Les vers dorés des pythagoriciens

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

A. FROMENT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les vers dorés, ainsi nommés parce que l’or est le symbole de la lumière et qu’ils étaient destinés à éclairer le disciple qui en faisait sa méditation, sont tout ce qui nous reste de véritablement authentique concernant la doctrine de Pythagore. Ces vers lui ont été constamment attribués, et cependant ils sont l’ouvrage d’un de ses disciples, qui y renferma la doctrine de son maître. Ce disciple s’appelait Lysis ; s’ils ne portèrent pas le nom de ce dernier, c’est qu’à cette époque l’usage subsistait encore de ne pas désigner les ouvrages philosophiques par le nom de leurs auteurs, mais bien par celui du maître dont ils enseignaient la doctrine. C’est ainsi qu’Hermès, en Égypte, s’est vu attribuer plus de trente mille ouvrages ; il en est de même d’Orphée, en Grèce.

Le texte primitif des Vers dorés est en grec ; il a été traduit en notre langue par Fabre d’Olivet, et accompagné par ce dernier d’un savant commentaire. Cet homme extraordinaire, dont les ouvrages sont trop peu connus, avait pénétré fort loin dans la doctrine ésotérique de l’antiquité, et nous avons de fortes raisons de supposer qu’il fut le maître de M. de Saint-Yves.

Voici le texte des vers dorés :

 

                               PRÉPARATION

     

     Rends aux dieux immortels le culte consacré ;

     Garde ensuite ta foi : révère la mémoire

     Des héros bienfaiteurs, des esprits demi-dieux.

     

                               PURIFICATION

     

     Sois bon fils, frère juste, époux tendre et bon père.

     Choisis pour ton ami l’ami de la vertu ;

     Cède à ses doux conseils, instruis-toi par sa vie ;

     Et pour un tort léger ne le quitte jamais,

     Si tu le peux du moins, car une loi sévère

     Attache la puissance à la nécessité.

     Il t’est donné pourtant de combattre et de vaincre

     Tes folles passions : apprends à les dompter,

     Sois sobre, actif et chaste, évite la colère.

     En public, en secret, ne te permets jamais

     Rien de mal ; et surtout respecte-toi toi-même.

     Ne parle et n’agis point sans avoir réfléchi.

     Sois juste ; souviens-toi qu’un pouvoir invincible

     Ordonne de mourir ; que les biens, les honneurs

     Facilement acquis sont faciles à perdre.

     Et quant aux maux qu’entraîne avec soi le destin,

     Juge-les ce qu’ils sont : supporte-les et tâche,

     Autant que tu pourras, d’en adoucir les traits :

     Les dieux aux plus cruels n’ont pas livré les sages.

     Comme la vérité, l’erreur a ses amants :

     Le philosophe approuve ou blâme avec prudence ;

     Et si l’erreur triomphe, il s’éloigne, il attend.

     Écoute et grave bien en ton cœur mes paroles :

     Ferme l’œil et l’oreille à la prévention ;

     Crains l’exemple d’autrui ; pense d’après toi-même ;

     Consulte, délibère et choisis librement.

     Laisse les fous agir et sans but et sans cause,

     Tu dois dans le présent contempler l’avenir.

     Ce que tu ne sais pas, ne prétends point le faire.

     Instruis-toi, tout s’accorde à la constance, au temps.

     Veille sur ta santé ; dispense avec mesure,

     Au corps les aliments, à l’esprit le repos ;

     Trop ou trop peu de soin sont à fuir ; car l’envie,

     À l’un et l’autre excès, s’attache également.

     Le luxe et l’avarice ont des suites semblables.

     Il faut choisir en tout un milieu juste et bon.

     

                               PERFECTION

     

     Que jamais le sommeil ne ferme ta paupière

     Sans t’être demandé : Qu’ai-je omis ? qu’ai-je fait ?

     Si c’est mal, abstiens-toi ; si c’est bien, persévère ;

     Médite mes conseils, aime-les, suis-les tous,

     Aux divines vertus ils sauront te conduire.

     J’en jure par celui qui grava dans nos cœurs

     La tétrade sacrée, immense et pur symbole,

     Source de la nature et modèle des dieux.

     Mais, qu’avant tout, ton âme, à son devoir fidèle,

     Invoque avec ferveur ces dieux, dont les secours

     Peuvent seuls achever tes œuvres commencées.

     Instruit par eux, alors rien ne t’abusera,

     Des êtres différents tu sonderas l’essence ;

     Tu connaîtras le tout, le principe et la fin.

     Tu sauras – si le ciel le veut – que la nature,

     Semblable en toute chose, est la même en tout lieu,

     En sorte qu’éclairé sur tes droits véritables,

     Ton cœur de vains désirs ne te repaîtra plus ;

     Tu verras que les maux qui dévorent les hommes

     Sont le fruit de leur choix, et que ces malheureux

     Cherchent loin d’eux les biens dont ils portent la source.

     Peu savent être heureux : jouets des passions,

     Tour à tour ballottés par des vagues contraires,

     Sur une mer sans rive, ils roulent aveuglés,

     Sans pouvoir résister, ni céder à l’orage.

     Dieu ! vous les sauveriez en dessillant leurs yeux...

     Mais non : c’est aux humains, dont la race est divine,

     À discerner l’erreur, à voir la vérité.

     La nature les sert. Toi qui l’as pénétrée,

     Homme sage, homme heureux, respire dans le port.

     Mais observe mes lois, en t’abstenant des choses

     Que ton âme doit craindre en les distinguant bien ;

     En laissant sur le corps régner l’intelligence,

     Afin que t’élevant dans l’éther radieux,

     Au sein des immortels, tu sois un dieu toi-même.

 

On remarquera la division de ce poème en trois parties correspondant aux trois degrés principaux de toute Initiation. La Préparation, qui dispose préalablement le disciple à recevoir l’enseignement sacré ; la Purification, où il apprend à se rendre maître de ses passions, et la Perfection ou union intime de la Divinité, état que les Bouddhistes nomment l’arrivée au Nirvana.

Donnons maintenant, en abrégeant le plus possible, les commentaires de Fabre d’Olivet sur les endroits dignes d’attirer notre attention.

 

     Rends aux Dieux immortels le culte consacré,

     Garde ensuite la foi…

 

Pythagore établit par ces mots un principe de tolérance universelle ; il recommande à son disciple de suivre le culte établi par les lois de son pays, et en même temps de rester intérieurement fidèle à la vraie doctrine, et de ne pas en révéler les mystères. C’est ce qui explique pourquoi, dans l’antiquité, les initiés pouvaient rendre hommage aux Dieux des différents pays et sacrifier sur tous les autels du monde ; ils savaient que tous les peuples adoraient le même Dieu et que les noms seuls changeaient ; ils ramenaient facilement à l’unité de l’essence l’infinité des attributs de l’Être ineffable qu’il leur était défendu de nommer.

 

     … Révère la mémoire

     Des héros bienfaiteurs, des esprits demi-dieux.

 

Pour comprendre ce passage, il faut considérer que le Kosmos ou monde universel était conçu par Pythagore comme composé de trois mondes particuliers, émanant l’un de l’autre : le monde divin, peuplé par les Intelligences nommées Dieux immortels, émanations directes de l’Être Incréé et manifestations de ses facultés infinies ; le monde mixte, séjour des Héros glorifiés ou âmes des hommes qui, par leur degré de pureté, s’étaient le plus rapprochés de l’Être des êtres, et le monde matériel, habité par les démons 1 terrestres, un peu moins élevés que les précédents sur l’échelle des esprits. En outre, Pythagore admettait, entre Dieu et l’homme, une chaîne d’êtres intermédiaires, dont les perfections décroissaient en vertu de leur éloignement du principe créateur.

 

     Sois bon fils, frère juste, époux tendre et bon père ;

     Choisis pour ton ami l’ami de la vertu.

     ………………………………………………..

     Si tu le peux du moins ; car une loi sévère

     Attache la puissance à la nécessité.

 

Pythagore ordonne d’honorer ses parents, et il dit de choisir son ami ; en effet, la nature présidant à notre naissance nous donne un père et une mère ; l’homme, n’étant pas libre de se donner des parents, doit les respecter tels qu’ils sont, en remplissant à leur égard tous les devoirs de la nature ; mais comme rien ne le contraint à donner son amitié, il ne doit le faire qu’à celui qui sait s’en rendre digne par son attachement à la vertu. Ou voit par les vers qui suivent que Pythagore admettait deux mobiles des actions humaines : une nature contrainte appelée fortune ou nécessité, conséquence d’un ordre antérieur, et une nature libre appelée puissance ou volonté, agissant sur les choses forcées comme sur une matière brute, les modifiant et en tirant à son gré des résultats bons ou mauvais.

 

     Il t’est donné pourtant de combattre et de vaincre

     Tes folles passions : apprends à les dompter.

 

Dans ces vers, Lysis, pour éviter le reproche qui pourrait lui être fait d’enseigner une fatalité absolue, établit l’empire de la volonté sur les passions, affirmant implicitement ce précepte de Pythagore : qu’il n’y a de libre que celui qui sait se commander.

 

     Et quant aux maux qu’entraîne avec soi le destin,

     Juge-les ce qu’ils sont, supporte-les et tâche,

     Autant que tu pourras, d’en adoucir les traits.

 

Pythagore admettait plusieurs existences successives et disait que le présent qui nous frappe et l’avenir qui nous menace ne sont que l’expression du passé qui a été notre ouvrage dans des temps antérieurs. Il disait que la plupart des hommes perdent en revenant à la vie le souvenir de ces existences ; mais que, lui, devait à une faveur des dieux de s’en ressouvenir. Ainsi, d’après cette doctrine, l’homme doit connaître la source de ses malheurs et ne s’en prendre qu’à lui-même s’il souffre par une suite inévitable de ses fautes passées ; il est placé entre deux natures opposées, mais non pas contraires, indifféremment bonnes ou mauvaises, suivant l’usage qu’il sait en faire. La puissance de la volonté s’exerce sur les choses à faire, la nécessité du destin sur les choses faites ou sur le passé, et l’une alimente sans cesse l’autre en travaillant sur les matériaux qu’elles se fournissent réciproquement, car, selon cet admirable philosophe, c’est du passé que naît l’avenir, de l’avenir que se forme le passé, et de la réunion de l’un et de l’autre que se forme le présent toujours existant, duquel ils tirent également leur origine. Rien de ce qui existe n’arrive par hasard, mais par l’union de la loi fondamentale et providentielle avec la volonté humaine, qui la suit ou la transgresse en opérant sur la nécessité. L’accord de la Volonté et de la Providence constitue le bien, le mal naît de leur opposition.

 

     Les dieux aux plus cruels n’ont pas livré les sages.

 

Selon la doctrine enseignée dans les mystères, la Volonté de l’homme libre est toute puissante, elle peut influer sur la Providence elle-même. Évertuée par la foi, et lorsqu’elle agit dans une âme forte, elle peut subjuguer la nécessité, commander à la nature et opérer des prodiges.

 

     Comme la vérité, l’erreur a ses amants ;

     Le philosophe approuve et blâme avec prudence,

     Et si l’erreur triomphe, il s’éloigne, il attend.

     Écoute et grave bien en ton cœur mes paroles,

     Ferme l’œil et l’oreille à la prévention,

     Crains l’exemple d’autrui, pense d’après toi-même.

 

Lysis continue, au nom de Pythagore, à tracer au philosophe la route qu’il doit suivre dans la première partie de sa doctrine qui est la purification. Après lui avoir recommandé la modération en toutes choses, l’avoir exhorté à être aussi long à blâmer qu’à approuver, il cherche à le mettre en garde contre les préjugés et la routine de l’exemple, qui sont en effet les obstacles les plus grands que rencontrent la science et la vérité.

 

     Consulte, délibère et choisis librement.

 

Pythagore ne perd aucune occasion de faire sentir à ses disciples que, quoique nécessités par le destin à se trouver dans telle ou telle position, ils restent libres de peser les suites de leur action et de se décider sur le parti qu’ils doivent prendre.

 

     Laisse les fous agir et sans but et sans cause,

     Tu dois dans le présent contempler l’avenir.

 

C’est-à-dire, nous devons considérer quels seront les résultats de nos actions, et songer que ces résultats, dépendant de notre volonté tant que l’action demeure en suspens, deviendront le domaine de la nécessité à l’instant où l’action sera exécutée ; et, croissant dans le passé, une fois qu’ils auront pris naissance, concourront à former le canevas d’un nouvel avenir.

 

     Il faut choisir en tout un milieu juste et bon.

 

Lysis termine la partie purgative de la doctrine par le trait qui la caractérise en général et en particulier ; il a montré le juste milieu dans la vertu, dans la science ; il vient de le recommander dans la conduite et l’énonce enfin en toutes lettres, et dit ouvertement que les extrêmes se touchent et que la philosophie consiste à éviter en tout l’excès.

 

     Que jamais le sommeil ne ferme ta paupière

     Sans t’être demandé : Qu’ai-je omis ? Qu’ai-je fait ?

     Si c’est mal ; abstiens-toi ; si c’est bien, persévère.

     Médite mes conseils, aime-les, suis-les tous,

     Aux divines vertus ils sauront te conduire.

 

Après avoir montré la route pour se rendre à la vertu, Lysis va indiquer l’usage qu’il faut faire de ce don céleste ; il va passer à la partie qui unit l’homme à la divinité, en le rendant de plus en plus semblable au monde de perfection et de toute sagesse.

 

     J’en jure par celui qui grava dans nos cœurs

     La tétrade sacrée, immense et pur symbole,

     Source de la nature et modèle des dieux.

 

Le quaternaire pythagoricien était l’emblème de toute chose se mouvant par elle-même et se manifestant par ses modifications facultatives ; car 1 et 2 représentaient les principes cachés des choses, 3 leurs facultés et 4 leur essence propre. Ces quatre nombres constituaient l’Être tant universel que particulier et pouvaient devenir l’emblème de tous les êtres, puisqu’il n’en est aucun qui ne reconnaisse des principes, qui ne se manifeste par des facultés plus ou moins parfaites, et qui ne jouisse d’une existence universelle ou relative, mais l’être auquel on l’appliquait le plus ordinairement était l’homme. On considérait celui-ci sous les trois modifications de corps, âme et esprit, les principes étaient l’indivisible ou l’esprit et le divisible ou le corps ; l’âme prenait naissance de ce dernier principe élaboré par le premier.

Les trois facultés qui distinguent le ternaire humain sont : la sensibilité pour le corps, le sentiment pour l’âme, l’assentiment pour l’esprit. Ces trois facultés développent : l’instinct, l’entendement et l’intelligence, qui produisent, par une mutuelle réaction, le sens commun, la raison et la sagacité. L’instinct est passif, l’intelligence active, l’entendement est neutre. La sensibilité perçoit les sensations, le sentiment conçoit les idées, l’assentiment élit les pensées ; la perception, la conception, l’élection, sont les modes d’agir de l’instinct, de l’entendement et de l’intelligence. L’entendement est le siège de toutes les passions, que l’instinct alimente continuellement, excite et tend à désordonner, et que l’intelligence épure, tempère et cherche toujours à mettre en harmonie.

L’instinct, réactionné par l’entendement, devient sens commun ; il perçoit des notions plus ou moins nettes, suivant le plus ou moins d’influence qu’il accorde à l’entendement.

L’entendement, réactionné par l’intelligence, devient raison, il conçoit des opinions d’autant plus justes que ses passions sont plus calmes. La raison ne peut point, de son propre mouvement, arriver à la sagesse et trouver la vérité ; car celle-ci étant une et ne résidant que dans un seul point de la circonférence, ne peut être l’objet de la raison qu’autant qu’elle est connue d’avance et que la raison est mise dans la direction convenable pour la rencontrer. L’intelligence, qui peut seule mettre la raison dans cette direction, par l’assentiment qu’elle donne au point de départ, ne saurait jamais connaître ce point que par la sagesse qui est le fruit de l’inspiration. Or, l’inspiration est le mode d’agir de la volonté, qui, se joignant au triple ternaire qui vient d’être décrit, constitue le quaternaire ontologique humain, C’est la volonté qui enveloppe le ternaire primordial dans son unité et qui détermine à se mouvoir chacune de ses facultés selon son mode propre.

Les trois facultés par lesquelles l’unité volitive se manifeste dans le triple ternaire, sont : la mémoire, le jugement et l’imagination. Ces trois facultés, agissant dans une unité homogène, n’ont point de haut ni de bas, n’affectent point une des modifications de l’Être plutôt qu’une autre ; elles sont toutes où est la volonté, et la volonté opère à son gré dans l’intelligence, l’entendement et l’instinct ; elle est là où elle veut être – lorsque l’être est entièrement développé ; car elle est d’abord dans l’instinct, puis dans l’entendement, et enfin dans l’intelligence, et elle ne passe ainsi qu’à mesure que les facultés animiques et spirituelles se développent ; mais pour que ce développement ait lieu, il faut qu’elle le détermine, car sans elle il n’y a pas de mouvement.

Voilà l’origine de l’inégalité parmi les hommes 2. Quand la volonté ne sort pas de la matière, elle constitue les hommes instinctifs ; quand elle se concentre dans l’entendement, elle produit les hommes animiques ; quand elle agit dans l’esprit, elle produit les hommes intellectuels ; sa parfaite harmonie dans le ternaire primordial, et son action plus ou moins énergique dans l’ensemble de leurs facultés également développées, constituent les hommes extraordinaires, doués d’un génie sublime ; mais ceux-ci sont extrêmement rares, ce sont ceux parvenus au plus haut degré de l’initiation 3.

 

     Mais qu’avant tout ton âme, à son devoir fidèle,

     Invoque avec ferveur ces Dieux dont le secours

     Peuvent seuls achever tes œuvres commencées.

 

Le vrai disciple de Pythagore, mis en rapport avec les Dieux par la contemplation, arrivé au plus haut degré de perfection, voyait tomber devant lui le voile mensonger qui lui cachait la Vérité. Il fallait, pour arriver à ce degré, que l’intelligence, pénétrée par le rayon divin de l’inspiration, remplît l’entendement d’une lumière assez vive pour dissiper toutes les illusions des sens, exalter l’âme et la dégager entièrement de la matière. La contemplation de Dieu pouvait être portée si loin pendant cette vie même, que l’âme non seulement s’unissait à cet Être des êtres, mais se confondait avec lui. Toutes les initiations, toutes les doctrines mythologiques ne tendaient qu’à alléger l’âme du poids de la matière, à l’épurer, à l’éclairer par l’irradiation de l’intelligence, afin que, désireuse des biens spirituels et s’élançant hors du cercle des générations, elle pût s’élever jusqu’à la source de son existence.

 

     Tu sauras, si le ciel le veut, que la Nature,

     Semblable en toute chose, est la même en tout lieu.

 

L’homogénéité de la nature était, avec l’unité de Dieu, un des plus grands secrets des Mystères. Pythagore fondait cette homogénéité sur l’unité de l’esprit 4 dont elle est pénétrée et dont, selon lui, toutes nos âmes tirent leur origine. Les sages établissaient une analogie parfaite entre le ciel et la terre, l’Intelligible et le Sensible, l’essence indivisible et la substance divisible, de manière que ce qui se passait dans une des régions de l’Univers ou des modifications du ternaire primordial, était l’image exacte de ce qui se passait dans l’autre 5.

C’est sur l’homogénéité de la nature que se fondaient les sciences dites occultes, dont les quatre principales, se rapportant au quaternaire humain, étaient la Théurgie, l’Astrologie 6, la Magie et l’Alchimie.

 

     En sorte qu’éclairé par tes droits véritables,

     Ton cœur de vains désirs ne se repaîtra plus.

 

C’est-à dire que le disciple de Pythagore parvenu, par la connaissance de soi-même, jusqu’à la vérité, doit juger sainement de la possibilité ou de l’impossibilité des choses et trouver dans la sagesse même ce juste milieu qu’il a trouvé dans la vertu et dans la science.

 

     Tu verras que les maux qui dévorent les hommes

     Sont le fruit de leur choix, et que ces malheureux

     Cherchent loin d’eux les biens dont ils portent la source.

     Peu savent être heureux, jouets des passions,

     Tour à tour ballotté par des vagues contraires.

     Sur une mer sans rive ils roulent aveuglés,

     Sans pouvoir résister ni céder à l’orage.

 

Pythagore considérait l’homme comme tenant le milieu entre les choses intellectuelles et sensibles, le dernier des êtres supérieurs et le premier des inférieurs, libre de se mouvoir soit vers le haut, soit vers le bas, au moyen de ses passions, qui réduisent en acte le mouvement ascendant ou descendant que sa volonté possède en puissance, tantôt s’unissant aux immortels et, par son retour à la vertu, recouvrant le sort qui lui est propre, et tantôt se replongeant dans les espèces mortelles, et, par la transgression des lois divines, se trouvant déchu de sa dignité.

 

     En laissant sur le corps régner l’intelligence

     Afin que, s’élevant dans l’éther radieux,

     Au sein des Immortels tu sois un dieu toi-même.

 

Ceci était le grand objet des Mystères, le grand but de l’Initiation ; cette déification était réservée, selon Pythagore, à celui qui a acquis la vérité par ses facultés intellectuelles, la vertu par ses facultés animiques et la pureté par ses facultés instinctives ; cette pureté, après la chute de sa dépouille matérielle, brillait et se faisait reconnaître dans la forme du corps lumineux que l’âme s’était donné pendant sa réclusion dans son corps ténébreux. Il croyait qu’il existe des biens célestes proportionnés à chaque degré de vertu, et qu’il est pour les âmes des rangs différents suivant le corps lumineux dont elles sont revêtues. Le suprême bonheur n’appartient, selon lui, qu’à celle qui a su se recouvrer elle-même par son union intime avec l’intelligence, et dont l’essence, changeant de nature, est devenue entièrement spirituelle. Il faut qu’elle soit élevée à la connaissance des vérités universelles et qu’elle ait trouvé, autant qu’il est en elle, le principe et la fin de toutes choses.

Alors parvenue à ce haut degré de perfection, attirée dans cette immuable région dont l’élément éthéré n’est plus assujetti au mouvement descendant de la génération, elle peut se réunir par ses connaissances au Tout universel et réfléchir dans tout son être la lumière ineffable dont l’Être des êtres, Dieu lui-même remplit incessamment l’immensité.

 

 

A. FROMENT.     

(Hautes études)       

 

Paru dans La Lumière en janvier 1890.

 

 

 

 



1  Le mot démon est pris ici dans son véritable sens ; on sait que, en grec, il signifie esprit divin ou génie.

2  C’est aussi l’origine des castes qui existent aujourd’hui dans l’Inde, mais détournées de leur véritable principe qui était une classification des humains basée sur le développement de leurs facultés.

3  Nous transcrivons textuellement cette dissertation remarquable à plus d’un titre.

4  Cet esprit est nommé Akasa par les Bouddhistes ésotériques.

5  Ou connaît l’axiome d’Hermès Trismégiste dans la table d’émeraude : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut », et vice versa.

6  L’astrologie était fondée sur deux principes, l’un était celui indiqué ci-dessus, et l’autre était basé sur ceci : que la route que l’homme parcourt dans le temps, il l’a déjà parcourue dans une l’existence antérieure, et que l’on pouvait ainsi arriver à connaître d’avance les conséquences des actes passés se reflétant dans sa nouvelle existence.

 

 

 

 

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