauvé, et l’être sans la S. Écriture, sans savoir rien d’elle, sans connaître Christselon la chair d’une manière historique. Car, après tout, il ne laisse pas de pouvoir êtresauvé comme les petits enfants, qui, ne sachant et s’entendant rien de la Sainte Écriture ni de Christ, peuvent aussi l’être. Mais personne ne peut être sauvé par la S. Écriture ni par connaître bien J. Christ selon la chair, et une manière historique, par l’entendement humain, lorsqu’il estsans la connaissance spirituelle dans le cœur : car sans la révélation intérieure du S. Esprit au cœur, le salut estimpossible à qui que ce soit ; et quoiqu’il sûtencore parler mille fois mieux de J. Christ et plus admirablement qu’il n’a fait, il ne laissera pas d’être damné avec tout cela s’il a un cœur mauvais, plein d’envie et d’inimitié pour ceux qui sont opposés à ses opinions, à la manière d’entendre de cette façon ou de cette autre certaines choses de l’Écriture sainte ; et qu’il ne leur veuille pas accorder le salut, s’imaginant que personne ne peut êtresauvé s’il n’entendles choses de la même manière que lui, et pensant que nul ne sera sauvé que ceux qui sont nés et élevés dans la Chrétienté. Assurément tous ceux qui se sont formé ces imaginations montrent bien par elles qu’ils ont un cœur d’ennemis et qu’ils ne peuvent trouver dans ce cœur la charité de Christ, laquelle espère tout bien, le désire et l’accorde avec joie à tous les hommes, tant aux ennemis qu’aux amis.
39. Je ne dis pas que tous les non-Chrétiens auxquels la parole de Dieu n’a pas étéadressée seront sauvés, non plus que je n’affirme pas que tous les Chrétiens qui ont la parole de Dieu seront sauvés : car un Chrétiende bouche peut être damné aussitôt,et même plutôt, qu’un Païen qui n’a point la parole de Dieu et qui vit, comme un Chrétien, dans des péchés grands et connus par lesquels il résiste au S. Esprit. Je ne dis pas aussi que tous les Païens seront damnés, non plus que tous les Chrétiens ne seront pas aussi damnés. Mais je dis que Dieu a les siens aussi bien entre les Païens qu’entre les Chrétiens, comme le Diable a les siens aussi bien entre les Chrétiens qu’entre les Païens. Personne n’estaussi damné pour ne pas avoir la parole de Dieu lorsqu’elle ne lui a pas étéprésentée ; mais l’on estdamné lorsqu’on a reçu la parole de Dieu et qu’on ne veut pas vivre selon sa teneur et qu’on la rejette. Et la damnation d’un tel sera plus grande et plus terrible que celle d’un infidèle à qui la parole de Dieu n’a pas étédonnée et qui n’estpas né entre les Chrétiens, mais entre des païens ; inconvénient auquel il ne saurait remédier. Même Dieu peut avoir beaucoup plus de compassion pour une telle personne que pour certaines autres, et opérer dans son cœur par la force du S. Esprit. Que s’il craint Dieu et qu’il recherche à servir celui qui a créé le Ciel et la terre, lesquels il voit devant ses yeux avec le Soleil, la lune, et les étoiles ; si, dis-je, il craint ce Dieu-là et qu’il pratique le bien autant qu’il peut, il estagréable à Dieu : et si Dieu l’agrée et l’accepte, et qu’il connaisse Dieu par ses créatures, et qu’il l’invoque, Dieu opérera bien dans lui la Foi en J. Christ. Je n’en doute nullement. Au lieu que quant aux méchants qui sont Chrétiens de bouche, vivant en toutes sortes de péchés, d’infamies, et de vices, qui ne craignent pas Dieu, et qui ne font pas ce qui est bon, Dieu les laissera courir tous au Diable : car un homme de bien qui estPaïen estbeaucoup plus agréable à Dieu qu’un méchant Chrétien.
40. C’est à quoi vous devez penser, vous Chrétiens de nom et de bouche, tous tant que vous êtes, qui damnez les autres avec un cœur d’ennemis : vous péchez par là horriblement contre Dieu, et vous commettez plus grand péché que ne font les Païens qui blâment et qui outragent J. Christpar ignorance ; au lieu que vous lui faites des injures et le blâmez sciemment ; et vous agissez directement contre sa Parole, en jugeant et condamnant de la sorte nonobstant la défense de Jésus Christ :puisque le droit et la charge de Juger ne vous appartient pas : mais que c’estChristqui doit juger, porter sentence, et condamner, à quoi vous n’êtes pas établis. Vous péchez donc horriblement contre Christen ce que vous empiétez sur son Office de Juge, et que vous jugez de ce que vous ne devez pas, mais qui vous estdéfendu. Or faisant cela sciemment, vous faites beaucoup plus et d’injures et de déshonneur à J. C. que les Juifs et les Païens ne lui en ont fait, le faisant par ignorance. Que si J. Christ,par sa pure grâce, par sa charité et miséricorde, veut sauver quelques Païens et quelques Juifs, voulez-vous ou pouvez-vous l’en détourner et l’en empêcher ? Quand même il voudrait les sauver tous, vous ne pourriez l’empêcher. Et que vous touche cela ? Vous n’avez nul sujet de vous en inquiéter. Pensez seulement à pouvoir être sauvés vous-mêmes. Qu’avez-vous besoin de vous mêler d’un autre, s’il sera sauvé ou non ? Ne voulez-vous point tenir de Païens pour sauvés ? Ne les damnez point aussi. Laissez-les à Dieu : Tombent-ils ? Leur chute regarde leur propre Maître. Sont-ils debout ? Cela regarde aussi leur Maîtrequi les a créés. Que vous touche donc le fait et la personne d’un autre ? Laissez là le jugement, la sentence et la condamnation d’autrui, et prenez peine à ce que vous-mêmes puissiez êtresauvés. Chacun portera son propre fardeau, chacun doit rendre compte pour soi-même. Chacun a assez de besogne avec soi-même. Mais ceux qui se mettent ainsi à juger, à porter sentence, et se condamner l’un l’autre, donnent par là des marques certaines qu’ils ont un cœur impie et faux, quelque sainte et juste que paraisse la vie qu’ils mènent devant le monde : ils n’ont que l’apparence de la piété, mais dans le fond de leur cœur ils ne sont point pieux ; et partant ils ne sont que des Chrétiens d’apparence, et non pas des Chrétiens de fait, des véritables croyants, et riches dans la charité. Le S. Esprit me pousse à inculquer ces vérités encore ici, comme j’ai fait ailleurs.
41. Or (pour revenir à la vision) comme ces huit hommes vêtus de blanc étaient debout faisant ensemble un cercle par leur situation, il en est de même des vrais et droits Chrétiens qui sont des véritables croyants ; ils ne font qu’un cercle d’assemblée spirituelle : quelque dispersés qu’ils soient parmi le monde et entre toutes les nations, ils ne laissent pas d’être néanmoins assemblés en un cercle, c’est à dire qu’ils vivent dans l’uniformité d’un même esprit, dans une même foi, dans un sens ; ils n’ont qu’une seule sorte de Foi, qui estintérieure, laquelle le S. Esprit opère dans le cœur ; ils n’ont tous qu’un Baptême, parce qu’ils sont tous Baptisés du S. Esprit ; et ont tous une même S. Cène, car ils la célèbrent tous les jours avec Christ, par l’esprit dans le cœur, et se laissent pareillement tous conduire par le S. Esprit, lequel opère dans leurs cœurs la Foi, la Charité, la Douceur, l’Humilité, la Miséricorde, l’affabilité, et toutes sortes de vertus Chrétiennes ; et en cette manière ils se laissent induire par le S. Esprit à toutes sortes de choses bonnes, louent et magnifient tous unanimement Dieu dans leurs cœurs. Et de cette sorte ils sont tous en un assemblés dans l’esprit, quoiqu’ils aient encore quelques différents dans la connaissance extérieure touchant Christet sa sainte parole, et qu’ils aient là dessus une multiplicité différente d’opinions humaines, touchant ceci ou cela ; qu’ils errent aussi en plusieurs opinions, et que même ils pèchent encore beaucoup par ignorance. Tout cela leur est pardonné dans la Foi, car aux purs tout est pur ; et comme ils sont nettoyés de tous leurs péchés par le sang de Jésus Christ, toutes ces choses ne leur nuisent point : quand même ils pécheraient encore davantage par ignorance en suivant leurs opinions, et qu’ils erreraient dans l’interprétation de la parole de Dieu, et même dans la vie et la pratique. Voilà certes une grande consolation pour les fidèles qui vivent dans la foi, laquelle le S. Esprit opère dans le cœur : mais les infidèles n’ont pas à se consoler sur ceci, quoiqu’ils s’appellent mille et mille fois Chrétiens, qu’ils connaissent Christselon la chair, selon l’histoire, selon la lettre, dans leur raison, ils sontnéanmoins des infidèles et non-croyants lorsqu’avec tout cela ils ne vivent point dans la charité, dans la douceur et dans l’humilité de Jésus Christ. C’està quoi les Chrétiens de nom doivent bien penser, eux qui vivent en de telles inimitiés en haine et envies, en colère, en injustice, en mensonges et tromperies, en fierté de cœur, en dédains, en blâmes et mépris de leurs prochains, comme il paraîtmanifestement par la méchante vie que mènent plusieurs Chrétiensde nom. Pour ce qui estdes vrais et fidèles Chrétiens qui ne se comportent pas de la sorte, ce n’estpas d’eux que je dis ceci, aussi ne doivent-ils pas tirer ces choses à eux.
42. Quant à ce que je vis Une étoile sur les huit hommes qui étaient en rond, louant et exaltant Dieu, cela marque JÉSUSCHRIST, la claire étoile matinière qui protège et couvre les siens contre tous maux. Quoique les vrais Chrétiens soient affligés extérieurement par les méchants dans ce monde, cela ne leur fera néanmoins point de dommage et ne fera point de mal pour eux, mais du bien : car Jésus Christles préserve du mal ; et quoiqu’extérieurement ils soient affligés et opprimés quant à leur corps, ils sont néanmoins intérieurement réjouis dans leurs cœurs par le S. Esprit : car le S. Esprit les peut bien plus réjouir dans le cœur à l’intérieur qu’ils ne peuvent être tourmentés et affligés des méchants au dehors par la permission de Dieu. Ainsi les bons ne doivent pas craindre les peines ni les tourments : le S. Esprit peut réjouir les siens au milieu de la tristesse même ; et ils peuvent être aussi bien conservés par le S. Esprit dans elle que hors d’elle, ainsi que les trois hommes ont été conservés au milieu de la fournaise, comme on peut le lire dans le Prophète Daniel. C’estainsi que Dieu peut conserver les siens au milieu de la fournaise des maux ; et aussi peu que le feu nuisit à ces hommes et les brûla, aussi peu le feu des afflictions leur peut-il nuire quoiqu’ils y entrent : et aussi vrai que Dieu délivra ces hommes de la fournaise ardente, aussi vrai délivrera-t-il les siens de toutes les misères et les retirera vers soi dans la joie et la félicité éternelle, comme la parole de Dieu l’enseigne. S’ils sont sous la protection du Très-haut, et qu’ils soient protégés et défendus par CHRISTdans cette vie, ils seront aussi réjouis par CHRISTpremièrement dans ce temps, et puis après en perfection dans l’éternité. C’est ce qu’il me fut dit que je dise aux bons à l’occasion de cette étoile, laquelle marque le Seigneur JÉSUSCHRIST, qui estla vraie Étoile matinière resplendissante qui se lève dans les cœursdes bons et leur montre la voie à la vie éternelle : elle marche devant eux, et ils la suivent, comme les sages d’Orient suivirent l’étoile qui les conduisit à Christ. En cette manièreJésus Christ même, la vraie étoile matinière qui est sortie de Jacob, conduit les siens à son Père, et les siens le suivent volontiers, écoutent sa voix, et font ce que Jésus Christveut qu’ils fassent.
43. Quant à ce que je vis deux hommes qui allaient et venaient, et s’entretenaient de ce triste et misérable temps, et que les deux autres parlaient des joies de la vie Éternelle, il me fut dit que j’avertisse de là les Chrétiens de n’être point de petit courage lorsqu’ils sont en oppression dans ce monde et qu’ils s’entretiennent les uns les autres des misères du temps : mais qu’ils doivent aussi penser aux joies éternelles, s’en entretenir mutuellement, y avoir l’esprit, et en parler ensemble davantage que non pas de porter toujours la pensée à cette vie présente (qui estune vie de croix)et d’en tant parler : car cette vie de croix n’a qu’une durée temporelle, mais la vie de joie, qui està venir, estdurable à toute éternité. Si donc ils pensent toujours à cela dans leurs croix, le S. Esprit opérera par là dans leurs cœurs une joie céleste par laquelle ils oublieront toutes leurs douleurs et seront joyeux au milieu de la tristesse : ils trouveront dans leurs cœurs un avant-goûtde la vie éternelle, leurs angoisses et leur tristesse étant converties en la joie céleste. Ainsi dès ce temps même ils en retireront une grande utilité s’ils veulent se conformer à ce à quoi je viens de les exhorter en peu de mots. Et c’estde quoi je devais avertir les vrais Chrétiens au sujet de ces hommes, dont deux parlaient des misères de ce temps et deux des joies de la vie éternelle.
44. * Sur ce que l’Ange frappa et jeta en terre cet homme qui était sur l’autel, qui marquait l’ÉTATECCLÉSIASTIQUE, il me fut dit d’avertir les savants que c’était eux qui étaientla plus grande cause qu’il allait si mal et méchamment en la Chrétienté, puisqu’ils menaient eux-mêmes une vie impie et méchante, jointe à un esprit de fierté et d’orgueil, et qu’ils avaient entre eux des méchantes et diables de disputes, par où ils abandonnaient sans se soucier Jésus Christ, avec sa doctrine et sa vie : qu’ils ne suivaient point Jésus Christdans une bonne vie, mais qu’ils suivaient le Diable dans une vie méchante et orgueilleuse, en quoi ils étaient aussi imités par leurs auditeurs. C’estde là que les Auditeurs vivent si mal. Et c’estpour ce sujet que les Prédicateurs, cet État Ecclésiastique, sera principalement frappé et puni ; ils seront jetés bas de leur siège : c’est-à-dire, qu’ils seront abaissés autant qu’ils se sont élevés eux-mêmes, et à mesure de ce qu’ils vivent dans un esprit orgueilleux et hautain. Aussi sont-ils déjà dès à présent aucunement frappés. Mais ils le seront bien davantage, jusqu’à être précipités en terre et tomber du siège de l’orgueil, où ils se sont placés et où ils s’imaginent qu’il n’y a qu’eux qui sachent et qui aient la vraie intelligence des choses spirituelles, sur quoi ils se mettent à disputer les uns contre les autres : l’un veut savoir et entendre la chose bien mieux que l’autre ; l’un veut êtreplus grand et plus considéré que l’autre ; et nul ne veut s’humilier devant son compagnon, selon la doctrine de Jésus Christ. D’où s’ensuivent toutes sortes de maux, de haines, d’envies, de divisions : chaque parti a ses sectateurs, et ils sont tous les uns contre les autres. Voilà comment les doctes ont causé dans la Chrétienté une vie méchante, et tout cela vient de ce qu’ils sont assis sur une chaire d’orgueil, d’où ils seront une fois pleinement précipités jusqu’en terre.
45. Mais comme cet homme vêtu de blanc fut remis dans son siège, aussi seront-ils rétablis sur un siège : non pas toutefois sur un siège d’orgueil ; mais ils seront remis dans la charge de prêcher, et ils annonceront la parole de Dieu d’un cœur pur, plein de foi et de charité, et non pas d’un cœur hautain et orgueilleux.
46. Et sur ce que l’Ange mit dans la main de cet homme vêtu de blanc deux épées, lui disant : JUGEZDROITEMENT, je dois avertir les prédicateurs de prendre dans leur main droite l’épée de la FOI, et dans la gauche l’épée de la CHARITÉ, c’est à dire, qu’ils doivent prêcher la parole de Dieu d’un cœur vraiment croyant et charitable, et pas d’avantage d’un cœur ambitieux et plein de convoitises des biens de ce monde, comme ils ont fait jusqu’à présent, ayant laissé à leurs pieds l’épée de la Foi et de la Charité, et s’étant assis et endormis dans les péchés grands et connus à eux, car ils savent bien comment selon la doctrine de Jésus Christils doivent vivre en Charité et en Humilité, et suivre Christdans sa vie souffrante ; mais il paraîtmanifestement qu’ils ne vivent pas ainsi, mais bien dans l’orgueil, dans les haines, dans les envies, dans l’amour de l’argent, dans l’amour du monde, et que tout ce qu’ils font c’esten faveur du ventre. Ils veulent vivre comme des Messieurs dans ce monde, ne veulent pas se contenter de la simple nécessité, ne veulent pas mener une vie pauvre en ce monde avec Christ : mais veulent vivre avec les gens du monde, mener ici une vie de Seigneur, et amasser beaucoup d’argent par leur prêcher, afin de pouvoir laisser bien des richesses à leurs enfants, et qu’ils puissent aussi bien qu’eux être des grands Messieurs dans ce monde. C’estpourquoi ils font tout ce qu’ils peuvent pour éviter la vie de la croix de Christ, pour ne la pas imiter, pour ne pas servir autrui, et qu’ils puissent être Maîtres et Seigneurs, se faire servir, vivre opulemment, en manger, en boire, et en habits, comme des Seigneurs dans ce monde.
47. Mais Jean Baptiste, dont ils veulent se dire les Imitateurs ou les Successeurs, n’a pas ainsi Dominicalement vécu sur la terre : en quoi ils ne suivent pas Jean Baptiste, et ne veulent aussi suivre Christdans sa vie souffrante, ni endurer avec lui dans ce monde la pauvreté, les moqueries, les outrages et les dérisions. Ils ne veulent pas porter de bon cœur cette croix après Christ ; mais ils fuient d’elle aussi loin qu’ils peuvent. Ils ne veulent pas se renoncer ni charger leur croix et suivre ainsi J. Christ. Ils ne veulent pas crucifier leur chair avec les plaisirs et les affections. En quoi ils montrent qu’ils n’appartiennent pas à Christ : car ceux qui sont à Christ crucifient leur chair avec ses plaisirs et ses affections, et ne désirent point d’honneur mondain, comme font la plupart des Prédicateurs ; au contraire, ils l’ont en horreur, comme Jean Baptiste et Christl’y ont eu : au lieu que ceux d’à présent ne cherchent qu’à se prêcher eux-mêmes, comme il paraît très évidemment. Par où ils font bien voir qu’ils ne suivent point Christ, mais qu’ils lui sont contraires, puisqu’ils ne désirent point d’êtreméprisés avec Christ, mais que plutôt, contre sa doctrine et sa vie, ils désirent d’êtreestimés et honorés. Ils ne sont donc point avec Christ, mais contre Christ ; et ils se servent de sa parole pour se nourrir eux-mêmes, de la même manière qu’un Artisan fait avec son métier : se mettent à beaucoup disputer touchant cette Parole, et à causer de la sorte des grands maux dans le monde, et plus de dommage que de profit.
48. Or ce que j’écris de fois à autres et assez fortement contre les doctes par l’inspiration du S. Esprit, comme j’ai fait aussi imprimer publiquement que toutes sortes de malheurs viennent de leurs méchantes et diables de disputes, cela, dis-je m’a souvent étéimputé à grand mal, comme si je voulais par là blâmer la charge du Ministère. Ce que je ne fais nullement, comme je l’ai aussi prouvé par l’impression publique. Mais le S. Esprit les reprend par moi pour leurs grands péchés, et c’està cause d’eux qu’ils seront punis et frappés ; cela néanmoins à une bonne fin, et non pas à une mauvaise. Que l’on ne regarde donc pas à moi lorsque par mes écrits ou par mes imprimés l’on se voit repris de ses péchés : mais que chacun regarde au S. Esprit qui estdans moi et qui les reprend par moi : car il faut que ces personnes-là soient principalement reprises, puisque c’estpar elles que les auditeurs sont attirés dans les péchés, par leurs disputes qu’ils ont entr’eux sur leurs différentes opinions touchant la parole de Dieu, et qu’ainsi ils ne marchent pas en exemple de bonne vie devant leurs Auditeurs. Or de même manière qu’ils se conduisent, leurs Auditeurs se conduisent aussi : car les Auditeurs regardent plus à leurs Pasteurs qu’aux explications qu’ils font sur la Parole de Dieu. Ils devraient bien avoir égard à la Parole de Dieu seulement, comme elle est couchée dans Ia Bible ; mais ils regardent plus à la vie de leurs Prédicateurs qu’à la vie du Seigneur Jésus Christ, et croient plus à la foi disputatrice et aux opinions de leurs Prêtres qu’aux paroles claires et expresses de Jésus Christ. Ils passent par dessus cela, et jettent seulement les yeux sur leurs Prêcheurs, et non point sur CHRIST ; et même ils ne voient pas par leurs propres yeux, mais par les yeux d’autrui, par les yeux de leurs Prêcheurs. Tout ce que les Prédicateurs prisent, les Auditeurs le prisent ; et tout ce que ceux-là blâment, ceux-ci le blâment aussi. C’estce que j’ai éprouvé moi-même à Brunswick : car lorsque Dieu m’y eût ressuscité des morts et que les Prêcheurs furent assez longtemps à estimer mes desseins et à tenir le tout pour une œuvre Divine, les Auditeurs les estimaient aussi avec eux, et les reconnaissaient aussi longtemps pour une œuvre Divine : mais lorsque les Prêcheurs commencèrent à les mépriser et à tenir le tout pour une œuvre Diabolique, les Auditeurs les méprisèrent aussi et les réputèrent pour un œuvre du Diable. Voilà comme il en va avec toutes les Sectes disputatrices. Tout ce que leurs Prédicateurs estiment et connaissent pour bon, elles l’estiment aussi et le reconnaissent pour bon : mais ce qu’ils méprisent et tiennent pour mauvais, elles le méprisent aussi et le tiennent pour mauvais. Voilà comment ceux qui prêchent ont assez dans leurs mains les cœurs de leurs auditeurs et peuvent les incliner comme ils veulent. Ce qui estainsi en toutes sortes de sectes.
49. C’estpourquoi il faut que tous les doctes dans toutes les Sectes soient frappés et précipités de leurs sièges, principalement les savants qui sont dans les Académies. Car c’estde là que vient tout le mal, parce qu’ils n’y enseignent pas CHRISTen douceur et en humilité, mais qu’ils n’y enseignent seulement qu’à disputer comment on doit entendre ceci on cela : par où l’on n’apprend que de l’orgueil, des dissensions et des combats. Et c’est de là que l’on fait ensuite des Prêcheurs qui, au lieu qu’ils devraient apprendre beaucoup de bonnes choses à leurs Auditeurs, n’ont eux-mêmes appris dans leurs cœurs rien qui vaille, et ne vivent pas dans la nouvelle naissance, mais dans la vieille, et ne sont point renés par le S. Esprit. L’Esprit de Dieu ne peut opérer dans leurs cœurs la Foi, la Charité, la Douceur, l’Humilité ; mais le Diable y opère à foison l’orgueil, la haine, l’envie : aussi n’apprennent-ils nullement dans les Académies la Foi laquelle le S. Esprit produit dans le cœur et qui estopérante par la Charité ; mais ils y apprennent une Foi controuvée et articulaire, et ils s’imaginent que c’estla vraie foi que de faire un nombre d’articles, entendre bien dans la Sainte Écriture ceci ou cela, chacun selon sa tête : sur quoi ils se mettent à disputer les uns avec les autres et veulent défendre leur Foi par disputes et par débats, chacun croyant d’avoir la vraie Foi. Ce qui n’estpas cependant la Foi que le S. Esprit opère dans le cœur, mais ce n’estqu’une foi forgée de plusieurs articles ramassés par quelques Savants desquels le cœur estencore plein de fierté et d’orgueil, et qui vivent encore dans le monde selon la vieille naissance. Et c’estpour une telle Foi qu’ils doivent se débattre et se combattre. En quoi le Diable joue sa pièce, échauffe et irrite ces Savants les uns contre les autres comme qui agacerait un amas de Chiens l’un contre l’autre pour s’entremordre tous ensemble ; c’est justement ainsi que le Diable provoque et échauffe ces Savants l’un contre l’autre avec leurs articles de Foi, sur quoi ils se mettent tous à se mordre les uns les autres, sans apercevoir que le Diable estaussi bien du côté desuns que des autres. Car les choses étant ainsi, le Diable leur peut bien laisser lire des bons livres, faire des belles prédications, et même composer de beaux écrits, faire de belles prières et de beaux cantiques : toutes ces choses sont bonnes et à estimer avec justice : mais tout cela vient de la raison humaine, et revient à la raison, et s’arrête là : le cœur n’en est pas touché, parce que cela ne sortant pas du cœur ne peut aussi retourner au cœur, et ne venant point de l’Esprit il ne va pas aussi dans l’Esprit ; car ces personnes ne sont pas entrées intérieurement dans leurs cœurs pour y être enseignées par le S. Esprit. Si bien que leurs cœurs demeurent toujours également méchants, devant et après ceux des Auditeurs et ceux des Docteurs. Car les Docteurs ne savent eux-mêmes rien de la doctrine intérieure du S. Esprit : c’estpourquoi ils n’en peuvent rien enseigner aux autres : et ce qu’ils ne possèdent pas et qu’ils ignorent eux-mêmes, ils ne peuvent le communiquer à autrui.
50. Que s’il arrive qu’il plaise à Dieu, le Souverain Maître, de susciter ici ou là quelqu’un qui prêche par le S. Esprit et dont le travail revienne dans l’Esprit, incontinent tous les autres savants qui prêchent encore par la raison sont tous prêts à s’opposer à lui avec force ; ils le suppriment et le font taire autant qu’ils peuvent, si bien qu’il lui estimpossible de poursuivre ses enseignements. Et comme le diable estmaintenant si puissant dans les savants que de pouvoir supprimer un homme de bien qui sera docte par un grand nombre de doctes impies et méchants, pleins d’une infinité d’arguments et de disputes, par où ils surmontent et accablent un tel homme de bien qui estsavant ; pour ce sujet, et parce que ces choses se pratiquent ainsi dans ce monde et que le Diable estsi puissant dans les enfants d’incrédulité, pour ce sujet, dis-je, Dieu m’a renvoyé du Ciel dans ce monde, moi qui suis un indocte et un idiot, afin que j’enseigne ce qui estde la doctrine du S. Esprit dans le cœur. Et comme je ne suis pas savant, et que je n’ai pas appris l’art de disputer de leurs contentieux Articles de Foi, sur lesquels ces savants se disputent et se font la guerre, aussi ne peuvent-ils m’accabler ni m’opprimer de la sorte : cela estimpossible. Et le S. Esprit va par moi et par mon esprit jusqu’à eux : car c’est lui seul qui enseigne mon Esprit ; et je ne suis nullement enseigné des hommes, comme le sont les savants qui sont gens de bien, lesquels ont été enseignés des hommes. Ainsi donc il esttout autrement de moi que des doctes qui sont gens de bien : car je n’avance aucun bien de ma raison humaine ni de ma tête ; puis que dès ma jeunesse je n’ai appris nul bien par cette voie, comme ont fait les bons qui sont savants et qui avancent encore le bien de là, d’où vient qu’il s’y mêle souvent quelque chose d’humain de leur raison, sur quoi les savants impies ont prise, et les accablent si fort qu’ils ne peuvent subsister devant eux : mais moi je puis bien y subsister, parce que je n’avance rien d’humain, rien qui vienne de ma tête ; mais tout ce que je propose de bon, je l’avance par l’inspiration du S. Esprit. Je puis donc bien tenir bon devant eux, puisque tout ce que je dis et que j’écris vient des inspirations et de l’impulsion du S. Esprit, et que le S. Esprit estmille fois plus puissant dans moi que ne l’estle Diable dans tous les impies savants de toute la terre.
51. C’estpourquoi je ne les crains pas tout ensemble l’épaisseur d’un cheveu, et pour cet effet je parle et j’écris hardiment contre ces savants tout ce que le S. Esprit m’inspire, comme aussi ce qu’un Ange me dit alors, que je devais vous dire, à Vous Savants Étudiés, que vous prissiez en vos mains l’épée de la Foi et celle de la Charité, et annonciez la parole d’un cœur riche en foi et en charité. Et c’estce que je vous dis à présent. Prenezdans votre main droite l’épée de la Foi, et dans l’autre celle de la Charité, et JUGEZDROITEMENT, c’està dire, prêchez désormais la parole de Dieu avec un cœur plein de Foi et de Charité, et non plus par un cœur ambitieux et avare, mais d’un cœur fidèle et charitable. Élevez votre voix comme une trompette, mettez au méchant ses péchés devant sa face, ne flattez pas, ne dissimulez rien avec lui, et fiez-vous sur Dieu en ceci : il saura bien vous donner, en faisant ainsi votre charge, de quoi vous entretenir. Reprenez donc les méchants à cause de leurs péchés, et les grands aussi bien que les petits ; et quand même tous les hommes vous devraient êtrecontraires, ne désistez pas pour cela : Dieu peut vous entretenir et vous nourrir sans les hommes. Que si Dieu permettait qu’on vous coupâtla tête avec Jean Baptiste, parce que vous reprenez les méchants de leurs péchés, soyez en satisfaits, et laissez volontiers aller votre têtepour l’amour de la Vérité et de la fonction de vos charges, en reprenant le mal et disant la vérité. Abandonnez votrevie de bon cœur pour cette vérité de Jésus Christ.
52. Élevez donc vos voix comme une trompette par la force de la vraie Foi, et reprenez les péchés autant que vous pouvez. N’ayez point d’égard aux personnes, et cherchez dans tout ce que vous faites la gloire de Dieu et le salut de vos auditeurs, et non pas votre propre honneur, ni l’argent, ni les biens de ceux à qui vous parlez, comme vous avez fait si longtemps et jusques à présent. Prêchez une fois tout de bon ; et ne flattez pas les Personnes pour une poignée d’orge, ni pour vos avantages. Quittez tout cela et ne vous en souciez plus, et quand même l’on vous déposerait de vos charges, que l’on vous bannirait, et que vous devriez souffrir de grandes nécessités, souffrez volontiers tout cela, et pensez que Jean Baptiste, que Jésus Christ, et tous les Apôtres, n’ont pas eu sur la terre des bons jours de grands Messieurs. Il a fallu qu’ils fussent vagabonds et errants dans ce monde en pauvreté et qu’ils portassent leur croix. Portez de même patiemment votrecroix et tout ce dont on vous charge lorsque vous reprenez les péchés et que vous dites la vérité. Mais lorsque vous reprenez le péché et que vous dites la vérité, prenez bien garde que vous fassiez le tout par un Zèle Divin et par la Charité de Jésus Christ, et non pas par un Zèle humain, ni d’un cœur amer, plein d’envie, plein de haine et de vengeance, d’un cœur d’ennemi et charnel. Faites par la charité de Christtout ce que vous faites. Que si vous vous emportez de Zèle contre le péché, faites-le par un Zèle de Dieu, par le Zèle du S. Esprit. Donnez-vous tout entièrement au S. Esprit : laissez-le dominer et régir dans votrecœur : que ce soit lui qui l’enflamme de Zèle et de colère contre le péché et qui reprenne le péché par vous. Ne faites pas cela vous-mêmes par votreforce humaine ; mais laissez-le faire au S. Esprit, et à sa Divine Puissance par vous ; ou faites-le par lui et par sa Divine force. Unissez-vous au S. Esprit, afin qu’il puisse faire beaucoup de bien par vous, et vous par lui, et ainsi prêchez la parole de Dieu par le S. Esprit, et ramenez les personnes au S. Esprit dans leurs cœurs, afin qu’ils le puissent ouïr là et l’y laisser régir et dominer, et que par ce moyen le S. Esprit illumine leurs cœurs, et leur enseigne intérieurement ce qu’ils doivent faire et laisser.
52 bis. Ramenez donc les personnes dans leur intérieur au S. Esprit, comme Jean Baptiste, qui renvoyait les personnes de foi à Christmême, lequel leur enseignait ce qu’ils devaient faire et laisser. Faites-en de même. Renvoyez les personnes par l’inspiration du S. Esprit de vous à Jésus Christ dans leur intérieur, afin qu’ils y écoutent le S. Esprit même. Cependant il ne faut pas entendre ceci comme si je voulais dire que lorsque les personnes ont ouï une de vos Prédications, ils ne dussent plus retourner vers vous et ne plus entendre de vos sermons ; mais je veux dire que dans toutes vos prédications vous devez remémorer à vos auditeurs ce que je vous enseigne à présent, et à quoi je vous exhorte et vous fais penser par l’Écriture même et par inspiration du S. Esprit. Écoutez-le vous-mêmes pour vous et l’apprenez du S. Esprit dans vos cœurs. Je veux dire que quand vous êtesseulsvous fassiez rentrer vos pensées dans vos cœurs et priiez le S. Esprit qu’il veuille vous mettre dans l’esprit les choses que vos auditeurs ont ouïes de vous par la prédication, et qu’eux aussi puissent y bien penser dans leurs cœurs, les peser et les considérer, invoquant journellement le S. Esprit et le priant dans le fond du cœur qu’il les mène et conduise en toute vérité et les incite à tout bien, et qu’il lui plaise d’opérer de plus en plus dans leurs cœurs la foi, la charité, la douceur, l’humilité, et toutes sortes de Vertus Chrétiennes, afin qu’ils puissent y croître et y augmenter. C’est à cela que Vous, Prédicateurs, devez exhorter le monde dans toutes vos prédications et marcher constamment devant vos Auditeurs en exemple de bonne vie et de bonne conduite. Vous devez prêcher et édifier davantage par la vie que par les paroles. Si vous agissez de la sorte, vous êtesdans la droite voie, et vous jugez et adressez droitement.
53. Voilà ce dont j’avais à vous avertir, Vous, Prédicateurs, comme l’Ange me dit que je le devais faire ainsi que le S. Esprit m’y dirigerait. Et bien que l’Ange n’ait pas prononcé toutes ces paroles que j’écris, cela importe fort peu : elles ne laissent pas d’êtrebonnes et venantes du S. Esprit, lequel a expliqué plus amplement et commodément les paroles de l’Ange. Personne ne doit regarder ni à l’Ange, ni à moi, mais que chacun regarde seulement au St Esprit, duquel vient tout bien, soit par l’Ange, soit par moi. Que si quelqu’un voulait penser que cet Ange ne m’estpas ainsi apparu et ne m’a pas parlé de bouche, mais que c’est une invention pieuse qui vient de moi et que je me l’imagine ainsi dans la lumière du S. Esprit, c’estce que personne ne doit croire. Car Dieu sait, et ma conscience aussi, que la chose esttelle que je l’écris : car puisque le S. Esprit me régit, lequel me conduit en toute vérité, il m’estimpossible que je parle ou que j’écrive autrement que la chose n’est. Si cet Esprit de Vérité me régit, il faut que j’écrive la Vérité en tout, cela ne peut être autrement. Or que ce l’Esprit S. de Vérité qui régisse, c’estce que j’ai suffisamment prouvé, et nul ne pourrait m’y contredire ou me prouver que c’estl’esprit de mensonge qui me régit. Or ce serait un grand et horrible mensonge si je disais qu’un Ange m’estapparu et qu’il a parlé avec moi en langage humain, et que cependant il ne serait pas ainsi, mais que ce serait seulement une fiction que j’aurais faite. C’estce que je ne voudrais pas dire ni écrire pour tous les biens du monde si la chose n’étaitpas ainsi. Mais il ne s’ensuit pas de ce que le S. Esprit me régit que je ne puisse avoir des pensées errantes ni faillir dans quelques opinions : car j’y puis aussi bien errer que l’ont pu faire tous les Saints : mais ce ne sont pas des mensonges lorsque l’on se trompe par ignorance dans quelques pensées ou opinions. Des mensonges sont lorsque l’on dit ou que l’on écrit contre sa propre conscience à mauvaise fin une chose qui n’estpas ainsi qu’on la dit. Voilà des mensonges. Mais personne du monde ne me saurait jamais prouver que j’ai jamais dit ou écrit contre ma conscience à mauvaise fin quelque chose qui ne fût pas comme je la disais ou l’écrivais. Or que ce que j’écris de mes visions soit tel que je le décris, c’estce que Dieu sait, et aussi ma conscience.
54. Jusques ici j’ai écrit ce dont je devais avertir les gens d’Église à l’occasion de cet homme vêtu de blanc que je vis avec deux épées, comme je l’ai dit ci-dessus.
55. Je poursuivrai à expliquer le reste de ce que j’ai vu et à décrire les avertissements que je dois donner à l’occasion de ceci ou de cela comme le S.Esprit voudra m’y régir. Que si je suis engagé à expliquer le tout, je le ferai, quelque long que le discours puisse être : car il me faut faire ce à quoi le S. Esprit m’incite : mais si le S. Esprit ne m’incite pas à expliquer le tout à présent, je ne le ferai pas aussi : car comme il me faut faire tout ce à quoi que le S. Esprit me pousse et que je ne puis le laisser, de même ne puis-je pas faire ce à quoi le S. Esprit ne me pousse pas ; non pas même jusqu’à pouvoir dire ou écrire un seul mot, quelque désir que j’en aie d’ailleurs : si misérable et stérile suis-je sans le mouvement du S. Esprit ! Ainsi, dans moi-même, dans ma sagesse, dans ma force et puissance humaine, je suis vraiment un homme chétif et pitoyable : mais je veux très-volontiers être tel en moi-même : car c’estalors que le S. Esprit peut mieux opérer dans moi et me régir et pousser à tout bien. Aussi le S. Esprit ne pourra être combattu dans moi par la sagesse, par la force et la puissance humaine si je ne vis pas dans elles, comme il le peut êtrepar ceux qui vivent encore dans ces choses et qui y sont forts : car ceux-là résistent souvent au S. Esprit par leur propre sagesse et prudence humaine, par leur force et leur puissance ; tellement que le S. Esprit ne peut opérer dans eux ni les conduire : car où l’homme même opère et conduit par sa sagesse humaine, par sa force et par sa puissance, là le S. Esprit ne peut y opérer ni y régir par sa sagesse, par sa puissance et sa force Divine. Mais lorsque l’homme se livre entièrement au S. Esprit, se délaisse, vit dans l’abandon, et désire de ne rien savoir et de ne rien faire sinon ce que le S. Esprit veut savoir et faire dans lui, alors le S. Esprit peut dominer dans lui et le régir, alors il y peut opérer et y êtrele Maître et le Conducteur. Voilà comment les hommes se devraient entièrement livrer et abandonner au S. Esprit et à sa volonté, laquelle peut les conduire mieux qu’eux ne se sauraient conduire eux-mêmes par leur sagesse humaine, par leur vertu et force : ainsi devraient-ils mourir peu à peu et de plus en plus à eux-mêmes, croître et augmenter dans la sagesse et dans la vertu et la force Divine ; et par ce moyen ils seraient quittes et libres de beaucoup de soucis et de peines, dans lesquels ils vivent à présent avec inquiétudes et tourments. Que ceci soit véritable, c’estce que je puis dire et écrire avec vérité par l’expérience que j’en ai : car je ne prends nuls soucis et je ne m’inquiète de rien ; mais je m’adonne toujours quant à moi à faire et à poursuivre constamment la chose à quoi le S. Esprit m’incite : et je laisse à Dieu la charge de prendre soin et conseil pour moi. Aussi Dieu dirige tellement le tout, qu’il estcomme il doit être et ainsi je sors admirablement bien de tout ; au lieu qu’autrement par une sagesse humaine il me serait entièrement impossible d’en sortir comme je fais. Que s’il m’arrive quelque accident, et que je ne sache comment je dois y agir, ni ce qu’il me faut faire ou laisser, ni comment j’en sortirai (ce qui m’est fort surprenant et qui travaille fort mes pensées, ne sachant alors nulles issues, ni comme je m’y dois comporter), lors, dis-je, que cela m’arrive, je me tourne tout incontinent vers Dieu dans mon cœur, et je prie Dieu qu’il me veuille donner la grâce que je puisse seulement regarder à lui seul et me fier fortement en lui, m’assurant que c’est lui qui m’assistera en cela, puisqu’il estGrand en conseil et Puissant en faits ; qu’il peut aider là où tout le secours des hommes trouve ses bornes, et qu’il sait mille moyens pour me secourir lorsque je ne puis n’en imaginer un seul. Je le prie qu’il me donne la grâce que je sois toujours content avec sa volonté, de quelque manière qu’il dispose de moi ; que je ne désire d’avoir autre chose que ce que je dois avoir par sa dispensation et sa conduite ; que je ne désire jamais qu’il m’aille autrement que comme il voudra, et si étrangement que ce puisse être. Lorsque j’ai ces pensées, que j’abandonne entièrement ma volonté à celle de Dieu, et que je m’entretiens avec lui de cette force dans la prière de la Foi, je trouve un tel repos, une telle consolation, une si grande joie et récréation dans mon cœur, que je ne puisse l’exprimer ; et Dieu m’aide alors si admirablement à sortir de peine, que je m’étonne comment j’en sors si facilement, sans que je sache moi-même comment ; et tout cela estbien mieux disposé que je ne l’aurais pu penser de moi-même.
56. * Mais je veux revenir, au Nom de JÉSUS CHRIST, à expliquer la vision touchant cet autre homme vêtu de blanc qui était assis sur l’Autel et qui désignait, comme j’ai déjà dit, L’ÉTAT ÉCONOMIQUE, ayant une verge d’or et un livre d’or jetés à ses pieds. C’est ainsi que plusieurs qui sont dans l’État Économique sont assis et dorment, ayant posé à leurs pieds la verge et la discipline, et le livre d’or de l’humilité. Beaucoup de Pères de Famille n’élèvent pas leurs Enfants dans la discipline et dans les admonitions du Seigneur, et ne leur enseignent rien dans le livre d’or de l’humilité, mais les poussent et les incitent seulement à devenir grands et considérables dans ce monde, et ne leur apprennent rien que la superbe. L’Ange me dit donc que j’avertisse les Pères et Mères d’élever leurs Enfants dans la discipline et les admonitions du Seigneur, et qu’ils se servent de la verge de la discipline envers eux dès leur jeunesse, les élevant de la sorte pour les faire devenir grands et considérables selon Dieu ; qu’ils devaient aussi les instruire dans le livre de l’humilité, et leur planter la crainte de Dieu dans le cœur, afin que dès leur jeunesse ils soient imbus de la crainte du Seigneur, apprenant à le craindre pour s’abstenir de pécher, car la crainte de Dieu empêche le péché. Et lorsqu’ils sont ainsi dans la crainte devant Dieu, et qu’ils s’abstiennent des péchés connus, alors le S. Esprit peut dominer dans leurs âmes, les régir, et y opérer toutes sortes de biens. Et s’ils sont ainsi régis par le S. Esprit, ils sont plus riches dans lui que si leurs parents leur avaient laissé plusieurs tonnes d’or. Car le S. Esprit les gouvernera d’une telle manière qu’ils seront agréables à Dieu et aux hommes ; et s’ils trouvent grâce devant Dieu et les hommes, ils seront assez riches.
57. Les Pères et Mères ne doivent donc pas amasser de l’argent et des biens à leurs enfants à tort et à travers, en mentant et trompant, comme plusieurs font ; en quoi il n’y a nulle bénédiction de Dieu ; mais plutôtune malédiction : mais ce que Dieu donne à prêtaux Parents, et ce qu’ils acquièrent de bien par ce moyen, cela estdans la bénédiction, quelque petit qu’il soit. Car le peu que le juste a avec droit estmeilleur que le plus grand bien d’aucun des méchants. Lors donc que Dieu leur donne médiocrement de quoi, par leur travail, par leur emploi et leur occupation, ils peuvent bien avec bonne conscience laisser cela à leurs enfants, mais ils ne doivent pas chercher à les enrichir en leur laissant du bien et de l’argent qu’ils auraient injustement acquis.
58. Or si les Pères et les Mères de famille veulent élever leurs enfants comme je viens de dire, ils doivent eux-mêmes marcher les premiers devant eux en bon exemple dans la crainte de Dieu et dans l’humilité, vivant eux-mêmes en humilité et douceur, et enseignant à leurs enfants comment ils doivent se tourner vers Jésus Christdans leurs cœurs, apprendre de lui la douceur et l’humilité, vivre toujours dans l’humilité et dans la débonnaireté, se tenir eux-mêmes dans leurs cœurs pour vils et pour peu de chose ; ne pas s’élever par dessus aucun homme du monde, mais s’abaisser au dessous de tous dans leurs cœurs. Et alors Dieu leur fera grâce, car Dieu donne sa grâce aux humbles, mais il résiste aux orgueilleux, à ceux qui sont élevés dans leurs cœurs, comme dit la Sainte Vierge Marie.
59. Voilà ce que les Pères et les Mères doivent souvent représenter à leurs Enfants, et les exhortations que sur toutes choses ils vivent dans la douceur et dans l’humilité, afin qu’ils puissent toujours demeurer dans la grâce de Dieu : et alors ils ont assez pour le temporel aussi bien que pour ce qui estéternel : et quand même les Parents ne pourraient donner ni laisser à leurs enfants la moindre chose du monde, ils sont néanmoins assez riches s’ils vivent en la grâce de Dieu, et qu’ainsi ils vivent dans Dieu et Dieu dans eux : Ils sont alors plus riches dans Dieu que le Roi Salomon ne l’a étédans le monde. Lors donc que les Pères et les Mères élèvent leurs enfants de cette manière et les mènent ainsi à Dieu dans leurs cœurs, il n’estpas nécessaire qu’ils se mettent beaucoup en peine pour leurs enfants : Dieu en aura bien soin lui-même, eussent-ils encore beaucoup plus d’enfants qu’ils n’en ont : car Dieu peut pourvoir et entretenir les enfants qu’il a créés ; et celui qui a donné le plus, savoir le corps et l’âme avec la vie, peut bien aussi donner le moindre : la nourriture et le vêtement, et tout ce que la nécessité exige. Mais ce que l’on prend tant de soucis que l’on se met en peine comment l’on passera et que l’on y pourra suffire (sur quoi l’on s’inquiète si fort), tout cela ne vient que de ce que l’on n’a point de vraie fiance en Dieu : l’on ne croit pas bien en Dieu, le Créateur de toutes choses. C’estpourquoi les hommes doivent invoquer et prier Dieu surtout qu’il leur veuille donner la grâce de pouvoir avoir en lui une bonne confiance : avec quoi ils doivent aussi travailler diligemment dans leur vocation autant qu’ils peuvent ; alors Dieu leur donnera (comme il veut le faire) tout autant qu’il leur estutile et nécessaire : mais ils doivent toujours penser et buter, en agissant, au Royaume de Dieu et à sa justice ; alors le temporel leur viendra bien comme par surcroît. Il n’estdonc pas nécessaire qu’ils s’en mettent en peine ni en souci ; et par ce moyen, les voilà délivrés de beaucoup de soins et d’ennuis dans lesquels autrement il leur faut vivre lorsqu’ils n’ont point de vraie confiance en Dieu. Dieu ne manque pas de sa part, mais toute la faute vient des hommes, qui sont si petits de cœur et de foi, et si défiants. C’est qu’ils ne se tournent pas bien vers Dieu, ne le prient pas assiduellement, et ne veulent pas faire profiter le talent que Dieu leur a donné, ni être fidèles en choses petites afin d’en recevoir de Dieu de plus grandes : car celui qui estfidèle en choses petites en fait profit et en acquiert davantage.
60. Je dois encore, à l’occasion de ce deuxième homme vêtu de blanc, qui représente l’État Économique, avertir particulièrement les Pères et les Mères de bien penser à ces choses ; et qu’ils prennent à cœur ce que je viens d’écrire par l’inspiration du St Esprit touchant l’état Économique : cela leur profitera quant au corps et quant à l’âme, dans le temps et dans l’éternité. Ils doivent y penser plus particulièrement en la crainte de Dieu, rentrer à cette occasion dans leurs cœurs vers le S. Esprit, l’invoquer et prier qu’il veuille leur mettre dans le cœur, dans les sens et dans la pensée ce qu’ils doivent dire, penser, et faire ; et qu’il leur donne la grâce de bien élever leurs Enfants, ces plantes célestes, dans la discipline et dans les exhortations du Seigneur, et pour le Seigneur, afin qu’avec tous les élus ils puissent louer et magnifier éternellement au Ciel dans la joie et la félicité éternelle celui qui estle Seigneur de tous les Seigneurs et le Roi de tous les Rois, et qu’ils ne viennent pas dans l’Enfer y blasphémer et maudire Dieu à jamais avec tous les Diables et les damnés ; qu’ils ne soient pas des tisons éternels de l’Enfer pour y brûler dans une éternité infinie et sans fin 31.
61. Les Pères et les Mères doivent bien penser à ces choses et prendre fort à cœur la discipline et l’éducation des enfants, puisque c’estune chose de merveilleusement grande importance : car lorsque les Enfants sont bien élevés dès leur jeunesse, on peut en faire quelque chose de bon. C’estpourquoi les Pères et les Mères doivent se servir avec soin de la verge d’or 32 et de la discipline envers leurs enfants dès leur jeunesse, et ne doivent pas les laisser croître dans leur méchante propre volonté. Ils doivent rompre leurs volontés mauvaises, car il vaut beaucoup mieux que les enfants pleurent en leur jeunesse, que non pas que les Parents doivent pleurer eux-mêmes dans leur vieillesse lorsqu’ils ne peuvent les contraindre : mais lorsqu’ils sont encore jeunes comme des jeunes arbrisseaux, on peut bien les contraindre et les faire plier comme des jeunes plantes : mais quand ils sont devenus grands, on ne peut plus les ployer : tout de même qu’on ne plus ployer des arbres gros et forts comme l’on fait avec bien des jeunes rejetons. Beaucoup de Pères et de Mères ont un amour intense pour leurs enfants, et leur laissent leurs volontés toutes libres, sans les contraindre, sans se servir de la verge de la discipline : ils ne peuvent souffrir que leurs enfants pleurent, soient frappés ou fouettés, et ils croient que c’est un grand amour qu’ils portent à leurs enfants. Mais ce n’estpas là un bon amour, c’en estplutôt un mauvais et un insensé, par lequel ils font beaucoup de mal à leurs enfants. Que s’ils laissent croître leurs enfants de la sorte dans leurs propres volontés, il ne peut pas en venir beaucoup de bien. Syrac dit que celui qui aime son Enfant le tient sous la verge. Celui qui ne le fait pas ne leur porte point de vrai amour. S. Paul enseigne aussi les Pères et les Mères de bien élever leurs Enfants dans la discipline et dans les remontrances du Seigneur. Tout cela ne se peut faire sans la verge de la discipline.
62. Pensez bien à ceci, vous Pères et Mères à qui Dieu a donné des enfants. Ne les menez pas au Diable ; mais menez-les à Dieu ; ou bien, vous en répondrez au dernier jour, et il vous en faudra rendre un compte bien exact et bien rigoureux si vous les avez élevés en sorte qu’ils soient devenus méchants, et qu’ils soient échus en partage au Diable. Il ne faut point se moquer de cette correction des enfants, car elle est de merveilleusement grande importance. Et voilà assez à l’occasion du second personnage vêtu de blanc assis sur l’Autel, lequel marquait l’État Économique.
63. * Quant au troisième personnage qui avait aussi des habillements blancs, et à ses pieds une Balance et une Épée, il signifie L’ÉTATPOLITIQUE, comme j’ai dit ci-dessus. Sur quoi l’Ange me dit qu’il y en avait beaucoup dans cet État qui étaientassis et qui dormaient, ayant à leurs pieds la Balance de la justice et l’Épée de la Charité. L’Ange me dit donc que selon que le S. Esprit me conduirait en cela, je devrais avertir les Magistrats dans l’état Politique, qu’ils observent la justice, qu’ils jugent et qu’ils régissent droitement. Car les Magistrats ne régissent et ne jugent pas toujours droitement. Et partant, que je devais dire aux Magistrats qu’ils doivent juger et gouverner justement, et qu’ils le doivent faire selon la Parole de Dieu, puisqu’ils doivent rendre compte de leur gouvernement au dernier jour. Il ne faut pas qu’ils disposent leur gouvernement selon leur tête, mais ils doivent le régler et le juger selon la parole de Dieu, afin qu’ainsi ils JUGENTDROITEMENT. Ils doivent protéger les bons et punir les méchants avec l’épée de la Charité. Ils doivent se servir de cette épée d’Amour et faire tout ce qu’ils font par Amour, et non point par haine, ni par envie ou par inimitié. Ils ne doivent pas abuser de leur puissance : que s’ils abusent de cette puissance que Dieu leur a donnée, Dieu les en punira rigoureusement ; car les puissants seront puissamment punis.
64. C’està quoi doivent penser les Magistrats Souverains, et ne pas abuser de leur puissance, puisqu’au dernier jour ils doivent rendre compte à Dieu de leur administration. Alors le Seigneur JÉSUSCHRIST, le juge de tous les juges, le Juste et le Puissant Juge, qui a puissance sur tous les Puissants de la terre, jugera droitement. Alors malheur ! malheur éternel ! à tous les Puissants de la terre qui ne pourront subsister dans le compte qu’ils auront à rendre de leur administration et qui n’auront pas jugé ni gouverné droitement. Ceux-là seront puissamment punis dans l’enfer pour l’éternité 33 par le Puissant Juge qui a toute Puissance dans le Ciel et dans la terre. Car toute Puissance a été donnée à Jésus Christ, et c’est lui qui tiendra jugement au dernier jour, et qui rejettera loin de soi tous les méchants dans les peines éternelles, comme il enseigne lui-même. Malheur alors aux Juges injustes, qui n’ont pas jugé et gouverné droitement sur la terre ; qui ont abusé de leur puissance, qui ont sucé et exprimé entièrement la substance de leurs pauvres sujets par leur force et leur tyrannique puissance ; qui ont dépensé en superfluités les biens de leurs sujets, qui les ont travaillés et tourmentés par leur domination, au lieu que par elle ils devaient les protéger, les consoler et leur êtreà joies ; qui sont les causes pourquoi Dieu leur avait donné la puissance : et cependant c’estavec elle qu’ils ont tourmenté, affligé, angoissé leurs sujets. Pour cet effet, vous en serez tourmentés, affligés, désolés à votretour, et cela éternellement et puissamment, par le puissant Seigneur de tous les Seigneurs et le Roi de tous les Rois, si ce n’estque vous en fassiez pénitence pendant que le temps de la grâce dure encore.
65. C’estpourquoi je vous exhorte par le mouvement du S.Esprit, Vous, Puissants de la terre, Vous qui avez abusé de votre Puissance, Vous qui n’avez pas gouverné ni jugé droitement dans la Charité selon la Parole de Dieu, Vous qui avez dévoré et consumé les biens de vos sujets en superfluités, nourrissant chiens et chevaux que vous avez mieux entretenus que vos propres sujets ; faites une vraie pénitence pendant qu’il estencore le temps de la grâce : désistez de vos friandises et de vos banquets superflus par lesquels vous dépensez et consumez si prodigalement les biens de Dieu, pendant que vos sujets sont réduits par ce moyen à souffrir la faim et la disette, et que vous les tourmentez tellement par les impôts et les tailles que vous leur imposez les uns sur les autres que souvent ils ne savent où trouver ni prendre pour y satisfaire : et cependant vous vivez de tout cela pompeusement et dans l’allégresse, en viandes et en boissons exquises et superflues, et avec des habillements de prix excessif : quoique vous pourriez bien vous contenter de moindre, même selon votre condition, et laisser vos sujets dans un meilleur état où ils ne soient pas obligés à se tourmenter comme ils font pour la multiplicité des tailles et des impôts, qui les grèvent et affligent quelquefois si excessivement que dans l’angoisse de leur esprit ils ne savent que devenir ; et mêmes sont quelquefois dépouillés par là de tous leurs biens, et réduits à la mendicité.
66. Certes ce ne sont pas là des faits de Chrétiens, agir de la sorte avec ses sujets : mais cela, estabsolument Anti-Chrétien. Jésus Christne vous a pas enseigné cela dans sa parole ; mais il y enseigne la Charité et la Miséricorde ; et celui vit dans ces vertus ne peut angoisser ni affliger personne, ni faire de dommage à son prochain pour en devenir lui-même grand, riche et magnifique dans le monde, et pour y vivre avec splendeur quoique son prochain en dûtêtre ruiné de fond en comble. Assurément, de tels ne sont pas encore des vrais Chrétiens, se comportant de cette manière, comme font néanmoins la plupart des Potentats du monde, qui abusent de leur puissance à l’égard de leurs frères Chrétiens, qu’ils sucent et pressent par la puissance qu’ils ont sur eux jusqu’à les ruiner et les dépouiller entièrement de tout ce qu’ils ont. C’està quoi doivent penser particulièrement les Potentats qui sont en guerre, qui veulent encore êtredes Chrétiens, et qui cependant affligent si violemment leurs Frères Chrétiens qu’il leur faut abandonner leurs maisons et leurs héritages, et fuir d’un côté et de l’autre dans une extrême pauvreté : qui brûlent les villes et les villages par une haine Diabolique : ce qui n’estpas Chrétien, mais Tyrannique. Et par là ils font bien voir qu’ils ne sont point régis ni poussés par l’Esprit de JÉSUSCHRIST ; mais que c’estpar le méchant Esprit du Diable qu’ils sont poussés et conduits. Et ainsi, dans le cœur ils ne sont point des Chrétiens ; mais ils sont des Diables : ce que leurs méchantes et Diaboliques œuvres prouvent suffisamment.
67. Mais ce n’estpas ainsi que J. Christs’est comporté, ni qu’il a enseigné ou agi dans ce monde. Il y a enseigné et agi d’une toute autre manière : car il n’est pas venu au monde pour perdre les hommes, pour les tourmenter ou pour les affliger ; mais il y estvenu pour les conserver, pour les consoler, pour les réjouir, et il y a aimé ses ennemis autant que ses amis, et leur a fait autant de bien qu’à ses amis mêmes. Il a aussi laissé cette doctrine, que ses disciples fassent le même, et qu’ils imitent de la sorte sa sainte vie. Ceux donc qui ne le font pas, mais qui plutôt font directement le contraire, comme font aujourd’hui la plupart des Puissants du monde, qui veulent néanmoins passer pour des Chrétiens, ceux-là prouvent par là qu’ils ne sont pas des Chrétiens, mais qu’ils sont des Anti-Chrétiens dans leurs cœurs et dans leurs actions : ils sont ainsi directement opposés à Jésus Christ, et sont beaucoup pires que ceux qui ne sont point Chrétiens, lesquels n’ayant pas la Parole ni la doctrine de Jésus Christ, l’outragent de paroles ; au lieu que ceux-ci l’outragent de fait pendant qu’ils ont sa parole toute claire, dont les Païens ne jouissent pas. Aussi ces Chrétiens de nom seront plus damnés que les Païens 34 ; puisqu’ils savent la volonté de Dieu et qu’ils ne la font pas ; et leur damnation en sera beaucoup plus grande que celle de ceux qui n’ont pas su la volonté de Dieu, si ce n’estqu’ils fassent véritablement pénitence pendant le temps de la grâce.
68. Pensez bien à ces choses, Vous Puissants Tyrans : car vous n’êtes point des Chrétiens en effet, quoique vous en portiez le nom ; mais vous êtesen effet des Tyrans ; ce que vous montrez par votreAnti-Chrétienne, méchante et tyrannique vie, par laquelle vous faites assez voir que le Diable estle maître dans vous, et qu’il vous régit pour faire que vous tourmentiez et affligiez les hommes comme vous faites. Vous n’êtes pas des Enfants de Dieu, mais des verges et des Fléaux de Dieu. Dieu permet bien que les guerres arrivent à cause des grands péchés des hommes ; et c’estpour cela qu’il laisse la guerre entre les Chrétiens : mais tous ceux qui se laissent employer de la sorte à la guerre ne sont pas régis par l’Esprit de Jésus Christ, et ne sont pas encore des Chrétiens,quoi qu’ils se donnent pour tels ; mais ils sont des Anti-Chrétiens. Pensez bien à ceci, méchants Guerriers, tous tant que vous êtes, c’estque l’Esprit de Jésus Christne domine pas dans vous, mais c’estl’Esprit de l’Antéchrist qui y domine et y gouverne, comme disait aussi l’Ange : L’Esprit de l’Antéchrist a assez longtemps dominé dans vous ; Jésus Christ veut aussi une fois y régner et y régir par son S. Esprit. Pensez à ces choses, Vous Tyrans, et vous Magistrats tous ensemble, qui avez abusé de votrepuissance, et n’avez pas bien gouverné, et qui avez opprimé et tourmenté vos sujets, afin d’en tirer de quoi vivre à souhait dans ce monde.
69. * Or c’estaussi indifféremment dans tous ceux qui mènent une méchante vie que l’Antéchrist domine, quoique plus fortement dans les uns que dans les autres. Pensez-y bien, méchantes créatures, tant qu’il y en a, et faites une vraie pénitence, afin que Jésus Christpuisse venir régner dans vous et y régir tout. Et je ne parle pas seulement à vous seuls, Méchants qui êtes dans l’État Politique, mais aussi à vous, Méchants qui êtes dans l’État Ecclésiastique et dans l’Économique ; faites aussi une vraie pénitence, car l’Antéchristdomine et règne dans vous aussi bien que dans les autres. Car l’Ange disait : L’ANTE-CHRISTa assez longtemps régné et dominé dans vous, JÉSUSCHRISTy veut aussi une fois régner et dominer : ce qu’il n’entendait pas seulement de l’État Politique, mais aussi de l’Économique, et surtout de l’Ecclésiastique, car c’estdans ce dernier que l’Antéchristdomine le plus puissamment, et c’est par lui que l’État Économique et le Politique particulièrement sont séduits : car l’État Économique et le Politique prennent garde à l’Ecclésiastique, et s’en laissent séduire ; et C’EST DE L’ÉTATECCLÉSIASTIQUEQUE PROVIENNENT TOUTES SORTES DE MALHEURS.
70. Car les Ecclésiastiques incitent les Magistrats à la guerre et à repeindre le Sang, et particulièrement les impies Jésuites et ceux que l’on appelle des Spirituels ou des gens d’Église dans la Papauté, lesquels séduisent les Séculiers et les Politiques. Les Luthériens et les Calvinistes en font aussi de même de leur côté, et incitent leurs Magistrats à protéger et défendre leurs Fois humaines avec l’épée. Et tout de même que les savants sont les uns contre les autres par disputer sur leurs Fois articulaires et contentieuses ; ainsi les séculiers sont opposés les uns contre les autres par des batailles et des guerres temporelles. Tout cela ne vient que des diables de disputes, que de ce que les savants s’entre-disputent comme ils font sur leurs articles de Foi qu’ils se sont forgés eux-mêmes, croyant que la vraie foi estd’entendre bien la parole de Dieu. Ce qui n’estpas encore la vraie Foi : mais voici ce que c’estla vraie Foi : C’est une œuvredu S. Esprit dans le cœur, laquelle estopérante par la charité, comme je l’ai dit suffisamment ci-dessus.
71. Or celui qui vit dans cette Foi imite Jésus Christen sa Sainte Doctrine et sa sainte Vie. Et celui qui imite Jésus Christdans la sainteté de sa doctrine et de sa vie n’a point de débats, point de guerre, point de combats contre personne, et ne défend pas sa Foi avec une épée matérielle, ne tue personne corporellement avec une telle épée, mais il manie seulement l’épée spirituelle ; il guerroie, il combat seulement contre soi-même, contre la malignité de la chair et du sang, contre le péché et le Diable. En quoi il trouve tant de choses à faire, qu’il ne peut aller contester, ni combattre, ni disputer avec son prochain : il en oublie les débats et les disputes avec autrui, et laisse aller tout cela. Mais ceux qui se débattent encore sur la soi, qui se combattent et se font la guerre par paroles et par écrits, et même par l’épée extérieure, de tels montrent bien par là qu’ils n’ont pas encore combattu ni fait la guerre dans eux-mêmes contre le mal, mais qu’ils vivent encore dans le mal, en inimitiés, en haines, en envies et en querelles, en orgueil, en avarice, et en toutes sortes de maux ; et qu’ils sont des esclaves du péché, qu’ils servent au péché, se laissent mener prisonnier du Diable, et conduire par lui d’un péché dans l’autre. Ils ne servent point Jésus Christdans la sainteté et dans la justice qui lui sont agréables ; mais ils servent le Diable dans l’impureté et dans l’injustice, qui lui agrée fort. C’estcontre le Diable qu’ils devraient se débattre et se combattre, et lui faire la guerre ; c’estcontre le péché ; et c’estce que Dieu leur a commandé en sa parole. Mais quant à leur prochain, ils ne doivent pas se quereller ni se battre avec lui, car cela leur estdéfendu par Jésus Christ.
72. Mais ils s’opposent directement à Jésus Christet à ses paroles claires et expresses. Ce que J. Christ leur a défendu à ce sujet, et dit de ne le pas faire, c’estjustement ce qu’ils font ; et ce qu’il leur a commandé de faire, c’estce qu’ils ne font pas. Et par ainsi ils agissent tout-directement contre le commandement de J. Christ. En quoi ils montrent suffisamment que l’Antéchristrègne et domine dans leurs cœurs, comme disait l’Ange. Mais parce que les Savants connaissent l’écriture, laquelle le peuple dans l’État Politique et dans l’Économique ne sait pas si bien qu’eux, et que ces doctes se comportent de la sorte sciemment contre la doctrine et la vie de J. Christ, et séduisent par ce moyen l’État Politique et l’Économique, puisque ceux-ci regardent aux savants, et non pas à Jésus Christ ; pour ceteffet, l’État Ecclésiastique sera principalement frappé, et entièrement abattu, comme je l’ai vu dans cette vision ; et cela fera tant de bruit, que ceux de l’État Économique, mais surtout ceux du Politique, en seront effrayés, et s’en éveilleront : c’està dire, que ceux de l’État Économique et ceux du Politique verront enfin combien fortement ils ont étéséduits et trompés par les savants qui sont dans l’État Ecclésiastique ; et qu’ils n’ont pas été menés par eux à Dieu et à Christ, quoiqu’ils leur aient donné beaucoup d’argent pour cet effet, mais que plutôtils ont été détournés par eux de Dieu et de Jésus Christ.
73. Ceux donc de l’État Économique et du Politique trouveront par effet que les savants n’ont pas conduit le simple peuple à Dieu, mais qu’ils l’ont mené au Diable : de sorte que si Dieu ne s’étaitpas réservé quelques particulières, comme il fit du temps d’Élie, les savants auraient mené au Diable tous les non-savants, sans exception, afin qu’ils servent tous le Diable. L’idolâtrie estaujourd’hui bien plus grande qu’elle n’étaitdu temps d’Élie, et cela entre les Calvinistes aussi bien qu’entre les Luthériens et les Papistes, qui sont les trois Sectes Capitales èsquelles estdivisée la Babylone de confusion où l’Antéchristdomine 35. Mais cette Babylone de confusion tombera bientôt, divisée qu’elle estcontre soi-même et se détruisant soi-même : elle ne peut plus subsister longtemps, puisque son Royaume estdéjà divisé contre soi-même, et se combat soi-même dans soi : l’un étantcontre l’autre ; se dévorant et se consumant l’un l’autre, si bien qu’en peu de temps elle tombera entièrement, et bientôtl’Ange du Seigneur la va frapper si puissamment, que le Papisme, le Luthéranisme, le Calvinisme, et toutes les autres sectes et factions disputatrices, tomberont toutes en un monceau pêle-mêle. Car ils seront tous frappés par l’Ange du Seigneur.
74. Mais on ne doit pas faire ceci avec le glaive matériel, mais bien avec le spirituel. Il y a plusieurs bonnes âmes entre les Chrétiens qui s’imaginent que cela se doive faire avec une épée matérielle, et que les méchants soient corporellement tués et mis à mort par les bons : mais ils se trompent fort dans cette opinion. Non, cela ne doit pas aller ainsi : Babel ne doit pas se frapper et mettre bas en sorte qu’il faille tuer les hommes qui y sont avec l’épée extérieure : tout cela se doit faire spirituellement, et c’estavec l’épée de l’Esprit qu’on doit les tuer. Le méchant et spirituel Royaume du Diable doit êtredétruit et anéanti dans leurs cœurs, l’Antéchristen doit être chassé, il doit y êtreentièrement frappé et ruiné, et le Royaume de Christy doit être rétabli de nouveau, afin que Jésus Christy règne et y domine. Car lorsque l’Ange releva cet homme qu’il avait abattu et qu’il le plaça de nouveau dans son siège, cela signifie que le Royaume de Jésus Christsera rétabli dans leurs cœurs, et que lorsque l’Antéchristy aura été abattu et mis à mort, Jésus Christ y revivra.
75. Mais si cela devait s’entendre d’une manière corporelle, que les méchants dussent être tués au milieu de leurs péchés, et par ce moyen descendre aux Enfers, il y resterait peu de personnes sur la terre, et peu seraient sauvés : car l’Antéchrist règne et domine aujourd’hui partout dans tous les hommes, dans l’un plus, dans l’autre moins, comme il paraîtmanifestement : car ils vivent tous contre Christ, et ne l’imitent pas bien dans son amour, dans sa douceur, ni dans son humilité. Même ceux qui croient d’êtreles meilleurs Chrétiens vivent le plus souvent d’une manière contraire à celle de J. Christ, sont superbes dans leurs cœurs, vivent dans un orgueil spirituel, ne peuvent et ne veulent souffrir aucune contradiction ou le moindre mépris : car lorsqu’ils sont méprisés, ils se fâchent, et deviennent mauvais contre ceux qui les méprisent : par où ils font bien voir que ce superbe Antéchristrègne et domine encore dans leurs cœurs, et non pas l’Esprit humble de Christ, lequel sait souffrir toutes sortes de mépris. Que chacun donc s’examine bien, se sonde et s’éprouve bien soi-même, pour découvrir si c’estl’Antéchristqui domine dans son cœur ou si c’estJésus Christ ;s’il estconduit et régi du mauvais ou du bon Esprit ; s’il vit dans l’orgueil et dans la colère, ou bien dans l’humilité et dans la douceur : afin que personne ne se trompe soi-même par une piété d’apparence, ni par une colère ou un Zèle hors de saison et charnel, quoiqu’en faveur de la justice.
76. Car il y a beaucoup de personnes qui croient s’échauffer de Zèle et d’une sainte colère en faveur de la justice, et qui voudraient que tout allâtbien (ce qui estune bonne intention) ; mais qui feraient mieux de ne pas s’emporter à de tels Zèles : car ils ne sont point divins et ne viennent point de la Charité : mais ce sont des Zèles charnels et mauvais, qui viennent de haine et d’envie, de colère et d’inimitié contre celui ou ceux qui leur sont contraires. Ce qui ne procède que d’orgueil de ce qu’ils ont entrepris de faire et de venir à bout de quelque chose pour êtretenus pour des grands personnages : à raison de quoi ils veulent effectuer de bonnes et de grandes entreprises dans le monde ; mais lorsqu’ils y sont contrecarrés, ils s’échauffent de Zèle et de colère, deviennent mauvais contre celui qui leur contredit, et se dépitent fort que la chose ne puisse aller selon leur volonté. En quoi une telle personne fait paraître qu’elle a encore un cœur hautain et orgueilleux.
77. Il n’est estpas ainsi d’un cœur véritablement humble, qui s’estabandonné et livré à la volonté de Dieu, et dans lequel le S. Esprit règne et domine : car il vit constamment dans l’abandon à Dieu, et il esttoujours content et satisfait de sa Divine Volonté, pensant en soi même : « Telle estla volonté de Dieu, que l’on me contredise, ou que ce l’on s’oppose à moi dans une telle chose quoique bonne. Et parce que Dieu permet que l’on me contredise et que l’on s’oppose à moi de la sorte, et qu’ainsi tout n’aille pas selon la bonne volonté que j’ai, je veux bien en êtrecontent, et le souffrir très volontiers, sans m’emporter pour ce sujet de colère et de Zèle. Si Dieu le souffre, je veux bien le souffrir aussi, sans me fâcher pour ce sujet contre ces personnes. » Telles sont les pensées et les paroles d’un cœur qui estvraiment bon. Il veut bien souffrir dans la patience tous les mépris et tous les blâmes qui ne concernent que sa propre personne. Mais quant à ce qui touche l’honneur de Dieu, lorsqu’il estblasphémé ou déshonoré, et que l’on en publie des choses apertement mensongères, par où les méchants voudraient supprimer l’œuvre de Dieu ; c’estce qu’un cœur vraiment bon ne peut endurer ; mais il s’en émeut de Zèle et colère, et contredit aux menteurs et aux calomniateurs : non pas toutefois par une haine qu’il porte à ces hommes ; mais c’estpar la charité. Il ne hait pas les personnes et n’a point d’inimitié pour elles à cause de leurs méchancetés : au contraire, il ne laisse pas de les aimer nonobstant tout cela, souhaitant et faisant au méchant toutes sortes de biens, autant qu’il lui estpossible. Mais un cœur hautain et plein d’inimitié souhaite et fait aux hommes tout le mal qu’il peut ; jusques là que s’il étaiten la puissance de ce cœur orgueilleux, il ne tuerait pas seulement les méchants, mais même il les abîmerait dans les enfers.
78. Celui donc qui régit si mal ses pensées et ses actions montre en cela qu’il a encore un cœur méchant, orgueilleux, et plein d’inimitié, dans lequel le Diable domine et gouverne encore, quelque apparence de probité qu’il ait devant les hommes, quelque bonne vie qu’il mène devant eux, quoiqu’il lise la Bible, qu’il se remplisse la têtede sa connaissance, qu’il sache en quel livre ou chapitre ceci ou cela estécrit, qu’il en puisse alléguer plusieurs choses, qu’il ait beaucoup de ferveur pour le bien, qu’il s’émeuve de Zèle sur ce que tout va si mal dans le monde, qu’il contredise au mal, et qu’il souhaitât de voir que tout allâtbien. Toutes ces choses sontbonnes, à la vérité, et ce Zèle estdivin ; mais néanmoins on ne laisse pas d’avoir un cœur hautain, orgueilleux, et méchant lorsqu’avec tout cela on a de la haine et de l’envie contre les personnes méchantes, et qu’on voudrait les étouffer et tuer corporellement dans leurs péchés, si l’on pouvait le faire facilement. Ce qui est justement contre la doctrine de Jésus Christet contre sa sainte vie. Car Jésus Christn’a point agi de la sorte : et n’y a pas aussi voulu agir quoique ses disciples l’aient incité à le faire lors que Jacques et Jean lui disaient : Seigneur, si tu veux, nous dirons que le feu descende du Ciel et qu’il les consume, ainsi que fit Élie : mais Jésus, se tournant vers eux, les reprit et leur dit : Savez-vous bien de quel Esprit vous êtes les Enfants ? Le Fils de l’homme n’est pas venu pour perdre les âmes des hommes, mais pour les conserver.Tous ceux donc qui veulent tuer à cause de la doctrine ou de la mauvaise vie lorsque l’on vit contre la bonne doctrine de Jésus Christ, ceux-là donnent à connaître par là qu’ils ont encore un cœur hautain et superbe, dans lequel l’Esprit de Christne domine pas, mais bien le méchant Esprit du Diable. Quant à ce que le Magistrat doit faire mourir les méchants à cause de leur méchante vie, mais non pas à cause de la doctrine ou de la Foi, c’estune tout autre chose ; et ce n’estpas à des personnes privées d’en disposer.
79. Ce n’estpas sans sujet que je viens de dire toutes ces choses. C’estafin que nul Chrétien ne se laisse pousser par le Diable à désirer de faire mourir corporellement les méchants, et beaucoup moins à l’effectuer. Il ne doit avoir ni ces pensées ni ces actions-là : mais ce qu’il peut effectuer spirituellement, il lui estbien permis de le faire, et même il y estobligé, je veux dire, à faire mourir et cesser dans les méchants le règne impie du Diable ; mais il doit laisser vivre corporellement le sujet où l’Antéchrist a son règne, afin que le Royaume de J. Christy puisse être rétabli, que le temple du S. Esprit y soit édifié de nouveau, et que J. Christ y puisse parler et enseigner, dominer et gouverner.
80. En voilà assez touchant les trois États et l’Antéchristqui règne encore dans leur cœur, le conduit, en sera bientôt chassé, et Jésus Christ introduit de nouveau pour y dominer et conduire tout sitôtque l’Antéchrist y aura été abattu et mis à mort. Or quant à ce que je viens d’écrire ici qu’il faut entendre spirituellement ce que l’Ange frappa corporellement l’un de ces hommes et l’abattit en terre avec sa verge, au lieu que j’ai dit ci-dessus que ce frapper marquait des plaies corporelles, il n’y a point de contradiction, et personne ne s’en doit formaliser. Cela signifie l’un l’autre. Dieu peut faire tout ce qu’il veut ; mais les hommes ne doivent pas faire tout ce qu’ils veulent. Dieu a le droit et la puissance de faire mourir et de faire vivre ; mais les hommes n’ont ni le droit ni la puissance de le faire. Et quoi que par leur puissance humaine ils puissent bien faire mourir, ils ne peuvent néanmoins rendre la vie ; et comme ils n’ont donné la vie à personne, ils ne doivent aussi tuer personne. Que s’ils le font, et que Dieu les laisse faire, ils pêchent contre Dieu. Que chacun y pense sérieusement, et surtout les Prédicateurs et Théologiens, qui par leurs disputes donnent occasion au meurtre d’un million d’hommes. Pour cet effet en seront-ils punis à leur tour, et punis de mort éternelle s’ils n’en font point de vraie pénitence et qu’ils ne veulent désister de leurs diaboliques disputes.
81. La Clef que l’Ange m’apporta de l’Autel marque le S. Esprit, qui estla vraie et vivante Clef de David. C’estlui que les hommes doivent prendre, c’est-à-dire, qu’ils doivent invoquer le S. Esprit, et le prier qu’il lui plaise d’ouvrir leur cœur afin qu’ils y puissent voir et connaître combien il estplein de péchés et d’injustice, plein de fausseté, plein de mensonges, plein d’orgueil, plein de toutes sortes de péchés, d’infamies, et de vices ; qu’ils puissent le reconnaître et y faire de touchantes et sérieuses réflexions, à quoi faire le S. Esprit leur veuille donner sa grâce. Ils doivent donc invoquer le S. Esprit et le prier de pouvoir connaître combien ils ont vécu jusqu’à présent en toutes sortes de péchés, d’infâmetés et de vices, dans l’orgueil, dans la fausseté, dans la haine, dans l’envie, dans l’amour propre, dans l’amour de l’argent, dans l’amour du monde, dans l’injustice, dans une très grande idolâtrie, ne s’étant point appuyés ni reposés sur Dieu, mais seulement sur les dons que Dieu leur a donnés ; car ils se sont appuyés sur la propre sagesse, sur la propre puissance, sur la propre force, sur l’argent, sur les hommes, et cent idolâtries semblables. C’estce qu’ils doivent confesser, et reconnaître qu’ils n’ont posé leur repos, leur joie, leurs plaisirs, et leur contentement dans Dieu, qui estle donneur de tous dons, mais qu’ils les ont mis dans les dons mêmes. Lorsqu’ils peuvent les avoir à leur souhait, ils sont en paix et tout-satisfaits ; mais lorsqu’ils ne peuvent les avoir selon leur volonté, ils ne sont pas en paix, ils perdent le courage et l’espérance. Ils font bien voir par là qu’ils ne s’appuient et ne s’abandonnent point sur le Dieu Vivant et Véritable, qui a créé tout, et qui donne tout, mais qu’ils se reposent sur ses dons et qu’ils en font une Idole, quittant à ce sujet le Dieu Véritable et Vivant. Si Dieu leur donne ses dons, les voilà contents, mais s’il les retire, ils veulent désespérer. Et par là ils prouvent incontestablement qu’ils tiennent les dons de Dieu pour leur Dieu, et qu’ainsi ils vivent dans une grande Idolâtrie. Or c’estun grand péché que de vivre de la sorte dans une si grande Idolâtrie ; et c’est pour ce sujet que Dieu punit autrefois très rigoureusement les Enfants d’Israël ; comme il fait aussi les hommes d’aujourd’hui, qu’il punit de même à cause de cette grande Idolâtrie qu’ils commettent en ne voulant pas se reposer sur lui, mais sur ses dons : vivant ainsi contre sa volonté, et non pas dans sa volonté, contre Dieu, et non pas en Dieu : mais celui qui estvraicroyant et vrai Chrétienne vit pas ainsi contre Dieu et sa divine volonté, mais il vit dans Dieu et dans sa Volonté, se fie et repose entièrement sur Dieu, hors de tous ses biens ; et tout lui estégal, que Dieu lui donne quelque chose ou qu’il la lui ôte, qu’il lui impose une croix ou qu’il l’en décharge. Tout lui estun : pauvreté ou richesses, peu ou beaucoup, rien ou quelque chose, santé ou maladie, tristesse ou joie, mépris ou honneur. En un mot, celui qui vit dans l’abandon à Dieu et qui se remet à lui et s’y repose se rend égales toutes les choses qui lui arrivent au monde, quelque traitement qu’il y rencontre.
82. Que si l’on veut maintenant mettre les hommes à l’épreuve sur ceci et examiner s’ils vivent ainsi que je viens de dire, il s’en trouvera bien peu qui mettent leur fiance en Dieu ; et l’on verra qu’ils vivent tout-directement à l’encontre : par où ils font voir qu’ils vivent dans une idolâtrie bien grande. C’estce qu’il faut qu’ils reconnaissent et confessent ; et ils doivent prier le S. Esprit qu’il lui plaise de leur faire voir dans leurs cœurs comment ils ont étéjusqu’à présent des grands Idolâtres, et qu’ils ont vécu dans l’infamie du péché et des vices. Ils ont bien sujet de prier Dieu pour la rémission de leurs péchés, et doivent cesser de les commettre, se tourner vers la grâce de Dieu, se fier en lui qu’il leur pardonnera tous leurs péchés pour l’amour de J. Christ, s’ils l’en prient, s’ils en font pénitence et qu’ils cessent de les commettre. Dans cette disposition, Dieu par la grandeur de son Amour et de sa Miséricorde leur pardonnera tous leurs péchés.
83. Ils doivent aussi invoquer et prier le S. Esprit, comme celui qui estla Clef vivante et véritable, qu’il lui plaise de leur ouvrir aussi le cœur amoureux du Père, afin qu’ils puissent y pénétrer par les yeux de la Foi, y voir dans la foi le Grand Amour de Dieu, méditer et considérer sérieusement combien grand, combien ardent et excessif estl’Amour que Dieu le Père a porté à tous les hommes universellement, et qu’il leur a témoigné par effet lors qu’il a envoyé de son trône céleste dans ce bas monde son très cher et bien-aimé Fils Unique, faisant qu’il devînthomme comme nous, le laissant naître ici dans une extrême destitution, élever et nourrir dans une si grande pauvreté qu’il n’a pas eu au monde autant de propre que pour y reposer sa tête, l’ayant aussi laissé pâtir jusqu’à endurer les mépris, les outrages, les injures, la moquerie, et enfin y être martyrisé et tourmenté jusqu’à une mort très-ignominieuse. Que les hommes méditent bien ces choses ; et qu’ils considèrent jusqu’à quel excès Jésus Christa souffert dans le jardin des olives lorsqu’il y suait jusqu’à du sang ; combien il a souffert lorsqu’il fut tourmenté par le fouet, et combien lorsqu’il futcloué les pieds et les mains à la croix. Que l’on pense bien à toutes ces choses, à cette grandeur ineffable d’angoisses et de souffrances que Jésus Christa eues jusques à mourir très-ignominieusement : et aussi pourquoi il a tant pâti. Ce n’a étéque pour retirer par-là tous les hommes hors de l’enfer et de la damnation éternelle, afin que tous ceux qui croient en lui soient sauvés et vivent avec lui dans la joie et la béatitude éternelle. Que les hommes considèrent combien estgrand et Divin cet œuvre de notre Rédemption, queJésus Christpar sa douloureuse Mort et Passion les ait délivrés de la damnation éternelle et transporté dans la vie éternelle. Oh ! que cet œuvre est admirable ! Qu’il estdivin ! C’est ce que l’on a de la peine à penser et à exprimer.
84. Les hommes doivent aussi faire réflexion sur la cause de tout ceci, et méditer sérieusement sur la source d’où tout ceci procède. C’estdu grand et de l’ineffable Amour de Dieu que tout découle ; et c’està cet Amour qu’ils doivent donner leurs pensées, le peser, le contempler, se réjouir dans lui ; appliquer tous leurs soins à ce qu’ils puissent toujours vivre dans l’Amour de Dieu ; prier le S. Esprit qu’il leur fasse sentir ce divin Amour, lui disant avec ardeur : Ô doux Amour ! Ô cher Amour ! Donne-nous ta faveur ! Fais-nous sentir ton aimable brasier, afin que nous nous aimions tous les uns les autres de tout notre cœur, et que nous vivions unanimement et paisiblement tous ensemble dans ta dilection ! C’estpour cela qu’on doit êtreassiduellement en prières, et estimer l’AMOURpour une chose de plus grande importance et de plus grand prix que toute la science et toute l’intelligence qu’on pourrait avoir d’ailleurs touchant la Parole de Dieu même ; car la grande science sans l’Amour ne fait qu’enfler et rendre le cœur orgueilleux : mais l’Amour donne l’humilité : tellement qu’il estbeaucoup meilleur d’aimer Dieu et le prochain que d’avoir la science de toutes choses. Car l’Amour estentre toutes les choses la principale et la première : et lorsque tout cesse et finit, l’Amour reste éternellement : parce que Dieu est l’AMOUR MÊME. Celui donc qui demeure dans l’amour demeure dans Dieu, et Dieu dans lui. Et où voudrait-on demeurer plus volontiers que dans le Tout-Puissant dans le Tout-aimable, dans le Tout-charitable, dans le Tout-miséricordieux Dieu, en qui l’on està couvert contre tous les maux ? Que pourrait-on mieux aimer et avoir dans le cœur que le Dieu d’Amour, que goûter et éprouver combien il estdoux, selon cette parole de David : Voyez et goûtez combien le Seigneur est doux !Que si les dons de Dieu sont si beaux et si doux, combien doux et combien beau doit être ledonneur de tous les dons, celui duquel procèdent tous les dons qui sont capables de réjouir les hommes ? Et à combien plus forte raison Dieu même peut-il nous réjouir lorsque nous le cherchons bien et qu’ensuite nous trouvons comment il est doux ? Le sucre et le miel ont-ils quelque douceur ? Et combien plus mille et mille fois y en a-t-il en Dieu même ? Le pain et la viande, la cervoise et le vin, ont-ils la force de nourrir une personne affamée et altérée, de la rassasier et la restaurer ? Combien plus Dieu même ne le fera-t-il pas, lui qui donne à toutes ces autres choses tout ce qu’elles ont ? Oui, la Grandeur de la Boncé et de l’Amour de Dieu esttelle qu’il n’y a point de jour que nous n’en sentions les effets dans ses dons. Et cependant, les hommes pensent si peu à cette Bonté, à cet Amour, à cette miséricorde de Dieu, et ne se tournent point vers Dieu, l’Auteur de tous biens ; mais ils s’attachent seulement à ses dons, sans vouloir venir à lui.
85. C’estce qui fâche extrêmement Dieu 36, de voir que les hommes s’attachent à des petits et chétifs dons, aux dons terrestres, et ne veulent pas aller à lui-même pour qu’il leur communique ses grands dons célestes, et même qu’il se donne lui-même à eux. Ils ne veulent pas se servir de ses dons pour le bien connaître, quoique ce soit dans cette vraie et droite connaissance que consiste la vie éternelle, et non pas dans une connaissance ou une science extérieure et historique, comme j’ai dit assez souvent.
86. Chacun donc doit se tourner vers Dieu, et apprendre à le bien connaître. Telle estla volonté de Dieu ; et c’estaussi l’utilité et le bien de l’homme. Que si les hommes méprisent encore de la sorte cette grande bonté de Dieu, et ne veulent pas aller à lui, ils en seront d’autant plus fortement frappés ; et s’ils ne veulent pas retourner lorsqu’il les fait appeler, leur damnation en sera d’autant plus grande. Que celui donc qui ne veut point êtredamné vienne vers Dieu lorsqu’il le fait appeler, et qu’il observe et tienne cher cet appel.
87. Or que Dieu les appelle par moi et leur fasse savoir qu’ils retournent à lui, ce qu’ils doivent faire s’ils veulent effectuer, comment ils doivent prendre la Clef qui estle S. Esprit, en le priant et invoquant qu’il veuille leur ouvrir et leur découvrir ce qui estleur nécessaire, comme j’ai dit ci-dessus, avec toutes les autres admonitions que j’ai faites par le mouvement du St. Esprit au sujet de cette divine clef ; c’està quoi chacun doit bien penser et ruminer plus particulièrement toutes ces choses dans la crainte de Dieu. C’estassurément par la direction du S. Esprit que je les incite, et que je leur donne encore à présent occasion à cela ; et ce n’estpas par ma conduite humaine : car il m’estabsolument impossible de diriger et d’écrire par ma sagesse humaine un Ouvrage tel que celui-ci ; et tous les hommes du monde ne pourraient par toutes leurs sciences, par toutes leurs forces et toute leur adresse humaine m’imiter dans ce que j’ai commencé à faire ces trois derniers jours. Et je puis par là prouver facilement que c’estle S. Esprit qui me régit, me meut, et qui me mène dans toute vérité ; et que mes desseins ne sont pas une fiction mensongère, mais un œuvre de Dieu dans moi. C’estle S. Esprit qui opère tout bien dans moi, et non pas moi-même : car il m’estabsolument impossible que par la force de ma nature humaine, ou de moi-même, je puisse faire ou produire aucun bien, soit par paroles, soit par écrit. Cela aussi estabsolument impossible au Diable, puisque le Diable estméchant jusques dans son fonds ; si bien qu’étant tel, et n’y ayant dans lui rien de bon, il estpareillement impossible que le Diable produise quelque chose de bon par moi. Comme néanmoins il y vient tant de bonnes choses de moi, par paroles aussi bien que par écrits, et que tout bien vient de Dieu seul, comme dit St Jacques, il s’ensuit incontestablement que c’estl’Esprit bon et Saint qui me régit, que Dieu habite véritablement et réellement dans moi, que j’ai étéfait participant de la nature Divine, et que l’être Divin, tout-puissant, tout de feu, luit et brûle au dedans de moi, comme je le sens moi-même, et j’expérimente qu’il estainsi avec autant de vérité et de certitude que j’éprouve et que je sens la viande corporelle dans mon corps lors que je la mange quand j’ai faim : c’est, dis-je, avec autant de vérité et de certitude que j’éprouve et que je sens dans mon cœur la viande céleste, cette Essence Divine et Céleste, toute de feu, qui a étéde toute éternité. Elle habite dans mon cœur aussi véritablement et réellement qu’elle esthors de moi, et particulièrement hors du monde dans les abîmes de l’éternité, et dans tous les cœurs des vrais croyants, et non pas dans le mien seulement : car comme d’un feu il en peut voler des millions d’étincelles qui se répandent et se portent çà et là, et que de chaque étincelle, quelque petite qu’elle soit, il en peut ressortir un grand feu, et que tout cela n’estqu’un même feu et une seule chose, il en estde mêmede ce grand Feu de l’Être Divin, qui a été de toute Éternité, et qui estrempli de sagesse, de salut, de puissance, de force ; qui estTout-puissant, et qui a créé tout ce qui se peut trouver dans le Ciel et dans la terre. Ce Divin feu peut éclater en un million d’étincelles, et se partager en plusieurs milliers de cœurs. Chaque étincelle peut s’élancer et se jeter dans le cœur d’un homme, et y exciter un grand feu, sans que pour cela le grand et le Divin feu qui estdans les abîmes éternels hors de l’homme, et qui estaussi dans ce monde, en devienne moins parfait. Car Dieu dans son Être Divin, spirituel, et de feu, estprésent partout, dans les hommes et hors des hommes. Dieu estloin : il est près. Il habite dans ce qui estde plus haut, il est aussi dans les cœurs froissés, brisés, et humbles ; et il se révèle à ceux-ci, se fait connaître à eux, et il y opère tout bien et toute bonne conduite lorsqu’ils ne lui résistent point par des péchés qu’ils connaissent êtrepéchés.
88. Or que tout cela soit ainsi, je puis bien le dire et l’écrire en vérité par ma propre expérience, et assurer que j’ai reçu dans mon cœur en cette manière une étincelle de cet Être de feu divin et spirituel, et qui a étéde toute éternité. Et ce divin feu devient toujours plus grand dans moi : il illumine continuellement mon cœur de plus en plus ; et plus j’y pense et y médite, priant le S. Esprit dans moi qu’il vienne se manifester toujours plus amplement à l’intérieur de mon cœur, l’éclairer, y opérer de plus en plus la Foi, la Charité, la Douceur, l’humilité, et toutes les Vertus Chrétiennes, plus aussi expérimenté-je que le St Esprit travaille à toutes ces choses dans moi.
89. Ces manières de parler, de l’Être divin de feu, et que j’en ai dans mon cœur une étincelle éternelle, et le reste que j’ai dit touchant cet Être de feu divin et spirituel, seront sans doute trouvées étranges à plusieurs qui les regarderont selon leur raison humaine, et qui n’ont jamais ouï de pareilles expressions et manières de parler. Et peut-être que quelques simples qui les entendront diront que ce sont des blasphèmes et des manières de parler injurieuses à Dieu, de décrire, comme je fais, Dieu et son divin Être comme une chose qui se partagerait en des millions d’étincelles qui s’élançassent dans le cœur des hommes : comme ils m’ont aussi accusé de blasphème lorsque j’ai dit d’avoir vu au Ciel Jésus Christdans le Père, et le Père dans Jésus Christ ; que j’ai vu Jésus Christdans le Père comme un jeune-homme divinement beau, qui avait un corps tout lumineux, tout céleste, et si transparent que je voyais son cœur au travers de son corps, et que son visage étaitmille et mille fois plus brillant que les escarboucles et qu’aussi j’ai vu le St Esprit sortir du Père et du Fils en forme d’une infinité de rayons, comme si plusieurs rayons s’élançaient du Soleil : avec beaucoup d’autres choses que j’ai écrites sur ce que la Sainte Trinité, Dieu le Père, le Fils, et le St Esprit, s’étaitmanifestée à moi de cette sorte. Sur quoi quelques impies disent que ce sont des expressions blasphématrices que de parler de cette sorte de la Trinité. Telles personnes pourraient bien encore dire que ce sont aussi des expressions blasphématoires que de parler et d’écrire comme je fais l’Être de feu, qui estl’Être Divin, éternel et spirituel ; et que j’en ai étéfait participant dans mon cœur. Mais de tels diront tout ce qu’ils voudront. Je ne m’en mettrai pas en peine. Dieu sait ce que j’ai vu et ouï, et comment lui-même s’estmanifesté à moi, sur quoi personne n’a à lui donner des lois. Il sait, et ma conscience aussi, qu’il s’estrévélé à moi comme je le dis et l’écris ; et je n’y puis point porter d’amélioration. Il m’esttémoin avec ma conscience que jene mens point, et que ces choses ne sont point des fictions que j’aie inventées, comme les méchants les tiennent : mais celui qui ne veut pas croire que Dieu se soit manifesté à moi comme je le dis et l’écris, il peut le laisser, je ne veux pas entrer en contesteavec personne sur ce sujet, lequel n'importe nullement à ceux qui ne veulent pas le croire. Si donc ils ne veulent point le croire, qu’ils le laissent là pour toujours : car quel intérêt ont-ils à ce que je dis et que j’écris que Dieu s’estmanifesté à moi d’une telle sorte ? S’il n’estpas ainsi que je le dis et que je j’écris, c’estmoi qui en dois répondre, et non pas un autre ; et c’estmoi que Dieu en punira, et non pas un autre. Personne n’a donc à se donner tant d’inquiétudes sur ce que je dis et que j’écris touchant des révélations et des visions, des choses qui surpassent l’entendement des hommes, et que l’homme ne peut concevoir ni comprendre par son intelligence humaine. C’estpourquoi c’est bien en vain que les savants veulent fouiller là-dedans avec leur Esprit naturel, et suspecter dans leur entendement humain ces sublimes et divines révélations. Ce n’estpas sans sujet que j’ai été obligé à donner cet avertissement en passant. Je les laisse, pour commencer au nom de Jésus Christ à écrire de la chaîne que j’ai vue et expliquer ce qu’elle signifie.
90. Cette chaîne marque la Parole de Dieu : car la parole de Dieu estcomme une chaîne entrelacée : et comme dans une chaîne un chaînon est renfermé dans l’autre, ainsi estla parole de Dieu dans une enchaînure continuelle, et ne se contredit point quant à l’esprit, quoique selon la lettre elle paraisse quelquefois contradictoire devant la raison : cependant dans l’Esprit et la Foi il n’y a rien de contradictoire : tout y estfort bien joint et entrelacé, comme dans une chaîne.
91. Mais ce que les savants sont en tant de contestes sur la parole de Dieu, d’où viennent tant de malheurs dans le monde, cela vient de ce que ces savants ne s’arrêtent point à la chaîne de la parole de Dieu, mais qu’ils s’en éloignent et que chacun explique la parole divine selon sa tête. L’Ange me dit donc sur ce sujet que je dise aux doctes, selon que le S. Esprit m’y mouvrait, qu’ils doivent s’arrêter à la chaîne de la parole de Dieu, sans qu’ils s’en détournent, et qu’ils doivent s’y attacher fortement, et n’aller pas plus avant que la chaîne de la parole divine ne va, tout de même qu’une personne attachée à une chaîne ne peut aller plus avant que la chaîne ne va elle-même. C’estainsi que les savants doivent se lier par la parole divine, s’en ceindre et s’y renfermer, par manière de dire, afin de n’aller pas plus avant que la chaîne de la parole de Dieu ne s’étend. Ils ne doivent plus aussi expliquer la parole de Dieu à leur tête, doivent s’arrêter particulièrement à ce que Jésus Christ même a prononcé par sa sacrée et Divine bouche ; doivent tous ensemble s’efforcer sérieusement et sans cesse à imiter Jésus Christdans sa sainte vie, comme lui-même a enseigné et vécu ; doivent s’abstenir des péchés grossiers, des connus et des volontaires ; doivent prier Dieu avec soin et l’invoquer pour obtenir son S. Esprit afin qu’il vienne luire dans leurs cœurs, et qu’ainsi eux tous puissent entrer dans l’Esprit saint duquel toute l’Écriture estcoulée ; que cet Esprit veuille ouvrir leur entendement afin qu’ils puissent entendre l’Écriture Sainte dans le S. Esprit. Et par ce moyen ils ne pourront plus se débattre, comme ils font, sur l’Écriture, vivront ensemble les uns avec les autres dans l’union de la paix, et pourront bien entendre et bien expliquer l’Écriture chacun diversement, selon la mesure de ses dons, et selon que le S. Esprit la lui donnera à entendre. Et cette diversité n’estpas une chose qui soit opposée ; mais l’un expliquera l’Écriture d’une manière plus sublime et plus excellente qu’un autre ; et ainsi les dons de l’un seront un sujet de joie à l’autre, et non pas un sujet de haine, comme ils le sont aujourd’hui.
92. Que s’ils se laissent (je parle des savants), si, dis-je, ils se laissent régir de la sorte par le S. Esprit, et qu’ils vivent dans l’Amour, dans la douceur, dans l’humilité, toutes les disputes et les débats que l’on a d’un côté et d’autre sur ceci ou sur cela tomberont d’eux-mêmes. Ils doivent aussi instruire et enseigner leurs auditeurs de la même manière, et leur prêcher l’Amour : alors la guerre tombera aussi de soi-même, et il se ferait bientôt dans le monde une paix universelle, si premièrement les savants s’étudiaient à la paix, et s’aimaient en paix les uns les autres. Alors la paix extérieure et Civile viendrait sans beaucoup tarder.
93. Voilà ce que je devais dire en peu de mots aux savants à l’occasion de cette chaîne. Cela seul suffit. Je ne veux pas m’étendre davantage sur cette explication, et aussi je ne le puis faire, non plus qu’amplifier maintenant mes admonitions, puisque le S. Esprit ne me meut pas à en écrire davantage. J’en ai assez écrit jusqu’ici sur l’explication de cette vision par le mouvement du St Esprit, pour qu’il en vienne du bien et que la paix arrive au monde si les savants veulent mettre ceci en pratique. Mais que nul ne rejette ce que je viens d’écrire à cause de la bassesse de ma personne ; car cet œuvre-ci estdu S. Esprit, comme je l’ai dit assez souvent. Que chacun le reçoive comme un œuvre du S. Esprit : que j’ai suffisamment prouvé êtretel en effet.
94. Quant à cet Ange, qui avait une robe si admirablement belle, il me fut dit que je fasse souvenir aux hommes de la belle robe de Jésus Christ, de la justice avec laquelle Jésus Christrevêt ses fidèles. Chacun doit la tenir en grand honneur, et ne la point flétrir ni souiller par des péchés connus, après quoi ils seront dans toute l’éternité magnifiquement habillés de l’habit céleste, tout transparent, et tout semé d’or et de perles. Ce sera bien un autre habit que ceux de ce monde avec lesquels on se couvre le corps : nos corps ne seront pas là couverts comme ils le sont ici : nous y aurons des habits célestes tous transparents, qui même pénétreront nos corps ; car Dieu remplira nos corps par son divin être. Et lorsque Dieu sera tout en tous, alors aurons-nous des corps transparents, si bien que nous pourrons voit le cœur les uns des autres dans nos corps ; alors verrons-nous combien admirablement Dieu a créé l’homme ; et nous aurons alors la face si claire et luisante que nous pourrons voir les visages des uns reluire dans ceux des autres plus clairement que dans un miroir le mieux façonné. Ces corps que Dieu nous donnera seront des corps d’une beauté qui surpasse toute mesure. J’ai écrit suffisamment de ces corps transparents dans l’explication de la vision du NOUVEAUCIELET DE LA NOUVELLETERRE : et ainsi je finirai à présent au Nom de Jésus Christcette vision des trois États.
95. Lors donc que l’Ange m’eûtéclairci et expliqué le tout d’une manière spirituelle, il me recommanda au St Esprit et à sa Divine conduite, et s’en alla d’avec moi : tout disparut aussi de devant mes yeux, et il faisait obscur où j’étais, comme auparavant : car il étaitnuit. Et comme j’étais au lit et que je pensais à ce que je venais d’ouïr et de voir, j’entendis une voix qui me dit : Jean, levez-vous, et écrivez tout incontinent ce que vous venez d’ouïr et de voir. Mais comme je demeurais encore un peu sur le lit, tout pensif, je me sentis frappé au visage comme d’un coup de poing ou d’une main, tellement qu’il en sortit comme du feu de mes yeux, et j’ouïs encore une voix qui dit : Êtes-vous encore couché et pensif pour longtemps ? Voilà comment il en ira à tous ceux qui font l’œuvre de Dieu négligemment. Je me levai soudain, allumai une chandelle, m’assis, et écrivis au même instant cette vision et son explication dans la maison du Pasteur où j’étais pour lors. Le jour étant venu, le Pasteur me regardant au visage vit que j’avais un œil tout noir et meurtri, dont il me demanda comment cela m’étaitarrivé ? Je lui dis comment j’avais étéfrappé dans l’œil, et que c’était de là que cela m’étaitvenu. Ce qui l’étonna merveilleusement.
96. Je pense encore jusqu’à présent fort souvent à ce coup ; et je m’étudie autant qu’il m’estpossible à ne pas faire l’œuvre de Dieu négligemment, et à n’y pas manquer, mais que je fasse tout le bien que je puis. Chacun peut y penser aussi pour soi, et croire que ce n’estpas sans sujet que je fais en passant mention de ceci par le mouvement du S. Esprit, afin d’avertir chacun par là d’être diligent et fidèle dans ce à quoi Dieu l’a appelé et où il l’a établi, car ce que j’écris, je ne l’écris point pour moi-même, mais c’estpour les autres.
97. Car quant à moi, j’ai le véritable Maître, le S. Esprit, lequel se manifeste dans mon cœur, m’y instruit, m’y enseigne, m’y avertit tous les jours de ce que je dois faire. C’estde là que j’apprends ; et je n’ai pas besoin d’apprendre expressément quelque chose par le moyen des écrits, par les ruisseaux qui coulent du S. Esprit, de cette fontaine divine d’où procèdent tous les bons écrits, car j’ai la Fontaine de tout bien ; je l’ai dans mon cœur, cette source saillante d’où coulent tous les biens : et ainsi je n’ai nul besoin d’apprendre par nécessité quelque chose des bons écrits, non plus des miens que de ceux des autres. Ce n’estpas que je méprise pour cela les écrits que les autres font par la direction du S. Esprit, aussi peu que je méprise les miens propres que j’écris par le mouvement de l’Esprit de Dieu. Je ne fais pas comme ces têtes qui abondent en leur propre sens et dont le cœur estplein d’orgueil, qui ont une aversion pour les écrits d’autrui et qui ne peuvent en ouïr la lecture, quelque bons qu’ils soient. Je les lis fort volontiers, même plus volontiers que mes propres écrits, afin que je sache par là ce que le S. Esprit opère de bon dans les autres : en quoi je prends beaucoup de plaisir. Je sais bien ce que le S. Esprit opère dans moi : mais je ne sais pas ce qu’il opère dans les autres jusques à ce que je le lise et que je le rencontre. Je n’ai pas besoin de lire par nécessité les écrits des autres pour êtreconduit par eux dans l’Esprit qui enseigne toutes choses : car, loué soit Dieu, je vis dans lui, dans celui dont coule tout bien. Mais ce que je lis les écrits des autres, je le fais par récréation : parce que je trouve beaucoup de plaisir dans tout le bien qui vient de Dieu. Et il faut que je confesse que lorsque je lis des bons écrits, que le S. Esprit m’enseigne encore beaucoup de bien par là et me donne des pensées par où j’avance et augmente de plus en plus dans mes Divines connaissances, dans lesquelles j’ai dès à présent le salut, et j’y aurai la perfection dans l’éternité.
98. Ce n’estdonc pas par nécessité que je doive lire les écrits des autres comme si c’était par-là que je doive premièrement venir dans la droite et la Divine connaissance dans laquelle consiste le salut. Car j’y vis déjà : loué soit Dieu ! Ce que je lis, je le lis par plaisir et par abondance, et non pas par besoin. Mais quant à ceux qui ne sont pas encore arrivés dans cet état de salut, ils doivent nécessairement lire et apprendre quelque chose de bon pour y arriver par là : mais ceux qui y sont arrivés ne lisent ce qui estbon que par plaisir ; et ils en prennent sujet de s’en réjouir de plus en plus en Dieu ; d’où leurs connaissances Divines croissent et s’augmentent : car on ne saurait y croître trop, ni y devenir trop fort. C’estaussi afin que j’y croisse, que j’y devienne toujours plus fort, et que par abondance je me ressouvienne tant mieux de ce que le S. Esprit a produit de bon dans moi ; c’est, dis-je, pour ces causes que je lis souvent dans mes propres écrits lorsque je ne suis pas poussé à écrire : autrement, je dois préférer l’Écriture à la lecture : car en écrivant, le S. Esprit m’enseigne une très grande quantité de bonnes choses ; et non seulement à moi, mais aussi aux autres ; mais quant à ce qui concerne ma personne, ce n’estque par abondance, et non pas par nécessité.
99. Je ne dois donc pas écrire nécessairement pour moi, mais ce que j’écris, je dois l’écrire pour d’autres ; afin que d’autres puissent lire ce que j’écris par le mouvement du S. Esprit et que le S. Esprit puisse opérer du bien dans leurs cœurs lorsqu’ils liront mes écrits en la crainte de Dieu avec attention. Et quand bien ils ne les liraient que par curiosité, il peut néanmoins arriver très-souvent que cela produise quelque chose de bon dans leurs cœurs. Oui, quand même ils ne les croient que d’un cœur impie et en intention d’y trouver quelque chose d’où ils puissent prendre occasion de rejeter mon divin dessein ; et qu’ainsi ils ne chercheraient rien de bon dans mes écrits, mais seulement quelque chose de mauvais, néanmoins il en peut encore souvent naître quelque bien dans eux par le S. Esprit, tellement qu’ils viennent à d’autres pensées et qu’ils soient véritablement convaincus dans leurs cœurs que mon dessein n’estpas mauvais, mais qu’il estbon. Mais si après qu’ils en sont convaincus de la sorte dans leur cœur, ils ne veulent pas cependant recevoir ni embrasser le bien, ni désister de leurs méchancetés, leur damnation en sera d’autant plus grande ; et Jésus ChristS’en déclare innocent, puisqu’il leur a fait connaître le bien, et qu’eux cependant n’ont pas voulu l’accepter ni désister de leurs méchantes voies. Ils n’ont donc plus d’excuses à prétexter comme s’ils n’avaient pas connu le bien ; puisqu’ils sont convaincus dans leurs cœurs qu’ils l’ont bien connu et que l’Esprit de Dieu les en a persuadés ; et néanmoins ils ne veulent point à dessein recevoir ce bien, ni amender leur vie par lui, mais contredisent sciemment dans leurs cœurs au S. Esprit, lequel ne peut par ce bon moyen opérer dans leurs cœurs la Foi, la Charité, la Douceur, l’Humilité, avec toutes les vertus Chrétiennes. Ainsi, de telles personnes doivent mourir dans leurs péchés et périr éternellement, si ce n’estque pendant cette vie, qui est le temps de la grâce, ils fassent une vraie pénitence : car ce péché estle péché contre le S. Esprit, lequel ne sera point pardonné ni en ce monde ni en l’autre, savoir, lorsque l’homme continue dans les péchés connus, résistant ainsi au S. Esprit, et qu’il meurt dans ces péchés et avec cette résistance. Malheur à un tel ! Il ne peut être sauvé ; mais il faut qu’il soit damné éternellement.
100. C’està quoi chacun doit penser sérieusement, et prendre ceci à cœur, FAIRE UNE VRAIE PÉNITENCE PENDANT LE TEMPS DE LA GRÂCE, se préserver des péchés connus et en désister, afin que le S. Esprit puisse opérer dans son cœur la Foi en Christ, par laquelle il puisse êtresauvé.
101. Or parce que j’écris à cette fin que les hommes puissent par ce moyen venir à Dieu en cas qu’ils embrassent le bien que j’écris par l’inspiration du S. Esprit, nul n’en doit conclure que je pense que personne ne puisse venir à Dieu ni embrasser le bien si premièrement il n’a lu mes écrits. Non, ce n’estpas là ma pensée. Chacun peut bien aller à Dieu sans mes écrits pourvu seulement qu’il embrasse le bien qui estmarqué dans la Bible, et qu’il ne résiste pas au S. Esprit par des péchés connus et d’opiniâtreté, afin que le St Esprit puisse opérer la foi dans son cœur. Un tel peut êtresauvé quoiqu’il n’entendîtet ne vîtjamais rien ni de ma personne ni de mes écrits : car nul ne sera sauvé par moi mais seulement par J. Christ, et l’on peut bien êtresauvé sans moi. Mais puisqu’il a plu à Dieu de me renvoyer du Ciel dans ce monde afin que j’y exhortasse et appelasse les hommes à la PÉNITENCEd’une manière toute particulière, il faut, Mes Amis, que cela vous plaise aussi : ne vous opposez point à Dieu en ceci. Mais si quelqu’un s’y oppose, comme c’estpar le mouvement du S. Esprit que je fais un bon œuvre, un tel fait voir par-là qu’il a encore un cœur malin et impie, qui n’estpoint avec Dieu, mais qui lui est opposé ; puisqu’il a tant d’aversion pour un œuvre si Divin que celui que le S. Esprit opère dans moi, et dans lequel il me conduit et me régit.
102. Quant aux personnes qui peuvent bien, si elles veulent, recouvrer mes écrits ce que j’ai fait imprimer, ou entre les mains desquelles ce que j’ai écrit et que j’ai fait imprimer par la direction du S. Esprit vient à tomber, et qui cependant sont si orgueilleuses et si superbes que de ne pas daigner de les lire, mais qui lorsqu’elles entendent dire quelque chose de mes desseins, ou qu’elles voient quelqu’un de mes écrits imprimés ou d’autres manuscrits, les rejettent incontinent, ne veulent point les lire par un orgueil dédaigneux, et néanmoins blâment et calomnient le divin œuvre que j’avance, sans qu’ils sachent bien ce que c’est, de telles personnes font bien voir par cette manière d’agir qu’elles ont des cœurs démesurément endurcis, malins, impies, déjoints de Dieu et liés au Diable, au service duquel elles sont. Ainsi elles sont véritablement des méchantes créatures, puisqu’elles sont disjointes de Dieu. Ce n’estpas que je veuille par là les calomnier et les injurier en leur donnant la qualité de méchantes gens, comme quelques-uns s’imaginent que je les injurie et les outrage par ces mots, et que je leur fais tort : ce que (disent-ils) je ne devrais pas faire. Je ne les injurie pas en cela ; mais je parle la vérité : et dire la vérité, ce n’est pas injurier ni calomnier. Aussi ce que je dis ne vient pas d’un cœur mauvais ou plein d’inimitié, mais c’estpar charité que je le fais, par un cœurbon, par un mouvement du S. Esprit, lequel reprend par moi les impies de leurs péchés. Ce n’est donc pas des injures que de dire, comme je fais, que ceux-là sont des méchantes créatures qui blâment mon divin dessein et qui néanmoins ne l’entendent pas bien, encore moins m’ont-ils prouvé qu’il y a du mal, sans que pour cela ils désistent de diffamer ce divin œuvre. Cela ne leur peut être imputé qu’à une méchanceté Diabolique et toute maligne, laquelle ils devraient reconnaître et en désister ; autrement Dieu les en punira rigoureusement corps et âme, s’ils ne veulent point se déporter de leurs calomnies.
103. Que chacun fasse une vraie PÉNITENCE : qu’il laisse le mal ; qu’il fasse le bien ; qu’il s’avance dans ce qui estbon ; qu’il soit fidèle et diligent dans sa vocation et dans son état ; qu’il s’étudie à la Vérité et à la Justice dans tout ce qu’il fait ou omet ; qu’il se laisse conduire et mouvoir à tout bien par le S. Esprit ; et qu’il continue avec prudence l’ouvrage de Dieu, sans le négliger et sans y êtreparesseux ; ou bien, Dieu le frapperaaussi véritablement que j’ai étéfrappé de l’Ange, et que j’en ai eu l’œil tout meurtri : aussi la voix que j’ouïs dit expressément : Il en ira ainsi à tous ceux qui font l’œuvre de Dieu négligemment. Ne faites donc point l’œuvre de Dieu avec négligence ; et ne vous y opposez point. Ne faites point aussi l’œuvre du Diable. Car combien infiniment davantage ne doivent pas êtrebattus ceux qui non seulement ne sont pas l’œuvre de Dieu avec négligence, mais qui s’y opposent, et sont incontinent prêts à y résister, et qui font l’œuvre du Diable ? Sans doute qu’ils seront battus mille et mille fois davantage ? Et ceux qui non seulement ne font pas l’œuvre de Dieu, mais qui prennent à tâche de détourner les autres de le faire : qui blâment et calomnient ceux qui font ce Divin œuvre à cause qu’ils s’y emploient, qui tâchent de toutes leurs forces à les étouffer, à les exterminer et détruire, ceux-là seront battus encore des millions de fois davantage dans le fond de l’Enfer s’ils ne font pénitence ; puisque non seulement ils ne font point bien eux-mêmes, mais qu’ils veulent aussi empêcher d’en faire ceux qui en font par le mouvement du St Esprit. Ils commettent en cela des horribles péchés, ces Chrétiens de nom, qui veulent passer pour des Chrétiens, qui ont la parole de Dieu, qui l’écoutent assez souvent, ou qui même enseignent eux-mêmes comment l’on doit se conduire selon cette divine parole ; et qui néanmoins, lorsque je m’y conduis comme je le fais maintenant, s’opposent à moi dans le bien même. Voilà de bien-grands péchés ! Je n’aurais jamais cru qu’il pût se trouver de si méchantes gens entre les Chrétiens, et particulièrement entre les Docteurs, si je ne l’avais expérimenté moi-même. Et quand même on me l’eûteu dit auparavant, il m’eût étéimpossible de croire qu’il y eût des créatures si méchantes entre les Chrétiens, et surtout entre ceux qui s’estiment les meilleurs, et qui pensent êtreles plus proches de Dieupar leur connaissance et leur doctrine. Car ce ne sont pas seulement les Auditeurs, mais ce sont surtout les Docteurs et les Prédicateurs mêmes qui s’opposent à moi dans cet ouvrage de Dieu. Ce qui estune impiété extrême, que ceux-là mêmes soient opposés à l’œuvre du Seigneur lesquels sont néanmoins tenus par tous ceux qui les écoutent pour des personnes qui avancent et qui amplifient l’honneur et l’œuvre de Dieu ; et ce sont ceux-là mêmes qui en sont les vrais ennemis jusques dans leurs cœurs. En quoi il paraît que c’estseulement quant à la bouche qu’ils s’approchent de Dieu. Ils en sont de si admirables prêches de bouche, et cependant leur cœur estsi éloigné de Dieu, et lui estsi contraire ! C’estmaintenant qu’il paraîtcombien ils sont malins dans leurs âmes, maintenant, dis-je, que la lumière divine estmise en évidence par moi d’une telle manière qu’il y a longtemps qu’elle n’a pas éclairé de la sorte. Car depuis plusieurs centaines d’années il ne s’estpas trouvé que Dieu ait fait annoncer ainsi sa parole par des personnes simples et idiotes, comme il la publie à présent par moi.
104. Aussi longtemps que l’on estdans les ténèbres, l’on ne peut rien connaître et l’on ne peut faire aucun discernement ; mais lorsque l’on apporte de la clarté dans le lieu obscur, et que la lumière luit dans les ténèbres, alors peut-on faire du discernement en tout, et l’on peut connaîtrece que chaque chose est, ce qui estbon ou ce qui est mauvais : au lieu que dans les ténèbres et dans l’obscurité, avant qu’il fasse jour, il semble souvent que le bien soit mal et que le mal soit bien. Il en est allé de même fort longtemps dans la Chrétienté. Car étantremplie de fort épaisses ténèbres, les hommes n’ont pu bien connaîtrece que telle ou telle chose était, et n’y ont pu faire de discernement, mais ont pris souvent le mal pour bien et le bien pour mal ; les impies y ont ététenus pour gens de bien, et les gens de bien tenus pour impies.
105. Mais maintenant qu’il s’estlevé par mon moyen une lumière Divine au milieu des ténèbres, il paraît qu’il y en a plusieurs qui sont du nombre des méchants, lesquels on a tenu pendant ces ténèbres pour des gens de bien, parce qu’ils ont eu l’apparence de la piété devant le monde, quoique dans leurs cœurs ils fussent des impies ; le Diable s’étant transformé devant eux en Ange de lumière sans qu’eux-mêmes l’aient su ou l’aient remarqué, ils ont même pensé qu’ils étaient vraiment des personnes droites et des gens de bien devant Dieu. En quoi le Diable les trompait et les séduisait. De telles personnes étaientles Pharisiens, qui en effet étaient des impies. Comme néanmoins ceux-ci ayant étéconsidérés comme gens de bien avant que Christvînt au monde, mais après que cette Divine lumière y fut venue et eut luit dans les ténèbres, il parut alors que ces Docteurs de la Loi et ces Pharisiens avaient étédes impies, excepté quelques peu d’entr’eux, il en va encore de même maintenant que la lumière de Dieu luit de nouveau par moi dans ce monde au milieu des ténèbres ; il paraît encore que les Docteurs de la Loi sont dans leurs cœurs des impies, excepté un bien petit nombre. Car tous ceux qui s’élèvent contre l’œuvre de Dieu que je fais, qui s’y opposent, qui ne veulent point contribuer à l’avancer autant qu’ils peuvent, je les tiens pour des personnes méchantes, quelque apparemment sainte que soit leur vie devant le monde ; et n’importe qu’ils sachent faire des Sermons admirablement beaux, tirés de la parole de Dieu, ils n’en sont pas moins devant Dieu et dans leurs cœurs des personnes méchantes et impies desquels le cœur estrempli de fausseté, d’hypocrisie,plein d’orgueil, de haine, d’envie, d’avarice et d’amour du monde : ce que je pourrai leur faire voir facilement lorsque la nécessité l’exigera.
105 bis. Or comme les savants et les étudiés sont pour le général des impies et des méchants dans leurs cœurs excepté quelques peu d’entr’eux, il en estde même dans l’état Civil et dans l’Économique. Il s’y en trouve peu qui aiment dans leurs cœurs cette divine lumière ; car ils ne peuvent croire que cet œuvre-là soit de Dieu, puisque s’ils le croyaient, ils l’aimeraient aussi. S’ils vivaient dans l’Amour de Jésus Christ, alors croiraient-ils bientôtque cet Œuvre estde Dieu, puisque d’ailleurs ils ne voient rien de mauvais dans moi, mais seulement du bien ; et partant ils devraient croire qu’il y a ici une divine Opération : car la charité de J. Christcroit tout ce qui estbon, et n’a point de soupçon sur le bien. Et comme tout ce que j’avance ne mène qu’à Dieu et à Christ(ce qui est incontestablement véritable), je puis prouver par là que tous mes desseins sont bons, quelque étranges et merveilleux qu’ils paraissent à la raison ; et celui qui vit dans l’Amour de Jésus Christcroira que toutes les bonnes choses que j’avance viennent de Dieu, comme dit S. Jaques. Ainsi donc celui qui vit dans l’Amour de Christne suspectera rien là dedans. Mais celui qui estencore en doute si le bon dessein que j’ai estde Dieu fait bien voir par-là qu’il ne vit pas encore dans cette Charité de J. Christ, laquelle croit tout ce qui estbon ; et qu’il n’estpas encore conduit par l’Esprit saint duquel je tire tout le bien que j’écris. Cela estincontestablement vrai. Que chacun éprouve donc de quel esprit il estconduit, de peur qu’il ne se trompe soi-même par une foi imaginaire et par des simples opinions, s’imaginant et se faisant à croire d’avoir la vraie foi et d’êtreconduit par le S. Esprit, quoiqu’il ne le soit que par un esprit mauvais. Mais celui qui s’emporte de colère au sujet de ce que j’écris témoigne justement et incontestablement par là qu’il estgouverné par un esprit de malignité, de haine, d’envie, et d’orgueil : car la charité supporte tout ; et quiconque vit dans la charité de Christ, dans la douceur, et dans l’humilité, sait tout supporter : et c’estpar cela qu’il fait connaître qu’il estrégi par l’Esprit de Jésus Christ. Que chacun donc se sonde bien soi-même sur ceci, afin qu’il sache quel Esprit a le domaine dans son cœur. Que si quelqu’un a dans son cœur des mouvements de résistance à l’occasion de ce que j’écris comme je sais, et que son cœur en soit inquiet, celui-là estrégi par l’esprit malin, quand même il ne contredirait pas à ce que j’écris, et qu’il ne ferait pas paraître devant le monde qu’il y est contraire.
106. Mais celui qui aime dans son cœur ces bonnes choses que j’écris, et dont le cœur en est réjoui, celui-là a le S. Esprit pour Conducteur et pour Maître de son cœur ; et cette étincelle de l’esprit, cette divine étincelle du feu de l’êtreCéleste, estallumée dans lui comme par un vent venant du S. Esprit par mon entremise : et ce vent spirituel esttout divin et efficace, il ne passe et ne s’évanouit point comme le vent matériel, car le S. Esprit estvraiment comme un vent : comme le vent souffle où il veut, et que nul ne le peut empêcher, et que par son souffle d’un petit feu il en fait un grand, ainsi souffle le S. Esprit partout où il veut : nul ne peut l’empêcher, et d’une petite étincelle du feu spirituel, il en peut faire un grand feu par son divin souffle. Ces choses sont sans doute étranges à la raison. Mais si quelqu’un ne les peut comprendre, et qu’il lui semble qu’elles soient contraires à la parole de Dieu ; qu’il en confesse de bouche avec moi, et je les lui expliquerai en telle sorte, s’il veut m’écouter en charité, qu’il sera satisfait sur cela, et qu’il ne lui semblera plus que ces choses soient contre la parole de Dieu ou contre sa Puissance : car Dieu peut faire, et il fait même toujours, tout ce qu’il veut ; et il peut se manifester en mille et mille manières, autant et comme il lui plaît. Quant à ceux qui ne peuvent ou qui ne veulent pas entendre de ces sortes d’expressions, et qui ne viennent pas en conférer avec moi, et m’en demander le sens, afin que je leur puisse répondre et m’expliquer ; que ceux-là ne les blâment point aussi : qu’ils laissent sur mon compte tout ce que j’écris et qui leur paraîtétrange, et qu’ils prennent seulement garde au but où tous mes desseins tendent, savoir, à Christ. Que ce soit à lui qu’ils regardent, qu’ils le suivent dans sa sainte Doctrine et en sa sainte vie, qu’ils se laissent régir par le S. Esprit et mouvoir à tout bien ; afin qui s puissent toujours vivre dans l’Esprit, et non pas dans la raison humaine ; et qu’ainsi ils deviennent régénérés par le S. Esprit dans lequel ils aient la vie, soient des nouvelles créatures et participent à la Nature Divine, laquelle estun Être éternel, tout de feu, tout-puissant, tout divin. Que s’ils en sont participants et qu’ils vivent de la sorte dans Dieu et Dieu dans eux, alors ils pourront bien aimer tous les hommes du monde, les amis aussi bien que les ennemis, et pourront converser en charité aussi bien avec leurs ennemis qu’avec leurs meilleurs amis. C’estce que peuvent faire les hommes qui sont participants de la nature Divine, qui vivent dans Dieu et dans qui Dieu vit. Ils trouvent dans eux une force si Divine, que par elle ils peuvent porter patiemment toutes leurs croix ; quelque grandes et étranges qu’elles puissent être, ils ne laissent pas de pouvoir les porter patiemment.
107. Il faut maintenant que je finisse ce récit que j’ai fait de ce qui m’arriva après que la vision fut disparue, et de ce qu’à cette occasion je devais avertir chacun d’être soigneux dans sa vocation, et de ne point faire l’œuvre du Seigneur négligemment ; autrement qu’ils seraient rigoureusement frappés de Dieu, comme le seront sans doute encore davantage ceux qui non seulement ne font point du tout l’œuvre de Dieu, mais qui font même l’œuvre du Diable : et comme le feront plus que tous ceux-ci ceux qui non-seulement ne font nul bien eux-mêmes, mais qui à leur possible veulent empêcher de bien faire ceux qui veulent bien faire, afin qu’ils ne puissent en expédier de bon dans l’œuvre de Dieu. Que chacun pense sérieusement à ceci. Et qui voudra, fasse autant de bien devant le monde qu’il lui plaira ; si néanmoins il n’agit par un cœur bon, plein de foi, plein d’amour, de douceur, d’humilité, tout ce qu’il fait ne vaut rien devant Dieu : car Dieu regarde le cœur ; et tout ce qui ne vient pas de la Foi ne vaut rien devant Dieu, quelque bon qu’il paraisse devant les hommes : devant Dieu ce n’estque du mal et des péchés : car Dieu ne se soucie point des beaux discours extérieurs qui sont puisés de la parole de l’Écriture Sainte, lorsque le cœur n’estpas bon et droit, et que les paroles ne sont pas dites dans le S. Esprit et par lui.
108. Celui qui parle les paroles de Dieu par le S. Esprit fait aussi dans la charité par le S. Esprit toutes sortes de biens tant à ses ennemis qu’à ses amis : il ne hait et ne méprise personne, il n’enseigne rien de mauvais, et il n’interprète rien en mauvaise part, mais il interprète en la meilleure part tout ce qui estencore douteux, dont l’on estincertain s’il estbon ou mauvais : il en dit plus volontiers du bien que du mal. C’estainsi qu’agit une personne qui vit dans l’esprit de Jésus Christ, et dont le cœur estbon. Que donc chacun examine bien quel cœur il a, et qu’il ne s’appuie point sur des beaux discours tirés de la parole de Dieu comme si par-là il devait connaître qu’il estun vrai Chrétien. Non. Mais c’estpar la bonté du cœur et par la charité de Christqu’il le doit connaître : car c’estl’unique marque du vrai Chrétien, par laquelle on peut le connaître, comme le dit Jésus Christ, et non pas par l’intelligence qu’il peut avoir de la parole de Dieu, ni parce qu’ils retiennent et qu’ils conservent littéralement la parole de Jésus Christ. Certes si avectout cela l’on ne vit dans la Charité de Jésus Christ, tout cela n’estrien devant Dieu. Les méchants peuvent aussi conserver et retenir extérieurement les paroles de Jésus Christ, C’estpourquoi ce n’estpas là la marque d’un vrai Chrétien. Mais les méchants ne peuvent vivre dans l’Amour de Jésus Christ : cette marque leur manque, car elle estpropre aux seuls gens de bien et aux vrais croyants.
109. C’estdonc par cette marque de la CHARITÉque sont discernés et distingués les méchants d’avec les gens de bien ; car il n’y a que ces derniers seulement qui aient cette marque d’AMOUR : et ceux qui vivent dans cet Amour de Jésus Christsont des véritables croyants et des vrais Chrétiens, de quelque nom qu’on les appelle d’ailleurs, et en quelque Religion qu’ils soient, quand même ils erreraient par ignorance davantage qu’ils ne font dans les opinions qu’ils admettent. Si néanmoins ils vivent dans la Foi que le S. Esprit opère dans le cœur, laquelle estagissante par la charité, toutes leurs fautes et tous leurs péchés leur sont pardonnés dans la foi. Au contraire ceux-là sont infidèles et Anti-Chrétiens qui, quoiqu’ils aient une droite intelligence de tout à la lettre et qu’ils observent extérieurement fort bien tout ce que Jésus Christa institué, ne vivent pas moins dans la Foi que le S. Esprit opère dans le cœur, ni dans la Charité de Christ, dans la Douceur et dans l’Humilité. De telles personnes sont tout autant d’infidèles, qui nonobstant la vérité de leurs connaissances etde leur science extérieure, seront damnés s’ils demeurent avec elles dans leur vieille naissance, où il est impossible qu’ils soient sauvés. S’ils veulent être sauvés, ils doivent naître de nouveau, comme dit J. Christ.
110. Mais ceux qui vivent dans la régénération ont un cœur plein de bonté, meurent toujours de plus en plus à l’amour propre, à l’amour de l’argent, et l’amour du monde, à l’orgueil, à la haine, à l’envie, et à toutes sortes de maux : ils n’y vivent plus comme les irrégénérés et les méchants y vivent. Un régénéré vit au contraire dans l’Amour de Jésus Christ, dans la douceur, dans l’humilité, et dans toutes sortes de vertus Chrétiennes ; il s’étudie d’y vivre toujours de mieux en mieux, d’y augmenter, d’y croître : et ainsi il imite J. Christ dans la régénération, se renonce soi-même, prend sa croix, et la porte patiemment après Jésus Christ. Ceux-làsont des vrais et des fidèles Chrétiens, en quelque Religion qu’ils soient élevés, il n’importe : car ils vivent dans la vraie religion Chrétienne ; dans laquelle seule ils seront sauvés, et nullement dans aucune des Religions des hommes, quelque nom qu’elle porte : car l’Écriture ne sait rien de toutes ces Religions humaines, ni de tant de noms et d’opinions d’hommes. Mais quiconque observe la parole de Dieu, l’aime, et la pratique, s’humilie devant Dieu et devant les hommes, craint Dieu, fait ce qui estdroit, et imite Jésus Christen sa vie, un tel estacceptable à Dieu, et il vit par cela même dans la vraie Religion Chrétienne : et qui vit autrement ne vit point dans la Religion Chrétienne.
111. Or ceux qui vivent dans la Religion Chrétienne auront assurément de l’amour et de l’estime pour tout ceque j’avance par le S. Esprit : ils le prendront à cœur, le méditeront, et le considéreront de bien près. Mais il s’en trouve bien peu qui aiment ce que le S. Esprit me fait produire : car quoique tous ne le méprisent et ne le calomnient pas, cependant ils ne l’estiment pas assez, le laissent aller comme il va et n’amendent pas leur vie à ce sujet ; mais ils demeurent dans leur vieille vie pécheresse et méchante, n’examinent point s’ils sont dans la nouvelle naissance, ou encore dans la vieille ; n’invoquent point Dieu pour recevoir le S. Esprit afin d’êtrerégénérés par lui, et ne prient pas assez pour l’obtenir ; quoique s’ils veulent, ils pourraient bien prier afin de le recevoir lorsqu’ils désisteraient des péchés grands et connus. Car autrement, nul de ceux qui vivent dans des péchés qu’ils connaissent ne peut recevoir le plus noble, le plus précieux, et le plus digne de tous les dons, savoir le S. Esprit, selon cette parole de Jésus Christ, le monde ne peut recevoirle S. Esprit, c’està dire, les personnes mondaines, qui vivent dans des péchés connus, qui cherchent les plaisirs du monde, qui tâchent à s’enrichir sur la terre, qui s’estiment beaucoup elles-mêmes, qui vivent en fierté, en orgueil, en haines, en envies, en injustices, qui blâment et calomnient leurs prochains, qui résistent à Dieu, à sa parole, à ses œuvres merveilleuses et divines, et à son admirable conduite. Ceux qui agissent de la sorte sont des gens du monde, qui ne peuvent recevoir le S. Esprit aussi longtemps qu’ils ne cessent de vivre de la sorte : combien moins peuvent-ils le recevoir lorsqu’ils lui résistent par des péchés contre la conscience ? Certes ils ne le peuvent recevoir aussi longtemps : quand bien ils feraient pour cet effet mille et mille prières de bouche, tout esten vain ; même ils ne peuvent bien prier : mais alors seulement prient-ils bien lorsqu’ils s’abstiennent des péchés connus, du mensonge, de l’injustice, des injures et des calomnies, et d’autres grands péchés de cette sorte, desquels ils peuvent bien s’abstenir avec leurs forces humaines, pourvu qu’ils le veuillent : car ils ont tous assez de grâce de Dieu pour cela, et peuvent bien s’adonner avec soin par la grâce de Dieu à la vérité et à la justice si leur entendement humain estdroit et bien disposé : ce qui estaussi une grande grâce de Dieu. Que s’ils se servent bien de cette grâce ; Dieu leur en donnera davantage : il leur donnera même gratuitement le S. Esprit, lequel opérera dans leurs cœurs toutes sortes de biens par lesquels ils seront enfin sauvés.
112. Ainsi tout ce que l’homme a estun pur ouvrage de la grâce, tant ce qu’il a dans la vie naturelle et humaine que ce qu’il possède dans la vie surnaturelle et céleste. Nul homme donc ne peut s’attribuer aucun bien, puisque tous les biens viennent de Dieu, les naturels aussi bien que les surnaturels ; et l’homme doit universellement donner à Dieu la gloire de tout le bien qu’il fait, dans la vie naturelle et dans la spirituelle. Nul donc ne doit s’enorgueillir, ni devenir fier, ni désirer honneur ou récompense, lorsqu’avec la grâce de Dieu il fait plusieurs choses bonnes par ses forces humaines : il ne doit pas s’en élever par dessus les autres, mais s’en humilier au dessous de tous, et ne chercher nul honneur dans ce monde pour tout ce qu’il fait : il ne doit chercher en tout que l’honneur de Dieu et le bien de son prochain.
113. C’està quoi je veux pour conclusion exhorter un chacun par le mouvement du S. Esprit. Que chacun emploie de cette sorte ses dons naturels, et qu’il prie Dieu pour les dons célestes, que Dieu veuille par sa grâce lui donner ces célestes dons, ces excellents dons, le très digne S. Esprit, lequel puisse opérer dans son cœur la Foi et tous biens ; et qu’ainsi il soit justifié et sauvé, ici par manière de commencement, et d’une manière parfaite dans l’éternité : et tout cela par la pure grâce et la miséricorde de Dieu, sans nulles de ses œuvres ni aucuns siens mérites : car l’homme ne peut rien mériter devant Dieu avec tout le bien qu’il fait ; puisqu’il ne peut faire nul bien de soi-même sans Dieu : car tous les biens viennent de Dieu ; tant les naturels que les surnaturels et spirituels : les dons naturels viennent aussi bien de Dieu, puisqu’ils sont bons ; et les surnaturels et célestes sont des dons parfaits ; et tous viennent de Dieu, selon la doctrine et les paroles de S. Jacques. C’estpourquoi les hommes doivent recevoir de la main de Dieu tous les dons qu’ils veulent avoir, et doivent penser sérieusement à cette parole de S. Paul : Qu’as-tu, ô homme, que tu ne l’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu ?
114. Que chacun pense bien à cette parole et qu’il donne à Dieu l’honneur de tout comme ayant tout reçu de lui. Alors l’honneur propre et la propre gloire tomberont bas de soi-même, dans lui. Qu’il s’humilie toujours, qu’il vive dans l’humilité ; et plus Dieu lui donne de dons par sa grâce, plus humble aussi en doit-il être : qu’il ait une horreur pour l’honneur propre, qu’il ne vive point dans le désir de la gloire, qui estla racine de tous maux : car si Ève n’avait pas eu ce désir et n’avait pas voulu êtredavantage que ce que Dieu voulait qu’elle fût et qu’elle étaiten effet, elle ne serait pas tombée dans le péché : mais sitôtqu’elle aima l’honneur et que contre la volonté de Dieu elle voulut êtreégale à Dieu, elle tomba en péché. Ainsi donc tout péché vient du désir d’honneur, et c’estla racine de tous les maux ; et partant que chacun s’en préserve, et qu’il apprenne de Jésus Christdans son cœur l’humilité et vive toujours en elle.
115. Dieu pour cet effet donne sa grâce et sa bénédiction à tous ceux qui y aspirent sérieusement. C’estce que je souhaite à tous du fond de mon cœur par le grand Amour que j’ai pour eux. Ceux qui désirent ceci de tout leur cœur recevront aussi de la grâce de Dieu de pouvoir vivre toujours dans l’humilité : il n’en faut point douter. Je recommande tous les bons Chrétiens à la Charité et à la miséricorde de Dieu. Dieu veuille nous gouverner tous par son S. Esprit, nous mener et nous conduire en toute vérité ; et alors sommes-nous des personnes vraiment heureuses, ici par manière de commencement, et ensuite dans l’éternité en pleine perfection. Amen.
Écrit à Embden, l’an 1640, le jour de S. Thomas, qui d’incrédule qu’il était est devenu croyant. Dieu veuille aussi rendre vraiement croyants tous ceux qui sont encore des incrédules.
JEAN ENGELBERT, de Brunswick.
Envoyé du Très-haut.
F I N.
1 Jean 6, v. 60.
2 I Rois 19, v. 19.
3 2 Rois 7, v. 1, 2.
4 Jér. 29, v. 26, 27.
5 Amos 7, v. 14.
6 Amos 7, v. 13.
7 Matth. 11, v. 18.
8 Jean 8, v. 48.
9 Matth. 3 et 23. Jean 8, v. 44.
10 Act. 4, v. 13.
11 Act. 26, v. 24.
12 Act. 17, v. 18.
13 Jér. 29, v. 26-28.
14 Jér. 36, v. 23.
15 Act. 6, v. 13.
16 Amos 7, v. 10.
17 Jér. 36, v. 19-26.
18 Jean 3, v. 2.
19 Ps. 56, v. 6. Isa. 29, v. 21. Matth. 22, v. 15.
20 Joël 2, v. 28.
21 Isa. 11, v. 9.
22 I Cor. 13, v. 1-8.
23 Jean 7, v. 17.
24 Jean 8, v. 31-32.
25 Jean 10, v. 4-5.
26 Matth. 11, v. 25.
27 I Cor. 1, v. 27-28.
28 Luc 16, v. 31.
29 I Cor. 1, v. 22-23.
30 Ps. 4, v. 3.
31 Voir les numéros 64 à 67 où il est parlé du « temps de la grâce ». L’auteur recourt avec justesse à cette notion, qu’il devrait toutefois employer au pluriel, puisqu’il est impossible que, sur la durée infinie, la miséricorde divine n’ait décrété qu’un seul court laps de temps où la grâce est possible. Il s’ensuit que l’Éternel multiplie nécessairement les temps de grâce comme autant d’intervalles pendant lesquels s’ouvre le « Livre de vie » pour une durée déterminée, ainsi que l’atteste la réitération des « temps d’alliance » dans l’Histoire sainte. Jean Engelbert se contredit donc ici en parlant d’un châtiment « infini et sans fin ». Il faut bien toutefois reconnaître, à sa décharge, que la contradiction entre les peines infinies et la bonté divine inépuisable était encore très peu sensible aux esprits de son temps et que le mot éternel avait perdu depuis longtemps son sens primitif de « hors du temps » pour prendre celui de « qui n’a pas de fin ». Les révélations authentiques plus récentes viennent heureusement rectifier cette erreur qui a égaré tant d’esprits, même parmi les plus doctes... (Note de Biblisem.)
32 Bien prendre note que le mot verge est ici suivi du qualificatif d’or, lequel lui confère un sens essentiellement métaphorique. Il s’agit donc ici de contraintes disciplinaires bien davantage que de châtiments physiques, bien qu’à l’époque de la rédaction de ce livre ces derniers fussent encore d’usage universel.
33 Voir supra la note numéro 31. (Note de Biblisem.)
34 L’idée que certains soient plus damnés que d’autres exclut toute idée d’infini. Un infini ne peut pas être plus infini qu’un autre. Si donc certains sont plus damnés que d’autres, les peines ne peuvent alors pas être infinies ni pour les premiers ni pour les seconds. L’auteur vient donc ici contredire lui-même les passages où il parle de peines infinies. (Note de Biblisem.)
35 Apoc., 16, v. 19.
36 Étant bien entendu qu’il est inconcevable que l’Éternel puisse « se fâcher », il faut comprendre que l’auteur recourt ici aussi, nolens volens, aux « raccourcis pédagogiques » en usage dans les écrits prophétiques et le discours théologique traditionnel. (Note de Biblisem.)