Paul Claudel poète catholique

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Étienne GILSON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Invité à parler de Paul Claudel en cette circonstance solennelle, je n’ai pas hésité un moment. Son nom est un de ceux qui ont tout pouvoir sur mon cœur. Quand le sujet fut précisé : Paul Claudel poète catholique, je ne pus m’empêcher de sourire : Paul Claudel poète catholique, ou Paul Claudel poète, c’est la même chose. Car il a été catholique totalement, agressivement et même parfois, dans un pays et un temps tels que les nôtres, avec des manières d’agent provocateur. Je n’aurai donc pas à démontrer le fait, mais à le méditer, et peut-être est-ce l’évidence même du fait qui appelle d’abord notre réflexion.

Beaucoup de poètes français ont été des chrétiens, en ce sens qu’ils se considéraient eux-mêmes comme tels. Certains même durent à leur foi chrétienne leurs inspirations les plus hautes : Villon, Corneille, Racine, Baudelaire, Verlaine. Mais le cas de Claudel me paraît autre et, en un sens, unique. C’est celui d’un homme qui, doué par nature de ce don poétique dont Boileau même a proclamé la nécessité, l’a tenu pour une sorte de don prophétique, de gratia gratis data, et en a délibérément confondu la source avec la grâce chrétienne, comme si de cette grâce sa poésie tenait l’être, le mouvement et la vie. Aucun autre grand écrivain français, que je sache, ne fut comme lui chrétien en tant que poète et poète en tant que chrétien.

Regardons ce poète à l’œuvre, que fait-il ?

En 1946, neuf ans avant sa mort, et parlant, faut-il le noter ? non pas en ambassadeur de France dans un pays où il était, comme on dit, « en poste », car il avait pour cela des rapports officiels où s’exprimer, mais en homme plongé dans un océan d’autres hommes, Claudel écrivait : « Moi aussi... j’ai habité la Chine ; en pleine force, en pleine jeunesse, je me suis fourré avec elle pour vivre dedans, d’une plénitude de corps, d’âme et de sens dont il serait difficile aujourd’hui de faire comprendre l’agrément voluptueux. »

Observons le son des mots dont use cet homme de 78 ans, parlant avec cette nostalgie sensuelle de la Chine du Sud, où il avait en effet vécu dix ans, en attendant d’aller en vivre cinq autres dans la Chine du Nord à partir de 1905. Que trouvait-il de voluptueusement agréable dans cette immense mer pleine de vivants de toute sorte ? Écoutons-le répondre :

 

Tout me plaisait en elle, et j’oserai dire, non pas même, mais surtout, son désordre, son incurie, sa saleté, sa sagesse imbécile, cette civilisation bon enfant tout entière basée sur la tradition et la pratique, ce goût de l’art partout aussi naturel et spontané qu’une industrie animale, sa dégoûtante et profonde et savoureuse cuisine, sa religion, source pour moi continuelle d’une indulgence coupable, la magique et magnifique écriture, et surtout cette intensité de la qualité humaine propre, de ce que j’appellerai l’Umanità.

 

Voilà, n’est-ce pas, ce qui s’appelle, non pas aimer la Chine, mais s’y vautrer comme une bête ; comme, dit Claudel, « un blaireau ou un putois aspire de tous ses poumons au fond d’un terrier à tout ce qu’il peut y avoir de plus blaireau et de plus putois » !

Cette Chine des années 1900 est ainsi devenue de bonne heure une composante essentielle de Claudel et de son art. Nous le saurions mieux si, au lieu de présenter Le soulier de satin comme une pièce de notre répertoire classique, ce qu’il est déjà, on pouvait, et osait suivre à la lettre les directives de mise en scène prévues par le poète. J’en ai eu la révélation tout à fait inattendue un jour que j’assistais à une représentation du grand théâtre chinois de San Francisco, avec tous ces gens qui parlaient et mangeaient à leur aise, ces enfants qui jouaient dans les allées entre les fauteuils du parterre, le vacarme ininterrompu de l’orchestre à percussion soulignant le texte par des grondements, des roulements, des grincements, des détonations soudaines de gongs et de cymbales, sans préjudice de l’incessant va-et-vient des accessoiristes, parfaitement indifférents au jeu des acteurs, plantant et transplantant sans arrêt les praticables sur la scène pendant la représentation même et sans s’y mêler ni l’interrompre. Du symbolisme partout. Un acteur tient une sorte de queue de cheval ; il est à cheval. Il la pose sur le sol : il descend de cheval. S’il faut nommer l’ingrédient principal de cette mise en scène, je dirai, le désordre. Le jour où je m’y trouvai plongé à l’improviste, je pensai aussitôt : Le Soulier de Satin ! celui que je n’ai jamais vu et ne verrai jamais, mais auquel Claudel pensait certainement lorsqu’il écrivait, au début de son drame, et comme la première de ses directives scéniques, ce qui fut toujours un principe de son art : « Si l’ordre est le plaisir de la raison, le désordre est le délice de l’imagination. »

Prenons donc cette Chine-là comme le symbole qu’elle resta toujours pour lui. Le symbole de quoi ? Ici encore le Soulier de satin va nous le dire. Ce sont les premiers mots de l’Annoncier, aussitôt après le titre de la pièce : « La scène de ce drame est le monde. » Ce qui va se passer en Espagne, vers la fin du XVIe siècle ou le commencement du XVIIe siècle, car le temps n’a pas plus d’importance que le lieu, c’est ce qui se passe partout et à tout moment dans le monde. Claudel situera l’action où il lui plaît et au temps qui lui plaît, parce que comme le monde est l’œuvre de Dieu, le poème dramatique sera celle du poète, faible mais authentique démiurge lui-même créé qui est à son œuvre ce que le Dieu chrétien est à l’univers.

Telle que Claudel la conçoit, cette notion de création est le premier signe de l’unité substantielle, que je voudrais souligner, entre son expérience personnelle d’artiste et sa foi chrétienne. Car l’Écriture dit qu’au commencement Dieu fit le ciel et la terre, et le poète, le poiètès, est essentiellement celui qui « fait », un analogue fini, mais très réel, du Dieu créateur. C’est d’abord par là que Claudel se sent chrétien du même fond dont il se sent poète, et puisqu’il faut bien commencer quelque part pour décrire cet être si merveilleusement un et multiforme à la fois, je ne vois pas de meilleur point de départ que sa notion de création.

Je dis bien sa notion de création. Car il est naturel que les admirateurs de Claudel n’admirent pas que lui, mais certains l’associent dans leur admiration à des compagnons de gloire qu’il accueillerait de mauvaise grâce. Henri Bergson, par exemple, et sa célèbre « évolution créatrice », dont il se méfie, précisément parce qu’il y voit un mouvement sans origine ni terme, sans rien de fixe ni de défini, bref sans « aucun moteur immobile ». Ne cherchons ici aucune critique métaphysique. Simplement, Claudel savait que créer ne se passait pas de cette manière parce qu’il en avait l’expérience. Quand on lui disait que l’évolution expliquait la création de l’univers, il se demandait comment elle pouvait expliquer la création de son théâtre ? Car c’est Paul Claudel qui explique l’évolution de son théâtre, et non pas inversement. De même pour l’univers. S’il y a de l’évolution dans la nature, elle n’explique rien, c’est elle qui a besoin d’être expliquée. Pour créer, il faut quelqu’un, un créateur. Évolution n’est pas un nom propre, c’est un terme abstrait, et les abstractions ne rendent raison de rien, parce qu’elles-mêmes ne sont pas. Toute théologie de l’évolution éveillait donc chez Claudel une méfiance insurmontable. On ne fait appel à l’évolution, pensait-il, que pour se passer de Dieu.

Créationniste, Claudel était non moins résolument finitiste en ce qui concernait la matière. Il n’admettait pas qu’avec assez de temps et une quantité infinie de matière n’importe quoi pût sortir de n’importe quoi.

Écoutons-le dans son Introduction à un poème sur Dante : « La poésie au XIXe siècle a trouvé son texte préféré dans les Idées d’Infini et d’Évolution. Il n’y en a pas qui puissent être plus odieuses à l’esprit d’un véritable poète. » Voilà bien son point constant de référence : son expérience personnelle de la création artistique. Il nous disait, il y a un instant, que les poèmes ne se font pas tout seuls dans l’esprit du poète ; s’ils y évoluent, c’est lui qui les y fait évoluer ; il ajoute à présent que ce n’est pas dans de l’infini, c’est toujours sur du fini que le poète travaille, et qu’il n’y travaille pas en vue d’obtenir du fluide, du temporaire et du provisoire, mais du solide et du définitif. Quand l’artiste dit de son travail qu’il est « fini », cela veut dire que l’œuvre est là, avec son commencement et sa fin, complète, parachevée, faite et par-faite, solide et durable enfin puisqu’il ne lui manque rien. Tel l’univers claudélien, œuvre de Dieu, suprême artiste :

 

L’idée d’un infini matériel... c’est-à-dire d’un fini sans bornes, comme elle est un scandale pour la raison, est un désastre pour l’imagination qui se voit contrariée dans son ressort essentiel, c’est-à-dire ce pouvoir d’ordre, de mesure et de disposition que Dieu a mis en elle à l’imitation de son Verbe créateur. L’idée d’évolution n’est pas moins abominable, puisqu’elle tend à donner à la création tout entière un caractère indéfiniment provisoire et précaire, et, ôtant leur sérieux à des résultats momentanés, nous invite à préférer ce qui n’est pas à ce qui est 1.

 

Je crois qu’on s’égarerait en allant chercher ailleurs, sous prétexte de faire plus profond, la source de la théologie claudélienne De Deo creante. C’est que, pour tout dire, Dieu et lui sont du métier. Le poète regarde la création en homme qui sait ce que c’est que créer, et il n’en revient pas que ce soit si bien fait. C’est, comme on dit, « de la belle ouvrage ». Ce n’est pas tant que ce soit si grand, mais c’est plein de trucs étonnants, d’astuces à peine croyables, d’ajustages où le poète, qui s’y connaît, trouve matière inépuisable à admiration. Et là-dessus il faut l’entendre lui-même, non pas seulement les mots, mais le ton gouailleur d’enfant de la balle :

 

Le Créateur aurait appris de nous son métier qu’il ne le pratiquerait pas autrement. C’est touchant à voir l’intérêt qu’il prend à son œuvre ! Il y a de tout signification à tirer. Il ne se lasse pas de déballer et, comme le plus habile des calicots, de faire jouer sa camelote sous tous les jours possibles. C’est inouï ce qu’il invente et tout ce qu’il en tire ! On dirait qu’il en a à apprendre d’elle de toutes sortes !

 

Mais non, c’est nous-mêmes qui ne cessons d’apprendre d’elle la source, la dignité, le sens et la fin de nos modestes démiurgies.

Je ne pense pas me tromper beaucoup en imaginant le Dieu de Claudel, en immensément plus grand, bien sûr, mais tel que je me souviens d’avoir vu le poète lui-même au théâtre Hébertot, le soir où l’on y créait L’Annonce faite à Marie. Simple spectateur, j’étais bouleversé par le chef-d’œuvre, mais quand je pus échanger quelques mots avec lui, à l’entracte, je constatai très vite que lui n’en était plus là. L’émotion créatrice était passée dans l’œuvre, qui était désormais chose faite ; il s’agissait à présent pour lui de tout autre chose, d’une représentation, de théâtre, et il s’y amusait prodigieusement, comme seuls les enfants, qui sont des poètes, savent s’amuser avec un guignol qu’ils ont fabriqué eux-mêmes. Il était fasciné par ces marionnettes humaines, et pas tellement la douce, douce Violaine, comme j’aurais naïvement imaginé, mais surtout Mara, l’amère, la mauvaise. Regardez-là, disait-il sur un ton d’entière approbation, « c’est une petite panthère noire » ! C’est que ces marionnettes étaient ses créatures. Mais la salle, les décors, toute cette machinerie, et après tout nous-mêmes qui répondions ce soir-là à la convocation de son génie, c’était lui, et il le savait, lui seul, après Dieu, qui leur avait conféré l’existence. Et je pensais, en le voyant si simplement heureux, que seul un tel poète peut soupçonner ce qu’est la joie d’être un Créateur qui, l’œuvre achevée, la regarde et peut se dire qu’elle est bonne : et vidit quod erant valde bona.

Comme sa source, l’objet de cette poésie est catholique, car la source et l’objet coïncident. Claudel s’est toujours refusé à pratiquer ce genre de poésie dont on dit qu’elle a pour objet « les rêves, les illusions ou les idées ». Non, mais comme il y a une philosophia perennis, faite de certaines constantes de la pensée s’emparant de la réalité concrète, « de même il y a une poesis perennis qui n’invente pas ses thèmes, mais reprend ceux que la Création lui fournit, à la manière de notre liturgie, dont on ne se lasse pas plus que du spectacle des saisons 2 ».

Je m’excuse comme d’une faute involontaire, d’avoir cru devoir couper ce texte au moment où Claudel lui-même allait continuer : « C’est cette poésie qui est celle de Dante. » Le nom de l’altissimo poeta sonne ici comme un avertissement solennel, mais ne nous laissons pas égarer par lui.

L’art de Dante était chrétien, parce que lui-même était chrétien ; parce que le sujet de son œuvre était totalement chrétien ; pour Dante comme pour Claudel, être chrétien et être catholique, c’était tout un ; mais ce mot veut dire « universel » et il n’est pas nécessaire d’être un poète chrétien pour être un poète catholique.

Poésie catholique, c’est-à-dire une poésie réellement universelle, c’est-à-dire embrassant, suivant l’expression du Credo, les choses visibles et invisibles, utilisant toutes les facultés de l’âme humaine, non seulement l’imagination et la sensibilité, mais l’intelligence et le don critique – car la critique aussi est créatrice, et son jugement instantané ne doit pas cesser d’accompagner une minute le travail de l’esprit et de la main 3.

Demandez-vous des noms et des titres ? Claudel n’hésite pas :

 

Cet art catholique est celui de l’Iliade et de l’Énéide, celui de la Comédie de Dante, celui des grands drames grecs, celui de nos cathédrales, celui du XIIIe siècle dans toutes ses œuvres et dans la plus sublime de toutes, la Somme de saint Thomas d’Aquin 4.

 

– Ce n’est pas moi qui parle, c’est Claudel, mais à présent je continue : c’est celui des Cinq grandes odes, celui de la Cantate à trois voix, celui du Soulier de Satin. Et cette fois aucune erreur n’est à craindre. Souvenons-nous de l’extraordinaire, du presque incroyable épisode où, au quatrième chant de l’Inferno, Dante se fait présenter par Virgile aux quatre grandes ombres, Homère, poeta sovrano, Horace, Ovide et Lucain. Tous l’accueillent comme l’un des leurs, « si bien que je fus le sixième de cette illustre famille ». Foin de la fausse modestie ! J’imagine qu’en les rencontrant à son tour, car on peut l’imaginer faisant un bout de purgatoire, Claudel a prié son cher Virgile de vouloir bien le présenter. Cela fait, il s’est vu septième du groupe, settimo fra cotanto senno, et soyez sûr qu’il a trouvé cela tout naturel.

Un poète catholique, au sens où l’entend Claudel, c’est d’abord un poète cosmique. Sa poésie est une création dans la création et sur la création. Dante ne perd jamais de vue le monde où nous sommes en décrivant l’autre monde qui fournit la substance de son œuvre. L’immense horloge sidérale règle majestueusement la marche du poème et le poète nous rappelle opportunément l’heure qu’il est au Maroc ou, au même moment, à Jérusalem. De même chez Claudel. Au début du Soulier de Satin, l’annoncier commence par faire le point et, comme Claudel prend soin de le noter, il le fait « naturellement ». Pour situer l’inoubliable Père Jésuite, en qui se ramasse tout le drame et qui, bientôt mort, ne cessera de le conduire à sa fin, le poète le place sur un point de l’océan Atlantique, à quelques degrés au-dessous de la Ligne, à égale distance de l’Ancien et du Nouveau Continent ; toutes les grandes constellations de l’un et l’autre hémisphère (notons encore ce point) sont présentes au rendez-vous : « la Grande Ourse, la Petite Ourse, Cassiopée, Orion », et aussi la Croix du Sud, cet étendard céleste du Nouveau Monde, que je n’ai moi-même jamais vu surgir à la proue d’un navire ou au hublot d’un avion sans penser au poète qui l’aimait.

Le lieu de l’œuvre étant le monde, son temps est le temps sidéral, tel le solstice, moment critique de l’année : « Cette heure qui est entre le printemps et l’été... » ; ou simplement le jour : « Avant qu’une fois encore les deux moitiés de l’univers se divisent, et que la nuit se rompe vers le milieu qui est commune aux morts et aux vivants » ! Avec le temps sidéral viennent les saisons, qui en sont comme les signes visibles et passent sans cesse, et voudraient nous entraîner avec elles : « Que l’année autour de nous comme un torrent, toujours coulant et se hâtant pour revenir sur nous de l’horizon, que l’année avec ses saisons, ses semailles et ses moissons, passe, nous ne passons pas. »

Ici, je dois introduire une remarque, que le poète lui-même m’impose. À la question : qui fut pour Claudel le poète par excellence, le poète des poètes ? on peut hésiter entre les noms de génies abrupts comme le sien, hautains, dominateurs, violents, tel Homère, Eschyle et, naturellement, Dante. Mais non, le préféré de Claudel, c’est le même à qui Dante disait déjà : Tu duce, tu maestro : toi mon guide, toi mon maître, c’est Virgile. Aucun doute n’est permis là-dessus : « Qui rencontre Virgile n’a plus qu’à se prosterner et toute envie de poursuivre sa route lui est retirée 5. »

De hautes autorités universitaires demandaient récemment : « Le latin ? À quoi sert-il d’apprendre le latin ? » Nous tombons ici par hasard sur une partie de la réponse : « L’enseignement du latin sert à rendre un futur Paul Claudel possible. »

Virgile est d’abord pour lui le musicien par excellence. Chaque mot de Virgile « nous est un véritable délice » :

 

            Aut gravibus rastris galeas pulsabit inanes.

 

Or, justement, ce vers est emprunté par Claudel aux Géorgiques, poème de la terre, de ses travaux et des saisons où règnent souverainement les astres et les vicissitudes de l’année que leur marche entraîne :

 

            Quid faciat laetas segetes, que sidere terram Vertere...

 

voilà l’objet premier de son chant, et c’est pourquoi Virgile invoquera d’abord les astres :

 

                                        Vos, o clarissima mundi

            Lumina, labentem caelo quae ducitis annum,

 

voilà le « cosmisme » des grands poètes naturellement catholiques, et c’est pourquoi Claudel place Virgile si haut, à la cime même de l’art de poésie.

Je m’excuse d’insister si lourdement, mais c’est que je me fais la leçon à moi-même. On peut penser de Claudel ce que l’on veut, disséquer en mainte manière son art, ses écrits, sa pensée, et il y a en effet mainte manière de le faire bien. Chez Claudel, comme chez Dante, il y a de la place pour tout le monde, même les grincheux. En le faisant pourtant, et de quelque manière qu’on s’y prenne, il faut se souvenir que pour son goût, le poète suprême était le Cygne de Mantoue. Et croyez bien que je ne force rien. Pourquoi disait-il à l’instant que celui qui rencontre Virgile n’a plus qu’à se prosterner ? C’est que, répond-il, « Qui se soucierait d’entendre encore parler de poésie, quand il a le Poète lui-même, le Poète par excellence, dans le plus magnifique idiome qui ait jamais sanctifié les lèvres humaines, à sa disposition 6 ? »

On chercherait vainement, je crois, d’autres mots français pour dire aussi fortement la même chose, mais la parenthèse virgilienne que je viens de clore me ramène au cœur de notre sujet et, comme toujours avec Claudel, impérieusement. Je continue simplement la lecture du même texte : « La création sous cette haleine magique est transfigurée... Nous sommes du monde de la Grâce. »

De la grâce poétique, bien entendu, mais celle-ci n’est-elle pas à sa manière une grâce divine, et comme le sol que féconderont, s’il plaît à Dieu, des grâces plus hautes ? Couronnant l’année astronomique et agricole, et la sanctifiant, Claudel a toujours présente à l’esprit l’année liturgique, l’émouvant calendrier chrétien qui nous fait revivre chaque année la vie du Sauveur, de l’attente de sa naissance au lendemain de sa mort, puis la venue du Saint Esprit dans l’Église et la légende dorée des saints : Corona benignitatis anni Dei.

Inutile, n’est-ce pas ? de rappeler en détail les thèmes liturgiques célébrés par Paul Claudel. Nul ne connaissait mieux que lui la liturgie romaine, car il la pratiquait constamment sous toutes ses formes avec une fidélité passionnée. Je me retiens à grand effort de relire avec vous quelques-uns de ces petits chefs-d’œuvre travaillés avec amour, avec joie aussi et souvent même avec amusement, qu’il a consacrés à ce qu’on pourrait appeler « les travaux et les jours de la Sainte Église Catholique ». Mais qui pourrait le faire à sa place ? Car il ne les lisait pas en écrivain, comme on dit que faisait Stéphane Mallarmé, presque recto tono, il les jouait ; il les lisait en acteur, comme je me souviens de l’avoir entendu lire L’Enfant Jésus de Prague, à Boston, dans un salon d’hôtel réservé pour sa conférence, à côté d’un autre d’où nous venaient, à peine étouffés, les flonflons d’une exposition canine :

 

            Les rideaux sont tirés... Là-bas, on ne sait où

            Dans la neige et la nuit sonne une espèce d’heure...

 

Ne me reprenez pas, surtout, ne me faites pas prononcer : saitoù. Ne impedias musicam, n’empêchez pas la musique ! Non, pensons seulement que

 

            L’enfant dans son lit chaud comprend avec bonheur

            qu’il dort et que quelqu’un qui l’aime bien est là,

 

 

            S’agite un peu, murmure vaguement, sort le bras,

            Essaye de se réveiller, et ne peut pas 7.

 

Cet amour de la liturgie, quelle leçon pour nous, qui cherchons à ranimer la foi dans les cœurs par la philosophie, la théologie savante, surtout bibliciste, les rites communautaires, que sais-je encore ? Rappelons-nous le soir de ce 25 décembre 1886 où, à Notre-Dame de Paris, le jeune Claudel sentit la première et décisive atteinte de la grâce qui devait totalement l’investir ensuite. Cela n’arriverait peut-être plus aujourd’hui, mais c’est ce qui se produisit ce jour-là, quand la puissante maîtrise de notre cathédrale entonna la soudaine explosion de joie qu’est le Magnificat ! On épiloguera sans fin sur ce texte, car il est de l’essence de la critique historique qu’elle comprenne les évènements beaucoup mieux que ceux qui les ont vécus. Je pense, pour ma part, que ces choses sont arrivées exactement telles que le poète les a décrites, en ajoutant seulement un détail dont ce n’était pas pour lui le temps d’avoir conscience, c’est qu’il était déjà baptisé. La grâce fait d’étranges choses, surtout la grâce du baptême. Certains esprits adultes se demandent aujourd’hui pourquoi baptiser de petits enfants qui ne comprennent pas encore ce qui se passe ? Respondeo dicendum : c’est pour qu’un jour, peut-être, en entendant éclater le Magnificat, le petit enfant devenu homme découvre subitement qu’il est chrétien.

Comme la nature, la grâce a ses raisons, elle prend son temps, et il lui en faudra pour que ses fruits mûrissent, mais à partir de ce moment, s’unissant de plus en plus intimement à la vie de l’Église, participant de plus en plus à ses offices, à ses sacrements, à ses coutumes, traditions et arts de toute sorte, nourri de la pratique des Écritures qu’il finira par traduire et commenter en vrai théologien, il redécouvre et restaure la grande tradition du symbolisme biblique dont le R. P. de Lubac a magistralement retracé pour nous l’histoire. C’est la tradition réinventée par Claudel, car tout laïc qu’il est, ce fils de la liturgie catholique fait le travail de dix clercs.

De quel cœur il s’y emploie, vous le savez. Claudel ne se contente pas d’expliquer, il argumente. Claudel bougonne, il grogne, il lui arrive de se fâcher tout net de ce qu’on lui dit quand il le comprend, et même, et surtout, comme il peut lui arriver, quand il le comprend de travers. D’ailleurs de quoi ces gens se mêlent-ils ? Qu’on laisse l’Écriture parler, qu’on l’écoute seulement, Dieu fera le reste. Voyez-le découvrant la Bible et sa liturgie :

 

Ah ! ce n’était plus le pauvre langage des livres de dévotion ! c’était la plus profonde et la plus grandiose poésie, les gestes les plus augustes qui aient jamais été confiés à des êtres humains. Je ne pouvais me rassasier du spectacle de la messe et chaque mouvement du prêtre s’inscrivait profondément dans mon cœur. La lecture de l’Office des Morts, de celui de Noël, le spectacle des jours de la Semaine Sainte, le sublime chant de l’Exultet auprès duquel les accents les plus enivrants de Sophocle et de Pindare me paraissaient fades, tout cela m’écrasait de respect et de joie, de reconnaissance, de repentir et d’adoration !

 

Le voici donc à présent dans l’Église, le sachant, et de par une grâce à laquelle sa volonté a correspondu. Il y est chez lui et rien ne l’en fera plus sortir.

De ce temps-là jusqu’à sa mort, on le voit, on le sent comblé de tant de richesses qu’il se reconnaît incapable de toutes les exploiter. Ayant l’Église, il a tout et il l’a aussi parfaitement qu’il est possible de l’avoir en attendant d’avoir Dieu. À défaut de l’avoir, il en perçoit partout la présence : « Tout ce qui est est symbole, tout ce qui arrive est parabole 8. » Disons plus, tout est sacrement, si bien que le monde est une Bible dont les créatures sont les mots.

Entre ces mots il en est un que Claudel médite avec prédilection. C’est un nom propre, et qui désigne le chef-d’œuvre entre toutes les œuvres de Dieu : Marie.

Naître de, c’est se séparer de, toutes les mères le savent. Créer une œuvre, c’est se séparer d’elle, tous les artistes le savent. Il y a donc dans toute créature, du fait même qu’elle est séparée de sa cause par l’acte divin qui la fait être, comme un manque de Dieu. Elle cherche à combler ce manque par tous les moyens, même le péché. Une fois de plus, se fiant à son expérience personnelle de la création poétique, Claudel imagine Dieu incomplètement satisfait de son œuvre, ainsi que l’est tout artiste parce que, si bonne soit-elle, elle est, comme tout effet, inférieure à sa cause. Alors il réfléchit. Si j’étais Dieu, rumine Claudel, qu’est-ce que je voudrais faire de plus ? Je voudrais réussir au moins une créature-parfaite, une créature à laquelle, comme créature, on ne puisse rien trouver à reprendre, de sorte qu’elle soit un témoin de la perfection de son créateur. Là-dessus le poète passe en revue les conditions à remplir pour qu’une fin aussi extraordinaire soit atteinte :

 

Il s’agit d’un artiste en vue de l’œuvre à réaliser, en vue de cette bouche sacrée capable d’articuler le fiat suprême... Il faut qu’il n’y ait rien de pur dans la nature humaine qui demeure étranger à cette fructification, et rien d’impur qui le soit à cette purification 9.

 

L’Immaculée est ce chef-d’œuvre de soi improbable et pourtant réussi : une « créature-parfaite ». Naturellement, cette créature est une femme. En effet, Marie, mère de Dieu, sera bénie entre toutes les femmes, mais avant d’atteindre cette gloire suprême, elle sera Marie Sept-Épées ; sept glaives lui auront percé le cœur.

Une femme : à ce seul mot tout le théâtre de Claudel surgit, avec son cortège d’héroïnes inoubliables, malheureuses comme des reines de France et, pour avoir prononcé elles aussi leur fiat, condamnées à quelque sort tragique : la Princesse, crucifiée ; Lâla, qui s’en va seule avec un grand cri ; Violaine, écrasée ; Sygne de Coûfontaine, Prouhèze tuées pour que quelque grand bien naisse de leur sacrifice. Et non sans raison, car il faut que l’homme et la femme se cherchent avec violence, mais sans se rejoindre, pour apprendre, par l’échec inévitable de cette quête, que son objet véritable est ailleurs. Comme Béatrice doit mourir pour que le pèlerinage de Dante vers Dieu commence, tout de même Claudel interdit Ysé à Mésa et Prouhèze à Rodrigue, et c’est pour la même raison. On peut dire des femmes de son théâtre ce que lui-même a dit de la Phèdre de Racine, et, ce sont ses propres paroles, « de toutes les femmes avec elle », qu’elles « n’obtiennent de l’homme qu’un contact précaire et fugitif 10 ». Tous ces amours humains sont des amours de Dieu qui se trompent d’objet. Marie, elle, a accepté d’être la mère de douleur afin de prendre sa part du sacrifice de son Fils. Elle est devenue notre co-rédemptrice, son amour ne s’est pas trompé d’objet. Redisant une fois de plus son Petit Office de la Sainte Vierge, qu’il sait presque par cœur, Claudel contemple avec émerveillement ce pur chef-d’œuvre de Dieu : une créature que sa naissance n’a pas séparée de sa fin, parce qu’elle est née totalement et indéfectiblement unie au Rédempteur.

Le poète attend paisiblement sa fin. Il s’émerveille sans cesse du bonheur qui lui est échu d’être, d’avoir été séparé du néant : « Que Dieu est grand et qu’il est donc beau d’être né ! » Il s’étonne plus encore de la grâce qui lui est faite d’être chrétien. La fin inévitable ne l’effraie pas, car il sait qu’elle est un commencement. Cendre et semence... Semence de quelle moisson ? Au-delà, c’est la vie éternelle, qui nous reste mystérieuse mais que, poète jusqu’au bout de sa théologie, Claudel se représente en poète.

Que fait le poète, sinon tenter de se mettre tout entier dans le poème, de produire une œuvre qui soit parfaitement ce que lui-même n’est qu’imparfaitement, comme ce pays rêvé par un autre poète, où « tout est ordre et beauté, luxe, calme et volupté » ? Justement, c’est le Ciel, le pays où n’entre que celui qui lui ressemble. « Notre vie en Dieu sera comme un vers, de la justesse la plus exquise : nous serons alors les poètes, les faiseurs de nous-mêmes. Ce sentiment aigu de notre prosodie essentielle, cette impossibilité d’échapper à notre mesure admirable, nous seront alors conférés directement sans l’appoint empirique et toujours hasardeux du verbe extérieur. » Non plus fabriquer des poèmes avec des mots dits ou écrits, mais être soi-même un poème parfait où se reflète dans la joie la perfection divine, voilà la béatitude :

 

           Et moi qui fais les choses éternelles avec ma voix, faites que je sois tout entier

           Cette voix, une parole totalement intelligible !

 

Et moi aussi, je considère avec étonnement ce poète. Ma vue se reporte en tous sens sur l’immense histoire de la théologie chrétienne, et je ne vois personne avant lui, pas même Dante, qui ait imaginé ce que l’on pourrait nommer cette Béatitude d’un Poète. Bienheureux, le poète devient lui-même le chef-d’œuvre vivant de l’art poétique divin dont l’univers est le poème : « Notre occupation pour l’éternité sera l’accomplissement de notre part dans la perpétration de l’Office, le maintien de notre équilibre toujours nouveau dans un immense tact amoureux de tous nos frères, l’élévation de notre voix dans l’inénarrable gémissement de l’amour. »

Séparons-nous de lui sur ce mot. « Amour de Dieu, soumission totale à l’Église, je n’ai rien enseigné d’autre. » Je crois que c’est vrai. Cavalier d’une monture difficile dont il ne pouvait ni se défaire ni toujours s’accommoder, Claudel s’est trouvé aux prises, comme tout chrétien, avec le redoutable Grand Commandement proclamé par le Père, et de nouveau plus tard par le Fils : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces. » Grand Dieu, s’écrie Claudel, quelle exigence, quel programme ! Et pourtant il faut répondre :

 

À tout prix il faut répondre. L’orgueilleux terrassé (quelqu’un tout à coup à la gorge et le genou sur sa poitrine), le malade dans son berceau de plâtre pendant des jours, des mois et des années, en proie à ce monstre localisé, le mari au milieu de ses enfants que sa femme vient de planter là, le négociant face à face avec cette feuille de papier timbré, la mère devant ce petit qui vient de mourir. M’aimes-tu ?

 

Ces mots, que j’emprunte à Emmaüs, nous conduisent à l’homme au cœur chrétien, qu’habita un poète de génie et qui, s’il ne dut pas son art à sa foi, y puisa le meilleur de son inspiration 11.

Je le vois hanté par cette question, mais elle nous concerne tous. Comme jadis à Pierre, « à nous aussi, chrétiens, ce n’est pas une fois seulement, c’est par le truchement de toute notre vie, avec toutes nos joies et toutes nos souffrances que Dieu ne cesse de nous demander, moins avec une voix qu’avec cette oreille inlassablement tendue vers nous : M’aimes-tu ? M’aimes-tu ? et encore une fois, est-ce bien vrai ? m’aimes-tu vraiment du fond de ton âme, et de tout ton cœur, et de toute ta pensée ? M’aimes-tu ? »

En cette année jubilaire du centième anniversaire de votre naissance, cher grand poète, j’écoute votre voix, j’entends votre question, et je ne trouve à vous donner qu’une seule réponse : Veuille Dieu qu’il en soit ainsi ! Ainsi soit-il.

 

 

 

Étienne GILSON.

 

Recueilli dans La pensée religieuse de Claudel,

Centre catholique des intellectuels français,

Desclée De Brouwer, 1969.

 

 

 

 



1 Œuvres en prose, éd. La Pléiade, p. 425. – Cf. « Je pense que l’évolution est un mauvais thème, parce qu’un poète aime à prendre au sérieux toutes les choses qui l’entourent. Il ne les considère pas comme des esquisses provisoires appelées à être promptement supplantées par des créations battant neuves. Il les considère comme des figures de l’éternité, figures pleines de joie, de leçons inépuisables et d’une immense importance. Il ne voit rien à changer en elles, il déteste de les voir changer. L’éternité ne lui suffirait pas à les comprendre. » Religion et poésie, Œuvres en prose, pp. 62-63. – « Tout le XIXe siècle a vécu dans la persuasion que la création était infinie, qu’au-delà de ce monde il y en avait encore d’autres, et d’autres indéfiniment, tous peuplés d’âmes intelligentes et de créatures peut-être supérieures à nous. Il n’y a pas de conception plus niaisement vertigineuse, plus délétère pour l’imagination et plus parfaitement avilissante pour notre dignité (voir l’affreux poème de Victor Hugo intitulé Plein Ciel). Il n’y en a pas aussi de plus absurde. Qui dit une chose créée dit une chose finie. Il n’y a pas plus de monde infini qu’il n’y a de nombre infini. On prend pour une réalité objective la faculté que possède notre esprit d’ajouter indéfiniment l’unité à tout chiffre qu’on lui propose : sans remarquer que le cercle, par exemple, qui est l’image de l’Infini, l’est également du fini. Le monde n’est pas infini. Il est inépuisable, ce qui est bien différent, inépuisable comme le vase de la veuve de Sarepta. » Lettre sur Coventry Patmore, Œuvres en prose, p. 531.

2 Op. cit., pp. 423-424. – Il faudrait une étude scrupuleuse et détaillée, à laquelle eût excellé Charles du Bos, pour démêler, plus clairement que ne l’a fait Claudel lui-même, le débat intérieur qui s’est poursuivi chez lui toute sa vie entre l’artiste et le saint. J’ai discuté la question dans un livre intitulé L’École des Muses (Librairie philosophique J. Vrin) qui a obtenu de notre grande critique l’unanimité du silence. On pourrait le discuter à fond sur le seul cas Claudel. Car le poète a toujours caressé l’espoir qu’on pouvait être saint en tant même que poète. De là ses fréquents retours sur l’idée que la poésie est essentiellement prophétie, et inversement. La notion d’inspiration, fait commun aux deux ordres, lui a permis de les associer au point de quasi les confondre. On le constatera dans son essai La Poésie est un art, où « l’inspiration poétique elle-même n’est que l’accentuation d’un phénomène général » (Positions et Propositions, Pléiade, p. 54). Ce qui est vrai, mais l’inspiration, sans laquelle il n’est pas de poésie, n’est pas la poésie. Le poète est celui qui, de son inspiration, sait faire un poème. Dieu est l’auteur de la prophétie, le poète est celui du poème ; c’est pourquoi « la poésie est un art » ; même si elle est belle, la prophétie n’en est pas un. L’inspiration prophétique est surnaturelle ; Dieu parle, l’homme écoute et répète ce que Dieu dit : c’est pourquoi la poésie prophétique n’a pas à être faite par l’homme, ce qui permet au prophète de prophétiser sans cesser un moment d’être tout à Dieu. La poésie du poète est naturelle, elle est l’œuvre du poète lui-même et de son imagination créatrice (la « reine des facultés », disait Baudelaire) assistée du concours que Dieu prête à ses créatures. C’est pourquoi Claudel, le poète par excellence, a sainement jugé que sa vraie vocation n’était pas d’être prêtre. Il faut choisir. Pendant qu’il écrit (et il ne cesse guère de penser son écriture), l’écrivain est tout à son œuvre ; en aucun moment de sa vie le prêtre ne cesse d’être, d’intention et d’attention, tout à Dieu.

3 Op. cit., p. 1416.

4 Op. cit., p. 1416.

5 Op. cit., p. 57.

6 Op. cit., p. 57.

7 Œuvre poétique, éd. La Pléiade, p. 437.

8 Œuvres en prose, p. 113.

9 Je crois en Dieu, p. 113.

10 Œuvres en prose, p. 467.

11 « Et ceci m’amène à la conclusion de ma conférence qui sera de vous montrer quelques-uns des immenses avantages que la religion apporte à la poésie. Je ne dis pas que tout bon catholique soit aussi un bon poète. Parce que le talent poétique, l’inspiration poétique est, comme la prophétie, une grâce, une grâce gratuite, ce que les théologiens appellent gratia gratis data. Mais je veux dire que le poète catholique a sur ses frères un immense avantage. » Religion et poésie, Œuvres en prose, p. 63. Claudel cite trois avantages principaux : la louange, le sens et le drame. Ce dernier tient à ce que, dans un monde sans bien ni mal, « il n’y a pas de drame parce qu’il n’y a pas de lutte et il n’y a pas de lutte parce qu’il n’y a rien qui en vaille la peine. Mais avec la Révélation Chrétienne, avec les immenses et énormes idées du Ciel et de l’Enfer... les actions humaines, la destinée humaine sont investies d’une valeur prodigieuse. Nous sommes capables de faire un bien infini et un mal infini... Nous sommes comme les acteurs d’un drame très intéressant écrit par un auteur infiniment sage et bon où nous tenons un rôle essentiel, mais où il nous est impossible de connaître d’avance la moindre péripétie. Pour nous, la vie est toujours nouvelle et toujours intéressante parce qu’à chaque seconde nous avons quelque chose de nouveau à apprendre et quelque chose de nécessaire à accomplir » (pp. 64-65). « Car la religion n’a pas seulement mis le Drame dans la vie, elle a mis à son terme, dans la Mort, la forme la plus haute du drame, qui, pour tout vrai disciple de notre Divin Maître, est le Sacrifice. » Ibid.

 

 

 

 

 

 

 

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