Milosz et la nature

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Pierre GARNIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alors cette femme qui était en moi mourut. Je lui donnai pour tombeau tout son royaume, la nature. Je l’ensevelis au plus secret du jardin décevant, là où le regard de la lune, de la prometteuse éternelle, se divise dans le feuillage et descend sur les endormies par les mille degrés de la suavité.

C’est ainsi que j’appris que le corps de l’homme renferme dans ses profondeurs un remède à tous les maux et que la connaissance de l’Or est aussi celle de la lumière et du sang.

Ô unique !

 

Telle est la route de Milosz : aristocrate de l’esprit, il doit crever les apparences et atteindre le réel, il doit se laisser prendre par le mouvement et toucher l’Immobile, il doit percer de l’éclair brûlant de l’amour les origines et les fins pour se prosterner devant la face éblouissante de Dieu, car dans le fond de la Femme éternelle qu’est la Nature demeure le sang, l’or, la lumière, l’Unique.

Étudier le sentiment de la Nature chez Milosz sera donc, avant tout, mettre en évidence les entretiens du corps et de l’esprit, prendre la lampe du poète et descendre avec elle dans les galeries profondes qui longent et contournent la Porte du Mystère ; ce sera, pour trouver la clé de l’univers, faire choir de larges pans de terre, d’âme et de ciel.

Mais cette route de découverte est vaine si on ne « retient » pas la découverte ; chevalier des Questions Insolubles, moine des Temps Modernes, Milosz cherche sans trêve à sauver la substance qu’il a péniblement amassée – et s’il s’engage, c’est pour se retirer en sa solitude avec une blonde récolte d’expériences qu’il passera au moulin de la mémoire et au four du temps pour cuire le pain fertile du Poème ; il est un de ces Prêtres qui amassent en eux l’Or souverain. Ce Chevalier-Ermite s’inclinera, invinciblement et de tout son poids, vers les éléments simples d’où il saura tirer la Révélation de notre existence.

Sans doute pourrait-on reprocher à Milosz son parti pris contre la vie moderne, mais ce reproche se dissipe vite si l’on songe que devant l’envahissement des machines, insectes dégénérés mais tout-puissants, le Poète de la Nature n’a plus qu’à se replier en lui-même et en ce Lieu qu’il n’est donné ni aux politiques ni aux petits-bourgeois de connaître ; car le poète de la nature ne saurait s’arrêter longtemps aux reflets dorés de la surface, il lui faut pénétrer plus avant et découvrir la réalité sous les feuilles lucides mais compactes des apparences ; il ne saurait davantage procéder comme le savant qui découpe le corps en fines lamelles, le passe au microscope, l’étudie mais ne voit ainsi que la mort, il lui faut en quelque sorte se recueillir lui-même, être soi totalement pour être l’univers et l’exprimer. Façon illusoire d’opérer, diront les rationalistes qui ne rêvent que bistouris et lamelles ; folie religieuse, diront les libres-penseurs ; métaphysique, s’exclameront les matérialistes ; Vérité, unique Vérité, répondra le poète qui sait que la révélation et l’éblouissement ont de tous temps précédé la science et que plusieurs millénaires avant Einstein, le Tao-tö-King avait déjà exprimé la théorie de la relativité.

Et puis le poète de la Nature a d’autres armes : il reconnaît la similitude de son corps et de l’univers et l’identité des mathématiques et des lois du cosmos : sa poésie n’est-elle pas la mathématique par excellence qui exprime totalement sans avoir recours au schéma ou à l’épure ? N’exprime-t-elle pas l’univers tel qu’il est et le sentiment de la nature ne devient-il pas rapidement le sentiment de la Vérité ?

C’est le chemin que suit Milosz et c’est la preuve qu’il pèse dans sa main : l’homme disposant de l’outil de l’intelligence précis et bien affiné a par trop négligé ses autres instruments de connaissance et le plus hardi de tous, sinon le plus sûr, cette subite révélation, ce soudain éclairage qui d’un coup fait tomber de grands murs d’ombre ; certes ni les proches ni les lointains ne sont connus mais il existe cette unique possibilité de les atteindre : l’éblouissement, l’extase verte, l’amour profond et vertical et son éclair qui allume un instant toute l’éternité ; les surréalistes essayant de démonter la machine humaine n’ont vu que le seuil du Temple – c’est le Temple en entier que parcourt Milosz et il ferme les yeux devant le visage d’un Être si éblouissant qu’on en mourrait de le regarder, d’un Être qu’il faut bien nommer Dieu comme on dit une Halte dans les lisières de la forêt :

 

Comme tous les poètes de la nature j’étais plongé dans une profonde ignorance. Car je croyais aimer les belles fleurs, les beaux lointains et même les beaux visages pour leur seule beauté.

J’interrogeais les yeux et le visage des aveugles : comme tous les courtisans de la sensualité j’étais menacé de la cécité physique. Ceci est encore un enseignement de l’heure ensoleillée des nuits du Divin. Jusqu’au jour où, m’apercevant que j’étais arrêté devant un miroir, je regardai derrière moi. La source des lumières et des formes était là, le monde des profonds, sages, chastes archétypes.

 

Car derrière cette Nature qui n’est qu’un second visage, il y a le domaine du Père, infiniment plus beau, plus angélique et plus vrai :

 

Je vous ouvre en quelques mots toute ma pensée, écrit Milosz à Ernest Gengenbach sur la fin de sa vie. La Nature (si belle aux yeux de la plupart des hommes), cette nature au sein de laquelle nous vivons depuis des millénaires et des millénaires est une sorte d’absolu de la laideur et de l’infamie. Nous ne la supportons que parce que tout au fond de nous-mêmes, survit le souvenir d’une première nature qui est divine et vraie. Dans cette nature seconde qui nous environne, tout est mauvais indiciblement. Il n’y a ni beauté, ni amour, ni foi véritable. Rien de bon ne peut venir de l’homme parce que l’homme est un produit de la seconde nature. Les révolutions ne changeront jamais rien à cet état de choses : en bouleversant les régimes, en faisant évoluer les masses, on ne parvient jamais jusqu’à la source du mal.

 

C’est donc dans cette perspective qu’il faut placer les rapports de Milosz et de la Nature : un sentiment au début romantique qui s’éclaire, se dissipe en reconnaissant que l’amour de la Nature n’est que l’amour d’un mirage, et se transmue enfin devant le beau visage de Dieu. Cette évolution de Milosz reflète en vérité l’évolution de la pensée moderne : si la nature est un agrégat d’atomes en mouvement, toute la beauté, tout l’amour, toute la vérité que nous lui prêtons ne sont que de regrettables mirages ; le moment sentimental construit par l’homme autour de la Nature s’effondre – et l’homme se retrouve être son propre Lieu sans aucune possibilité d’en sortir ! Mais ce qu’un politique accepte sans crainte, ce qu’un savant comprend avec intérêt, le poète se refuse à l’admettre – et il y a dans cette attitude de refus autant de vérité et plus d’humanité que dans la résignation à un univers désastreux : c’est pourquoi Milosz, ayant reconnu la réalité scientifique de la Nature, pénètre au-delà des apparences même scientifiques, et trouve son Image, maîtresse et preuve de l’Amour qui par le fond régit l’univers :

 

Jadis, quand l’esprit du silence parfait me saisissait, je levais les yeux vers les soleils ; aujourd’hui ma vue descend avec leur regard dans mon être. Car leur secret est là et non pas en eux-mêmes. Le lieu d’où ils me contemplent est celui-là même où je me tiens et au reproche aimant peint sur le visage de l’univers, je reconnais la mélancolie de ma propre conscience. L’immensité engendrée par l’infinitude des mouvements circonscrits est impuissante à combler le vide de mon âme ; il n’est point de hauteur accessible à l’extension du Nombre dont les instants ne soient comptés par le battement de mon cœur. Que m’importe donc cette distance du rien au rien !

 

Mais cessons là les déductions : nous irions trop loin, nous aussi, dans la voie des ruines. Milosz ne fut jamais le poète enfermé dans son laboratoire : cette nature qu’il aimait, il l’a observée de très près dans ses manifestations les plus humbles : Il n’y a que les saints, les oiseaux et les enfants qui soient intéressants ! disait-il. Il lutta toute sa vie contre ses démons pour être un saint François, il regretta amèrement au seuil d’un de ses plus beaux poèmes de n’avoir jamais vu sa vie s’éclairer dans les yeux d’un enfant né de lui ; quant aux oiseaux, il les fit habiter la Symphonie de Septembre et les reçut souvent dans sa chambre !

Pourquoi l’amour de Milosz se contentait-il des saints, des oiseaux et des enfants ? Quel fil mystérieux le reliait à eux et les reliait entre eux ? Quelle solitude aussi le poussait vers ces humbles et le chassait de ce monde moderne qui détruit l’enfance, ridiculise les saints et extermine les oiseaux ? L’humilité était pour beaucoup dans cette intimité, mais plus que tout ce penchant révélait l’amour des archétypes et de la permanence ; la richesse symbolique des saints, des enfants et des oiseaux est inépuisable ; tous trois appartiennent à cet empire de la nécessité auquel sont attachés si fortement les poètes – cet empire de la nature qui recommence toujours ce qui fut, même avant le temps, commencé – cet empire même de l’Église ! Car, ne nous y trompons pas, l’homme ne peut construire qu’église ou usine ; le poète est le type de l’homme d’église : il célèbre, il communie, il cherche Dieu, et s’il construit, ce sont de hautes voûtes où la pensée se dessine ; même le poète politique, même le matérialiste sont des constructeurs de cathédrale ! Tous entrent en contact avec ce qui est le fond même de la Nature, cette espèce d’Immobilité de l’Être qui exige de l’Existant d’être aimé.

En effet, le domaine de la Poésie n’est pas le divagant coin d’herbes folles de la liberté mais cette terre sur laquelle on n’a que le choix d’être ou de n’être pas ; le poète veut être ; il veut que l’univers existe une nouvelle fois dans son langage :

 

Le vieux jour qui n’a pas de but veut que l’on vive

Et que l’on pleure et se plaigne avec la pluie et son vent.

Pourquoi ne veut-il pas dormir toujours à l’auberge des nuits

Le jour qui menace les heures de son bâton de mendiant ?

 

Un romantique s’exclamait : « Aimez ce que jamais on ne verra deux fois ! » C’était là l’Illusion de cette jeunesse dorée ; cette Erreur a fondu, tout au long du XIXe siècle et au delà, au grand soleil de la Vérité : les Expressionnistes, puis Rilke, Valéry, Benn, Milosz et à leur suite toute une génération, se sont employés à aimer ce qui seul est digne d’être aimé, c’est-à-dire la Permanence, la Vérité universelle, les profondeurs voûtées de l’Être, cette odeur nue d’étain qu’a toute source dans la fraîcheur du premier matin. C’est là le véritable amour de Milosz pour la nature (et presque une explication de son style !), car ce qu’il aime, ce n’est pas tant le vieux jour que la permanence du « vieux jour » – ce retour, cette permanence, ce balancement qui restent la sécurité du poète et qui bâtissent autour de lui et au-dessus de lui une haute voûte de confiance et de foi :

 

Ce sera tout à fait comme dans cette vie. La même chambre.

– Oui, mon enfant, la même. Au petit jour l’oiseau des temps dans la feuillée

Pâle comme une morte : alors les servantes se lèvent

Et l’on entend le bruit glacé et creux des seaux...

 

Car le Poète, dans cette humanité qui court de plus en plus vite et de plus en plus furieusement en elle-même, ne peut trouver son Lieu que dans la permanence ; il s’y recroqueville et s’y nourrit comme l’enfant dans le ventre de sa mère ; le poète moderne est l’homme qui, plus que tous les autres, éprouve le besoin de raccorder le cordon ombilical que la Naissance a rompu ; il erre perdu dans ce vaste monde qui a encore la forme du ventre mais où sa petitesse ne lui permet plus de trouver des amarres. Voilà son drame : il cherche une Église et il trouve la Nature qui à chaque instant risque de se dissiper ; il cherche une sûreté et il prend conscience de l’insuffisance de ses ailes ; il cherche le Lieu et il trouve l’éternel retour ou plutôt le vaste balancement – – flux-et-reflux – de l’univers ; aussi n’est-il pas étonnant que l’âme du Poète ressemble à l’âme de l’enfant qui sous une soupente écoute tomber la pluie, heureux de se serrer en lui-même – ô douce joie et douce peine ! C’est souvent l’état d’âme de Milosz ; de là l’humilité heureuse de son vocabulaire ; de là l’impression qu’on a que les choses se retiennent et se resserrent :

 

Et (dans l’après-midi d’automne), au détour de l’allée,

Là où le beau chemin descend peureusement, comme la femme

Qui va cueillir les fleurs de la convalescence – écoute, mon enfant,

Nous nous rencontrerons comme jadis ici ;

 

Et tu as oublié, toi, la couleur d’alors de ta robe ;

Mais, moi, je n’ai connu que peu d’instants heureux.

Tu seras vêtu de violet pâle, beau chagrin !

Et les fleurs de ton chapeau seront tristes et petites

 

Et je ne saurais pas leur nom : car je n’ai connu dans la vie

Que le nom d’une seule fleur petite et triste, le myosotis,

Vieux dormeur des ravins au pays Cache-Cache, fleur

Orpheline. Oui, oui, cœur profond ! comme dans cette vie.

 

De là aussi la volonté de trouver des Visages, points d’or et d’amour qui sans cesse renaissants situent le Poète. L’attention que porte Milosz aux saints, aux enfants, et aux oiseaux est une attention d’égaré qui cherche des points cardinaux et qui les découvre dans ces archétypes qui soutiennent l’architecture humaine : archétypes des personnages de la comédie et de la tragédie qui inchangés font surface après les mouvements sociaux les plus violents ; archétypes de la vie de l’homme qui subsistent à tous les conforts et à tous les progrès : l’Amour, le Feu, la Lumière ; archétype enfin des archétypes : Dieu, cette Halte, cette Voûte ultime qui ne résout rien mais permet au cœur de s’apaiser et de se reposer ; Dieu, Vérité unique de celui qui ne veut pas crever le plafond de l’esprit humain et voir, dans l’éblouissante lumière de ses soleils, cet univers sans origine ni fin, illimité mais fini, où la créature et le créateur ne font qu’un dans la redoutable Immobilité du Tout.

Milosz a-t-il eu cette Vision ? Il ne l’a pas laissé paraître ; il s’est prosterné devant le Dieu, créateur du « beau cristal Cosmos » tombé de ses mains. Il a refusé aux hommes le couronnement d’un Dieu créé de leurs mains et de leur esprit, d’un Dieu ultime conquête du flux qui monte en nous et nous dépasse par l’action de nous-même ; Milosz a accepté un Dieu transcendant comme la Porte du Beau qu’il avait refusé un jour à la Nature visible et vivante.

 

La Révolution vraie sera celle qui transmuera la nature seconde, puanteur, mensonge, laideur, et férocité, et lui rendra sa physionomie angélique de fille de Dieu, de Nature première.

Cette Révolution-là, c’est la Révolution de Dieu et des Anges. Elle aura lieu bientôt et sera plus terrible que toutes nos pauvres aventures de Russie et d’Espagne. Vivez donc car il ne reste plus que quelques années. Et priez sans espoir et sans foi, mécaniquement, pour mériter le spectacle apocalyptique des Saints. Encore quelques années et ceux-là qui méritent la délivrance connaîtront enfin une nature sans mensonge, sans sexe, sans poésie, sans art et sans orgueil 1.

 

Ici s’arrêtent les rapports de Milosz et de la Nature puisqu’il finit par substituer à cette dernière la Révolution de Dieu et des Anges. Projetant ainsi une vue toute intellectuelle sur l’avenir, il abandonne momentanément sans doute, sur la fin de sa vie, cette introspection faite jusque dans la chair qui lui avait permis de retirer quelques pierres précieuses des premiers limons. Car, pendant une longue période, Milosz avait considéré le corps humain comme le grand archétype : en lui résidait la connaissance de la Nature et l’Or vivant de l’Univers ; en Lui et en sa conscience se résolvaient les nébuleuses ; le Cerveau n’était alors que le satellite du Cœur ; Dieu leur appartenait – il n’était pas le Père, il était le Fils de l’Homme – maintenant la Nature est un miroir brisé et Milosz est désormais seul en face d’un Dieu devenu Créateur :

 

Il m’advient quelquefois, au milieu de la nuit, d’être éveillé par le silence le plus accompli de l’Univers. C’est comme si tout à coup, les multitudes célestes, apercevant dans ma pensée le terme assigné à leur course, s’arrêtaient au-dessus de ma tête pour me considérer en retenant leur souffle. Ainsi qu’aux lointains jours de mon enfance, toute mon âme se tend alors vers la grande voix qui se prépare à m’appeler du fond des espaces créés. Mais mon attente est vaine. La paix qui m’environne n’est si parfaite que parce qu’elle n’a plus de nom à me donner. Elle est en moi et je suis en elle, et dans ce Lieu comme nous innomé où s’est accomplie notre union, il n’est pas jusqu’au mot le plus universel, Ici, qui n’ait perdu à jamais son sens ; car rien n’est demeuré hors de nous où nous puissions encore situer un Là-bas, et l’espace total où respire la pensée nous apparaît non pas comme le contenant, mais comme l’intérieur illuminé du beau cristal Cosmos tombé des mains de Dieu.

 

La Nature ainsi est définitivement séparée de Dieu, son Créateur, et la Pensée, si elle en occupe toujours le centre, ne respire plus que pour la Divinité hors du temps, hors de l’espace, hors du monde ; la Nature n’est plus le beau visage, elle est une multitude de visages anonymes, interchangeables qui ne sont plus que les signes desséchés des automnes. Comme il est loin désormais le Printemps qui se situait juste au milieu de la hauteur, à l’endroit où l’âme touche la chair et où le Verbe les unit dans la jeune confiance :

 

Le printemps est revenu de ses lointains voyages

Il nous apporte la paix du cœur.

Lève-toi, chère tête ! Regarde, beau visage !

La montagne est une île au milieu des vapeurs.....

 

Désormais la Nature s’est dissipée dans l’éternel retour, dans la mélancolie du recommencement, et le Poète se trouve, sang intermédiaire, face à face avec Dieu. C’est le sens du Cantique de la Connaissance, c’est celui d’Ars Magna et du Poème des Arcanes, ce sera celui des dernières œuvres de Milosz consacrées à l’Apocalypse. Crevées les cloisons du relatif, le Poète touche Dieu, le seul absolu ; morts l’amour et les sentiments, le Poète découvre la nature de Dieu sans mensonge, sans sexe, sans poésie, sans cri et sans orgueil ; disparus les « beaux » paysages, le Poète met en évidence les déserts et cette négation même de l’amour, de la vie et de l’espace que sont la communion et l’union absolues : voici venue la saison de l’Apocalypse ! – celle où le Saint-Esprit, que Milosz prétend être, tente l’approche de Dieu. Mais ce Dieu, quel est-il ? Ce n’est déjà plus l’Unique, ultime Visage de la Nature, c’est l’Insaisissable, l’Innomé, l’Abstraction hors d’elle-même, le But si éblouissant qu’il brûle Milosz et étend sur son âme une couche de nuit ; quel bain de fraîcheur que la nature à laquelle on ne croit plus mais à qui on peut toujours offrir son amour ! C’est cette Demeure qui abritera souvent encore le Poète Milosz qui n’a pas cessé d’être amoureux et qui lui offrira même au temps de l’Apocalypse le miel et le pain et le repos doux des étoiles :

 

Voici les choses sont ce qu’elles sont

buée des cils

feu de pluie au bord du toit

dans le sac du semeur poignée d’étoiles

et les roues qui entrent l’une dans l’autre

Iehezkeel les terribles spirales

voici les choses sont ce qu’elles sont

profond profond est Cela

devant celui qui se prosterne

on se prosternera.

 

 

 

 

Pierre GARNIER.

 

Paru dans O. V. de L. Milosz (1877-1939),

collection Les Lettres, Éditions André Silvaire, 1959.

 

 

 

 

 

 

 


1 Lettre à Ernest Gengenbach, citée plus haut.

 

 

 

 

 

 

 

 

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