Divinisation du chrétien 1
par
A.-J. FESTUGIÈRE
L’homme est un être borné dans ses conditions naturelles, mais doué d’une puissance infinie de désir qui le porte inlassablement à s’élever plus haut que lui-même. L’antinomie ανθρωπινα φρονειν et το μέτρον υπερβηναι est apparue avec le premier homme ; elle ne disparaîtra qu’avec le dernier. υβρις = désir d’outrepasser la ligne, de se faire dieu – νέμεσις = vengeance des dieux contre le téméraire qui n’a pas connu ses limites, tout le drame de l’humanité s’inscrit entre ces deux pôles.
Le désir de devenir dieu suscita, chez les sages grecs, deux réflexions contraires. Ou ce désir est pure folie, et il faut donc le calmer : sagesse des poètes – Hésiode, Pindare, les tragiques, Antiphane – ; sagesse du dieu de Delphes, dont Hérodote est le témoin ; sagesse paysanne et proverbiale – « aux mortels, pensers de mortels 2 ». Ou ce désir exprime le plus profond de nous-mêmes, et il faut donc lui donner carrière, mais en le dirigeant. S’agit-il, pour devenir dieu, de laisser libre cours à tous ses appétits d’orgueil ? Alors naît le tyran, lui-même esclave, esclave de son désir et de sa crainte 3. De son désir, car il n’est jamais satisfait, il ne domine jamais assez. Il aurait beau commander sur l’universalité des hommes, s’il ne reste qu’un être libre, et qui refuse de l’adorer, il n’est pas dieu. Car, comme il ne possède point la déité par nature, il n’en peut nourrir l’illusion que s’il voit autour de lui des multitudes adorantes : ce sont tous ces genoux pliés qui lui confèrent l’être divin. Qu’un seul refuse de plier le genou, voilà notre tyran redevenu un homme, et le plus faible, car il est esclave de sa crainte. Un seul geste l’obsède, qui l’empêche d’être dieu. Donnez -lui toute la terre, il ne pensera qu’à cet unique individu, qui par lui-même n’est rien, mais dont le refus témoigne, fait surgir la présence de l’Autre, de Celui qui, par nature, est le seul Dieu.
Ce n’est donc point en se livrant à son orgueil que l’homme devient dieu. Puisqu’il n’y a qu’un Dieu par essence, l’homme n’obtient d’être divinisé que s’il participe à Dieu. Cela suppose deux conditions : a) que Dieu se donne, b) qu’il y ait en l’homme quelque principe de connaturalité avec Dieu. Certaines formes de la religion grecque et les plus éminents parmi les sages 4 ont pressenti le problème : mais celui-ci n’a été résolu que par le christianisme. Car d’une part la réalité du don divin se fonde maintenant sur le témoignage irréfutable de la vie et de la mort du Fils de Dieu. Et d’autre part l’homme s’assure qu’il participe de Dieu non plus seulement en raison de quelque ressemblance analogique entre son νους ou son λογος et l’être divin, mais parce que, dans cette même nature humaine qui est la sienne et qu’il ne quitte point, l’homme reçoit un principe de vie divine qui le rend, en un sens propre et littéral, connaturel à son Dieu.
Cette divinisation de l’homme n’est pas sans doute l’unique aspect du christianisme : mais c’en est, à coup sûr, un aspect capital. Qui considère notre doctrine sous ce jour a chance tout à la fois de l’embrasser dans son ensemble et de la pénétrer en son fond. Aussi bien est-ce un fait : l’idée de la théopoièse a été particulièrement chère aux Pères grecs. Du IIe au VIIIe siècle, d’Irénée à Jean Damascène, la plupart des grands docteurs de formation hellénique non seulement méditent sur ce thème, mais ils le tiennent pour le centre et le pivot de toute l’économie chrétienne. Il était donc fort légitime d’étudier la théopoièse dans son ampleur. Certes, une telle enquête comportera des lacunes : par son extension même l’objet déborde la prise. Mais il n’est pas douteux non plus qu’on ne prenne meilleure intelligence d’un phénomène en le voyant d’assez haut pour le saisir tout entier, depuis le moment où il naît jusqu’à celui où il atteint son parfait accomplissement.
La nature même de la doctrine imposait le cadre de l’ouvrage. Puisque le désir de devenir dieu est un problème foncièrement humain dont la philosophie grecque a bien pu trouver déjà l’expression naturelle la plus achevée, mais n’a pas su – et d’ailleurs ne pouvait – obtenir la solution ; puisque l’annonce de l’Évangile, la vie et la mort de Jésus sont la seule vraie réponse à ce désir, mais sous un mode sublime qui, dépassant infiniment la saisie ordinaire de l’intellect humain, voulait être explicité ; puisqu’enfin les Pères grecs, disciples tout à la fois des sages et de Jésus-Christ, conduisent à leur parfait τέλος les efforts de la pensée grecque grâce aux principes surnaturels que leur fournit l’Évangile, est-il une autre méthode que de suivre le cours des choses et de construire un triptyque dont le volet central sera nécessairement l’Évangile ? Tel est en effet le plan de M. Gross : Analogies helléniques, données bibliques et judaïques, doctrine des Pères grecs, cette dernière partie se subdivisant elle-même selon le progrès théologique : formation (des Pères apostoliques à Méthode d’Olympe), apogée (d’Athanase à Théodoret de Cyr), consolidation (de Cyrille d’Alexandrie à Jean Damascène) 5.
Pour être vraiment divinisé, il fout que l’homme participe de Dieu en un sens propre et littéral. Prenant appui sur le donné révélé qu’ils interprètent en fonction de la pensée hellénique, les Pères vont donc montrer a) que le premier Adam avait reçu un principe de vie divine, b) que le premier Adam ayant été dépossédé de ce principe par la chute originelle, le second Adam l’a restitué à l’humanité tout entière du seul fait de l’Incarnation.
Le premier point donne lieu à une exégèse fort curieuse de Gen. I, 26 χαι ειπεν ὁ Θεος ‛ποιησωμεν χατ’ ειχονα ημετέραν χαι χαθ’ ὁμοίωσιν (cf. 27 χαι εποιησεν ὁ Θεος τον ἀνθρωμον, χατ’ ειχονα Θεου εποιησεν αυτον). Il n’est pas douteux que, dans ce texte, ειχων et ὁμοίωσις ont le même sens. Mais les Pères vont en général distinguer entre les deux termes, sans les distinguer toujours de la même façon. Or ces précisions sont intéressantes en ce qu’elles font progresser des notions déjà fort élaborées soit par la philosophie grecque (ὁμοίωσις), soit par la gnose philonienne et hermétique (ειχων), et qu’on mesure donc ici, en un sujet bien délimité, comment la théologie a su nourrir et développer des concepts enfantés par la seule raison, avant la Révélation (du moins ὁμοίωσις) et indépendamment de celle-ci.
Marquons donc ce développement. Mais auparavant, comme la notion d’ειχων telle qu’elle apparaît dans l’hermétisme n’a été jusqu’ici l’objet d’aucune enquête, il n’est pas inutile d’en offrir l’analyse.
Ειχων, « image », dit nécessairement un modèle : le modèle est toujours le Premier Dieu. Mais ce Premier Dieu peut être modèle direct ou indirect. Il est modèle direct : a) de l’Anthrôpos ou Premier Homme céleste dans le mythe du Poimandrès (C.H. I 12) ; b) du monde dit second Dieu (C.H. V 2 ; VIII 2 δευτερος δε (Θεος) ὁ χατ’ ειχονα αυτου (t. Θεου), XII 15, Ascl., 10, 31) ou de la nature (I, 31 (Θεος) ου πασα φυσις ειχων έφυ ; c) de l’Aiôn (XI 15 ειχων του Θεου ο αιων) ; d) du λογος (XII 14 ὁ ουν λογος εστιν ειχων χαι νους του Θεου) ; e) enfin, en un certain sens, de tout ce qui est créé (XI 21 fin ουδεν γαρ εστιν ο ουχ εστιν ειχονι : « rien n’existe que Dieu ne soit pas par son image »). – L’homme est dit seconde image de Dieu (à côté du monde) Ascl. 10, sans qu’on puisse décider s’il l’est directement ou au second degré, comme image du monde. – Le sens de C.H. XVI titre (ὁ χατ’ ειχονα ἀνθρωπος) est douteux. – Les Empereurs sont dits χατ’ ειχονα (du Roi Suprême) XVIII 8, mais dans un morceau plus rhétorique que philosophique.
Dieu est le modèle indirect de l’homme par l’intermédiaire soit du monde (VIII 5 χατ’ ειχονα του χοσμων), soit de l’Aiôn, du monde et du soleil (XI 15) : en ce dernier cas, l’Aiôn est image au premier degré, le monde au second, le soleil au troisième, l’homme au quatrième. Par ailleurs l’extrait hermétique Lact. div. inst. II 10, 14, dit l’homme fait par Dieu à son image.
En somme, les seuls textes importants sont I 12 et XII 14, parce qu’il s’agit là, entre Dieu et l’homme, d’un lien réel. Dans le Poimandrès en effet, l’Anthrôpos est « enfanté » par le Premier Dieu ou Premier Noûs ; il est entièrement à l’image de ce Père, et donc, comme celui-ci, mâle-et-femelle, Vie et Lumière. Or c’est du mariage d’Anthrôpos et de Physis que sont issus les sept premiers « hommes », eux aussi mâles-et-femelles, lesquels, une fois divisés, produisent les hommes actuels. Dès lors, cet homme actuel est double : s’il tient de Physis un corps matériel, il tient aussi de Dieu, par l’intermédiaire de l’Anthrôpos, l’essence divine (Vie et Lumière I 21), la partie essentielle de son être est « image » de Dieu, et cette partie peut donc, dans la remontée après la mort, devenir une des Puissances de Dieu, entrer en Dieu (I 26), et par suite, en un sens propre et littéral, « devenir Dieu », θεωθηναι (I 26 : θεωθηναι est naturellement à garder, malgré Scott). – XII 14 (logos humain = Noûs et image de Dieu) doit s’expliquer par référence à XII 8-9, d’où il ressort que Noûs divin et noûs humain ne font qu’une seule unité puisqu’ils sont des intelligibles, c’est-à-dire des incorporels, et qu’il n’y a donc point entre eux de distance : de là vient que le noûs humain, étant l’âme de Dieu, peut commander sur toutes choses et en particulier sur l’Heimarménè.
Ces deux textes (I 12 et XII 14) font donc état d’une participation réelle de Dieu. La différence tient en ce que, dans le premier cas, la participation se fonde sur une anthropogonie – entre Dieu et l’homme actuel il y a l’Anthrôpos fils de Dieu, puis les sept hommes issus d’Anthrôpos et de Physis –, dans le second, elle semble plus immédiate, le νους humain est, sans intermédiaire, une parcelle du Noûs ou de l’Âme de Dieu. Ici et là on aboutit à un panthéisme explicite : dans le Poimandrès l’homme (c’est-à-dire le νους humain) devient, après l’ανοδος, puissance de Dieu, se fond en Dieu ; dans le C.H. XII, il est, dès ici-bas, partie de Dieu, dès lors maître de l’Heimarménè (ses actes sont indifférents, XII 7).
On voit donc que la notion d’ειχων joue déjà un grand rôle dans l’hermétisme 6 et qu’elle y comporte des sens assez divers, depuis la simple ressemblance analogique (micro-, macrocosme) jusqu’à la communauté d’essence en vertu d’une participation réelle.
Ces spéculations hermétiques ont-elles influé sur la pensée des Pères ? Il est naturel, tout d’abord, qu’on découvre çà et là quelques similitudes d’expression. Ainsi l’homme « image d’une image » 7 qui apparaît chez Irénée (Gross 146-147), Clément d’Alexandrie (161), Athanase (202), fait songer à C.H. XI 15 τοινυν ειχων του Θεον ὁ αιων, του δε αιωνος ὁ χοσμως, του δε χοσμον ὁ ηλιος, του δε ηλιον ὁ ἀνθρωπος. Mais qu’en est-il au fond ? La différence éclate en ce qui regarde Irénée : pour celui-ci, l’« image de l’image », c’est l’homme corporel en tant qu’il est l’image du Fils incarné, lui-même image par excellence de Dieu. Le cas de Clément et d’Athanase est moins clair. Ici en effet, l’« image de l’image » n’est plus l’homme corporel image du Logos incarné, mais le νους humain image du Logos divin. Comme le marque M. Gross (161, n. 3, 202, n. I), cette doctrine rappelle davantage Philon, selon lequel « le χατ’ ειχονα ἀνθρωπος est identifié avec le Logos » (90, n. 1) : or il y a des rapports certains entre le Premier Homme générique ou céleste de Philon et l’Anthrôpos hermétique. Mais quelles que soient ces relations entre l’hermétisme et Clément surtout, un discord essentiel apparaît en ceci que l’hermétisme aboutit d’une part à un véritable panthéisme et qu’il fonde d’autre part la divinisation de l’homme (en tant que λογος-νους) sur la seule participation de nature, sans que cette participation implique, du côté de l’homme, une conversion morale (voir surtout C.H. XII).
On peut résumer en ces termes l’évolution patristique des notions d’ειχον et d’ὁμοιωσις. Bien qu’issus de traditions différentes, la philosophie grecque ayant médité surtout sur l’ὁμοιωσις, la gnose païenne sur l’ειχον, les deux vocables n’en signifiaient pas moins une même réalité : la ressemblance qui existe entre le λογος-νους humain et le Noûs divin. Cette ressemblance était fondée sur un processus d’origine – quelle que fût d’ailleurs la forme, variable selon les systèmes, de ce processus – et elle légitimait, après la mort, un retour de l’homme (essentiel) à Dieu ou, pour mieux dire, une fusion entre l’homme (essentiel) et Dieu. Or, voici qu’un texte scripturaire (Gen., I, 26) offrait les deux termes réunis : dès lors, puisqu’on leur supposait, a priori, un sens divers 8, il fallait bien préciser cette diversité. D’une façon générale, les Pères entendront par ειχων la ressemblance analogique entre le λογος-νους humain et le Logos-Noûs divin, par ὁμοιωσις une similitude plus parfaite que cette ressemblance originelle, un état de perfection dû à l’effort que soutient l’homme pour imiter Dieu en vertu du principe formellement divin déposé en lui par la grâce : ainsi, avec des variantes, Clément d’Alexandrie (Gross. 161-162). Origène (177), Athanase (202) 9, Grégoire de Nysse (221-222), Grégoire de Nazianze (247), Jean Chrysostome (256), Théodore de Mopsueste (264 ss.), Théodoret de Cyr (273-274), Cyrille d’Alexandrie (280-281, 290, 292), Maxime le Confesseur (320 et n. 5), Jean Damascène (329). Par suite l’ειχων se révèle comme inamissible, l’homme ne l’a point perdu par la chute. Au contraire, il a perdu cette ressemblance supérieure que lui conférait la grâce, et il ne la peut recouvrer que si celle-ci lui est rendue par le même Logos qui l’avait une première fois donnée : on devine du même coup le rôle capital que va jouer l’Incarnation dans l’économie du salut.
Cette restauration de l’ ὁμοιωσις est génériquement accomplie dès là que le Verbe prend chair humaine, qu’il s’incarne : c’est la théorie physique de la divinisation, esquissée par Irénée (150-152), développée par Méthode (195-196), et qui devient, avec Athanase (206-210), Grégoire de Nysse (228-231), et leurs continuateurs Cyrille d’Alexandrie (282-284) et Jean Damascène (333-335), la clé de voûte du système théologique 10.
Maintenant, il va de soi que ce salut générique resterait sans effet si chaque individu ne s’en appropriait la vertu à lui-même : baptême, foi et charité sont le complément indispensable de la théorie physique de la divinisation. Sur ce point, tous les Pères sont évidemment d’accord, et c’est cet élément moral qui distingue par excellence la théopoièse chrétienne du salut gnostique. Encore est-il que quelques Pères, inclinant à la gnose, tiendront à mettre au-dessus de tout une sorte de connaissance intuitive et suréminente, et il faut avouer que tels propos d’Origène touchant la πιστις χαι ιδιωτιχη 11 ou ces simpliciores qui « ne savent rien que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié » 12 font une étrange impression.
Paris.
A.-J. FESTUGIÈRE.
Paru dans la Vie spirituelle en mai 1939.
1 J. Gross, La divinisation du chrétien d’après les Pères grecs, Contribution historique à la doctrine de la grâce, in-8o, XVIII, 368 pp., Paris, Gabalda, 1938.
2 Voir les commentateurs sur Aristote, Rhét., 1394 b 24, Éth. Nic., X, 1177 b 31.
3 Sur le tyran, on n’a jamais mieux dit que les anciens, Hérod., III, 80 ; Soph., OEd. R., 863 ss. ; Thuc., I, 17, 122, 124 ; Xen., Hiéron, Mém., IV, 6, 12 ; Plat., Polit., 301 c, Ep. VIII, 354 b-c, et surtout Rép. VIII, 562 a-fin, IX (en entier), cf. Diès, République (t. I), introduction, pp. LXXXIX ss., XCVIII ss., et (pour l’attitude d’Aristote), E. v. Ivanka, Die aristotelische Politik und die städlegründungen Alexanders des Grossen, Budapest, 1938.
4 Du moins Platon, Aristote, Plotin. Sur les difficultés du plotinisme, cf. La Vie Spirituelle, 1er févr. 1939, suppl., pp. 67-71.
5 Je signale ici quelques vétilles. – Bibliogr. Manquent (entre autres) W. Jaeger, Aristoteles, 1923 (qu’il eût fallu citer pp. 50 ss.) ; Ed. Norden, Agnostos Theos (1), 1929 (toujours essentiel pour la gnose païenne) ; H. Lewy, Sobria Ebrietas, 1929 (sur la μέθη νηφαλιος) ; J. Bidez, Vie de Porphyre, 1913 (qu’il eût fallu citer p. 67), etc. Reitzenstein, Hell. Myst. Rel., doit être cité d’après la 3e éd. (1927). – 50 l. 10 lire « système »? – 51 l. 9 ἀνθρωμινα φρονειν = non « ne penser qu’à des choses humaines... », mais « n’avoir que des pensers d’humain et de mortel ». – 52, n. 4, j’approuve grandement le rejet de l’exégèse de M. de Corte. – 60, n. 3, non « les quatre dernières (Ennéades), mais « la sixième » : il y a six Ennéades = « neuvaines » ou groupes de neuf traités. – 67-68, insuffisant sur Porphyre et Proclus ; 68, n. 4, par logia Proclus entend d’ordinaire les Oracles Chaldaïques (il eût fallu citer E. R. Dodds, Proclus, The Elements of Theology, Oxford, 1933). – 130, n. 3, χατ΄ιδιαν doit être en effet homogène à χατ΄ ειχονα et χαθ΄ομοιωσιν. Mais la traduction « selon l’essence » = χατ΄ιδιαν scil. ουσιαν (adoptée aussi par R. P. Casey, The Excerpta ex Theodoto of Clement of Alexandria, 1934 : « according to the real nature »), si elle convient pour le fond, me paraît abusive, faute de parallèles. N’aurait-on pas ici le sens local (égyptien) si bien attesté dans les papyrus : « selon le lieu d’origine, selon la naissance » ? (Cf. Liddell-Scott-Jones, s. v., I 5, et Moulton-Milligan. Le pneumatique est, à la lettre, un σμερμα divin. – 148, n. 8, Θεος ἀναδειχθεις non « dieu assumé », mais « dieu notifié, proclamé comme tel » (Syll. 3, 630, 23), c’est-à-dire « dieu consacré » (Syll. 3, 58g, 6) ou « manifesté » (ἀναδειχθεις II Liddell-Scott-Jones). – 154, l’ιδιον πνευμα d’Irénée me paraît être « l’esprit propre » (à l’homme), mais en relation avec l’Esprit divin, cr. Id. rel. d. Grecs, pp. 196-220. – 158, 1. 18 « (Irénée), repoussant le concept gnostique de la ὁμοίωσις ; comme d’une semence divine qui, formant l’essence du pneumatique... » ne correspond pas à l’exposé de 130-131. L’ὁμοίωσις caractérise le psychique, non le pneumatique, lequel reçoit en plus un σμερμα divin. – 193, l. 13 « l’homme ornement du monde » (χοσμον χοσμος) se retrouve dans l’hermétisme, Corp. Herm. IV 2 χοσμον δε θείου σωματος (= le monde) χατέπεμψε τον ἀνθρωμον ζωου ἀθανατου ζωου θνητον, Asclep. 10 quod totum (le monde) suscipiens homo... efficit ut sit ipse et mundus uterque ornamento sibi ; ut ex hac hominis divina conpositione mundus (graece rectius χοσμος) dictus esse videatur. -– 212, l. 15 υιοποιων, non pas ici en « adoptant », mais « en la faisant fille (de Dieu) » : ce n’est pas le Logos apparemment, mais le Père qui nous adopte. – 222, l. 27 μετέδωχε « les a partagés » (scil. le νους et le λογος) est équivoque : plutôt « il en a fait part ». – Un index analytique eût été bien utile.
6 À la différence de celle d’ὁμοίωσις. Le mot même manque dans le C. H., comme celui de similitude dans l’Asclepius. Notons seulement I 26 : l’homme remonté à l’Ogdoade est ὁμοίωθεις τοις συνουσιν, c’est-à-dire aux Êtres vrais (τοις ουσι au sens absolu 128, 16 Scott, où < εχει > est à rejeter.)
7 Déjà chez Philon, cf. Gross, 89-90. Il y aurait lieu de comparer l’ειχων philonien (cf. H. Willms, Ειχων, 1re partie : Philo von Alexandria, Munster, 1935), à l’ειχων hermétique. Sur l’exégèse philonienne de la création de l’homme (cf. déjà Id. rel. d. Gr., pp. 212-218).
8 Non pas, semble-t-il, Tatien pour qui « l’image et la ressemblance de Dieu » désigne l’Esprit divin donné aux premiers hommes en plus de leurs âmes, Gross 136 el n. 6. Pour Irénée, cf. supra, paragraphe commençant par « Ces spéculations hermétiques… ».
9 Plus tard, Athanase abandonnera son premier point de vue pour faire de l’ειχων = ὁμοιωσις la seule ressemblance par la grâce, Gross, 204-205, 207, 214. Pour Méthode d’Olympe (193), l’ὁμοιωσις serait l’incorruptibilité.
10 Sur le réalisme métaphysique impliqué par cette doctrine, cf. en particulier Gross, 284, n. 2 (Cyrille d’Alexandrie), 333-334, (Jean Damascène).
11 Cité Gross, 180, n. 2.
12 Cité ibid., 179. Cf. I Cor., II, 2. Pour un essai de Maxime le Confesseur en vue d’harmoniser la théorie physique de la divinisation avec la doctrine du salut par la mort du Christ, cf. Gross 321-322.