La personne et l’enseignement du Christ

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jean GUIRAUD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AULARD et DEBIDOUR (Cours supérieur, p. 21).

« Jésus surnommé Christ,... vers l’âge de trente ans, se mit à évangéliser le peuple, c’est-à-dire à lui porter la bonne nouvelle. Celle bonne nouvelle était une morale privée, sociale et religieuse, très élevée, dont les préceptes portaient qu’il fallait aimer Dieu de toute son âme, aimer son prochain comme soi-même, pardonner les injures, mépriser les richesses, les honneurs et promettaient le royaume des cieux aux pauvres, aux humbles et aux petits. »

GAUTHIER et DESCHAMPS (Cours supérieur, p. 5).

« C’est sous le Romain Hérode que Jésus naquit à Bethléem ; c’est sous le Romain Pilate qu’il mourut. »

GUIOT et MANE (Cours supérieur, p. 14).

« .... L’Hébreu Jésus-Christ, né 600 ans après la prise de Jérusalem, qui a prêché et fondé la religion chrétienne ».... p. 56 « Au temps de l’empereur Auguste, l’Hébreu Jésus-Christ, fils d’un pauvre charpentier, parcourt la Palestine. Il s’annonce comme Fils de Dieu, et sème à tous les vents, dans les villes, dans les campagnes, la bonne parole, l’Évangile. Jésus donne l’espérance aux déshérités du monde.... il prédit le règne de la justice aux victimes de l’indignité des grands.... Plus d’esclaves, plus d’êtres soumis à l’impérieuse volonté d’un maître ! « Aimez-vous les uns les autres ! », telle est la généreuse maxime qui résume la doctrine du Christ.

Bientôt s’éveille la jalousie des grands, des riches. Pour perdre Jésus, ils l’accusent de se faire « roi des Juifs ». Nouveau Socrate, le juste est condamné à mort. Il expire sur la croix. »

ROGIE et DESPIQUES. Histoire de France. (Cours supérieur, p. 25).

« Du judaïsme est sorti le christianisme dont le fondateur est le juif Jésus.... p. 78, le Christ.... avait parcouru son pays en disant des paroles qui semblaient étranges. »

 

 

SOMMAIRE. – Embarras des manuels quand ils ont à parler du Christ. – La plupart le passent sous silence. – D’autres voient en lui un simple Juif. – D’autres un philosophe, « nouveau Socrate ». – On ne signale dans sa doctrine que des préceptes moraux. – Comment elle renferme aussi des dogmes. – Confession de la divinité du Christ.

 

Rien n’est plus curieux que l’embarras des manuels scolaires quand ils ont à parler du Christ. Comment définir son œuvre et même sa propre personne ? Osera-t-on s’incliner ouvertement devant la divinité qui était unie à son humanité ? Osera-t-on adorer en lui le Fils de Dieu et proclamer la transcendance du christianisme fondé par lui ? Non ! Car le manuel risquerait, sur l’ordre des loges, d’être mis à l’index laïque et interdit dans toutes les écoles. Là où l’on a décroché les crucifix, on n’a pas à parler de la divinité du Christ ! Dira-t-on alors qu’en « se faisant Fils de Dieu », comme le lui reprochaient les Juifs, qu’en prédisant sa résurrection comme le signe de sa divinité, qu’en déclarant ses paroles éternelles, il était un imposteur et que les Juifs ont eu raison de mettre à mort ce séducteur du peuple ? Non ! on recule encore devant de tels blasphèmes ; on conserve toujours une certaine vénération pour la personne du Christ ; mais surtout, on sait que la conscience populaire serait scandalisée par de pareils propos et que les tenir serait accuser trop brutalement le caractère irréligieux de l’école laïque. Que faire alors ?

La plupart des manuels ont résolu la difficulté en passant sous silence le Christ et la fondation du christianisme. On nous parle de Tartuffe, en une image on nous donne même son portrait ; mais Celui dont la voix retentit depuis dix-neuf siècles jusqu’aux extrémités de la terre, qui soulève les enthousiasmes d’une partie de l’humanité et les rages de l’autre, on le passe sous silence, dans des livres qui prétendent nous retracer l’histoire de l’humanité ! On nous avertit de l’influence qu’ont eue sur le cours des idées la pensée de Vanini, les plaisanteries de Rabelais, et dans ces « histoires de la civilisation », on ne prononce pas le nom de Celui dont a procédé la civilisation de dix-neuf siècles et qui, de nos jours, reste la préoccupation essentielle de quiconque réfléchit et pense ! Peut-on imaginer pareille lacune ? La censure, contre laquelle s’élèvent ces libres esprits, a-t-elle jamais donné, dans une œuvre, un aussi formidable coup de ciseau que celui que donnent dans l’histoire de la civilisation du monde ces faiseurs de manuels laïques ?

D’autres auteurs osent citer le Christ, mais avec quelle discrétion ! MM. Gauthier et Deschamps lui consacrent une ligne mentionnant sa naissance à Bethléem, sous « le Romain 1 Hérode » et sa mort sous le « Romain Pilate. » Dire d’un homme qu’il est né, puis qu’il est mort, c’est le moins qu’on en puisse dire ! On trouvera que c’est peu quand il s’agit de Jésus-Christ et qu’on écrit un manuel d’histoire générale. S’ils s’en tiennent à cette phrase si laconique, les élèves auront une idée vraiment trop vague du fondateur du christianisme. Ils en sauront plus long sur Madame Roland, que le même manuel qualifie « d’admirable femme » (p. 191), ou sur Robespierre dont on fait l’éloge (p. 207). Glorifier Robespierre et ne rien oser dire du Christ ! Voilà qui nous donne à penser sur la mentalité du manuel Gauthier-Deschamps.

Dans leur cours supérieur, MM. Rogie et Despiques insistent davantage sur l’enseignement du Christ ; ils nous disent que le christianisme est sorti du judaïsme, et que son fondateur tenait des propos « qui semblaient étranges » ! Que Jésus ait été Juif par sa nature humaine, nul n’y contredira ; mais pourquoi ne prendre dans les Évangiles que cet unique renseignement ? Les textes historiques ne disent-ils pas aussi qu’il était descendant de David, et le Messie prédit par les prophètes ? Ne disent-ils pas encore qu’il se donnait lui-même comme Fils de Dieu ? Ces affirmations ont une certaine importance ; pourquoi les avoir laissées de côté, sinon parce qu’on veut enlever au Messie son auréole divine et le réduire aux proportions vulgaires d’un Juif quelconque ? On nous présente de même le christianisme comme une variété du judaïsme, et on se garde bien de nous dire en quoi la religion nouvelle différait de celle dont elle était sortie et dans quelle mesure elle en avait élargi les horizons. Il est facile de saisir là encore cette tendance marquée de rapetisser le christianisme avec son fondateur. MM. Rogie et Despiques la trahissent surtout lorsque, dans la prédication sublime de l’Évangile, ils ne voient que « des paroles qui semblaient étranges ». Ah ! ce n’est pas ainsi que s’exprimaient les foules qui suivaient le Christ ! Après avoir entendu ses discours, Simon Pierre s’écriait dans son enthousiasme : « Seigneur, vous avez les paroles de la Vie éternelle ! » ; les Juifs de Nazareth en admiraient la profonde sagesse 2 ;  saint Luc nous dit qu’à les entendre tout le peuple était ravi 3, et lorsque le sanhédrin voulait condamner le Christ, il craignait de provoquer une sédition de la foule 4 en faveur de ce prophète merveilleux dont les paroles la charmaient. C’est le séducteur du peuple, disaient de lui ses ennemis 5. Une aussi profonde impression aurait-elle été produite par des paroles « étranges » ? en employant ce terme inconvenant, MM. Rogie et Despiques ont méconnu les textes évangéliques et par là trahi l’histoire.

Avec MM. Aulard et Debidour, Guiot et Mane, nous saisissons sur le vif un autre procédé pour défigurer Jésus-Christ et son œuvre. On nous le représente comme un philosophe aux sentiments élevés sans doute, mais exclusivement humains, « un nouveau Socrate ». Sa prédication est une « morale privée, sociale et religieuse ». Il n’est pas question qu’elle ait été inspirée par une pensée théologique, ni qu’elle ait établi aucun dogme. Si Jésus meurt sur la Croix, c’est uniquement parce que ses prédications en faveur des pauvres et des déshérités ont excité contre lui les méfiances et les haines des riches et des grands.

Cette conception est absolument contraire aux données de l’histoire. Pourquoi les Juifs ont-ils fait mourir le Christ ? L’Évangile dit formellement qu’ils cherchaient avec ardeur à le faire mourir, parce que, non content de violer le sabbat, il disait encore que Dieu était son Père et se faisait « égal à Dieu ». « Lorsque Jésus fut devant les princes des prêtres, Caïphe lui demanda : Vous êtes donc le Fils de Dieu ? Jésus lui répondit : Vous le dites 6. » Et, s’adressant à la foule, Caïphe déclara que la cause était entendue et qu’en se déclarant Fils de Dieu, le Christ s’était condamné lui-même. Il résulte donc de ces textes que la cause légale de la mort du Christ fut la proclamation de sa filiation divine, et par là même de sa divinité. C’était une affirmation importance à ses yeux puisqu’il lui sacrifiait sa vie : qu’en font les auteurs de manuels ? À l’exception de Guiot et Mane qui y font allusion sans s’y arrêter, puisqu’ils font de Jésus « un Hébreu, fils d’un pauvre charpentier », les autres la suppriment. Et pourquoi, sinon parce qu’elle a une valeur hautement théologique et dogmatique et qu’elle contredit leur conception d’un Jésus « nouveau Socrate » ? Ailleurs le Christ va encore plus loin : il se présente non seulement comme le Fils de Dieu incarné, mais comme Dieu lui-même, puisqu’il affirme son identité avec le Père céleste 7, et ainsi, il jette le germe du dogme de la Trinité divine, après avoir proclamé celui de l’Incarnation. Lorsqu’il institue la Cène, il présente son sang et sa mort comme le sceau de la Nouvelle Alliance entre Dieu et l’humanité 8. Qu’est-ce à dire sinon que le sang du Messie nous a réconciliés avec Dieu ? Dans ces mêmes circonstances solennelles, il parle de « ce sang de l’alliance qui est répandu pour beaucoup en rémission des péchés », et il affirme ainsi d’une manière de plus en plus claire le dogme de la Rédemption. À maintes reprises enfin, il proclame l’universalité de sa doctrine qui sera annoncée, dit-il, dans le monde entier et durera éternellement, il affirme la nécessité de la foi qu’il apporte ; d’après lui, il ne suffira pas d’accomplir ses préceptes moraux, il faudra encore, pour être sauvé, croire à sa doctrine et être baptisé. Est-ce ainsi que parlait Socrate ? Les paroles sorties de la bouche du Christ promulguent-elles seulement des préceptes de morale, de charité, de fraternité et d’humilité ? N’y ajoutait-il pas des révélations sur Dieu, sur le Fils de Dieu, sur les rapports de l’humanité avec Dieu, sur l’Incarnation, la Rédemption, la Vérité religieuse, la Foi ? Si un manuel d’histoire n’avait pas à donner le détail de cet enseignement, il était tenu du moins de n’en pas cacher l’existence, en ne mentionnant que l’enseignement moral. En enlevant ainsi tout surnaturel à la personne de Jésus, en vidant son Évangile de tout enseignement dogmatique, on cache de parti pris des traits d’une importance capitale. C’est, sous couleur de laïcisme, faire une œuvre essentiellement antiscientifique et partiale.

Historiens probes autant que chrétiens sincères, recueillons du texte évangélique la définition que le Christ a donnée lui-même de sa propre personne. « Que dit-on de moi ? » demanda-t-il un jour à ses disciples, et ils lui répondirent : « Les uns disent que vous êtes un prophète, d’autres que vous êtes Élie, d’autres que vous êtes Jean-Baptiste. » – « Et vous, leur demanda-t-il à eux-mêmes, que dites-vous de moi ? » – Et Pierre répondit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant. » Et heureux de trouver sur les lèvres du futur chef de son Église cette affirmation si nette de sa divinité, Jésus lui dit : « Pierre, ce n’est ni la chair ni le sang qui t’ont révélé cette vérité, mais mon Père qui est dans les cieux. » Ainsi Jésus confirmait la définition que venait de donner lui-même son disciple, et après Pierre, il affirmait sa propre divinité. Nous aussi, laissons les ennemis du christianisme multiplier les efforts pour donner du Christ une idée contraire à l’Évangile, c’est-à-dire aux textes historiques qui nous le font connaître. Laissons-les dire : « Jésus est un Juif, un Hébreu, un nouveau Socrate, un prédicateur aux paroles étranges », et répétons avec les siècles et avec l’Évangile, c’est-à-dire avec l’Histoire, la magnifique parole de saint Pierre : « Christ et Messie, vous êtes le Fils du Dieu vivant 9 ! »

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Les Évangiles.

Mgr BATIFFOL. L’enseignement de Jésus.

Mgr BOUGAUD. Jésus-Christ.

PICARD. La transcendance de Jésus-Christ.

BOUCARD. La vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

 

 

Jean GUIRAUD,

Histoire partiale, histoire vraie, 1911.

 

 

 

 

 



1 Dans cette phrase, cependant si courte, il y a un mot de trop puisqu’il constitue une erreur ; Hérode, de la dynastie Asmonéenne, n’était nullement Romain.

2 S. JEAN, VI, 69. « Simon Pierre lui répondit : Seigneur, à qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la Vie éternelle. »

3 S. LUC, IV, 15. « Il enseignait dans leurs synagogues et tous publiaient ses louanges. » V, 15 « On venait par troupes nombreuses pour l’entendre. »

4 S. LUC, IV, 2.2. « Tous lui rendaient témoignage et admiraient les paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. » S. Jean, vu, 46. « Jamais homme n’a parlé comme lui. »

5 S. MARC, XIV, 2 ; S. LUC, XX, 19 ; XXII, 2. ; S. JEAN, VII, 47, et VII, 12.

6 S. MATH, XXVI, 63-64. « Alors ils dirent tous : Tu es donc le Fils de Dieu ? Il leur répondit : Vous le dites, je le suis. » S. LUC, XXII, 70. « Le grand prêtre l’interrogea de nouveau, il lui dit : Es-tu le Christ ? le Fils de celui qui est béni ? Jésus lui dit : Je le suis. » S. MARC, XIV, 61-62.

7 S. JEAN, chap. XV et XVI.

8 S. MARC, XIV, 24.

9 S. LUC, IX, 18-21. S. MATTHIEU, XVI, 13-17. S. MARC, VIII, 27-30.

 

 

 

 

 

 

 

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