LA POÉSIE DE LOUIS PIZE

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Paul GARCIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Balzac dit quelque part que les sites les plus beaux sont ce que nous les faisons. Je croirais plus volontiers qu’ils ont un sens intime qu’ils révèlent parfois ; il suffit d’être attentif. Là comme ailleurs l’indifférence et la légèreté sont les pires ennemis du plaisir. Avec de la bonne volonté, l’honnête homme peut apprendre à aimer la nature, mais un poète apprendrait en vain à la chanter s’il n’a pas longtemps vécu près d’elle. Neuf fois sur dix, les poètes citadins apportent tout un bagage de souvenirs, cueillis dans les livres et dans les spectacles de la ville ; à moins d’une réussite étonnante, les paysages ne sont plus dans leurs vers que les reflets de leurs peines ou de leurs joies, des prétextes ou des ornements.

Ces réflexions vous viendront sans doute si vous lisez les poèmes de Louis Pize ; et vous admirerez son bonheur. Il est du petit nombre de ceux qui, pour aimer la nature, n’ont pas eu besoin d’apprendre qu’elle est belle. Il l’aime comme il respire. Tel il chante :

 

      Dormez... Près du torrent les peupliers frémissent,

      Un brouillard vaporeux s’élève du ravin,

      Les coteaux sous le ciel étoilé se blottissent,

      Et l’obscure fraîcheur précède le matin.

 

      À l’Orient voici surgir l’une après l’une

      Les cimes dont l’aurore a sculpté les contours,

      Et le jour violet se mêle au clair de lune.

      Heure étrange où le temps a suspendu son cours.

 

Dans ces strophes musicales vous retrouvez le lecteur de Racine, de Lamartine et de Moréas ; je veux dire par là que Pize a su choisir ses maîtres. Vous entendez en outre un accent personnel. C’est qu’il n’a pas cru que les paysages dignes d’être loués fussent au bout du monde. Les faibles seuls essayent d’échapper aux lieux où ils vivent pour découvrir, plus loin, des objets qui puissent leur apporter ce qu’ils n’ont pas : du talent. Vaine tentative, ils referment leurs mains sur des ombres. À cet aveu déguisé d’impuissance, on se demande s’il ne faut pas préférer la médiocrité des poètes de clocher, qui disent simplement leur village. Il leur manque d’être poètes ; du moins, comme les plus grands, ont-ils le courage d’accepter les règles du jeu et de ne pas tricher. Pize, lui aussi, a couru le beau risque ; il a chanté son Vivarais, et, miracle des Muses, il est devenu l’un des meilleurs poètes de la nature que nous ayons.

L’un des meilleurs, je dis bien. L’intensité de ses sentiments, la vision aiguë et passionnée qu’il a des choses animent l’antique Cybèle. Tous les souffles, tous les parfums de la terre passent dans ses vers ; on y respire la saveur des fruits et les soirs mouillés, l’odeur des feuilles mortes et la rude haleine des vents. Il nous entraîne à la cime des forêts peuplées de rêves et d’élans. Nous surprenons avec lui les plus subtiles nuances de l’aube, les derniers frissons de la lumière. Nous le suivons à travers son Vivarais jusqu’à cette Provence sacrée dont la magie de son art a su rendre la vivante image :

 

      Noirs cyprès succédant au lumineux platane,

      Saules et peupliers, herbe riche en couleurs,

      Cortège harmonieux qui marchez vers Maillane,

      Dans les parfums d’anis de l’aubépine en fleurs !

 

Dirons-nous que Pize est un paysagiste ? Le mot est juste, mais il ne suffit pas. On admettra difficilement qu’il y ait des spécialistes en pareille matière. La vraie poésie est apte à tout dire, à tout suggérer. Elle veut traduire l’inexprimable. C’est l’Être même qu’elle cherche à saisir par tous les moyens dont elle dispose. Mais ces moyens sont limités ; ils sont soumis à des lois. La poésie ne monte si haut qu’autant qu’elle a puisé sa force dans les réalités qui l’enchaînent jusqu’à un certain point. Elle emporte l’âme lorsqu’elle est parée des couleurs, des sons, des formes, de toutes les séductions de la vie. Voyez plutôt ce Chant d’été dont le mouvement est admirable et qui s’achève dans l’idée radieuse des plus hautes espérances :

 

      Quel est ce matin pur, et quelle ardeur profonde

      A tout transfiguré dans un nimbe d’amour ?

      Mes yeux longtemps fermés, réveillez-vous au monde,

      Et voyez la douceur et la beauté du jour.

 

      Été, sublime été, comme votre lumière

      Éclate, radieuse, au milieu des moissons !

      Vous avez conservé votre grâce première,

      Vous renaissez plus fort des anciennes saisons.

 

      Été fauve, marchez sur l’océan des cimes !

      Sur la terre et les eaux dardez vos mille traits !

      D’un vaste embrasement remplissez les abîmes

      Où les monts vaporeux suspendent leurs forêts.

      .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

 

      Ces montagnes perdront leur terrestre apparence ;

      Nous croirons voir surgir tout un monde vermeil,

      Où le feu sourd comme l’eau vive, et d’où s’élance

      Le jaillissement droit des pins vers le soleil.

 

      Vous nous introduirez dans vos lointains domaines,

      Où ne subsistent plus que l’infini du ciel,

      La lumière vibrante, et les lignes sereines

      D’un pays dépouillé de tout attrait charnel,

 

      D’un pays où la grâce à la ferveur s’ajoute,

      Dont vous êtes le charme et l’unique saison,

      Été, sublime été, qui nous ouvrez la route

      Des royaumes cachés derrière l’horizon 1.

 

Pour Louis Pize la poésie n’est pas un simple divertissement. Il ne joue pas et ne cherche pas à nous amuser. Son accent ne laisse aucun doute sur l’estime et le respect qu’il a pour son art. Il semble qu’il s’abandonne désarmé à son démon ; on croit que son inspiration va l’emporter presque malgré lui et sans même qu’il résiste. Soyez sûr qu’il n’ira pas trop loin. La qualité de son âme est telle qu’il ne saurait manquer de mesure. En voulez-vous une preuve ? Il aime toutes les saisons, toutes les heures, tous les aspects de la nature ; mais il a une préférence singulière pour l’automne. Ne pensez pas que cela soit peu de chose ; il faut y voir une grande marque de noblesse et de goût. Rappelez-vous la page célèbre de Moréas : « Le dieu marcha alors nonchalamment vers le rameau flexible et prit la troisième syrinx. Il l’anima de son souffle sans se presser. Un son en sortit qui n’était ni allègre follement ni présomptueux sans raison, mais doux et mélancolique. Et l’automne naquit avec la sérénité de ses eaux, avec sa flore et ses feuillages modérés, avec la philosophie de son ciel et l’ironie charmante de ses vendanges. L’homme but le vin goulûment, mais l’automne lui parut fade. Car il s’était égaré depuis longtemps loin de la mesure et de la vérité. » La mesure et la vérité, voilà des qualités qu’on ne peut refuser à la poésie de Louis Pize.

L’automne, c’est pour lui l’image de notre destin, tel qu’une âme fière se plaît à le concevoir pour en goûter l’amertume et la secrète douceur. C’est la saison des fruits et du déclin, du dépouillement et de l’acceptation...

 

      Ah ! ne repoussez pas les philtres de l’automne,

      Mon cœur, cette agonie et ces tristes déclins,

      Et cet éclat trompeur dont le deuil vous étonne

      Au plus fort de l’été vous les sentiez voisins.

      Les plus suaves fruits avaient un goût de cendre,

      Mon cœur, c’était bien peu de chose que ces jours

      Qui dans le passé gris devaient trop tôt descendre ;

      Vous en goûtiez le charme et les plaisirs si courts,

      Et voici maintenant l’automne, votre amie...

      Comme autrefois, mon cœur, puissiez-vous la bénir,

      Cette chère saison dont la mélancolie

      Vous permet d’être seul et de vous souvenir.

 

Ce poète n’a pas à craindre la solitude ; on ne le verra pas s’y perdre en rêveries stériles. Il est en face de la nature dans une méditation obstinée ; il ne se contente pas de la décrire minutieusement, encore qu’il y ait un mérite essentiel à le faire avec cette vérité. Le tourment de l’infini l’étreint ; les appels d’une âme que rien ne saurait satisfaire ajoutent quelque chose de pathétique à son chant. Il s’élance comme pour dépasser le monde des choses visibles ; mais il est maître de ces soudaines envolées. Il ne renonce pas à la vie pour le rêve. Une sorte de stoïcisme très doux le garde des mirages et de l’idéologie. Les choses, masse confuse et mystérieuse où les meilleurs s’anéantissent, sollicitent toutes les puissances obscures. Louis Pize n’a pas cédé à leur attrait mortel. Je n’ai pas encore dit qu’il est catholique : on l’aura deviné. Catholique par son art autant que par la foi, on ne s’étonnera pas qu’il ait échappé à l’ivresse panthéiste. Son attitude est celle du croyant devant ce qu’il sait être l’ouvrage du Créateur. La nature, il la domine ; les choses, son esprit les compare et les classe. Cette lucidité ne diminue d’ailleurs ni l’intensité de ses sentiments, ni la violence de sa passion. Au contraire. Elle les dépouille de ce qui pourrait les affaiblir, elle les exalte, elle leur donne cet accent qui leur permet de trouver des échos dans nos âmes.

Les poèmes de Louis Pize ne laissent pas deviner le secret de leur composition ; mais la composition y est. On ne sait pas comment ils sont faits, mais ils nous émeuvent. C’est la marque de la réussite.

 

      Pour rendre aux pécheurs le courage,

      Et pour guérir l’âme et la chair,

      Votre miraculeuse image

      Nous vint d’Orient sur la mer.

 

      Dans votre lourd manteau de soie

      Triangulaire et frangé d’or,

      Soyez pour nous source de joie,

      Et Notre-Dame d’Aïe encor 2 !

 

Et maintenant que pouvons-nous attendre de Louis Pize ? « Il avait commencé, écrivait un critique, par être un paysagiste délicat : il est aujourd’hui de ceux dont le moindre mot sait toucher notre cœur dès qu’il chante. » Et M. Henri Rambaud imaginait des élégies pudiques et passionnées, des chants brûlant d’une secrète ardeur. Certes, ce n’est pas la prudence qu’il faut conseiller à Louis Pize ; il manquerait plutôt de convoitise et d’audace. S’il pèche parfois, c’est par excès de timidité. Il a le bonheur de posséder une rare maîtrise à un âge où beaucoup d’autres font leurs écoles. Qu’il chante sans contrainte ! Sa voix a cette fermeté et cette plénitude qui ne trompent pas. En un mot, c’est un poète.

 

 

 

Paul GARCIN.

 

Paru dans La Muse française en 1923.

 

 

 

 

 



1 Les Pins et les Cyprès, poèmes (Librairie Garnier), p. 43.

2 Le Cantique de Notre-Dame d’Aïe. (Éditions du Pigeonnier, St-Félicien. Ardèche.)

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net