Christianisme et zoroastrisme

 

PRÉTENDUE SUPÉRIORITÉ DE LA RELIGION DE ZOROASTRE

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Ch. de HARLEZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous avons montré naguère 1 le singulier aveuglement de ceux qui prétendent élever le brahmanisme et la civilisation hindoue au dessus des doctrines et de la civilisation chrétiennes. Nous devons aujourd’hui continuer notre œuvre ; car on ne s’est point arrêté là, et d’autres théories religieuses, d’autres cultures ont eu les mêmes honneurs que celles des brahmanes. On ne doit point s’en étonner ; ce que l’on veut aujourd’hui, ce que l’on cherche par tous les moyens, c’est l’avilissement des doctrines évangéliques.

On a donc affirmé, et l’on répète sur tous les tons, que la religion de Zoroastre l’emporte de beaucoup sur celle du Christ.

Les raisons que l’on invoque pour donner la préférence à la première ne manquent pas d’originalité. Nous les trouvons résumées dans un livre récent, destiné à donner au public lettré une histoire succincte, mais scientifique de la Perse. Les voici : le Zoroastrisme est de beaucoup supérieur au Christianisme : 1o parce qu’il est plus gai ; 2o parce que sa morale est plus humaine ; 3o parce que son enfer n’est pas éternel.

 

 

I

 

Occupons-nous d’abord du premier point. On conviendra aisément qu’on ne s’attendait guère à un argument de cette espèce. Si le caractère plus ou moins gai d’une religion doit faire juger de son degré d’excellence, alors, il faut le reconnaître, la plus parfaite sera celle qui prendra pour évangile l’Almanach pour rire, pour grand-prêtre Arlequin ou Polichinelle, et pour temple, le théâtre de la Gaîté ou celui des Folies-Bergère. La gaîté, voilà un criterium en matière de religion assurément inattendu. La religion est, à notre avis, la chose la plus sérieuse du monde, puisque elle est la règle des rapports entre Dieu et l’homme, et ces rapports ne s’expriment pas, pensons-nous, au moyen de farces et de gaudrioles. Certes il nous suffirait de cette réflexion pour faire justice d’une semblable thèse ; mais puisque ces choses sont débitées sérieusement et par de vrais savants, par des éranistes consommés, nous voulons montrer à nos lecteurs combien il est vrai que l’on se croit dispensé de toute logique dès qu’on se pose en adversaire du Catholicisme. Examinons donc si, en réalité, le Zoroastrisme est plus gai que le Christianisme, si la vie du Zoroastrien est plus joyeuse que celle du chrétien et moins que celle-ci remplie de gênes et de difficultés produites par les croyances et les pratiques religieuses. Cet examen sera facile à faire, il nous suffira de reproduire ici le tableau de la vie religieuse des disciples de l’Avesta. Pour ne point nous perdre dans les distinctions et les détails, nous supposerons le Zoroastrien arrivé à sa majorité, au temps du complet exercice de ses devoirs religieux.

Notre Zoroastrien se lève de grand matin, car la loi sainte le lui prescrit, et aussitôt il récite de ferventes prières. Il sort du lit et se met immédiatement à examiner ses couvertures et ses vêtements ; il les tourne et retourne pour s’assurer que rien pendant la nuit n’est venu les souiller. Il se peigne, se ceint du Kosti 2 et se tournant vers l’orient récite de nouvelles prières. Il prend alors de l’urine de bœuf et, la tenant dans le creux des mains, prononce des formules conjuratoires, puis, avec de nouvelles prières, il se lave les mains et les bras, la figure et les pieds ; il les sèche avec de la terre et les lave avec de l’eau, ôte et remet le Kosti, toujours en priant.

Cela fait, il prend du bois et des parfums et les dépose dans le feu du foyer domestique, non sans répéter encore diverses oraisons. Il peut alors vaquer à ses affaires, à la condition toutefois de les interrompre fréquemment, comme on va le voir. Avant de se mettre à table, le Zoroastrien doit renouveler les ablutions indiquées ci-dessus, s’assurer que les aliments qu’il va prendre n’ont été souillés par rien, et ne contiennent aucune créature d’Ahriman, puis il prend le pedom 3, se l’ajuste, et récite des prières. Il s’assied ensuite et mange sans dire mot, conservant constamment le pedom sur la bouche, de peur que son haleine, sa salive ou des miettes, tombées de sa bouche, ne souillent les aliments qui sont sur son assiette ou ses habits et ne l’obligent à jeter les premiers, à déposer et à purifier les seconds. Il ne peut boire que vers la fin du repas, et pour boire il doit tenir la tête rejetée en arrière, laisser couler l’eau du verre sans l’approcher des lèvres, et éviter soigneusement que sa main ne touche ses lèvres, bien qu’il n’ait d’autre instrument que ses doigts pour porter les aliments à la bouche. Le repas fini, il doit se laver et dire les prières prescrites ; alors seulement il lui est permis de causer.

Le disciple de Zoroastre doit encore réciter des prières assez longues au moment du lever et du coucher du soleil, à midi, au lever de la lune, chaque fois qu’il aperçoit du feu ou de l’eau, qu’il éternue, qu’il satisfait les besoins de la nature, qu’il se coupe les cheveux ou les ongles, qu’il allume une lampe ou en voit une allumée. Presque tous ses actes doivent en être accompagnés. Qu’il sorte de son logis ou qu’il y revienne, qu’il entre dans une habitation  étrangère, qu’il traverse une rivière ou des chemins croisés, qu’il passe un pont, qu’il aperçoive une lueur subite, dans la moindre des circonstances que ramène fréquemment le cours ordinaire de la vie de chaque jour, le Mazdéen doit répéter des formules imprécatoires ou conjuratoires.

Sa vie est constamment entravée par des prescriptions minutieuses et gênantes. Suivons-le dans certaines conjonctures. Il part pour un voyage ou une promenade, il est à cheval ou en voiture. Aussitôt qu’il arrive dans la campagne, il doit examiner à droite et à gauche s’il n’aperçoit point un cadavre, ou des restes de cadavre d’homme ou de chien. S’il voit quelque objet de cette nature, il doit s’arrêter, descendre de cheval ou de voiture, ramasser la matière impure, recueillir avec soin tout ce qui peut être resté d’os, de cheveux, de poils, de sang ou de secrétions, et en débarrasser le sol. Si cette matière morte se trouve dans un étang ou flottant sur une eau courante, le Zoroastrien devra entrer résolument dans l’eau afin d’accomplir la même opération et puiser la quantité d’eau suffisante pour opérer la purification de l’eau. S’il trouve quelque part un feu abandonné, il doit disperser les tisons, les éteindre et reporter le dernier à l’autel du feu le plus proche.

Quand un Mazdéen vient à mourir, le feu doit être emporté de la demeure mortuaire, et cette maison doit en être privée pendant huit jours si l’on est en hiver, pendant un mois si c’est en été.

Les souillures que le fidèle de l’Avesta peut contracter à chaque instant troublent constamment sa vie, et par les précautions qu’il doit prendre pour les éviter et par les purifications qu’il doit subir pour les effacer. Des bains d’urine de bœuf, des ablutions nombreuses, de longues prières répétées pendant neuf nuits consécutives suffisent à peine à cet effet.

Il ne sera pas inutile de donner ici un résumé complet de cette cérémonie. On verra combien les pratiques religieuses du Zoroastrisme sont agréables et joyeuses.

Celui qui est devenu impur en touchant un objet souillé doit se rendre, avec deux ministres de la religion (Mobed et Herbed) dans un endroit écarté, entouré de murs élevés. Là le Mobed creuse 13 trous ou fait 13 petits tas de pierre, puis autour de ces tas il trace 13 sillons en carré, toujours grandissants, et récite de longues prières. L’Herbed alors donne au purificand une cuillerée d’urine de bœuf, mêlée de cendres, que celui-ci doit avaler en priant. L’impur entre alors dans l’enceinte accompagné du Mobed et d’un chien, se déshabille complètement et reçoit sur le corps une ablution d’urine de bœuf (gômêz), après quoi il se lave des pieds à la tête. Il passe ensuite de tas en tas en tenant une main sur sa tête et l’autre sur le chien. À chaque tas le Mobed récite l’Avesta ; au septième il donne au purificand trois cuillerées de poussière, lui en met sur la tête et lui verse quinze poignées de terre sur le corps pour qu’il se sèche jusqu’à la dernière goutte de l’urine dont il s’est d’abord frotté. Après cela l’impur met encore la main droite sur la tête, la gauche sur le chien ; le purificateur dit l’Avesta et l’impur s’avance vers les tas de pierres sur lesquels se font les purifications à l’eau. Il se lave une fois au premier, deux fois sur le second, trois fois sur le troisième, récitant avec le purificateur les prières ordonnées.

Ces ablutions faites, l’impur sort des sillons, et se tenant sur une des pierres il se lave trois fois les mains et le visage. On verse encore sur lui 3 cuillerées d’eau dont il se lave le corps, puis on répand sur sa tête un vase plein d’eau. Il remet alors ses habits, achève les prières et ceint le kosti.

Le purifié reste dans cet état pendant neuf nuits, séparé des autres hommes et les mains renfermées dans des sacs de toile, de peur de toucher un objet pur. Au bout des trois premières nuits, il se lave le corps avec un vase d’urine et un vase d’eau ; au bout de la sixième, avec un vase d’urine et deux d’eau ; et après les neufs nuits, avec un vase d’urine et trois d’eau. En se levant alors, il doit changer d’habits, car ceux qu’il portait pendant ces nuits ne peuvent plus lui servir. Il ôte enfin les sacs qui tiennent ses mains captives, se lave la figure et les mains avec de l’urine de bœuf et de l’eau, et reprend sa place dans la maison et ses occupations habituelles.

Pour des fautes légères, souvent même imaginaires, le Zoroastrien encourt la peine éternelle ou doit subir des châtiments rigoureux, des coups de fouet qui se comptent par centaines, s’il faut en croire certains interprètes. D’autres, il est vrai, – et nous sommes de ce nombre –, ne voient dans les upazanas que des coups portés pour tuer des animaux appartenant aux démons : des serpents, des grenouilles, des lézards, des fourmis, etc. Mais en fût-il ainsi, ce n’est point peu de chose que de trouver et de tuer sept à huit cents reptiles et quelquefois davantage.

La condition des femmes est encore plus défavorable que celle des hommes. Citons un seul exemple : à chaque retour de ses époques, la femme ou la jeune fille zoroastrienne doit être séquestrée dans un lieu isolé, séparé du reste de l’habitation par une haute barricade. Là, déposée sur un couvert de poussière sèche, elle ne reçoit pour nourriture que du pain qu’on lui apporte comme à un lépreux dans le vase le plus vil du ménage, et en se tenant d’elle à une distance de trois pas. Pendant tout ce temps, ses mains doivent être enveloppées de langes.

Ces conditions de vie peuvent paraître à quelque savant propres à inspirer la gaîté ; pour nous, elles nous semblent d’une nature toute opposée et nous croyons que le grand nombre sera de notre avis. Nous cherchons donc en vain quel peut être le côté joyeux de la doctrine zoroastrienne et renonçons à le trouver, à moins que ce ne soit, aux yeux d’un amant de la nature, ce culte des éléments qui n’est en réalité que du fétichisme, et ne se manifeste que par des formules sèches et prosaïques et des pratiques superstitieuses. Nous soupçonnons fort que cette première qualité soit un simple appendice de la seconde. Passons donc au point suivant.

 

 

II

 

« La religion avestique l’emporte sur le christianisme parce qu’elle est plus humaine, qu’elle rend plus faciles les rapports entre la chair et l’esprit. » Remarquons encore, en premier lieu, que l’on ne tient nul compte de la nature intrinsèque des choses. On ne se demande pas de quel côté sont la vérité et la sagesse ; de cela on se préoccupe très peu. Cependant c’est là le seul point de vue auquel puisse se placer un esprit raisonnable. Mais laissons ces considérations de côté pour le moment et voyons qui, de l’Avesta ou de l’Évangile, comprend le mieux la nature humaine.

Interrogeons les faits et les documents.

Voici d’abord le texte d’un patet, ou formule de confession, que le Zoroastrien doit répéter fréquemment ; il nous apprendra ce que la religion avestique tient pour faute et prohibe sévèrement.

 

PATET ADERBAT 4

 

1. – Je loue toutes les bonnes pensées, paroles et actions ; je réprouve toutes les mauvaises. J’embrasse toutes les bonnes pensées, paroles et actions ; je renonce à toutes les mauvaises ; c’est-à-dire : je veux accomplir tout ce qu’il y a de bien et éviter tout péché.

2. – Je vous offre, ô Saints Immortels (esprits supérieurs), mes pensées, paroles et actions, mon cœur, mes forces vitales. Je ne veux rien posséder que sous votre dépendance et suis prêt à abandonner tout bien corporel et mon corps quand cela est nécessaire au bien de l’âme.

3. – Je loue la sainteté et réprouve les démons, je remercie le Créateur Ormuzd de tous ses dons, je rejette Ahriman ; je crois à la loi sainte et je veux l’observer.

4. – Je me repens de tous les péchés qui affectent ma nature dès ma naissance, grands et petits, de quelque nature qu’ils soient, que je les aie commis en faveur d’un autre, ou qu’un autre les ait commis en ma faveur.

5. – Je me repens des fautes qui chargent la conscience, par exemple : avoir vu faire le mal sans reprendre le coupable, avoir enseigné l’erreur, ou fait naître des doutes relatifs à la foi, avoir trompé autrui, refusé l’aumône à un pauvre, avoir frappé, blessé d’une manière plus ou moins grave. Je me repens de toute moquerie, fréquentation de courtisanes, impudicité, etc., etc., tromperies, omission d’un acte prescrit pour nuire à Ahriman 5 ; spécialement de tout péché commis avant d’avoir expié les précédents de même nature, de toute faute conséquence d’une autre faute, et de toute faute qui souille la nature humaine. »

6. – Devant le Créateur Ormuzd... devant les Saints-Immortels, devant Mithra, Graosha et Rashnu 6, devant le Feu, le Bavesma 7 et le Hôma 8, devant le prêtre de la loi, devant tout fidèle ici venu 9, je me repens de ces péchés, de toute faute par pensée, parole ou action, corporelle ou spirituelle ; je m’en repens, pardonne-moi, ô Maître !

De tous les péchés que j’ai commis contre père, mère, sœur, frère, femme, enfant, époux, chefs, parents, concitoyens, voisins, égaux, serviteurs, je me repens, etc.

7. – D’avoir mangé d’une chose impure ou d’un corps mort, de les avoir arrosés, approchés du feu ou de l’eau, d’avoir laissé tomber des rognures d’ongles, des morceaux de cheveux ou de dent, de ne m’être point lavé les mains le matin avant de toucher aucun objet....

11. – De tous les péchés que j’ai commis contre Vohumano 10 les bêtes bovines, le bétail et tous les genres de bestiaux....

12. – De tous les péchés que j’ai commis contre Asha Vahista 11 le bien et toutes les espèces de feu.

13. – De tous les péchés que j’ai commis contre Khshathra-vairya 12 les métaux et leurs différentes espèces.

14-16. – De tous les péchés que j’ai commis contre Spenta Armaiti 13 la terre et toutes les espèces de terre... contre Haurvatat 14 les eaux et toutes les espèces d’eaux... contre Ameretat 15 les végétaux, etc.

De tous les péchés que j’ai commis contre les créatures d’Ormuzd, contre le soleil, la lune et les étoiles, les feux, les chiens, les oiseaux, les animaux et toutes les bonnes créatures.

18. – De toute omission des offrandes et des prières journalières et autres.

19. – De tout orgueil, superbe, cupidité, malédiction des morts, médisance, colère, envie, impudence, regard lancé pour causer du dommage, désir impur ou injuste, opiniâtreté dans le tort, murmure contre l’ordre divin, indocilité, paresse, mépris des autres, curiosité déplacée, doute en matière de foi, faux témoignage, jugement injuste, idolâtrie, vol, magie, fréquentation des courtisanes, impureté, mollesse, etc., etc.,... d’avoir circulé sans la ceinture sacrée, ou avec un seul soulier, de m’être sali les pieds, je me repens, etc.

Voilà une énumération à laquelle il ne manque rien, et dans l’examen de conscience du catholique le plus rigoureux on ne trouverait guère de points qui manquent à ce formulaire de confession. Bien plus, le patet contient un assez grand nombre de péchés que ne connaît point la casuistique chrétienne, et dont la raison cherche en vain la culpabilité. La nature humaine n’y trouve guère son compte. Que sont, en effet, ces péchés contre les animaux et les bestiaux, contre la terre, l’eau, le feu, les métaux, les plantes, les arbres, le soleil et la lune, les chiens et les oiseaux ? Des fautes purement imaginaires, des actes très innocents dont la prohibition entrave sans motif l’exercice de la liberté humaine et fait planer partout la crainte et l’inquiétude.

Bien loin de mieux apprécier les rapports de l’esprit et de la matière, le Zoroastrisme les méconnaît complètement puisqu’il considère comme offense au ciel, comme faute méritant un châtiment sévère, le dommage fait à un être matériel sans nuire à aucun être humain. Pour le zoroastrien, c’est une faute grave que de cracher dans le feu, ou dans l’eau, ou de souffler une lampe de son haleine. Pour éteindre un cierge, une bougie, il doit en couper la partie supérieure de façon à ce que la flamme continue à briller et jeter dans le feu le morceau détaché. C’est offenser gravement le soleil que de manquer à l’une des trois prières journalières prescrites en son honneur. Nous pourrions citer plus de cent cas semblables ; mais ce serait superflu. Passons. La supériorité du christianisme se montrera mieux encore quand nous parlerons des peines, des expiations prescrites par la loi de Zoroastre. Voyons d’abord les raisons que l’on a fait valoir en sa faveur.

L’excellence de la loi mazdéenne se révèle par ces deux traits : 1o Elle prescrit le mariage et réprouve le célibat. 2o Elle défend le jeûne et l’abstinence et recommande le bon soin du corps. Certes voilà de singuliers criteria de supériorité ; imposer le mariage pourrait être chose louable, si hymen était toujours synonyme de bonheur, ou bien si la race humaine était en danger de diminuer d’une manière excessive. Mais il ne faut pas avoir beaucoup vécu, ni avoir vu beaucoup de monde pour savoir que le bonheur ne règne pas dans tous les ménages, que bien des couples unis n’aspirent qu’à rompre un lien qui leur semble être une lourde chaîne.

Quant à la population du globe, elle est si peu menacée d’une diminution funeste, que son augmentation continue préoccupe et inquiète les économistes. Aussi, pour en prévenir l’excès, ils ont été jusqu’à indiquer des moyens de diminution condamnés par la conscience.

La prescription avestique n’a donc pour résultat que de risquer d’augmenter inutilement le nombre des gens déçus et dignes de plainte.

L’Avesta recommande à chacun de se bien nourrir et, en cela, il se montre indulgent, non point pour la nature humaine, mais pour la partie matérielle de notre être. Cette recommandation est-elle louable ? Ce soin si grand de notre chair, ne le prenons-nous pas au détriment de notre âme qui mérite évidemment les premiers égards ? L’âme, alourdie par la forte nourriture du corps et les préoccupations physiques, sera-t-elle aussi propre aux actes intellectuels que si les aspirations dominatrices de la chair sont réprimées, et si celle-ci est ramenée à sa condition naturelle de servante ? La loi mazdéenne ne se préoccupe guère des intérêts intellectuels de l’homme ; est-ce bien là une preuve de supériorité ?

D’ailleurs les principes sur lesquels sont fondées ces prescriptions leur donnent un caractère bien différent de celui qu’on leur attribue et qui doit faire leur mérite. L’Avesta n’entend nullement rendre la vie plus commode, mais simplement multiplier les fidèles par le mariage, et contrarier les démons en maintenant en force et en santé le corps humain, que les mauvais esprits attaquent constamment et de toutes manières. Le corps humain est la créature de Dieu. Les démons ont créé, pour détruire cette œuvre de leur adversaire, toutes les maladies, l’hiver et ses frimas, ainsi que tous les maux. Pratiquer l’abstinence, c’est jouer le jeu des esprits infernaux. Les savants défenseurs du mazdéisme approuveraient-ils ces principes ?

Que l’on compare maintenant à ces prescriptions puériles, ou ridicules, les doctrines si sages, si pleines de mesure, de l’Église catholique. L’Église honore le mariage, elle en a fait un sacrement, elle le représente comme le symbole de l’union sacrée du Christ avec son Église. Elle l’offre en outre comme un moyen de salut aux natures ordinaires. Elle n’appelle à la virginité que des natures exceptionnelles, douées pour cela de dons particuliers et qui s’y vouent toujours volontairement. Encore n’embrassent-elles cet état que dans l’intérêt de l’humanité, pour se consacrer au soin de l’enfance, de la vieillesse, des malades, etc., et remplir ainsi des fonctions humanitaires que l’état de mariage ne leur permettrait point d’accomplir. Même au point de vue économique, les cloîtres rendent au monde un service des plus signalés. Se contentant d’une faible partie de leur fortune, vivant de peu et travaillant à bon marché, leurs habitants contribuent à diminuer le morcellement des patrimoines et l’élévation du prix des choses nécessaires à la vie.

D’autre part, en défendant tout ce qui nuit au cours naturel de la génération, l’Église rend à la population terrestre autant et plus que la virginité ne lui enlève.

En élevant en principe la virginité au dessus de l’hyménée, l’Église rappelle à l’homme sa véritable nature, sa noblesse et ses devoirs ; elle l’empêche de descendre au niveau de la brute. C’est moins gai peut-être, mais c’est plus vrai, et la science doit se préoccuper de la vérité plutôt que de la gaieté des principes.

Mais si, en cet unique point, la loi mazdéenne se montre plus indulgente, elle est en général d’une sévérité qui touche à la barbarie, elle punit de châtiments rigoureux des actes indifférents et même très légitimes. Elle envisage souvent la moralité des actions humaines de la manière la plus fausse et la plus bizarre. Citons quelques exemples.

Au commencement du chapitre XV du Vendidâd (ou livre législatif d’Avesta), Zoroastre demande à Ahura-Mazda quels sont les péchés les plus graves, ceux qui pervertissent complètement l’homme et ne peuvent s’expier que par des peines très sévères. Ahura-Mazda répond qu’il y en cinq ; à savoir : faire apostasier un fidèle ; servir à un chien de garde un os trop dur ou une soupe trop chaude ; chasser une chienne portant les jeunes, de façon qu’elle puisse se nuire dans sa fuite ; connaître une femme déjà enceinte, ou à ses époques. La même clause punit de 400 coups de fouets celui qui frappe une chienne pleine.

On comprend aisément combien de semblables assimilations doivent altérer chez un peuple les notions de la morale.

Au chapitre Ier du même livre, l’enterrement des morts et la pédérastie sont mis sur le même pied et déclarés également inexpiables. Celui qui tue un chien d’une espèce quelconque devra subir au moins 1,000 coups de fouet et, s’il ne se soumet pas à ce châtiment, il sera à jamais damné. Voy. Chap. XIII, 55-79 et 21-25.

Celui qui donne à manger de la chair de coq sera abandonné du ciel. (Chap. XVIII, 68.) Laisser tomber à terre un os d’homme et de chien ayant encore quelque reste de moelle ou de graisse attachée est un acte coupable qui s’expie, selon la grosseur de l’os, par 60 à 200 coups. (Chap. VI, I6-53). Est irrémissible le crime de celui qui mange du chien ou qui souille le feu par le contact d’un objet impur. (VII, 59, 65.) – On perd tout le fruit des bonnes œuvres les plus nombreuses et les plus méritoires si l’on transporte de l’eau la nuit. (VII, 193.)

 L’homme qui a porté seul un cadavre doit être enfermé dans un étroit cachot et là, nourri et vêtu très misérablement, il doit rester jusqu’à sa vieillesse. Arrivé à ce point, il doit être décapité. (III, 44.)

Par contre, celui qui a tué une tortue, ou nivelé un cimetière, a expié tous ses péchés.

La liberté de conscience ou le droit d’exprimer ses opinions est un des privilèges les plus chers à la science moderne. Or, voici comment la loi avestique la traite :

L’hérétique qui a l’audace de prêcher l’abstinence doit être tenaillé, découpé et jeté dans un précipice. – Celui qui, sans droit, exerce les fonctions de purificateur doit avoir la tête tranchée ; son corps doit être abandonné aux vautours (V, 177). – Celui qui unit par mariage un fidèle à un infidèle mérite le dernier supplice (XIX, 129).

La morale chrétienne ne connaît ni ces défaillances, ni ces excès. Elle ne condamne que ce qui est mauvais en soi, que ce que la raison condamne. Si elle prohibe certains actes innocents en eux-mêmes, tels que l’usage de la viande à certains jours, c’est en conservant à ces actes leur véritable caractère, et en assignant à sa défense un but supérieur et souverainement raisonnable, la prépondérance et la liberté de l’âme.

Il serait superflu de discuter ces choses.

Il ne nous reste plus qu’à dire un mot de l’éternité des peines de l’enfer.

 

 

III

 

Il est faux que l’enfer avestique ait tune fin. Il n’est pas une phrase, pas un mot de l’Avesta qui puisse autoriser cette opinion. Les fautes qui y sont déclarées irrémissibles sont déclarées telles d’une manière absolue. La condamnation à l’enfer y est prononcée d’une façon également absolue, sans qu’il soit fait la moindre allusion à un terme quelconque. (Voir Vend. VIII, 310 et Yaçna XLV, 11). Il est dit que les damnés seront des habitants visibles, essentiels de la demeure du démon. Le Yesht XXII raconte l’arrivée du méchant en enfer, sa condamnation, et n’ajoute rien qui puisse faire supposer que son supplice puisse prendre fin. Les Gâthâs disent que les méchants sont comme les démons, des enfants des ténèbres, que la fin du monde et sa restauration seront marquées par le triomphe des justes sur les méchants. (Y. XLVII, 2). Tout cela implique l’éternité des peines. – C’est seulement au moyen âge que certains livres perses enseignèrent que l’enfer serait détruit après la résurrection et la restauration du monde. Le Boundehesh, traité de cosmogonie et d’eschatologie, achevé sous la domination arabe, énonce les deux opinions.

C’est donc à tort que nos incrédules font au Zoroastrisme un mérite de ne pas enseigner l’éternité des peines de l’enfer. Et quand même il ne l’enseignerait pas ? Quelle preuve de supériorité pourrait-on tirer de là en sa faveur ? La supériorité appartient non pas à la religion la plus commode ou la plus gaie, mais à la religion qui possède la vérité.

Arrêtons-nous ici, et concluons. Pas plus que le Brahmanisme, le Zoroastrisme, malgré sa supériorité incontestable sur les autres religions humaines, ne peut entrer en parallèle avec le Christianisme. Seule la religion du Christ a su éviter les faux principes, les écarts de la raison humaine et garder en tout cette sublimité de conception et cette parfaite mesure qui sont la marque de sa vérité et de l’intelligence infaillible de son auteur.

L’Évangile n’a pas seulement donné aux hommes la sagesse ; il leur a apporté la paix et la félicité. Les hommes qui n’ont pas eu le bonheur d’être élevés à la lumière de ses principes, s’imaginent que le vrai Chrétien mène une vie sombre et triste parce qu’il ne connaît pas les joies criminelles du « monde » et de la libre jouissance. Un moment de réflexion suffirait à les convaincre de leur erreur. Si quelqu’un en est venu au comble du malheur, n’est-ce pas celui qui, malgré les jouissances du monde qui lui sont données, en arrive à considérer la vie comme un mal et à chercher un refuge suprême contre son ennui dans le néant, ou dans le redoutable inconnu de l’autre vie ? Or parmi les misérables, si nombreux hélas ! qui recourent, comme dernier remède, au crime irréparable du suicide, qu’on nous dise s’il est beaucoup de vrais Chrétiens !

 

 

Charles de HARLEZ,

Professeur à l’Université de Louvain.

 

Paru dans La Controverse en 1880-1881.

 

 

 

 



1 Dans les premières livraisons de La Controverse.

2 Ruban à floches, faisant trois fois le tour du corps. Il symbolise l’initiation à la doctrine Zoroastrienne.

3 Linge carré, lié au-dessus du nez et pendant sur la bouche et le menton.

4 Nom de l’auteur, docteur célèbre de l’époque des Sassanides. Nous donnons ce Patet en abrégé.

5 Ce sont principalement les prières destinées à entraver l’action du mauvais esprit, à paralyser les efforts qu’il fait pour nuire aux hommes et à la création matérielle d’Ahura Mazda.

6 Génies personnifiant la véracité, l’obéissance et la justice ; juges des morts.

7 Faisceaux de branches de tamarisque que le prêtre tient en main pendant le sacrifice.

8 Plante dont le jus distillé faisait l’objet principal du sacrifice avestique.

9 Quand il n’y avait pas de destours dans les environs, on pouvait se confesser à un simple fidèle.

10 Génie de la bienveillance, du bon vouloir, protecteur des troupeaux.

11 Génie de la pureté, protecteur du feu.

12 Génie personnifiant la puissance souveraine, maître des métaux.

13 Génie de la sagesse et de la terre.

14 Génie de l’incolumité, protecteur des eaux.

15 Génie de l’immortalité, protecteur de végétaux. Ces six génies sont les Saints-Immortels cités plus haut (Amesha-çpentas).

 

 

 

 

 

 

 

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