Votre démission est refusée
par
Stanislas FUMET
Voici ce que tu diras aux enfants d’Israël :
– JE SUIS m’a envoyé vers vous.
(Exode, III, 14.)
1. Personne, même en cette seconde moitié du XXe siècle, ne nous fera croire que le trésor divin est épuisé ! Dieu n’est pas un monarque grevé de dettes qui a besoin de recourir aux prétendues inventions de l’athéisme, ou du matérialisme athée, si dialectique, si hégélien soit-il, pour redorer son blason. C’est pourtant ce qui ressort de la pensée la moins antichrétienne d’aujourd’hui : à les lire, hommes de sciences, hommes de lettres, on dirait que le Dieu de la Révélation est un peu honteux de l’état de sa trésorerie.
C’est une sourde imposture à laquelle les meilleurs d’entre nous risquent de se laisser prendre. Le mensonge finit par avoir un air vrai, tant les esprits se complaisent à l’accueillir, à lui trouver bon goût et, l’ardeur de la chair s’en mêlant, à le propager. Il pourrait bien y avoir là quelque perversité secrète, car j’ai du mal à ne pas suspecter la loyauté de tous ces philosophes qui mettent un si grand empressement à tromper leur légitime épouse. Ils le font peut-être par dépit, les savants qui leur ont donné l’exemple ayant beaucoup gagné à préférer, comme ils ne le cachent plus, à cette frigide Raison tantôt l’observation nue, fille toute bête (mais ce qui est bête est plus sûr que ce qui est faux), tantôt une aventurière qui court la prétentaine du hasard en chevauchant des possibles stupéfiants dont le calcul des mathématiciens viendra ponctuellement baiser les traces. Mais l’erreur des philosophes est d’avoir porté sur les savants un regard de convoitise, comme si l’objet de leurs entreprises était le même. Berdiaev n’avait pas tort de reprocher sévèrement à Bergson, comme une incongruité, d’avoir lié sa belle philosophie à quelque chose d’aussi fugace, d’aussi éphémère, d’aussi provisoire et aléatoire que l’état de la science physico-chimique à l’époque où il vivait. « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas », dit moins modestement le « Je Suis » de Dieu. La science, telle qu’on l’entend de nos jours, n’a plus du tout à se réclamer de la Sagesse et, pour progresser, demande peu à l’esprit. Elle se veut purgée de toute métaphysique et c’est sa fierté de se déclarer humblement empirique. Mais la philosophie doit naître dans des conditions bien différentes. Elle relève essentiellement de cette Sagesse dont il lui faut cultiver l’amitié sous peine de n’avoir plus droit à un nom. Si elle entend répondre valablement aux questions que l’on pourra toujours lui poser, il convient qu’elle reste l’exercice d’une intelligence qui se pense elle-même en saisissant l’intelligible dans une chose dont elle est assez éprise pour, à son contact, devenir elle-même cet intelligible auquel elle s’identifie. Or ce n’est plus de cette intelligence « admiratrice de l’être » que l’on se recommande quand on s’évertue à soumettre Dieu aux mesures de l’Histoire, dont notre pseudo-Éternel ne peut que se montrer satisfait, après tout, de partager la transcendance !
En réalité, les incroyants ne vivent que sur le patrimoine des croyants. Ils ne se nourrissent que de nos restes. Je pense aux incroyants occidentaux, mais à quoi bon parler de l’Orient, qui est encore plus impénétrable à notre incroyant, même s’il le cite avec aigreur contre le christianisme, que le sentiment de ce christianisme. Car, s’il est pour l’Européen, ou son rejeton l’Américain, une possibilité d’apprécier dignement les beautés métaphysiques du Véda ou les ironies de la prudence chinoise, il lui faut une certaine formation spirituelle que nulle incroyance ne saurait lui procurer, même si la pensée asiatique débouche sur un souverain agnosticisme, ce qui n’est peut-être, au fond du fond, qu’une dernière pirouette de l’esprit analogue au : « tout est vanité » du Quohelet. (« Et cela aussi est une vanité », que tout ne soit que vanité...)
2. Les restes du croyant : oui, le mot dit bien, dit horriblement bien ce qu’il veut dire. Mais en fait que sont ces restes ? On pense à un maître luxueusement traité qui touche à peine à ce qu’on lui sert à table, parce qu’il mange aussi ailleurs et qu’il en a l’estomac délabré. Si nous avions mangé comme il se doit notre eucharistie, nous n’aurions pas abandonné toute cette substance aux « énergumènes ». Avec les restes du chrétien, on pourra vivre jusqu’à la fin du monde. Avec ce que nous avons gâché, on alimentera des hérésies innombrables. Si elles ont l’orgueil de se pavaner sous nos yeux, ces courtisanes arrogantes, armées d’une séduction dont le christianisme s’est privé inexpiablement par indolence ou par masochisme, elles ne doivent point ignorer quel manque à gagner pour les chrétiens est à l’origine de leur existence. Elles ne luisent que de notre défection. Ce n’est pas accuser injustement les chrétiens que de leur rappeler les promesses du Christ : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui-même les œuvres que je fais et en fera de plus grandes... » (Jean, XIV, 12). Était-ce là nous vouer à cette misère sur le plan des initiatives qui caractérise les fils de l’Église depuis le temps qu’ils n’osent plus distinguer dans leur mère qu’une couveuse obscure, bonne à les préserver d’un ennemi redoutable aux traits mal définis, alors que ceux de Satan sont parfaitement lisibles, et non cette surnaturelle libératrice de toutes les chaînes qui a pour mission d’engendrer des saints ou de découvrir en nos pauvres personnages des « dieux en fleur » ? Quand on rencontre dans l’Évangile des paroles comme celles que nous rapportons, on se demande si l’on ne rêve point. Or n’est-ce pas le Verbe du Seigneur Dieu, le Verbe fait chair, qui s’est exprimé de la sorte et serait-il vraisemblable que son Esprit se fût moqué de nous ? Lorsque l’athée ou l’agnostique se trouve en présence d’un saint François d’Assise, d’un saint Bernard, d’une sainte Jeanne d’Arc, d’une sainte Thérèse d’Avila, bien qu’il ne puisse en vérité à peu près rien y comprendre – qu’il nous permette de le lui dire charitablement –, il condescend à leur témoigner quelque admiration, mais pour les opposer sur-le-champ aux catholiques, aux chrétiens qu’il connaît. Or il ne peut pas se douter qu’il y a quelquefois en ceux-ci des valeurs qui lui échappent ; de là sa tendance à mépriser trop vite une apparence de médiocrité qui peut enclore des richesses de grâce dont il n’aura la mesure que le jour où cette même grâce daignera les lui confier. Néanmoins, comme les apparences ne doivent pas systématiquement trahir l’intérieur, et le corps le plus laid nécessairement contenir la plus belle âme, il faut une jolie dose de bonne volonté pour admettre que sous telle surface de niaiserie se dissimule, plutôt qu’ailleurs, la présence active de ce Dieu qui a créé le ciel et la terre et tout ce qui les habite, avec le temps qui les conditionne et l’éternité qui les absorbera... Celui qui a voulu nous informer qu’il est « doux et humble de cœur » et qui, selon la réflexion d’un spirituel, aimait mieux les enfants que ceux qui ne le sont plus parce que Dieu doit être plus enfant lui-même qu’adulte à la façon des « grands », Celui-là, nous le savons tous, était le même Rabbi nazaréen qui attaquait les superbes, fustigeait les marchands de colombes dans le Temple et n’avait pas vergogne de se déclarer Fils de Dieu.
Quel rapport y a-t-il entre sa religion à Lui, toute de lumière mais que la clarté incroyable de ses affirmations rendait si mystérieuse, et cette peureuse triste, cette veuve endeuillée, cette image mortuaire, que nous étions arrivés à lui substituer après mille huit cents ans d’usage ? « Ah ! on comprend, s’exclamait Léon Bloy, la fuite éperdue du XIXe siècle devant la Face ridicule du Dieu qu’on lui offre et on comprend aussi sa fureur ! » Et, s’il n’y avait eu, à côté de quelques rares fidélités parsemées dans leurs maigres rangs, des conversions de pauvres intellectuels – poètes, artistes, penseurs, savants même –, on en serait encore à rougir chez nous de cet héritage divin, de cette gloire inespérée pour la nature humaine que le Christ nous obtient par son sang et dont la théologie a montré les folles dispositions à tout l’univers, invité par la doctrine de l’Apôtre des nations à en profiter surabondamment.
3. Dieu ne se voit pas, nous objectera-t-on. À quoi Péguy lui faisait répondre avec naïveté : « J’éclate tellement dans ma Création ! » Mais il faudrait qu’il éclatât aussi dans les nôtres, je veux dire dans nos œuvres, nos « créations » à nous, qui sont par un côté à l’image de la sienne et qui doivent être marquées d’un signe au front comme les cent quarante-quatre mille élus de l’Apocalypse.
Malheureusement, le chrétien de notre époque est sujet à toutes sortes d’inhibitions que ce timoré prend pour des audaces et qui consistent à se cacher, avec son originalité chrétienne, dans l’ombre tutélaire des plus imposants incrédules, des plus incohérents négateurs. Une idée est-elle issue de l’incroyance, elle a pour nous aussitôt ce ragoût égyptien dont le souvenir faisait baver de concupiscence les Israélites au désert. Vos oignons, ô étrangers, auraient-ils plus de saveur que la pure manne de la grâce habituelle ? Et Dieu sait si les Égyptiens en question s’étonnent de notre préférence !
– Ah ! si j’avais la foi ! nous lance au visage l’incroyant.
– Vous seriez un saint, parbleu !
Mais, en attendant, l’incroyant ne fait rien pour avoir la foi, de peur qu’elle ne le contraigne à devenir ce saint qu’il nous reproche tacitement de nous refuser à être. Seulement, en nous humiliant comme nous le méritons, il rend hommage à notre privilège et salue à peu de frais l’hypothèse d’un Dieu qu’il ne désirerait pas, quant à lui, rencontrer en Personne sur sa route, déblayée soigneusement de tout surnaturel.
Si cette route est philosophique, le chrétien moderne voit en elle un ruban d’enchantement ! Toutes les hérésies la traversent, comme des figures de ballet qui viennent se faire applaudir l’une après l’autre. On reconnaît les noms, les génitoires, les barbes, les lunettes, les calvities. De quoi s’amuser à longueur de siècles. Les idées dirigent le monde, affirme-t-on, et il ne nous reste qu’à saluer les hommes qui n’ont cessé de les produire, ces pères de tous les ismes, dont si peu, aux yeux de l’Église, méritent le qualificatif d’orthodoxes.
Et, quand ce n’est pas avec des noms propres que l’on forge ces ismes de guerre (luthéranisme, jansénisme, spinozisme, cartésianisme, kantisme, bouddhisme, rousseauisme, sadisme, hégélianisme, comtisme, marxisme, bergsonisme, freudisme, maurrassisme, sartrisme, etc.) pour répondre au christianisme de l’Église, c’est avec des notions plus impersonnelles, sans doute, mais qui n’entrent dans la pensée moderne qu’en se situant par rapport à ce même christianisme et dans son éclairage. Pourtant le chrétien du XXe siècle, qui souffre d’un complexe d’infériorité inexcusable, jugerait indécent d’en prendre conscience. On dirait qu’il ne peut plus avancer (et nul n’ignore qu’avancer est tout son tracas) sans se mettre à la remorque d’une théorie non chrétienne, d’une de ces utopies enfantines ou de ces chalands construits par l’esprit humain, qui portent en proue telle ou telle figure que l’ancienne sagesse eût assimilée froidement à un faux dieu, ou à un monstre, sous la dénomination d’idole.
4. La plus grande imprudence de nos « progressistes » d’aujourd’hui (« progressistes », quel vain mot !) est de s’être alignés sur le pas de gens sérieux comme les athées marxistes qui, à supposer qu’ils ne vous destinent pas le croc-en-jambe classique, ne se font pas faute de vous mépriser. Alors qu’ils ne méprisent jamais, dussent-ils les jalouser comme il arrive, des chrétiens marchant tout seuls. Je dis au surplus qu’un progressiste ne peut faire un marxiste honnête, ou il cessera de croire en Dieu. Mais un catholique libre peut et doit estimer l’action d’un matérialiste de foi communiste dans la mesure où cette action est droite et a pour but la justice humaine, ce qui, pour le rappeler incidemment, n’a jamais été le cas d’une idéologie comme le national-socialisme avec lequel les contempteurs de l’humanité ne se privent point de la confondre. Nous, nous savons que cette justice ne peut pas être atteinte par les moyens que préconise le matérialisme marxiste, car nous connaissons l’homme à une autre profondeur que les athées et nous savons, comme Israël, qu’il n’est de juste que le saint et nous ne pouvons pas accorder notre confiance, quand il s’agit des valeurs humaines, à un procédé mécanique, fût-il très perfectionné. Cependant, comme il est ridicule de vouloir imposer les lumières de la foi surnaturelle à ceux qui n’ont pas la chance de la partager, le sentiment de haine éprouvé pour un communiste sincère qui pratique sa « religion » consciencieusement, avec pour but, j’y insiste, l’amélioration de la condition des hommes, est, de la part d’un chrétien, ce que j’appelle une vilenie. J’ajoute, pour rassurer tout le monde, que si les philosophes marxistes avaient raison, les chrétiens, du même coup, auraient tort. Et je dis encore aux marxistes chrétiens, qui veulent tendre au même paradis terrestre que les marxistes athées, qu’ils ne peuvent que gêner les disciples de Marx et Engels dans leur effort révolutionnaire. Car, si l’idée de Dieu, même la plus atténuée, la plus discrète, vient à reparaître sur le chemin de la libération marxiste – libération à la fois de Dieu et de l’homme qu’Il a fait avec le pouvoir inhérent à sa nature de s’opposer au bien commun par le péché –, elle alourdira le vigoureux élan de cet idéalisme intégral qui, la lumière spirituelle lui manquant, a eu la naïveté, ou l’aplomb, de se prendre pour un réalisme radical. Si les progressistes demeurent chrétiens, il leur restera quelques scrupules moraux qui ralentiront le mouvement de l’Histoire, et nos athées, qui ne plaisantent jamais, car le matérialisme exclut par définition l’humour, n’auront que la peine, tôt ou tard, sur les versants du chemin qui monte, de s’en débarrasser.
Il convient que le matérialiste garde ses traits spécifiques et nous devons être disposés, sur le plan intellectuel, à l’y aider. Un marxiste, puisque « marxiste » il y a, probablement par notre faute, nous voulons bien. Un marxiste chrétien, non 1.
Un existentialiste, encore probablement par notre faute, oui. Un existentialiste chrétien, non, merci ! car tout chrétien doit être existentialiste, ou préoccupé au plus haut point de l’existentiel qui le fait être ce qu’il est, mais sans se croire obligé, pour se montrer conforme à son destin et fidèle à son authenticité ontologique, d’accorder la priorité à l’existence sur l’essence, lorsqu’il ne s’agit pas de Dieu : nous savons trop que cette formule anodine vise à détruire la nécessité de l’essence en la traitant comme un mensonge, au mieux comme une illusion. Et l’existentialiste pour qui l’être ne serait qu’une phénoménisation de sa sensation brute d’exister, mais que le chrétien séduit par Heidegger consent à baptiser, par respect pour la mémoire de sa vieille maman l’Église ou par déférence envers la Mère commune, celle du clan, est un existentialiste qui entortille désagréablement et vainement la question.
De même on n’est pas, comme j’en ai connu, un psychanalyste chrétien, toujours mal à l’aise dans le cilice de sa théologie morale, irrité par la notion de péché originel et intolérablement démangé par tout cet herpès de dogmatisme qu’il provoque, mais un chrétien a parfaitement le droit d’être psychanalyste, comme on est botaniste ou chirurgien, biologiste ou mathématicien, gynécologue ou... démonologue. Analyste de l’âme, saint Augustin l’a été avant Freud. La différence entre un psychanalyste chrétien et un chrétien psychanalyste, c’est que le premier est enfermé dans un système clos qui – on vous en répond – ne démord pas d’un seul point de la doctrine freudienne et n’éprouve aucune pitié pour le schismatique qui s’aviserait de s’en écarter tant soit peu, fût-ce pour sortir de sa prison par le toit ; et que le second, sous l’éclairage de raisons métaphysiques absolument libres à l’égard d’un empirisme philosophique nourri de psychologie à la mode, profite sans exclusive passionnelle de la méthode psychanalytique, un peu étroite mais aiguë, dont Freud a été le génial instigateur.
Un chrétien semblablement peut être démocrate, et il convient, dans nos pays que menacent diverses tyrannies policières, de l’être le plus souvent à notre époque, mais il ne faut rien attendre de bien remarquable d’un démocrate chrétien.
Pour nous résumer, l’épithète de chrétien ne s’adapte avantageusement à aucune confession autre que celle dans laquelle nous sommes baptisés, mais le chrétien reconnaît le fruit de ses adultères dans toutes les théories intellectuelles que le siècle, avec généralement plus de perfidie qu’on ne le soupçonne, lui oppose. Il n’est point jusqu’aux doctrines de l’Inde qui ne nous reviennent sans une teinture de christianisme, pour avoir l’air plus réelles. Qu’il s’agisse de Ramakrishna, de Vivekananda, de Rabindranath Tagore ou de Gandhi, elles sont loin de nous parvenir avec toute la pureté du Vedanta. Les Mahatmas de notre temps ont lu les Évangiles et Gandhi a aimé Tolstoï.
5. Est-ce à dire qu’un chrétien doive montrer du chauvinisme dans son comportement intellectuel et faire avec la religion ce que le nationalisme fait avec sa patrie ? À Dieu ne plaise ! C’est tout le contraire que l’on désire ici prouver. Soit, en bref, que le christianisme n’est pas une religion entre d’autres, une religion comme les autres, mais qu’il est le dernier mot de cette vérité éparse dans toute la spiritualité du monde humain, et que ce dernier mot, donné par Dieu comme un Sésame, ouvre-toi, vient à bout, dans les âmes, de toutes les résistances à la lumière. Tout est chrétien qui échappe à l’erreur. Et, s’il ne doit pas y avoir de salut hors de l’Église, c’est que l’Église est en virtualité de présence partout, puisque partout est Dieu. N’est-ce point là le signe de sa fidélité ? On a le droit de lui adresser en même temps qu’au Très-Haut ces mots du psalmiste : Si ascendero in coelum, tu illic es ; si descendero in infernum, ades. Car la promesse est formelle : « Où je suis, là sera mon serviteur, mon “ministre” » (Jean, XII, 26) et, si le ministre n’était pas là où Dieu se rend sensible – une âme fait un geste de bonté que ne mesure plus la nature, un acte d’humilité précipite l’homme pour un instant dans un abîme divin, que sais-je ? – il ne pourrait plus se flatter de se tenir partout où est Dieu, et le Dieu du Christ, Dieu de grâce, le Dieu qui nous a envoyé un rédempteur. C’est la grâce qui, par définition, commence, tous les théologiens le savent, ce n’est pas nous, ce n’est même pas la Vierge Marie. Et, si l’Église n’était pas supposable à l’endroit même où étaient ces païens qui prophétisaient et qui, lisons-nous dans les Actes, avaient déjà reçu le Saint-Esprit avant le baptême (« puisqu’ils ont reçu le Saint-Esprit, dit saint Pierre, pourquoi ne les baptiserait-on pas ? »), comment y aurait-il une possibilité de salut pour ces gentils, ces hommes, ces femmes, qui, la veille, ne connaissaient pas le nom de l’Auteur de la grâce ? Et n’est-ce pas ce qui se produit dans la plupart des conversions ?
De même, avant le temps du christianisme, avant l’introduction dans l’Histoire de cet isme que la pensée humaine accole au titre messianique de Jésus, venu comme Oint du Seigneur pour sauver le monde en s’en faisant la lumière et la victime, l’Être était l’Être et le néant le néant, et Dieu avait déjà pour l’homme cette dilection qui nous étonne tellement et dont il a fourni un exemple, incroyable pour la nature, en lui faisant ou en le laissant crucifier son Fils ; et, avant la Rédemption, toutes choses n’étaient pas autres dans leur substance qu’elles ne le sont demeurées après le passage sur la terre du Verbe incarné, après la Pâque et la Croix qui règnent sur tout le passé de la terre et des choses comme sur leur avenir ; en un mot, la vérité est la vérité depuis toujours, elle n’est pas une innovation chrétienne, elle est fixe comme l’être (Ens), éternelle comme lui (Esse), et cependant plus ancienne que toutes les vies rencontrées dans leur exercice et leur mouvement. Ainsi tout ce qui est vrai, quelque nom qu’on lui donne, participe de la vérité et c’est de quoi le christianisme, dans l’enseignement évangélique et dans l’héritage qui s’en est suivi, se fait la démonstration plénière, peu accessible aux esprits encombrés mais très convaincante pour l’intelligence vierge, pour l’âme libre dont jouissent les enfants de Dieu. Le ciel le propose à notre expérience : Hoc fac et vives (Luc, X, 28). C’est dans cette perspective que le christianisme est universel et qu’il transcende le temps, malgré son historicité historifiante qui lui attache le poids relatif d’un isme. Il est en outre parfaitement – puisque divinement – approprié à la nature humaine, qu’il ne clôt pas toutefois sur ces dimensions données, mais invite, sans sortir de l’humain, par l’échange des cœurs, à transiter chez Dieu, à condition que nous lui abandonnions le commandement de nos affaires personnelles. « Occupe-toi de mes affaires, disait Dieu à cette contemplative, et je m’occuperai des tiennes. »
Le croyant du XXe siècle a du mal à s’occuper des affaires de Dieu et cette répugnance est probablement ce qui le rend si timide et si inefficace dans le désarroi du monde qui n’a plus rien à recevoir d’un homme de Dieu le jour où ce privilégié ne lui offre plus Dieu. Mais on dirait que, lui-même, le croyant n’a plus de regards extasiés que pour ce pantin collectif à qui l’on est en train de stériliser le cœur après avoir résolu d’assassiner son âme. Jadis, c’était un autre supplicié que l’on contemplait et il était en croix. Son image nous arrachait des larmes de commisération parce qu’il était Dieu et homme, un Dieu fait homme pour chacun de nous, par amour de chacun de nous, et ces larmes étaient bienheureuses, salvatrices, productives. Aujourd’hui la contemplation du chrétien a changé d’objet et la terre n’a pas plus à y gagner que le ciel.
6. Les chrétiens se déshonorent en voulant faire figure de parents pauvres dans une civilisation à laquelle ils ont donné sa principale richesse : la dimension de la charité, qui permettait à l’âme de s’épanouir comme la nature humaine le jugeait de soi impossible. Elle exhortait cette rose mystique, éclose dans le plus profond mystère sous le souffle de son Bien-Aimé, à éveiller autour d’elle, et très loin d’elle par un jeu d’ondes surnaturelles, un chapelet d’autres roses vives, qui naissent à l’appel de l’Amour. Ces chrétiens, qui préfèrent occuper une place infime dans les rangs des fervents de n’importe quoi (pourvu que ça bouge, car en bougeant nous savons qu’on est dialectique et qu’on ne peut qu’avancer), n’apportent pas beaucoup d’éclat au christianisme moderne, si avide d’humanisation à tout prix. Mais il paraît que c’est déroger gravement que d’adopter le ton suave pour glorifier la « charité ». – La charité, ce n’est pas des roses, mon vieux, c’est du fumier. C’est du fumier qu’il nous faut être pour promouvoir le royaume de Dieu sur la terre, et vous nous embêtez avec cette « rose mystique » du Moyen Âge, ou cette rose claudélienne de la première moitié du XXe siècle, ce « ô paradis dans les ténèbres ». Nous, on est des gars prêts à enfumer de nos corps périssables la terre fraternelle pour l’éclosion d’un avenir meilleur, non pas pour faire fleurir votre rose solitaire, au parfum inutile, mais cette autre unité qu’est l’unité du monde terrestre, qui n’était que symbolisée par le Royaume des cieux. Oui, c’est en servant d’engrais que les témoins fidèles de notre temps accomplissent leur destinée, c’est en se mélangeant à toutes les aspirations confuses mais prophétiques des masses que nous ferons lever la pâte et que l’exemple de notre sacrifice assurera, contre l’indifférence des bien-pensants et la maladroite inertie des parties mortes de l’Église, la seule survivance possible du christianisme.
Ces mots, que je crois entendre, ne sont-ils pas ceux de la générosité même ? Reste à savoir s’ils sont aussi bien ceux de la vérité. Et nous sommes un peu effrayés, chaque fois que par hasard nous lisons sous des plumes de journalistes à la page, insensibles au ridicule de leur propos, combien il est stimulant de voir la charité se dresser contre la vérité, qui est « dure et implacable », comme chacun sait, et tenir pour l’évidence qu’il n’est pas charitable de défendre la vérité – elle-même si « peu charitable »... Et c’est plus d’une fois qu’il vous sera donné de lire de telles assertions. L’Église, en revanche, pense autrement et à bon droit. Elle accorde à la charité ce pouvoir intuitif de « faire la vérité ». Mais c’est que la charité, à la considérer d’un peu plus près, n’est que l’amour de la Vérité en Personne.
7. S’agit-il donc pour les chrétiens de se retirer du monde, avec lequel ils n’ont pas, comme on dit, à pactiser ?
Non point nécessairement. Écoutons, dans l’Évangile, la prière sacerdotale : « Mon Père, je ne vous dis pas de les retirer du monde, mais de les garder du mal. » Comme c’est simple, comme c’est étrangement lumineux ! Si le chrétien voit le jour dans ce monde pour y habiter, c’est vraisemblablement aussi pour y faire QUELQUE CHOSE. C’est vraisemblablement pour y continuer l’œuvre de Dieu sous toutes ses formes, non pour y enterrer le talent que le Maître lui a remis. Le Maître est comme la Vérité. Ceux qui ne l’aiment pas ne veulent savoir de lui qu’une chose : qu’Il est rigide et intolérant. Mais ce n’est pas le sentiment de ceux qui l’aiment. « Ô vérité, douce et inflexible », disait le cher Hello. Les chrétiens qui ont compris l’intention du Maître n’ont pas peur de lui et ils font fructifier leurs talents pour être capables, à la fin des fins, puisqu’il y a un Jugement dernier, de fournir un état des comptes bénéficiaire. Il leur apparaîtra et il apparaîtra aux yeux de tous, comme dans la vallée de Josaphat, que le chrétien, plus sûrement encore que le non-chrétien, a – ou n’a pas – donné à manger à son Juge qui avait faim, qu’il a – ou n’a pas – visité son Sauveur déguisé en toutes les sortes de prisonniers, qu’il a – ou n’a pas – vêtu la nudité scandaleuse du Fils de l’homme couché sur le bois de la croix, lit de notre misère, etc. Et la théologie, ici encore, fait preuve d’une sagacité sans réplique lorsqu’elle nous apprend que tout ce comportement n’a d’autre valeur que son poids de charité. Nous serons jugés, enseigne-t-elle, non sur les apparences de la peau, comme les Blancs ont trop longtemps jugé les Noirs, mais sur ce qu’il est de plus secret dans les âmes et de plus dissimulé dans les actes : sur l’intention de charité. La voilà en contact avec la Personne même de la Vérité, cette charité « qui est patiente, qui n’est point inconsidérée, qui ne s’enfle point d’orgueil » et qui, finalement, n’ayant cherché que la face de l’Amour, ne rencontre, en chair et en os, dans le Corps et le Sang, que cet Ego sum Veritas.
Mais, si le chrétien doit faire valoir ses talents et qu’il représente dans le monde la poignée de levain qu’une femme, la Providence, met dans trois mesures de farine, ce monde où il vit parmi les autres attend de lui peut-être qu’il le tire de son marasme, et non pas s’y enlise ; mais, l’élevant au-dessus de son état de médiocrité, lui apprenne à faire croître les valeurs de son être comme le banquier double au moins son avoir, puisque c’est cela qui s’appelle « se montrer fidèle en peu de choses », fidelis in pauca. Une telle mission n’implique pas que le chrétien en rejette systématiquement ce qui, dans le monde commun, n’est pas son œuvre, ou n’est pas exclusivement son œuvre : les sciences et les arts, et ce n’est pas davantage de la sensibilité qu’il lui faut se garder, loin de là, mais du mal, a malo, dont la nature diabolique n’est pas d’anéantir l’être mais uniquement de le contrer 2. Ainsi le croyant n’est pas fondé à s’estimer indigent de quelque chose, mais la vérité lui rappelle que, n’ayant rien à lui, il a tout à Dieu et, par là, plus que les autres, ce qui ne l’autorise nullement à embrasser la cause des autres si elle offense le bien de la vie. On le reconnaît, dans le domaine de la pensée, à ce que son ontologie est un pur réalisme ; sur le plan des mœurs, à ce que celles-ci témoignent de la présence d’un Dieu vivant en lui, qui ne le laisse choisir la mort que dans le cas où cette dernière garantit à la vie l’éternité, le « sabbat des délices ». Bref, qui croit en Dieu aime plus la vie que n’est capable de l’aimer qui ne connaît pas Dieu.
Dans ces conditions, un christianisme qui appréhendera l’éventualité de se faire créateur, comme si l’homme y risquait son salut, mentirait à son origine. L’enfant de Dieu est-il moins libre parce qu’il lui plaît de ne pas lâcher la main du Dieu créateur, du Dieu rédempteur ou réparateur, du Dieu consolateur enfin, avant d’entrer dans son chantier ? Sera-ce le marxisme qui sera plus créateur que le catholicisme, parce qu’il a substitué à la notion de rédemption celle de révolution, ainsi qu’un progressiste polonais veut nous le faire croire ? Mais la révolution ne touche qu’à la surface du mal : la racine du mal par elle n’est pas atteinte, elle se redressera, le temps venu, et promet au révolutionnaire d’autres lendemains que ceux qui chantent la fraternité humaine. Tandis que la rédemption crée vraiment « une terre et un ciel nouveaux », mais où l’on ne s’acclimate pas sans une abnégation de ce moi qui n’est mauvais que parce qu’il isole son bien du bien des autres et, répugnant à le communiquer, le stérilise. Si le moi reste seul, il ne porte point de fruit. Ce n’est pas pour une autre cause que l’Évangile méprise cet épi renonciateur et va jusqu’à maudire comme improductif le malheureux figuier qui n’en était pas, ce qui est un comble, au temps des figues ! Mais, si le Seigneur a faim, chrétien, fais un miracle. Tel est l’ordre évangélique.
8. Chaque croyant a donc le devoir d’être un multiplicateur, un vivificateur, quelque chose qui prouve que sur lui la greffe du divin a pris. S’il ressemble à l’homme qui enfouit son talent dans la terre parce qu’il pense, avec raison dans ce cas, que son Maître est redoutable, c’est qu’il n’aime pas réellement sa destination d’enfant de Dieu, j’entends celle qui libère l’homme, le désenchaîne et, plus mystiquement, le décentre. Tout chrétien a une vocation, et une vocation originale, une vocation qui témoigne de la vie inépuisable dont nous participons et qui manifeste – oh ! dans une sainte obscurité et il peut très bien n’en avoir pas conscience – que Dieu en lui est Dieu – Dieu créateur, je le répète, Dieu rédempteur, Dieu consolateur. Mais, si l’esprit humain n’est pas tourné vers la lumière avec son intelligence et son imagination, il n’est pas possible qu’il reçoive l’influx fécondant et qu’il produise ce que la nature, en gémissant, attend de lui. L’art, et ses grandeurs, ses splendeurs même, n’est qu’un tableau matérialisé des effets spirituels qui portent la création au-delà de ses limites apparentes. Et, tandis que la création artistique n’est réservée qu’à un petit nombre de citoyens, au cœur malaisément analysable, la création spirituelle est la vocation de chaque âme authentique. C’est son absolue sincérité avec elle-même, c’est son authenticité, qui branche une âme humaine sur le courant de l’universelle énergie créatrice. Et comme il est rare de nos jours qu’elle s’en doute : on dirait qu’il n’y a plus personne au monde pour le lui apprendre ! C’est la raison, je suppose, pour laquelle le chrétien moderne, qui aurait tant de courage, tant de vertu civique, tant de bonne volonté, se laisse intimider par l’étendue de son propre héritage et, du même coup, fasciner par l’activité des étrangers. Il n’ose pas plus, en haut, se fier aux promesses de l’Évangile qu’il n’ose écouter, en bas, la voix de ses désirs. Alors il n’est plus tout à fait ni en lui-même ni en Dieu ; sa situation est équivoque et la pusillanimité de ses instructeurs, qu’un manque général d’éducation affective peut rendre impropres au discernement souhaitable dans ce domaine où il faut que l’amour règne et non un code abstrait, n’est pas la condition rêvée pour délivrer notre « dieu en fleur » de ses oiseux problèmes. L’authenticité, pour l’âme vivante, exclut tels arrangements psychologiques qui consistent à camoufler les attraits et les obstacles, elle pousse le sujet en ligne droite vers ce qu’il aime, de toute l’exigence de sa volonté dépouillée. Or, comme son Dieu aussi est authentique, Il lui répondra avec la même netteté, et la confrontation sera peut-être violente, le sang de l’âme coulera. Mais on sera en pleine vérité et, comme disait Isaïe, la solitude germera, et tous les fruits de ce christianisme-là seront bons.
Les chrétiens d’aujourd’hui livrent à Dieu ce qu’ils estiment normal de lui céder : leurs vertus, – c’est la règle. Ensuite, quand ils ont quelque expérience, leurs « faiblesses », qui sont encore du négatif, et c’est toujours la règle. Mais ils lui refusent leur imagination pour s’étonner ensuite que leur religion n’invente plus rien. Or l’imagination de l’âme est la matière sur laquelle Dieu dessine ses idéogrammes, elle est ce sable sur lequel le Rabbi écrivait du doigt quand les Pharisiens, l’un après l’autre, des plus anciens aux plus récents pécheurs, se retiraient du ciel nouveau où la miséricorde venait de faire entrer paradoxalement la femme adultère. Il n’y avait plus, dans ce désert prêt à fleurir comme le lis, que la misère décréante en face de la miséricorde recréante. Si l’on pouvait savoir tout ce qui « se produit » quand un acte humain est relié à l’action divine ! Que de mondes s’ouvrent et se referment ! C’est le secret de l’Esprit-Saint.
Il y a aussi une matière que le fidèle n’a jamais trop voulu donner à Dieu, et pour les mêmes raisons : c’est le champ de ses plaisirs. Il le garde farouchement pour soi, il ne veut pas que Dieu s’en occupe ; autrement dit, il ne veut pas que l’Amour y règne (Deus caritas est). Rappelons-nous Luc, XIX, 44 faisant parler les Pharisiens ; « Nolumus hunc regnare super nos ». Dans les plaisirs de l’homme la présence de Dieu n’est-elle pas indécente ? De là que les fêtes des chrétiens sont devenues si ennuyeuses, comme des cérémonies officielles, de ces rites sociaux d’où toute spontanéité est bannie. Quand on joue avec le sacré, on prend des mines sévères, contrites, faussement pénétrées. Un humain si peu authentique recouvre d’un voile opaque la gloire du Sacrement. On a hâte que l’exercice dévotionnel soit fini pour regagner un « ailleurs » quelconque ; le buffet, le bistrot, le jardin ou l’atelier, un fauteuil et un chez soi, tout nous semblant plus conforme à notre destin et plus proportionné à notre agrément que le colloque divin.
Ainsi le christianisme affecte-t-il entre nos mains un air fané, désuet, qui trompe sur sa nature ; et comment, dans cet état, le voudrions-nous créateur ?
Rappelons-nous pourtant ce qu’en avait fait l’ancienne liturgie, que l’on garde fraîche et vive dans les monastères. À suivre les beaux offices de l’Église, qu’ils soient d’Orient ou d’Occident, le corps et l’âme se sentent admis à la fête qui conduit d’agapes en épithalames (« le soleil s’élance de son lit nuptial »), toujours en train de célébrer des noces spirituelles. Mais les valeurs du silence perdues sous la pression indélicate des « ténèbres extérieures », où l’infidélité essentielle a renversé par terre la coupe de l’amour, – dans la vie anarchique et si bêtement organisée pour se nourrir et pour mourir que mènent les hommes, qui n’en demandent hélas ! pas davantage, – plus rien de cette « conscience » de l’être ne subsiste. Et le christianisme, parent pauvre, se traîne sur des béquilles empruntées, ne sachant plus quels sont exactement ses outils de travail et où il a bien pu fourrer ses instruments de musique.
C’est là une démission scandaleuse contre laquelle il serait enfin raisonnable de s’insurger. On cherche une révolution à faire : en voici une qui mériterait d’être tentée.
Stanislas FUMET.
Paru dans La Table ronde
en septembre 1962.
1 Mais ne voilà-t-il pas déjà que dans les pays soumis au régime soviétique, on s’inquiète des prétentions de l’athéisme ? Un Estonien, M. E. Spinakine, se plaint, dans une lettre à un savant, transfuge de l’Église orthodoxe, M. A. A. Ossipov, que l’athéisme ait pris des allures de religion, ce qui n’est pas scientifique. L’athéisme, si on le prêche, n’est plus qu’un postulat inadmissible comme la foi religieuse : « ... Je suis arrivé à la conviction que, dans sa forme actuelle, l’athéisme ne peut prétendre avoir une valeur scientifique : il ne satisfait pas les besoins spirituels de l’homme et ne correspond pas à ce sentiment. Ce qui me frappe encore, c’est qu’actuellement l’athéisme semble avoir renoncé à rechercher la vérité, étant donné qu’il passe sous silence les faits et les arguments qui le contredisent. Il se charge d’expliquer tout et, ne pouvant y parvenir, il cache son impuissance... Bien sûr, nous ne savons pas qui est dans l’erreur : la Science ou les athées. Il se peut qu’il y ait encore une troisième solution. » L’homme érudit qui a perdu la « foi » répond à ce reproche par des arguments qui ne respirent pas la « bonne foi ».