Marie et l’Allemagne

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Carl FECKES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DE même que c’est l’esprit grec qui nous a valu le premier âge d’or du culte envers Marie, ainsi qu’en témoigne l’histoire, de même c’est à l’esprit germanique une fois devenu majeur au sein du christianisme que l’Église est redevable du second âge d’or de la piété mariale. Ce fait prouve à lui seul que tous les peuples européens qui ont leur racine dans le monde chrétien germanique ont des relations très spéciales avec la T. S. Vierge et son culte. Plus ils ont pénétré avant dans le Royaume de Dieu avec leur fond germanique et plus profonde a été leur transformation par le christianisme, plus ressort avec éclat la note mariale dans leur vie religieuse. C’est ce qui explique précisément, pourquoi les pays du Nord de l’Europe, qui n’ont reçu le christianisme que plus tard et ont été moins marqués par lui, révèlent une tendance mariale moins accusée que ceux situés plus au Sud.

L’Allemagne d’aujourd’hui, c’est-à-dire l’Allemagne occidentale avec ses principales tribus, comme les Saxons, les Francs, les Alémans, les Bajuvares, etc., est parmi les pays qui sont entrés entièrement dans l’Église au Moyen Âge, tandis que l’Allemagne orientale, de l’autre côté de l’Elbe, doit être considérée comme un pays de colonisation. Voilà pourquoi il était inévitable que cette Allemagne, grâce à un tel enracinement historique, participât dans une large mesure au second âge d’or du culte marial dans l’Église, et qu’aussi longtemps que ce fondement historique est resté, elle a vécu en union intime avec la T. S. Vierge, et de même va-t-il en être encore dans l’avenir.

Qu’en fait le second âge d’or de la piété mariale catholique eut été ouvert par l’esprit germanique, c’est ce que suffirait à démontrer l’époque même à laquelle il a existé, et qu’il faut placer de 1000 à 1400, ou un peu plus tard. C’est ce que démontrent également les noms de ses principaux représentants, dont on ne peut donner plus de quatre : ceux du Lombard S. Anselme avec ses disciples, du Bourguignon S. Bernard, du Souabe S. Albert (le Grand) et du Saxon S. Conrad.

C’est ce que ne trahit pas moins la direction dans laquelle s’est développée en ces derniers temps l’idée mariale chrétienne. L’esprit grec, si épris du domaine des idées, s’était littéralement enivré, dans la période qui suivit le concile d’Éphèse (431) jusque vers l’an 800, de l’idée sublime d’une Vierge Mère de Dieu, et, dans sa langue si déliée et si sonore, l’avait exaltée comme jamais on ne l’a fait depuis. Le Germain au contraire contempla l’image de Marie telle que nous la présente la Révélation avec son respect traditionnel de la femme et toute la richesse de sa sensibilité. Au lieu de la Vierge-Mère que semblaient lui montrer, sévère, étrange et unique, les icones byzantines et les mosaïques romaines, sa sensibilité conçut sans porter la moindre atteinte, bien entendu, à la substance du dogme reçu jusque là, l’image de Notre-Dame, ainsi qu’on l’appelle encore aujourd’hui, de façon bien caractéristique, dans la plupart des langues européennes. C’est qu’il voyait dans Marie la plus belle, la plus noble, la plus aimante et la plus vertueuse de toutes les femmes, à laquelle il importait hautement d’amener les chrétiens à l’esprit germanique de présenter leurs hommages. De même que le chevalier s’adonnait à la galanterie, de même le chrétien germanique se livrait à la louange et à l’amour devant la Dame céleste qu’il ne pouvait jamais assez se représenter comme toute parée de grâces, de dons, de charismes et de prodiges. C’est ce dont témoignent encore les œuvres mariales du Moyen Âge, à commencer par le superbe tableau de jeunesse du grand Albert (Dürer). C’est ce dont font foi également ces chants immortels, hymnes et antiennes, composés alors en l’honneur de Marie et qui, encore aujourd’hui, constituent un trésor si précieux pour l’Église.

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que le Saint-Empire Romain Germanique ait été une terre mariale bien marquée et toute couverte de sanctuaires innombrables en l’honneur de la T. S. Vierge, sanctuaires qui servaient en même temps de lieux de refuge pour le Germain. De même, en effet, qu’il aimait à faire panser par la main délicate d’une femme les blessures reçues au cours des batailles, de même avait-il recours, dans tous ses besoins du corps et de l’âme, à cette Dame céleste, pour se cacher sous son large manteau protecteur, et obtenir miséricorde, grâce à sa toute-puissante intercession, auprès de son divin Fils. Aussi la Vierge au manteau protecteur devint-elle un sujet favori pour les artistes.

À l’instar des autres pays du Saint-Empire Romain Germanique, l’Allemagne d’aujourd’hui se couvrit alors, elle aussi, d’un réseau serré de sanctuaires de la Vierge. C’est ce qu’aurait pu faire à lui seul l’Ordre de Cîteaux, alors si répandu chez nous, et qui faisait déborder l’ardente piété mariale du Grand S. Bernard au point que toutes ses églises étaient autant de temples consacrés à Marie. Au fait, il n’est pas un district de notre pays qui ne pourrait faire montre d’un ou de plusieurs lieux de pèlerinages à cette auguste Reine  : tantôt s’agit-il d’un sanctuaire qui n’est connu que dans un petit district et n’est fréquenté que par les fidèles des alentours ; tantôt les pèlerins, attirés de loin, viennent en foule à certaines fêtes ou certains jours déterminés ; tantôt enfin, c’est un flot ininterrompu de pèlerins qui se succèdent tous les jours de l’année.

Il serait impossible d’énumérer ici même les plus connus des sanctuaires de la T. S. Vierge en Allemagne, ou de démontrer par des statistiques qu’ils restent toujours encore, aujourd’hui, des lieux favoris de dévotion ou de pèlerinage pour les âmes pieuses. L’esprit de foi du simple peuple et l’amour de la grande masse de nos catholiques envers Marie ont conservé bien vif en eux, jusqu’ici, l’attachement aux sanctuaires de la Vierge en terre allemande. Encore aujourd’hui, ce sont des foules innombrables de catholiques allemands qui vont demander secours et consolation à Marie dans ses sanctuaires ou devant ses images ou statues dans leurs églises paroissiales et chantent avec un saint enthousiasme les louanges de leur Mère du ciel. Encore aujourd’hui, un pèlerinage, plus ou moins éloigné ou prolongé, selon les circonstances, reste toujours au programme d’un grand nombre de familles. Pour n’en nommer que deux entre tant d’autres, mentionnons ici les deux plus célèbres de ces lieux de pèlerinage de nos campagnes allemandes : Altotting, en Bavière, et Kevelaer sur le Rhin inférieur, à proximité de la frontière hollandaise. Le premier est intimement lié à tout ce que la Bavière a de plus cher, car c’est là, auprès de la Mère commune, que l’on conserve le cœur du grand champion de la cause catholique durant la guerre de Trente Ans (1618-1648), le général Telly, et de ceux des Wittelsbach, les souverains de Bavière durant des siècles ; ce n’est pas en vain que Marie est la patronne de la Bavière. Grâce à sa situation privilégiée, face à la région, à la population si dense, du Rhin et de la Ruhr, ce sanctuaire attire bon an mal an de telles foules de pèlerins qu’elles dépassent de beaucoup, en nombre, celles du sanctuaire même autrement célèbre, pourtant, de Lourdes.

Pour qui parcourt les nombreux sanctuaires de Marie en Allemagne, et s’arrête un tant soit peu à étudier les images ou statues de la Vierge littéralement assiégées de priants des églises paroissiales allemandes, c’est un grand sujet d’étonnement que de constater la place énorme que prend, dans la dévotion mariale allemande, le culte de la Mère des Douleurs. Encore un trait que nous tenons de la piété du Moyen Âge, de la fin de ces siècles de foi pour être plus précis. C’est la mystique de la Passion, prêchée avec tant de force par un S. François d’Assise en particulier, qui tourna les regards des chrétiens sur la Mère du Sauveur, souffrant avec Lui debout au pied de la Croix. C’est ce qui explique pourquoi le groupe appelé Pieta (Vesperbild ou Tableau du Soir en allemand) qui représente la Vierge-Marie tenant sur son sein le corps de son Fils descendu de la Croix, devint l’une des images favorites de la fin du Moyen Âge. Cette image plaisait particulièrement à l’âme allemande, représentée alors, sous sa forme la plus noble, par les célèbres mystiques allemands du temps. Avec quel cœur n’ont-ils pas chanté cette haute idée religieuse et mariale ! On la rencontre à chaque pas dans nos campagnes allemandes, et depuis toujours elle ne cesse d’apporter réconfort et consolation aux âmes qui souffrent. Au point que l’on est presque tenté de se dire que si la divine Providence a voulu doter le peuple allemand de cette image en particulier plutôt que de telle autre représentant Marie, c’est précisément parce que ce peuple devait avoir tant à souffrir dans la suite, d’abord à l’époque si malheureuse de la Réforme protestante, puis au milieu des horreurs sans nom de la guerre de Trente Ans, enfin par suite des divisions politiques et religieuses des siècles suivants jusqu’à nos jours. Si les catholiques allemands ont pu, après tant d’épreuves de toutes sortes, à l’étonnement de tout l’univers, se remettre avec un courage renouvelé aux tâches écrasantes qui les attendaient, c’est à la force et aux consolations puisées auprès de la Mère des douleurs qu’ils le doivent en très grande partie.

Nous venons de mentionner la Réforme. Nous touchons par là un point dans les relations entre Marie et l’Allemagne qu’en raison de son importance et de ses conséquences tragiques nous ne pouvons vraiment passer sous silence. Luther lui-même avait beau n’être nullement hostile au culte de Marie, ainsi que le démontre son magnifique commentaire du Magnificat, il s’ensuivait fatalement de la doctrine nouvelle, en particulier de son rejet de toute libre coopération de l’homme à son propre salut, que pour ses tenants les concepts de la Mère de Dieu et de Notre-Dame se ramenaient tout bonnement à celui de « Marie femme ordinaire du peuple » (« die Maria »), ainsi que les protestants allaient se plaire à l’appeler par la suite. Cette expression si terre-à-terre montrait déjà à l’évidence qu’ils n’entendaient reconnaître à la Sainte Vierge aucune place à part du sein de la masse du peuple juif fidèle et niaient absolument que la maternité divine pût comporter pour Elle aucune conséquence quelconque.

Qui donc dira jamais le vide immense que signifie, dans le chœur des chantres marials d’Allemagne, la perte de si grandes masses de populations et de si vastes territoires. Il y a déjà plusieurs siècles que des forces intellectuelles et religieuses considérables sont à l’œuvre en Allemagne qui non seulement ne sont plus activement mariales comme jadis, mais s’affirment directement, farouchement même, antimariales. De nombreux sanctuaires marials ont été arrachés à leur destination première, quantité de lieux de pèlerinages, ont été fermés, d’innombrables images et statues de Marie ont disparu. Dans trop de régions de notre pays, le catholique ne peut que frissonner d’horreur en constatant l’absence du Dieu de l’Eucharistie pas moins que de sa Mère du ciel. Que d’inspirations d’ordre marial il y aurait là pour les parties de l’Allemagne restées catholiques si l’on y eût seulement conservé le dépôt marial antérieur, ainsi qu’il est advenu au sein des Églises schismatiques orientales ? Est-ce que les observateurs étrangers attachent toujours à ce facteur toute l’importance qu’il mérite, quand ils parlent des lacunes regrettables qu’il y a lieu de signaler dans l’amour et le culte de Marie en Allemagne ?

À cette perte colossale s’en ajoute une seconde. Le voisinage constant et immédiat avec les compatriotes à l’âme antimariale devaient finir fatalement par jeter un froid sur la piété mariale de l’Allemagne catholique, qui ne pouvait que s’en ressentir douloureusement, et par paralyser l’enthousiasme marial des Allemands catholiques. Pas un pays d’Europe n’a vu vivre dans un voisinage aussi rapproché deux confessions religieuses différentes et si opposées, pas même la Suisse où les cantons ont tout de même une vie propre bien caractérisée. Est-ce que les autres peuples sont bien en mesure de comprendre et d’apprécier ce fait à sa juste valeur ?

L’histoire est certes là pour démontrer avec quel amour les Allemands restés catholiques à l’époque de la Réforme ont défendu le culte de leur céleste Reine. C’est ce dont témoigne, entre tant d’autres choses, le livre incomparable sur Marie de l’illustre Pierre Canisius, qui connut une bien large diffusion alors et qui a même été réédité en ces tout derniers temps : tant et si bien que l’on pourrait appeler l’époque de la restauration, ou contre-réforme catholique qui suivit les années si tristes des guerres de religion, une époque à l’allure nettement mariale. Est-ce que ce ne sont pas précisément les Congrégations Mariales de tous les corps organisés, chez les gens cultivés tout particulièrement, qui ont constitué le gros des troupes de choix de la contre-réforme ? Ces Congrégations ont si bien donné le ton à toute la vie catholique dans l’Allemagne moderne, qu’elles sont restées son principal point d’appui jusqu’à la guerre de 1914. C’est avec cette époque de restauration mariale que s’ouvre l’âge d’or du style baroque, et c’est en elle qu’il s’est traduit sous une forme visible. Comme c’est surtout le Sud de l’Allemagne qui a été le théâtre de cette restauration, c’est lui qui a été le domaine par excellence de l’art baroque. Or, l’on ne peut parler de cet art sans évoquer aussitôt ses nombreux et superbes autels dédiés à Marie, ses statues et ses tableaux de la Vierge. Toutes ces choses disent encore bien haut la piété mariale de ces régions. L’image qu’on y retrouve de la Sainte Vierge est encore celle du Moyen Âge, simplement modifiée ou plus travaillée. Elle représente l’Immaculée-Conception, l’Assomption, le couronnement de Marie au ciel.

Si réelle et si authentique qu’ait été en terre allemande cette seconde floraison mariale, il est malheureusement trop certain qu’à l’époque où ce qui avait été l’orthodoxie protestante commença à faire place au rationalisme et au libéralisme, au « progrès » en un mot, et où l’élan contre la Réforme eût pratiquement cessé d’animer les catholiques allemands, l’enthousiasme marial chez ces derniers subit une baisse considérable. Moins auprès des classes populaires, à la foi naïve toujours en éveil, que dans les milieux cultivés cependant. C’est ce qui explique pourquoi l’on taxe volontiers de fort peu mariale, dans beaucoup de pays étrangers, la majeure partie des catholiques allemands, voire même de vraiment assez peu catholique, précisément parce que trop peu mariale. C’est à ce même facteur qu’il convient d’attribuer le fait que dans tous les mouvements marials modernes jusqu’à nos jours, il est constamment venu d’Allemagne quelque motif à retardement. Il peut être certes voulu par la Providence qu’il existe ainsi un facteur à retardement au sein de l’Église universelle, mais c’est là une possibilité qui n’excuse nullement ceux qui en sont la cause, pas plus qu’elle ne compense pareille déficience !

Il doit être bien difficile à un étranger de se faire une idée un peu exacte des conditions particulières d’ordre politique, économique ou autres par lesquelles est passée l’Allemagne depuis la guerre de Trente Ans : à plus forte raison est-ce le cas dans l’ordre spirituel ou intellectuel, surtout sur le terrain religieux strictement scientifique. La vie côte-à-côte, dans une union si intime de deux confessions différentes, la prépondérance croissante des protestants, l’intervention officielle si étendue, de la part de gouvernements protestants ou libéraux, dans les affaires ecclésiastiques et religieuses, le sentiment grandissant d’infériorité des catholiques avec, comme conséquence, les efforts constants d’un bon nombre de catholiques de s’adapter à cette politique protestante ou protestantisante de l’État en vue de se faire reconnaître par lui, tout cela a empêché l’Allemagne catholique, malgré tout ce qu’elle a fait au cours même de cette période et qui lui a largement valu l’admiration des pays étrangers, de cultiver davantage son caractère proprement, spécifiquement catholique, en le développant uniquement selon la foi, sans avoir constamment à jeter un regard timide autour d’elle. Faut-il s’étonner si les questions d’intérêt catholique, même les plus graves et les plus intimes, comme c’est précisément le cas pour la mariologie et la piété mariale, n’ont pu que souffrir considérablement de tels facteurs ? C’est qu’en effet, avec la papauté elle-même, il n’est rien qui révolte davantage le protestantisme moderne que le culte envers la S. Vierge.

À la genèse de l’époque de décadence mariale apparaît un ouvrage dont la perfidie n’a certes jamais été dépassée par aucun auteur : c’est le livre intitulé Monita salutaria Beatae Mariae Virginis ad cultores suos indiscretos (Avis salutaires de la. B. V. Marie à ses fils trop dévoués), du converti Adam Widenfeld, « converti » qui, de toute évidence ne s’est pas simplement débarrassé de tout son passé protestant, mais a subi, en outre, et à un haut degré, l’influence janséniste. Avec une hypocrisie sans égale, il met dans la bouche de la T. S. Vierge des Avis on ne peut mieux appropriés pour refroidir l’enthousiasme du plus ardent disciple de Marie et pour étouffer tout bonnement la piété mariale catholique la plus authentique. Ce livre empoisonné, a, hélas ! accompli son œuvre de mort, grâce aux divers facteurs que nous venons d’énumérer et qui lui avaient singulièrement préparé le terrain, et il continue de l’accomplir encore, dans une certaine mesure, jusque de nos jours, alors que de nombreux canaux moins malfaisants par ailleurs se chargent d’en répandre toujours à des degrés divers l’infecte doctrine.

Un autre obstacle à la vie mariale allemande a été, au siècle dernier, le concept scientifique de l’humanisme libéral, au moment même où la théologie catholique connaissait un important renouveau. Par trop prisonnière de cette fausse conception, voire même liée à elle, en quelque sorte, par suite de l’organisation régnante des Universités d’État, la théologie catholique allemande dédaigna de s’occuper de mariologie comme on le faisait en d’autres pays. Elle se trouva par là à tirer fortement de l’arrière en cette matière. On s’occupait presque exclusivement de rivaliser avec les protestants dans le domaine des recherches historiques et de s’imposer par là à leur attention. Quant à la mariologie, personne ne se sentait ni d’humeur, ni de taille à s’y aventurer.

On serait presque tenté de dire que c’est un véritable tour de force de la Toute-Puissance divine, le fait que c’est précisément dans les rangs des théologiens Catholiques allemands qu’Elle a daigné susciter tout récemment le plus grand mariologue des temps modernes, en la personne du R. P. M.-J. Scheeben, de Cologne. Il est connu aujourd’hui de tous les mariologues du monde entier, et ses enseignements font partout autorité, qu’il s’agisse des problèmes les plus ardus ou des développements les plus récents de cette branche de la science théologique : il est reconnu par tous, sans conteste possible, comme un maître.

Que dire de ce qui en est au juste, actuellement, de la piété mariale en Allemagne ? Rappelons d’abord que l’amour de la grande masse de notre peuple catholique envers la T. S. Vierge est resté partout fort et vivace. L’assistance remarquable, étonnante même, aux exercices du mois de Marie, les chiffres imposants qu’enregistrent les lieux de pèlerinage et le nombre si considérable de ces priants individuels qui, dans le silence et le recueillement de nos églises, viennent s’adresser à la Mère de Dieu devant ses autels, ses images ou ses statues, sont là pour nous le dire avec éloquence jour par jour, année par année. N’empêche qu’il faut tout de même constater de nos jours une baisse manifeste, chez nous, de la dévotion mariale héritée de nos aïeux, lamentable résultat que devait fatalement nous valoir l’évolution religieuse actuelle, avec son mouvement liturgique à l’allure extravagante et à l’archaïsme mal entendu de même que son christocentrisme mal compris. Disons toutefois que ce phénomène franchement malheureux aura au moins un avantage : le mal que se sont donné ces mêmes milieux pour découvrir ce qu’ils appellent la vraie figure biblique et liturgique de Marie, c’est-à-dire une étude à fond de la Sainte Écriture en vue de retracer les fondements de la Mariologie dans la Révélation et pour présenter le culte de Marie sous une forme ne laissant plus de place à l’arbitraire ni au subjectivisme. Beaucoup de choses bonnes et utiles ont déjà été ainsi mises à jour, et cela précisément par des chercheurs allemands, qui vont probablement influencer de plus en plus sur la piété mariale de l’avenir.

En face de ces milieux, qui agissent surtout à retardement, se dressent chez nous d’autres forces, qui ont inscrit formellement sur leur programme un culte marial bien marqué. Parmi ces forces, l’une des plus connues à l’étranger est sans doute l’œuvre connue sous le nom de mouvement de Schonstatt et que les Sœurs de Marie ont répandu jusqu’en Afrique et en Amérique. Ce mouvement s’appuie exclusivement, dans le domaine théologique, sur les enseignements de Scheeben et, dans l’ordre ascétique, sur le Traité de la Vraie Dévotion de S. Louis-Marie Grignion de Montfort. Il est sorti de là de vrais mouvements de vie qui tendent à rien moins qu’à transformer toute la vie chrétienne par, avec, dans et pour Marie. Étant donné le mystère de tous les évènements de la vie, ces développements se poursuivent encore beaucoup trop dans l’ombre pour que l’on puisse en dire de façon définitive si et dans quelle mesure ils peuvent affecter demain les rapports de l’Allemagne avec la T. S. Vierge.

Il est une chose, en tous cas, que l’on peut sûrement dire au sujet de l’Allemagne, tant en ce qui regarde sa situation politique que son évolution religieuse dans laquelle son aspiration vers l’Una Sancta joue un si grand rôle : tout, dans le moment, est encore en suspens. Précisons toutefois que même en territoire protestant, l’on voit apparaître à l’horizon un intérêt nouveau et un amour croissant pour la T. S. Vierge. En face de tout ce qu’à la lumière de l’histoire de la Réforme et de la division religieuse chez nous l’on pourrait appeler un mouvement de retour en arrière, est-il téméraire d’espérer de voir se réaliser, dans un avenir plus ou moins rapproché, le vœu ardent d’un grand nombre d’Allemands, celui que l’Allemagne redevienne comme autrefois, un grand pays marial ?

 

 

 

Carl FECKES.

 

Paru dans la revue Marie

en novembre-décembre 1950.

 

 

 

 

 

 

 

 

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