Les saints ressusciteurs

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Renée-Paule GUILLOT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un jeune homme ayant trépassé du temps de Néron, Pierre l’apôtre fut confronté à son chevet avec Simon le magicien 1.

– Ressuscitez-le, leur dit-on, comme si cela allait de soi. Et on les prévint qu’ils payeraient leur échec de la peine capitale !

Simon fit quelques simagrées avant « d’enchanter » le cadavre... lequel avait dû survivre à sa propre mort puisqu’il commença à branler du chef ! Mais dès que le thaumaturge s’en éloignait, la tête retombait immobile... Pierre s’avança alors, sûr de lui :

– Au nom du Christ, commanda-t-il, lève-toi et marche !

L’adolescent fut aussitôt sur pieds et Simon ne dût la vie sauve qu’à l’intercession de son saint confrère. (Peu après, Simon ayant affirmé qu’il ressusciterait même si on lui coupait la fête, Néron le prit au mot. Simon ne ressuscita point.)

Pierre avait expédié à Ravenne son disciple Apollinaire. Un praticien de la ville, Rufus, le mandait en effet auprès de sa fille agonisante. Mais la pauvrette était déjà morte lorsqu’il arriva chez elle...

– C’est le châtiment des dieux ! commenta tristement Rufus. Ils me punissent de t’avoir appelé, toi chrétien, et de t’avoir introduit sous mon toit !

– Voyons, fit Apollinaire, si je rends la vie à ta fille, te feras-tu toi, chrétien ?

On voit d’ici la suite. La petite ouvre les yeux. Toute la famille se convertit. Le légendaire ajoute ce que l’historien doit croire sur parole : en reconnaissance, la ressuscitée resta vierge toute sa vie !

 

Résurrections en série

 

À la même époque, Matthieu l’évangéliste, parcourant l’Éthiopie, rappelle à la vie le fils du roi Aegyptus. De leur côté, saint Jean, avoir arraché à la mort un jeune  homme tombé par la fenêtre, et saint Julien, évêque du Mans, instaurent les résurrections en série. Trois réanimations au palmarès du premier ; trois également, au compte du second. Parmi les bénéficiaires de ce sursis, un jeune marié arraché à son épouse trente jours seulement après leurs noces !

Si nombreuses sont, « selon la légende dorée des saints », les résurrections aux premiers siècles de notre ère que l’énumération en devient fastidieuse ! Germain à l’époque des Gaules, Geneviève qui défendit Paris contres les hordes d’Attila, Claude qui vivait à Bourges sous le règne de Childebert, Donat sous celui de l’empereur Julien, Aure, Fortunat, Alexandre...

À l’image de Julien et de Jean, certains travaillent à la chaîne. On attribue six résurrections à saint Étienne. Seize à sainte Élisabeth de Hongrie, trente à saint Simon, quarante et une à saint André.

Et que dire de saint Denis l’aréopagite, qui se ressuscita lui-même. Décapité sur l’ordre du consul Fescennius, il se releva pour se rendre – tête en main – au Mont des Martyrs où il repose désormais.

 

Sainte Colette et ses spécialités

 

Mais les résurrections seraient-elles sur le déclin ? Connaîtraient-elles une perte de vitalité ?

Le phénomène, fréquent aux premiers siècles de notre ère, s’est raréfié dès le quatrième pour disparaître progressivement. Pas tout à fait cependant.

Cette raréfaction donne d’ailleurs quelque poids aux prodiges lorsqu’ils ont encore lieu. D’autant qu’ils seront désormais le fait de saints éprouvés, testés et authentifiés par l’Église.

C’est ainsi qu’au XIVe siècle, Catherine de Sienne, déjà célèbre par ses extases et ses révélations, ressuscite sa propre mère morte sans avoir fait pénitence. Elle-même meurt en 1380. Mais sainte Colette qui naît un an plus tard va prendre sa relève.

Ce n’est pas seulement la Légende Dorée qui évoque les extraordinaires pouvoirs de la réformatrice de l’ordre de sainte Claire d’Assise ; mais les archives mêmes de l’ordre 2.

Celles-ci assurent que la sainte « ranima » plus de cent enfants morts sans avoir été baptisés... Elles content également l’implantation à Poligny, près de Dijon, d’un monastère où Colette et huit de ses religieuses devaient s’installer dès 1416. L’une d’entre elles ayant trépassé en état de péché mortel venait d’être étendue dans son cercueil devant une nombreuse assemblée. À l’appel de la sainte elle se levait réclamant l’absolution.

Colette s’avérait être une spécialiste des défunts qu’une heure à peine sépare de leur ensevelissement.

À Lons-Le-Saunier, l’église était pleine lorsqu’elle rappela le Père Claret qui surgit de dessous son catafalque comme on sort de son appartement... Plein de vie, il passa trente ans auprès de la « ressuscitante », en tant que confesseur. Et ce fut lui qui devait l’assister lorsqu’elle rendit le dernier soupir. Quelques années auparavant, devant tout Besançon, elle avait « réveillé » un riche notable nommé Jean Boisot. Il s’était levé brusquement à son commandement alors que l’on récitait sur lui les prières des morts. Il eût été dommage qu’il mourût trop tôt : car il allait être l’ancêtre d’une solide lignée et avait encore un descendant en 1783.

 

Une simple victoire de la vie ?

 

Résurrections ? réanimations ? Que peut-on en penser ? Qui sait si les états de vie ou de mort ne peuvent se chevaucher quelque temps après qu’un cœur ait cessé de battre ?

Il est certain que la plupart des « résurrections » réalisées dans le passé seraient considérées aujourd’hui comme de simples réanimations (mais pas celle de Lazare, ressuscité après la mise en tombeau). Un chirurgien du XVIIIe siècle pénétrant dans un bloc opératoire durant une intervention à basse température (le cœur étant empêché de fonctionner) conclurait à un décès... Et à une résurrection lors de l’éveil de l’opéré !

Nous savons, de plus, qu’un fort pourcentage de ressuscités étaient des morts par accidents. Or, la mort foudroyante, due à une blessure interne par exemple, peut ne pas entraîner sur-le-champ de modifications importantes dans les réactions métaboliques des tissus. Et la restauration des fonctions vitales reste possible, bien que les signes extérieurs de la vie (conscience, respiration, activité cardiaque, réflexes) soient absents 3.

Mais aux époques lointaines des résurrections, nul ne connaissait de tels processus. Et les grands mystiques pas plus que les autres. Ils ne commettaient pas d’erreur dans leur distinguo entre ces instants où la vie et la mort se touchent de si près.

À quelle source puisaient-ils l’élan qui les conduisait à rétablir en faveur de la vie l’équilibre en train de basculer ?

 

 

Renée-Paule GUILLOT.

 

Paru dans Historia, numéro spécial 394 bis

sur les miracles, en 1979.

 

 



1 Nous empruntons l’ensemble de nos éléments eux « Acta Sanctorum » et à la « Légende dorée » et Jacques Voragine, I, II, III – Copyright Rombaldi – Paris – 1942.

2 « Histoire abrégée de l’ordre de sainte Claire d’Assise », 1. p. 244 – Desclée de Brouwer et Cie. Paris 1906.

3 Gaevskaya : « Biochemistry of the brain during the process of Dying and Ressucitation ».  Consultates Bureau, New York, 1964.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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