La foi selon

sainte Catherine de Sienne

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Réginald GARRIGOU-LAGRANGE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Fides est donum Dei. »            

 

Une des meilleures manières de pénétrer dans la spiritualité des saints, c’est de voir comment ils ont parlé et comment ils ont vécu des trois vertus les plus hautes, c’est-à-dire des trois vertus théologales, qui unissent de plus en plus étroitement l’âme à Dieu, et inspirent d’en haut toutes les autres vertus. Nous parlerons aujourd’hui de la foi selon sainte Catherine de Sienne, particulièrement d’après le Dialogue qu’elle dicta en extase, à diverses reprises, environ deux ans avant sa mort 1. Voyons d’abord ce qu’elle est en elle-même, ensuite pourquoi elle est souvent obnubilée, couverte de nuages, chez le pécheur ; comment elle doit grandir, et comment nous devons vivre d’elle, en considérant toutes choses sous sa lumière surnaturelle. Plusieurs psychologues enseignent aujourd’hui 2 que la vie des mystiques est dominée par une grande et noble émotion, qui se traduit ensuite en leur intelligence par les idées qu’ils nous expriment. Leur pensée suivrait ainsi l’émotion ou le mouvement de leur sensibilité, et alors il semble qu’elle n’aurait qu’un fondement bien fragile et bien changeant, peut-être notre subconscient. L’intelligence des mystiques chrétiens ne se nourrirait pas avant tout de vérité immuable et incontestable ; leurs jugements seraient seulement le reflet des vives émotions de leur cœur.

Tout autre est la doctrine de sainte Catherine de Sienne. Elle nous aide à voir la profonde vérité du traité théologique de la foi et nous manifeste la vie de cette vertu théologale. La foi apparaît ici, non pas seulement comme une adhésion obligatoire à une formule révélée proposée par l’Église, mais comme une vie intense et rayonnante.

 

 

Ce qu’est la foi infuse

 

La foi, dit la Sainte 3, est une lumière que nous avons reçue par le baptême, et qui nous montre la route qui conduit à la vie éternelle. Sur cette route nous devons marcher courageusement, sans la moindre hésitation, parce que la lumière qui nous la montre vient de Dieu qui ne peut nous tromper. Par elle en effet nous connaissons de façon surnaturelle et infaillible le but de notre voyage et Celui qui est « la voie, la vérité et la vie » 4.

La foi, ainsi définie comme un instinct intellectuel qui nous porte vers la fin dernière, est comparable à l’instinct qui porte par exemple l’hirondelle à aller au printemps en tel pays éloigné ; cet instinct l’y conduit, sûrement, même si l’hirondelle est seule, est jeune, et si elle a été accidentellement fort éloignée du but de son voyage où elle n’est encore jamais allée. Il y a là dans l’ordre naturel une chose merveilleuse qui est le symbole d’un instinct spirituel très supérieur.

« La foi, dit encore la Sainte 5, est la pupille de l’œil de l’intelligence ; sa lumière fait discerner, connaître et suivre la voie et la doctrine de la vérité, le Verbe incarné 6. Sans cette pupille de la Foi, l’âme ne saurait voir (dans l’ordre du salut). Elle ressemblerait à un homme qui aurait bien des yeux, mais dont la pupille, par laquelle l’œil voit, serait recouverte d’un voile. L’intelligence est l’œil de l’âme et la pupille de cet œil, c’est la foi. »

Cette façon symbolique de parler de la foi comme d’une « pupille insérée par le baptême dans l’œil de l’intelligence 7 », montre bien que la foi infuse est essentiellement surnaturelle, très supérieure à l’activité naturelle de notre intelligence et même à l’activité naturelle de l’intelligence angélique. C’est une participation à la connaissance divine que Dieu a de sa vie intime, et de ce qu’il prépare à ceux qui l’aiment. Cet objet sublime, comme dit saint Paul, « l’œil de l’homme ne l’a pas vu 8 », ni son intelligence ni celle de l’ange ne peuvent le connaître naturellement. Mais Dieu nous l’a révélé par son Esprit, et, par le don surnaturel de la foi, nous adhérons infailliblement à la Vérité première révélatrice et aux mystères révélés que l’Église nous propose.

La foi infuse, comparée à la pupille ou au centre de l’œil, élargit considérablement les frontières de notre intelligence, elle élève celle-ci jusqu’à la connaissance encore obscure mais certaine de la vie intime de Dieu. La foi donne ainsi, comme dit la Sainte, « un avant-goût de la vie éternelle 9 ». Elle est vraiment le principe, le germe, « la substance des choses que nous espérons 10 », et nous y fait adhérer fermement sans les voir encore. Ce ne sont pas seulement les émotions de notre cœur que nous connaissons, c’est ce que saint Paul appelle « les profondeurs de Dieu » (I Cor., II, 10).

La foi est donc d’un très grand prix. Si nous disons communément de ce qui nous est le plus cher que nous le gardons comme la pupille de l’œil, que devrions-nous dire de la foi infuse, qui est la pupille de l’œil spirituel, et qui doit subsister en nous jusqu’à ce qu’elle soit remplacée par la lumière de gloire qui nous fera voir clairement l’essence divine, sans l’intermédiaire d’aucune créature, ni d’aucune idée créée ?

 

 

La foi obnubilée

 

Mais cette lumière si précieuse de la foi est souvent couverte de nuages épais en l’âme du pécheur. Le chrétien, après avoir reçu la foi infuse au baptême, ne la perd sans doute que par un péché mortel qui soit directement contre la foi elle-même, en niant formellement ou révoquant formellement en doute une vérité révélée qui lui est suffisamment proposée.

Grâce à Dieu, ces péchés mortels directement contre la foi sont relativement rares, et, chez beaucoup de baptisés qui se trouvent en état de péché mortel, la foi infuse reste, avec l’espérance, comme la racine d’un arbre qui a été coupé et qui pourra revivre.

La foi infuse reste en eux sans la charité et sans les vertus morales infuses ; elle reste, mais elle est obnubilée ou couverte d’un nuage. Sainte Catherine insiste souvent sur ce point d’une façon saisissante 11 : « Au lieu de mettre à profit les lumières de la foi pour enfanter dans la grâce des œuvres de vie, ils (ces pécheurs) ne produisent que des œuvres de mort. Oui, elles sont mortes leurs œuvres, parce que toutes accomplies dans le péché mortel... Ils ont bien la forme du saint baptême (le caractère baptismal), mais ils n’en ont plus la lumière (la grâce sanctifiante) ; ils en sont privés par cette ténèbre de la faute commise par l’amour-propre, ténèbre qui a recouvert la pupille qui les faisait voir. Aussi dit-on de ceux qui ont la foi sans les œuvres que leur foi est morte (parce qu’elle ne produit plus d’actes méritoires). »

La Sainte ne dit point que la foi a disparu, qu’elle a été perdue ; non, elle reste, mais comme la pupille qui a été recouverte d’un nuage plus ou moins épais 12.

Lorsque la foi est obnubilée, comme il vient d’être dit, l’homme, même quand il est par nature très intelligent, semble avoir perdu le regard vers le ciel ; il voit devant lui les choses qui sont à son niveau ou inférieures ; il fait preuve assez souvent de perspicacité dans les affaires, mais il est comme fermé aux choses supérieures :

 

Le pécheur, écrit sainte Catherine, ne connaît plus en lui-même ma Bonté qui lui a donné l’être et toutes les grâces dont je l’ai comblé par surcroît. Ne me connaissant pas, s’ignorant lui-même, il ne déteste pas en lui l’égoïste sensualité ; bien plus, il l’aime, il l’emploie à satisfaire ses désirs...

Pour moi, dit le Seigneur, il ne m’aime pas ; ne m’aimant pas, il n’aime pas celui que j’aime, je veux dire son prochain ; il ne met pas son plaisir à faire ce qui me plaît 13.

 

L’amour égoïste recouvre ainsi d’un bandeau épais la pupille de la foi 14.

Le péché véniel délibéré ne peut sans doute rendre la foi morte, mais il produit en certaines âmes en état de grâce un effet analogue au brouillard dont nous parlions tout à l’heure : ces âmes restent trop attachées à leur propre jugement et se laissent plus ou moins tromper par l’ennemi de tout bien. On voudrait pouvoir donner à leur regard une simplicité, une élévation et une douceur qui ne peuvent venir que de Dieu.

L’obscurité d’en bas, qui vient de la matière, de l’erreur et du péché, empêche l’âme de pénétrer dans l’obscurité d’en haut, qui vient d’une trop grande lumière pour les faibles yeux de notre esprit.

 

 

 

La foi éclairée par les dons du Saint-Esprit

 

Si la foi du chrétien en état de péché mortel est entourée de nuages ou de brouillard, la foi du juste, surtout lorsqu’il est généreux, est de plus en plus éclairée par les dons du Saint-Esprit, surtout par les dons d’intelligence et de sagesse, qui rendent la foi pénétrante et savoureuse.

La Sainte appelle ces dons une lumière spéciale accordée aux justes, et par laquelle « ils voient que Dieu, douce et suprême Vérité, distribue à chacun l’état, le temps et le lieu, les consolations et les tribulations, suivant qu’il est nécessaire à notre salut et à la perfection à laquelle Il appelle les âmes 15 ». Saint Thomas enseigne que la foi fait adhérer à la vérité divine et dirige notre vie. Il est parlé spécialement ici de cet aspect pratique de la foi, et l’on voit comment cette vertu est le fondement positif de toute la spiritualité.

« Si l’âme était vraiment humble, dit le Seigneur, et sans aucune présomption, elle verrait à cette lumière que tout vient de Moi ; c’est par amour que je le donne, et c’est avec amour par conséquent et avec respect qu’elle doit recevoir tout ce que je lui envoie 16. »

Plus éclairés encore, ces justes « s’estiment dignes de toutes les afflictions, comme aussi d’être privés de toutes les consolations personnelles et de tout bien quel qu’il soit... Ils ont connu dans cette lumière et goûté ma volonté éternelle, qui ne veut rien d’autre que votre bien, et qui ne vous envoie et ne permet la souffrance qu’afin que vous soyez sanctifiés en Moi 17 ».

La Sainte dit que l’orgueil prive certains savants de cette lumière qui rend la foi pénétrante et savoureuse :

 

Ceux qui sont infatués de leur science s’aveuglent à cette lumière, parce que leur orgueil et le nuage de l’amour-propre recouvrent et cachent cette clarté. C’est pourquoi ils entendent la Sainte Écriture littéralement plus que spirituellement. Ils n’en goûtent que la lettre, à force de compulser des livres : ils ne savourent pas la moelle de l’Écriture, parce qu’ils sont privés de la lumière qui l’a composée et qui aussi en révèle le sens.

Ces beaux savants s’étonnent ! On les surprend murmurant, quand ils voient de pauvres gens grossiers et sans instruction goûter la Sainte Écriture et jouir de ma Vérité... Aussi, je te dis que, pour demander conseil sur le salut de l’âme, il vaut beaucoup mieux s’adresser à l’un de ces humbles, d’une conscience droite et sainte, qu’à un orgueilleux érudit, qui a fait par ses éludes le tour de la science.

Celui-ci ne peut donner que ce qu’il possède. Aussi, bien souvent, à cause de sa vie de ténèbres, ce n’est que dans ces ténèbres qu’il distribuera la lumière de la Sainte Écriture ; tandis que mes serviteurs répandent la lumière qu’ils possèdent en eux-mêmes, désireux et comme affamés du salut des âmes...

 

En effet, la foi vive suppose et engendre l’amour :

 

Avec cette lumière l’on m’aime, parce que l’amour suit l’intelligence. Plus on connaît, plus on aime, et plus on aime, plus on connaît. Amour et connaissance s’alimentent ainsi l’un l’autre réciproquement 18.

 

Cette doctrine est de tout point conforme à celle de saint Thomas : la plus haute de nos facultés est l’intelligence, qui dirige la volonté ; mais la plus haute des vertus est la charité, qui est le principe de font mérite.

 

 

 

L’esprit de foi

et la contemplation du mystère du Christ

 

Chez le juste chaque jour plus docile au Saint-Esprit la foi devient de plus en plus pénétrante, elle saisit de mieux en mieux la réalité divine sous les figures, et nous montre toujours davantage la grandeur du mystère du Christ rédempteur, dont le sacrifice se perpétue jusqu’à la fin des temps par la consécration eucharistique.

Le juste vit alors de plus selon l’esprit de foi. L’esprit ou la mentalité de quelqu’un, c’est sa manière à lui de voir, de juger, de sympathiser, de vouloir et d’agir. Il y a l’esprit de nature, qui ne s’élève pas au-dessus de l’égoïsme plus ou moins conscient de lui-même. L’esprit de foi, au contraire, nous porte à considérer toutes choses sous la lumière de la révélation divine : Dieu d’abord, tous les mystères du salut, notre âme, le prochain, les événements agréables ou pénibles qui se produisent.

En sainte Catherine de Sienne elle-même, la foi est tellement vive qu’elle semble presque voir le Christ présent dans l’hostie consacrée et agissant dans les âmes, comme nous voyons, nous, les couleurs d’un paysage à la lumière du soleil. Catherine de Sienne juge de la santé spirituelle des âmes régénérées par le sang du Christ comme nous jugeons de la santé du corps. Elle voit aussi dans les âmes les plaies spirituelles, l’orgueil, la concupiscence de la chair et celle des yeux, comme nous nous voyons les plaies purulentes dans un corps dévoré par la maladie.

La Sainte ne perd pas de vue un instant Jésus-Christ, le Sauveur, dont l’œuvre rédemptrice dure jusqu’à la fin des siècles. Elle a du Sauveur une idée non seulement distincte, mais profondément vécue. C’est la vie intime de la foi, et non pas seulement l’adhésion obligatoire à une formule révélée. Le Père céleste lui a dit :

 

À cause de l’union de la nature divine et de la nature humaine en mon Fils unique, j’agréai le sacrifice de son sang... ; le feu de la divine charité fut le lien qui le tînt attaché et cloué à la croix 19...

Jésus est, dit-elle, le grand Médecin qui a guéri le malade en buvant la médecine amère que l’homme ne pouvait boire, parce qu’il était trop affaibli 20.

 

Il est le médecin de l’humanité, qui accompagne toutes les générations humaines pour les conduire au salut. Bien plus, pour leur rendre la vie, il les nourrit de lui-même.

Réellement présent ici-bas dans l’Eucharistie, il continue de s’offrir, il ne cesse d’intercéder pour nous. Il est, nous dit-elle, comme le pont 21 ou l’arche immense qui rattache la terre au ciel, la voie par laquelle tous les hommes doivent passer pour atteindre la vie éternelle.

Sainte Catherine, à la lumière de sa foi très vive et des dons du Saint-Esprit, pénètre admirablement les sentiments les plus intimes de Notre-Seigneur ; elle nous montre comment, sur la Croix, il se livra tout entier à la douleur sans perdre pourtant dans la partie la plus élevée de sa sainte aine la suprême béatitude :

 

Il était sur la Croix à la fois bienheureux et souffrant : Il souffrait de porter la croix corporelle et la croix du désir du salut des âmes..., mais aussi il était bienheureux, parce que la nature divine unie à la nature humaine était impassible et faisait toujours son âme bienheureuse, en se montrant à elle sans voile 22...

 

De même, dit la Sainte, les amis intimes du Seigneur Jésus souffrent à la vue du péché qui offense Dieu et ravage les âmes, mais ils sont heureux en même temps parce que la joie de la charité qu’ils possèdent ne peut leur être enlevée, et c’est elle qui fait leur allégresse et leur béatitude.

 

 

La foi de Catherine de Sienne pénètre aussi de plus en plus ce qu’est la vie intime de l’Église, corps mystique du Sauveur. Elle voit comment il communique la vie aux âmes qu’il s’incorpore pour ainsi dire, en les faisant participer d’abord à sa vie d’enfance, puis à sa vie cachée, enfin à sa vie douloureuse, avant de les faire participer à sa vie glorieuse dans le ciel.

La vierge de Sienne voit comment l’Église, vivant ainsi des pensées, de l’amour, de la volonté du Christ, est sa véritable épouse. En elle, c’est, en un sens, la grande prière et la souffrance rédemptrice du Sauveur qui continue jusqu’à la fin du monde. C’est la vie surnaturelle de la grâce, qui, comme un fleuve spirituel, descend de Dieu, par l’humanité de Jésus, sur toutes les âmes, pour remonter vers Dieu sous forme d’adoration, de réparation, de supplication, d’action de grâces. « Le Précieux Sang opère ainsi toujours pour le salut 23. »

L’Église apparaît à Catherine de Sienne sous la figure d’une vierge aux traits nobles, au regard très pur, mais dont le visage est rongé par la lèpre, par les fautes de beaucoup de pauvres chrétiens 24. « Vois, ma fille, lui dit le Seigneur, comment ces fautes ont défiguré le visage de mon Épouse 25. » Catherine comprend que la sainte Église, malgré cette lèpre, reste très unie au Christ et toujours vivifiée par Lui 26. Ces fautes ainsi symbolisées « ne peuvent en rien affaiblir ou diviser le mystère du sacrement de l’Eucharistie 27 ». Le trésor du précieux sang est intact, mais il faut, pour ces fautes, une réparation.

Aussi Catherine de Sienne entend ces paroles :

 

Prends tes sueurs, prends tes larmes, puise-les à la source de ma divine charité et avec elles en union avec mes autres serviteurs lave la face de mon épouse. Je te promets que ce remède lui rendra sa beauté. Ce n’est ni le glaive, ni la guerre qui peuvent la lui rendre, mais la prière humble et assidue, les sueurs et les larmes répandues avec un désir ardent par mes serviteurs. Sans cesse, faites monter vers moi l’encens des prières parfumées pour le salut des âmes, car je veux faire miséricorde au monde.

Soyez sans crainte : si le monde vous persécute, je serai pour vous et en aucune occasion ma Providence ne vous manquera 28.

 

Telle est manifestement la grande foi vive, éclairée par les dons du Saint-Esprit et qui s’épanouit en cette contemplation du mystère du Christ et de l’Église 29.

Finalement, la foi de Catherine de Sienne s’épanouit en contemplation du mystère suprême :

 

Ô Trinité éternelle ! ô Déité, ô Nature divine qui avez donné un tel prix au sang de votre Fils ! Vous, Trinité éternelle, vous êtes une mer sans fond où je me plonge ; et plus je vous trouve, plus je vous cherche encore. De vous, on ne peut jamais dire : c’est assez ! L’âme qui se rassasie dans vos profondeurs, vous désire sans cesse, parce qu’elle est toujours plus affamée de vous 30.

 

Ceci rappelle la définition de la béatitude donnée par saint Augustin : l’état de l’âme à la fois satisfaite et toujours affamée.

Cette élévation à la Trinité s’achève par un cantique sur la grandeur de la foi :

 

Par la lumière de la foi, je possède la sagesse dans la sagesse du Verbe votre Fils. Par la lumière de la foi, je suis forte, constante et persévérante. Par la lumière de la foi, j’espère et je ne me laisse pas défaillir en route... Revêtez-moi, Vérité éternelle, revêtez-moi de vous-même, pour que je passe cette vie mortelle dans la véritable obéissance et dans la lumière de la foi très sainte, dont vous avez à nouveau enivré mon âme. Deo gratias. Amen 31.

 

Ainsi finit le livre en l’an du Seigneur 1378.

 

 

Conclusion

 

On voit dès lors combien il serait faux de prétendre que les idées et les jugements des mystiques chrétiens ne sont que le reflet de leurs émotions ou des mouvements de leur sensibilité. Leur intelligence se nourrit avant tout de vérité divine révélée ; c’est la foi divine et non pas une émotion qui domine leur vie. Et c’est parce que leur intelligence est établie ainsi dans la vérité de Dieu que leur volonté est profondément rectifiée et fortifiée, et que son action est féconde, non seulement pour un temps et les générations suivantes, mais pour l’éternité. Cette fécondité est une des grandes différences qui séparent la mystique chrétienne de la mystique orientale qui se trouve par exemple dans le bouddhisme. Parce que la pensée et l’amour des mystiques chrétiens viennent de Dieu, ils peuvent remonter jusqu’à Lui.

 

Demandons, nous aussi, par l’intercession de sainte Catherine, ce grand esprit de foi qui nous fera considérer à la lumière de la révélation divine Dieu, sa vie intime, l’humanité du Sauveur, l’Église, notre âme à sauver, notre prochain à secourir, les événements agréables ou pénibles qui se produisent pendant notre voyage vers l’éternité. De cette foi vive procédera en nous une double connaissance, celle de notre indigence, de notre misère, et celle de l’infinie grandeur et bonté de Dieu. Ces deux connaissances, dit la Sainte, sont comme le point le plus bas et le point le plus élevé d’un cercle qui grandirait toujours : « Je suis Celui qui est, tu es celle qui n’est pas 32. »

 

 

fr. Rég. GARRIGOU-LAGRANGE, O. P.

 

Paru dans La Vie spirituelle en 1935.

 

 

 



1  Sainte Catherine de Sienne avait alors trente-deux ans ; rappelons qu’elle avait reçu la grâce du mariage spirituel ou union transformante à vingt ans ; cf. sa Vie par le Bx Raymond, Ire Partie, ch. IX et XII.

2  C’était encore la manière de voir de M. Henri Bergson dans Les deux sources de la morale et de la religion ; il semble avoir progressé depuis lors.

3  Dialogue, ch. 29.

4  Cette définition vise l’action, la tendance à la fin dernière ; mais elle est fondée sur la vérité révélée. C’est là un pragmatisme supérieur, qui se moque du pragmatisme.

5  Ibid., ch. 45.

6  S. Thomas parle exactement de même, notamment dans son Comment. sur les Sentences, III, d. 24, a. 2 et 3.

7  Ibid., ch. 46.

8  I Cor., n, 9.

9  Dialogue, ch. 45.

10  Hebr., XI, 1 : « Fides est sperandarum substantia rerum, argumentum non apparentium. »

11  Ibid., ch. 46.

12  Ailleurs, ch. 110, la foi sans la charité est comparée à la mèche d’un cierge qui a été mouillé, et qui ne s’allume pas.

13  Ibid., ch. 46.

14  L’un des plus tristes effets de cet obscurcissement, c’est de méconnaître le prix même de la foi. Dans cet état de mort spirituelle, la foi ne se saisit plus elle-même. C’est pourtant une bien grande miséricorde que Dieu fait à l’âme en lui laissant, malgré son péché, la foi infuse informe : cette foi obnubilée, entourée comme d’un épais brouillard, n’est pas la cécité absolue, où l’on peut tomber par le péché mortel contre la lumière. Le Seigneur peut sans doute rendre la foi infuse avant la mort à celui qui l’a perdue, mais c’est une grâce d’immense miséricorde, qu’on n’est pas sûr d’obtenir. À la pensée de cette grâce, le pécheur qui n’a pas encore perdu la foi doit réfléchir au prix surnaturel de ce don qu’il conserve encore comme la racine d’un arbre brisé, et tout faire pour retrouver la foi vive, la seule qui nous mène effectivement à l’union divine.

15  Ibid., ch. 99.

16  Ibidem.

17  Ibidem, ch. 100.

18  Ibidem, ch. 85.

19  Ibid., ch. 14.

20  Ibid.

21  Ibid., ch. 127.

22  Ibid., ch. 78.

23  Ibid., ch. 14.

24  Ibid., ch. 86.

25  Ibid., ch. 14.

26  Ibid., ch. 12.

27  Ibid., ch. 118.

28  Ibid., ch. 86.

29  Et pas de doute que tout cela était incomparablement plus vivant dans l’âme de sainte Catherine que sur le livre du Dialogue ; livre pourtant qui revit dans la mesure où notre foi s’élève et devient elle-même plus pénétrante.

La Bse Angèle de Foligno, lorsqu’après avoir dicté ce qu’elle voyait en sa contemplation, relisait ce qui était écrit, ne le reconnaissait pour ainsi dire pas, ces mots lui paraissaient sans vie, en comparaison de ce qu’elle avait intérieurement vécu. Sainte Catherine de Sienne devait avoir la même impression en relisant ce dialogue qu’elle avait dicté en extase.

30  Dialogue, ch. 167 : Conclusion.

31  Ibidem.

32  Ibid., ch. 4 et 72.

 

 

 

 

 

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