Une conversion
par
Paul
FÉVAL fils
J’avais eu une carrière assez brillante ; j’étais regardé comme un homme honnête et heureux. Beaucoup de gens me faisaient l’honneur de m’estimer, et je me connaissais jusqu’à des envieux. Il m’arriva une fois d’être accroché à l’improviste par la roue d’une charrette de financier qui emportait de l’argent volé.
Je ne tombai pas de bien haut ; mais je tombai. Sitôt à terre, moi qui croyais avoir tant d’amis, je me vis tout à coup tout seul au milieu du troupeau d’être faibles et chers qui vit par moi. Et il se trouva que je ne savais même pas être pauvre : car je souhaitai la mort.
Il me restait bien ce que certains ont appelé parfois mon talent. Oh ! la triste chose ! La veille, mon talent avait en effet son prix ; mais le lendemain, quand je voulus l’échanger contre du pain, les gens qui achètent le talent pour le revendre, me fermèrent leur porte.
Excepté un seul ; et je le remercie de tout mort cœur.
Peut-être n’avais-je plus de talent ; peut-être que je n’en avais jamais eu. Les marchands doivent s’y connaître.
Je continuai de travailler, mais si peu et si mal ! Un jour, sous ma misérable page commencée, je vis le désespoir blotti. Il me guettait. J’eus peur. J’appelai Dieu.
Le lendemain, j’allai causer avec un homme excellent qui sait beaucoup, qui ne s’en targue point et qui m’aime. Il a l’âge d’être mon fils ; je l’appelai mon Père. Il m’enseigna, sans faire semblant de rien, des choses toutes grandes et toutes simples que je croyais connaître. Seulement, à mesure qu’elles passaient de son cœur dans le mien, des voiles se détachaient à l’intérieur de moi et tombaient, si bien que je pus lui montrer à nu le fond d’une pauvre âme, et, par sa bouche, notre Père qui est dans le ciel me pardonna.
Le lendemain encore – c’était Noël –, ma femme et ma fille me conduisirent, tremblant que j’étais et le cœur bien serré, dans le sanctuaire où repose la dépouille mortelle des plus récents martyrs de notre temps, qui aura d’autres martyrs. Je pris place à la sainte table, et je fis ma seconde communion, quarante-sept ans après ma première.
Ainsi se renouèrent les deux extrémités de ma vie, par-dessus l’abîme d’un demi-siècle perdu. Que Dieu soit ardemment béni dans la grandeur de ses miséricordes ! Je me relevai fort. Avec l’aide de Jésus-Christ, je vivrai et je mourrai dans cette force.
Au retour, le bon sourire des petits nous attendait à la maison. Ce fut une fête ; on me dévora de baisers.
Et depuis lors notre gaieté est revenue.
Paul FÉVAL fils.
Recueilli dans Corbeille de légendes et d’histoire,
par l’abbé Allègre, 1888.