Un château hanté du Calvados
par
Camille FLAMMARION
L’exposé que voici de phénomènes étranges observés en 1875 dans un château de Normandie a été rédigé par M. G. Morice, docteur en droit, sur le récit du propriétaire et des témoins, et publié aux Annales des sciences psychiques de l’année 1893. « L’honorabilité et l’intelligence du propriétaire de ce château, écrivait mon savant ami le Dr Dariex, directeur de ces Annales, ne peuvent être mises en doute par personne. C’est un homme énergique et intelligent. Il a pris note lui-même, jour par jour, au moment de leur production, de tous les faits extraordinaires dont lui et les habitants du château ont été témoins. Ces personnes ont attesté, de leur côté, la réalité de ces faits ; mais le propriétaire a exigé du narrateur qu’aucun nom ne soit imprimé. » (Nous pouvons regretter ces restrictions.) Voici cet exposé, que je raccourcirai autant que possible, car les observations ont duré longtemps et sont nombreuses.
« Vers 1835 existait, dans cette commune, un ancien château appartenant à la famille de B.
« Cette habitation se trouvait dans un tel état de vétusté que la restauration en fut jugée inutile. Elle fut remplacée par une autre, élevée à environ 150 mètres au nord de l’ancienne.
« M. de X... en hérita en 1867 et en fit sa résidence.
« Au mois d’octobre de cette même année, il y eut une série d’incidents extraordinaires, bruits nocturnes, coups, etc., qui, après avoir cessé pendant quelques années, nous dit M. de X... dans son journal de 1875, se produisent de nouveau présentement.
« De tout temps, le château du T... avait passé pour avoir été le théâtre de phénomènes fantastiques, pour être hanté par des fantômes plus ou moins malfaisants. La famille de X... ignorait ces bruits lorsqu’elle en prit possession. »
Voici des extraits de l’agenda quotidien. Ces relations détaillées sont très longues, mais du plus vif intérêt. C’est un véritable procès-verbal documentaire.
« Nous sommes en octobre 1875, écrit le propriétaire.
« Je me propose de noter ici et de consigner chaque jour ce qui se sera passé dans la nuit précédente. Je dois faire remarquer que lorsque les bruits se produisaient pendant que la terre était couverte de neige, il n’y avait aucune trace de pas autour du château. J’ai tendu secrètement des fils à toutes les ouvertures : ils n’ont jamais été brisés.
« En ce moment, octobre 1875, notre maison est ainsi composée :
« M. et Mme de X... et leur fils ;
« Monsieur l’abbé..., précepteur de ce fils ;
« Émile, cocher ;
« Auguste, jardinier ;
« Amélina, femme de chambre ;
« Célina, cuisinière.
« Tous les domestiques couchent dans la maison ; ils méritent notre plus entière confiance. »
Mercredi, 13 octobre 1875.
« M. l’abbé nous ayant affirmé que son fauteuil change de place, nous l’accompagnons, ma femme et moi, dans sa chambre, et nous constatons minutieusement la place occupée par chaque objet. Nous attachons du papier gommé qui fixe au parquet le pied du fauteuil. Nous quittons M. l’abbé ; je lui recommande de m’appeler s’il arrive quelque chose d’extraordinaire. À 9 h 45, M. l’abbé entend sur le mur de sa chambre une série de petits coups, assez forts cependant pour qu’ils soient entendus également par Amélina, qui couche dans la chambre en face. Il entend ensuite dans un angle de sa chambre le bruit de l’encliquetage de la roue d’une grosse horloge qu’on remonte, puis un flambeau de métal qui change de place sur sa cheminée, en grinçant, enfin il entend et il croit voir son fauteuil se promener : il n’ose se lever, et sonne ; j’y vais. Dès en entrant, je constate que le fauteuil a changé de place d’au moins 1 mètre : il est tourné devant la cheminée ; une bobèche placée au pied du flambeau s’est replacée sur le flambeau ; l’autre flambeau a été déplacé et posé de manière à ce qu’il dépasse de plusieurs centimètres le bord de la cheminée. Une petite statue placée contre la glace a été avancée de 20 centimètres. Je me retire au bout de 20 minutes. Nous entendons deux violents coups chez M. l’abbé, qui sonne et qui m’assure que ces coups ont été frappés sur la porte de son cabinet, au pied de son lit. »
Voilà un début qui promet. Continuons la lecture de l’agenda.
« Jeudi 14 octobre – On entend de violents coups. Nous nous armons, parcourons tout le château : nous ne découvrons rien.
« Vendredi 15 octobre. – Vers 10 h, M. l’abbé et Amélina entendirent clairement des pas imitant ceux de ma femme et les miens, ainsi que notre conversation. Il leur sembla que nous parcourions le corridor pour rentrer dans notre chambre. Amélina assure avoir reconnu nos deux voix ; puis elle entendit ouvrir la porte de la chambre de ma femme et n’en fut pas effrayée tant elle se persuada que c’était nous. Nous dormions et n’avons pas entendu ; mais, à 11 h 15, tout le monde est réveillé par une série de très forts coups, dans la chambre verte. Auguste et moi faisons une ronde partout, et pendant que nous sommes dans le salon, nous entendons des coups près de la lingerie. Nous y allons : rien. Nous redescendons. Madame et Amélina entendent traîner un meuble à l’étage au-dessus, où il n’y avait personne. Le meuble semble tomber lourdement.
« Samedi 16 octobre. – Tout le monde est réveillé par une série de forts coups, vers minuit et demi. Une ronde armée n’amène aucune découverte.
« Lundi 18 octobre. – Le nombre des témoins a augmenté : le vicaire de la paroisse a bien voulu venir coucher au château depuis samedi ; il a très bien entendu les bruits, et il va continuer de passer ici les nuits ; il sera donc témoin de ce qu’on entendra encore. Ce soir même arrive Marcel de X..., il couche au second étage et laisse sa porte ouverte pour mieux saisir la nature et la direction des bruits. Auguste couche dans le corridor, près de cette même porte. Vers 11 h, tout le monde est éveillé par le bruit d’une grosse boule pesante, qui descend l’escalier du second au premier en sautant de marche en marche. Après une demi-minute, un coup isolé très violent, puis neuf ou dix gros coups sourds.
« Mardi 19 octobre. – M. le curé de M..., sur notre demande, est venu coucher ici. Il a très bien entendu un gros pas qui descendait lentement et lourdement l’escalier, et puis, une demi-minute après, comme la veille, un fort coup isolé partant encore du milieu de l’escalier qui descend au rez-de-chaussée. Il ne doute plus que cela soit surnaturel. Marcel retourne chez lui avec la même conviction. »
Pourquoi surnaturel ? Connaissons-nous toutes les forces de la nature ? Continuons ce fantastique récit.
Des bruits de pas et des cris aigus
« Les bruits ont cessé complètement jusqu’au samedi soir 30 octobre. Samedi 30 octobre. – Tout le monde est éveillé par une série de forts coups.
« Dimanche 31 octobre. – Nuit très agitée. Il semble que quelqu’un monte, plus rapidement qu’un homme puisse le faire, l’escalier du rez-de-chaussée, en affectant de frapper des pieds. Arrivé sur le palier, cinq grands coups tellement forts que les objets suspendus aux murs se mettent à battre sur place. Puis on dirait qu’une lourde enclume ou une grosse poutre a été projetée sur un point des murs, de manière à ébranler la maison ; personne ne peut préciser le point d’où ces coups partent. Tout le monde se lève et se réunit dans le corridor du premier étage. Nous faisons une visite minutieuse et ne trouvons rien. Nous nous recouchons, mais de nouveaux bruits nous obligent à nous relever. Nous ne pouvons reposer que vers 3 h.
« Mercredi 3 novembre. – Dès 10 h 20, tout le monde est réveillé par des pas bruyants qui montent rapidement l’escalier. Une série de coups fait trembler les murs. Nous nous levons immédiatement. Peu de temps après, nous entendons le bruit d’un corps pesant et élastique, qui aurait descendu l’escalier du second au premier, en sautant vivement de marche en marche. Arrivé au bas, il continue sa course en glissant dans le corridor et s’arrête au palier. Aussitôt partent deux coups éclatants, puis un coup formidable comme un maillet de charpentier lancé à tour de bras, sur la porte de la chambre verte. Plusieurs séries de coups sautillants et répétés imitant des pas d’animaux.
« Jeudi 4 novembre. – Ce soir, au moment où nous montons pour nous coucher, Auguste me prie de venir écouter une longue suite de coups qui se font entendre au second étage où il couche en ce moment. Lorsque j’arrive, je n’entends plus rien. Je fais une visite minutieuse du grenier et de la chambre rouge ; je laisse la porte de cette chambre ouverte, Auguste et Armand, frère d’Amélina, sont avec moi ; nous avons de la lumière. Au bout de 3 minutes, cinq coups parfaitement distincts se font entendre dans la chambre rouge, où personne ne pouvait pénétrer sans être vu et entendu, et de plus, je le déclare, sans être sous le feu de mon revolver, qui ne me quitte pas (tout le monde le sait). À peine suis-je descendu que cinq autres coups se font entendre de nouveau, très distinctement pour Auguste, faiblement pour moi, qui suis à l’étage au-dessous.
« Vendredi 5 novembre. – À 2 h, un être quelconque s’élance à toute vitesse dans l’escalier, du vestibule au premier, traverse le corridor, et s’engage rapidement dans l’escalier du second avec un fort bruit de pas qui n’ont rien du pas humain. Tout le monde a entendu : on eut dit deux jambes privées de leurs pieds et marchant sur deux moignons. On entend ensuite de nombreux et forts coups dans l’escalier et dans la porte de la chambre verte.
« Mercredi 10 novembre. – À 1 h, une galopade précipitée dans le vestibule et l’escalier. Un fort coup sur le palier se fait entendre, suivi d’un autre très violent sur la porte de la chambre verte ; durée 2 minutes. Une tempête avec vent, tonnerre, éclairs vient encore rendre la nuit plus affreuse. À 1 h 20, on clenche la porte de la chambre verte. Aussitôt partent deux forts coups sur la porte, trois dans l’intérieur de la chambre, trois autres sur la porte, et enfin de longs tapotements au second étage, quarante au moins ; durée 2 minutes et demie. À ce moment, tout le monde entend comme nous un cri, comme un long son de corne d’appel qui domine la tempête ; il me semble venir du dehors. Peu après, tout le monde entend trois cris aigus : ils viennent du dehors, mais se rapprochent très sensiblement de la maison. 1 h 30, un coup sourd au deuxième étage ; encore un très long cri, puis un second, comme une femme qui appelle au dehors. 1 h 45, subitement nous entendons trois ou quatre grands cris dans le vestibule, puis dans l’escalier. Nous nous levons tous, et faisons comme toujours une minutieuse perquisition. À 3 h 20, une galopade se fait entendre dans le corridor. Nous entendons deux cris plus faibles, mais bien dans la maison.
« Vendredi 12 novembre. – Plusieurs coups se font entendre, puis des cris aigus et forts comme s’il y en avait plusieurs. – Autres cris plus plaintifs dans le vestibule. 11 h 45, trois cris étouffés semblant venir de la cave, puis d’autres plus forts dans l’escalier. À minuit, tout le monde se lève : on entend des cris dans la cave, puis dans l’intérieur de la chambre verte, enfin les sanglots et les cris d’une femme qui souffre horriblement.
« Samedi 13 novembre. – Non seulement nous sommes tracassés la nuit, mais voici que nous le sommes le jour. À 3 h, coups dans la salle à manger : perquisition inutile ; – 3 h 15, bruits dans la chambre verte : nous y allons, un fauteuil était déplacé et posé contre la porte de manière à l’empêcher d’ouvrir ; nous le replaçons. – 3 h 40, piétinements dans la chambre de Madame... un fauteuil s’y est promené. – Deuxième visite dans la chambre verte : le fauteuil est de nouveau placé de façon à empêcher la porte de s’ouvrir, Madame et Amélina vont avec M. l’abbé dans sa chambre et, devant leurs yeux, la fenêtre du cabinet, qui était bien fermée, s’ouvre. Le vent était du sud et cette fenêtre est au nord. Dans la chambre de Madame un fauteuil a de nouveau changé de place. Dans la chambre de M. l’abbé, la fenêtre, qui était bien fermée, s’est ouverte de nouveau.
« Samedi 13 novembre (la nuit). – Galopades comme les précédentes – treize coups sur le palier, huit violents sur la porte de la chambre verte ; on clenche la porte, et on la referme rudement. – Minuit quinze, deux cris très forts au palier ; ce n’est plus le cri d’une femme qui pleure, mais des cris aigus furieux, maudits, désespérés, des cris de “damnés ou de démons”. Pendant plus d’une heure encore, des coups violents se font entendre.
« Dimanche 14 novembre. – Les fenêtres de M. l’abbé, quoique bien fermées, se sont ouvertes pendant la messe ; il avait fermé sa porte à clef et emporté celle-ci ; personne ne pouvait pénétrer dans sa chambre. Pendant les vêpres, une de ses fenêtres s’est encore ouverte.
« Mardi 23 novembre. – Vers 2 h, je suis tiré d’un profond sommeil par des coups partant du corridor et d’autres bruits venant de ma chambre, mais ce réveil subit et pénible ne me permet pas de bien distinguer leur véritable nature. Le lendemain, M. l’abbé nous raconte qu’il a entendu, à la même heure, des bruits semblables venant du même endroit. Ma femme, une fois levée, constate un bouleversement général sur sa table de toilette.
« Dimanche 19 décembre. – Pendant les vêpres, Émile, qui gardait la maison, entend les pelles et pincettes de la cuisine tomber sur le pavé. Revenue des vêpres, Mme de X... entend marcher de long en large ; c’est un bruit de gros pas dans la chambre de M. l’abbé, où il n’y avait personne.
« Lundi 20 décembre. – À 4 h de l’après-midi, Mme de X... trouve, en entrant dans sa chambre, deux chaises posées la tête en bas, sur deux fauteuils. Je vais dans les autres chambres ; dans la chambre bleue je trouve une chaise placée sur le guéridon.
« Vendredi 24 décembre. – À midi, tous les domestiques étant à table, nous trouvons, dans la chambre de M. l’abbé, le lit renversé sur le côté et la table poussée dessous. Le soir, à 6 h, nous rouvrons la porte de cette même chambre, qui était fermée à clef, et nous voyons la table posée sur le milieu du lit.
« Samedi 25 décembre. – À midi, pendant que tous les domestiques sont à table, on entend des coups dans la chambre de M. l’abbé. Sa porte est fermée à clef. Nous y faisons une perquisition et nous trouvons un fauteuil monté sur le pupitre de Maurice. Au retour des vêpres, nous trouvons chez M. l’abbé le canapé renversé, le réveille-matin sur le globe de la pendule et une chaise sur la table. Le soir, à 9 h, on entend le balai se promener dans le corridor du second ; nous y allons : il avait changé de place.
« Dimanche 26 décembre. – En rentrant de la grand-messe, nous montons avec M. l’abbé dans sa chambre qui était fermée à clef. Les coussins du canapé ont disparu. Nous les trouvons posés debout, l’un près de l’autre, sur le bord extérieur de la fenêtre de son cabinet de toilette. J’avais antérieurement condamné cette fenêtre, à l’époque où elle s’ouvrait seule, par un morceau de bois bien cloué sur la tablette intérieure. Ce morceau de bois avait été arraché sans trace d’aucun outil et posé à côté des coussins ; la fenêtre était refermée.
« 1 h. – À deux reprises des coups sont entendus dans la maison. Mme de X... fait une perquisition et trouve la chambre de M. l’abbé ouverte ; il l’avait pourtant fermée à clef. Peu de minutes après, le canapé du salon s’avance en deux sauts bruyants. Nouveaux bruits en haut, nouvelle perquisition : la porte de M. l’abbé, fermée à clef s’est encore ouverte.
« 5 h. – Après les vêpres, nous trouvons un bougeoir posé sur le haut de la lampe de M. l’abbé et le flacon du verre d’eau posé sur le pied du verre renversé. Dans son cabinet, deux souliers sont disposés en éventail sur la fenêtre et deux autres placés sur l’assiette, autour de la veilleuse.
« Nuit du dimanche 26 au lundi 27 décembre. – Le soir à 9 h, je vais avec Auguste m’installer dans la lingerie, laissant la porte ouverte ; nous entendons une série de coups comme ceux d’un bâton qui frapperait en se promenant dans le corridor en face de nous ; nous avons de la lumière. Peu après, Amélina entend des pas descendant à la cuisine où se produit le bruit de petit bois sec que l’on casse ; il n’y en avait même pas en ce moment dans le bûcher de la cuisine. On ne trouve personne.
« Lundi 27 décembre. – Dans l’après-midi de ce jour, nous allons tous à V... La cuisinière, restée seule avec une femme de journée, nous dit que tout a été calme. Nous entrons dans la chambre de M. l’abbé, qui était restée fermée à clef, et nous trouvons tous ses livres, au moins une centaine, épars sur le plancher. Trois volumes seuls sont restés debout, chacun sur son rayon : ce sont trois livres d’Écriture sainte. Des livres de piété ont été jetés aussi de sa cheminée à terre, et le balai a été posé dessus. »
Une clé qui s’envole...
Ce procès-verbal est très long, évidemment, mais on voit combien il est varié. Je le raccourcis pourtant autant que possible, sans qu’il perde de sa valeur intrinsèque. En voici la suite.
« Nuit du mardi 28 au mercredi 29 décembre, à 3 h 25. – Trois gros coups sourds au deuxième étage, suivis immédiatement de nombreux coups qui parcourent le corridor du deuxième étage. Aussitôt partent trois séries de trois coups frappés vivement sur la porte de M. l’abbé, puis deux coups isolés suivis d’un bruit de ferraille ; encore deux séries de trois coups vifs et impatients, puis un grand coup sur la porte de la chambre verte ; durée, 3 minutes.
« Mercredi 29 décembre. – Un de mes livres de musique se trouve mis dans le piano. Mme de X..., entendant du bruit dans la chambre de M. l’abbé, y monte, suivie de ce dernier. Elle entend remuer dans la chambre, elle avance la main droite pour prendre la clenche de la porte et ouvrir ; avant qu’elle ne la touche elle voit la clef qui se détache, en tournant rapidement dans la serrure, et vient la frapper à la main gauche. M. l’abbé en a été témoin. Le coup était assez fort pour que deux jours après la place fût encore sensible et visible. Le soir, nous trouvons dans la chambre bleue une couverture du lit jetée au milieu de cette chambre et une table de nuit qui est allée dans le cabinet, se poser sur un oreiller. Le pot à eau ayant changé de place est remplacé par un flacon de cristal.
« Nuit du mercredi 29 au jeudi 30 décembre. – À minuit et demi, nous sommes réveillés subitement par quatre effroyables coups sur la porte de la chambre de Mme de X... Pour se faire une idée de leur violence, qu’on se figure un mur qui s’écroule, un cheval qui rue dans une porte ou quatre boulets de canon lancés dans cette porte ; ce ne sera pas exagéré. Le bruit se transporte aussitôt à l’autre bout du corridor et on entend un coup violent sur la porte de la chambre verte. Plusieurs coups sourds et puissants se font entendre en haut, tout tremble ; ils se déplacent en augmentant de force.
« 0 h 40. – Deux bruits de ferraille au bout du corridor. Un fort coup sur la porte de la chambre verte.
« 0 h 50. – Longue promenade de grands pas au second. Un témoin en compte cent trente-deux. Quatorze coups sur la porte de M. l’abbé, cinq dans la chambre verte, dix sur le parquet, deux sur la porte, cinq coups sourds qui font trembler les murs et les meubles à tous les étages ; durée, 4 minutes.
« Jeudi 30 décembre. – Après déjeuner, alors que tous les domestiques sont à table, nous trouvons, dans la chambre de M. l’abbé, un tabouret, recouvert d’un voile de fauteuil, posé sur le pupitre de mon fils. À 2 h, je monte avec M. l’abbé dans sa chambre, nous trouvons le fauteuil voltaire sur la table ; sur le siège est étendu le voile, sur ce voile est posée la lampe ; une croix et des médailles bénites attachées à la clenche de la porte ont disparu.
« Nuit du jeudi 30 décembre. – À 0 h 40, trois coups frappés avec lenteur, sur la porte de la chambre verte ; huit coups sourds en haut ; tout tremble. Trois coups bruyants au palier du premier étage. Pas nombreux dans tout le corridor du second ; les pas sont tantôt rapides tantôt lents. Ces pas n’ont rien du pas humain ; aucun animal non plus ne saurait marcher ainsi : on dirait un bâton sautant sur une de ses extrémités.
« 6 h. – Encore quelques coups au second. M. le curé de Saint P... a couché ici et a été témoin. Quelques faits se sont passés dans sa chambre. Il a entendu comme le bruit d’un animal ayant des planchettes sous les pieds, qui serait entré de la chambre voisine dans la sienne, aurait grimpé sur la table de nuit pour, de là, passer sur son oreiller, s’introduire dans son lit et s’arrêter à la hauteur de son coude gauche. M. le curé avait de la lumière et était parfaitement éveillé ; il n’a rien vu. Le matin, à 6 h, étant entré dans la chambre verte, il entend comme un fort bruit de paille froissée, d’abord sur une chaise longue, puis dans l’angle d’une fenêtre, sur la galerie des rideaux et enfin sur le lit. M. le curé constate qu’il n’y a ni paille ni rien de semblable dans toute la chambre. Martial, notre fermier, a couché aussi chez nous cette nuit, il a été suivi par des bruits qui se faisaient entendre sous ses pieds, en présence du jardinier.
« Nuit du vendredi 31 décembre au samedi 1er janvier 1876. – À 0 h 40 nous sommes tous éveillés par une série d’effroyables coups sur la porte de la chambre verte. À la suite de ces coups nous en entendons d’autres à l’intérieur de cette chambre et puis un coup isolé suivi d’une course rapide dans les corridors et escaliers. – Neuf forts coups dans l’intérieur de la chambre verte. Longs tapotements dans le corridor de la chambre du second, et enfin quatre gros coups sourds : durée, 7 minutes.
« Nuit du samedi 1er au dimanche 2 janvier. – À 1 h 5, de forts coups sont frappés sur la porte de la chambre verte et nous éveillent tous. Une forte et rapide galopade parcourt d’abord le corridor du premier et puis celui du second. À la suite nous entendons treize coups irréguliers et frappant deux par deux, dans l’intérieur de la chambre verte. Puis des pas variés venant d’en haut. Un coup violent est frappé sur la porte de la chambre verte, et trois autres dans l’intérieur ; huit coups sourds semblent venir du second. Le flambeau placé près de moi tremble à chaque coup.
« 6 h 30. – Plusieurs coups dans le corridor semblables à ceux de la nuit ; il est à noter que, depuis trois matins, ceux qui descendent de leur chambre sont suivis jusqu’au rez-de-chaussée, pas à pas et de marche en marche, par des coups s’arrêtant et repartant avec eux. M. le vicaire de la paroisse a été suivi de cette manière et n’a rien vu.
« Lundi 3 janvier. – Le soir, j’étais seul dans le salon, vers 5 h 15 ; j’avais de la lumière, j’entends six coups, bien accentués, frappés sur le guéridon qui se trouvait, à ce moment, à 2 mètres de moi, je me retourne et ne vois rien.
« Nuit du lundi 3 au mardi 4 janvier. – À 3 h, une douzaine de coups sont frappés deux à deux, dans la porte de la chambre de Mme de X... La fenêtre la plus rapprochée tremble à chaque coup. Il y a de la lumière dans la chambre ; nous sommes bien éveillés, bien de sang-froid, nous ne voyons rien. Cinq minutes après, nous entendons une galopade, quelque chose comme un bâton sautant sur un de ses bouts : d’abord dans le corridor du premier, puis dans celui du second. Enfin quelques coups sourds et faibles. Le Dr L..., qui a couché ici, a bien entendu le bruit de cette course dans le corridor, mais cela seulement, M. le curé de la B... a couché dans la chambre rouge et a entendu une grande partie de la nuit une suite de bruits peu forts mais très extraordinaires dans son corridor. Il n’a pas osé se coucher ; il est bien convaincu que cela ne peut être que surnaturel.
« Mercredi 5 janvier. – Le révérend père H. L..., religieux prémontré, est envoyé ici par Monseigneur pour juger les faits et nous venir en aide. Le soir, vers 5 h, c’est-à-dire peu d’instants avant son arrivée, Mme de X... étant dans le salon, avec son fils, entend le bruit de la porte que l’on secoue avec violence, et elle voit le bouton tourner avec rapidité. Maurice était effrayé, Mme de X... se mit à chanter très fort pour l’empêcher d’entendre.
« Séjour du révérend père H. L. – À partir du moment où le révérend père est ici, le calme se fait subitement et d’une manière absolue. Rien, ni le jour ni la nuit. Le 15 janvier, il fait une cérémonie religieuse. À partir de ce jour, nous entendons quelques bruits isolés et extraordinaires, la nuit, et toujours dans des endroits trop éloignés du père H... pour qu’il puisse les entendre. Le révérend père nous quitte le lundi 17, et son départ est suivi aussitôt d’une nouvelle série de phénomènes aussi intenses et aussi graves que ceux qui ont précédé son arrivée.
« Nuit du 17 au 18 janvier. – À 11 h, un coup comme un corps qui tombe dans le corridor du premier étage, suivi comme d’une boule qui roule et va frapper un coup violent dans la porte de la chambre verte. Interminable galopade au second, suivie de vingt coups sourds au même endroit ; dix-huit dans l’intérieur de la chambre verte. Il est 11 h 35, cinq grands coups sur la porte de la chambre verte ; quinze coups sourds dans l’escalier du second étage. Deux coups de semelles au palier, dix coups sourds dans l’escalier du second ; tout en tremble autour de nous.
« Nuit du 19 au 20 janvier. – À 11 h 15, nous sommes réveillés par une galopade en haut ; elle est suivie par quinze coups frappés avec violence sur la porte de la chambre verte et de cinquante-cinq autres à l’intérieur. Peu après, neuf coups, comme ceux d’un maillet de menuisier, dans l’escalier du premier. Longue galopade. Cinq coups sourds, tambourinage à l’intérieur de la chambre verte, trois coups sur la porte de cette chambre, vingt-sept coups sur la fenêtre de ma chambre ; aux deux derniers les fenêtres de Mme de X... tremblent ; durée, 10 minutes.
« 1 h 45, onze coups dans ma chambre. »
La maison ébranlée par un choc inexplicable
M. de X... s’étant absenté pour une visite de quelques jours chez son frère, prie sa femme de prendre des notes pendant son absence. Voici les notes.
« Nuit du 20 au 21 janvier. – 1 h 8 – Cinq coups ordinaires suivis de dix-neuf gros coups dans le corridor ; deux coups sur la porte de la lingerie, six autres dans le même quartier, neufs coups sur la porte de la chambre verte ; onze coups au second, suite de nombreux petits coups se promenant en cadence au second étage ; durée 7 minutes. Douze coups sourds, toujours au second, coups légers semblant aller de porte en porte.
« 1 h 25. – Tout le monde entend quatre grands cris, comme des beuglements venant du dehors, mais à la hauteur de la fenêtre, puis aussitôt comme deux coups de baguette dans l’escalier. Peu après, dix coups plus forts, puis un tambourinage au second.
« 1 h 30. – Deux gros coups sourds au second faisant vibrer les glaces et autres objets dans les chambres.
« 2 h 5. – Coups nombreux dans l’escalier. Un coup sur la porte de la lingerie. Plusieurs sur la porte de la chambre verte, dont un très sonore ; cinq forts coups sourds au second étage qui font trembler tous les meubles ; cinq coups plus faibles dans l’escalier ; quatre au second étage. Un beuglement au nord en dehors de la maison et à la hauteur de la fenêtre du premier étage.
« 5 h 45. – Un coup retentit dans le corridor ; on entend une course, puis la porte de la chambre verte, qui s’ouvre et se ferme avec violence. Elle est fermée à clef et la clenche en est arrachée. Enfin une sorte de boule paraît rouler dans ce même corridor et frapper un coup en haut de l’escalier. Cette même nuit, Mme de X..., qui avait de la lumière, entend un corps assez volumineux qui tombe lourdement de sa table à terre ; elle regarde et ne découvre rien.
« Nuit du 21 au 22 janvier. – À 3 h, quinze coups nous réveillent, ils partent du second étage.
« Nuit du 22 au 23 janvier. – À 3 h, nous sommes réveillés par une suite de vingt coups sourds au second étage. »
La suite de ces notes est de M. de X...
« Nuit du 23 au 24 janvier. – À 9 h, une galopade se fait entendre dans notre corridor, suivie d’une suite de coups peu forts. La nuit est calme. Ce matin, d’abord à 6 h, puis à 7 h, nous entendons une suite de coups, toujours dans notre corridor. Je pars aujourd’hui pour P... Ma femme prendra note de ce qui arrivera en mon absence.
« Journée du 25 janvier. – À 4 h 30, on entend beaucoup de bruit en haut. Madame y monte avec Amélina et trouve les lits d’Auguste et d’Émile renversés, et, chose singulière, d’une façon absolument identique. Après avoir constaté ce désordre, Madame va dans la chambre rouge ; la porte résiste, retenue par un lourd fauteuil placé derrière ; elle le remet à sa place et continue sa perquisition. En entrant dans mon bureau, un cadre placé en dedans, contre la porte, lui tombe dans les jambes et elle trouve tout en désordre, les cartons sont renversés à terre, le fauteuil, la tête en bas, est chargé de cartes, papiers, etc.
« 5 h. – M. l’abbé lisait son bréviaire. Quoiqu’il fît depuis trois jours un temps superbe, une masse d’eau tombe, par la cheminée, sur le feu qu’elle éteint, et fait voler la cendre ; M. l’abbé est aveuglé, il en a la figure couverte.
« Nuit du 25 au 26 janvier. – 0 h 20. – Deux coups dans le vestibule. – 1 h. – Douze coups suivis d’un long tambourinage, puis trente coups rapides et singuliers ; on eût dit plutôt un ébranlement de toute la maison ; on était bercé dans son lit, à tous les étages. À la suite partent sans interruption neuf coups, cinq sur la porte de la chambre verte, puis une longue galopade. Le tout n’a duré que cinq minutes. Une minute après la maison est de nouveau secouée de haut en bas ; puis on entend successivement dix coups effroyables sur la porte de la chambre verte. Douze cris au-dehors, trois bêlements, puis des cris furieux. Un tambourinage très fort dans le vestibule, il est rythmé ? cinquante coups tout près de ma chambre... On frappe à plusieurs reprises à la porte de la chambre de mon fils Maurice.
« 1 h 30. – La maison est secouée vingt fois, sept coups sur la porte de la chambre verte, suivis de coups si rapides qu’on ne peut les compter ; deux sur la porte de la chambre verte, douze auprès de la chambre de Maurice, treize qui font tout trembler, puis cinq, puis dix, puis dix-huit, faisant trembler murs et meubles ; à peine a-t-on le temps d’écrire. – Neuf coups effroyables sur la porte de la chambre verte, un tambourinage accompagné de gros coups ; – sept qui font tout trembler – un très sonore, puis une série de dix coups frappés deux à deux. À ce moment, on entend comme des cris de taureau, puis d’autres, inhumains, enragés, dans le corridor, près de la porte de ma femme, qui alors se lève et sonne pour faire lever tous les domestiques. Pendant que tout le monde était levé et réuni dans la chambre de M. l’abbé, on a entendu encore deux beuglements et un cri.
« À 4 h 20 seulement on se recouche ; Mme de X... entend un coup assez fort frappé sur l’orgue placé dans sa chambre à deux mètres de son lit ; il est suivi de trois autres coups dont elle ne peut saisir la direction. Les bruits ont été très bien entendus de la ferme.
« Nuit du 26 au 27 janvier. – Deux témoins de plus ; M. le curé de Saint-M..., qui va passer cette nuit, et Mlle de L..., venue pour plusieurs jours.
« 0 h 15. – Tout le monde est éveillé par un bruit très violent comparable à celui que ferait une planche tombant sur le parquet du corridor du premier ; il est suivi d’un cri. – À 0 h 45, galopade mêlée de gros coups ; après une courte pause, elle recommence et semble accompagnée de coups de grosse caisse ! On secoue la porte de Maurice. Tout se termine par quatre coups sur la porte de la chambre verte.
« Nuit du 28 au 29 janvier. – 11 h 15. – Un cri aigu dans l’escalier, il est rauque et sifflant ; sept coups dans la chambre verte ; six très violents sur la porte de cette même chambre.
« 11 h 45. – Dix-neuf coups très sourds sur une des portes du corridor.
« 0 h 55. – Nous entendons comme une voix d’homme dans le corridor du premier ; elle me fait l’effet de crier deux fois : Ha ! Ha ! Aussitôt partent dix coups retentissants qui ébranlent tout, autour de nous. Un coup sur la porte de la chambre verte ; puis j’entends tousser fortement dans le corridor du premier. Nous nous levons rapidement, ne voyons rien et trouvons à la porte de ma femme une grosse assiette en terre, brisée en dix morceaux !
« Nous avons fait dire une neuvaine de messes à Lourdes ; le révérend père a fait les exorcismes, et tout a cessé. »
Un exorcisme inutile ?
J’avoue que tout lecteur profane qui n’aurait jamais entendu parler des phénomènes de hantise pourrait attribuer les descriptions précédentes à des cerveaux de fous ou d’hallucinés. Cependant ces faits sont réels. L’idée du surnaturel domine, évidemment, dans toute cette famille et son entourage. Pour nous, une appréciation purement scientifique s’impose. Des nombreuses attestations réclamées par le Dr Dariex, je détacherai encore quelques documents, comme déclarations complémentaires, qui remplaceront des détails supprimés aux descriptions précédentes pour éviter trop de longueurs.
« Lettre de M. l’abbé D..., ancien précepteur du fils de Mme de X..., actuellement curé d’une paroisse de Normandie, à M. Morice.
« J’ai été témoin de tous les faits qui se sont passés au château du T..., depuis le 12 octobre 1875 jusqu’au 30 janvier 1876. Je peux vous attester que les faits relatés dans le manuscrit précédent ne peuvent être l’œuvre d’un homme : tous ces bruits ont été entendus non par une personne, mais par un grand nombre de témoins, et les coups étaient tellement forts qu’on pouvait les entendre à une distance de 500 mètres. Je ne vous ferai pas un nouveau récit des faits, puisque vous les connaissez. Des évènements de ce genre se sont également passés dans l’ancien château. Pendant toutes ces tracasseries, M. de X... a pris toutes les précautions imaginables. Comment un homme aurait-il pu s’introduire dans ma chambre, changer les objets de place sans que je le voie ? Comment monter sur le haut de la cheminée, répandre de l’eau sur mon feu de manière à me couvrir de cendre ? Et cela se produisait pendant le jour, en temps de sécheresse. Mon élève fut témoin du fait et je crois encore le voir courir. Comment se fait-il qu’au milieu des plus grands bruits la chienne de M. de X..., qui était cependant bien dressée, ne manifestait aucun étonnement ? Comment expliquer qu’une fenêtre bien fermée s’ouvre d’elle-même devant nos yeux ? Les cris que nous avons entendus n’étaient pas des cris humains ; souvent les murs du château étaient tellement ébranlés que je craignais de voir le plafond tomber sur ma tête. Où trouver un homme qui puisse faire tout cela ? Pour moi, je ne connais que le diable. »
M..., 12 janvier 1893.
« Lettre de M. Morice à M. Dariex.
« Mon cher Docteur,
« M. de X..., comme nous l’avons vu par la dernière phrase de son manuscrit, attribuait à la cérémonie de l’exorcisme et aux prières qui avaient été dites à la suite de la cérémonie, la cessation des phénomènes. Lorsqu’il l’écrivait, c’est-à-dire le 29 janvier, M. de X... était certainement de bonne foi ; les évènements ne devaient pas tarder à le détromper.
« Par elle-même, la cérémonie de l’exorcisme ne donna aucun résultat : elle fut pratiquée, en effet, le 14 ou le 15 janvier, et nous connaissons par le récit même de M. de X... ce qui s’est passé depuis cette date jusqu’au 29 janvier. On doit reconnaître qu’à la suite des prières ordonnées par le prêtre exorciste le calme sembla renaître à la fin de janvier. Mais à la fin d’août et surtout en septembre, le château du T... redevint le théâtre de faits aussi étranges que ceux que nous connaissons déjà.
« Je me suis adressé à un des témoins qui a passé toute l’année 1876 au château du T... en qualité de précepteur du fils de M. de X... et voici la lettre que j’en ai reçue :
« Lettre de l’abbé M... à M. G. Morice.
“ B... 20 janvier 1893.
“ Monsieur,
“ Après les exorcismes, une grande accalmie se produisit. Un fait même, presque incroyable, eut lieu, qui donna beaucoup d’espoir pour l’avenir.
“ Voici ce fait : vous avez vu dans le journal que des médailles de saint Benoît, des croix indulgenciées, des médailles de Lourdes avaient été placées à toutes les portes. Toutes ces médailles et croix formaient un paquet assez volumineux. Vous avez vu aussi que, dans la nuit qui suivit, un vacarme effrayant s’était produit, et que le lendemain, médailles et croix avaient disparu sans qu’il ait été possible de rien retrouver, et cependant elles étaient nombreuses et les portes étaient nombreuses aussi. Or, les exorcismes étaient terminés et furent suivis de quelques jours de calme. Vous devez bien penser si ce temps parut agréable ; mais voilà que deux ou trois jours après, Madame écrivait quelques lignes, à genoux auprès d’un petit bureau, lorsque, tout à coup, un immense paquet de médailles et de croix tomba devant elle, sur le petit bureau. Il pouvait être environ 10 h 30 du matin. D’où tombaient ces médailles ? C’étaient bien toutes les médailles placées aux portes, à l’exception des médailles de Lourdes.
“ Le bon curé du T... auquel l’histoire fut racontée et qui, comme moi, connaissait la loyauté, la droiture de ses châtelains, et qui tenait à les garder dans sa paroisse, leur dit : – Courage ! le diable rend les armes, tout est bien fini, soyez rassurés : vous allez être tout à fait tranquilles. Mais, à part, le brave homme disait : – Je crains, je crains encore beaucoup, Lourdes n’est pas revenu.
“ Vers la fin du mois d’août, ces petits bruits revinrent plus fréquents et mieux caractérisés. Une nuit même, plusieurs personnes (moi en particulier) entendirent des coups rapides et assez violents dans la lingerie ; ces coups ressemblaient tout à fait à ceux qui s’étaient produits l’année précédente, au commencement des phénomènes.
“ Un samedi, dans la nuit précédant le dimanche, qui était le troisième dimanche de septembre, un grand vacarme se produisit dans le salon et dura une partie de la nuit. Le matin, M. de X..., qui avait dans sa poche la clef du salon, descend avec inquiétude, il ouvre et trouve le canapé et les fauteuils déplacés extraordinairement loin de leur place. Le tout était disposé comme pour un conciliabule et formait le fer à cheval, dont le centre était occupé par le canapé.
“ Bon ! le diable a tenu conseil et va recommencer. M. de X... ouvre son harmonium et joue pendant très longtemps. Comme il fermait l’instrument, une partie des airs qu’il venait de jouer se répète dans le coin opposé du salon, et cela pendant un temps assez notable.
“ Quelques jours après, M. de X... s’absente pour trois jours. Pendant ce temps, Madame laissait allumées dans sa chambre une lampe et deux bougies. Comme elle craignait surtout les apparitions, elle mit un verrou pour fermer la porte de son cabinet de toilette, se disant : « De la sorte, je n’aurai que la porte d’entrée à surveiller. » À minuit, nous entendons un coup effroyable qui nous réveille tous, et Madame entend comme le bruit d’un paquet de linge qui serait tombé au milieu de sa chambre. À ce moment même, lampe et bougies sont éteintes, et Madame entend comme le bruit sec du verrou qu’on retirait. Et, de fait, le verrou était tiré.
“ Le lendemain, Madame entend résonner une note d’un petit orgue à tuyaux qui se trouvait dans sa chambre, et cela pendant longtemps. Le surlendemain, jour de la rentrée de M. de X..., j’entends, vers 2 h 30, le même orgue, et des airs nombreux se font entendre. Madame et une amie à elle étaient absentes. Je crus à la rentrée de M. de X... qui, cependant, ne rentra qu’à 6 h. Je lui fis part de ce qui venait d’arriver et il me répond : J’ai la clef de l’instrument dans ma poche. C’était exact, et l’orgue était fermé.
“ Une autre fois, dans ma chambre, une commode lourdement chargée de livres et remplie de linge se soulève à 50 centimètres du parquet et reste quelque temps dans cet état. Mon jeune élève me le fait remarquer. Je m’appuie sur la commode, elle ne cède pas, puis elle se remet d’elle-même en place. Il pouvait être 3 h de l’après-midi.
“ Un soir, ce sont les fenêtres de ma chambre qui s’ouvrent à plusieurs reprises ; il ne faisait aucun vent.
“ X..., curé de B... ”
« Il ne nous reste qu’une chose à ajouter, c’est que les auteurs des lettres que nous avons citées sont des prêtres dont la parfaite honorabilité ne permet pas un seul instant de douter de leur entière bonne foi. »
« G. Morice. »
Un officier emploie son revolver
Voici, par surcroît, l’extrait d’une lettre de Mme Le N. des V. au Dr Dariex.
« Le château est venu par voie d’héritage, je crois, à M. de X... L’ancienne propriétaire serait morte dans l’impénitence finale, et elle passait pour revenir dans son château.
« Quand les premiers bruits se produisirent, M. de X... pensa avoir affaire à des vivants désireux de l’effrayer assez pour lui faire abandonner le château, qui eût, dans ces circonstances, été vendu à vil prix, ainsi que les terres en dépendant. Il fit donc faire d’exactes recherches, sonder les murs, les caves, pour tâcher de découvrir les passages oubliés par lesquels on aurait pu y pénétrer. Malgré la plus exacte vigilance, on ne découvrit rien sur l’origine de ces bruits, qui allèrent en augmentant, en dépit des précautions.
« Il acheta deux redoutables chiens de garde qu’on lâcha toutes les nuits : rien n’y fit.
« Un jour, les animaux se mirent à hurler, dans la direction d’un des massifs du jardin, avec une telle persistance, que M. de X... crut que des malfaiteurs s’y étaient cachés. Il s’arma, fit armer ses domestiques, on cerna le massif et on y lâcha les chiens. Ils s’y précipitèrent avec fureur, mais à peine y eurent-ils pénétré, que leurs hurlements se changèrent en aboiements plaintifs, comme ceux des chiens recevant une correction : ils s’enfuirent la queue basse, et on ne put les y faire rentrer. Les hommes entrèrent alors dans le massif, le fouillèrent dans tous les sens et n’y trouvèrent absolument rien.
« La chambre de l’abbé était toujours celle où il se passait le plus de diableries. Il n’en sortait plus sans la fermer à double tour et en garder la clef dans sa poche. Cela n’y faisait rien. Sa fenêtre, fermée avec soin, se retrouvait ouverte, des meubles avaient été déplacés, renversés. On condamna la fenêtre en l’assujettissant avec de fortes vis ; elle s’ouvrait quand même, et l’on trouvait les vis à terre. Un jour, au moment où l’abbé descendait, il entendit dans sa chambre un bruit si violent, qu’il remonta aussitôt. Sa bibliothèque était renversée et ses livres projetés à l’autre bout de la chambre, non pas pêle-mêle comme en sortant d’un meuble qui tombe, mais par files régulières, tels qu’ils étaient sur les tablettes.
« L’effroi devint tel que l’abbé et son élève allèrent s’installer chez le curé.
« Autre fait. – Un ami ou cousin, officier, voulut coucher une nuit dans la chambre particulièrement hantée où ne couchait habituellement personne. Il avait son revolver, se promettant bien de tirer sur quiconque viendrait troubler son sommeil. Il avait gardé de la lumière. Il fut réveillé par le froufrou d’une robe de soie !... et sentit qu’on lui tirait son couvre-pieds ; il interpella le visiteur nocturne sans obtenir de réponse, et alluma sa bougie, qui s’éteignit aussitôt ; trois fois il la ralluma, trois fois elle fut éteinte, et toujours le froufrou de la soie et le manège du couvre-pieds continuaient ; il se décida à tirer au jugé, le glissement des couvertures sur son corps lui indiquant la position occupée par l’être qui les tirait, et qu’il devait atteindre presque à bout portant. Il fit feu sans aucun résultat ; pourtant les balles n’avaient pas été enlevées des cartouches, car on les retrouva le matin dans la muraille. »
Voici encore une autre lettre complémentaire.
« Lettre de M. le curé J... à M. Morice.
« Monsieur le Docteur,
« Je puis vous certifier que j’ai entendu les bruits extraordinaires rapportés dans le journal de M. de X... J’ai eu entre les mains ce journal, je l’ai lu et je l’ai trouvé d’une parfaite exactitude.
« Je n’ai aucun doute sur la nature des faits constatés au château du T..., pour moi, c’est du surnaturel diabolique. Vous pourriez consulter le révérend père H..., remplissant les fonctions de curé de M..., il a passé quinze jours ou trois semaines au château : il était envoyé par Monseigneur avec mission de faire des exorcismes (secrets) s’il le jugeait convenable.
« J. A.,
« Curé de S.-D. »
La lettre du révérend père a été également publiée. Mais vraiment, un plus grand nombre de documents seraient superflus. Nous sommes complètement fixés sur la réalité de ces faits stupéfiants.
À la suite de ces évènements intolérables, le propriétaire désespéré vendit son château et alla habiter ailleurs.
Le Dr Dariex a terminé cette importante exposition de tous ces faits incompréhensibles par les lignes que voici :
« J’ai eu récemment la visite du prince H... qui s’efforcera, avec M. Morice, de pousser encore plus loin, si possible, cette enquête déjà si riche en documents et en témoignages provenant de témoins d’une honorabilité et d’une sincérité complètes.
« Le château du T... est, de beaucoup, l’exemple le plus remarquable des phénomènes de hantise qui soient parvenus à notre connaissance et qui s’appuient sur des documents et des témoignages aussi rigoureux.
« Nous ne pouvons révoquer en doute ces nombreuses observations. Elles sont bien remarquables à divers titres ; et la bonne foi de ceux qui rapportent ces phénomènes n’est pas douteuse.
« Xavier Dariex. »
Toute cette histoire est extraordinaire, sans contredit. Mais son authenticité est aussi certaine que celle de la guerre allemande de 1914-1918, assurément plus folle et plus stupide encore, avec ses effroyables crimes. C’est une des observations les plus documentées que nous connaissions et, à ce titre, elle est insérée ici en tête de notre exposition, avec ses principaux détails, et non résumée sommairement. Je ne m’arrêterai pas à la discussion de l’hypothèse du « surnaturel diabolique ». À réserver. Continuons nos investigations, sans aucune idée préconçue. Les recherches explicatives ne pourront venir logiquement qu’après l’ensemble des observations.
Il me semble, néanmoins, que nous ne pouvons pas ne pas nous sentir autorisés à conclure de tout cela qu’il y a des êtres invisibles.
Camille FLAMMARION,
Les maisons hantées, 1923.
Recueilli dans Les hôtes invisibles,
textes réunis et commentés
par Michel Damien,
Tchou / Laffont, 1978.