L  A

 

SAINTE BIBLE,

 

OU LE VIEUX

 

E T   L E

 

NOUVEAU TESTAMENT,

 

AVEC DES EXPLICATIONS

 

ET RÉFLEXIONS QUI REGARDENT

 

L A   V I E   I N T É R I E U R E.

 

Divisée en XX Volumes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA SAINTE BIBLE

 

A V E C   D E S

 

EXPLICATIONS et RÉFLEXIONS

 

QUI REGARDENT

 

LA VIE INTÉRIEURE,

 

PAR MADAME J. M. B. DE LA

 

MOTHE-GUYON.

 

NOUVELLE ÉDITION, EXACTEMENT CORRIGÉE.

 

____________________

 

T O M E   I.

 

CONTENANT

 

La GENÈSE et l’EXODE.

 

 

 

À   P A R I S.

 

Chez les LIBRAIRES ASSOCIÉS.

––––––––––––––––––––––––––––––––

M. DCC. XC.

 

 

 

 

 

 

 

L’EXODE.

 

Avec des Explications et Réflexions

qui regardent la vie intérieure.

 

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CHAPITRE PREMIER.

 

 

v. 8. Il s’éleva dans l’Égypte un Roi nouveau qui n’avait nulle connaissance de Joseph ;

v. 9. Et il dit à son peuple : Vous voyez que le peuple des enfants d’Israël est devenu grand et plus fort que nous.

 

DIEU ne s’est pas contenté de donner en diverses personnes des exemples particuliers de la conduite qu’il tient sur les âmes qui lui sont abandonnées ; il en veut encore donner de tout un peuple uni dans les mêmes états, afin que son peuple 1 choisi apprenne, comme d’un exemple général et plus visible, qu’il faut que tous passent par-là.

Il n’est personne qui en soit exempt ; et il est nécessaire que tous ceux qui sont appelés à la vie mystique (qui sont proprement le peuple choisi) passent par la captivité et par le renversement. Y avait-il rien de plus heureux que ce peuple lorsque Joseph vivait ? Tout ce qu’il y avait d’exquis dans le royaume était pour lui. Cependant le voilà devenu captif, et le plus maltraité de tous les captifs. Toutes les âmes qui doivent être conduites par cette voie sont mises au commencement de la vie spirituelle dans des plaisirs infinis et également ineffables ; car il n’en est point sur la terre de pareils à ceux du ciel, auxquels ces personnes participent ; mais lorsque par tant de bienfaits Dieu s’est assuré de la fidélité de ce peuple, il faut qu’il lui fasse sentir la dure captivité. Et nul n’en peut être exempt ; puisque Jésus-Christ, le premier des prédestinés et le chef des abandonnés, a bien voulu lui-même 2 sortir des délices du sein de son Père pour se rendre le plus captif de tous les hommes.

Il faut que tous passent par-là ; les saints Patriarches ont été la figure de ce qui se devait accomplir en Jésus-Christ ; les Saints de la nouvelle loi en sont comme autant de copies ; et le Sauveur est le divin modèle et l’original de tous.

Mais pourquoi faut-il que tous y passent ? Est-ce pour demeurer toujours malheureux ? Non ; c’est pour jouir de la terre promise à Abraham, à Isaac et à Jacob. Cette terre promise n’est autre que la possession de Dieu. Ô que ne faudrait-il point faire pour le posséder, et quelles souffrances peuvent le mériter ?

Dieu se sert de Pharaon pour faire entrer ces âmes dans la captivité ; mais il n’est pas seul à cet emploi ; il leur donne des maîtres : les hommes, les Démons et la nature sont les Égyptiens auxquels on est assujetti. Ils accablent ce pauvre peuple de travaux, croyant par-là les empêcher de multiplier en les opprimant.

On en use encore à présent de la sorte ; l’on croit éteindre la VIE INTÉRIEURE à force de la persécuter et de crier ; mais c’est alors qu’elle se multiplie. Plus les personnes qui l’enseignent sont décriées, persécutées, calomniées, plus il se trouve de personnes qui s’unissent à elles pour marcher dans cette voie ; et elle se fonde et s’accroît par la persécution même, ainsi que l’Église s’est établie et étendue par le sang des Martyrs. Les Démons même par leurs cruelles tentations se mettent de la partie ; et c’est ce qui est le plus douloureux dans le commencement, à cause de la faiblesse de la nature, qui se trouve accablée sous le faix ; mais plus cette âme est chargée de toutes parts de faiblesses et de misères, plus elle se relève comme la palme, et plus elle se multiplie.

 

v. 13. Les Égyptiens haïssaient les Israélites, et ils les affligeaient en leur insultant ;

15. Et ils leur rendaient la vie ennuyeuse, en les employant à des travaux pénibles de mortier et de brique, et à toutes fortes d’ouvrages de terre, dont ils étaient accablés.

 

La persécution la plus dure à porter pour ce peuple, c’est qu’après avoir été élevé si noblement à la conversation et à la table de Dieu, il se voit obligé de travailler à la terre et pour la terre. Tout son ouvrage n’est que terre ; il semble être devenu la nature même et tout terrestre. Alors ses ennemis se moquent de lui, le voyant occupé à un ouvrage si contraire à sa naissance, à son éducation et à ses espérances. Cette moquerie et cette haine des personnes du siècle a toujours exercé les âmes d’oraison ; mais il vient un jour auquel ils connaîtront bientôt 3 leur folie et la sagesse des gens de bien.

 

v. 16. Le Roi d’Égypte fit ce commandement aux sages femmes qui accouchaient les femmes des Hébreux : Quand vous accoucherez les femmes des Hébreux, sitôt qu’elles enfanteront, si c’est un enfant mâle, tuez-le ; si c’est une fille, laissez-la vivre.

 

Il est étrange que la haine que l’on a pour les personnes intérieures ne se termine pas à elles-mêmes ; on veut encore empêcher leurs productions et les éteindre dès leur naissance. Combien de personnes, même des plus éclairées, s’empressent pour détourner les âmes commençantes de cette voie ? Quoiqu’ils soient comme les Rois de la terre, et établis de Dieu pour être les pères des âmes, ils ne laissent pas de les contrarier, croyant même en cela 4 faire un grand bien. Mais s’ils n’approuvent pas le sacré et très sûr abandon, du moins qu’ils ne le condamnent pas, et qu’ils y laissent entrer les âmes qui commencent heureusement à le goûter, de peur qu’ils ne s’attirent le reproche de Jésus-Christ, qu’ils ne veulent pas entrer dans le Royaume ni y laisser entrer les autres 5.

Les enfants mâles marquent les âmes fortes et propres à être abandonnées à la conduite impénétrable de Dieu ; et les filles sont la figure des personnes faibles et timides, qui sont trop pleines de l’amour d’elles-mêmes et de leurs propres intérêts pour s’abandonner à Dieu dans une voie si pleine de croix. On veut bien que ceux-ci vivent, parce que l’on aime à vivre avec eux ; mais on condamne les autres à la mort ; parce que l’amour propriétaire et intéressé ne peut souffrir la générosité du pur amour.

 

v. 17. Les Sages-femmes, ayant la crainte de Dieu, ne firent point ce que le Roi d’Égypte leur avait commandé ; mais elles conservèrent les enfants mâles.

 

Souvent les personnes même qu’on emploie pour détourner les âmes de grâce de leur voie, ayant la crainte et l’amour de Dieu, se laissent heureusement gagner ; leur conservant cette vie céleste, elles la reçoivent elles-mêmes en considération de leur cœur simple, et pour le fruit de leur docilité. Loin d’ôter la vie à ces innocentes brebis, elles commencent à marcher avec elles dans la même voie ; et Dieu les récompense de ses grâces de telle sorte qu’elles croissent chaque jour en lui.

 

v. 20. Dieu fit donc du bien à ces Sages-femmes ;

21. Et parce qu’elles avaient craint Dieu, il établit leurs maisons.

 

Cette expression singulière, que Dieu établit leurs maisons, fait voir qu’il travaille lui-même à leur édifice spirituel, les mettant dans la voie passive, qui est la récompense du bien que l’on a fait dans l’active, qui s’accorde à tous ceux qui ont assez de soumission pour s’y laisser introduire, lorsque l’esprit de Dieu les y appelle.

 

v. 22. Alors Pharaon fit ce commandement à tout son peuple : Jetez dans le fleuve tous les enfants mâles qui naîtront parmi les Hébreux et ne réservez que les filles.

 

La persécution serait trop douce si elle en demeurait là ; il faut que (Pharaon) le Prince de ce monde use de toutes ses inventions pour détruire le peuple chéri de Dieu. Il commande donc aux siens, qui sont les méchants et les Diables, de tuer tous les enfants mâles qui naîtront, d’étouffer cette voie dès sa naissance dans les âmes qui y entrent, en les faisant mourir ou à la grâce, à force de tentations, ou à leur voie, les portant à la quitter par défiance et par la crainte d’y périr ; ou enfin à la vie civile, en perdant leur réputation. C’est ce qui n’arrive que trop. Ou l’on jette ces pauvres abandonnés dans le fleuve, qui est un lieu de mort inévitable, ou bien on les expose à un danger extrême. Mais pour des filles, qui sont des gens en voie active, ô, à ceux-là on n’y touche pas. Ils sont assurés dans leur voie ; ni la persécution, ni la tentation, ni la médisance ne les attaquent point ; au contraire, on tâche de les élever sur le débris et sur la ruine des autres. Donnez-vous bien de garde, dit-on, d’attaquer ces âmes fortes en elles-mêmes (mais dans la vérité très-faibles), réservez-les pour nous.

 

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CHAPITRE II.

 

 

v. 1. Quelque temps après, un homme de la maison de Levi épousa une femme de sa tribu,

2. Qui conçut et enfanta un fils ; et, voyant qu’il était beau, elle le cacha pendant trois mois.

 

IL était bien juste que celui qui devait être le Conducteur et le Directeur du peuple de providence fût lui-même un enfant de providence. C’est cet enfant exposé à l’impétuosité des flots qui doit être le pasteur d’Israël. Dieu, qui conduit tout par sa sagesse et par sa bonté, donne des charmes à cet enfant, qui ôtèrent à sa mère tout pouvoir de le livrer au supplice. Elle le cache tant qu’elle peut, dans un temps où la mort de plusieurs innocents accompagnait la naissance de Moïse, qui devait être la figure la plus éclatante de Jésus-Christ ; et ce fut un présage du Martyre de tant de petits Saints qui devait suivre la nativité du Sauveur du monde.

 

v. 3. Comme elle vit qu’elle ne pouvait plus le tenir caché, elle prit une corbeille de jonc ; et, l’ayant enduite de bitume de poix, elle mit dedans le petit enfant et l’exposa parmi les roseaux sur le bord du fleuve.

4. Sa sœur cependant se tenait loin de là pour considérer ce qui en arriverait.

 

Cette mère voyant qu’il fallait céder à la force, comme une femme bien instruite, elle aime mieux s’en fier à Dieu seul qu’à la compassion des hommes ; enseignée de Dieu, elle savait qu’il faut que tous les enfants de providence soient exposés à la merci des eaux ; et que c’est dans le péril extrême où l’abandon les engage que Dieu prend plaisir de faire le plus éclater sa bonté par des miracles inouïs de sa providence.

Ce pauvre innocent est donc exposé de la sorte ; et sa sœur demeure là, pour être la spectatrice de la providence. À quoi pouvait-elle s’attendre, sinon à le voir bientôt emporter par les ondes ? Ou qu’y avait-il autre chose à espérer pour cet innocent abandonné, que la mort et les eaux pour lui servir de sépulcre ? Sa mort paraissait si assurée, qu’on l’avait mis tout vivant dans le cercueil, d’où Dieu seul pouvait le tirer.

Il fallait qu’un si grand Directeur fît son apprentissage de bonne heure par sa propre expérience. Aussi Dieu le lui fait-il faire dès le berceau, et le berceau même est son tombeau. L’on ne peut dire si ce berceau est son cercueil ou si ce cercueil est son berceau. Mais Dieu, qui ne fait voir les miracles de sa providence que dans les dernières extrémités, lui fait trouver la vie dans le danger de la mort.

 

v. 5. En même temps la fille de Pharaon vint au fleuve pour se baigner, suivie de ses filles, qui allaient le long du bord de l’eau. Et ayant aperçu cette corbeille parmi les roseaux, elle l’envoya quérir par une de ses filles, qui la lui apporta.

6. Et l’ayant ouverte, elle trouva dedans ce petit enfant qui criait ; elle en fut touchée de compassion et dit : C’est un des enfants des Hébreux.

 

La fille de celui qui condamnait si injustement à la mort les enfants des Hébreux devient la mère de celui-ci, et donne en lui la vie et la naissance à tout un peuple que l’on tâchait d’exterminer.

 

v. 7. La sœur de l’enfant, s’étant approchée, lui dit : Vous plaît-il que je vous aille quérir une femme des Hébreux pour vous nourrir cet enfant ?

8. Elle lui répondit : Allez ! Sur quoi la fille s’en alla, et fit venir sa mère,

9. À laquelle la fille de Pharaon dit : Prenez cet enfant, me le nourrissez ; et je vous en récompenserai. La mère prit l’enfant, le nourrit. Et lorsqu’il fut assez fort, elle le donna à la fille de Pharaon,

10. Qui l’adopta pour son fils et le nomma Moïse, parce, dìsait-elle, que je l’ai tiré de l’eau.

 

Mais comme il ne manque rien au secours que donne la providence pour conduire toutes choses à leur fin et chaque homme à la vocation à quoi elle l’appelle, (cette providence divine) donna à cet enfant de providence par une rencontre inespérée sa propre mère pour nourrice ; car ce serait peu de naître enfant de providence, et de commencer sa vie par l’abandon, si l’on ne la continuait de même, et si l’on ne vivait d’une manière digne de sa vocation 6.

Cette mère ne le rendit point qu’il ne fut grand ; parce qu’il fallait qu’il fût si fort affermi dans sa voie que ni les grandeurs de la Cour ni les dangers de la vie ne l’en pussent détourner. Il paraît Égyptien au dehors et passe pour fils de la Princesse ; et il est Hébreu réellement et dans le cœur. Combien voit-on de gens qui paraissent dans le monde vivre de la manière la plus commune, qui néanmoins renferment au dedans des trésors de grâces ? Ô qu’il ne faut pas juger selon les apparences. Les jugements de Dieu sont infiniment éloignés des nôtres ; et selon le profond avis de S. Paul 7, le Vrai Juif n’est pas celui qui l’est seulement au dehors ; ni la vraie circoncision n’est pas celle qui est visible en la chair ; mais le véritable Juif est celui qui l’est dans le secret ; et la circoncision véritable est celle du cœur, laquelle est en esprit, et non selon la lettre ; et la louange de ce Juif vient de Dieu, et non pas des hommes.

Moïse était aussi en cela la figure de Jésus-Christ qui, ne paraissant au dehors qu’un homme, était au-dedans le vrai Dieu ; et qui sous l’apparence d’un pécheur était le Saint des Saints. Ces ravissantes figures sont pleines de mystères ineffables. Par exemple : qui ne voit sous l’ombre de l’histoire de Moïse enfant, délivré avec tant de providence de la cruelle persécution de Pharaon, la lumière Évangélique de l’enfant Jésus préservé avec tant de merveilles de la rage envenimée et du carnage d’Hérode ?

 

v. 11. Lorsque Moïse fut devenu grand, il sortit pour aller voir ses frères. Il vit l’affliction où ils étaient ; et trouvant qu’un de ses frères Hébreux était outragé par un Égyptien ;

12. Il regarda de tous côtés, et ne voyant personne auprès de lui, il tua l’Égyptien, et le cacha dans le sable.

13. Le lendemain, il trouva deux Hébreux qui se querellaient et il dit à celui qui avait le tort : Pourquoi frappez-vous votre frère ?

14. Lequel lui répondit : Qui vous a établi Prince et juge au-dessus de nous ? Est-ce que vous me voulez tuer comme vous tuâtes hier un Égyptien ? Moïse eut peur et dit : Comment cela s’est-il découvert ?

 

Rien ne peut empêcher une âme de ce caractère de défendre la cause du troupeau de Jésus-Christ, quand même il irait de sa vie. Elle méprise les grandeurs et la vie même lorsqu’il s’agit de se déclarer du parti des enfants de Dieu. Tant qu’il n’y a point d’occasion de se déclarer, ce fidèle ami de Dieu demeure comme les autres dans la vie commune ; mais lorsqu’il se faut déclarer, ô alors il ne saurait rien ménager. C’est ici un grand point de la fidélité que de se tenir caché tant qu’on n’est point obligé de se déclarer en faveur de la vérité ; mais la vérité est-elle attaquée ? alors il faut tout risquer pour la défendre.

À peine Moïse est-il sorti de chez sa mère et exposé au-dehors qu’il fait l’office de pasteur ; parce que comme Dieu le voulait rendre conducteur des autres, il l’avait avancé dans le berceau et rendu propre chez sa nourrice à devenir Apôtre. Il tire donc une brebis de l’oppression de l’ennemi ; et par un homicide apparent il fait un acte de justice, parce qu’il fait cette action dans la volonté de Dieu, détruisant l’ennemi de Dieu, dont il devait un jour exterminer toute la nation perverse. Qu’on ne demande donc pas par qui il est constitué pasteur ? Il est constitué par Dieu même, pour être tout ensemble et la figure et l’imitateur de Jésus-Christ, vrai Pasteur et Pasteur des pasteurs. Ses frères devaient comprendre par-là que ce serait par sa main que Dieu les délivrerait 8 ; mais ils ne le comprirent pas, ainsi que l’a remarqué S. Étienne.

 

v. 15. Pharaon, ayant appris tout cela, voulut faire mourir Moïse. Mais Moïse se cacha et s’enfuit au pays de Madian ; et y étant arrivé, il s’assit près d’un puits.

 

La défense de la vérité est toujours suivie de la persécution que suscitent ceux qui en sont les ennemis déclarés. Cela ne devait pas manquer à Moïse ; aussi fut-il obligé de s’enfuir, et de prendre ainsi part au sort des âmes intérieures et fidèles, qui est d’être persécutées pour la justice jusqu’à être contraintes de fuir. Mais pourquoi fuit-il dans le dessein de Dieu ? C’est pour exercer l’office de pasteur.

 

v. 16. Or le Prêtre de Madian avait sept filles, qui étaient venues pour puiser de l’eau ; et en ayant rempli les canaux, elles voulaient faire boire les troupeaux de leur père.

17. Mais des pasteurs qui survinrent les chassèrent, et Moïse, se levant et prenant la défense de ces filles, fit boire leurs brebis.

 

Nous avons vu comme tous ceux que Dieu avait choisis pour ce divin ministère ont commencé par abreuver les troupeaux ; mais Moïse qui n’était pas un pasteur particulier, mais le pasteur général de tout le grand troupeau, non seulement l’abreuve, mais aussi commence par le défendre. Tels doivent être les vrais pasteurs des brebis de Jésus-Christ ; non seulement il faut leur donner l’eau, mais encore la leur conserver, les défendant contre ceux qui par leur envie voudraient les empêcher d’en boire.

 

v. 18. Lorsqu’elles furent retournées chez Raguel leur père, il leur dit : Pourquoi êtes-vous revenues plutôt qu’à l’ordinaire ?

19. Elles lui répondirent : Un Égyptien nous a délivrées de la violence des pasteurs et il a même tiré de l’eau avec nous pour donner à boire à nos brebis.

 

Dieu envoie souvent aux âmes abandonnées des Moïses qui leur donnent de l’eau et les délivrent de l’oppression dans laquelle les tiennent les pasteurs indignes et ignorants, qui les empêchent de boire de l’eau de source. En quelque lieu que se trouvent ces personnes appelées à l’abandon, et sous quelque violence qu’elles gémissent, lorsqu’elles sont fidèles, Dieu ne manque point de leur envoyer un pasteur capable de les conduire dans la voie du Seigneur ; ce qui se fait par des providences non moins admirables qu’infaillibles. Les filles de Jethro retournent de bonne heure à leur père, c’est-à-dire à leur origine, à cause qu’elles ont trouvé un bon pasteur qui, leur donnant les eaux pures, les a fait avancer.

 

v. 21. Moïse lui jura qu’il demeurerait avec lui, et il épousa sa fille, qui s’appelait Séphora.

 

Si la providence fut grande envers Raguel de lui envoyer Moïse pour paître ses troupeaux et les abreuver, elle ne fut pas moindre envers Moïse de lui faire trouver dans cette même maison une compagne fidèle qui, entendant sa vocation et étant dans la même voie que lui, devait contribuer à la génération spirituelle. De plus il lui fait trouver là une sûre retraite et de quoi vivre durant le temps qu’il devait être éloigné de son peuple.

 

v. 22. Elle lui enfanta un second fils qu’il appela Élieser, en disant : Le Dieu de mon père, qui est mon protecteur, m’a délivré de la main de Pharaon.

 

Tout attribuer à Dieu et à sa providence, les enfants mêmes, et toutes nos productions, c’est la marque d’une âme éclairée de Dieu par une vive foi, et la juste reconnaissance qui se doit à son secours.

 

v. 23. Longtemps après, le Roi d’Égypte mourut. Et les enfants d’Israël, gémissant sous le poids des travaux dont ils étaient accablés, crièrent vers le ciel. Et les cris qui étaient causés par l’excès de leurs maux s’élevèrent jusques à Dieu.

24. Il entendit leurs gémissements ; il se souvint de l’alliance qu’il avait faite avec Abraham, Isaac, et Jacob.

25. Et le Seigneur regarda les enfants d’Israël, et eut compassion de leurs maux.

 

Pendant que Dieu conduisait de la sorte le pasteur d’Israël, il laissait toujours le troupeau dans une plus rude servitude. Pharaon mourut ; mais les travaux de ce pauvre peuple ne furent point diminués. Ils crièrent à Dieu, et il eut compassion d’eux. Il se souvint de l’alliance qu’il avait faite avec les âmes de foi, de sacrifice pur, et d’abandon parfait. Abraham était le père de la foi, Isaac marquait le sacrifice pur, et Jacob l’abandon parfait. Il faut que toutes les âmes intérieures passent par la foi nue, par le sacrifice pur, et par l’abandon parfait si elles veulent arriver à la pureté de leur création.

LA FOI NUE est une foi sans nul témoignage ni appui pour la raison et pour l’esprit.

LE SACRIFICE PUR est un sacrifice entier, non seulement de tout ce qui est à nous et en nous, mais même de tout ce que nous sommes, tant dans l’ordre de la nature que dans celui de la grâce.

L’ABANDON PARFAIT est le délaissement total entre les mains de Dieu, afin qu’il fasse en nous et de nous toutes ses volontés soit pour l’intérieur, soit pour l’extérieur, sans nulle exception pour le temps et pour l’éternité.

Dieu se souvient de ces voies, qui sont les plus pures et nécessaires pour que l’âme soit reçue en lui ; et il veut délivrer ce peuple si cher de la captivité qui l’opprime et qui l’empêche de servir le Seigneur dans la liberté et dans la pureté.

 

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CHAPITRE III.

 

 

v. 1. Moïse paissait les brebis de Jethro fort beau-père, Prêtre de Madian. Et ayant mené son troupeau au fond du désert, il vint à la montagne de Dieu Horeb.

 

LORSQUE Moïse ne pensait plus qu’à paître le troupeau de brebis que Dieu lui avait confié dans la maison de son beau-père comme à un pasteur particulier, il fut élevé à une plus haute union avec Dieu, approchant plus près de la montagne par une perte en lui plus sublime.

 

v. 2. Le Seigneur lui apparut dans une flamme de feu qui sortait d’un buisson. Et il voyait briller le buisson sans qu’il fût consumé.

 

Dieu lui parle dans un buisson de flamme de feu ; Dieu était dans la flamme, et la flamme était dans le buisson. Cette flamme marquait la charité que Dieu a pour les âmes intérieures, nonobstant leurs faiblesses. Il voulut en accorder une bonne part à ce pasteur, qu’il choisissait pour la conduite d’un très-grand troupeau ; parce que la première qualité du Pasteur, c’est la charité, qui lui fait exposer sa vie pour ses brebis.

Cette flamme est entourée d’épines, parce qu’il y a beaucoup à souffrir pour ceux qui conduisent les âmes. On ne peut s’imaginer les croix qui leur sont préparées, ni les épines et les persécutions qu’il leur faut essuyer.

Ce buisson brûle et ne se consume point ; c’est le symbole de la charité des pasteurs, qui doit être toujours égale, sans jamais se lasser ni s’affaiblir. Il parut bien ensuite combien ce saint Pasteur en avait été rempli et embrasé, lorsque, voyant son peuple sur le point d’être frappé de Dieu pour ses péchés, il arrêta sa juste fureur par cette prière inspirée d’un très-pur et violent amour : Seigneur, ou pardonnez-leur cette faute, ou si vous ne leur pardonnez pas, effacez-moi de votre livre que vous avez écrit 9.

 

v. 4. Le Seigneur voyant que Moïse venait pour considérer ce que c’était, il l’appela du milieu du buisson, et lui dit : Moïse, Moïse. Il lui répondit : Me voici.

5. Et Dieu ajouta : N’approchez pas d’ici ; ôtez les souliers de vos pieds, parce que le lieu où vous êtes est une terre sainte.

 

C’est comme si le Seigneur lui disait : N’approchez point d’une charité si pure et si désintéressée, d’une charité si étendue et si égale envers tous, que vous ne soyez dépouillé de toute affection particulière. C’est ce dernier dépouillement que je veux encore de vous, savoir que vos affections, représentées par vos pieds, soient parfaitement nues, afin que vous puissiez avoir une juste égalité pour tout ce peuple, et le juger dans la justice et dans la sainteté ; car la terre de la charité est toute sainte.

 

v. 6. Il dit encore : Je suis le Dieu de votre père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob.

7. J’ai vu l’affliction de mon peuple qui est en Égypte. J’ai entendu les cris qu’il jette à cause de la dureté de ceux qui commandent aux ouvrages.

8. Et sachant quelle est sa douleur, je suis descendu pour le délivrer des mains des Égyptiens, et pour le faire passer de cette terre en une terre bonne et spacieuse, en une terre où coulent des ruisseaux de lait et de miel.

 

Dieu fait encore souvenir Moïse de la foi nue, du sacrifice pur, et de l’abandon parfait, ajoutant qu’il est le Dieu de ce peuple de foi, de sacrifice, et d’abandon. Il lui dit aussi : Je suis le Dieu de votre père, pour lui faire comprendre qu’il est sorti lui-même de cette même source et origine.

Il lui prédit de plus qu’il veut retirer ces âmes de la captivité où elles sont réduites par la multiplicité des œuvres dont on les accable, et qu’il veut les introduire dans la terre promise, qui est la région de paix et de repos en Dieu. Il déclare que l’affliction de ce peuple (opprimé par les œuvres extérieures) et le désir qu’il a de la liberté est venu jusques à lui, et que c’est par son moyen qu’il veut le délivrer.

 

v. 10. Venez, et je vous enverrai à Pharaon, afin que vous fassiez sortir de l’Égypte les enfants d’Israël, qui sont mon peuple.

11. Moïse dit à Dieu : Qui suis-je, moi, pour aller vers Pharaon, et pour faire sortir de l’Égypte les Enfants d’Israël ?

12. Dieu lui répondit : Je serai avec vous.

 

Moïse s’excuse dans la vue de sa bassesse, se trouvant incapable de conduire un si grand peuple dans un chemin aussi difficile qu’est celui de l’aveugle abandon. Mais ce qui lui paraît le plus impossible est de le tirer de la vexation des maîtres de ces œuvres et le faire sortir de la domination de Pharaon. C’est qu’il est très-difficile de tirer les âmes des pratiques et des méthodes pour les introduire dans le désert de la foi ; c’est pourquoi Dieu l’assure qu’il sera avec lui, et qu’il sera lui-même ce grand ouvrage ; et que la protection visible qu’il donnera à la parole de Moïse sera la marque infaillible que Dieu l’a envoyé.

 

v. 13. Moïse dit à Dieu : Quand j’irai vers les enfants d’Israël et que je leur dirai : Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous, s’ils me demandent : Quel est son nom ? que leur répondrai-je ?

 

Moïse ne trouve pas que ce soit assez de dire aux enfants d’Israël que le Dieu de la foi, du sacrifice et de l’abandon l’a envoyé ; il veut savoir quel est le nom de ce Dieu, si puissant qu’il puisse conduire ce peuple innombrable par une voie aussi étrange. Dieu, qui veut instruire ce fidèle pasteur de toutes choses, ne s’offense point de cette demande quoiqu’apparemment injurieuse. Que lui répond-il donc ?

 

v. 14. Le Seigneur dit à Moïse : Je suis celui qui suis. Voici ce que vous direz aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous.

 

Je suis celui qui suis : Je suis l’Être des Êtres, l’Être dont toute autre chose qui porte le nom d’Être dérive. Je suis celui qui seul est quelque chose, tout n’étant rien hors de moi. Quiconque peut se dire, ou croire, ou connaître être de soi quelque chose n’est pas encore propre à être de mon peuple. Il me faut un peuple de vérité, qui soit tellement anéanti qu’il se trouve dans la vérité du rien, comme je suis dans la vérité du tout. Ainsi il ne faut dire que cela aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous ; afin que les faisant souvenir de leur NÉANT et de mon TOUT, ils aient moins de peine à s’abandonner à ma conduite, à se défaire de leurs inventions, et à sortir du pays de l’industrie de l’homme, pour suivre la voie de l’abandon, qui le conduira sûrement à moi.

 

v. 15. Dieu dit encore à Moïse : Voici ce que vous direz aux enfants d’Israël : Le Seigneur, le Dieu de vos Pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, m’a envoyé à vous. C’est là mon nom éternel, et celui qui me fera connaître dans la suite de tous les siècles.

 

Vous leur direz que le Dieu qui a conduit leurs pères qui ont toujours marché par la voie de l’abandon vous envoie pour être leur conducteur visible ; mais que c’est moi qui ferai tout, parce que je suis celui qui suis, et sans qui rien ne subsiste. Ce nom me demeurera éternellement, et me fera connaître dans la suite de tous les âges. N’est-ce pas comme s’il disait : Celui qui seul est et qui est tout être n’a pas besoin de nom pour le distinguer des autres Êtres ; puisqu’il n’en est point hors de lui. Son être est son nom, et son nom est son être ; et comme son être comprend tout, aussi son nom exprime tout. Les créatures, qui sont par leur fond de vrais néants couverts d’un peu d’être dépendant que Dieu leur prête, ont besoin de noms pour les distinguer ; mais celui qui absorbe en soi toutes choses n’a besoin d’aucun autre nom que de celui d’ÊTRE ; parce que tout ce qui est en quelque manière est ou lui-même, ou tient tellement à lui par la racine essentielle de son origine qu’il n’est rien hors de lui. Ce nom ineffable sert donc à Dieu pour le faire connaître à son peuple ; et il lui sert aussi pour discerner ce même peuple, c’est-à-dire pour distinguer ces chers enfants, qui savent bien lui attribuer tout et ne se rien attribuer, d’avec ceux qui en usent autrement. Ceux qui s’approprient quelque chose lui dérobent son nom ; c’est pourquoi il assure Moïse que son peuple à ce seul nom obéira à sa voix.

 

v. 18. Vous irez avec les anciens d’Israël vers le Roi d’Égypte, et vous lui direz : Le Seigneur, le Dieu des Hébreux, nous appelle pour aller trois journées de chemin dans le désert, et là sacrifier au Seigneur notre Dieu.

 

Ils demandent d’aller au désert pour y sacrifier à leur Dieu ; parce qu’il faut passer par le désert de la foi nue avant que d’arriver au sacrifice pur. Le chemin en est long ; on désire d’abord ce sacrifice, mais on y arrive bien tard ; et il en est peu qui y arrivent.

 

v. 19. Mais je sais que le Roi d’Égypte ne vous laissera point aller que par une main forte.

20. J’étendrai donc ma main, et je frapperai l’Égypte par un grand nombre de prodiges que je ferai au milieu d’eux ; et après cela ils vous laisseront aller.

 

Cependant Dieu connaissait que Pharaon ne laisserait point aller son peuple que par une main forte ; et néanmoins il ne laisse pas de lui envoyer dire de la sorte, pour faire voir qu’il faut toujours tenter les voies douces avant celles de la rigueur, et qu’il ne faut user de moyens extraordinaires qu’à l’extrémité, lorsque toutes les forces humaines sont inutiles.

 

v. 21. Vous ne sortirez pas les mains vides ;

22. Mais vous dépouillerez l’Égypte.

 

Le Seigneur ne se contente pas de rendre la liberté à ces âmes, il les enrichit encore des dépouilles des autres qui ne veulent pas entrer dans sa pure voie, vérifiant ce qu’il a dit par Jésus-Christ son Fils, que l’on donnera à celui qui a déjà ; mais que pour celui qui n’a point, on lui ôtera même ce qu’il a 10.

 

 

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CHAPITRE IV.

 

 

v. 1. Moïse répondit à Dieu : Ils ne me croiront pas, et ils n’entendront point ma voix.

2. Dieu donc lui dit : Qu’avez-vous à la main ? Une verge, lui répondit-il.

3. Le Seigneur ajouta : Jetez-la à terre ; et Moïse la jeta, et elle fut changée en serpent.

 

LA défiance et la résistance de Moïse nous fait bien voir que dans les états les plus avancés, on peut commettre des infidélités et résister à Dieu. S’appuyer sur les témoignages plus que sur la parole de Dieu est une faute si grande pour une âme avancée, que si Dieu n’était pas aussi bon qu’il l’est, cela mériterait qu’on fût rejeté pour toujours. Abraham, homme d’une admirable foi, sur la seule parole de Dieu va faire un parricide ; et Moïse, sur plusieurs commandements du Seigneur, craint d’entreprendre une bonne action. Les prodiges mêmes ne l’assurent pas ; parce que quoique les personnes avancées puissent par infidélité désirer des prodiges, toutefois leur foi, déjà forte, ne leur permet pas de s’y arrêter.

 

v. 10. Alors Moïse dit au Seigneur : Écoutez-moi, je vous prie ; je n’ai jamais eu grande facilité de parler ; depuis même que vous avez commencé de parler à votre serviteur, j’ai la langue encore moins libre et plus empêchée.

 

Seigneur ! je ne sais point parler, ma voix étant une voix de silence, et encore depuis que vous m’avez parlé, j’ai moins de liberté de parler ; car c’est le propre de la parole de Dieu d’absorber la nôtre, et, selon un Prophète 11, dès que le Seigneur s’avance de son sanctuaire, il faut que toute chair soit dans le silence devant sa face. Lorsque Dieu parle à l’âme, il faut que tout se taise en elle pour l’écouter. Mais si tout se doit taire devant Dieu lorsqu’il veut parler, il faut aussi que tout parle pour lui lorsqu’il le commande.

 

v. 11. Le Seigneur lui répondit : Qui a fait la bouche de l’homme ? Qui a formé le muet et le sourd, celui qui voit celui qui ne voit pas ? N’est-ce pas moi ?

 

N’est-ce pas Dieu qui lie et qui délie la langue ? Plus une personne est ignorante et moins elle a de facilité de s’énoncer par elle-même, plus elle est propre dans la main de Dieu pour en faire ce qu’il veut. Aussi, après que Dieu a fait connaître à Moïse que ce n’est pas dans le naturel qu’est la facilité de s’exprimer sur les choses spirituelles, mais dans le pouvoir divin, il l’assure qu’il parlera par lui.

 

v. 12. Allez ; je serai dans votre bouche, et je vous apprendrai ce que vous aurez à dire.

 

Toutes les personnes Apostoliques, envoyées de Dieu, ont cet avantage que Dieu parle par leur bouche et qu’il leur enseigne ce qu’ils doivent dire ; car s’étant abandonnées à lui pour toutes choses, il ne leur manque pas dans le besoin. S. Paul l’a exprimé clairement pour tous 12 : Voulez-vous, dit-il, faire l’expérience de la vérité de Jésus-Christ, qui parle par ma bouche ?

 

v. 13. Je vous prie, Seigneur, dit Moïse, envoyez celui que vous devez envoyer.

 

Le désir de Moïse était conçu en faveur du Messie, qu’il regardait comme le véritable libérateur non seulement de ce peuple, mais aussi de tout le monde ; cependant tous désirs, jusqu’aux plus justes et aux plus saints, doivent être bannis d’une âme abandonnée et anéantie ; à cause qu’elle ne doit rien vouloir que dans la volonté de Dieu, qui fait les choses dans leur temps ; aussi la marque de son anéantissement est cette impuissance à rien vouloir ni désirer ; et l’on ne saurait sortir de cette mort totale à tout désir sans beaucoup déplaire à Dieu.

 

v. 14. Le Seigneur se fâcha contre Moïse et il lui dit : Je sais qu’Aaron votre frère, de la race de Lévi, s’énonce librement. Il vient au-devant de vous ; et dès qu’il vous verra, il se réjouira de tout son cœur.

15. Parlez-lui, et mettez mes paroles dans sa bouche. Je serai dans votre bouche et dans la sienne, et je vous montrerai ce que vous aurez à faire.

16. Il parlera pour vous au peuple, et il sera votre bouche, et vous le conduirez dans tout ce qui regarde Dieu.

 

Dieu ne s’étant point fâché de toutes les demandes de Moïse, quoiqu’elles parussent injustes, se fâche de ce désir ; parce que ces demandes se faisaient avec simplicité et d’une manière toute naturelle ; mais il ne pouvait rien désirer sans sortir de son état. Aussi Dieu cesse-t-il ici de vouloir être son parler, et pour cette infidélité il lui donne une bouche humaine. Ô qu’il est de conséquence de ne point sortir du délaissement à l’aveugle entre les mains de Dieu sous prétexte de bons désirs ! Cela néanmoins n’empêche pas que Dieu, sans avoir égard à cette infidélité du pasteur, ne donne tout ce qui est nécessaire en faveur des brebis.

Après la faute de Moïse, Dieu ne laisse pas de l’assurer qu’il sera dans la bouche de son frère et dans la sienne ; et que même Moïse sera toujours le pasteur de son frère ; Aaron est établi entre Moïse et le peuple ; et Moïse est entre Dieu et Aaron.

 

v. 22. Voici ce que dit le Seigneur : Israël est mon fils aîné.

 

Israël est appelé le fils aîné de Dieu, pour nous apprendre que les âmes intérieures ont la préférence dans l’héritage du ciel ; ce qui n’en exclut pas les autres ; parce que plusieurs chemins conduisent à la patrie céleste ; mais celui-là est le plus glorieux à Dieu et le plus avantageux aux âmes.

 

v. 25. Sephora dit à Moïse : Vous m’êtes un époux de sang.

26. Et elle le laissa après qu’elle eut dit : Vous m’êtes un époux de sang, à cause de la circoncision.

 

Sephora, n’ignorant pas que les unions que Dieu fait entre les âmes ne sont que pour la croix, appelle Moïse un époux de sang ; parce qu’elle savait qu’un si saint homme ne pouvait pas lui être uni sans qu’elle eût part à ses souffrances ; c’est pourquoi elle s’éloigne de lui à cause de la circoncision, cette première de toutes ses croix, qui n’était que le commencement des autres, lui faisant déjà peur, savoir, le retranchement et la mortification. Peu d’âmes sont fidèles à se tenir compagnie réciproquement dans la voie de sang et de croix.

 

v. 31. Le peuple crut, et ils comprirent que le Seigneur avait visité les enfants d’Israël et qu’il avait regardé leur affliction ; et, se prosternant en terre, ils l’adorèrent.

 

Nul ne croit plus aisément que le peuple intérieur, toute sa voie étant sondée sur la foi. Ce fut pour cette raison que Moïse et Aaron n’eurent pas de peine à faire connaître aux Israélites les desseins de Dieu et à les y faire entrer. Il n’en est pas de même des gens de raison et de témoignage ; ils ne se rendent point à l’abord, et ils ne cèdent qu’à la force.

 

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CHAPITRE V.

 

 

v. 2. Pharaon répondit à Moïse et à Aaron : Qui est le Seigneur pour m’obliger à entendre sa voix et laisser sortir Israël ? Je ne connais point le Seigneur, et je ne laisserai point sortir Israël.

 

PHARAON avait bien raison de dire qu’il ne connaissait pas le Seigneur. Ce ne sont point les superbes qui le connaissent, mais seulement les humbles, qui le servent dans la simplicité de leur cœur. Cette manière de parler : Qui est le Seigneur ? Je ne le connais point, marque une arrogance digne de mille enfers. Les libertins et les esprits forts du siècle parlent de la sorte lorsqu’on les avertit de quelque chose qui regarde leur salut. Ô ils ne veulent point obéir à Dieu, qui leur parle par la bouche de ses serviteurs ; parce qu’ils ne le connaissent pas.

 

v. 8. Vous leur ferez faire la même quantité de briques qu’ils faisaient auparavant, sans en rien diminuer ; car ils demeurent oisifs ; c’est pourquoi ils crient : Allons sacrifier à notre Dieu.

 

Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on accuse ces personnes intérieures d’être oisives. Les directeurs peu expérimentés et les gens qui ne savent ce que c’est que le repos mystique, voyant une âme adonnée à la contemplation ou à l’oraison de silence, qui ne souhaite que de se sacrifier à Dieu dans la simplicité de son cœur, se disent les uns aux autres : Chargeons-la de pratiques et fatiguons-la, car toute sa dévotion n’est qu’oisiveté. Mais Dieu sait bien tirer de leurs mains ces âmes qu’il a choisies pour son repos et pour les cacher dans le secret de son visage contre le trouble des hommes 13.

 

v. 9. Qu’ils soient accablés de travaux et qu’on les contraigne de les achever, afin qu’ils ne s’amusent plus à des paroles de mensonges.

 

Qu’ils soient accablés par les œuvres extérieures que nous leur enjoindrons, afin qu’ils ne s’arrêtent plus à leurs illusions, ni à leurs paroles intérieures, qui ne sont que des paroles de mensonges et des tromperies. Ô hommes audacieux, qui comme Pharaon taxez les serviteurs et les servantes de Dieu d’illusions et de rêveries ; mais n’appréhendez-vous point que Dieu vous punisse comme lui ?

 

v. 14. Ceux des Israélites qui étaient commis sur les ouvrages de leur peuple furent battus de verges par les exacteurs de Pharaon, qui leur disaient : Pourquoi n’avez-vous pas rendu ni hier ni aujourd’hui la même quantité de briques que vous rendiez auparavant ?

 

On joint les rudesses aux menaces, et souvent les coups, pour accabler ces pauvres âmes qui, dans les mauvais traitements qu’on leur fait, ont toute leur confiance en Dieu ; on les surcharge de travaux impossibles ; et s’ils ne les font tous, on les accuse de désobéissance. Consolez-vous, intérieurs amis de Dieu : plus vous devez avoir de part à sa vie divine, plus il faut que vous soyez exposés en butte à la contradiction des hommes.

 

v. 15. Les Commis vinrent crier à Pharaon, en lui disant : Pourquoi traitez-vous ainsi vos serviteurs ?

16. On ne nous donne point de paille et on nous commande de rendre le même nombre de briques qu’auparavant. Nous sommes battus de verges, quoique nous soyons vos serviteurs, et l’on tourmente injustement votre peuple.

 

Ces pauvres âmes accablées de travaux par ces directeurs non éclairés crient que ces pratiques leur sont insupportables, du moins en si grand nombre ; elles se plaignent de plus que l’on peut bien les surcharger de méthodes, mais qu’on ne peut pas leur donner la facilité de s’en acquitter, qui leur est ôtée sans doute par celui-là même qui la leur avait donnée ; que l’on ne leur donne point de repos, et que l’on a pour elles des rigueurs que l’on n’a point pour les autres.

 

v. 17. Pharaon leur répondit : L’oisiveté vous perd ; c’est pour cela que vous dites : Allons sacrifier au Seigneur.

18. Allez donc à votre travail ; on ne vous donnera point de paille, et vous rendrez toujours la même quantité de briques.

 

À cela on leur répond que c’est parce que leur intérieur est oisif qu’ils n’aiment qu’à demeurer en repos devant Dieu en esprit de sacrifice ; et sans les vouloir écouter, on continue à les surcharger de pénitences et de travaux de la vie active qu’ils ne peuvent plus supporter.

 

v. 20. Ayant rencontré Moïse et Aaron, qui s’étaient tenus près de là, attendant que ces Israélites sortissent d’avec Pharaon ;

21. Ils leur dirent : Que Dieu voie ce que vous nous faites, qu’il soit le juge entre vous et nous. Vous nous avez rendus de très-mauvaise odeur devant Pharaon et devant ses serviteurs, et vous lui avez donné une épée pour nous tuer.

 

Ils vont trouver ceux qui les ont portés sous la faveur de la grâce à entrer dans la voie du sacrifice, et ils leur disent dans la consternation où ils sont : Vous nous avez fait entrer dans une voie de mort ; car les personnes qui nous conduisaient auparavant avec quelque bonté n’ont plus maintenant que des rigueurs pour nous ; et votre connaissance nous a été comme un glaive de mort.

Mais ces pères spirituels, s’adressant à Dieu par leurs pressantes prières pour ce peuple affligé, se hâtent de le tirer de ces tyranniques mains.

 

v. 22. Moïse, étant retourné vers le Seigneur, lui dit : Seigneur, pourquoi avez-vous affligé votre peuple ? Pourquoi m’avez-vous envoyé ?

23. Car depuis que je me suis présenté devant Pharaon pour lui parler en votre nom, il a tourmenté encore plus votre peuple, et vous ne l’avez point délivré.

 

Ce petit mot que Moïse dit à Dieu est une prière d’un cœur tendre et d’un véritable pasteur, qui se plaint à Dieu même de lui-même, à cause qu’il ne délivre pas ce pauvre peuple de la tyrannie aussi tôt qu’il l’avait cru. Ô promesses divines, combien votre accomplissement est-il d’ordinaire éloigné de ce que l’on en pense ! Le moment de la providence, qui vous découvre, fait voir tant d’autres choses dans le succès de ce dont on se flattait par l’espérance qu’on s’en était figurée. Vous avez promis en peu de mots de délivrer ce peuple ; et il semblait même aux saints qui étaient les ministres de cette grande œuvre que vous l’alliez faire incessamment ; mais par combien de prodiges et d’étranges providences se fera cette délivrance ? Et de tous ceux qui auront été délivrés de l’Égypte avec tant de merveilles, deux personnes seulement entreront dans la terre promise ! Qui pénétrera les profonds jugements de Dieu ? Ah qu’il est bon, ah qu’il est beau qu’ils soient cachés à la créature jusques à ce qu’ils sortent du sein du Créateur aux heures et aux moments qu’il leur a marqués !

 

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CHAPITRE VI.

 

 

v. 1. Le Seigneur dit à Moïse : Vous verrez maintenant ce que je vais faire à Pharaon.

 

DIEU répond à Moïse avec une bonté infinie, qui s’accommode à la faiblesse de sa créature lorsqu’elle agit simplement. Ne semble-t-il pas que le Seigneur s’excuse envers Moïse ? Vous verrez, lui dit-il, à présent comme j’en userai. Ô simplicité, que tu es bien le langage que Dieu aime sans chercher tant d’autres choses et tant d’inventions qui ne lui plaisent point !

 

v. 2. Dieu dit encore à Moïse : Je suis le Seigneur ;

3. Qui ai apparu à Abraham, à Isaac, et à Jacob comme le Dieu tout-puissant. Mais je ne leur ai point manifesté mon nom Adonaï 14.

4. Et j’ai fait alliance avec eux en leur promettant de leur donner la terre de Canaan, la terre dans laquelle ils ont demeuré comme voyageurs et étrangers.

 

J’ai bien apparu à Abraham dans la foi nue, à Isaac dans le sacrifice pur, et à Israël dans l’abandon parfait, comme Dieu tout-puissant ; ils n’ont point ignoré ma toute-puissance, dans toutes ces voies dans lesquelles je les ai conduits ; mais je ne leur ai pas manifesté le plus grand de mes noms, qui est Adonaï, qui signifie le très-souverain, et qui marque que je suis celui qui suis, parce que vous ayant choisi pour le législateur non seulement du peuple commun d’Israël, mais beaucoup plus de mon peuple intérieur, il était nécessaire que vous eussiez plus de connaissance de mon TOUTTRE et du néant de la créature ; afin que, tant par votre expérience que par mon inspiration, vous en puissiez instruire les âmes destinées à l’anéantissement. Cette profonde connaissance, mon cher Moïse, vous a été réservée comme à un grand Prince du peuple mystique et de mes aimables anéantis, et comme à la figure la plus sensible et la plus parfaite de Jésus-Christ mon Fils unique, le chef et l’aîné de tous ceux qui, par leur anéantissement mystique, honorent mon nom redoutable d’Adonaï ; et qui, par l’aveu et par l’acception de leur néant, adorent parfaitement la souveraineté de mon Être. Vous verrez aussi de plus grands effets de ma puissance que n’en ont vu tous vos pères, parce que j’accomplirai par vous-même avec des prodiges inouïs ce que je leur avais seulement promis.

 

v. 6. Dites aux enfants d’Israël : Je suis le Seigneur, qui vous tirerai de la prison des Égyptiens et vous délivrerai de la servitude en déployant mon bras fort et en exerçant mes grands jugements.

 

Rien ne touche tant le cœur de Dieu que de voir ses chers abandonnés captifs et gémissants sous le joug de la servitude ; aussi, dit-il, qu’il les en délivrera en étendant son bras. Ce terme, son bras, marque qu’il veut le déployer par une force extraordinaire.

 

v. 7. Je vous prendrai pour mon peuple et je serai votre Dieu, et vous saurez que c’est moi qui suis le Seigneur votre Dieu.

 

Le Seigneur assure qu’il prendra ces mêmes âmes abandonnées pour un peuple qui est particulièrement à lui, et qu’il sera leur Dieu d’une manière toute singulière, leur déclarant de plus qu’ils connaîtront par expérience qu’il est le Seigneur leur Dieu. C’est que comme nul peuple ne se donne plus à Dieu que celui qui sait s’abandonner et se délaisser à lui sans exception et sans réserve, aussi Dieu se donne à ses mêmes amis plus qu’à nul autre peuple ; car il ne se laisse pas vaincre en cette donation amoureuse et il se donne lui-même excellemment dès cette vie à quiconque se donne parfaitement à lui.

 

v. 9. Moïse rapporta tout ceci aux enfants d’Israël ; mais ils ne lui déférèrent en rien, à cause de la détresse de leur esprit et de l’excès des travaux qui les accablaient.

 

Il en est plusieurs qui obéissent à la voie de Dieu lorsqu’elle est pleine de douceur et accompagnée de miracles, mais qui ont peine à lui obéir lorsqu’elle n’apporte que la croix et les travaux. C’est l’infidélité que commettent souvent les personnes commençantes.

 

v. 12. Moïse dit au Seigneur : Vous voyez que les enfants d’Israël ne m’écoutent point ; comment m’écouterait Pharaon ?

 

L’excuse de Moïse paraît assez juste, alléguant que si les enfants qui sont en la présence de leur père refusent d’obéir à cause de la croix, à bien plus forte raison les méchants et les ennemis n’obéiront point en ce qui est contraire à leur propre intérêt.

 

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CHAPITRE VII.

 

 

v. 1. Le Seigneur dit à Moïse : Je vous ai établi Dieu de Pharaon, et Aaron votre frère sera votre Prophète.

 

LES âmes anéanties sont comme les Dieux des Princes mêmes ; parce que tout ce qui est de la créature étant disparu en elles, il faut nécessairement qu’il n’y reste que Dieu. Les interprètes de ces personnes ainsi anéanties sont leurs Prophètes ; parce qu’ils ne parlent que les paroles de Dieu, proférant en faveur des autres celles que prononcent ces âmes devenues Dieu par l’anéantissement total d’elles-mêmes.

 

v. 12. Chacun des magiciens ayant jeté sa verge, elles furent aussi changées en serpents ; mais la verge d’Aaron dévora les verges des magiciens.

 

Quelques personnes de doctrine mauvaise et erronée veulent contrefaire les spirituels, et faire ce qu’ils font ; mais l’Esprit de Dieu absorbe tout, distingue le faux d’avec le vrai, et la vérité dévore bientôt le mensonge.

 

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CHAPITRE VIII.

 

 

v. 17. Aaron, tenant sa verge, étendit la main et frappa la poussière de la terre, qui fut changée en moucherons dans toute l’Égypte.

18. Les magiciens, n’ayant pu faire la même chose,

19. Dirent à Pharaon : C’est le doigt de Dieu qui agit ici. Et le cœur de Pharaon demeura endurci.

 

TOUTES les merveilles que Dieu fait en faveur des personnes intérieures ne servent qu’à endurcir le cœur de leurs ennemis. Quelquefois les plus méchants sont forcés de confesser que c’est le doigt de Dieu qui opère ces prodiges, pendant que le cœur des autres demeure dans l’endurcissement.

 

v. 23. Je mettrai une séparation entre mon peuples votre peuple.

 

Dieu sépare son peuple de ceux qui ne veulent point être à lui ; et pendant que ceux qui le persécutent souffrent les douloureuses piqûres des moucherons de leur vanité et de leur malice, qui ne leur laissent ni paix ni repos, ces âmes fortunées demeurent contentes dans le séjour de la paix.

 

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CHAPITRE X.

 

 

v. 22. Moïse étendit sa main vers le Ciel ; des ténèbres effroyables couvrirent toute l’Égypte durant trois jours.

23. Mais le jour luisait partout où habitaient les enfants d’Israël.

 

LE jour des méchants se change en d’horribles ténèbres, lorsque Dieu étend la main de son jugement pour les mettre dans sa vérité, qui leur fait comprendre par une juste expérience que toute leur lumière prétendue n’était que ténèbres 15, et que plus ils se croyaient éclairés en eux-mêmes et devant les hommes, plus ils étaient ignorants devant Dieu 16. Mais les justes, qui s’unissent à Dieu par la seule foi, sont toujours dans une véritable lumière, qui loin de diminuer ou de s’éclipser, croît jusqu’à un jour parfait 17. Qui oserait exprimer les profondes vérités que Dieu découvre aux âmes de foi, et combien elles sont divinement éclairées lorsqu’elles semblent avoir perdu toute lumière ? Il en faut laisser juger celles qui en ont quelque expérience. Ce qui se puise en Dieu est toujours vérité, Dieu étant la vérité même ; ce qui se puise dans la créature par le sens ou par le raisonnement est très-souvent erreur, parce que l’homme n’est par lui-même que vanité et que mensonge 18. Le moyen donc infaillible d’entrer dans la vérité et d’y demeurer, d’y croître, d’y mourir et d’y vivre éternellement, c’est de se fier uniquement à Dieu pour toutes choses, et les croire telles qu’il les voit.

 

 

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CHAPITRE XI.

 

 

v. 5. Tous les premiers-nés mourront dans les terres des Égyptiens.

 

LES premiers-nés d’Égypte sont la figure des pécheurs, qui n’enfantent d’ordinaire que péché ; et les premiers-nés des enfants de Dieu sont les âmes intérieures. Les pécheurs veulent détruire l’intérieur ; et Dieu en faveur de l’intérieur humilie les pécheurs et tue le péché.

Les Anges ministres de la vengeance de Dieu font mourir par sa puissance les premiers-nés du siècle, que les hommes estiment si fort et en qui ils mettent une vaine constance ; mais ses chers amis intérieurs sont en assurance sous sa protection ; et quoiqu’il permette qu’ils soient maltraités des hommes charnels pour épurer leur amour et augmenter leurs couronnes, toutefois ils ne sont point frappés dans sa fureur, mais seulement visités par sa miséricorde ; car ce sont ces enfants de Dieu, bien plus que les enfants des hommes, qui espèrent sous l’ombre des ailes du Seigneur 19.

 

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CHAPITRE XII.

 

 

v. 3. Que chacun prenne un agneau pour sa famille et pour sa maison.

5. Cet agneau sera sans tache.

 

LES personnes intérieures ne se peuvent distinguer que par le signe de Dieu, et ce signe de Dieu est le sang de l’Agneau, duquel ils sont marqués ; parce que n’ayant plus de mérite propre, ils ont tout en Jésus-Christ ; et c’est en son sang et par son sang qu’ils sont conservés. C’est ce qui fait qu’ils espèrent contre l’espérance même 20 ; parce que le désespoir d’eux-mêmes les fait heureusement tomber dans une parfaite confiance en Dieu.

Cet Agneau est sans tache, à cause qu’en Jésus-Christ il n’y eut jamais de péché et que c’est sa justice qui couvre notre injustice.

 

v. 7. Ils prendront de son sang et ils en mettront sur l’un et l’autre poteau, sur le haut des portes des maisons où ils le mangeront.

8. En cette nuit-là, ils en mangeront la chair rôtie au feu, et des pains sans levain avec des laitues sauvages.

 

Ce n’est pas assez que nous soyons lavés et marqués du sang de l’Agneau ; il faut aussi que son peuple mange sa chair, car c’est elle qui le fait croître et fructifier, et qui le doit fortifier pour passer le désert long et affreux de la foi nue, qui, quoique plein de liberté et accompagné de mille douceurs célestes qui soutiennent l’âme dans ce rude pèlerinage, est pourtant plus difficile à porter que la première captivité, à cause de l’amour-propre, qui préfère d’être accablé de travail, de faire des briques (c’est-à-dire des ouvrages de peu de valeur), plutôt que d’être libre et employé à conquérir le ciel (qui est la terre promise et Dieu même) et n’avoir pas la satisfaction de voir son ouvrage.

Les laitues sauvages, qui sont amères, représentent la mortification dans laquelle doit avoir été exercée l’âme de foi ; car elle n’entre dans le désert de la foi qu’après avoir passé par toutes les mortifications possibles selon ses forces et sa vocation. Le pain sans levain et fait sans long apprêt marque la nourriture conforme à l’état simple, qui est sans nulle préparation ; mais aussi sans nulle corruption de l’amour-propre, à cause que la créature n’y a que très-peu de part.

De plus cette chair était cuite au feu et rôtie, parce qu’elle représentait la consommation de la charité en J. Christ, qui est tout feu ; et la charité est le feu de l’amour pur, dont nous devons être embrasés en mangeant cet agneau sans tache.

 

v. 9. Vous en mangerez la tête avec les pieds et les entrailles.

10. Vous n’en réserverez rien jusqu’au matin ; s’il en reste quelque chose, vous le brûlerez au feu.

 

Comme cette manducation de l’agneau pascal des Juifs était la figure du sacrifice de J. Christ (car quel est le Chrétien qui ne voie dans cet agneau rôti, qui se doit manger, l’ombre de Jésus-Christ, qui se donne en viande en son Sacrement au temps de sa passion ?), elle était aussi la représentation sensible du sacrifice pur, par lequel l’âme doit être consommée dans le désert de la foi en Dieu.

Or ce sacrifice ne veut nulle réserve ; il faut qu’il soit entier ; et pour cette raison ce doit être un sacrifice d’holocauste, qui ne réserve chose au monde, pour petite qu’elle soit. Il est nécessaire que tout soit consumé et dévoré, non-seulement la chair et tout ce qu’il y a d’extérieur à l’égard de la créature ; non-seulement les puissances, représentées par la tête, et les affections, signifiées par les pieds, mais aussi ce qu’il y a de plus intime dans le fond de l’âme, son centre même et la suprême pointe de l’esprit ; tout doit être détruit, en sorte qu’il n’en reste chose quelconque dans le dedans non plus que dans le dehors ; et c’est ce dedans le plus intime qui est désigné par les entrailles.

Mais si ce sacrifice si nécessaire et si fort recommandé est reconnu de tous pour le plus parfait ; ô combien est-il combattu dans la pratique ! Ô combien est-il difficile ! Ô combien en coûte-t-il à l’âme avant qu’elle puisse s’y rendre ! Et encore, où se trouvera-t-il quelqu’un qui ne réserve rien ? Cependant tous ces demi-sacrifices ne peuvent jamais être le sacrifice de l’holocauste, qui est celui que Dieu s’est singulièrement réservé pour être tout dévoué à sa seule gloire ; c’est pourquoi il est appelé sacrifice pur. C’est une chose déplorable que tant de grandes âmes qui se sont laissé sacrifier en tant de choses réservent presque toutes les entrailles pour elles-mêmes, du moins en partie. Ô si elles savaient la gloire que Dieu tire de ce sacrifice pur et l’avantage qui leur en doit revenir, combien seraient-elles plus généreuses à s’abandonner sans réserve ! Mais elles ne veulent pas le comprendre, quoique Dieu le suggère lui-même à leur cœur, et que ceux qui sont les plus instruits de ces secrets leur en disent quelque chose ; parce que l’on prend pour perte ce qui est gain, et pour gain ce qui est perte. Perdre tout pour Dieu même, c’est tout gagner ; perdre Dieu même à notre égard, en tant qu’il peut être à nous, pour lui laisser prendre en nous une gloire souveraine sans y mêler en rien notre intérêt, ô c’est la suprême félicité, et le témoignage le plus sublime du pur amour !

C’est là l’état et la disposition du sacrifice pur. Tous les autres sacrifices sont des sacrifices où la créature veut avoir quelque part ; ils sont tous intéressés en quelque chose, et les créatures veulent y trouver leur compte ; mais le sacrifice pur est le sacrifice de Dieu seul, réservé à lui seul ; c’est le sacrifice divin ; c’est le sacrifice de Jésus-Christ, modèle de tous les autres, où il veut que tout soit détruit. Ô victime sans tache, c’est dans votre immolation totale que tous les sacrifices purs sont renfermés ! Et comme le vôtre en est l’original, il en est aussi la force et l’esprit, et toute la perfection.

 

v. 11. Voici comment vous le mangerez. Vous ceindrez vos reins, vous aurez aux pieds vos souliers, et un bâton à la main, et vous le mangerez à la hâte, car c’est la Pâque, c’est-à-dire, le passage du Seigneur.

 

Les reins qui sont ceints marquent la pureté de l’obéissance à la volonté de Dieu, qui est la ceinture qui nous lie heureusement ; sans elle toute pureté n’est qu’impureté, et la pureté extérieure de la chair n’est que la figure de la pureté du dedans, qui est celle de l’esprit. Or la pureté intérieure consiste dans la conformité à la volonté de Dieu ; et plus cette conformité est éminente, plus l’esprit est pur. La volonté de la créature est premièrement rendue conforme à celle de son Créateur ; puis elle devient uniforme, et ensuite elle est transformée en la même volonté de Dieu ; et c’est alors que toute volonté propre est tellement morte, détruite, et passée en la volonté divine, qu’elle change de nom, ne s’appelant plus que la volonté de Dieu.

La chaussure des pieds est prise en cet endroit pour la marque du pèlerinage, et non pour les affections ; car s’il fallut que Moïse ôtât ses souliers pour approcher du buisson ardent, combien plus est-il nécessaire de le faire, dans le sens de se purifier de ses affections, pour manger l’agneau ! Mais ici, les souliers aux pieds représentent le pèlerinage, aussi bien que le bâton. L’on mange l’agneau à la hâte, en figne du passage qui se doit faire. Or il est certain que la consommation du sacrifice pur, qui est l’anéantissement, est la disposition prochaine du passage de l’âme en Dieu ; et l’âme n’est pas plutôt arrivée au degré d’anéantissement répondant au dessein de Dieu que dès ce moment elle passe en lui et il devient lui-même la plénitude de ce vide immense.

Tous les autres vides, qui ne sont que les vides des puissances, sont remplis par des grâces conformes à la disposition du sujet et à l’étendue de leur vide ; mais l’anéantissement ne peut être rempli que de Dieu même.

Et voici l’ordre admirable qui s’observe dans divers vides et dans leurs remplissements.

Dieu vide premièrement l’âme de tout péché ; et à mesure qu’il la vide de tout péché, il l’emplit de ses dons et de ses grâces.

Puis il vide cette même âme de ses dons et de ses grâces, du moins en manière aperçue ; car elle ne le possède plus qu’imperceptiblement, et comme si réellement elle ne les avait pas, pour la remplir de lui-même ; et ce vide des grâces sert pour ôter à l’âme une qualité bornée et un rétrécissement naturel qui la rendait incapable d’être dilatée et agrandie. Car il faut savoir que toutes les grâces de Dieu, quelque réservées qu’elles puissent être, sont toujours proportionnées à la capacité de la créature et reçues en sa manière sous une qualité dure et rétrécie, opposée à la pénétration de la vie divine.

Le péché habitait dans cette créature ainsi bornée et étroite ; lorsque Dieu vient en elle par sa grâce, il en chasse ce péché d’une manière même douce et tranquille ; puis à mesure que ce vase est vidé de sa mauvaise liqueur, Dieu l’emplit de l’onction de sa grâce, ce qui cause un vif plaisir, même dans les plus sortes pénitences. Mais lorsqu’il faut purger l’âme de sa rouille centrale et lui ôter une crasse qui est restée dans son fond par l’infection du péché, cette rouille et cette crasse peuvent bien compatir avec la grâce, mais elles sont incompatibles avec Dieu. C’est pourquoi il est nécessaire que cette âme soit mise au feu, dans un feu plus subtil et plus dévorant, qui lui fait sentir une opération très-douloureuse. Ce feu brûle vivement, et il semble salir l’âme, loin de la purifier ; ce qui fait qu’on s’y trompe aisément ; à cause que la beauté de cet ouvrage ne se peut voir que lorsqu’il est fait, ainsi que l’on ne voit pas ce que l’ouvrier veut faire du métal pendant qu’il est tout pénétré de feu dans la fournaise et couvert de crasse et de terre. Il faut donc que ce feu ôte tellement toute la rouille radicale de cette âme, ou en ce monde ou en l’autre, qu’il n’y reste rien d’impur.

Dans ce creuset, Dieu lui ôte tout ce qui l’emplissait, quelque exquis qu’il puisse être ; ce qui fait qu’elle ne sent plus que la douleur sans adoucissement ; à mesure que ce feu ôte et consume la rouille de cette âme, il lui ôte aussi une qualité opaque, rétrécie et limitée, qui n’est autre que la PROPRIÉTÉ, qui, la glaçant et fixant en elle-même, l’empêche de s’écouler en Dieu. Et c’est ce qui lui cause ces grandes douleurs, étant saisie au plus sensible et au plus vivant d’elle-même, savoir dans son fonds propriétaire. Plus cette propriété devient subtile et déliée, plus elle est difficile à arracher ; mais sitôt qu’elle est toute consumée, l’âme se trouvant délivrée de son rétrécissement et n’ayant plus rien en soi qui soit d’elle-même, elle tombe dans l’anéantissement.

Alors elle est tellement souple et pliable, qu’au lieu de cette qualité dure et gênée, qui était causée par la propriété, ou plutôt qui était la propriété même, elle a contracté une disposition aisée et capable de s’étendre presque à l’infini. Et c’est alors qu’elle est venue à la pureté de son origine ; car Dieu la créa ainsi souple et pliable, et propre à être étendue par lui et en lui-même ; mais le péché, la rendant propriétaire, la rendit en même temps dure et résistante, et incapable de s’élargir, jusqu’à ce que Dieu réparateur la fît retourner dans la pureté de sa création.

Lors donc que cette âme fidèle est arrivée à la perte totale de sa propriété et restriction, alors elle est propre pour l’union, ou plutôt pour l’unité intime, et pour être perdue en Dieu. Mais comme Dieu se peut toujours communiquer jusqu’à l’infini, aussi peut-il chaque jour de plus en plus élargir cette âme et se donner toujours plus à elle.

Il est certain que sitôt que toute la propriété est bannie de l’âme, et que par-là elle est anéantie, en ce même moment elle est pleine de Dieu ; car il ne laisse rien de vide en elle ; et comme il remplit le vide des puissances, de ses dons, il remplit aussi ce vide de l’essence, de soi-même ; un vide en partie pouvant bien être rempli par quelque don créé, mais le vide total ne pouvant se remplir que par le Tout incréé.

Et cette capacité s’accroissant chaque jour par l’opération de Dieu même, qui l’élargit à mesure qu’il l’emplit, et qui l’emplit à mesure qu’il l’élargit, il n’y a pas un moment de vide en une telle âme. Aussi est-il vrai qu’elle peut toujours avancer dans son anéantissement, c’est-à-dire, dans son vide, et ainsi accroître sa plénitude ; non de sa part, car elle ne peut rien faire pour cela, mais du côté de Dieu, qui travaille incessamment en elle.

Telle fut la disposition de la sacrée Vierge dès le moment de sa conception. Elle n’avait nulle propriété ; elle fut conçue avec une âme souple, étendue, et propre à l’être toujours plus ; elle fut dès ce moment pleine de Dieu. Cependant elle croissait dans cette plénitude à mesure qu’elle s’étendait dans un plus grand vide ; de sorte que lorsque l’Ange l’appela pleine 21, elle l’était en effet ; et elle était aussi infiniment vide ; et ce vide, qui était dans sa plus vaste étendue, et dans une telle étendue que nulle pure créature n’y arrivera jamais, fut la disposition immédiate à l’incarnation du Verbe en elle. C’est pour cela qu’elle dit très-bien que Dieu a regardé la bassesse de sa servante 22 ; c’est-à-dire que Dieu, ayant regardé le profond abîme de ce néant de Marie, qui surpassait infiniment le vide des plus saintes créatures, il fut comme contraint par ce vide immense de venir se précipiter en elle pour le remplir de lui-même. Et comme nulle plénitude divine en la créature ne devait être égale à celle-ci, de même nul vide n’a jamais été plus étendu ni plus abîmé que celui qui lui a servi de disposition. Lorsque Dieu veut le venir remplir lui-même, il faut que tout ce qui n’est point Dieu lui cède la place ; aussi la Ste. Vierge ne dit-elle point que ce fut à cause d’aucune vertu qui fût en elle que le Verbe la choisit pour mère, mais seulement dans la vue de son grand vide. Il faut donc que toutes les âmes qui doivent arriver à l’état Apostolique, qui est celui de la production du Verbe en elles après leur anéantissement, soient dans ce vide plus ou moins, selon le dessein de Dieu ; comme il est nécessaire que tous les saints dans la gloire soient dans ce même vide plus ou moins, selon le degré de leur élévation en Dieu.

L’on m’opposera que la Ste. Vierge n’a point passé par les pertes, faiblesses, et autres épreuves dont Dieu se sert pour anéantir les autres âmes. Cela est vrai, parce que ces états sont destinés dans celles-ci pour les élargir à mesure qu’ils leur font perdre leur qualité propre et rétrécie qu’elles ont toutes contractées en Adam ; mais la divine Marie fut mise dès le moment de sa conception dans le parfait affranchissement de toute propriété par la prééminence de la grâce originelle, quoique non encore dans toute la perfection de l’anéantissement ; car il pouvait toujours croître jusqu’à la fin de sa vie à mesure qu’elle pouvait être plus remplie de Dieu, ou plutôt plus absorbée en lui ; le vide de la créature devant être d’autant plus grand que plus la plénitude de Dieu est surabondante. Mais pour tous ceux qui ont contracté la propriété en Adam, soit qu’ils n’aient que la propriété qu’ils ont tirée d’Adam, soit qu’ils aient augmenté leur propriété par le péché actuel, je dis que tous, sans exception d’aucun, doivent passer par le purgatoire et par la perte des dons de grâce et des vertus en la manière qu’il a été expliqué ci-dessus ; enfin par la perte totale et par l’anéantissement parfait, selon leur degré, pour rentrer en Dieu et arriver à la pureté de leur origine.

Il en coûte de plus mortelles douleurs à ceux qui ont plus de propriété et en qui cette infection foncière est plus enracinée, et à ceux aussi que Dieu destine à une plus grande étendue d’anéantissement ; de même qu’une chose ne peut s’élargir qu’avec beaucoup de difficulté lorsqu’elle résiste grandement ou qu’on lui veut donner une étendue excessive, ainsi qu’il arrive en étendant l’or en feuilles à force de coups.

Cette opération de la fonte est très-douloureuse dans les commencements, où l’âme tient encore beaucoup de sa dureté ; il lui semble qu’on la déchire. Mais lorsqu’elle se laisse déchirer et étendre, cela se fait plus vite.

Il est bien remarquable que la fidélité de cet état ne consiste pas à retenir et conserver les grâces de Dieu, mais à s’en laisser dépouiller sans résistance, selon la volonté de Dieu. La fidélité de ce degré est une fidélité passive, par laquelle on se délaisse pleinement à l’opération de Dieu. Lorsque c’était le temps de se revêtir des vertus et de se remplir des dons célestes, il fallait une fidélité active pour y travailler de toutes ses forces ; mais depuis que le signal du dépouillement est donné, il faut le souffrir par soumission à l’opérer divin.

Mais il est si difficile à la créature de s’y soumettre qu’il n’en est point qui ne lui résiste et qui ne s’en défende autant qu’elle le peut. Et quoique l’on soit convaincu de cette vérité, on manque beaucoup dans la pratique, au-delà même de tout ce qu’on peut s’imaginer. Cependant, plus l’âme résiste, plus elle prolonge ses peines ; en sorte que plusieurs, faute de fidélité, n’arrivent jamais en cette vie à l’anéantissement.

C’est pourquoi il a fallu que des âmes, d’ailleurs d’une sainteté éminente, passassent par le purgatoire pour achever dans l’autre vie une opération à laquelle elles n’ont pu se rendre en celle-ci. Il en est d’autres dont la vie se passe à bâtir et à détruire, ne pouvant point souffrir de vide en eux, et remplissant d’abord par leur propre industrie celui que Dieu voulait y faire. L’on n’acquiert jamais la perfection, parce qu’on la veut toujours acquérir et ne rien perdre. Les Philosophes même le reconnaissent en ce que la génération d’une chose est la corruption de l’autre ; et la vie divine ne se donne jamais à une âme qu’elle n’ait perdu sa vie propre. Mais il n’est presque personne qui s’y rende. Ceux qui auront de l’expérience m’entendront très-bien.

 

v. 15. Vous mangerez des pains sans levain durant sept jours. Dès le premier jour il ne se trouvera point de levain dans vos maisons. Quiconque mangera du pain levé depuis le premier jour jusques au septième périra du milieu d’Israël.

 

Les sept jours signifient sept années, ou un temps assez long, que l’âme passe d’ordinaire à perdre peu-à-peu ses propres inventions, avant que d’entrer dans le désert de la foi nue. Ceux qui durant ce temps de dépouillement conservent propriétairement leurs méthodes sont pour l’ordinaire exterminés d’Israël, c’est-à-dire, ne parviennent jamais à être de ce peuple intérieur parfaitement épuré.

 

v. 23. Le Seigneur passera en frappant les Égyptiens ; lorsqu’il verra ce sang sur le haut de vos portes, sur les deux poteaux, il passera au-dessus des portes de vos maisons, et il ne permettra pas à l’exterminateur d’entrer chez vous et de vous frapper.

 

Il n’y a rien à craindre pour ceux qui sont marqués au sceau et au sang de JÉSUS 23, pour ses fidèles abandonnés, qui ne mettent leur confiance qu’en son sang, et qui par la perte de tout bien propre se trouvent heureusement obligés de désespérer entièrement d’eux-mêmes. Ils sont par-là même plus en assurance que s’ils possédaient toutes choses, parce qu’ils sont marqués de ce sang, et que ce sang fait tout leur mérite. C’est pourquoi dans l’Apocalypse un Ange crie à ceux qui ont ordre de Dieu de frapper de ne point toucher à ses serviteurs qui ont ce sceau sur le front 24.

 

v. 24. Vous garderez inviolablement cette loi, et elle sera éternelle pour vous et pour vos enfants.

26. Et quand vos enfants vous diront : Quel est ce culte religieux ?

27. Vous leur répondrez : C’est la victime du passage du Seigneur, lorsqu’il passa en Égypte par-dessus les maisons des enfants d’Israël, frappant les Égyptiens et délivrant nos maisons. Alors le peuple, se prosternant en terre, adora.

 

Gardez cette loi inviolable pour vous et pour vos enfants : Que veut dire cela, sinon qu’elle ne sera guère entendue que des âmes abandonnées, quoiqu’elle soit la plus juste du monde et qu’elle doive s’observer éternellement. Et lorsque vos enfants vous diront : Quelle manière de glorifier Dieu est celle-là, en perdant tout mérite et tout intérêt propre, pour n’être revêtu que de ceux de Jésus-Christ, en quoi doit consister toute notre espérance ? Vous leur répondrez : C’est le sacrifice pur du Seigneur, qu’il s’est réservé pour lui seul, et la marque du passage de l’âme en lui par la perte de toute propriété. Alors le peuple véritablement intérieur se prosternera, c’est-à-dire, s’y soumettra, et adorera cette loi si juste, qui ôte tout à la créature pour rendre tout à Dieu.

 

v. 40. Les enfants d’Israël demeurèrent dans l’Égypte quatre cent trente ans.

41. Après lesquels ce même jour toute l’armée du Seigneur sortit de l’Égypte.

 

Dès que le temps de la captivité fut accompli, en ce même jour il fallut sortir de cette terre pour commencer le chemin du désert.

 

v. 43. Le Seigneur dit à Moïse et à Aaron : Tel est le culte religieux de la Pâque ; nul étranger n’en mangera.

 

Le culte religieux de la Pâque, qui est l’état de l’âme dans ce passage mystique, est de telle nature qu’il n’est personne de ceux qui ne sont pas pleinement abandonnés qui en puisse manger. Une nourriture si âpre et si difficile, un état si dénué, ne peut être du goût et de la nourriture des étrangers, qui ne sont pas dans la même voie. Aussi ne faut-il pas s’étonner s’ils ne la peuvent goûter ni comprendre ; mais pour le peuple choisi, c’est la viande délicieuse.

 

v. 44. Tout esclave acheté sera circoncis, et après cela il en mangera.

45. L’étranger et le mercenaire n’en mangeront point.

47. Toute l’assemblée des enfants d’Israël fera cette Pâque.

48. Que si quelqu’un des étrangers veut être associé à vous, tout mâle appartenant à lui sera auparavant circoncis, alors il la pourra célébrer.

 

Celui qui aura été acheté par ces âmes choisies au prix de leurs prières, et que Dieu par leur faveur aura rendu semblable à elles, en mangera, mais le mercenaire, qui cherche en quelque chose son propre intérêt, n’en saurait manger, non plus que celui qui négocie encore, et qui espère du gain. Une viande si pure n’est pas pour eux.

Toute l’assemblée des enfants abandonnés célébrera ce sacrifice. Que si un étranger veut se joindre à eux, c’est-à-dire, entrer dans le même état, qu’il retranche auparavant tout ce qu’il retient encore de ses pratiques anciennes ; et alors il sera associé avec eux, et ses enfants mêmes, par ce retranchement, entreront avec eux en société d’état, et mangeront de la même viande du passage du Seigneur.

 

v. 49. Cette même loi se gardera également pour ceux qui seront nés dans le pays et pour les étrangers qui demeureront avec vous.

 

Il n’y aura qu’une même loi pour celui qui est dans cette voie, c’est-à-dire, qui par un rare bonheur y est entré dès son enfance ; et pour celui qui, ayant suivi pendant quelques années une autre route, s’y vient enfin heureusement ranger. L’anéantissement mystique est le passage indispensable et pour l’un et pour l’autre.

 

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CHAPITRE XIII.

 

 

v. 13. Vous rachèterez avec de l’argent tout premier né de vos enfants.

 

TOUTES nos productions appartiennent à Dieu, elles lui sont acquises par titre de création et de rédemption, sans quoi il n’y aurait pour nous que le non-être et la mort. Le prix par lequel les premiers nés sont rachetés exprime bien la dépendance de toutes nos œuvres à l’égard de Dieu, et l’hommage continuel que nous lui en devons rendre, qui est une entière désappropriation, par laquelle nous reconnaissons, comme dit S. Paul, que c’est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons, et que nous sommes 25.

 

v. 17. Le Seigneur ne les conduisit point par le chemin du pays des Philistins, qui est voisin, de peur qu’ils ne se repentissent d’être ainsi sortis, s’ils voyaient s’élever des guerres contre eux, et qu’ils ne s’en retournassent en Égypte.

 

Ceux qui passent par le désert de la foi nue ne souffrent pas de si fortes tentations des Diables ; tant parce qu’ils ont bien d’autres choses à endurer que parce que devant être conduits par une grande perte, si les tentations venaient les attaquer au commencement de cette voie, cela les porterait à reprendre leurs pratiques et à retourner en arrière, à cause que, n’y ayant que si peu de temps qu’ils en seraient sortis, ils n’y seraient pas encore assez affermis.

 

v. 18. Mais il leur fit faire un long circuit par le chemin du désert, qui est près de la mer rouge. Les enfants d’Israël sortirent ainsi en armes de l’Égypte.

 

Lorsqu’ils sont avancés dans le désert, la guerre ne les étonne plus, parce que ce ne sont plus eux qui combattent, mais le Seigneur en eux. Dans les guerres de la voie passive mais lumineuse, on résiste avec force et violence à cause de la grâce lumineuse qui soutient ; mais dans la foi nue il n’en est pas de même, parce que dans cette nudité commençante, l’âme étant encore faible retournerait dans les pratiques de la voie passive en lumière et en amour aperçu et savoureux, où elle se laisserait peut-être vaincre par une émotion qui causerait le péché. Le sage directeur conduisit donc son peuple par le désert de la foi, près de la mer rouge, qui est bien une autre épreuve que la guerre, mais plus sûre, quoique plus longue et plus pénible.

 

v. 21. Le Seigneur marchait devant eux pour leur montrer le chemin, durant le jour en une colonne de nuée, et pendant la nuit en une colonne de feu, afin de leur servir de guide de jour et de nuit.

22. La colonne de nuée durant le jour et la colonne de feu pendant la nuit ne manquèrent jamais devant le peuple.

 

Depuis que l’âme est entrée dans le désert de la foi nue et que par un abandon total elle se laisse conduire à Dieu, il prend lui-même la conduite de cette âme avec un soin si particulier qu’il ne la laisse pas un moment qu’il ne l’ait conduite dans la terre promise, à moins que par infidélité elle ne sorte de cet abandon. Il lui est de jour comme une nuée, afin que le trop de lumière ne l’incommode et ne l’arrête pas ; car l’âme s’amuse facilement aux lumières distinctes ; c’est pourquoi Dieu les lui cache, afin que rien ne l’empêche de marcher. La même nuée sert aussi de rafraîchissement, afin que l’ardeur du Soleil n’incommode pas l’âme mystique, l’amour sensible la rendant pesante et plus paresseuse dans sa course, ainsi que la chaleur de l’été affaiblit le corps. Dieu ôte tout cela, et le renferme dans les sacrées ténèbres de la foi, comme dit S. Denis ; à la saveur de quoi comme d’une nuée l’on peut passer plus doucement le désert. Mais comme dans ce même désert la nuit est aussi fréquente que le jour, et qu’elle y est de plus fort affreuse, Dieu, qui tempère la chaleur du jour, dissipe aussi un peu les ténèbres de la nuit. Cela se passe de la sorte ; et c’est ce qui fait que les âmes persévèrent dans cet effroyable désert. Cette conduite ne manque jamais en faveur des vrais abandonnés.

 

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CHAPITRE XIV.

 

 

v. 10. Lorsque Pharaon était déjà proche, les enfants d’Israël, levant les yeux et apercevant les Égyptiens qui les suivaient, eurent une grande crainte ; ils crièrent au Seigneur.

11. Ils dirent aussi à Moïse : N’y avait-il point de sépulcres en Égypte ? Pourquoi nous avez-vous amenés ici pour mourir dans la solitude ?

 

LES premières épreuves des âmes dans le désert de la foi sont plus dans la peur que dans l’effet. Il est vrai que devant que d’entrer dans la mer rouge, elles sont vivement poursuivies de leurs ennemis, et avec une si étrange force, et dans une conjoncture si extrême, qu’il en est très peu d’assez abandonnées pour ne pas regretter leur première voie. Elles se voient, d’un côté, prêtes de tomber entre les mains de leurs ennemis et, de l’autre, sur le point d’être étouffées dans les eaux de la mer rouge. Dans cette extrémité, comment la mort ne leur paraîtrait-elle pas certaine ? Hélas, disent-elles, notre première servitude n’était-elle pas plus douce que cette mort ? Et puisque nous ne venions au désert que pour y mourir, la mort n’était-elle pas aussi bonne dans l’autre voie que dans celle-ci ?

 

v. 12. Il valait beaucoup mieux que nous fussions les esclaves des Égyptiens que de venir mourir dans ce désert.

13. Moïse répondit au peuple : Ne craignez point, demeurez fermes, et vous verrez les merveilles que le Seigneur doit faire aujourd’hui, car les Égyptiens que vous voyez à présent, vous ne les verrez plus jamais.

 

Non, non, chères âmes, ne craignez point ; la mort, je l’avoue, est inévitable en apparence ; vous ne pouvez vous-mêmes vous en délivrer, vos propres forces vous ayant été arrachées ; vous ne trouverez du secours en aucune créature, mais Dieu seul saura bien vous faire un chemin au travers d’une mer si affreuse. Donnez-vous seulement de garde de sortir de votre abandon. L’extrême détresse de l’âme ainsi poursuivie de toutes parts ne lui laisse plus lieu de se souvenir des miracles que Dieu a faits en sa faveur ; tout est obscurci chez elle ; elle ne voit que la mort prochaine ; et c’est alors qu’un Moïse est bien nécessaire pour aider à passer ce trajet si dangereux ; les angoisses sont au-delà de tout ce qu’on en peut dire ; et tout est peint de l’image et de l’ombre de la mort.

Ô fidélité, que tu es nécessaire dans un si rude passage ! Courage, chères âmes ; vous ne verrez plus les ennemis que vous voyez à l’entrée de la mer rouge lorsqu’elle sera passée ; mais suivez, je vous en conjure, dans cette occasion si pressante le conseil de Moïse, le directeur véritable dans cette voie, qui est que vous demeuriez immobiles comme des rochers, de même que si la chose ne vous regardait pas ; et que vous vous donniez bien de garde de vous remuer tant soit peu sous quelque bon prétexte que ce soit.

 

v. 14. Le Seigneur combattra pour vous, et vous demeurerez dans le silence.

 

C’est au Seigneur à combattre pour vous, et à vous à demeurer en repos. Bien du monde échoue en cet endroit, ce qui est la cause qu’ils ne passent point outre ; et n’ayant pas le courage de passer la mer rouge, ni de demeurer constamment exposés à tout ce que Dieu ordonnera, ils s’arrêtent là et n’avancent jamais. Ô qu’il faut qu’un directeur ait de charité et de patience après ces personnes pour souffrir toutes les plaintes que la crainte de leur perte arrache de leur bouche !

 

v. 15. Le Seigneur dit à Moïse : Pourquoi criez-vous à moi ? Dites aux enfants d’Israël qu’ils marchent.

 

Dieu ne fait jamais plus éclater son pouvoir et sa bonté que dans l’extrémité du besoin. Dans ce passage si horrible il ne faut que du courage et de l’abandon ; et cette mer si profonde, qui doit engloutir tous les autres, se trouvera séchée pour les vrais abandonnés, qui trouvent la vie où les autres trouvent la mort ; il n’y a qu’à marcher dans cette voie sans s’arrêter, franchissant courageusement tous les périls qui s’y rencontrent.

 

v. 16. Et vous, élevez votre verge et étendez votre main sur la mer, et la divisez, afin que les enfants d’Israël marchent à sec au milieu de la mer.

 

II faut que la division soit faite pour pouvoir passer à pied sec ; il est nécessaire que l’esprit soit séparé du sens, et c’est ici que la division s’en fait, après laquelle l’âme marche dans un abandon aveugle et passe heureusement la mer ; l’écueil de tous les autres est le port assuré pour elle.

 

v. 19. Alors l’Ange de Dieu, qui marchait devant le camp des Israélites, alla derrière eux ; et en même temps la colonne de nuée, qui était à la tête du peuple,

20. Se mit derrière, entre le camp des Égyptiens et le camp d’Israël ; et la nuée d’un côté était ténébreuse et de l’autre elle éclairait la nuit, en sorte que les deux armées ne purent s’approcher de toute la nuit.

 

On ne peut assez admirer la grandeur de la foi par laquelle Dieu veut que ces âmes marchent en entrant dans cette mer, et combien elle doit être dénuée de tout soutien. Quel appui restait-il à ces pauvres âmes abandonnées et errantes dans ce désert, sinon la conduite de Dieu, qui marchait devant eux le jour et la nuit ? Cependant, il faut qu’il leur soit encore ôté de devant les yeux, et que dans ce moment elles perdent tout secours divin aperçu ; et c’est là la disposition pour entrer dans la mer sans assurance ni autre soutien que la perte même. Quoiqu’ils semblent n’avoir rien de Dieu qui leur soit connu, il est pourtant certain qu’il ne les protégea jamais davantage.

Il se met entre eux et leurs ennemis pour être leur plus sûre défense. Cela veut dire qu’alors Dieu ôte tout pouvoir à Satan sur ces âmes ; et toutes les épreuves qui leur viennent ensuite ne sont plus de ces ennemis, mais de la nature, ou de Dieu même, ainsi qu’il sera remarqué en son lieu.

 

v. 21. Moïse étendit sa main sur la mer, et le Seigneur l’entrouvrit en faisant souffler un vent violent et brûlant pendant toute la nuit ; la mer se sécha, et les eaux se divisèrent.

22. Et les enfants d’Israël marchèrent à pied sec au milieu de la mer, et l’eau leur servait comme de muraille à droite et à gauche.

 

Après que le S. Esprit a fait par sa chaleur la division de ces deux parties, la spirituelle et l’animale, les eaux, qui étouffent tout le monde, servent comme de muraille et de rempart à son peuple choisi ; et par ces mêmes eaux qui naturellement causent la mort, il est mis à l’abri de tous côtés et garanti de toutes sortes d’attaques. Mais remarquez une chose : que Moïse peut bien étendre la main pour donner le signal de la division des deux parties, mais cette division ne s’opère par aucun moyen humain ; cela est réservé au S. Esprit, dont le souffle brûlant sèche ces eaux dans le désert de la foi et durant la nuit la plus obscure. Par l’ardeur de ce vent dévorant, il met la mer à sec, parce que la division de l’esprit d’avec le sens, et même de l’esprit d’avec l’âme, ne se peut faire que lorsque l’âme est réduite au dernier épuisement et à la plus extrême sécheresse par la perte de ses actes intérieurs aperçus et de tout ce qu’il y avait de savoureux et de fort dans ses puissances ; ce tarissement universel faisant tout recouler dans le centre, où tout est caché dans l’abîme mystique.

 

v. 23. Les Égyptiens, les poursuivant, entrèrent après eux au milieu de la mer, et toute la cavalerie de Pharaon, avec tous ses chariots et ses chevaux.

27. Lorsque les Égyptiens voulurent s’enfuir, les eaux vinrent au-devant d’eux, et le Seigneur les enveloppa au milieu des flots.

 

Il pourrait arriver que des âmes encore vivantes en elles-mêmes croiraient pouvoir passer à sec cette mer rouge, mais elles y seraient prises et se trouveraient enveloppées dans les flots. Le signal pour la passer se connaît lorsque la direction étend son bras pour en donner l’ordre ou pour assurer de la vocation divine, et que le Seigneur a tellement desséché l’âme qu’il a réduit tout à néant dans elle ; ou bien lorsqu’il la fait passer lui-même d’autorité absolue au défaut de la direction, l’âme ayant pleinement consenti à tout ce qu’il voudrait faire d’elle, soit qu’il lui fût connu ou inconnu.

 

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CHAPITRE XV.

 

 

v. 1. Chantons au Seigneur, parce qu’il a fait éclater la grandeur de sa gloire. Il a précipité dans la mer le cheval et le cavalier.

 

C’EST véritablement au sortir de la mer rouge que l’âme est en état de chanter au Seigneur un cantique d’actions de grâces, mais un cantique nouveau et un cantique de pureté, qui le chante en présence de l’Agneau, criant à haute voix : C’est à notre Dieu, qui est assis sur le trône, et à l’Agneau qu’est due la gloire de nous avoir sauvés 26. C’est alors que les fidèles abandonnés connaissent le bonheur de leur délivrance ; car jusques à ce temps-là, quoiqu’ils eussent vu quantité de prodiges d’une providence extraordinaire, ils n’avaient pas encore les yeux assez ouverts pour voir toutes ces merveilles en Dieu même, et ils n’étaient pas en état de chanter ce cantique nouveau ; aussi ne leur avait-il pas encore été inspiré. Alors ils savent attribuer tout à Dieu, et lui rendre fidèlement toute la gloire de ce qu’il a fait en leur saveur.

 

v. 2. Le Seigneur est ma force et ma louange, et il s’est rendu mon salut. C’est lui qui est mon Dieu, et je publierai sa gloire ; c’est le Dieu de mon père, et je relèverai sa grandeur.

 

L’âme qui a été assez fidèle pour s’abandonner à Dieu sans bornes et sans réserve connaît, au sortir de cet heureux naufrage, que c’est en Dieu qu’est toute sa force, et non dans les appuis créés ni dans elle-même. Elle retrouve en Dieu tout ce qu’elle croyait avoir perdu ; et ravie d’admiration, elle s’écrie ; j’ai perdu toute force propre, et c’est par cela même que j’ai trouvé que Dieu était toute ma force. J’ai perdu tout pouvoir de le louer ; et il est devenu lui-même ma louange. J’ai risqué et perdu mon salut en tant que sondé sur quelque bien possible, envisagé dans la créature ; et c’est pour cela qu’il s’est fait lui-même mon salut. Ô c’est à présent que je puis dire qu’il est mon Dieu et que je l’honore en Dieu. Maintenant je connais qu’il est de la sorte  le Dieu de mon père ; c’est pourquoi je le glorifierai par lui-même, et ce sera en lui-même que je relèverai sa grandeur.

 

v. 11. Qui d’entre les forts est semblable à vous, ô Seigneur ? Qui vous est semblable, à vous qui êtes tout éclatant de sainteté, terrible, et digne de toute louange, et qui faites des prodiges ?

 

Cette amante mieux instruite n’estime plus tant la force et la sainteté des autres âmes fortes et saintes ; parce qu’elles ne sont pas fortes et saintes en Dieu. Aussi dit-elle : Que l’on voie entre ces forts et prudents s’il y a une force pareille à celle qui est en Dieu seul ? Quelle est la sainteté qui puisse être comparée à la magnificence de celle qui est toute réunie en Dieu ? Y a-t-il rien qui mérite louange, sinon ce que Dieu fait ?

 

v. 13. Vous avez conduit dans votre miséricorde le peuple que vous avez racheté ; et vous l’avez porté par votre force jusqu’au lieu de votre demeure sainte.

 

Cette âme se voyant délivrée des dangers pressants où son abandon l’avait exposée, elle assure que ce n’a été que par la bonté de Dieu, et que c’est lui qui par sa miséricorde conduit son peuple intérieur. Ce qui paraît dans un temps une rigoureuse justice de Dieu exercée sur ses serviteurs se voit ensuite être une grande miséricorde. Ce peuple paraissait vendu au péché, mais vous l’avez, ô Seigneur, racheté ; vous l’avez porté par votre force en vous-même, qui est votre sainte demeure.

 

v. 17. Vous les introduirez, ô Seigneur, et vous les établirez sur la montagne de votre héritage, sur cette demeure très-ferme que vous vous êtes préparée vous-même, dans votre sanctuaire, ô Seigneur, que vous vous êtes formé de vos propres mains.

 

Ce verset fait bien voir qu’il est parlé de l’état de confirmation en Dieu, ou de l’immobilité représentée par la montagne de l’héritage, car autre est l’héritage, autre est la montagne de l’héritage. Arriver en l’héritage, c’est arriver en Dieu ; mais être sur la montagne, c’est être établi en Dieu. C’est pourquoi il est dit : Vous les introduirez, ce qui exprime l’entrée de l’état ; puis, vous les établirez, ce qui est la confirmation dans l’état, confirmation qui est bien représentée par la confirmation dans l’état Chrétien qui se donne après le baptême, et qui est la réception du S. Esprit, ainsi que les Apôtres, l’ayant reçu avec plénitude, furent confirmés en grâce 27. C’est pourquoi l’Écriture appelle cette montagne une demeure très-ferme, parce que c’est alors un lieu fixé et permanent pour l’âme qui y est arrivée ; mais c’est une demeure que Dieu seul a faite ; un sanctuaire que ses mains ont établi, sans la participation d’aucune créature.

 

v. 18. Le Seigneur régnera éternellement, et au-delà.

 

Comment Dieu peut-il régner plus que l’éternité ? Ce mot, au-delà, s’entend qu’encore que son règne sur ses âmes, qui lui sont si parfaitement acquises, soit éternel et invariable pour jamais, toutefois il se peut toujours augmenter, de même que leur anéantissement et leur étendue se peuvent toujours accroître par l’extension la plus grande qui s’en peut faire.

 

v. 22. Moïse ayant fait partir les Israélites de la mer rouge, ils entrèrent dans le désert de Sur ; et après avoir marché trois jours dans la solitude, ils ne trouvèrent point d’eau.

 

Ce n’est pas sans raison que Moïse prie Dieu de confirmer son peuple dans un état où il a besoin de toute la fermeté possible pour passer ce qui reste du chemin intérieur, beaucoup plus effrayant que tout ce qui s’est vu jusqu’ici. Mais hélas ! la fin de cet état est encore bien loin, et peut-être n’y arriveront-ils jamais. Dès que l’on a passé la mer rouge, on croit durant longtemps être à bout de toutes les misères ; parce qu’ayant reçu une vie nouvelle et jouissant d’un bonheur ineffable, il semble que tout soit fait ; mais c’est faute de considérer qu’ayant trouvé Dieu, ce n’est pas encore pour en jouir et le posséder, mais pour se laisser posséder à lui-même. Cet état demande une grande pureté d’amour ; aussi est-ce une chose étonnante que de tant de personnes qui ont assez de courage pour passer la mer rouge, il s’en trouve si peu qui en aient assez pour passer ce qui suit, comme on le verra ; parce qu’il faut être affranchi de tout intérêt actif et passif, et ne rien reprendre de ce que l’on a quitté.

Pour mieux faire entendre ceci, il faut savoir que dans tous les états de la vie intérieure, il y a le sacrifice, l’abandon et le délaissement, propres à chaque état.

Dans la passiveté de lumière et d’amour savoureux, l’âme y entre par le sacrifice qu’elle fait elle-même à son Dieu ; ensuite elle s’abandonne à lui ; puis elle se délaisse à lui-même, mais pour cet état seulement, selon la capacité et la vue qui lui est alors donnée.

Ce délaissement de l’état passif étant arrivé à la perfection, elle en sort pour entrer dans l’état mystique, ou de foi nue. Dès l’entrée de cet état, elle se trouve si différente de l’autre qu’elle se voit obligée de faire un nouveau sacrifice ; après s’être ainsi nouvellement sacrifiée, elle s’abandonne aussi à Dieu pour toute l’étendue de ce sacrifice ; puis, elle se délaisse, jusques à ce qu’elle arrive au bout de ce même état.

Dans l’état de perte en Dieu, ou de vie divine, il faut un nouveau sacrifice, et plus grand et plus étendu que les autres qui ont précédé ; mais l’âme se trouvant impuissante de le faire, à cause qu’étant toute fondue en Dieu il ne lui reste plus aucun mouvement d’elle-même ni rien qui lui soit propre, elle voit seulement qu’on la sacrifie et que le souverain Sacrificateur, à qui elle s’est tant de fois sacrifiée et redonnée, l’immole lui-même à toutes ses volontés ; elle se trouve aussi ensuite abandonnée pour ce sacrifice ; et enfin, elle y est délaissée.

Lorsque ce délaissement est consommé, l’âme est mise dans l’état de pure enfance ; car lorsqu’elle entre en Dieu, elle est bien mise dans l’état d’innocence, mais non encore dans l’état d’enfance pure et connue ; pendant que l’homme croît, il sort toujours plus de l’enfance ; au contraire, lorsqu’il s’approche le plus de sa perfection intérieure, il revient toujours plus dans l’enfance, et dans la plus petite enfance, jusques à renaître de nouveau 28.

Or je dis que dans tous ces états il est des personnes qui font bien le sacrifice et l’abandon ; mais peu, et moins que l’on ne peut dire, se délaissent ; et tels se délaissent pour un degré qui ne se délaissent pas pour un autre. C’est ce qui fait que de tant de personnes qui s’adonnent à la vie intérieure, il en est très-peu qui arrivent à leur origine, parce que la plupart se reprennent après s’être donnés, ou se retiennent toujours en quelque chose.

Ceci supposé, je dis qu’il y a après la mer rouge un désert encore plus étrange à passer que tout ce qui s’est vu ; parce que la mer rouge s’est passée par sacrifice et par abandon, qui sont des actions promptes et des efforts de courage où l’âme a beaucoup de part ; mais la longueur du délaissement sera désormais si ennuyante, que la plupart s’en lasseront. Cependant l’âme n’a plus ici nulle possession pour elle, quoiqu’elle soit pleine de Dieu ; c’est pourquoi rien ne la satisfait, et elle se trouve dans un vaste désert sans eau ; elle croit mourir de soif, parce que, la division des deux parties étant faite, il ne tombe plus rien des eaux de la supérieure sur l’inférieure, et cela est très-pénible pour la nature.

 

v. 23. Ils arrivèrent à Mara, et ils ne pouvaient boire des eaux de ce lieu, parce qu’elles étaient amères.

24. Alors le peuple murmura contre Moïse, disant : Que boirons-nous ?

 

S’il coule quelque eau du plus haut de l’âme, elle est si amère que la partie sensible n’en peut boire, et elle meurt d’angoisse. La nature donc ainsi délaissée à elle-même tombe dans des rages et des désespoirs si extrêmes qu’elle se laisse aller à des murmures, ce qu’elle ne faisait pas auparavant ; c’est pourquoi la volonté n’y a point de part ; et il est certain que plusieurs ne pèchent point dans ces emportements, tant à cause qu’ils se font dans la nature animale, et non dans l’esprit, qui est caché et protégé en Dieu, que parce que c’est Dieu même qui les livre à ces faiblesses en suite de leur abandon.

Il est néanmoins à craindre que la nature n’attire enfin l’esprit après elle et ne fasse parler la Volonté ; ce qui ne peut arriver qu’en sortant de l’abandon et qui n’arrivera jamais dans le délaissement. La raison en est que tant que cette volonté demeure unie à celle de Dieu et séparée de tout ce qui se passe dans le bas de la nature, elle ne peut y prendre aucune part, ni par conséquent pécher. Or par le délaissement, la volonté de la créature demeure toujours unie à celle de Dieu, dont elle ne peut sortir qu’en se reprenant et sortant de l’abandon.

 

v. 25. Moïse cria au Seigneur, qui lui montra un bois qu’il jeta dans les eaux, et aussitôt elles devinrent douces.

 

Le bois de la croix, envisagé ou jeté dans les amertumes, a le pouvoir de les adoucir, parce qu’en Jésus-Christ la croix a été glorifiée et rendue moins rude ; et Dieu, pour soulager ces âmes dans cet horrible désert, leur donne un peu de la douceur de la croix. Ceci sera difficile à entendre à qui n’en aura pas l’expérience.

Il faut donc savoir que l’état de rien dans le désert de la foi, où l’âme n’a ni peine ni plaisir, est quelque chose de si difficile à porter que pour soulager l’âme il lui faut quelque souffrance, l’amour-propre étant si envieux de posséder qu’il aime mieux souffrir que de n’avoir rien, et souffrir un mal bien douloureux que de ne sentir ni bien ni mal. Ceux qui en sont ici avoueront que je dis la vérité ; des personnes mêmes moins avancées le savent par leur expérience. Il n’y a rien de si affreux que le néant ; et pourvu que l’on subsiste en quelque chose, fût-ce dans les plus horribles peines, l’on est content.

C’est là la seule douceur que Dieu donne aux âmes de ce degré, et par la souffrance même il les abreuve de quelque consolation.

 

v. 25. Là le Seigneur éprouva son peuple,

26. Et il lui dit : Si vous gardez mes préceptes, je ne vous frapperai point de toutes les langueurs dont j’ai frappé l’Égypte, parce que je suis le Seigneur qui vous guérit.

27. Les enfants d’Israël vinrent ensuite en Élim, où il y avait douze fontaines et soixante et dix palmiers ; ils campèrent auprès des eaux.

 

Dieu éprouva lui-même son peuple pour voir sa fidélité, leur promettant de ne les frapper d’aucune des plaies dont il avait frappé l’Égypte, qui étaient des plaies des pécheurs ; quoiqu’il doive encore l’exercer par beaucoup de travaux et d’afflictions, qui sont ordinaires aux justes, mais dont le Seigneur les guérit, les convertissant toutes en amour et en couronnes pour l’éternité.

Il les fit aller ensuite dans un lieu de rafraîchissement, où il y avait des fontaines et des palmiers. Comme c’est le propre de Dieu de donner quelque relâche après l’épreuve de la croix, l’âme qui n’est pas assez expérimentée dans ses voies croit avoir déjà obtenu la victoire ; mais elle ne voit pas que c’est le Seigneur qui l’éprouve seulement, pour faire voir que dans cet état les Démons n’y ont plus que faire, ayant été engloutis pour jamais dans la mer rouge. Il y a douze fontaines, afin que chaque tribu ait sa source pour se rafraîchir ; mais comme ces douze tribus ne sont qu’un peuple intérieur, aussi ces douze fontaines ne sont qu’une seule source en Jésus-Christ.

 

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CHAPITRE XVI.

 

 

v. 2. Dans ce désert de Sin tous les enfants d’Israël murmurèrent contre Moïse et Aaron.

 

COMBIEN est grande la faiblesse d’une nature laissée à elle-même et séparée de l’esprit ? Ses folies sont incroyables. C’est pourquoi il faut que les directeurs aient une patience extrême à les supporter. Une horrible infidélité empêche ces âmes de demeurer dans le délaissement ; elles ne peuvent porter cette si extrême nudité ; elles s’en prennent à leurs directeurs, regrettant la bonne chère qu’elles faisaient dans l’état de passiveté de lumière et de la douceur des affections, où sous prétexte de ferveur elles étaient nourries d’une manière encore fort sensuelle.

 

v. 3. Plût à Dieu que nous fussions morts en Égypte par la main du Seigneur, lorsque nous étions assis auprès des marmites de viande et quand nous pouvions-nous rassasier de pain ! Pourquoi nous avez-vous amenés dans ce désert pour faire mourir tout le peuple ?

 

Peuple de chair, que vous avez de peine à devenir esprit et vous contenter de la foi nue ! Souvent ces personnes sortent de l’abandon pour quelques moments, et souvent aussi leur volonté n’a point de part à ces extravagances ; c’est la seule nature qui, destituée de son esprit, se plaint comme une bête brute. Le directeur discerne aisément cet état lorsqu’il est éclairé.

Plusieurs d’entre ceux qui y entrent, et presque tous, sont si aveugles qu’ils regrettent de n’être pas morts dans le temps de leur abondance, croyant qu’en ce temps-là leur salut aurait été plus assuré. Ce mot d’être assis signifie le repos qu’ils prenaient dans leurs lumières et dans leurs douceurs.

 

v. 4. Le Seigneur dit à Moïse : Je vous ferai pleuvoir du pain du Ciel ; que le peuple en aille amasser ce qui suffira pour chaque jour, afin que j’éprouve s’il marche dans ma loi ou non.

 

Ô bonté de mon Dieu, vous récompensez de la manne toute céleste le murmure de ce peuple ! Cette récompense même, ou cette nourriture que Dieu leur donne nonobstant leur murmure fait assez voir que la volonté n’y avait point de part. Ô directeurs qui avez en votre charge des personnes de cette sorte, ayez-en compassion, car elles en sont bien dignes ; traitez-les comme Dieu les traite, et surtout ne leur ôtez point la sainte Eucharistie. Plus vous les voyez faibles, plus vous la leur devez donner, pour les nourrir et les fortifier, cette force divine leur étant très-nécessaire. Ne voyez-vous pas comment Dieu veut qu’ils la reçoivent tous les jours, tant que durera leur besoin, afin, dit-il, que j’éprouve s’ils marchent dans ma loi ou non ? Dieu ne veut point d’autre épreuve de ces âmes fidèles, dans le temps de leurs plus extrêmes délaissements, que la réception d’un si grand bien. Il est vrai qu’elles sont souvent tentées de s’éloigner de la Sainte table, à cause de leurs misères ; mais qu’elles ne le fassent pas, si ce n’est par obéissance. Dieu veut les éprouver, et voir si elles seront fidèles à le recevoir chaque jour. C’est par là qu’il éprouve leur obéissance, et c’est la pierre de touche pour connaître si cet état est de grâce, savoir, lorsqu’elles obéissent malgré les répugnances de la nature, et qu’elles sont fidèles à dire leurs répugnances à la personne qui les conduit.

 

v. 5. Mais au sixième jour ils en réserveront pour garder chez eux, et ils en recueilleront deux fois autant qu’un autre jour.

 

Il vient certains jours de repos auxquels l’âme est empêchée par Dieu même de recueillir cette manne, la provision étant faite ; mais il faut que cet état passe comme le reste ; et la même providence, qui l’a amené pour quelques heures, l’enlève pour lui faire succéder le travail et la réfection ordinaire. Cependant cette âme ne laisse pas de vivre de sa manne cachée, et d’en recevoir même une double grâce, ce repos en Dieu lui en donnant plus que son travail.

 

v. 7. Demain matin vous verrez éclater la gloire du Seigneur, parce qu’il a ouï votre murmure qui s’est fait contre lui.

13. Le soir il vint un grand nombre de cailles, qui couvrait tout le camp, et le matin il tomba une rosée tout autour du camp ;

14. Et l’on vit paraître quelque chose de menu, et comme pilé au mortier, qui ressemblait à la bruine gelée sur la terre.

 

La patience de Dieu, si admirable envers ces âmes, apprend bien aux directeurs combien ils en doivent avoir pour elles. C’est une marque assurée de l’avancement d’une personne 29 que de ne s’étonner ni ne se fâcher de semblables faiblesses, et d’en juger selon la vérité ; au lieu que d’autres non éclairés les chargent de reproches et les accablent de pénitences, et que leur faisant enfin tout quitter, ils mettent un obstacle invincible à leur perfection.

 

v. 16. Voici ce que le Seigneur ordonne : Que chacun en ramasse autant qu’il lui en faut pour manger, un Homer pour chaque personne.

17. Les enfants d’Israël firent ce qui leur avait été commandé ; et ils en amassèrent les uns plus, et les autres moins.

18. Et l’ayant mesuré à la mesure du Homer, celui qui en avait plus recueilli n’en avait pas davantage ; et celui qui en avait moins ramassé n’en avait pas moins ; mais il se trouva que chacun en avait amassé selon qu’il en pouvait manger.

 

Ô figure admirable de l’Eucharistie ! Si l’on veut vous expliquer davantage, on vous obscurcira en quelque manière. Qui ne voit ici le miracle ineffable par lequel celui qui n’en reçoit qu’une petite espèce n’a pas moins de la réalité du Sacrement que celui qui le reçoit sous une plus grande ; et celui qui en prend une plus grande partie n’en a pas davantage que celui qui communie sous la moindre, chacun n’en recevant ni plus ni moins qu’il en peut manger, à savoir Jésus-Christ tout entier, tout sous la plus petite, comme sous la plus grande espèce ; parce que dans ce Sacrement adorable, ô Seigneur, vous vous donnez tout à tous !

C’est aussi la figure de l’état divin, où tous en ont la plénitude, chacun néanmoins selon sa capacité ; et un petit est plein comme un grand ; quoique celle du grand soit plus étendue que celle du petit, il tient plus Dieu ; mais c’est le même Dieu qui est tout en tous, et tout en chacun d’eux, et qui peut seul faire leur plénitude et leur vrai rassasiement.

 

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CHAPITRE XVII.

 

 

v. 5. Le Seigneur dit à Moïse : Allez jusqu’à la pierre d’Horeb.

6. Je serai là présent moi-même devant vous ; vous frapperez la pierre, il en sortira de l’eau, afin que le peuple boive. Moïse fit devant les Anciens d’Israël ce que le Seigneur lui avait ordonné.

 

L’AMOUR-propre paraît ici par la peine de la soif qu’il faut souffrir en ce chemin. Ce peuple si choisi et si chéri murmure contre Dieu ; mais Dieu par une bonté infinie ne se lasse point de faire des miracles en sa faveur. La pierre donne les eaux de la grâce pour les soulager ; et Dieu se tient dessus cette pierre, parce qu’il est la source de cette grâce. L’on a bien de la peine à se délaisser pleinement dans le sacrifice pur ; et où en trouvera-t-on qui ne se reprennent de temps à autre ? Cependant Dieu fait sortir l’eau du rocher, pour preuve de l’immobilité de ses bontés envers les personnes mêmes qui lui sont quelquefois infidèles.

 

v. 7. Il appela ce lieu-là Tentation, à cause du murmure des enfants d’Israël, qui tentèrent là le Seigneur, en disant : Le Seigneur est-il au milieu de nous ou non ?

 

Moïse donne un véritable nom à la faute de ce peuple, l’appelant Tentation ; parce qu’ils disaient : Nous verrons si le Seigneur est avec nous, ou s’il n’y est pas. On ne peut s’empêcher de vouloir des témoignages, particulièrement lorsqu’on a été conduit par cette voie. C’est ce qui fait que pour l’ordinaire on ne sait que faire et défaire, ne pouvant se laisser dénuer entièrement ; cela rend le désert si long ; et c’est la cause que presque tous meurent en chemin avant que d’arriver à la terre promise.

 

v. 8. Amalec vint combattre contre Israël.

11. Lorsque Moïse élevait les mains en haut, Israël était victorieux ; mais lorsqu’il les abaissait un peu, Amalec avait l’avantage.

12. Ils mirent une pierre sous Moïse, sur laquelle il se tenait assis ; et Aaron et Hur lui soutenaient les mains, l’un d’un côté, et l’autre de l’autre.

 

Les persécutions sont inévitables dans tous les états. Les créatures font la guerre à ce peuple et le veulent détruire ; mais lorsque Moïse lève les mains, c’est-à-dire pendant que l’on est fidèle à demeurer élevé à Dieu par l’abandon et par la foi et que l’on est ferme à ne regarder que Dieu, quelques ennemis que l’on puisse avoir, on en remporte aisément la victoire ; et lorsque Moïse baisse les mains, c’est-à-dire pendant que l’on retombe en soi-même par la réflexion, on est d’abord vaincu ; la créature, se trouvant plongée dans sa faiblesse, est entortillée dans ses vains retours dès qu’elle consent à se regarder soi-même. C’est l’infidélité de cet état. Dès lors on entre dans le doute et dans l’hésitation, dans la peine et dans le trouble, qui mettent tout en déroute, et qui font qu’Amalec (qui désigne la nature et l’amour-propre, les seuls ennemis qui restent en ce degré) a d’abord l’avantage.

Pour éviter ce désordre, il n’y a qu’à demeurer assis sur la pierre, se tenir ferme dans le délaissement et demeurer dans le repos de l’abandon, pendant que la foi et la confiance, comme des mains élevées vers Dieu, soutiennent l’âme dans son délaissement.

 

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CHAPITRE XVIII.

 

 

v. 19. Jethro dit à Moïse : Servez le peuple en ce qui regarde Dieu.

20. Et apprenez-lui la voie par laquelle il doit marcher et ce qu’il doit faire.

21. Et choisissez des hommes fermes et qui craignent Dieu.

22. Qui seront occupés à rendre la justice en tout temps.

 

CE conseil de Jethro est excellent pour les directeurs ; et ils doivent ici apprendre deux règles importantes de leur conduite ; l’une de Jethro ; l’autre de Moïse. De Jethro, que leur affaire n’est pas de se mêler du temporel des âmes qu’ils conduisent, mais seulement de soigner à ce qui regarde la gloire de Dieu en elles et leur perfection, se déchargeant du temporel sur d’autres, lorsqu’on voudrait le leur confier, tant pour n’être pas surchargés de ce fardeau, qui leur déroberait le temps qu’ils devaient employer à des choses de conséquence et éternelles, que parce que Dieu ne demandant pas cela d’eux, ils ne doivent pas s’y ingérer. De Moïse, qu’ils apprennent par son humble acquiescement aux sages avis de son beau-père que, quoique Moïse fut si plein de l’esprit de Dieu et que Jethro ne fut pas même de son peuple, il faut recevoir la vérité et les bons conseils de quelque autre part qu’ils viennent, Dieu aimant souvent à les faire donner par des personnes beaucoup inférieures en dignité et en grâce, pour humilier par-là les plus grands directeurs, et faire comprendre que c’est lui seul qui est l’auteur de toute bonne lumière.

 

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CHAPITRE XIX.

 

 

v. 3. Moïse monta à Dieu ; et le Seigneur l’appela de la montagne et lui dit : Voici ce que vous direz à la maison de Jacob et ce que vous annoncerez aux enfants d’Israël.

 

LA providence de Dieu donne toujours un directeur aux personnes qu’il conduit en foi, afin qu’il leur déclare les volontés du Seigneur. Aussi faut-il qu’ils aient une obéissance aveugle pour se laisser conduire ; car, ne pouvant s’arrêter à nulle chose qui leur soit donnée hors de la direction et de la providence, il est nécessaire qu’ils fassent à l’aveugle ce que le directeur éclairé leur enseigne, Dieu leur donnant pour l’ordinaire un guide fidèle pour les conduire sûrement dans le désert ténébreux de la foi.

 

v. 5. Si donc vous écoutez ma voix et si vous gardez mon alliance, vous serez celui de tous les peuples qui me sera singulièrement acquis, car toute la terre est à moi.

 

Ceci exprime très-bien comment, quoique tous les peuples soient à Dieu, toutefois le peuple intérieur est à lui d’une façon toute particulière. Dieu dit que ce peuple intérieur lui appartiendra en propre et lui sera singulièrement acquis. Cela signifie que s’il se laisse bien anéantir, il deviendra tellement propre et acquis à Dieu que nul autre que lui n’y aura aucune part ; nulle autre voie que celle-ci ne peut avoir cet avantage. Aussi Dieu, dit-il qu’il lui sera choisi d’entre tous les peuples. Qui dit tout n’excepte rien.

Or ce que Dieu demande de ce peuple si cher pour arriver à un état si sublime est seulement qu’il lui obéisse et qu’il demeure dans le délaissement. Ce mot, gardez mon alliance, est comme qui dirait : Demeurez dans mon union.

 

v. 6. Vous me ferez un royaume Sacerdotal et une nation sainte. Voilà ce que vous direz aux enfants d’Israël.

 

Le royaume marque, même selon la lettre, le pouvoir absolu que Dieu a sur les âmes abandonnées qui ne lui résistent plus en rien. Il est si souverainement maître chez elles que l’on ne peut pas l’être plus. Il n’en est pas de même des autres qui se possèdent, à cause qu’étant libres de leur propre liberté et pleines de volontés propres, elles veulent mille bonnes choses que Dieu ne voudrait pas et qu’il n’accorde qu’à leur faiblesse ; mais il règne en souverain sur ceux qui n’ont plus de volonté. C’est pourquoi lorsqu’il apprenait à ses disciples à prier et qu’il leur disait de demander que son règne vînt 30, c’est-à-dire qu’il régnât absolument sur eux, il y ajoute : Et que sa volonté fût faite sur la terre comme dans le ciel, comme si par-là ils eussent voulu dire : Lorsque cela sera, Seigneur, votre volonté se fera sur la terre comme les bienheureux la font dans le ciel, sans résistance, sans hésitation, sans exception et sans délai. Pour cette raison, dans l’Évangile, ces deux demandes sont comprises dans un même verset.

Le Seigneur ajoute à Moïse que son peuple lui sera un royaume sacerdotal, parce que ce royaume est fait de Sacrificateurs et d’Apôtres. De plus, que ce lui sera une nation vraiment sainte, à cause que toute la malignité de l’homme étant détruite en elle, il n’y restera plus que la sainteté de Dieu. Alors elle sera sainte pour Dieu, et non pour elle-même ; aussi Dieu ne dit-il pas simplement : Vous serez une nation sainte, mais : Vous me serez une nation sainte. Et voilà, ajoute-t-il à ces directeurs, ce que vous devez dire à mes chers abandonnés.

 

v. 8. Tout le peuple répondit comme d’une voix : Nous ferons tout ce que le Seigneur a ordonné.

 

Ce consentement, que tout le peuple donne si unanimement, exprime le don et le sacrifice que les âmes font d’elles-mêmes pour les voies qu’on leur propose. Dieu est si bon qu’il en use toujours de la sorte envers ceux qu’il veut faire entrer dans les voies d’obscurité et de croix ; il les leur propose auparavant, et il demande leur consentement. Car quoiqu’il soit le dominateur souverain, il nous gouverne avec une grande réserve 31, comme s’il respectait notre liberté. Mais hélas ! qu’il est rare d’en trouver qui se délaissent pleinement lorsque l’état est venu ! Presque tous oublient alors leur consentement et leur sacrifice. Il arrive aussi que la ferveur et la promptitude avec laquelle ces personnes font leur sacrifice sont cause qu’ils oublient leurs faiblesses et leurs misères et qu’ils répondent comme ce peuple : Nous ferons tout ; mais s’ils considéraient alors et leur impuissance et leur abandon, ils verraient que celle-là leur persuadant qu’ils ne peuvent rien par eux-mêmes et que par celui-ci ils se sont dépouillés de toute volonté pour se laisser entièrement à Dieu, ils devraient plutôt dire : « Que le Seigneur nous fasse tout faire, et nous serons tout, car notre fidélité est en lui, comme tout le reste ; et de nous-mêmes, nous ne sommes que faiblesse et que péché. » Cette constance et cet appui en soi-même, étant une secrète présomption, est toujours suivie de quelque chute, ou grande ou petite, selon qu’elle est plus ou moins étendue.

 

v. 9. Le Seigneur dit à Moïse : Je vais venir à vous dans l’obscurité d’une nuée, afin que le peuple m’entende lorsque je parlerai à vous et qu’il vous croie en toutes choses.

 

L’obscurité d’une nuée marque que Dieu veut que son peuple intérieur croie sur la seule foi que c’est lui qui parle par la direction, et non sur les témoignages.

 

v. 10. Allez trouver le peuple et sanctifiez-le aujourd’hui et demain, et qu’ils lavent leurs vêtements.

 

Cette sanctification que Dieu veut est une pureté nouvelle pour entrer dans un état nouveau d’une nouvelle loi de pur amour.

Moïse, qui avait passé l’état de mort, est introduit sur la montagne où est Dieu, qui est l’origine de cet état de pur amour. Pour lui, comme étant déjà purifié, il est conduit jusques à la source.

 

v. 12. Que nul d’entre vous ne soit si hardi que de monter sur la montagne ou d’en approcher tout autour. Quiconque touchera la montagne sera puni de mort.

13. La main d’aucun homme ne le touchera pour le tuer, mais il sera lapidé ou percé de flèches.

 

Mais, pour tout autre, il faut qu’il lui en coûte la vie pour approcher seulement la montagne ou pour la toucher, ainsi que le Seigneur dit : Nul homme ne me verra tant qu’il sera vivant 32.

Mais de quelle mort mourra-t-il ? Ah, ce ne sera point par la main de l’homme ; ce sera par les coups des flèches que vous ferez décocher contre ce cœur qui ne peut encore vous aimer purement, ô Dieu de mon cœur, sans perdre sa vie propre ; vous l’accablerez de pierres, à cause que son cœur ne s’étant pas laissé détruire et fondre à tant de bontés dont vous l’avez prévenu, ce n’est qu’un cœur de pierre ; et il est nécessaire que, comme vous l’avez dit par un Prophète, vous lui ôtiez ce cœur de pierre pour lui en donner un de chair pour vous aimer purement 33, un cœur pliable et maniable, un cœur pur et nouveau.

 

v. 16. Le troisième jour étant arrivé, sur le matin, comme le jour était déjà grand, on entendit tout d’un coup les tonnerres, on vit briller les éclairs, et une nuée fort épaisse couvrit la montagne, dont tout le peuple qui était dans le camp fut effrayé.

 

On se persuade que la parole de Dieu est toute douceur ; et cela est vrai, si on la considère en elle-même, ou bien lorsqu’elle est accompagnée d’une tendre effusion de grâces ; ce qui fait que dans les commencements de la vie spirituelle, elle est toute douce et très-agréable ; mais pour les âmes de ce degré, hélas ! elle est pleine de terreur, et elle n’a rien que d’amer. C’est pourquoi elle fut entendue de S. Jean de la même sorte ; et lorsqu’il reçut le nom nouveau après avoir ouï cette parole foudroyante, il fut appelé fils du tonnerre 34.

 

v. 18. Tout le mont de Sinaï jetait de la fumée, à cause que le Seigneur y était descendu en feu ; et la fumée montait en haut comme celle d’une fournaise ; et toute la montagne causait de la terreur.

 

Lorsque Dieu apparut à Moïse la première fois, il ne souffrait pas qu’il approchât du feu où il était sans se déchausser ; et aujourd’hui, il l’introduit dans le feu même, à cause de la pureté de son amour, qui s’est accrue presque à l’infini. Quand il apparut l’autre fois à ce fidèle ministre, ce fut aussi dans le feu, pour lui donner sa charité et son pur amour. À présent qu’il veut donner la loi du pur amour, il paraît aussi aux enfants d’Israël dans le feu même de l’amour, puisqu’il est l’amour même. Il ne fallait pas un moindre feu pour embraser tant de cœurs.

Mais d’où vient, ô mon Amour, que vous paraissez ici si terrible ? Ah ! c’est à ceux qui ne vous voient que par dehors et dans les effets de votre amour, qui, à regarder les choses dans la superficie, paraît tout cruel envers les âmes qui se dévouent à lui ; mais il est sûr qu’au dedans, et en lui-même il est tout agréable au cœur bien abandonné.

 

v. 19. Le son de la trompette s’augmentait aussi peu-à-peu, et devenait plus fort et plus étendu. Moïse parlait, et Dieu lui répondait.

20. Le Seigneur étant descendu sur le sommet de la montagne de Sinaï, il appela Moïse au lieu le plus haut. Moïse y monta.

 

Ô conversation admirable ! Dieu parle à l’âme, et l’âme l’écoute ! l’âme parle à Dieu, et Dieu l’écoute aussi ! Mais il y a bien d’autre commerce entre Dieu et l’âme dont il ne faut point de témoin. Dieu, pour cet effet, fait monter cette âme choisie sur le sommet de la montagne d’amour, sur le plus haut degré de la pure charité ; elle est reçue en Dieu même, mais d’une manière si sublime et si ineffable que tout ce qu’on en peut dire ne l’égale point.

C’est alors que tout ce qui restait dans l’extérieur même, ou dans la partie basse de l’homme, est changé et renouvelé par la pureté de cet amour ; c’est alors que cet homme est rendu divin, non seulement au dedans, mais même pour le dehors. Ô feu sacré ! tu as le pouvoir de renouveler toute la terre 35. Ces âmes, ou plutôt cette âme unique entre tant de millions de saints, ne monte pas seulement sur cette montagne, mais aussi sur le plus haut de son élévation, parce qu’il fallait qu’elle fît provision de ce pur amour, et pour elle et pour les autres. Il était nécessaire qu’elle puisât dans cette source de feu, afin d’être comme une fournaise qui pût fournir et distribuer ce feu sacré à un si grand peuple. Ô Moïse, vous avez bien changé d’état ! Autrefois, étant dans votre humilité de sainte pratique, vous vous estimiez indigne de parler à un roi et au peuple d’Israël ; et maintenant, dans votre profond anéantissement, vous n’avez point de peine ni de répugnance de monter au plus haut degré en Dieu, de lui parler si familièrement ; et d’être son vase choisi plein de lui-même. C’est que l’anéantissement sait que l’homme ne se regarde plus, et n’envisage plus sa bassesse ; et étant au-dessous de toute bassesse, il est par là-même au-dessus de toute hauteur.

 

v. 24. Le Seigneur dit à Moïse : Allez, descendez. Vous monterez, vous et Aaron avec vous, mais que les prêtres et le peuple ne passent point les limites, et qu’ils ne montent point où est le Seigneur, de peur qu’il ne les fasse mourir.

 

Ah ! qu’il sait bon être uni à ces âmes si saintes ! Elles obtiennent pour la personne unique qui leur est associée ce qu’elles ont pour elles-mêmes. Quoique tout le peuple fut uni à Moïse ainsi que des enfants à leur père, toutefois Aaron l’était d’une façon particulière, étant comme associé à la paternité même de Moïse ; et nul autre que lui ne l’était de la sorte. Il y a aussi des personnes que Dieu lie de cette manière entre deux seulement, en union de paternité ; et tous les autres qui leur sont unis, quoiqu’ils soient leurs enfants, ne leur sont pas néanmoins égaux dans le ministère, quels qu’ils soient. Car il y avait beaucoup de Prêtres selon l’ordre d’Aaron ; mais Aaron seul monta avec Moïse, pendant que les autres n’osaient pas même toucher la montagne. Cependant Aaron ne fut pas en tout égal à Moïse, ni élevé à un pareil degré ; la communication de Dieu même, en Dieu même d’une manière si sublime, fut pour Moïse seul.

 

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CHAPITRE XX.

 

 

v. 2. Je suis le Seigneur votre Dieu qui vous ai tiré de l’Égypte, la maison de servitude.

3. Vous n’aurez point d’autres Dieux que moi.

5. Vous ne les adorerez point, et vous ne les honorerez pas du culte qui m’est dû ; car je suis le Seigneur votre Dieu, le Dieu fort, le Dieu jaloux, qui venge l’iniquité des pères sur les enfants, jusqu’à la troisième et quatrième génération dans tous ceux qui me haïssent.

 

DIEU, voulant soumettre l’homme à sa loi, lui représente d’abord les grâces qu’il lui a faites, afin qu’il ne trouve pas cette loi difficile et qu’il ait une vive confiance que ce Dieu si bon, qui l’a tiré de la servitude, ne veut pas le mettre de nouveau sous le joug ; au contraire, qu’il donnera la grâce et la force nécessaire pour garder ses divins préceptes, ainsi qu’il le promet clairement dans un autre endroit : Je mettrai, dit-il, mon Esprit au milieu de vous, et je vous ferai marcher dans mes préceptes et garder mes ordonnances et faire de bonnes œuvres 36 ; jusque-là qu’il accomplira lui-même sa loi dans ceux qui, s’abandonnant parfaitement à lui, le laisseront agir en eux sans nulle résistance.

Pour cette raison, son premier commandement est de n’avoir point d’autre Dieu que lui, ce qui veut dire de ne s’appuyer sur nulle force étrangère pour observer sa loi, mais sur la sienne seule ; parce que comme il est un Dieu fort qui peut tout par son pouvoir souverain, il est aussi un Dieu jaloux, qui ne veut pas que personne présume de partager avec lui ce même pouvoir, ni que l’on puisse attribuer à aucune autre force que la sienne l’observation de ses commandements, ni à fidélité, ni à effort, ni à industrie, ni à chose quelconque. Pourvu que l’on demeure dans cette justice envers Dieu, en ne lui dérobant rien du sien, la loi devient aisée, à cause qu’elle n’est plus envisagée en elle-même ; car, étant prise par cet endroit, on la trouverait très-difficile ; mais elle est regardée en Dieu, où elle est vue avec le pouvoir divin qui surmonte toute difficulté.

C’est pourquoi le Seigneur ajoute que ceux qui le haïssent (ce mot, haïr, ne se doit prendre ici que pour un détour ; car tous ceux qui violent en quelque chose la loi de Dieu n’entendent pas de le haïr), ceux donc qui se détournent de lui pour se regarder eux-mêmes, et qui par là se rendent esclaves de la loi, ô ceux-là pour l’ordinaire pèchent contre la loi même ; et leur faute ne venant que de ce qu’ils sont tombés dans une subtile et secrète idolâtrie, s’attribuant la force de Dieu, le Seigneur ne leur pardonne rien, et il veut que cette loi soit étendue sur toutes leurs œuvres. Et c’est la cause pour laquelle ces personnes sont si gênées et rétrécies, savoir, parce que Dieu recherche leurs péchés jusqu’à la troisième et quatrième génération ; c’est-à-dire que toutes leurs œuvres sont rendues captives par l’assujettissement de leurs retours en eux-mêmes.

 

v. 6. Je fais miséricorde jusqu’à mille générations en faveur de ceux qui m’aiment et qui gardent mes préceptes.

 

Mais dans ceux qui aiment, ô l’amour seul est l’accomplissement de la loi 37 ; et Dieu leur fait des grâces à milliers ; ce mot de grâces, ou de miséricorde, est pris ici pour la remise de mille choses appartenantes à la loi, auxquelles Dieu ne regarde pas ; car voyant la droiture de leur cœur et l’envie qu’ils ont de lui plaire 38, il se contente de l’amour de la loi, les délivrant de l’esclavage de la loi. C’est pourquoi il est dit qu’il n’y a point de crainte dans l’amour 39 ; mais le parfait amour bannit la crainte ; parce que l’âme est si fort prise de l’amour de son Dieu, qu’elle ne peut envisager que ce même amour, sans penser à tout le reste ; et par l’excès de cet amour souverain, oubliant la loi elle accomplit parfaitement la loi même, pénétrant son esprit au travers de la lettre.

 

v. 8. Souvenez-vous de sanctifier le jour du Sabbat.

10. Le septième jour est le jour du repos consacré au Seigneur votre Dieu.

 

Se souvenir du repos, c’est demeurer en repos ; et il n’y a point d’autre sanctification que de se re poser dans le repos même, parce que c’est le repos de Dieu en lui-même, de Dieu en l’âme anéantie, et de l’âme en Dieu ;

Ces trois repos sont différents ; et ils doivent être expliqués.

Le premier repos est celui de Dieu en l’âme lorsqu’elle est arrivée à l’union à la volonté de Dieu, à l’état mystique, où il demeure dans l’âme et y repose, ainsi que l’assure le Fils de Dieu : Si quelqu’un m’aime, dit-il, il gardera ma parole ; et mon père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous serons notre demeure en lui 40.

Le repos de l’âme en Dieu est après la résurrection, par laquelle elle est reçue en Dieu. Alors elle trouve son repos parfait en lui, ses peines et ses troubles étant passés pour toujours ; car auparavant Dieu trouvait bien son repos en l’âme, à cause qu’elle était vide de péché, et que sa volonté était conforme à celle de Dieu ; mais l’âme ne trouvait pas encore son repos en Dieu, puisqu’elle marchait par un chemin plein d’incertitudes, de peines et d’inquiétudes. Elle ne trouve son véritable repos que lorsqu’elle est arrivée en Dieu, où elle demeure dans un état tranquille et durable, qui n’est plus sujet à aucune vicissitude. Elle y trouve cependant un repos encore propre, et il y a là encore quelque chose pour elle ; puisque ce repos s’aperçoit et est réellement un repos de la créature en son Dieu, aperçu et reconnu comme repos de la créature.

Mais le repos de Dieu en lui-même est le repos qu’il prend dans une âme bien anéantie, où tout ce qui était de la créature étant disparu, il ne reste que Dieu seul, qui se repose en lui-même ; non plus pour cette créature qui, étant toute passée en Dieu, ne fait plus un repos distinct de celui de Dieu, mais pour lui-même ; car ayant repris par le parfait anéantissement de la créature, tout ce qui était à lui, il demeure toutes choses en tous, dans les termes du grand Apôtre 41 ; et c’est là le repos de Dieu en Dieu.

 

v. 18. Tout le peuple, entendant les tonnerres et le son de la trompette, et voyant les lampes ardentes et la montagne toute couverte de fumée, et étant saisi de crainte et d’effroi, se retira bien loin.

19. Et ils dirent à Moïse : Parlez-nous vous-même, et nous vous écouterons ; mais que le Seigneur ne nous parle point, de peur que nous ne mourions.

 

L’âme qui se voit approcher de Dieu, craint beaucoup la mort, sachant bien qu’il faut mourir pour le voir. Dès que l’état de mort commence, qui dure longtemps, elle entre dans des transes étranges ; et elle dirait volontiers : J’aime mieux n’aller pas plus avant que de passer par des épreuves si rudes. Elle s’en tient éloignée, et tâche de se défendre de la mort, croyant même s’approcher de Dieu lorsqu’elle aime à demeurer dans son éloignement ; et trompée qu’elle est par l’amour-propre, elle aime mieux conserver sa propre vie que de se la laisser enlever par une sainte mort qui la ferait heureusement ressusciter en Dieu. Cela la porte à dire au Directeur (bien plus par ses résistances réelles que par ses seules paroles) : Parlez-moi vous-même, parce que tant qu’il n’y aura que vous qui me parlerez, et que je me tiendrai aux paroles de l’homme et aux moyens humains, ou du moins compris par la raison, je ne mourrai point ; mais d’aller sur la seule parole de Dieu et sous sa conduite particulière dans l’obscurité d’une foi très-nue, je ne saurais m’y résoudre, de peur de la mort et de la perte.

 

v. 20. Moïse répondit au peuple : Ne craignez point, car Dieu est venu pour vous éprouver.

 

Cet excellent Directeur assure son peuple qu’il n’est pas encore temps de craindre, puisque ce n’est pas ici l’endroit de la mort, mais seulement une épreuve que Dieu veut faire de ses amis intérieurs, pour voir s’ils auront le courage d’entrer dans la voie de mort.

 

v. 21. Le peuple donc se tenait bien loin, mais Moïse entra dans l’obscurité dans laquelle était Dieu.

 

Ce peuple, quoique déjà bien avancé dans la voie intérieure, se tenait encore bien loin, à cause qu’il craignait la mort ; mais Moïse, qui avait passé la mort et était ressuscité en Dieu, ne pouvait plus mourir ; c’est pourquoi il ne craignait point ; Dieu ne lui était plus étranger, étant autant Moïse même qu’il était Dieu même, selon l’unité de la vie divine ; de sorte que ce qui faisait mourir les autres donnait la vie à Moïse, à cause de son état de résurrection mystique en Dieu. Il n’entre cependant ici que dans l’obscurité dans laquelle est Dieu, pour nous apprendre que, quelque manifestation que Dieu fasse de lui-même en cette vie, c’est toujours une obscurité pour la créature, qui n’en peut avoir qu’une connaissance bornée et limitée, et couverte du voile de la foi.

 

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CHAPITRE XXIII.

 

 

v. 20. Je vais envoyer mon Ange, afin qu’il marche devant vous, qu’il vous garde dans le chemin, et qu’il vous introduise dans la terre que je vous ai préparée.

 

DIEU ne manque point de nous donner cet Ange tant qu’il nous est nécessaire. C’est le directeur qui nous garde dans la voie ; mais il ne peut que nous introduire au lieu qui nous est préparé ; après quoi, c’est Dieu même qui est le conducteur.

 

v. 21. Respectez-le et obéissez à sa voix, vous gardant bien de le mépriser, car mon nom est en lui.

 

Le Seigneur nous commande de respecter ce directeur, de lui obéir et de ne pas le condamner, parce que son nom est en lui ; ce qui veut dire qu’il représente sa personne, il porte sa parole et agit par son autorité.

 

v. 23. Mon Ange ira devant vous, et il vous introduira dans la terre des Amorrhéens.

 

Il le répète encore, pour faire mieux voir que la direction est nécessaire jusqu’à ce que l’on soit arrivé dans la terre promise, qui est l’état de repos en Dieu seul.

 

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CHAPITRE XXIV.

 

 

v. 1. Dieu dit à Moïse : Montez vers le Seigneur, vous et Aaron, Nadab et Abiu, et les soixante-dix anciens d’Israël, et vous adorerez de loin.

2. Moïse seul montera jusqu’où est le Seigneur, mais les autres n’approcheront point, et le peuple ne montera point avec lui.

 

AARON avait bien été sur la montagne, ce qui est un grand avancement en comparaison de l’état du peuple ; mais pour arriver au sommet, cela n’était que pour Moïse seul ; parce que nul autre n’était parvenu à un état aussi sublime et à un amour si pur. Il était la fontaine d’où la source se déchargeait en faveur des autres.

 

v. 4. Moïse écrivit toutes les paroles du Seigneur.

5. Et il envoya des jeunes gens d’entre les enfants d’Israël offrir des holocaustes et immoler des victimes pacifiques au Seigneur.

 

Il écrit les paroles du Seigneur, parce qu’il les doit laisser à la postérité. Dieu fait écrire à ses serviteurs ce qu’il leur a communiqué de ses vérités divines et cachées, afin qu’elles demeurent et qu’elles profitent à plusieurs.

Moïse envoie aussi les plus jeunes des enfants d’Israël sacrifier au Seigneur des Victimes pacifiques. C’est le propre des jeunes âmes de sacrifier de la sorte ; leur sacrifice n’est que paix et douceur. Il n’en est pas ainsi des âmes avancées ; il faut qu’elles offrent des holocaustes. Mais comme parmi les enfants de grâce il en est de deux sortes, les uns qui sont nouveaux-venus dans l’esprit et dans la voie, et d’autres qui sont redevenus enfants par l’excès de leur avancement dans la même voie, aussi Moïse distingue deux sacrifices : l’un de paix, propre aux premiers enfants ; et l’autre d’holocaustes, qui convient aux derniers.

 

v. 6. Moïse prit la moitié du sang, qu’il mit dans des bassins, et il répandit l’autre sur l’autel.

7. Il prit ensuite le livre de l’alliance, et il le lut devant le peuple, qui dit : Nous ferons tout ce que le Seigneur a dit, et nous serons obéissants.

8. Alors prenant le sang, il le répandit sur le peuple, en disant : Voici le sang de l’alliance que le Seigneur a faite avec vous, afin que vous accomplissiez toutes ces choses.

 

Lorsque Moïse lut la loi, il remarqua que le peuple promettait de la garder avec beaucoup de promptitude et d’assurance ; mais, comme directeur expérimenté, il reconnut bien qu’il y avait en cela une secrète présomption, à cause qu’ils s’appuyaient sur leurs propres forces et qu’ils n’entraient pas assez en défiance d’eux-mêmes, pour attendre toute leur fidélité de la bonté de Dieu. Il répandit donc sur eux le sang qui était dans les bassins, parce que c’était la figure du sang de Jésus-Christ, pour leur faire entendre que toute la force qui est nécessaire pour accomplir la loi dépendait de ce sang, et qu’il fallait qu’ils en fussent lavés et revêtus, les assurant de plus que toute alliance entre Dieu et les hommes s’établissait en vue de ce sang, et qu’il n’y en pouvait avoir d’autre.

 

v. 15. Moïse étant monté, la nuée couvrit la montagne.

16. Et la gloire du Seigneur reposa sur Sinaï, le couvrant d’une nuée pendant six jours ; et le septième jour Dieu appela Moïse du milieu de cette obscurité.

18. Et Moïse, passant au travers de la nuée, monta sur la montagne, et y demeura quarante jours et quarante nuits.

 

Moïse fut en Dieu, mais toute la montagne était couverte d’obscurité pour les autres. Cet état est terriblement obscur pour ceux qui n’y sont pas ; et ils ont peine à croire ce peu qu’on leur en dit, quelque témoignage qu’ils en aient, jusqu’à ce que l’expérience soit venue.

Quoique Moïse eût déjà tant été avec Dieu et conversé avec lui d’une manière si éminente, et qu’il le gratifiât d’une familiarité si singulière qu’elle fait douter s’il a vu dès cette vie l’Essence divine pour quelques moments, toutefois il fallut encore qu’il fût six jours dans l’attente, et comme dans une espèce de purgatoire, avant que d’entrer si avant dans Dieu et traiter si familièrement avec lui. Ô que Dieu est pur ! Le septième jour, Dieu l’appela du milieu de la nue ; et Moïse, y étant entré, monta tout-à-fait, et y fit un séjour durable de quarante jours et quarante nuits. Il en revint ensuite tout renouvelé et tout transformé, et toujours plus divinisé. Dieu va par degrés, aussi bien dans les communications de lui-même que dans celles de ses grâces, étendant la capacité de la créature peu à peu, et non tout à coup ; parce qu’elle ne pourrait supporter une telle opération. Voyez comme quoi Moïse ne fait pas un pas par lui-même et qu’il n’avance rien par son propre mouvement, mais il ne fait les choses qu’à mesure que Dieu les lui fait faire, et ponctuellement selon qu’elles lui sont ordonnées ; ce qui est la fidélité nécessaire dans tout l’état passif, mais surtout dans l’anéantissement où une âme morte à elle-même se doit ainsi appliquer à tout ce que Dieu veut d’elle, sans le prévenir ni lui résister.

 

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CHAPITRE XXV.

 

 

v. 8. Ils me feront un Sanctuaire, et j’habiterai au milieu d’eux.

10. Vous ferez aussi une arche de bois de Setim.

 

CE Sanctuaire représente le fonds et le centre de l’âme, qui est le lieu de la demeure du Seigneur, dans lequel se fait l’union suressentielle et inexplicable, et où l’adorable Trinité réside et se découvre. Il faut le garder pour le Seigneur, et pour cet effet se tenir vide de tout le reste, afin que le Seigneur y habite et s’y manifeste ; ce lieu sacré est pour lui seul.

L’arche était dans ce Sanctuaire, parce que c’était d’elle que devait sortir l’oracle de la parole de Dieu. Jusques à présent, Dieu avait parlé à son peuple comme de loin, et sans s’arrêter à un lieu certain ; désormais il veut parler et habiter au milieu d’eux, et se faire connaître et entendre dans le Sanctuaire du centre de leurs âmes.

 

v. 17. Vous ferez aussi le propitiatoire d’un or très-pur.

 

L’or pur et fin marque la pureté que doit avoir ce fonds de l’âme pour que Dieu y paraisse et y rende ses oracles ; et comment, avant que de servir de propitiatoire, elle doit avoir été épurée par le feu de toute terre et de toute impureté, et avoir passé par la coupelle et sous le marteau.

 

v. 18. Vous ferez de plus deux Chérubins d’or, que vous mettrez aux deux extrémités de l’oracle.

20. Leurs ailes seront étendues des deux côtés du propitiatoire, elles couvriront l’oracle, et ils se regarderont l’un l’autre.

 

La foi nue et l’abandon total sont les deux Chérubins qui couvrent l’arche de l’oracle, c’est-à-dire qui sont le propitiatoire, d’où Dieu rend ses oracles. La foi couvre l’âme, l’empêchant de s’examiner et de rien voir de tout ce qui lui est proposé ; l’abandon la cache aussi d’un autre côté, l’empêchant de se regarder elle-même pour voir ou sa perte ou son avantage, l’obligeant à se délaisser à l’aveugle ; mais cette foi et cet abandon se regardent entre eux, ainsi que les deux Chérubins qui étaient sur le couvercle de l’arche, parce qu’ils ne peuvent être l’un sans l’autre dans une âme bien ordonnée, et que la foi répond aussi parfaitement à l’abandon que l’abandon est soumis à la foi.

 

v. 22. Ce sera de là que je vous donnerai mes ordres, et je vous parlerai de dessus le propitiatoire.

 

Le Seigneur veut dire que désormais ce sera de ce centre et du fond de l’âme, comme de son oracle, et non plus des puissances, qu’il se fera entendre. Les personnes d’expérience comprendront cette différence des communications divines, que l’on trouvera même expliquée ailleurs, autant que l’on peut donner de jour à une chose inexplicable.

 

v. 40. Considérez bien, et faites tout selon le modèle qui vous a été montré sur la montagne.

 

Ce modèle est Dieu même, en qui sont les idées éternelles de toutes choses, et Jésus-Christ, son Verbe, qui les exprime. Il faut que tout ce qui se fait pour la sanctification des âmes se règle sur ce modèle.

 

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CHAPITRE XXVI.

 

 

v. 33. Le voile séparera le Sanctuaire d’avec le Saint des saints.

 

DIEU veut que le Sanctuaire soit séparé du Saint des saints. Le Sanctuaire est le centre de l’âme, et le Saint des saints est Dieu même. Ils sont unis et séparés ; ils sont unis, en ce que le centre est en Dieu et Dieu est dans le centre ; et ils sont séparés par une différence d’état, car posséder Dieu dans le centre est quelque chose de bien grand ; mais que Dieu demeure en lui-même pour lui-même, c’est un degré encore plus sublime. On a expliqué ci-dessus 42 ce que c’est que Dieu en nous, nous en Dieu et Dieu en lui-même.

Ce voile de division entre le Sanctuaire et le Saint des saints représente aussi la distinction substantielle qui demeure éternellement entre Dieu et sa créature avec l’unité inexplicable d’amour et de transformation qui se sait par l’anéantissement de l’âme en elle-même et son recoulement en Dieu. Dieu demeure Dieu réellement distinct de l’âme transformée, quoique l’âme divinisée par cette union ineffable devienne une même chose avec Dieu 43.

 

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CHAPITRE XXVII.

 

 

v. 21. Aaron et ses enfants prépareront les lampes, afin qu’elles luisent jusqu’au matin devant le Seigneur. Ce culte se perpétuera parmi les enfants d’Israël.

 

LA lampe de la charité doit toujours être ardente, et luire sans interruption en la présence du Seigneur.

 

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CHAPITRE XXVIII.

 

 

v. 30. Vous graverez ces deux mots sur le Rational du jugement : Doctrine et Vérité.

 

CES trois choses se peuvent distinguer dans le Rational mystérieux, jugement, doctrine et vérité. Le jugement est quelque chose de moins sûr que la doctrine, puisqu’il dépend de la personne qui juge et que c’est une application qu’elle fait de la doctrine à la chose dont elle doit juger ; la doctrine est plus assurée que le jugement, étant l’usage de la science et l’expérience par laquelle on doit juger ; mais la vérité est au-dessus de tout cela. Et parce qu’elle est la dernière à laquelle se rapportent le jugement et la doctrine, comme c’est aussi la source d’où ils sortent, il faut passer par ces deux degrés pour entrer dans la vérité. Or cela était gravé sur le Rational pour faire voir que notre raison s’exerce par le jugement ; qu’elle se soumet et s’instruit par la doctrine ; mais qu’elle reçoit toute sa lumière de la Vérité. Le jugement se trouve en nous ; la doctrine se communique aux autres pour attirer leur obéissance et leur soumission ; mais la vérité de meure en Dieu, et il faut être en Dieu pour être dans la vérité ; et c’est pour cette raison que le St. Esprit est appelé Esprit de Vérité 44.

 

v. 36. Vous ferez aussi une lame d’or très-pur, sur laquelle vous graverez ces mots : LA SAINTETÉ EST AU SEIGNEUR.

 

Il fallait que le Nom de Dieu fût gravé sur le front, car ce nom est tout de Dieu ; et, CELUI QUI EST, ou bien, toute SAINTETÉ EST À CELUI QUI EST.

 

v. 38. Cette lame sera continuellement sur son front, afin que le Seigneur lui soit favorable.

 

Or l’âme porte ce Nom sur la suprême partie, désignée par le front, à cause qu’elle ne peut, sans être arrivée à un état très-éminent, connaître le tout de Dieu et le rien de la créature tel qu’il est. Plusieurs croient avoir toute cette connaissance, qui ne l’ont qu’en superficie. Le seul anéantissement en peut donner la conviction expérimentale.

Pourquoi l’écriture ajoute-t-elle : afin que le Seigneur lui soit favorable ? C’est que Dieu ne peut être contraire à une âme qui est mise dans la vérité du tout de Dieu et de son néant. Par cette justice, qu’elle rend à son Créateur, elle attire sur soi ses regards les plus bénins. Et c’est cette vérité qu’elle porte en figure sur le Rational et en réalité sur le front ; car la vérité de Dieu, comme Dieu, ne peut tomber sous la raison qu’en superficie et en figure ; mais elle est réellement gravée dans la suprême partie de l’âme, où elle fut mise par la création, d’où elle fut comme effacée par le péché, et où elle est rétablie avec surcroît par Jésus-Christ dans les âmes anéanties.

 

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CHAPITRE XXIX.

 

 

v. 21. Vous prendrez du sang qui est sur l’autel et de l’huile d’onction ; et vous en ferez l’aspersion sur Aaron et ses vêtements, sur ses enfants et leurs vêtements.

 

IL fallait que le Prêtre, pour être consacré à Dieu, fût oint ; or l’huile de la consécration était l’onction du St. Esprit, qu’il répand lui-même sur les personnes apostoliques par sa divine infusion. Le sang qui se verse sur eux nous apprend qu’ils ne peuvent avoir nulle autorité sur les âmes que par Jésus-Christ, et que c’était en son sang que dès lors se faisait toutes choses ; toute sainteté et tout sacerdoce étant consacrés par l’effusion de ce sang.

 

v. 25. Vous recevrez toutes ces choses de leurs mains, et vous les brûlerez sur l’autel en holocauste pour une odeur très-agréable devant le Seigneur, parce que c’est son oblation.

 

Tous les autres sacrifices sont mêlés de quelque intérêt ; ils se font ou pour obtenir le pardon des péchés, ou pour être délivré de la peine, ou pour apaiser la colère de Dieu, ou pour impétrer quelque grâce de sa bonté. Tous se réservent quelque chose et sont encore imparfaits. Il n’y a que l’holocauste où tout est consumé. C’est ce sacrifice parfait qui représente l’anéantissement, et qui est tout pour Dieu seul ; aussi est-il appelé le sacrifice du Seigneur qui répand une odeur très-agréable devant lui.

 

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CHAPITRE XXXI.

 

 

v.  18. Le Seigneur donna à Moïse sur la montagne de Sinaï les deux Tables du témoignage, qui étaient de pierre, et qui étaient écrites du doigt de Dieu.

 

DIEU grave sa loi de son doigt sur la pierre lorsque l’âme est arrivée à l’immobilité divine ; alors elle n’a plus la loi autrement que gravée dans le cœur. Cette loi lui est pour lors tellement imprimée qu’elle lui devient comme naturelle. Alors l’âme se trouve comme un rocher où cette loi est écrite, mais écrite du doigt de Dieu, en sorte qu’il l’accomplit lui-même en elle à son gré. Et cette âme étant alors dans l’amour pur, elle est par état dans la perfection de sa loi et dans son plus réel accomplissement, l’amour étant la perfection de la loi 45 ; c’est donc par lui que l’âme parfaitement soumise à Dieu, sans penser à la loi, la suit fidèlement en tout point ; parce qu’elle est unie à la volonté de Dieu et transformée en elle au-dessus de toute loi par la charité parfaite 46.

 

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CHAPITRE XXXII.

 

 

v. 1. Le peuple, voyant que Moïse tardait longtemps à descendre de la montagne, s’assembla contre Aaron et lui dit : Venez, faites-nous des Dieux qui marchent devant nous ; car pour ce qui est de ce Moïse, de cet homme qui nous a tirés de l’Égypte, nous ne savons ce qui lui est arrivé.

 

LE seul endroit par où l’homme abandonné à Dieu, et déjà aussi avancé que nous l’avons vu dans la figure de tout ce peuple, pèche et sort de son état, est l’IDOLÂTRIE. Mais ceci pouvant être exposé à la censure des savants, il faut l’expliquer avec un peu d’étendue.

Il faut donc supposer que comme l’idolâtrie totale et grossière et impie se commet en déniant au seul et vrai Dieu le culte suprême qui lui est dû, ou en l’attribuant à la créature pour l’adorer comme Dieu, ou en reconnaissant plusieurs Divinités (ce qui est proprement n’en reconnaître aucune), aussi, partager ce qui est dû à Dieu par la religion souveraine qui lui est réservée, pour en donner quelque partie à la créature, se peut appeler une idolâtrie partiale et secette ; et faire ce tort au vrai et unique Dieu, c’est, dans quelque bon sens, IDOLÂTRER et vouloir unir quelque culte étranger avec le sien.

Or cela se fait (hors de l’infidélité, qui en est sa première espèce et la plus criminelle) ou avec une notable malice, qui suffit pour que ce soit un crime semblable, en quelque manière, à celui des idolâtres infidèles, ainsi que St. Paul dit qu’il y en a qui se font leur Dieu de leur ventre et que l’avarice est une idolâtrie 47 ; ou avec une moindre faute, qui s’appelle propriété, par laquelle l’homme retient pour soi-même une partie du culte qu’il devrait rendre à Dieu pour l’adorer parfaitement ; ce qui se fait, ou en se réservant quelque chose dans la donation qu’il lui doit faire de soi-même, ou en se reprenant en quelque point après s’être donné à lui. L’idolâtrie d’infidélité criminelle dans laquelle le peuple Juif commence ici à tomber et tombera ensuite si souvent est la figure de l’idolâtrie d’infidélité propriétaire, dans laquelle sont engagés plus ou moins tous ceux dont l’amour, n’étant pas tout à fait épuré, est encore intéressé ; et tous ceux aussi qui, après avoir fait de grands progrès dans la voie de l’esprit par le sacré abandon, retombent en eux-mêmes en se reprenant, et par-là même, ou par-là seulement, donnent occasion à de grandes chutes.

Cela posé, avant ce temps toutes les faiblesses de ce peuple n’avaient point passé devant Dieu pour des péchés notables ; tous leurs murmures et toutes leurs plaintes n’avaient été comptées que comme pour rien ; Dieu les avait même toujours comblés de nouveaux bienfaits. Mais ce péché qui se commet ici fait sortir l’âme entièrement de son état ; et elle n’y rentre guère sans un miracle de miséricorde. Cette idolâtrie se commet quand l’homme retire sa volonté de l’union avec Dieu, où elle était, pour se mettre dans un état forgé et retourner à ses propres inventions ; se lassant d’un état si nu, il sort de son délaissement et de sa perte en Dieu, et va chercher dans les inventions des créatures ce qu’il ne pouvait trouver qu’en Dieu seul.

 

v. 4. Aaron fit un veau de fonte ; et les Israélites dirent : Voici vos Dieux, ô Israël, qui vous ont tirés de l’Égypte.

5. Ce qu’Aaron ayant vu, il dressa un autel devant le Veau, et il fit crier par un hérault : Demain sera la solennité du Seigneur.

 

Cette âme infidèle qui se retire de Dieu attribue à la créature, et jusqu’à des bêtes, c’est-à-dire à ses efforts et à ses pratiques, toutes les grâces qu’elle avait reçues auparavant ; disant que ce sont elles qui l’ont tirée de la captivité, ce qui est joindre le blasphème à l’idolâtrie. Se détournant donc de Dieu lorsqu’elle était le plus à lui, elle redevient propriétaire ; et par cette idolâtrie elle tombe peu à peu dans tous les désordres.

L’homme retire premièrement son esprit du culte souverain qu’il doit à Dieu, qui est une adoration suprême par laquelle il le reconnaît au-dessus de tout être, ce culte étant dû à Dieu seul ; cette première partie de l’adoration appartient à l’esprit. L’autre partie de l’adoration est l’amour de préférence pour Dieu ; c’est l’adoration du cœur, de laquelle l’homme se détourne quand il aime la créature d’un amour opposé à celui qui est dû souverainement à ce Créateur. Ces deux parties sont essentielles à l’adoration, et elles ne peuvent en être séparées ; de sorte que si je reconnais un pouvoir souverain autre que Dieu, j’idolâtre d’esprit ; et si j’aime quelque chose plus que Dieu, j’idolâtre de cœur. Retirer son esprit de la dépendance où il doit être à l’égard de Dieu et de cette perte en lui (par laquelle l’âme par une adoration secrète et non aperçue reconnaît son pouvoir suprême, se laisse conduire et s’abandonne à lui, sans se mettre en peine de soi, Dieu lui suffisant pour toutes choses, et la créature défaillant à tout), c’est idolâtrer en matière de vie intérieure par l’esprit. Retirer volontairement son cœur de Dieu, pour aimer la créature hors de l’ordre de Dieu même, ou en quelque chose qui lui soit opposé, c’est idolâtrer par le cœur. Par cette idolâtrie, l’âme redevient propriétaire, et de son esprit et de son cœur, les retirant de la soumission à Dieu (où ils étaient par l’abandon qui lui en avait été fait), et de l’amour pur, qui était l’union parfaite à la volonté de Dieu.

Or je dis que les âmes de ce degré ne peuvent rentrer dans la voie du péché, ni pécher, du moins notablement, que par là ; parce que tant que l’esprit ne sort point de son abandon, ni sa volonté de son union à celle de Dieu, quelque faiblesse que cet homme puisse avoir, il ne peut pécher ; puisque s’il péchait, il cesserait par-là-même d’être uni à la volonté de Dieu, lui devenant contraire par son péché ; et ce n’est que pour s’être retiré de cette conformité qu’il pèche, la volonté de Dieu étant entièrement incompatible avec le péché. S. Jean a touché assez clairement cette vérité lorsqu’il a écrit : Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche point 48 ; mais la naissance qu’il tient de Dieu le conserve, et le méchant ne le touche point. C’est être né de Dieu que de lui demeurer attaché en unité d’esprit et de cœur par un parfait abandon ; tant que l’homme est dans ce centre de sûreté, ni le péché ni le méchant ne le touchent point ; mais sitôt qu’il en sort, il est percé des flèches du péché et du méchant, et c’est par la propriété qu’il en sort. Toute personne d’expérience m’entendra.

 

v. 7. Le Seigneur dit à Moïse : Allez, descendez ; car votre peuple, que vous avez tiré de l’Égypte, a péché.

 

Dieu appelle ce peuple le peuple de Moïse, et non plus le sien, comme auparavant, à cause du péché. Sitôt que l’âme unie à Dieu pèche, elle est rejetée de lui ; sitôt que ce peuple eut idolâtré, il fut abruti, en sorte qu’il changea entièrement, et que perdant toute intelligence il provoqua la colère de Dieu.

 

v. 9. Le Seigneur dit encore à Moïse : Je vois que ce peuple a la tête dure.

10. Laissez-moi faire, afin que ma fureur s’enflamme contre eux et que je les extermine ; et je vous ferai le chef d’un autre grand peuple.

11. Mais Moïse suppliait le Seigneur son Dieu en disant : Pourquoi, Seigneur, votre fureur s’enflamme-t-elle contre votre peuple que vous avez tiré de l’Égypte avec une grande force et une main puissante ?

 

Moïse, qui était innocent, se mettait entre Dieu et le peuple, comme une digue qui empêchait que le torrent de sa colère ne vînt fondre sur eux. Ô qu’une âme bien anéantie a de pouvoir proche de Dieu, et qu’il fait de grandes choses en sa faveur, jusque-là que Dieu ne semble-t-il pas prier Moïse ? Laissez-moi faire, lui dit-il. L’homme ami de Dieu l’empêche d’allumer sa colère, comme si Dieu n’était pas tout puissant ; mais c’est qu’une âme qui s’est défaite d’elle-même, et qui n’a plus que Dieu, use en quelque manière du pouvoir de Dieu. Le Seigneur était vraiment alors le Dieu de Moïse, qui le conjurait en disant : Seigneur, pourquoi votre fureur s’enflamme-t-elle contre votre peuple ? Il le fait souvenir que c’est son peuple et non le peuple de Moïse ; et il lui représente les grands biens qu’il lui a faits afin que tant de grâces ne demeurent pas inutiles.

 

v. 12. Que les Égyptiens ne puissent pas dire : Il les a attirés avec adresse pour les faire mourir sur les montagnes et pour les exterminer de la terre. Que votre colère s’apaise, pardonnez l’iniquité de votre peuple.

 

Les prières et les remontrances que les Directeurs font à Dieu pour les âmes qu’il leur a confiées, lorsqu’elles se retirent de leur voie, se font pour intéresser la gloire de Dieu dans leur retour. Seigneur, disent-ils, si vous les rejetez après leurs péchés, cela décriera votre plus pure voie, et l’on dira à leur occasion : Voyez à quoi se terminent ces voies d’abandon ? Il faut bien qu’elles ne vaillent rien puisque l’on y périt ; il ne fait pas bon se fier tout à Dieu ; il peut y avoir de l’excès ; et il est beaucoup mieux de travailler par soi-même.

 

v. 13. Souvenez-vous d’Abraham, d’Isaac et d’Israël, vos serviteurs, auxquels vous avez juré par vous-même, en disant : Je multiplierai votre race comme les étoiles du ciel, et je donnerai à votre postérité toute la terre dont je vous ai parlé, et vous la posséderez pour toujours.

14. Alors le Seigneur s’apaisa, et il résolut de ne point faire à son peuple le mal qu’il lui voulait faire.

 

Il le fait encore souvenir de la fidélité de ses promesses, par lesquelles il s’est engagé, que si l’on suivait le chemin de la foi nue, du sacrifice pur, et de l’abandon parfait, l’on arriverait à la terre promise, qui est l’union à Dieu et sa possession véritable et foncière. Mais, ô bonté d’un Dieu, d’arrêter sa juste vengeance à la seule parole d’un de ses serviteurs, lorsqu’il est anéanti et qu’il n’a plus d’intérêt propre et ne regarde en toutes choses que la seule gloire de Dieu ! Il ne se plaint ni de la peine que ce peuple lui fait, ni de la douleur qu’il aurait de le voir périr, ni de ce que l’on dirait de lui, ni de tout ce dont on pourrait l’accuser ; il craint seulement qu’on ne s’en prenne à Dieu. Ô que c’est une admirable chose qu’une âme sans intérêt !

 

v. 25. Moïse, voyant que le peuple était réduit à la nudité, à cause qu’Aaron l’avait dépouillé par cette abomination honteuse et l’avait laissé tout nu au milieu de ses ennemis.

 

Ce terme, réduit à la nudité, exprime très-bien l’état de ce peuple déchu ; car il avait déjà perdu sa propre force lorsqu’il fut préparé pour être conduit en Dieu, cela étant nécessaire afin qu’il pût être revêtu de la force de Dieu même. Dans cet état, donc, où il pèche, il se trouve doublement dépouillé, perdant sa force en Dieu par son péché et ne trouvant plus sa force en soi ; c’est ce qui fait qu’il est si difficile que ces personnes se convertissent ; car, selon S. Paul, il est presque impossible que ceux qui ont été une fois éclairés, qui ont goûté le don du ciel, et qui ont reçu le S. Esprit, et qui sont déchus, se renouvellent encore par la pénitence 49. Non qu’ils ne puissent encore être sauvés, mais c’est qu’il est très-difficile qu’ils reviennent au degré d’où ils sont tombés ; à cause que la manière dont ils doivent faire pénitence est bien différente de celle qui est nécessaire aux autres pécheurs qui n’ont jamais été parfaitement convertis ni avancés dans les voies de l’esprit.

Moïse, voyant son peuple ainsi dépouillé, attribue ce dépouillement à Aaron, parce qu’il leur avait forgé l’objet de leur idolâtrie ; mais il ajoute (aussi) qu’il a été dépouillé par une abomination honteuse ; parce que tout ce qui est étranger à Dieu n’est qu’ordure ; et qu’il n’y a pas un plus grand péché que l’idolâtrie ; et ainsi elle est l’ignominie de l’ordure et de l’excrément des autres péchés ; et par ce péché, commis dans ce degré, l’âme infidèle tombe dans l’état le plus déplorable. Car, ayant été dépouillée depuis longtemps de sa propre force et étant ici destituée de la force de Dieu, elle est mise toute nue entre les mains de ses ennemis, qui se vengent avec plaisir de la longue privation du pouvoir qu’ils avaient autrefois sur elle, n’ayant pu lui nuire pendant qu’elle était en Dieu comme dans une citadelle imprenable.

 

v. 26. Il se mit à la porte du camp, il dit tout haut : Quiconque est au Seigneur, qu’il se joigne à moi. Et tous les enfants de Levi s’assemblèrent autour de lui.

 

Moïse veut voir ceux qui dans un péché si universel ont conservé quelque reste de ce qu’ils étaient, ou ne se sont pas laissé corrompre par cette générale idolâtrie. Il les exhorte à se joindre à lui ; et toute la tribu de Levi, destinée au sacerdoce, lui obéit. Ces Sacrificateurs du Très-haut, qui représentent les âmes du sacrifice pur, se tiennent dans leur sacrifice et n’en sortent point, pour la chute malheureuse des autres ; aussi méritent-ils par cette rare fidélité d’être unis à Moïse dans l’office du sacerdoce.

 

v. 27. Et il leur dit : Voici ce que commande le Seigneur Dieu d’Israël : Que chacun de vous mette son épée à son côté ; passez et repassez à travers le camp d’une porte à l’autre, et que chacun tue son frère, son ami et son plus proche.

 

Mais à quel prix ces âmes fidèles se distingueront-elles d’entre leurs frères ? En tuant tout ce qui pourrait encore les faire idolâtrer dans la suite, sans épargner, ni frère, ni ami, ni rien de ce qui leur est le plus cher. Ces fidèles Lévites donnèrent par-là, à ceux qui échappèrent à cette cruelle vengeance, l’exemple de la pénitence qu’ils devaient faire ; parce que ceux qui sont tombés dans ce degré doivent sans miséricorde se sacrifier de nouveau ; et sans s’arrêter pour leur chute, quelque lourde et énorme qu’elle soit, se donner à Dieu pour servir éternellement à ses volontés, tombant en lui seul par la claire connaissance de leur impuissance, qui, les faisant désespérer, les porte à se perdre en Dieu par la défiance d’eux-mêmes, causée par cette funeste expérience de leur fragilité, quoique dans un état déjà fort avancé ; en sorte que tuant de toutes leurs forces et se défaisant sans pitié de l’occasion de leur chute, ils deviennent les meurtriers de l’amour-propre et du propre intérêt, qui les ont fait idolâtrer. Il faut de plus que par un sacrifice nouveau et extrêmement pur ils remettent même entre les mains de Dieu le pardon de leur faute, l’abandonnant à sa volonté, selon qu’il sera le plus pour sa gloire, sans le prétendre en aucune manière, ni vouloir s’assurer s’il leur fera miséricorde.

 

v. 28. Les enfants de Levi firent en ce jour-là ce que Moïse leur avait ordonné ; et en ce jour il y eut environ vingt-trois mille hommes de tués.

29. Moïse dit : Vous avez aujourd’hui consacré vos mains au Seigneur, chacun de vous ayant tué son fils et son frère, afin que la bénédiction vous soit donnée.

 

Les âmes qui tombent dans la vie active se donnent à la miséricorde de Dieu ; et la confiance qu’elles ont en elle leur fait obtenir le pardon de leur péché par les travaux de la pénitence commune ; mais celles de ce degré en doivent user avec désintéressement, si elles veulent se relever par la pénitence qui leur est propre et se tirer de leur chute, même avec avantage et avec un notable accroissement d’amour. Il faut qu’elles se sacrifient à la divine justice, même pour n’être jamais exemptes de la punition qu’elles méritent, et encore plus loin, autant que le comprennent ceux qui en ont le rayon par un excès de charité, qui, sans demander à Dieu la rémission des péchés, mais seulement sa volonté et sa plus grande gloire, couvre infailliblement et en un moment la multitude des plus grands péchés 50 ; sacrifiant ainsi sans miséricorde tout propre intérêt, signifié par le fils, le frère, et l’ami.

Comme cette sorte de pénitence a le pouvoir de rétablir l’âme dans le degré d’où elle était déchue, et qu’elle appartient proprement à cette chute des personnes ou passives, ou mystiques, toute autre pénitence pourrait bien assurer leur salut, mais non jamais les rétablir dans leur degré ; au contraire, elle les en éloignerait toujours plus, les faisant entrer plus avant et subsister avec plus d’attache dans leur propre intérêt.

Or cette manière de pénitence après la chute de ces âmes est quelque chose de si difficile et de si pénible à l’amour-propre encore vivant en elles et aigri par leurs péchés, que telles personnes aimeraient mieux se laisser écorcher toutes vives que de demeurer fidèlement dans cette sorte de pénitence, buvant à longs traits la peine de leur faute, et se laissant dévorer par l’ardeur brûlante de leur confusion. Cependant cette même pénitence est d’autant plus glorieuse à Dieu qu’elle est plus anéantissante pour l’homme ; et elle est si pure qu’il n’y rentre pas plutôt qu’il est rétabli dans l’état d’où il était tombé, avec des avantages qu’il n’avait pas auparavant.

C’est de cette pénitence que se peut entendre ce qui est dit par le Sage : Si l’esprit de celui qui a puissance se lève sur vous, ne quittez point votre place ; parce que les remèdes qui vous seront appliqués vous guériront des plus grands péchés 51. La place de chaque âme est le lieu où Dieu l’avait mise avant sa chute ; quelque misérablement qu’elle soit tombée, elle ne doit point la quitter, mais reprenant son premier train, continuer sa course, avec confiance que pendant qu’elle demeurera paisible dans son abjection, sacrifiée à tous les desseins de Dieu sur elle, il lui appliquera les remèdes les plus souverains, par lesquels les péchés cesseront, et elle en sera guérie, même avec surcroît de grâces.

Et parce que cet avis est d’une extrême conséquence dans un pas si dangereux, il est très-nécessaire que les Directeurs le comprennent bien, afin que loin de s’étonner des chutes des plus grandes âmes, ils les soutiennent dans leur désolation et les animent d’un nouveau courage, leur faisant espérer un heureux retour à Dieu, si elles sont fidèles à ne pas se remuer pour retourner à leurs premières pratiques et à aimer leur confusion pour rehausser d’autant plus la gloire de Dieu, faisant une pénitence paisible et passive dans le lieu même de la voie intérieure où elles sont tombées. Telle fut la pénitence de David, mais si heureuse que le S. Esprit ne laissa pas de parler par sa bouche et lui dicter les Psaumes après son péché comme auparavant. Telle fut la pénitence de S. Pierre, qui ne renonça point par sa chute à la dignité de Vicaire de Jésus-Christ, chef de l’Église, et prince des Apôtres, qu’il avait reçue auparavant, et qu’il exerça même peu de jours après avec un courage tout divin. Ni l’un ni l’autre de ces grands pénitents ne quittèrent point le rang que Dieu leur avait donné dans son Église ; ce qui nous apprend qu’il ne faut pas non plus quitter pour quelque offense que ce soit le degré de l’intérieur où l’on était arrivé ; puisque le divin Médecin a des remèdes convenables à tous nos maux et selon tous nos états ; et que loin qu’il veuille que nous retournions en arrière, sous prétexte de recommencer une autre carrière pour être tombés en un beau chemin, il veut même que nous doublions le pas, et que, lui donnant la main d’une parfaite confiance et d’un total abandon, nous avancions encore davantage. Car quoique le péché soit le plus grand de tous les maux, il est néanmoins certain que par la confusion qu’il nous cause et par l’expérience qu’il nous fait faire de notre faiblesse, il nous délivre (en écrasant notre propre suffisance et l’amour de nous-mêmes) d’un grand obstacle à notre anéantissement et à notre recoulement en Dieu. C’est pourquoi Dieu a permis de pareilles chutes dans plusieurs de ses Saints pour les conduire ensuite, et plus vite et plus sûrement en lui seul.

Mais cette même pénitence des spirituels déchus est si douloureuse, à cause qu’elle ôte plutôt toute assurance que d’en donner, qu’il en est peu qui soient assez fidèles pour y demeurer ; et pour la même raison, il en est peu qui, après de pareilles chutes, soient rétablis dans leur état. Mais si ces personnes étaient fermes et constantes à porter le poids de ce joug, sans vouloir se soulager par leurs propres inventions, ô quel avantage pour elles, et quelle gloire pour Dieu !

 

v. 30. Le lendemain Moïse dit au peuple : Vous avez commis un très-grand péché. Je monterai vers le Seigneur pour tâcher de vous obtenir le pardon de votre crime.

 

Le caractère d’un vrai pasteur est la charité ; il commence par reprendre le peuple de son péché et le lui faire connaître ; ensuite il prie Dieu pour lui en obtenir le pardon, s’offrant même à porter la peine due à un si grand crime.

 

v. 31. Seigneur, ou pardonnez-leur cette faute ;

32. Ou, si vous ne le faites pas, effacez-moi de votre livre que vous avez écrit.

 

Ô que cette parole est admirable et un effet insigne de la charité de Moïse ! Seigneur, dit-il, ou pardonnez à ce peuple, ou effacez-moi de votre livre que vous avez écrit. Ce livre est le livre de vie, où Moïse savait qu’il avait été écrit par sa prédestination. C’est cette manière de prier qui force Dieu de pardonner. Car comment une charité si pure et si désintéressée n’obtiendrait-elle pas toutes choses ? S. Paul, ce grand conducteur des âmes, en faisait autant lorsqu’il désirait d’être anathème pour le salut de ses frères 52. Ils savaient tous deux par leur expérience jusqu’où se peut étendre le sacrifice d’un parfait amour.

 

 

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CHAPITRE XXXIII.

 

 

v. 1. Le Seigneur dit à Moïse : Allez, sortez de ce lieu, vous et votre peuple que vous avez tiré de l’Égypte, allez en la terre que j’ai promise avec serment à Abraham, Isaac, et Jacob, en disant : Je donnerai cette terre à votre race.

 

VOUS voulez, Seigneur, malgré le péché, donner des récompenses à ce peuple ingrat et infidèle, à cause de la fidélité de votre parole et en faveur de la foi, du sacrifice, et de l’abandon qu’ils ont exercés autrefois. Mais permettez-moi de vous dire que ces récompenses mêmes sont d’effroyables punitions, puisque ce qui s’accorde au sens doit nuire à l’esprit.

 

v. 2. J’enverrai un Ange pour être votre précurseur.

3. Vous entrerez dans une terre où coulent le lait et le miel. Car je n’y monterai pas avec vous, de peur que je ne vous consume en chemin, à cause que vous êtes un peuple d’une tête dure.

 

Vous voulez bien, ô Dieu, leur donner des douceurs, des consolations, des choses extraordinaires, comme des Anges visibles, qui les accompagnent en leur voie de lumière, vous voulez faire des miracles en leur faveur ; ce sont là de grandes choses, que les âmes ignorantes estiment fort ; mais elles ne voient pas la punition horrible qui est renfermée là-dedans. C’est qu’en les accablant de vos dons, vous les privez de vous-même. Ô horrible menace ! ôtez tout le reste et donnez-vous vous-même, et cela suffit. C’est là le châtiment dont vous frappez un peuple ingrat, charnel et intéressé.

Il faut remarquer que ces mots : Car je ne monterai pas avec vous, expriment très-bien comme Dieu accorde ses dons au lieu de lui-même ; et que souvent l’on prend pour récompense ce qui est une véritable punition. Il ajoute que c’est à cause de leur dureté qu’il ne veut point aller avec eux ; parce qu’il serait obligé de les consumer et anéantir s’il les conduisait dans la voie pure et nue, par laquelle seule on peut aller à lui plus parfaitement, vu qu’ils ne sont pas capables de cette épreuve.

 

v. 4. Le peuple, entendant ces paroles si fâcheuses, se mit à pleurer ; nul d’entre eux ne prit ses habits et ses ornements accoutumés.

 

Ce peuple, à qui le crime n’avait pas fait oublier tout-à-fait la voie de la vérité, en usa avec bien de la sagesse. Il s’affligea d’une proposition si désavantageuse ; et sans faire cas de tous ces dons, ils ne voulurent se vêtir d’aucune parure, pour faire voir à Dieu qu’ils aimaient mieux être dépouillés de tous biens pour avoir le bonheur de le posséder au milieu d’eux. C’est une manière d’agir toute propre à gagner Dieu.

 

v. 5. Le Seigneur dit à Moïse : Dites aux enfants d’Israël : Vous êtes un peuple d’une tête dure ; si je viens une fois au milieu de vous, je vous consumerai. Quittez tout à l’heure tous vos ornements, afin que je sache comment je dois vous traiter.

 

Dieu veut éprouver ce peuple afin de voir si c’est véritablement lui ou seulement ses dons qu’il souhaite. Il les menace de lui-même d’une manière terrible : Si je viens une fois au milieu de vous, leur dit-il, je vous anéantirai. Dépouillez-vous tout à l’heure de ce qui vous reste de mes faveurs, et je verrai ce que je ferai. Combien est-il de personnes qui, sur une semblable proposition, diraient : « Que l’Ange nous conduise, que les dons nous demeurent, et que Dieu ne vienne pas avec nous » ? Mais ce peuple bien instruit dans cette occasion fait le contraire réellement plutôt qu’il ne le dit ; et dans son silence il fait voir que, quoi qu’il en coûte, il préfère Dieu à tout le reste, se dépouillant d’abord de tous ses ornements.

Mais pourquoi l’Écriture, ayant dit peu auparavant, qu’ils n’avaient point pris leurs ornements accoutumés, dit-elle maintenant, qu’ils s’en dépouillent ? Cela s’entend en cette sorte. Ils ne se vêtirent point des grâces que Dieu leur voulait donner au lieu de lui-même ; au contraire, ils les méprisèrent ; et pour lui faire voir encore ici que c’est lui-même qu’ils désirent, et non ses dons, ils se dépouillent même de ceux qui leur restaient et qu’ils avaient reçus auparavant, préférant l’anéantissement à tout le reste, pourvu que Dieu les conduise.

 

v. 6. Les enfants d’Israël quittèrent leurs ornements près de la montagne d’Horeb.

7. Et Moïse, prenant le Tabernacle, le dressa bien loin hors du camp, et l’appela le Tabernacle de l’alliance. Et tout le peuple qui avait quelque différend sortait hors du camp pour aller au Tabernacle de t’alliance.

 

Ils n’eurent pas plutôt fait ce généreux dépouillement que Moïse dressa devant eux le Tabernacle de l’alliance, comme pour leur faire connaître que Dieu viendrait lui-même avec eux. Aussi Moïse ne fut pas plutôt entré dans le Tabernacle que le Seigneur y apparut lui-même et lui parla dans la nue comme auparavant.

 

v. 9. Quand Moïse était entré dans le Tabernacle de l’alliance, la colonne de nuée descendait et se tenait à la porte ; et le Seigneur parlait à Moïse.

10. Et tous, voyant que la colonne de nuée se tenait à l’entrée du Tabernacle, se tenaient aussi eux-mêmes à l’entrée de leurs tentes, et y adoraient le Seigneur.

 

C’était donc là que ces pauvres criminels trouvaient leur refuge et où ils demandaient à Dieu tout ce dont ils avaient besoin. Ils ne connurent pas plutôt par la colonne de nuée que Dieu était avec eux qu’ils l’adorèrent de leurs tentes, c’est-à-dire du lieu de leur repos ; car l’âme bien passive sait faire cela en toute chose sans sortir de son repos ; et cette manière d’adorer est plus parfaite que nulle autre. Ils adorent de loin et, se tenant debout, parce que l’adoration parfaite, qui se fait en esprit et en vérité par la foi et par l’amour, pénètre toute distance et surpasse toute disposition du corps, s’élevant à Dieu au-dessus de tout moyen. Quoique cette adoration d’un peuple spirituel, bien que pénitent dans son degré, fût déjà sort avancée, toutefois elle n’approchait pas de celle dont Moïse savait adorer.

 

v. 11. Le Seigneur parlait à Moïse face à face, comme l’homme a accoutumé de parler à son ami.

 

Cet ami de Dieu, élevé au-dessus de tout, choisi et unique, parle à Dieu face à face, dans l’union la plus intime de toutes les unions, dans l’union étroite, essentielle, et élevée au-dessus des puissances. Dieu ayant élevé la capacité de la créature et s’étant abaissé lui-même pour qu’il y eût quelque proportion d’amitié, il lui parle face à sace, traitant avec elle d’une façon si familière qu’elle mérite d’être comparée à celle dont un ami en agit avec son ami le plus intime, ne lui cachant rien, et le rendant en quelque manière égal à lui-même ; car l’amitié intime rend les amis égaux.

 

v. 11. Lorsque Moïse retournait au camp, le jeune Josué, fils de Nun, qui le servait, ne sortait point du Tabernacle.

 

C’est la coutume des jeunes âmes, qui commencent d’entrer dans la vie intérieure, d’être continuellement en oraison ; elles en sont si charmées qu’elles n’en peuvent sortir. Un amour doux et pénétrant, qui les saisit, les fait demeurer enfoncées en elles-mêmes ; et une présence de Dieu vive et forte, qui leur est infuse, les concentre si doucement au-dedans d’elles comme dans un tabernacle, qu’elles ne sauraient le quitter. Le sage Directeur, à l’exemple de Moïse, les y doit laisser ; car il n’est pas temps de les en tirer.

 

v. 12. Moïse dit au Seigneur : Vous me commandez d’emmener ce peuple, et vous ne me dites pas qui vous devez envoyer avec moi, quoique vous m’ayez dit : Je vous connais par votre nom, et vous avez trouvé grâce devant moi.

13. Si donc j’ai trouvé grâce devant vous, montrez-moi votre visage, afin que je vous connaisse, et que je trouve grâce devant vos yeux ; regardez favorablement cette grande multitude qui est votre peuple.

 

Cette prière de Moïse paraîtrait hardie, injurieuse à Dieu, et inutile, si elle n’était toute mystérieuse. Elle serait hardie ; car qui est l’homme vivant dans un corps mortel qui doive aspirer à la claire vision de Dieu ? Elle serait injurieuse à Dieu, prétendant qu’il découvre son visage, quoi qu’il ait protesté que cela ne se fait point en cette vie ; et elle serait inutile, puisque l’Écriture dit qu’il lui parlait face à face. Mais il n’en est pas de la sorte. La demande de Moïse était juste dans cette occasion, où il ne s’agissait pas de lui-même, mais d’un si grand peuple intérieur. Moïse eut donc savoir, et que son peuple sache aussi, si ce sera Dieu même, et non son Ange, qui les conduira ; et qu’ils soient persuadés que Dieu seul peut les conduire en lui-même par l’effroyable chemin qui leur reste encore à faire, et qui est d’autant plus dangereux qu’il est plus près de sa fin.

Moïse voulait donc voir si c’était Dieu même qui conduirait ce peuple, afin de juger par là de son rétablissement en grâce, et de la sûreté du chemin qu’il allait tenir. De plus, il signifie que ce n’est pas assez au Conducteur de parler à Dieu avec tant de familiarité, cela étant une grâce pour lui-même, mais qu’il faut outre cela qu’il voie le visage de Dieu, c’est-à-dire qu’il ait la vue et la claire intelligence des paroles qui lui sont dites, afin de les pouvoir enseigner sans errer.

Il est bien remarquable que tel a la jouissance et l’intelligence d’une chose pour lui-même qui n’a pas néanmoins la lumière et la facilité de l’expression pour la faire comprendre aux autres. C’est pourquoi S. Paul a distingué comme deux dons différents celui de parler diverses langues et celui de les interpréter 53 ; et entre les dons du S. Esprit, il y a bien de la différence entre la Sagesse, l’intelligence, et le conseil 54. La sagesse est le discernement des vérités divines avec le goût expérimental qui en est donné ; l’intelligence les fait bien concevoir et pénétrer plus vivement, telles qu’elles sont en elles-mêmes, avec plus d’étendue et de distinction ; mais le conseil est la facilité de les exprimer avec justesse pour le bien des autres. Pour cette même raison, le grand Apôtre et Directeur si choisi disait que le visage de Dieu lui avait été découvert ; pour nous, dit-il, en qui le visage du Seigneur découvert imprime sa gloire comme dans un miroir 55.

Moïse, afin de faire encore plus voir que cette prière qu’il faisait ne le regardait pas lui-même, ajoute : Regardez favorablement votre peuple, car c’est en sa faveur que je vous fais cette demande.

 

v. 14. Le Seigneur lui dit : Mon visage vous précédera, et je vous donnerai un lieu de repos.

15. Moïse lui répliqua : Si vous ne marchez vous-même devant nous, ne nous faites point sortir de ce lieu.

 

Dieu continue d’assurer ce Directeur admirable de sa protection particulière pour lui-même, et lui promet un lieu de repos, c’est-à-dire que, pour lui, il trouvera toujours Dieu et son parfait repos en lui, et qu’il ne se mette point en peine d’autre chose. Mais le grand cœur de Moïse, qui s’oublie de tout propre intérêt pour ne penser qu’à celui de son troupeau, n’accepte pas ce parti ; il continue de faire instance à son Dieu, lui protestant que s’il ne le voit marcher lui-même à la tête de son peuple, il ne peut souffrir qu’il le fasse sortir de ce lieu.

 

v. 16. Car comment pourrons-nous savoir, moi et votre peuple, que nous avons trouvé grâce devant vous, si vous ne marchez avec nous afin que nous soyons en gloire et en honneur parmi tous les peuples qui habitent sur la terre ?

 

Comment espérerons-nous le pardon ? Comment aurons-nous l’avantage sur nos ennemis ? Comment marcherons-nous en assurance, si vous ne venez vous-même avec nous ? Ah, une telle âme aime mieux tout perdre que de perdre son Dieu ! Ô que marcher sous la conduite de Dieu est marcher sûrement ! Mais tout autre marcher est exposé à des dangers infinis.

 

v. 17. Le Seigneur dit à Moïse : Je ferai ce que vous me demandez, car vous avez trouvé grâce devant moi, et je vous connais par votre nom.

 

Dieu accorde à ce charitable Pasteur ce qu’il demande, parce qu’il le connaît par son nom, vrai et légitime pasteur, plein de charité ; et qu’à cause de son pur et violent amour, il ne peut lui rien refuser. C’est cela même qu’il appelle trouver grâce devant lui. Mais il ne lui accorde encore ici que la Victoire sur ses ennemis ; non qu’il ne veuille lui accorder aussi le reste ; mais il se fait un plaisir de le faire languir dans la poursuite d’un si grand bien, qui mérite assez d’être précédé de quelque peine, et recherché avec un ardent désir.

 

v. 18. Moïse lui dit : Montrez-moi votre gloire.

19. Le Seigneur lui répondit : Je vous montrerai tout bien, et j’appellerai devant vous au Nom du Seigneur 56. Je ferai miséricorde à qui je voudrai, j’userai de clémence envers qui il me plaira.

 

Une telle âme ne se contente pas d’une récompense temporelle ou d’un bien limité. Moïse redemande avec instance la même faveur, quoique sous des termes différents : Montrez-moi votre gloire, lui dit-il, comme s’il lui disait : Je ne serai jamais content que je ne voie votre gloire et ce que vous êtes en vous-même. Dieu lui promet enfin qu’il lui montrera tout bien s’il se découvre à lui, se faisant voir lui-même, qui est le bien souverain et le centre de tous biens.

Il le lui promet, néanmoins d’une manière qui semble témoigner qu’il trouve mauvais que Moïse lui fasse de si ardentes poursuites, lorsqu’il lui dit : Je ferai miséricorde à qui je voudrai, et j’userai de clémence envers qui il me plaira. Mais, ô Moïse, que cette rudesse apparente ne vous rebute point ; ce sera un plus grand bien pour vous que toutes les caresses précédentes ; c’est même un signe que le Seigneur, par un excès de son amour pour vous, vous accorde tout ce que vous voulez. Lorsque Dieu promet ses plus grandes grâces à ses serviteurs, il le fait avec mille témoignages de son affection ; mais lorsqu’il s’agit du Souverain bien, il l’accorde comme en rebutant ; il chasse en attirant ; et lorsqu’il rejette au-dehors, c’est pour introduire au-dedans comme lorsque Jésus-Christ refuse la Cananéenne 57, c’est pour l’exaucer avec plus de miséricorde. Il faut que la créature soit détruite en elle-même avant que d’être reçue en Dieu, et qu’elle sache que c’est de la pure bonté de Dieu qu’elle doit attendre cette grâce ineffable ; vu que, comme ajoute S. Paul, expliquant ce même endroit de Moïse, il ne dépend pas de celui qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde 58.

 

v. 20. Dieu lui dit encore : Vous ne pourrez voir mon visage, car nul homme ne me verra étant vivant.

 

Le dessein de Dieu dans ce resus est d’instruire Moïse de la disposition nécessaire pour jouir pleinement de Dieu. Nul ne peut le voir, ni jouir pleinement de lui, s’il n’est véritablement mort et défailli à toute vie propre, soit de nature ou de grâce, et de tout ce qui n’est point Dieu. Aussi ne dit-il pas : Nul ne me verra sans mourir, mais : Nul ne me verra étant vivant, pour nous faire comprendre qu’une seule mort ne suffit pas, ni même plusieurs, pour arriver à ce bonheur suprême, mais qu’il ne doit rester aucun brin de vie propriétaire pour petit qu’il soit.

Il y a plusieurs morts spirituelles, toutes nécessaires pour la purgation de l’âme : celle des sens, celle des puissances, celle du centre ; et chacune de ces morts ne s’opère que par la perte d’une infinité de vies ; à cause qu’il y a une infinité d’attaches et d’appuis aux choses créées dans lesquelles l’homme subsiste propriétairement. Pour voir Dieu, pour être uni à lui de l’union la plus intime, il est absolument nécessaire d’être privé de toutes ces vies ; et si la sacrée flamme du pur amour ne les anéantit pas toutes en ce monde, il faudra que le feu purifiant les dévore en l’autre.

 

v. 21. Le Seigneur ajouta : Il y a un lieu auprès de moi où vous vous tiendrez sur la pierre.

22. Et lorsque ma gloire passera, je vous mettrai dans l’ouverture de la pierre, et je vous couvrirai de ma main jusqu’à ce que je sois passé.

23. J’ôterai ensuite ma main, et vous me verrez par derrière ; mais vous ne pourrez voir mon visage.

 

Ce lieu, destiné pour la jouissance de Dieu, est auprès de lui, puisqu’il est en lui-même et que lui-même est ce lieu. Il faut, pour avoir ce bien inestimable, être établi sur la pierre de l’immobilité divine ; et lors, dit le Seigneur, que ma gloire passera, je vous couvrirai de la main de ma protection, afin que vous puissiez soutenir une si grande faveur que celle-ci, qui autrement vous consumerait. Cependant vous ne me verrez que comme par l’ouverture étroite, ou l’extrémité de la pierre, qui est la plus subtile pointe de l’esprit ; et lorsque cet état majestueux de ma gloire, que l’on ne peut voir en cette vie mortelle que comme un éclair, sera passé, je retirerai ma main, qui couvrait ma gloire, vous empêchant de la voir de peur que votre âme ne se séparât du corps, la nature étant trop faible pour soutenir le poids d’un si grand bien ; et alors vous me verrez, vous comprendrez en quelque manière avec une vue singulière de ma Divinité, dont je veux vous gratifier, que JE SUIS CELUI QUI SUIS et que tout est en moi ; mais vous me verrez seulement par derrière, c’est-à-dire en ce qui peut tomber sous la compréhension de l’homme élevé à la grâce la plus éminente, qui n’est que comme voir par derrière, et apercevoir la surface de ce qui est Dieu ; mais Dieu en lui-même est absolument incompréhensible, selon que S. Denis l’a dit si profondément : Si quelqu’un ayant vu Dieu a compris ce qu’il a vu, ce n’est point Dieu qu’il a vu 59, mais seulement quelqu’une des choses qui sont par lui, et qui peuvent tomber sous la connaissance de l’homme.

 

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CHAPITRE XXXIV.

 

 

v. 1. Le Seigneur dit ensuite à Moïse : Faites-vous tailler deux tables de pierre comme les premières, et j’y écrirai les paroles qui étaient sur les tables que vous avez rompues.

4. Moïse, se levant avant le jour, monta sur la montagne de Sinaï, portant avec lui les tables.

 

DIEU regarde Moïse d’un œil de bienveillance singulière, ou plutôt, il se laisse voir à lui, mais c’est à condition que sa loi sera gravée sur des tables de pierre qui ne seront plus rompues, pour marquer qu’il désire la graver sur des cœurs qui, par leur immobilité centrale, soient à couvert de toute infidélité.

 

v. 5. Le Seigneur étant descendu dans la nuée, Moïse demeura avec lui, et il invoqua le nom du Seigneur.

6. Et lorsque le Seigneur passait devant Moïse, il lui dit : Seigneur Dieu, dominateur, miséricordieux et plein de clémence, patient, riche en miséricorde, et véritable.

7. Qui conservez votre miséricorde jusqu’en mille générations.

 

Les expressions de Moïse lorsqu’il a le bonheur de voir Dieu sur la montagne font assez voir les agréables transports dont une âme est saisie dans la réception d’une si grande grâce. Elles nous marquent aussi comment ceux qui sont visités de Dieu dans leur fond intérieur, sentant ces touches délicieuses, ne peuvent qu’ils ne laissent évaporer le feu de l’amour (dont ils se sentent embrasés) par mille et mille louanges qu’ils donnent à leur Dieu. De plus, nous apprenons que c’est dans ces précieux moments que l’Épouse reçoit une plus claire connaissance de Dieu, par la manifestation qu’il lui fait de lui-même. Elle l’appelle Seigneur, Dieu véritable, miséricordieux, patient ; et admirant ses divins attributs, et ne pouvant assez les louer, elle les aime tous également, autant sa justice que sa miséricorde, et sa puissance comme sa vérité ; parce que, n’y cherchant aucun propre intérêt, elle est ravie que ce soient les perfections de son Dieu qui éclatent ou en lui-même, ou à l’égard de ses créatures.

 

v. 8. Et aussitôt Moïse, se prosternant contre terre, adora Dieu.

9. Et lui dit : Seigneur, si j’ai trouvé grâce devant vous, marchez, je vous supplie, avec nous ; afin que vous nous pardonniez nos péchés et nos iniquités, et que vous nous possédiez.

 

Moïse se sert de l’occasion de ces saveurs pour obtenir de Dieu ce qu’il souhaite. Il l’adore premièrement ; lui rendant ce devoir de religion ; puis il le supplie d’être lui-même le Conducteur du peuple, afin, dit-il, que vous nous pardonniez et que vous nous possédiez ; car la marque la plus sûre du pardon des péchés, c’est d’être possédé de Dieu, et de le posséder aussi au-dedans de soi ; vu que Dieu ne peut habiter où le péché subsiste. Il faut qu’à mesure que Dieu pardonne les péchés, il rentre en possession du cœur et le rétablisse en lui, comme il y était avant sa mort par le crime.

 

v. 10. Le Seigneur lui répondit : Je ferai alliance à la vue de tout le monde, je ferai des prodiges qui n’ont jamais été vus sur la terre.

 

Dieu promet à Moïse ce qu’il souhaite, l’assurant qu’il lui fera de plus grandes grâces que toutes celles qu’il a reçues. Lorsque Dieu veut venir dans une âme, il faut que par l’anéantissement mystique elle soit dépouillée de toutes ses grâces ; mais lorsqu’il est venu, étant l’auteur de toutes les grâces, il en apporte avec lui de celles que la créature n’avait jamais éprouvées, et qui, comme les ornements de sa cour intérieure, ne peuvent être sans lui.

 

v. 12. Prenez garde de ne vous lier jamais d’amitié avec les habitants de cette terre ; car ce serait la cause de votre ruine.

 

Ce conseil se donne aux âmes spirituelles, à savoir, de ne plus avoir commerce avec les âmes qui sont en elles-mêmes et qui marchent dans des voies propriétaires ; de peur qu’elles ne les retirent de leur état de perte en Dieu et que par leurs réflexions elles ne les fassent retourner à elles-mêmes et, par-là même, causent leur ruine.

 

v. 14. N’adorez point de Dieu étranger. Le Seigneur s’appelle jaloux, le Dieu qui veut être aimé uniquement.

 

Il leur recommande encore de n’adorer point de Dieu étranger, comme ils ont fait ; car son nom est le Dieu jaloux. Ô bonté de mon Dieu, vous avez une sainte jalousie du cœur de vos créatures et de leur esprit ! Vous voulez qu’ils soient à vous seul et qu’ils se gardent bien de jamais retourner à aucune idolâtrie semblable à celle dont ils se sont laissés séduire.

 

v. 16. Vous ne donnerez point pour femmes à vos fils les filles de ce pays-là ; de peur que s’étant corrompues elles-mêmes avec leurs Dieux, elles n’entraînent aussi vos fils à la même fornication.

 

C’est avec justice qu’il défend ces alliances et qu’il appelle l’idolâtrie fornication ; car l’âme étant à Dieu, elle ne doit appartenir qu’à lui seul ; et sitôt qu’elle se tire de lui pour se mettre en quelque autre chose, elle commet un adultère, ainsi que le S. Esprit le déclare par S. Jacques 60.

 

v. 30. Aaron et les enfants d’Israël, voyant que le visage de Moïse jetait des rayons, n’osaient approcher de lui.

 

Ces rayons du visage de Moïse étaient une marque sensible de son recoulement et de sa transformation sublime en Dieu seul, dont la plénitude regorgeait sur le dehors.

 

v. 34. Lorsqu’il parlait au Seigneur, il ôtait son voile, jusqu’à ce qu’il en sortît.

35. Mais il couvrait de nouveau son visage lorsqu’il parlait au peuple.

 

Cette sage conduite de Moïse nous apprend que les personnes de ce degré ne doivent pas manifester aux autres qui n’en sont pas capables les secrets qu’ils y découvrent, ni ce qu’ils y éprouvent ; à cause que cela ne ferait que les effrayer et rebuter. Cela ne doit être connu que de Dieu seul et des directeurs, ou de ceux qui sont dans le même état ; pour les autres, tout est couvert d’un voile impénétrable à leur esprit, quelque perçant qu’ils le croient ; et si ce voile était levé, ils ne pourraient supporter l’éclat qui sortirait de ces personne

s divinisées.

 

 

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CHAPITRE XXXV.

 

 

v. 3. Vous n’allumerez point de feu dans toutes vos maisons au jour du Sabbat.

 

CE commandement exprime même à la lettre le repos des âmes que Dieu a fait entrer dans son Sabbat divin, qui est le repos mystique ! Elles ne doivent rien faire par elles-mêmes, mais demeurer simplement comme on les fait être. Allumer le feu n’est autre chose que d’émouvoir un peu l’affection pour l’échauffer de l’amour divin sensible ou aperçu. Cela est permis dans d’autres degrés, où il faut encore être dans l’activité et se soutenir par quelque témoignage ; mais il ne se doit plus faire au jour du Sabbat ou du repos en Dieu ; et qui le voudrait encore faire violerait la sainteté du Sabbat, interrompant le repos divin. Que les personnes donc qui sont appelées à ce sacré repos, et qui en sont même assurées par la direction, y entrent et y demeurent sans crainte, respectant religieusement la Majesté de Dieu, qui veut être adoré parfaitement en eux par le silence et par le repos ; se ressouvenant que c’est là le Sabbat qui nous reste dans la loi de grâce ; Sabbat que le peuple de Dieu le plus choisi doit célébrer dès cette vie pour toujours, sitôt qu’il y est introduit, pour le continuer ensuite éternellement dans le Ciel, selon l’explication qu’en donne S. Paul 61.

 

v. 5. Mettez à part chez vous ce que vous avez résolu de commencer d’offrir au Seigneur. Que chacun le lui offre de tout son cœur et d’une pleine volonté.

 

Ces premières offrandes que Dieu demande sont les premières des bonnes œuvres et ce commencement de la vie spirituelle que l’âme naissante à son amour peut alors lui consacrer, puisqu’elle peut agir par elle-même ; toutes ses actions se doivent référer à Dieu, sans qu’elle en retienne chose quelconque ; et par cette offrande très-volontaire 62 de tout ce qui est à son pouvoir, Dieu sanctifie et se consacre tout le reste par la donation très-libre qu’elle fait à Dieu de sa volonté ; et il s’empare si fort de toute elle-même qu’il en dispose après en Souverain. Et c’est là le moyen le plus sûr et le plus court, ou plutôt, c’est l’unique moyen d’acquérir la perfection, à savoir d’abandonner son cœur et tout ce qui en dépend à la puissance de Dieu, afin qu’il le rende lui-même tel qu’il le veut, ainsi qu’il nous est recommandé dans un Psaume 63. Les personnes qui sont assez généreuses pour le faire, s’étant ainsi défaites d’elles-mêmes, se sont défaites du plus grand ennemi de leur perfection ; et étant heureusement remises entre les mains de Dieu, elles ont perdu tout pouvoir sur elles-mêmes.

Mais elles ne l’ont perdu que par l’offrande volontaire qu’elles en ont faite à Dieu, ne pouvant faire un usage plus saint, plus juste, ni plus avantageux de leur liberté qu’en la rendant et consacrant à leur Dieu qui les en a gratifiées, quoique absolument elles soient toujours en état de la reprendre par infidélité, et qu’il n’y en ait très peu qui en fassent une donation parfaite, la plupart y apportant toujours, ou quelque réserve, ou quelque reprise. Mais si ce parfait sacrifice se faisait tout à coup, l’on serait à l’instant parfait, vu que nulle imperfection ne peut rester là où la volonté de Dieu agit et règne sans résistance.

Ces offrandes donc matérielles de la loi sont la figure des sacrifices spirituels que Dieu veut de nous ; et heureux cent mille fois ceux qui en pénètrent l’esprit, qui en aiment la pratique, et qui en goûtent la vérité !

 

v. 20. Tous les enfants d’Israël

21. Firent leur offrande au Seigneur avec une volonté prompte et pleine d’affection, pour tout ce qu’il y avait à faire au Tabernacle du témoignage.

25. Les femmes aussi qui étaient habiles au travail donnèrent ce qu’elles avaient filé, d’hyacinthe, de pourpre, d’écarlate, de fin lin –

26. Et donnèrent tout de grand cœur.

 

Il ne faut qu’offrir au Seigneur les prémices de notre volonté, et le droit libre que nous avons sur nous-mêmes, afin qu’il fasse en nous l’ouvrage du Tabernacle. Dieu, par Moïse dans ce désert et dans le repos qu’y prend son peuple, instruit tous les spirituels et tous les Directeurs, sous ces figures sensibles, de la manière dont ils doivent s’y prendre pour réussir dans le travail de leur perfection Chrétienne ; et quiconque aura lumière pour le pénétrer à travers les ombres le verra avec ravissement.

Le Tabernacle est la demeure de Dieu ; et c’est lui-même qui bâtit cette demeure en nous, dès que nous lui avons cédé nos droits. Sitôt que l’homme, par le doux et fort recueillement, s’éloigne des créatures et vit solitaire avec Dieu au-dedans de soi-même 64 et que, s’élevant au-dessus de sa propre fragilité, il s’élance en Dieu pour y trouver tout ce qui lui est nécessaire, Dieu commence à faire son œuvre en lui ; mais avec tant de bonté qu’il se sert de toutes choses pour construire son palais intérieur, faisant que tout conspire au bien de ceux qui l’aiment 65 et qui, selon sa résolution, sont appelés à la sainteté. La mauvaise volonté des créatures qui s’y opposent sert comme autant de coups de marteau pour polir le dehors de cet édifice par les croix qu’elles leur causent, pendant que Dieu travaille lui-même au dedans et y fait son tabernacle. Mais il faut que tout soit offert librement et d’un cœur franc, ainsi que l’Écriture dit, que tous donneront de leur plein gré, pour faire voir que Dieu ne viole point la liberté, mais qu’il dispose le cœur par son amour, afin qu’il lui donne franchement ce qu’il lui doit offrir.

 

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CHAPITRE XXXVI.

 

 

v. 4. Les ouvriers furent obligés

5. De venir dire à Moïse : Le peuple offre à Dieu plus qu’il n’est nécessaire.

 

LES meilleures choses ont leur temps et leur saison où elles doivent finir. Y a-t-il rien de meilleur que d’offrir à Dieu ce que l’on possède ? Pourquoi donc l’Écriture dit-elle que l’on offre ici plus qu’il n’est nécessaire ? C’est que lorsqu’on s’est offert à Dieu librement, et qu’on lui a même fait un don irrévocable de sa liberté, il n’est plus nécessaire de l’offrir, puisque cela ne nous appartient plus ; et il faudrait se reprendre pour s’offrir de nouveau.

L’on me dira que l’on peut toujours offrir de nouvelles vertus. Il est vrai que l’on peut toujours offrir de nouveaux fruits tant que l’on possède l’arbre ; mais dès que l’on a donné le fonds, ce serait une ridiculité de vouloir encore à tout coup en offrir les fruits ; puisqu’il est assez clair qu’ils appartiennent au Maître du fonds et qu’on ne peut vouloir les lui redonner sans s’en rendre en quelque manière propriétaire.

Que si de bonnes âmes réitèrent souvent cette donation, comme il est assez ordinaire dans les commencements, c’est, ou parce qu’elle n’a pas été faite dès le commencement dans toute sa perfection, ou pour retrancher les réserves qui sont restées, ou pour renoncer les reprises qui se sont faites par infidélité, ou par un épanchement amoureux du cœur, qui se plaît à ratifier ce qu’il a fait pour son Dieu, ou enfin par un mouvement de Dieu même, qui aime à voir renouveler plusieurs fois ce sacrifice d’amour.

 

v. 6. Alors Moïse fit déclarer publiquement par la voix d’un hérault que ni homme ni femme n’offrît plus rien pour les ouvrages du Sanctuaire. Et ainsi tous cessèrent d’offrir des dons.

 

Ce sage directeur bien instruit dans la science mystique fit défense que ni les hommes, qui signifient les âmes les plus fortes et les plus avancées, ni les femmes, qui représentent les moins purifiées et les plus faibles, n’offrissent plus de dons ; parce que l’offrande qui s’est faite de tout soi-même suffit pour laisser agir Dieu et pour qu’il dresse lui-même son sanctuaire selon son dessein éternel.

 

v. 7. Ce que l’on avait déjà offert suffisait, et il y en avait même plus qu’il n’en fallait.

 

On avait déjà excédé l’ordonnance que Dieu avait faite. C’est que l’amour de la propre activité porte d’ordinaire à se donner lorsque l’on ne le doit plus faire. Et l’on ferait toujours de la sorte si les vrais directeurs ne le défendaient avec autant de patience que de force ; ou si Dieu, se servant du droit qu’il a acquis sur la créature par sa libre donation, ne la mettait dans l’impuissance de le faire, desséchant lui-même ses puissances et faisant tarir son activité.

 

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CHAPITRE XL.

 

 

v. 31. Après que ces choses furent achevées,

32. Une nuée couvrit le Tabernacle du témoignage, et la gloire du Seigneur le remplit.

 

LE Tabernacle n’est pas plutôt achevé selon l’ordre de Dieu qu’il vient incessamment le remplir de sa présence, et y donner des marques sensibles de sa Majesté. Ce qui veut dire que notre intérieur, étant préparé au point que Dieu le souhaite, il vient aussitôt y faire sa demeure, quoique dans la nuée, c’est-à-dire sous l’obscurité de la foi.

 

v. 33. Moïse ne pouvait entrer dans la tente de l’alliance parce que la nuée couvrait tout et que la Majesté de Dieu éclatait de toutes parts.

 

Mais lorsque ce tabernacle intime, ou le centre de l’âme, est plein de Dieu même, rien n’y peut entrer, pas même les plus saintes choses, tout se fondant en Dieu à mesure qu’il s’en approche si c’est quelque chose de Divin, sans pouvoir le distinguer, et tout ce qui lui est opposé demeurant dehors. Car quoique cette nuée ne soit pas Dieu, toutefois Dieu même est dans cette nuée. Il faut donc que le sanctuaire intérieur soit entièrement vide, afin que la Majesté de Dieu s’y repose.

 

 

FIN du livre de l’EXODE.

 

 

 

 

 



1  C.-à.-d. les personnes intérieures, comme il est dit incontinent.

2  Rom. 8, v. 33. Phil. 2. v. 6-8.

3  Sagesse 5, v. 4.

4  Jean 16, v. 2.

5  Luc 11, v. 52.

6  Éphés. 4, v. 1.

7  Rom. 2, v. 28-29.

8  Act. 7, v. 27.

9  Exode 32, v. 32.

10  Luc 19, v. 26.

11  Zachar. 2, v. 13.

12  2 Cor. 13, v. 3.

13  Ps. 30, v. 21.

14  Jehova, que les Juifs prononcent Adonaï.

15  Matth. 6, v. 23.

16  1 Cor. 3, v. 19.

17  Philipp. 1, v. 6.

18  Ps. 38, v. 6 ; et 61, v. 10.

19  Ps. 35, v. 8.

20  Rom. 4, v. 18.

21  Luc 1, v. 28.

22  Luc 1, v. 48.

23  Rom. 8, v. 1.

24  Apoc. 7, v. 2-3.

25  Actes 17, v. 28.

26  Apoc. 5, v. 13.

27  Actes 2, v. 4. Item 8, v. 17.

28  Jean 3, v. 3.

29  D’un Directeur.

30  Matth. 6, v. 10.

31  Sagesse 12, v. 18.

32  Exod. 33, v. 20.

33  Ézéch. 11, v. 19.

34  Marc 3, v. 17.

35  Psaum. 103, v. 30.

36  Ézéch, 36, v. 27.

37  Rom. 13, v. 10.

38  Rom. 8, v. 15.

39  1 Jean 4, v. 18.

40  Jean 14, v. 23.

41  1 Cor. 15, v. 28.

42  Chap. 20, v. 8.

43  Jean 17, v. 21 ; 1 Cor. 6, v. 17.

44  Jean 14, v. 17.

45  Matth. 22, v. 40.

46  Matth. 12, v. 7.

47  Philipp. 3, v. 19 ; Coloss. 3, v. 5.

48  1 Jean 5, v. 18.

49  Hébr. 6, v. 4.

50  1 Pier. 4, v. 8.

51  Ecclésias. 10, v. 4.

52  Rom. 9, v. 3.

53  1 Cor. 12, v. 10.

54  Isa. 11, v. 2.

55  2 Cor. 3, v. 18.

56  Je prononcerai (ou ferai retentir) devant vous, mon Nom, CELUI QUI EST.

57  Matth. 15, v. 24.

58  Rom. 9, v. 16.

59  Épist. I. à Cajus.

60  Jacq. 4, v. 4.

61  Hébr. 4, v. 9.

62  Ps. 53, v. 8.

63  Ps. 47, v. 14.

64  Thren. 3, v. 38.

65  Rom. 8, v. 28.

 

 

 

 

 

 

 

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