La mission de la femme
par
A. GOUTAY
La femme a une mission moralisatrice, et c’est logique puisque par elle se perpétue l’humanité. Elle est l’éducatrice-née du genre humain. C’est du cœur de la femme que jaillissent les sources limpides de l’humanité. Par elle, dans le monde des âmes, éclosent ces belles fleurs par où s’exhalent les sentiments les plus exquis. L’homme est naturellement si convaincu de la mission moralisatrice de sa compagne qu’à chaque pas on trouve des incroyants fiers de la piété de leurs femmes. Et à Paris le Congrès communiste du 16 novembre 1924 a déclaré : « Aucune révolution ne sera possible tant que la famille existera, il faut la détruire. Il s’agit donc d’avoir la femme, de la sortir de son foyer. »
C’est par la femme, dit Bossuet, que naît la bonté, sceau de Dieu en nous. L’homme naît d’abord à la vie animale et, donc, est d’abord égocentrique. C’est par le contact de sa mère, par sa sympathie, que l’enfant sent jaillir en lui la bonté. Croyant à sa mère, la bonté naît en lui. On dit que la femme est une faiblesse. Oui, quand elle est infidèle à sa mission, quand elle n’est pas une valeur morale. Fidèle, elle est la toute-puissance qui doit entraîner le monde, elle tient en ses mains le secret de l’ascension humaine. Le but est si haut que Dieu l’a placé sous la protection de l’instinct. On pourrait croire que sous l’égide de la raison, l’ordre des choses eût été mieux sauvé. Il n’en est rien. L’expérience le prouve, la raison peut errer, elle varie suivant les individus, une foule de motifs la sollicitent qui peuvent la faire vaciller. L’instinct, antérieur à tout raisonnement, maintient le plan divin. Voilà pourquoi ce plan ne se dégage nulle part mieux que dans les tendances spontanées de la femme, dans ses goûts, ses aptitudes, ses dons physiques et moraux. Or, tout chez elle trahit son rôle. Toujours, à travers l’histoire et les évènements, l’influence de la femme est restée bonne ou mauvaise suivant qu’elle a été fidèle ou non à son idéal.
La famille est le cadre où sa perfection individuelle trouve le mieux à s’épanouir, son rôle moral à s’exercer, sa mission sociale à se réaliser. Les deux côtés du plan divin s’y confondent : perpétuité de l’espèce humaine, accroissement de la beauté morale. Toutefois, parce que la religion, initiatrice suprême de cette beauté, est avant tout libératrice de la personne, le perfectionnement individuel prime tout et ouvre à quelques-unes les voies exceptionnelles. Toutes les femmes ne sont pas appelées au mariage, à la maternité naturelle, mais elles n’en portent pas moins, là où Dieu les appelle, leurs qualités essentielles, celles-là mêmes qui font l’épouse et la mère. Si, à certaines natures d’élite, Dieu refuse la maternité dans le mariage, c’est pour leur réserver une mission plus étendue qu’elles exerceront par la doctrine, l’exemple, l’influence sociale, le charme, la souveraineté d’un idéal que ne contraignent pas les nécessités souvent impérieuses et facilement égoïstes des devoirs maternels. À d’autres, il demande l’apostolat direct des âmes sous l’une des formes de la charité, action ou prière, dans l’un de ces asiles de perfection qu’offre la vie religieuse, ou simplement dans le cadre d’une vie toute personnelle. En réalité, ici ou là, la femme demeure source vitale, instigatrice de vertu. Les modalités d’une voie d’exception ne sont pas en contradiction avec la voie générale. Il n’y a sacrifice que sur certaines façons d’exprimer cette vocation. Celle qui se donne à tous devient mère de tous. La grâce agit sur le même fond de nature qu’elle ne détruit pas, mais qu’elle transfigure.
La grandeur morale est la grandeur suprême. Elle domine et perfectionne toutes les autres. À valeur égale, une intelligence sera plus vive qu’affine la pureté de l’âme, un don artistique plus délicat qui reste tendu vers la beauté infinie. D’où il suit que la mission de la femme embrasse tous les domaines et devient suréminente. Qu’elle ouvre les bras, c’est bien l’humanité qui l’appelle dans l’espace et le temps. L’éducation de la conscience féminine n’est pas faite, dit M. Crégut, en se demandant ce que la femme a su tirer du trésor de ses privilèges. Éternel printemps de l’humanité qui devrait provoquer partout les plus belles éclosions morales, il en compte les fruits et conclut qu’il a manqué à ses promesses. La femme n’a pas su, suivant un mot si juste, créer le taux de sa propre valeur, se rappeler que l’homme, toujours, l’accepte à son prix à elle, à celui où elle se cote. Le poète anglais Coventry Patmore parlait dans le même sens : « Oh ! qu’elle est prodigue la femme qui pouvait, par respect d’elle-même, demander un prix digne d’elle ! Comme elle a gaspillé les richesses du Paradis, comme elle a perdu le pain et répandu le vin qui, dispensés avec une religieuse économie, auraient transformé les hommes en demi-dieux ! »
A. GOUTAY, de la Fédération des femmes belges.
Paru dans La bonne parole en septembre 1935.