La musique chez les Hébreux
par
L. GRUEL
LA musique est d’origine hébraïque. Son nom est dérivé d’un verbe qui a formé également le nom de Jésus, c’est-à-dire de Celui qui est la parole éternelle. L’harmonie de la terre emprunterait ainsi son nom à l’harmonie du ciel, au Verbe de Dieu venu faire entendre au monde assoupi l’hymne divin.
La musique est l’art de bien moduler ; or la modulation dans les sons n’est autre qu’une convenance dans leurs rapports. Cette convenance est l’image de celle qui existe en Dieu à un degré infini ; et elle se retrouve nécessairement à des degrés divers dans chacune de ses productions : car Il a disposé toutes choses selon les règles de l’équilibre, du calcul et de la mesure. (Omnia in pondere numero et mensura disposuisti. SAGESSE, XI, 21.) Mais c’est surtout dans l’homme que cette convenance se montre et on peut dire que le roi de la création a été admirablement organisé pour en devenir le chantre.
La musique se trouve ainsi associée à l’essence même des êtres ; aussi la voyons-nous en usage dès les temps les plus reculés. Nous lisons au chapitre IIIe de la Genèse que Jubal enseignait, de son temps, à jouer du chinor et de l’hougab, c’est-à-dire des instruments à corde et à vent. Après le passage de la mer Rouge, Miriam, sœur d’Aaron et de Moïse, prit un tambour et, suivie des femmes d’Israël, armées elles-mêmes de tambours et de flûtes, elles répétèrent en chœur le Cantique de Moïse, « Chantons le Seigneur ; il a fait éclater sa magnificence et sa gloire ; il a précipité dans la mer le cheval et le cavalier. » Dans le premier livre des Rois, chapitre X, verset V, nous lisons que lorsque Saül vint à Bethel, après qu’il eut été consacré comme roi d’Israël par Samuel, il rencontra des prophètes qui descendaient de la montagne ayant avec eux des lyres, des tambours, des flûtes et des harpes. Plus loin il est raconté, dans le même livre, que lorsque Élisée se trouva en présence des rois d’Israël, de Juda et d’Édom, il appela un joueur de harpe et, pendant que cet homme jouait de son instrument, l’Esprit du Seigneur descendit sur Élisée et le fit prophétiser. Ces textes nous montrent l’alliance qui existait alors entre la musique et la prophétie.
On peut dire que David a été le véritable organisateur de la musique des Hébreux. Il avait appris, dès sa jeunesse, à jouer du chinor et il était devenu tellement habile dans cet art, qu’il lui suffisait de toucher de son instrument pour éloigner l’esprit mauvais qui tourmentait Saül. Quand il monta sur le trône et qu’il se fut emparé de Jérusalem, il fit transporter l’Arche du Seigneur de la maison d’Obédédon dans la cité sainte. Cette translation se fit avec grande solennité. David dit aux chefs des lévites d’établir quelques-uns de leurs frères pour chanter et pour jouer de tous les instruments, de la lyre, de la cithare, des cymbales, afin de faire retentir jusque dans les cieux le bruit de leur joie. Les lévites Héman, Asaph et Éthan, furent chargés de jouer des cymbales d’airain. Zacharie, Oziel, Sémiramith, chantèrent sur le nébel les hymnes sacrés. Mathatias, Éliphain, Obédédon, chantèrent sur des cithares à huit cordes des cantiques de triomphe. Le chef des lévites, Chonénias, présidait aux chœurs et commençait le premier la symphonie parce qu’il était très habile. Le peuple faisait entendre de temps en temps de grandes acclamations en accompagnant l’arche, au son des trompettes, des hautbois, des cithares et des nébels.
Plus tard, quand David réunit les éléments pour la construction du temple, il fit le recensement des lévites depuis trente ans et au-dessus, et ils se trouvèrent au nombre de 38,000. Parmi eux, il choisit 4,000 musiciens pour faire résonner les louanges du Seigneur.
Outre la musique sacrée, David organisa la musique profane. Il avait des chanteurs et des chanteuses. Nous en avons la preuve dans la réponse que lui fit Berzélius de Gigal qu’il voulait retenir auprès de lui :
« J’ai quatre-vingts ans, est-ce que mes sens ont encore la puissance de distinguer entre le doux et l’amer, de goûter les mets et les vins délicats et d’entendre la musique de tes chanteurs et de tes chanteuses. »
Salomon se montra, comme David, son père, grand amateur de musique. Il fit éclater ce goût dans la dédicace solennelle du temple de Jérusalem. Les lévites accompagnèrent le chant des cantiques avec les cymbales, les psaltérions et les guitares.
Avec la division du royaume de Juda et d’Israël, la musique, comme tout le reste, tomba en décadence. Ézéchias s’efforça de la remettre en honneur. Puis vint la captivité. Les Juifs condamnèrent au silence leurs instruments de musique, témoin leur réponse aux Babyloniens qui leur demandaient de faire entendre leurs chants :
« Nous avons suspendu nos instruments aux branches des saules ; comment ferions-nous entendre les cantiques de Sion sur une terre étrangère. »
Avec le christianisme, la musique sacrée a continué à être en honneur. Saint Jean, dans la Vision de l’Apocalypse, qui nous représente les différents états de l’Église militante aussi bien que de l’Église triomphante, vit les vingt-quatre vieillards ayant le chinor à la main et il entendit le son des harpes de la terre et du ciel.
L’abbé L. GRUEL.
Paru dans Durendal en 1895.