Élie le Prophète : La succession héréditaire
(1280-1451)
par
le P. Rudolf HENDRIKS
Le prophète Élie, comme le révèle la tradition monastique, a attiré ceux qui se sentaient appelés à une vie de prière et d’intimité avec Dieu. Ce premier fait suffirait déjà à expliquer l’attachement des Carmes à la personne d’Élie.
Il en est un autre qui vient inviscérer cet attachement au cœur même de l’Ordre du Carmel : c’est l’enracinement historique de cet Ordre dans la montagne du prophète Élie, le Mont Carmel ; car la figure du prophète Élie en est inséparable : le premier livre des Rois et différents documents archéologiques l’attestent 1.
Sur la manière dont a pris naissance et s’est développée cette attirance carmélitaine vers Élie, que disent exactement les documents de l’Ordre des XIIIe, XIVe et XVe siècles 2 ?
I. – ABSENCE DU THÈME ÉLIANIQUE DANS LES DOCUMENTS DE L’ORDRE JUSQU’EN 1280.
À l’époque où naît l’ordre du Carmel, la liaison Élie-Carmel est encore vivace chez les chrétiens qui lui ont construit une chapelle sur le Mont Carmel. À cette époque est également attestée l’existence d’ermites latins attirés par Élie sur le Carmel. C’est à cette époque que remontent les premiers documents de l’Ordre.
1. Leur RÈGLE fut donnée aux Carmes par le patriarche Albert en 1209, date admise actuellement 3. Élie n’y est pas nommé. Pourquoi ? L’hypothèse serait qu’Élie, à cause de son activité de prophète, ne pouvait être présenté comme modèle à de purs ermites, d’autant qu’Albert avait suffisamment de religieux actifs dans son patriarcat.
L’APPROBATION de la Règle par le Pape Honorius III en 1226, par Grégoire III en 1229, sa MODIFICATION par Innocent IV en 1247 font également silence sur Élie.
2. Autre texte majeur, l’Ignea Sagitta 4 tait comme la Règle le nom d’Élie 5. On aurait attendu dans cette virulente apologie de la vie contemplative par Nicolas le Français (1270), ancien ermite du Carmel 6, une exhortation à suivre l’idéal élianique de solitude et de prière. Sans doute l’auteur a-t-il craint que l’activité du Prophète nuise à son argumentation – ou bien a-t-il puisé son inspiration à une source non carmélitaine ; hypothèse peu probable, vue la note d’originalité dont l’ouvrage est marqué.
L’omission des passages de la Bible où les prophètes se plaignirent de l’abandon du Carmel est surprenante. Plus tard les Carmes ont utilisé complaisamment ces textes.
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II. – SECONDE MOITIÉ DU XIIIe SIÈCLE. – PREMIÈRES CONSTITUTIONS : APPARITION DU THÈME ÉLIANIQUE DANS LES DOCUMENTS DE L’ORDRE.
Dans la Première Rubrique des Constitutions de 1281 et de 1294, on voit s’affirmer l’opinion selon laquelle les Carmes se rattachent à Élie par l’intermédiaire des Pères de l’Ancien et du Nouveau Testament :
1. CONSTITUTIONES CAPITULI LONDINENSIS, 1281 7.
QUALITER RESPONDENDUM SIT QUERENTIBUS A QUO ET QUOMODO ORDO NOSTER SUMPSIT EXORDIUM.
Cum quidam fratres in ordine iuniores, querentibus a quo et quomodo ordo noster habuerit exordium, iuxta veritatem nesciant satisfacere, pro eis in scripto formulam talibus relinquentes volumus respondere.
Dicimus enim veritati testimonium perhibentes, quod a tempore Helye et Helisei prophetarum, montem Carmen devote inhabitancium, sancti patres tam veteris quam novi testamenti, eiusdem montis solitudinis pro contemplatione celestium tamquam veri amatores, ibidem iuxta fontem Helie in sancta penitentia, sanctis successibus incessanter continuata, sunt proculdubio laudabiliter conversati.
Quorum successores tempore Innocencii tercii Albertus, Ierosolimitane ecclesie patriarcha, in unum congregavit collegium, scribens eis regulam, quam Honorius Papa, successor ipsius Innocencii et multi successorum suorum, ordinem istum approbantes, sub bullarum suarum testimonio devotissime confirmaverunt.
In cujus professione nos eorum sequaces usque in hodiernum diem in diversis mundi partibus Domino famulamur. – Analecta Ordinis Carmelitarum, vol. XV (Nov. Sér. vol. II), 1950, p. 208.
2. Le texte des CONSTITUTIONES CAPITULI BURDIGALENSIS (1294) est identique au précédent à quelques mots près 8.
Les ACTES DU CHAPITRE GÉNÉRAL DE MONTPELLIER (1287) qui décident l’adoption du manteau blanc, restent cependant muets sur Élie.
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III. – PREMIER QUART DU XIVe SIÈCLE. – CONSTITUTIONS DE 1324, QUALITER ET QUOMODO, DE INCEPTIONE : MISE EN RELIEF DE LA SUCCESSION ÉLIANIQUE, INTRODUCTION DU THÈME MARIAL 9.
1. La Rubrica Prima des CONSTITUTIONS de 1324 n’apporte aucun développement du thème élianique au paragraphe-type des constitutions de 1281 et 1294 et se contente d’en reproduire les termes à quelques mots près.
2. QUALITER ET QUOMODO ET QUO TEMPORE ORDO BEATE MARIE DE MONTE CARMELO SUMPSIT EXORDIUM SECUNDUM QUOD APERTISSIME DECLARATUR IN « HISTORIA HIEROSOLYMITANA » ET IN « SPECULO » INVENITUR ET IN « CHRONICA ROMANA ».
DATE DE L’OUVRAGE : On ne peut pas la fixer sur la base même du texte et on peut tout aussi bien soutenir 1300 que 1320 ; nous sommes d’accord avec Victor Roefs pour placer le texte au début du XIVe siècle.
ÉTABLISSEMENT DU TEXTE : Où se terminait le texte original ? À notre avis, le document primitif s’arrête à « tempore sempiterno ». Sans doute, dans chacun des trois manuscrits que nous connaissons, le texte se poursuit après « tempore sempiterno », mais ces trois continuations sont toutes les trois différentes ; c’est pourquoi nous croyons que le texte original n’allait pas plus loin.
Le texte tel que nous le publions ici présente quelques différences avec le texte publié par Roefs dans les Analecta XIII, p. 70. Ces différences reposent sur la collation d’un troisième manuscrit, celui d’Oxford.
SOURCES : D’abord s’agit-il de sources carmélitaines ? Nous ne sommes pas d’accord avec Victor Roefs lorsqu’il écrit à propos de notre texte : « Traditiones Ordinis exhibet in forma elementari et primitiva » (Analecta XIII, p. 70). N’est-il pas clair en lisant le texte lui-même qu’il procède d’une source non carmélitaine ? Dans le corps même du texte, l’Historia Hierosolymitana est nommée ; à la fin du texte on lit dans le manuscrit d’Oxford : « Hec in Cronicis Romanis », tandis que trois sources sont mentionnées dans le titre du manuscrit du Vatican : « Secundum quod apertissime declaratur in Historia Hierosolymitana et in Speculo invenitur et in Chronica Romana. »
Il est dommage que l’éditeur du texte n’ait pas fait en même temps une enquête sur les sources mentionnées. Le Speculum est sans doute le Speculum de Vincent de Beauvais. Quant à l’Historia Hierosolymitana dont il est question ici, c’est très probablement l’Historia Orientalis seu Hierosolymitana de Jacques de Vitry.
Quant au problème de la Chronica Romana, il reste très obscur. Sans doute a-t-on en vue la célèbre chronique de MARTINUS POLONUS ou OPPAVIENSIS, mais dans l’édition de cette chronique on ne trouve aucun texte qui se présente dans notre opuscule. Donc le texte, loin d’être le témoin d’une tradition primitive dans sa forme élémentaire, est un des premiers fruits de la culture universitaire acquise aux universités par les Carmes dès la deuxième moitié du XIIIe siècle.
BUT DE L’OUVRAGE : À quelle fin a-t-on rédigé le Qualiter et Quomodo ? Nous faisons l’hypothèse suivante : Johannes Horneby raconte en 1374 (cf. Analecta VII, p. 185, note) que le Speculum de Johannes de Chemineto était affiché à l’Église des Carmes de Paris. On admet sans plus qu’il s’agit là de notre Speculum bien connu, « Filii sanctorum estis... » Pourtant ce Speculum est adressé à des Carmes et il est trop long pour être exposé à la porte d’une église. Notre Qualiter et Quomodo est né justement pour cette fin : sa longueur et son exorde (Universis Christifidelibus) le prouvent.
AUTEUR : Pour la question de l’auteur, notre texte présente de telles différences avec le Speculum de Johannes de Chemineto qu’il semble difficile d’en admettre un même auteur. Quant au témoignage d’Horneby, qui selon Zimmerman (Analecta O.C.D. VI, p. 163) rapporte en 1374 un sermon d’Armachanus comme « principalis auctoritas » pour l’histoire de l’Ordre, ne devons-nous pas l’accueillir avec scepticisme ? Selon Bale (Monumenta, p. 379) Sibertus de Beka écrivit des : « Epistolas ad diversos, librum I, incipit : « Universis Christifidelibus... »
Bacon aussi aurait écrit un opuscule semblable, selon la Bibliotheca Carmelitana (1749) : De Ordine Carmelitano ; inc. : « Omnibus Christifidelibus in Domino. »
LA SUCCESSION ÉLIANIQUE MIEUX MARQUÉE : Dans le but d’affirmer la thèse de la succession ininterrompue depuis Élie, l’auteur l’appuie sur des considérations historiques ; il envisage les deux moments de cette succession : d’Élie à l’Incarnation, de l’Incarnation jusqu’à la Règle de saint Albert ; il retrace étapes par étapes la seconde époque, sans négliger de donner même des dates. Grâce à ces repères posés de loin en loin, il rapproche l’horizon lointain des temps élianiques.
« Universis Christifidelibus, exordium ordinis fratrum beate Marie de monte Carmeli scire volentibus, innotescat per presentes, quod a tempore Helye et Helysei prophetarum, montem Carmeli devote inhabitantium, sancti patres Veteris Testamenti, eiusdem solitudinis pro contemplatione celestium veri amatores, ibidem iuxta fontem Helye in sancta penitentia, sanctis successibus incessanter continuata, ut veri prophetarum filii expectantes redemptionem Israel, usque ad incarnacionem Domini sunt laudabiliter conversati.
Et anno ab incarnatione Domini 30, baptizato Domino Yhesu Christo a Iohanne et docente, multi fratres eiusdem ordinis ascenderunt Iherusalem et habitaverunt iuxta portam, que postea secundum quosdam dicebatur beate Anne, ut eum, quem de libris patrum suorum in carnem venturum didicerant, audirent docentem et viderent miracula facientem. De quibus legitur in Actibus Apostolorum : Erant in Yherusalem habitantes viri religiosi, etc.
Et quidam illorum anno a passione Domini 45, regnante Romano imperio, tempore Titi et Vespasiani imperatorum, apud Ierusalem in porta Aurea religiose consederunt, anno imperii Vespasiani 7o.
Anno eciam post passionem Domini 45o Titus et Vespasianus, imperatores Romanorum, cum ingenti exercitu, ut mortem Christi vindicarent, anno imperii sui 7o, Ierosolimam et populum Iudaycum captivantes, predictos filios prophetarum honoratos muneribus propter reverentiam Christi illesos dimiserunt, sicut in Hystoria Ierosolimitana apertissime declaratur.
Quorum successores, exemplum sancte conversationis posteris relinquentes, circuierunt in melotis, in pellibus caprinis, egentes, angustiati, afflicti ; quibus dignus non erat mundus, in solitudinibus errantes, in montibus et speluncis et in cavernis terre, usque ad annum Domini 1200 Domino devotissime famularunt.
Unde tempore beati Petri Antiochie ecclesie cathedrati ipsi in circumquaque regione adiacenti locis diversis catholice pro fide insistebant.
Nec multum post quidam Iohannes, patriarcha Iherosolimitanus, frater de religione predicta, statuit illis regulam, olim a beatis patribus Paulino successive et Basilio viris religiosis editam, in posterum observandam.
Processu vero temporis Albertus, Ierosolimitane ecclesie patriarcha, dispersos fratres in unum collegium congregavit atque sub obedientia unius eorum in omnibus vivere constituit tempore sempitemo. » – Analecta, XIII, pp. 71-72 10.
3. DE INCEPTIONE ORDINIS BEATE MARIE VIRGINIS DE MONTE CARMELO.
DATE : Cet écrit remonte à peu près à la même époque que l’œuvre précédente 11, c’est-à-dire vers 1320.
LE SANCTUAIRE MARIAL : pour la première fois – à moins que ce ne soit dans une édition de la Rubrica Prima antérieure à 1324 – on fait mention d’une église (« ecclesia », terme employé par les Constitutions de 1324 – plus tard on dira « oratorium » ou « capella ») dédiée à la Bienheureuse Vierge Marie sur le Mont Carmel. Cette simple notation prélude aux approfondissements postérieurs touchant Marie et les Carmes.
« Fuerunt ab inicio nascentis Ecclesie in Terra Sancta et maxime in monte Carmeli, quem Helyas et Heliseus et alii multi prophete in abris Regum frequentasse et habitasse leguntur, multi heremite, eiusdem montis solitudinis pro contemplacione celestium veri amatores. Qui in eadem montis solitudine in sancta penitencia sanctis patribus Veteris Testamenti sanctis successibus incessanter continue inherendo sunt procul dubio laudabiliter conversati, sicut patet ex multis cronicis et multorum sanctorum vitis.
Quorum successores post incarnacionem Christi ibidem iuxta fontem Helie ecclesiam in honore beate Marie virginis construxerunt.
Quos felicis recordacionis Aymericus Malafayda... » – Analecta, VIII, pp. 179-182 12.
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IV. – DEUXIÈME QUART DU XIVe SIÈCLE. – BACON, CHEMINETO, FITZRALPH ARMACHANUS : PLEIN ÉPANOUISSEMENT DU THÈME ÉLIANIQUE ASSOCIÉ AU THÈME MARIAL.
Dans cette période on voit s’affirmer le souci constant de rattacher les Carmes à Élie : la succession d’ermites au Mont Carmel à travers l’Ancien et le Nouveau Testament, a été le fait de moines parfaitement conscients de la relation de filiation qui les unissait à Élie, et par conséquent de l’étroite parenté qui les liaient les uns aux autres dans le temps. Par là on en arrive à affirmer que l’Ordre des Carmes a le Prophète pour fondateur. Ces perspectives élianiques sont intégrées durant cette période dans celles du culte marial : Élie est le premier dévot de la Vierge. Les fils d’Élie seront, par excellence, les « religieux de Notre Dame ».
1. BACON 13 – TRACTATUS SUPER REGULAM
Le Tractatus super Regulam, écrit avant le Compendium, (car dans le Compendium Bacon se réfère au Tractatus), ne parle pas d’Élie ; il compare la Règle des Carmes avec la Vie de Marie pour arriver à la conclusion suivante : « Sic igitur patet quod merito regulae ordo titulum habet Beatae Mariae. »
2. BACON – SPECULUM DE INSTITUTIONE
Il est difficile d’en déterminer la place parmi les autres œuvres de Bacon 14.
ÉLIE ET LA VIERGE : Bacon, le premier, autant qu’on le sache, tente de fondre la tradition élianique avec la tradition mariale des Carmes ; son effort est sans doute encore légèrement superficiel et forcé : le Mont Carmel est le lieu où Élie puis ses fils rendront un culte tout spécial à la Vierge Marie.
Capitulum I : Quod secundum prophetas (-tias ?) Fratres Carmeli specialiter originem habuerunt pro veneratione Beatae Mariae.
... Et quia (Beata Maria) per Carmelum honoratur et commendatur dignum est quod in Carmelo ei dato Carmelitas habeat eam specialiter venerantes. Et sic habuit ab antiquo, nam prophetiae per facta aperiuntur. Sed et Saul in Carmelo Beatae Mariae dato fornicem suum triumphalem, id est signum victoriae, erexit : I Regum, XV, 12. Elias ibi sacrificavit : III Regum, XVIII. Et Achab per hoc experimento ibi didicit quis esset Deus. Eliseus ibi sedem suam collocavit :, IV Regum IV. Ecce quot prophetas et reges habuit Carmelus, eorum factis dominam loci, Beatam Mariam, venerantes. Pro veneratione quoque Beatae Mariae in eius Carmelo continuanda, orta est Fratrum de Carmelo religio. Veneratio enim, quae fit in locis sanctorum, ipsis sanctis sub Deo attribuitur, ut de veneratione dedicationis « De Consecratione », distinctione III, co « Pronuntiandum ». Sed licet omnes salvandi tempore prophetarum Filium Beatae Mariae venturum venerati sint, secundum Augustinum in Epistola XXIX ad Deogratias, fratres tamen de Carmelo, tempore Eliae et Elisei venturum venerantes, in Carmelo Beatae Mariae religionem suam inceperunt, ut habetur in Historia de Antiquitate Ordinis. Ad eius igitur venerationem originem habuerunt. Et antiquis patribus Ordinis de ortu eiusdem tempore prophetarum credendum est. Nam in negotiis ecclesiarum illi potissimum in testes assumendi sunt, qui eadem negotia tractaverunt : XIV, qu. 2, « Super prudentia » 15.
3. BACON – COMPENDIUM
DATE : En 1333, Petrus Riera le possédait ; il le faisait transcrire avec des gloses et des additions de sa propre main (cum glossis et additionibus). Il ne faut donc pas le placer après 1333. Quant à la date limite inférieure, par le fait que Bacon cite dans la Secunda Particula de notre Compendium la Prima Constitutio ou la Rubrica prima des Constitutions, avec un texte au sujet de la chapelle mariale absent des Constitutions de 1294, nous devons la fixer à 1324, date à laquelle ce texte fut inséré dans la Rubrica Prima des Constitutions. Xiberta (De Scriptoribus, p. 190) nomme le Compendium une « amplificatio quolibeti III, q. 6, a. 2 », lequel quolibet date de 1330 (ibid., pp. 183, 184). Or Xiberta n’a sans doute pas l’intention d’exclure que le texte amplifié soit antérieur au Quolibet lui-même !
LE TEXTE : Le texte du Compendium est plus solide que celui du Speculum de Institutione ; pour ce dernier en effet il est permis de poser çà et là un point d’interrogation. Aussi l’argumentation de Bacon nous est plus facile à suivre dans le Compendium que dans le Speculum où la pensée fait des sauts étranges.
SOURCES : Quant aux citations de Bacon, nous pouvons les contrôler toutes : à côté de nombreuses citations du droit ecclésiastique, revient à tout instant le texte bien connu de Vincent de Beauvais. Bacon ne nomme nulle part la Chronica Romana ; l’Historia Hierosolymitana de Jacques de Vitry une seule fois dans ses œuvres et c’est dans le Speculum, et plusieurs fois Pierre le Mangeur cité comme le Magister. Cassien lui-même, qui devait fournir plus tard à d’autres des preuves positives, manque chez Bacon.
LA SUCCESSION ÉLIANIQUE À ÉTÉ CONSCIEMMENT TRANSMISE : La tertia particula met en valeur la conscience lucide avec laquelle les ermites du Mont Carmel prolongèrent à travers les âges la vie d’Élie : « Ordinem Carmeli... Eliam prophetam tamquam patrem cum filiis prophetarum elegisse et sic ortum habuisse » et « hanc insuper contemplationem quam cuneus et filii prophetarum inchoaverunt... quidam Carmelitae... continuare curaverunt. » La prima rubrica de 1281 notait simplement : « A tempore Eliae... sancti patres ejusdem montis solitudinis pro contemplatione caelestium tamquam veri amatores ibidem... sunt conversati. » Élie est appelé dans le Compendium un père « patrem ». L’adoption se fait curieusement à rebours : les fils adoptent leur père !
La sexta particula avec ses considérations sur l’habit des Carmes fait ressortir le soin que prennent Bacon et les Carmes de relier toujours plus étroitement jusque dans les plus humbles réalités les Carmes à Élie. C’est ici la première mention du manteau d’Élie.
COMPENDIUM HISTORIARUM ET IURIUM 16
Beatus Bernardus in quodam sermone, quem fecit de laudibus Beatae Mariae eam specialiter laudat per decorem Carmel dicens : Data est ei gloria Libani, decor Carmeli et Saron. In suis igitur Carmelitis, Deo inspirante et ipsa adjuvante, contra dicti Ordinis detractores non per fabulas, sed per res gestas ipsam laudare disposui, per novem particulas procedendo.
Prima particula : De loco ubi incepit Ordo Carmeli.
Ordo Carmen incepit in monte Carmeli, ubi Elias propheta habitare consuevit, secundum quod dicit Vincentius in Speculo Historiali, libro 31, co 123. Et hoc idem testificatum est a multis Romanis pontificibus, qui in Regula bullata sic scribunt : « Priori et fratribus qui in monte Carmeli iuxta fontem Eliae morantur, salutem et apostolicam benedictionem. » Nec credendum est Carmelus Eliae eundem esse qui et Carmelus Nabal, nam secundum Hieronymum super Isaiam, c. XVI, « mons Carmeli, in quo oravit Elias, est mons inter Phoenicem et Palestinam », et ut habetur in libro Catholicon « non » est « ille de quo Nabal Carmelus » dicitur ; « ille » enim « mons est Galileae ». Et concordat Magister In Historiis, I Regum, XXV.
Secunda particula : De antiquitate Ordinis Carmelitarum.
Ordo Carmeli tanta fulget antiquitate, quod de hoc in jure non exstat memoria. ...In Prima insuper Constitutione dicti Ordinis, edita ab antiquo, invenitur, quod a tempore Eliae et Elisei prophetarum, montem Carmeli inhabitantium, quidam viri contemplativi in eodem monte successerunt, et Fratres de Carmelo erant nominati, ac post Christi incarnationem capellam (ecclesiam codex Avila-Roma) in honore beatae Mariae erexerunt, et eius titulum elegerunt. Et hoc testimonium validum est a iure, quia in Decret. XIV, qu. 2 scriptum est in capitulo « Super prudentia », quod monachi possunt testificari in causa sui monasterii...
Tertia particula : De origine Ordinis Carmelitarum.
Ordinem Carmeli exemplum contemplationis a cuneo prophetarum apparet accepisse, et Eliam prophetam tamquam patrem cum filiis prophetarum elegisse, et sic ortum habuisse. Magister enim in Historiis, I Regum, X, dicit, quod Samuel fuit primus qui constituit conventum religiosorum, et vocabatur cuneus prophetarum, quorum officium fuit Deum contemplari. Postea vero adhaeserunt Eliseo vira contemplativi filii prophetarum, ut habetur IV Regum, c. II. Hanc insuper contemplationem, quam cuneus et filii prophetarum inchoaverant, quidam Carmelitae, ut de facto notum est necnon et Vincentius in Speculo Historiali ubi supra testatur, in Carmelo quem Elias propheta inhabitavit, continuare curaverunt. Et sic ortum habuerunt. – Cf. Speculum 1680, pars II, n. 715-726.
Sexta particula : De habitu ordinis Carmelitarum.
Ordo Carmeli congrue habitum accepit secundum eum quem Elias portavit. Legitur enim de Elia, quod ipse portavit pallium, ut habetur IV Regum, c. II. Modus enim religiosorum, qui in Terra Sancta habitaverunt, fuit signum distinctivum gerere in palliis suis, ut patet de Hospitalariis et Templariis et Bethlemitis...
4. LAUS CARMELITARUM 17
AUTEUR : Est-ce Bacon ? Dans le seul manuscrit (Oxford. Bodl. Selden Supra 72, fol. 20r-41r) où elle figure, la Laus Carmelitarum 18 est attribuée à Bacon. Bale, il est vrai, a rayé le nom de Bacon et a écrit au-dessus : Claudus Conversus, le surnom de Guillaume Coventry. Bale écrit d’abord lui-même dans le manuscrit Bodl. 73, f. 139 v. : « Quere opus Bachonis de quarta ethimologia Carmeli », mais plus tard, il raye le nom de Bacon et écrit : « Claudi Conversi ». Cependant, sur le folio I du même manuscrit, il laissait : « Magister fr. Johannes Baconis scripsit De Laude Carmelitarum ; incipit « Carmelus dicitur a car », premiers mots du commencement de l’œuvre.
En comparant notre traité avec les autres œuvres de Bacon, on voit se confirmer son attribution à Bacon ; la Laus Carmelitarum a sans doute plus d’affinité avec le Speculum et le Tractatus Super Regulam qu’avec le Compendium, cependant trois passages de ce Compendium y sont reproduits dont deux littéralement. D’autres textes par leurs allusions viennent encore confirmer, me semble-t-il, la paternité littéraire du Doctor Resolutus 19.
DATE : Une indication nous est fournie au chap. III, c. 2 : « Optime igitur constitutum est inter carmelitas ut Mariam specialem advocatam ipsorum post omnes canonicas invocent genua flectantes et antiphonam dicentes Salve Regina. » Comme selon Monumenta, p. 229, cette décision est de 1324, Barcelone, il nous faudra donc situer notre texte après cette date.
L’ouvrage reprend les termes du Compendium au sujet de la succession élianique.
5. JEAN DE CHEMINETO 20 – SPECULUM FRATRUM ORDINIS BEATAE MARIAE DE MONTE CARMELI
SOURCES : Il est bien étonnant que nous ne découvrions dans ce texte aucune influence de Bacon, alors que tous les deux ont travaillé à Paris. Petrus Riera, de la Province d’Aragon, dispose en 1333 d’un Compendium de Bacon. Donc à cette date, Chemineto aurait pu subir l’influence du Doctor Resolutus. Et cependant aucune trace de cette influence dans le Speculum malgré la grande parenté du contenu.
Jean de Chemineto a connu les deux œuvres déjà examinées : Qualiter et Quomodo et le De Inceptione Ordinis : en effet, il fait la première tentative connue pour combiner ce que la première œuvre dit de Jean, Patriarche de Jérusalem, avec ce que la seconde dit d’Aymeric. De plus on le voit amplifier le répertoire des textes des Pères avec des citations tirées de Cassien et de saint Jérôme que nous retrouvons régulièrement chez les écrivains postérieurs.
DATE : On trouve dans le manuscrit de Wiesbaden, à la fin du traité, une annotation dont il résulte que le manuscrit serait de 1337, date fort acceptable 21.
ÉLIE, FONDATEUR DE L’ORDRE DES CARMES : Cinquante ans après la Prima Rubrica des Constitutions de 1281 où la simple idée d’une succession était affirmée sans plus, cet ouvrage développe, en usant du prestige des citations patristiques, l’idée qu’Élie est le véritable fondateur, « fundator », dont l’œuvre ensuite se développe dans le temps sans solution de continuité jusqu’au XIIe siècle.
LE PROPHÈTE ÉLIE. Icone russe, coll. « Warnant ».
Capitulum I : Primos huius sanctae religionis fundatores ostendit beatus Hieronymus in epistola ad Paulinum dicens : « Noster princeps est Elias, noster dux est Eliseus, nostri duces filii prophetarum, qui habitabant in agro et solitudine, et faciebant sibi tabernacula prope fluenta Iordanis. » Similiter et Johannes Cassianus : « Sic decet, inquit, religiosum incedere sicut constat illos ambulasse, qui in Veteri Testamento professionis huius fundavere primordia, Eliam et Eliseum ; quod Scripturarum auctoritate monstratur. » Elias Thesbites fuit filius Sabbaca, ex tribu Aaron ; qui montem Carmeli legitur inhabitasse, et in eodem monte ad preces eius igne de coelo descendente idolatrias et errores legis extirpavit. Hic assumptus in curru igneo, una cum Enoch in paradiso terrestri usque ad adventum antichristi reservatur ; ipsi ambo tempore antichristi sunt fidem catholicam defensuri. Ab antichristo in Hierusalem occidentur et glorioso coronabuntur martyrio. Deinde post tres dies et dimidium resurgentes assumentur ad gloriam beatorum.
De ipso sancto Elia legitur in Historiis Scholasticis, quod ante nativitatem suam pater suus in somas vidit viros candidatos se salutantes, praesagium futurorum, designans quales imitatores habere deberet in posterum.
Hic discipulos habuit, primo Eliseum, filium Saphat ; quem cum Elias in ministrum et discipulum nutu Dei vellet assumere, misit Elias pallium suum super eum ; qui statim relictis bobus et agrorum cultura cucurrit post Elias dicens : « Osculer, oro te, patrem et matrem meam, et sic sequar te. » Inde secutus est Eliam et ministrabat ei.
Huius societatis fuit sanctus Ions propheta, secundum Hieronymum in prologo eiusdem, filius mulieris Sareptanae, quem suscitavit Elias. Hunc puerum dimisit Elias in Bersabee Iuda, cum fugeret per desertum a facie Iesabel, quae ipsum nitebatur occidere, III Reg., XIX.
Abdias vero propheta primo fuit de familia regis Achab et impiissimae Iesabel. Quae cum omnes prophetas Dei occidi iussisset, Abdias pavit centum prophetas in speluncis et specubus. Hic sanctus Abdias fuit dux ille qui tertius scribitur accessisse ad Eliam in monte Carmeli, cui pepercit Elias et quinquaginta suis. Tandem, secundum Hieronymum in prologo, relicto regis obsequio factus est Eliae discipulus.
Similiter et beatus Ioannes Baptista ad imitationem istorum cum aliquibus filiis prophetarum elegit habitare supra fluvium Iordanis propter sanctitatem, quia Elias et Eliseus transierunt eum sicco pede, et divisus fuit fluvius ad imperium eorum et ad tactum pallii sui. Hoc dicit Magister in Historia tripartita. Nam et corpus beati Ioannis Baptistae fuit sepultum inter corpora sanctorum Elisei et Abdiae per manus discipulorum suorum tamquam eiusdem devotionis frater et professor. Unde Isidorius VIII Ethimologiarum, XIII capitulo, dicit, quod religiosi cenobitae imitantur apostolos, eremitae vero Eliam et Ioannem Baptistam. Vitam autem ipsorum et aliorum sanctorum tam veteris quem novae legis, qui hanc religionem professi sunt, ne nimia prolixitate legentibus fastidium generetur, ad presens omitto. – Cfr. Speculum 1507, fol. 49 v.-51 v.
Capitulum II : De loco ubi haec religio dicitur incepisse.
Quoniam locorum sanctitas frequenter devotionem trahit animorum huius religionis professores loca, quae Elias et Eliseus frequentabant, et in sancta poenitentia, vestigiis ipsorum inhaerendo, pro contemplatione coelestium specialiter elegerunt, alii super fluvium Jordanis, alii in Samaria, alii in Sarepta. ...Alii vero habitabant in monte Carmel et in aliis lotis desertis ; de quibus Vincentius, XX libro, LXXXXVIII capitulo, « Secessores, inquit, mundo insidias occultas diaboli calcaverunt ; aperto condicto daemonibus aggredi cupientes, vastos heremi secessus penetrare non timebant, ad imitationem beati Iohannis Baptistae, Eliae quoque et Elisei atque aliorum. » Locum autem sanctum montis Carmeli Elias et Eliseus specialiter inhabitasse leguntur, et successores eorundem et sancti patres tam tempore legis Mosaicae quam novae legis ibidem Deo devote servierunt. Unde vitam ipsorum et locum predictum describit Magister in Historia Tripartita, libro I, capitulo LI et LII, dicens : « Viri sancti saeculo renuntiantes, variis desideriis et affectionibus tracti ac fervore religionis accensi, eligebant sibi loca proposito suo et devotioni magis convenientia. Aliqui ad exemplum et imitationem sancti viri et solitarii Eliae prophetae in monte Carmeli, et maxime in illa parte quae supereminet civitati Porphirianae, quae hodie Caiphas appellatur (iuxta fontem) quae fons Eliae dicitur, non longe a monasterio beatae virginis Margarithae, vitam solitariam ducebant in alvearibus modicarum cellularum tamquam apes Domini dulcedinem spiritualem mellificantes. Est autem, inquit, alius Carmelus trans Iordanem, iuxta desertum solitudinis in quo latuit David fugiens a facie Saul, ubi est habitatio Nabal viri stulti. Hic autem, in quo habitavit Elias, situs est in maritimis, distans ab Acon quatuor miliaribus. » In hoc sancto monte prohibuit Elias prophetas Baal interfici, ne pollueretur sanguine eorum : mons enim, inquit, sanctus est. Errores legis ibidem extirpavit, et populum Israel, divino suffragante praesidio, in fide reformavit. Et quia haec religio in hoc sacro monte tamquam vitis firmiter radicata a mari us que ad mare palmites suos extendens, per universos christianorum fines suaviter redolere ac fructum copiosum facere dinosciter ad fidei catholicae nutrimentum, idcirco « de monte Carmeli » ab omnibus usque in hodiernum diem consuevit appellari. – Speculum 1507, fol. 49 v.‑51 v.
Capitulum III : De tempore quo fidem catholicam susceperunt.
Cum igitur in sancta penitentia perseverassent a tempore sanctorum Eliae et Elisei prophetarum, tempore regis Achab, cuius regnum praecessit incarnationem Domini nostri Ihesu Christi per annos nongentos et triginta tres (alibi : 2137), tunc abscesserunt tenebrae, lux venit in mundum, quae est promissio Dei Patris, quam praedicari per os prophetarum audierant ; arbitrati sunt quia miserat Deus Filium suum, natum ex muliere ; et testimonium veritatis, scilicet beatum Iohannem Baptistam, deinde Christum praedicantem audierunt. Qui religiose fidem catholicam confitentes, in Christo baptizati sunt. Deinde perseverantes in doctrina apostolorum, habentes gratiam ad omnem plebem, veritatis evangelicae nuntii fideles ac sanctae fidei christianae legitimi defensores effecti sunt. Unde in Cronicis Romanis legitur sic : « Fuit tempore praedicationis Ihesu Christi, quod fratres de monte Carmeli accesserunt, et quidam illorum anno septimo a passione Domini, regnante Romano Imperio, et tempore Titi et Vespasiani imperatorum, apud Jherusalem in Porta Aurea religiose consederunt. Ubi tempore beati Petri apostoli Antiochiae cathedrati ipsi in circumquaque regione adiacenti diversis locis catholice pro fide insistebant. Processu vero temporis, praecipue circa annos ab Incarnatione Domini DCCC, uniformiter secundum regulam et observationes ab Ecclesia et patriarchis illius temporis eis impositas magis solito convivere coeperunt.
Capitulum VI : De habitu.
Tempore quo raptus est Elias in coelum, fratres in signum sanctitatis et devotionis super habitum suae professionis pallium duplicis coloris gestare consueverant ; in quo colores, albus scilicet et griseus, statum duplicem, scilicet castitatis et penitentiae, designabant. Item septem partes ab invicem distinctae, totum pallium integrantes, perpendiculariter descendebant. Quarum tres griseae tres virtutes theologicas, et quatuor coloris albi quatuor virtutes cardinales figurabant. Ad tactum huius pallii aquae Iordanis divisae sunt, sicut scribitur IV Reg., c. II.
Processu vero temporis, quia signum huiusmodi in partibus Galliarum et Italiae minus religiosum hominibus videbatur, ipsum tempore Nicolai pape dimiserunt.
6. RICHARD FITZRALPH, ARCHEVÊQUE D’ARMAGH – SERMON SUR LA CONCEPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE, prononcé en l’église des Carmes à Avignon, le 8 décembre 1342.
Les idées développées ici sont celles de Jean de Chemineto ; elles n’ont pas été prises chez Bacon. Fitzralph expose très explicitement la liaison toute particulière des Carmes à Marie. Par contre la liaison Élie-Marie est laissée dans l’ombre.
« Hic sanctus ac peculiaris et antiquus ordo suus Carmelitarum praetendit in habitu, qui hoc festum ipsius singulariter solemnizat, candorem habitus sui, ut aestimo, prudenter et devote referens ad hoc festum. Miramini forsitan qui dixi : ordo suus peculiaris et antiquus, cum veritate attenta nullatenus sit mirandum. Quoniam, ut dicunt fide dignae historiae, a tempore Heliae et Helisei, qui saepius morabantur in monte Carmeli iuxta Nazareth civitatem Dominae nostrae ad tria miliaria, solebant homines devoti secretius habitare usque ad tempora Salvatoris, et tunc illi heremitae praedicantibus apostolis inter ceteros sunt conversi, et in latere uno montis ipsius primo ecclesiam sive oratorium in honore beatae Virginis construxerunt in illo loco sancto, in quo didicerant ipsam in vita sua cum sodalibus virginibus saepius commorasse. Et ob hoc nimirum inter omnes religiosos Dominae nostrae primitus sunt ascripti ut vocarentur fratres beatae Mariae de monte Carmeli. Quia insuper in principio nascentis Ecclesiae in partibus illis praedicando evangelium sollertissime laboraverunt et consequenti tempore a Iohanne Ierosolimitano patriarcha regulam vivendi communiter sanctorum Paulini et Basilii susceperunt, merito gaudet pre ceteris ordinibus antiquitatis honore ; unde rationabiliter hic ordo propter hanc praerogativam duplicem ab omnibus in magna reverentia est habendus 22 ». – ZIMMERMAN, Analecta Ordinis Carmelitarum Discalceatorum VI, (1932), pp. 158-189.
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V. – SECONDE MOITIÉ DU XIVe SIÈCLE - XVe SIÈCLE – REPRISE DES THÈMES D’ÉLIE ET DE MARIE.
Après Jean de Chemineto (son Speculum est de 1337), il n’y a plus de véritable approfondissement de la doctrine sur Élie aux XIVe et XVe siècles, exceptée l’explication du manteau rayé. Les auteurs se contentent de reprendre, d’une manière plus ou moins personnelle, les idées nées dans les périodes précédentes.
1. JEAN DE VENETA 23. Il est grand temps qu’on cesse d’attribuer à Jean de Veneta la Chronique publiée pour la première fois dans le Speculum de 1507, fol. 57v.-59v. Victor Roefs remarque très justement que des textes de Jean 44, Cyrille, Sibert de Beka, Guillaume de Sanvic, se trouvent très fraternellement à côté de textes de Riboti lui-même, et que par conséquent la Chronique a été composée seulement après le Decem Libri de Riboti. Au lieu de renvoyer à la fin du XIVe siècle la mort de Jean de Veneta, il vaudrait mieux dire qu’il n’a rien à voir avec cette Chronique.
En faveur de cette hypothèse plaide aussi le témoignage de Bernardus Olerius : dans son Informatio il attribue l’explication des raies noires sur le manteau rayé (per turbinem ignis transiens, infra plicas et extra colores varios accepit) au Maître Jean de Veneta ; or cette explication n’est pas dans notre Chronique.
Thomas Bradley, lui, écrit dans son Tractatus de Fundacione, ch. 2, que Johannes de Venacia parle de ce sujet « super 2um capitulum quarti libri Regum ». Cela correspond à ce que la Bibliotheca Carmelitana (II, 132) nomme les Annotationes in Librum Quartum Regum (Olerius ne mentionne pas de titre dans sa citation) ; de ces Annotationes nous ne savons rien de plus.
Plus définitive est la déclaration de John Bale : il écrit dans Bodl. 73, 185 v. :
« Magister frater Iohannes de Vineta floruit ante Johannem Balistarium, et scripsit opusculum de ordine suo, in cuius capitulo 5o mensionem facit de processu quem haberunt Canonici Praemonstratenses contra fratres nostros in Curia Romana de assumpcione capparum albarum ; quibus tandem ea de causa concessit summus pontifex esum carnium in refectorio, quibus antea non licuit, post graves et labores et expensas. Item cao VIo fit mensio de sancto Iohanne patriarcha, de quo scribitur in Cronicis Romanis, qui regulam a Paulino et Basilio editam fratribus dedit in posterum observandam. Item VIIm cam facit mencionem Reginali et Petri, accedencium ad Innocencium 4m, Lugduni residentem A. D. 1248. Item VIIIm cam mencionem facit quod Philippus Longus, illustris rex Francie, transtulit fratres nostros ab exitu ville, qui dicitur Ad Barratos, in plateam Malberti, ante crucem Hemonis, Parisius. Item IXm cam mencionem facit Petri Raymundi de Insula Narbonensis, procurantis sub Clemente VIo studio parisiensi privilegia pro ordinis sui religiosis. Hic Clemens multos honores ordini fecit et personis. Nam fratrem Petrum de Bereto, nacione Lemovicensem, secum tenuit cum socio pro sua confessione audienda, et eum fecit Vasionensem episcopum. Item ultimum cam mencionem facit sancti Ludowici regis, qui Parisius ordinem fundavit. »
Celui qui reproduit de cette manière le contenu d’un livre doit l’avoir en main. Et ce livre n’est certainement pas notre Chronique.
Quant au contenu du traité décrit ici par Bale et dont l’auteur est Jean de Veneta, il correspond exactement au contenu du traité qui fait suite à la Rubrica Prima dans les Constitutions de 1357 et 1369. Dans les Constitutions, le traité est divisé en paragraphes (les manuscrits aiment à écrire : « paraphi ») ; le traité décrit par Bale est partagé en chapitres. (Ce qui se trouve selon Bale dans le chap. 7 est contenu au paragraphe 6 et ainsi de suite jusqu’au dernier chap. 10 qui correspond au paragraphe 9.)
La seule conclusion raisonnable me semble être que Pierre Raymond de Grasse, rédacteur des Constitutions de 1357, a repris dans l’édition de ses Constitutions le traité de Jean de Veneta en lui faisant subir quelques petites modifications.
Enfin, dans le vieux Speculum où se trouve la Chronique, rien ne porte à croire que l’éditeur attribue la Chronique à Jean de Veneta ; l’Incipit de l’œuvre véritable de Veneta reste le même que celui de la Chronique : « Cum quidam fratres ».
Cette œuvre de Jean de Veneta a été composée un peu après 1348, année où Petrus de Bereto a été consacré évêque de Vaison par Clément VI (Bibliotheca Carmelitana II, p. 554). Si elle mentionnait aussi l’année de décès de Clément VI (6 décembre 1352), elle ne pourrait dater au plus tôt que du début de 1353 – mais il est possible que cette date ait été ajoutée par Pierre Raymond.
L’œuvre de Jean de Veneta a été écrite certainement avant 1357, année où les Constitutiones de Pierre Raymond ont été promulguées au chapitre de Ferrare, à moins qu’on ne veuille avec la Bibl. Carm. II, p. 596, faire remonter cette promulgation au chapitre de Perpignan en 1354. En tout cas, ces dates correspondent merveilleusement à la vie de Jean de Veneta.
Si notre opinion est juste, nous pourrons dire de Jean de Veneta qu’il a pris pour fondement de son œuvre le Speculum Ordinis de Jean de Chemineto, comme le montre déjà une comparaison superficielle du Speculum Ordinis et du Traité des Constitutions de 1357. On y trouve des passages absolument identiques. D’autres détails confirment cette opinion : Jean de Chemineto cite dans le chap. 2 : « Magister in Historia Tripartita : Viri sancti saeculo renuntiantes, etc... » Ce texte ne se trouve pas dans l’Historia Tripartita, mais dans l’Historia Hierosolymitana de Jacques de Vitry.
Dans ce texte l’autographe de Chemineto devait avoir déjà une lacune, car les sept manuscrits qui nous sont connus la comportent ou donnent chacun une autre solution : c’est dans la phrase « ... et maxime in parte illa quae supereminet civitati Porphirianae, quae hodie Caiphas appellatur, quae fons Eliae dicitur, non longe... » Si l’on ajoute après « appellatur » « juxta fontem », le texte est cohérent. « Juxta fontem » ne se trouve pas dans les manuscrits ; deux copistes, s’apercevant de la lacune, veulent reconstituer le texte, l’un en mettant : « quae hodie Caiphas appellatur, juxta quam fons Eliae dicitur », l’autre : « quae hodie Caiphas appellatur juxta fontem Eliae, non longe... » Dans les Constitutions de 1357 et 1369, cette citation est attribuée à l’Historia Tripartita ; pour faire disparaître la lacune, on a alors lu : « quae hodie Caïphas nuncupatur, quae pars fons Eliae dicitur... »
L’explication des raies noires sur le manteau blanc est une nouveauté ; elle apparaît pour la première fois dans le Traité des Constitutions faisant suite à la Rubrica Prima et divisé en paragraphes, où l’on a décelé l’influence de Jean de Veneta 24. C’est le seul enrichissement apporté après Jean de Chemineto aux idées des Carmes sur Élie, dans la période qui s’étend jusqu’au milieu du XVe siècle.
2. CONSTITUTIONES MAGISTRI PETRI RAYMUNDI 25, 1357 – Rubrica Prima
Lisons en passant la Rubrique Première des Constitutions de 1357-1369 avec les variantes que donne le Speculum de 1507 avant la chronique du Pseudo Jean de Veneta. Ce texte ne nous apporte rien de neuf 26.
3. La CHRONICA BREVIS et le DE DUPLICI FUGA 27 posent d’abord un problème critique. Sont-elles vraiment de Guillaume de Coventry comme Bale veut le faire croire dans le manuscrit Selden supra 72 ? En tout cas il raye le nom de Bacon et le remplace par celui de Claudus Conversus, comme dans le Laus Carmelitarum du même manuscrit : en effet rien ne nous indique la paternité de Bacon, pas plus dans le De Duplici Fuga fratrum de Carmelo que dans la Chronica Brevis de Carmelitarum origine et processu felici. Aux deux écrits est joint immédiatement le De Adventu Carmelitarum in Angliam qui a été édité dans le vieux Speculum comme dernière partie de la Chronique du Pseudo Jean de Veneta, mais qui n’a certainement rien à faire avec Jean de Veneta, parce que cet écrit est très évidemment l’œuvre d’un carme anglais.
Dans les trois œuvres considérées, se présente l’expression « Carmelitae matris Christi », qu’on ne rencontre nulle part chez Bacon et qu’on ne trouve pas non plus dans le Laus Carmelitarum. Mais la question se pose de savoir si cette expression se présente encore autre part.
Provisoirement, admettons que la Chronica Brevis comme le Duplici Fuga et le De Adventu ont été écrits par Guillaume de Coventry et que par suite ces œuvres se placent dans le milieu du XIVe siècle.
Jean METSYS. Élie donne son manteau à Élisée conduisant sa charrue. Musée d’Anvers.
4. JEAN DE HILDESHEIM 28 – DIALOGUS 29
THÈME DE L’ŒUVRE : Cet écrit met en scène un défenseur et un détracteur de l’Ordre des Carmes. Ce dernier met en doute particulièrement l’origine élianique du Carmel.
SOURCES : L’auteur y montre qu’il connaît bien Platon, Aristote, les auteurs classiques latins, les Pères et poètes chrétiens dont il cite les noms et surnoms. Il ne nomme pas ses prédécesseurs dans l’histoire de l’Ordre mais il a certainement connu le Speculum de Chemineto et sans doute aussi le Speculum de Bacon. Chez Jean de Hildesheim on rencontre aussi Joseph d’Antioche avec son Speculum Perfectae Militiae Primitivae Ecclesiae, œuvre très énigmatique. On rencontre également Sigebertus « in suis chronicis dicens : Cum Carmelitae in sancta paenitentia perseverassent, etc. » Cette citation a été omise dans le Speculum de 1680, au chap. IX du Dialogus ; mais elle se trouve sans le nom de Sigebertus, au chap. III du Speculum de Chemineto 30.
Une source que nous n’avons pas rencontrée chez les auteurs précédents est l’œuvre de Gérard, évêque de Laodicée : De Conversatione Virorum Dei in Terra Sancta, dont on n’a pas retrouvé non plus les traces.
La Chronica Romana, connue cependant de Chemineto, n’est pas nommée par Jean de Hildesheim. Rien non plus sur une Règle de Jean de Jérusalem et d’Aymeric, tandis qu’Alexandre III est présenté comme le premier Pape qui approuve la Règle de saint Albert.
Il n’y a pas de source nommée au sujet du récit de Cyrille-Nestorius au Concile d’Éphèse, au chap. XIV, emprunté quelques années plus tard par Bernard Olerius à une « quaedam chronica antiqua, quam habet dominus rex Franciae tam in Latino quam in Gallico ».
Cassien est cité faussement comme « Vincentius in Speculo Historali » et Jacques de Vitry comme « Magister in Historia Tripartita », ce qui prouve la dépendance de Jean de Chemineto. Dans le Speculum de 1680, la dernière citation est corrigée. Nous trouvons ici pour suppléer la lacune dans le texte de Jacques de Vitry dont nous parlions plus haut les mots : « Juxta Fontem Eliae », au lieu de « iuxta fontem, quae fons Eliae ».
Quant au « Reverendus in Christo Magister Generalis », à qui le Dialogue s’adresse dans l’exorde, c’est sans doute Jean Balistaire (1358-1374). La date traditionnelle de notre texte est 1370, et lorsque Bernardus Olerius acceptait en 1375 (Pentecôte) son office, Jean de Hildesheim était déjà décédé.
OCCASION : Quant à savoir dans quelle lutte de son ordre, Jean de Hildesheim trouvait l’occasion d’écrire le Dialogus, cette question ne se laisse pas facilement élucider 31.
5. BERNARDUS OLERIUS 32 – INFORMATIO 33
SOURCES : Cet ouvrage a pour source principale les Conclusiones ac Determinationes (cod. Bodl. E MUSEO 86, f. 3762-221 v.) de Johannes Horneby, non encore publiées.
Les trois articles de l’Informatio correspondent au moins aux thèses que Johannes Horneby soutenait, de sorte que la Bibliotheca Carmelitana (1279) a sans doute raison. D’après l’introduction de l’Informatio, Olerius a déjà adressé une Supplicatio au Pape, et l’Informatio, destinée au Cardinal Pierre Corsini a pour but de pourvoir ce prélat d’informations propres à éclaircir la Supplicatio auprès du Saint-Père. On trouve dans le texte quelques indications qui feraient croire qu’Olérius a connu également le Dialogus de Jean de Hildesheim. Ce n’est qu’une hypothèse. Olérius, comme on l’a dit déjà plus haut, emprunte l’explication des raies sur le manteau blanc à Jean de Veneta. Il rapporte ensuite le témoignage de Joseph d’Antioche rencontré aussi chez Jean de Hildesheim.
Le « SIGEBERTUS in suis chronicis » est devenu maintenant « GILBERTUS historiographus, quem frequenter allegat Vincentius in Speculo Historiali, dicit sic : Cum Carmelitae in sancta paenitentia perseverassent... » 34.
On rencontre aussi Gerardus, episcopus Laodiciae et la Chronica Romana.
Pour le passage « quaedam chronica antiqua quam habet rex Franciae tam in Latino quam in Gallico », nous renvoyons à ce qui en est dit plus haut au sujet de Jean de Hildesheim.
Enfin, l’on pourra se poser la question de savoir pourquoi l’on n’utilise pas dans l’article III : « De Confirmatione dicti ordinis in jure communi (et positivo) » l’approbation de la Règle par Honorius III, Grégoire IX, Innocent IV, Alexandre IV, Urbain IV et Clément IV, comme le fait Bacon dans la « Nona particula » de son Compendium : « Religio tunc est approbata, quando habet regulam traditam sibi a sede apostolica. »
6. GROSSI – VIRIDARIUM 35
SOURCES : Ce texte pose un problème critique important ; on ne peut rien dire de positif tant que l’on n’a pas comparé tous les manuscrits connus.
Il y a quelques années, l’on croyait pouvoir montrer dans le Viridarium la première influence certaine et irréfutable du Decem Libri de Riboti. Or, dans le codex d’Avila découvert par P. Otger Steggink, et maintenant à Rome, on trouve un texte du Viridarium dont la lecture fait dire, avec toute la prudence nécessaire, qu’il est très invraisemblable que Grossi connût les Decem Libri, du moins lorsqu’il écrit la première rédaction de l’œuvre.
DATE : La date de 1430 donnée par Zimmerman dans Monumenta p. 339 à la composition de cet écrit, est de toute façon inexacte parce que trop tardive. Grossi nous donne, me semble-t-il, mais pas d’une manière claire, la date de son ouvrage. Quoique l’introduction me cause des difficultés, il est cependant certain que l’ablatif absolu « mundiali Viridario dirupto » est en rapport avec le schisme de l’Église ou de l’Ordre ; dans le premier cas, le Viridarium est écrit avant 1417, dans le deuxième, avant 1411, parce que le schisme de l’Ordre prenait fin à ce moment. Je penche davantage pour la dernière date, parce que l’œuvre se placerait alors dans la période où l’Église et l’Ordre étaient désunis par le schisme.
En comparant les manuscrits, on a l’impression que Grossi s’est déjà occupé avant 1417 d’une deuxième rédaction ; mais il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives.
Comme Grossi est un peu mieux renseigné dans le Viridarium au sujet des premiers généraux de l’Ordre que dans la liste des généraux – publiée par Zimmerman dans le Monumenta – nous devons considérer le Viridarium comme plus tardif et nous dirons 1395 ; peut-être l’étude de ses sermons, qui ne sont pas encore publiés, nous fournira-t-elle encore matière à comparaison.
Au sujet de la spiritualité de l’Ordre, Grossi ne veut pas donner des considérations de son cru. Il nous dit, en effet, dans l’introduction : « De meo modicum aut quasi nihil apponens, sed antiquorum flosculis dictorum (variante doctorum) ipsum breviter fulceam. »
On peut retrouver dans son œuvre maints fragments des ouvrages dont nous avons déjà parlé. Sans qu’il les cite nommément, il emprunte surtout à Chemineto, de Veneta, Petrus Raymond de Grasse, Bacon et Olerius. Par eux on remonte à Pierre le Mangeur et à la Chronica Romana. En effet, comme compagnons d’Élie sont cités Élisée, Abdias et Jonas ; on ne nomme pas encore Michée qui apparaît dans les Decem Libri de Riboti, après avoir été nommé en passant au chap. II du Speculum de Jean de Chemineto, où on lit : « Inde legitur in chronicis, quod post ascencionem in eodem loco, ubi Elias invenit Micheam (variantes Nicheam, Nichiam) mulierem viduam colligentem ligna, propter devotionem loci et sancti prophetae, fuit aedificata ecclesia in honore Dei et beatae Mariae Virginis. » Cependant aucun des manuscrits ne lit ici Micheae.
LA VIERGE VISITE LES ERMITES DU MONT CARMEL. Bruges, cathédrale Saint-Sauveur ; détail d’un retable, ca. 1500.
7. PHILIPPUS RIBOTI 36 – LIBER DE INSTITUTIONE PRIMORUM MONACHORUM 37
DATE : Sans s’arrêter à déterminer exactement la date d’origine de cette œuvre, attribuée à Jean 44 de Jérusalem, nous pensons qu’on peut en placer la publication à la fin du XIVe siècle ; nous ne trouvons, en effet, aucune trace d’un contact avec le De Institutione dans les opuscules historiques du XIVe siècle. On ne connaît le De Institutione que par la collection de Philippe Riboti intitulée : Liber de Institutione et Peculiaribus Gestis Religiosorum Carmelitarum. Riboti a rédigé cette collection en 1370, comme il le dit lui-même, mais elle a paru seulement une dizaine ou une vingtaine d’années plus tard, car ni Bernard Oller, Catalan comme Riboti, ni non plus Jean Grossi au début de sa charge de général, ne connaissent cette œuvre, et en 1420 elle n’est connue en Angleterre que de nom : le provincial Thomas Waldensis en demande une copie au général Grossi (Monumenta 462, 464).
AUTEUR : On parle avant Riboti d’un Jean de Jérusalem ; mais il est alors invariablement « patriarcha Ierosolymitanus ». Nous n’avons que des renseignements obscurs sur le temps où il vivait, c’est-à-dire après Paulinus (est-ce Paul de Thèbes ?) et Basilius. Seul Grossi donne une précision de temps plus explicite ; nous lisons dans le codex Avila-Rome : « Anno vero MLXXX, Adrianus primus, nacione Romanus, pontificatus sui anno octavo, assumpsit in patriarcham Iherosolimitanum fratrem Johannem, heremitam dicti ordinis, propter ipsius sanctitatem maximam. Qui dictus frater Iohannes patriarcha omnibus heremitis montis Carmeli dictam regulam Basilii tradit observandam. »
Dans les autres manuscrits, ce passage est conçu en ces termes : « Processu autem temporis Adrianus papa primus, nacione romanus, pontificatus sui anno octavo, assumpsit in patriarcham Iherosolimitanum fratrem Johannem, heremitam dicti montis Carmeli, propter ipsius sanctitatem maximam. Qui dictus frater Johannes patriarcha, fratri Caprasio, suo discipulo dilectissimo, ceterisque heremitis montis Carmel, dictam regulam Basilii tradidit observandam. » (Le pape Adrien régna de 772 à 795.) Riboti seul parle avec acharnement d’« episcopus », c’est-à-dire le 44e de Jérusalem. « Floruit temporibus Archadii et Honorii imperatorum. »
La question du de Institutione n’est certes pas résolue...
TEXTE : Il est peut-être utile de faire remarquer que dans les manuscrits et dans le Speculum de 1507 on distingue les huit premiers chapitres du reste de l’œuvre ; à la fin du chapitre VIII, on lit, en effet : « Explicit institutio, id est forma perveniendi ad perfectionem propheticam et finem monastice vite heremitice, per Deum ad observandam tradita prophete Helie, et per dominum Johannem quadragesimum quartum episcopum Ierosolimitanum comentata et exposita ex dictis tam legis veteris quam eciam nove. »
Cet « explicit » est supprimé dans l’édition du Speculum de 1680. Le chap. VIII est aussi le dernier chapitre où l’on présente Dieu comme parlant lui-même ; cela commence d’ailleurs tout à coup au chap. III ; jusque-là, l’auteur parle « ex persona propria », comme aussi après le chap. VIII ; du chap. III au chap. VIII, il parle « ex persona Dei », à l’exception des phrases finales de chaque chapitre qui commencent par « Ecce » en correspondance avec la phrase finale du chap. II ; dans cette phrase, l’auteur redevient d’un coup lui-même.
SOURCES : Pour les citations des Pères et autres écrivains, Riboti n’en use qu’après le chap VIII. Ces citations, nous les connaissons déjà par les œuvres précédentes ; le texte de Gerardus, episcopus Laodicensis, est trois fois plus long que chez Jean de Hildesheim et Bernardus Olerius ; le texte de l’Epistola Balbini ad Antoninum imperatorem, non encore identifiée, a été déjà ajouté par Petrus Riera en 1333 à la Secunda Particula du Compendium de Bacon : le texte est mot à mot le même ; seulement, dans la copie que nous possédons de Riera (codex Avila-Rome) nous lisons : « in quadam epistola Balbonii ad Antonium imperatorem ».
8. Nous ne devons pas prendre en considération les textes du TRACTATUS DE ORIGINE ORDINIS FRATRUM BEATE MARIE DEI GENETRICIS DE MONTE CARMELI, QUI ORDO INCEPIT AB HELYA ET HELIZEO PROPHETIS DEI SANCTIS, qui se présente dans le manuscrit München, Clm. 3554 f. 159 v. – 163 v., puisque c’est une compilation assez maladroite du Compendium de Bacon, de Jean de Chemineto et de Bernardus Olerius ; le rédacteur n’a pas connu les Decem Libri de Riboti ; le manuscrit date de 1453. Dans la Bibliotheca Carmelitana ce codex est sous le nom d’Anonymus Augustanus (I. 137) : 2. Quaedam de origine Ordinis Carmelitarum.
9. Il n’est pas non plus nécessaire de résumer les textes du SPECULUM HISTORIALE DECLARATIVUM STATUS FRATRUM ORDINIS BEATAE MARIAE GENETRICIS DEI DE MONTE CARMELI, publié dans le Speculum de 1507 f. 422 – 49 v.
DATE : Nous le datons du XVe siècle parce qu’il contient des extraits des Decem Libri ; les textes des Pères intercalés par Riboti sont utilisés et unis fraternellement à côté des textes de Riboti lui-même ; d’autre part, il y a des passages du Speculum de Jean de Chemineto qui sont attribués à Magister Johannes Baconis, comme font les manuscrits tardifs de ce Speculum.
AUTEUR : Au sujet de l’auteur, nous pouvons consulter la Bibliotheca Carmelitana, II, 59, II, 45, II, 10-11, I, 625 ; mais nous n’en aurons aucun profit comme c’est le cas pour la petite introduction qui précède le texte abrégé du nouveau Speculum I, II, p. 211. Il n’existe pas de manuscrits connus de cette œuvre.
10. LETTRE DE THOMAS WALDENSIS AU PROVINCIAL DE COLOGNE (après 1420) 38
En dehors des œuvres qui s’occupent ex professo de l’histoire de l’Ordre, nous avons trouvé bien peu de citations comparables à celle donnée ici de la lettre de Thomas Waldensis au provincial de la « Germania Inferior ». De ce texte il ressort que la figure d’Élie était pour le provincial d’Angleterre une source de vie spirituelle, un idéal qui incite à l’imitation et stimule le zèle pour le Dieu des Armées.
Un tel passage est introuvable dans la correspondance qui nous est restée de Jean de Hildesheim. On peut espérer que la recherche mettra encore au jour de semblables passages, d’où il ressort que la défense acharnée de la successio haereditaria est accompagnée, ou plutôt fondée, sur une vie spirituelle trouvant en Élie sa spécificité et son inspiration.
11. THOMAS BRADLEY 39 – TRACTATUS DE FUNDACIONE, INTITULACIONE, ANTIQUITATE, REGULA ET CONFIRMACIONE ORDINIS BEATE MARIE DE MONTE CARMELI 40
Thomas Bradley s’est rendu utile à l’histoire de l’Ordre en collectionnant patiemment encore des textes des Pères et d’autres écrivains, qui traitent d’Élie comme « Type » des moines du Nouveau Testament. Son traité, pas très original, est rempli de réminiscences des auteurs précédents.
12. Dans la Rubrica Prima des Constitutions de 1461 41, l’activité d’Aymeric n’est pas encore jugée digne de mention, bien que les œuvres du XIVe siècle le nomment ; l’absence de Jean 44 ne doit pas nous étonner. La construction d’une chapelle mariale au Carmel est affirmée maintenant par Joseph d’Antioche qui est cité pour la première fois à la fin du XIVe siècle.
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Quels sont les résultats de l’enquête menée sur les documents carmélitains des XIIIe, XIVe et XVe siècles ?
Dans l’espace de ces trois siècles s’est élaborée chez les Carmes, d’une manière progressivement explicite, la doctrine d’une succession, poursuivie sans interruption depuis Élie jusqu’aux ermites de la Règle de 1209. En forgeant cette doctrine, les Carmes ont acquis la conviction qu’ils étaient fils d’Élie d’une tout autre manière que l’ensemble des moines qui regardaient traditionnellement le Prophète comme leur princeps et leur modèle.
De là, pour les Carmes, à élaborer un esprit élianique qui leur fût propre, il n’y avait qu’un pas.
Encore occupés à tisser leur légende élianique, les Carmes ne le franchirent pas avant le milieu du XIVe siècle. Ils ne firent que préparer, par les certitudes nées de leurs spéculations, l’apparition de cet esprit.
Rome.
P. RUDOLF HENDRIKS, O. Carm.
APPENDICE I
LE CULTE D’ÉLIE AU MONT CARMEL DU IVe AU XIIIe SIÈCLE.
Voici quelques précisions sur le culte d’Élie au Mont Carmel, du IVe au XIIIe siècle : Pour nous en tenir à l’ère chrétienne, nous avons des preuves d’un culte rendu à Élie dès le XIIIe ou IVe siècle, dans la grotte dite « des fils des prophètes », depuis longtemps appelée par les musulmans « El Khader ». Des inscriptions grecques, gravées dans le mur par les visiteurs, demandent le secours d’Élie : « Élie, souviens-toi » (de Cléopâtre ou de Julien, d’Auguste, de Germain). Le professeur Scols, de l’université de Bonn, a publié en 1821 une étude sur ces inscriptions ; il estime, d’après certains détails tels que l’absence de formes arrondies par exemple, qu’elles remontent authentiquement aux premiers siècles de notre ère. Aucune étude subséquente n’est venue infirmer ses conclusions. Des graffitis du IVe au VIe siècle bien visibles aujourd’hui encore, témoignent de ce culte rendu à Élie.
La grotte qui mesure dix-huit pas de long et huit de large, avec à gauche une excavation de cinq pas sur trois, est située à peu près à mi-chemin entre le sommet du cap Carmel et le rivage de la mer, sur la partie du promontoire qui regarde le sud. Les trois cultes, juif, chrétien et musulman s’y rencontrent encore actuellement. Par privilège immémorial (datant du XVIIe siècle sans doute), les Carmes y chantent chaque année la messe de saint Élisée, le 14 juin. La messe solennelle de saint Élie est célébrée le 20 juillet à la Basilique du couvent sur le promontoire.
NICÉPHORE CALLISTE, dans son Histoire Ecclésiastique (L. VIII, chap. XXX) qui va jusqu’au VIIe siècle, affirme que sainte Hélène fit bâtir une église « sur le versant de la montagne d’Élie le Thesbite ». Le Dr Edmond Weignad, de Munich, spécialiste des basiliques constantiniennes, après avoir étudié et photographié en février 1913 différentes pièces archéologiques provenant du Mont Carmel et datant des premiers siècles chrétiens, estime qu’il a dû effectivement y avoir sur le versant dont parle Nicéphore Calliste une basilique, construite à l’époque de Constantin et restaurée sans doute sous Justinien.
Le PSEUDO-ANTONIN DE PLAISANCE, dans sa Perambulatio Locorum Sanctorum (publiée in Itineraria Terrae Sanctae, Orient Chrétien, Genève, 1887. Édition Tobler) nous parle d’un « monasterium Sancti Helisaei », sis « sub monte Carmeli... supra castra Samaritanorum, milliario semis ».
Le rabbin BENJAMIN DE TUDÈLE qui, parti de sa patrie vers l’Orient l’an 4920 de l’ère juive (vers 1160 de notre ère), y revint vers 1173, raconte : « À l’un des côtés de la ville de Haïffa, est la montagne du Carmel, au sommet et au pied de laquelle sont plusieurs tombeaux d’Israélites. Dans la montagne même est la caverne du prophète Élie, d’heureuse mémoire, auprès de laquelle deux fils d’Édom (chrétiens) ont bâti une église ou chapelle appelée de saint Élie. » (Itinerarium Benjamino Tudelensis, trad. Aria Montano, Anvers, 1575. – Voyages de Rabbi Benjamin, fils de Jona de Tudèle, trad. Baratier, Amsterdam, 1734.)
Et le moine Jean Phocas, de Patmos, au cours d’un pèlerinage accompli l’an du Seigneur 1177, note à son tour : « Vient ensuite le Mont Carmel... À l’extrémité du promontoire qui regarde la mer, on voit la grotte du prophète Élie... En cet endroit il y eut autrefois un grand édifice dont les ruines existent encore. » (Compendiaria Descriptio castrorum et urbium ab urbe Antiochia usque Hierosolymam, necnon Syriae ac Pheniciae in Palestine Sacrorum locorum. Recueil des Historiens des Croisades, t. I, pp. 557-558. Texte donné dans les « Acta Sanctorum ».)
Même concordance dans les témoignages recueillis au XIIIe siècle :
Jacques DE VITRY, évêque de Saint-Jean d’Acre en 1217, parle, aux chapitres LI et LII de son Historia Hierosolymitana (1220) d’un monastère bâti « juxta fontem Eliae », et dont on voit encore les ruines ; il était situé dans une vallée d’où l’on aperçoit la mer.
L’auteur anonyme (P. Jean-Népomucène de la Sainte-Famille) de l’Histoire de l’Ordre de Notre Dame du Mont-Carmel sous ses neuf premiers prieurs généraux (Maestricht, 1798), cite d’après Martène (t. V, col. 560) une lettre de la même époque attribuée à Radulphe, abbé de Coggeshale, de l’Ordre de Cîteaux, qui, parlant en témoin oculaire précise : « ... du Mont Carmel, qui s’appelle aussi Caïphas, au sommet duquel est située l’église du saint prophète Élie, sur une haute roche qui regarde Ptolemaïs, contre la mer... » (Hist. de l’Ordre, p. 5).
Ouvrons les Registres du Royaume de Jérusalem, de 1097 à 1291 publiés par REINOLD ROEHRICHT (Innsbruck, 1893) ; à la date du 4 mai 1250 nous lisons que « Garcia Alvarez, seigneur de Cayphas... lègue à l’église du Mont Thabor, par l’intermédiaire de Gauvain, abbé, une terre située au-dessous de l’ancienne vigne de saint Élie du Carmel ».
WILDEBRAND D’OLENDORF, moine du XIIIe siècle écrit : « Le Mont Carmel est situé directement au-dessus de la ville de Caïphe. On y montre la demeure d’Élie. Elle y est même en vénération. On y célèbre tous les jours la messe solennelle. »
Citons enfin, pour terminer cette nomenclature, un texte, datant également du XIIIe siècle, relevé dans Les chemins et les pèlerinages de Terre Sainte. Les quelques précisions qu’il contient éclairent les passages précédents : « Sur cette montagne est construite l’abbaye de Madame Sainte-Marguerite : c’est une abbaye de moines très belle ; au-dessus de cette abbaye, sur le côté, habita Élie, dans la roche s’élève une très belle chapelle. »
On trouverait d’autres détails intéressants dans El Monte Carmelo, P. FLORENCIO O.C.D., Madrid, 1924, ainsi que dans divers articles publiés par les Études Carmélitaines des années 1911 à 1913.
APPENDICE II
EXTRAITS DU LIVRE DE L’INSTITUTION.
(Texte latin. Traduction française.)
Philippus RIBOTI, Decem libri de institucione et peculiaribus gestis religiosorum Carmelitarum.
Prologus. ... Quemadmodum autem populus Israeliticus pre ceteris populis fuit a Deo per Moysen doctus specialibus doctrinis Legis, ita religiosi Carmelite pre ceteris uiris populi Israelitici fuerunt a Deo per Heliam prophetam instructi specialioribus documentis et institutis monastice religionis. Quos ne iram Dei incurrant, oportet non quidem gloriari, quia talera ac tantum prophetam meruerunt habere actorem et institutorem religionis sue, sed magis imitari uitam illius prophete, et scrutari ac intelligere dogmata eius et instituta religionis predicte, iliaque operibus adimplere...
In hiis decem libris poterit uerus Carmelita, quantum scire sufficit, pie contemplari sue religionis originem, processum ac multiplicacionem, et fundatorurn ac priscorum professorum eius dignitatem, et monastice uite heremitice institucionem ac finem, et digne conuersancium in ea beatam remuneracionem...
Traduction : Philippe RIBOTI, Dix livres sur l’institution et les faits notables des religieux Carmes.
Prologue : De même que Dieu enseigna, par Moïse, au moyen de la loi, le peuple d’Israël plus que tous les autres peuples, de même par le prophète Élie, Il instruisit les religieux Carmes, au moyen des leçons et institutions monastiques, plus que tout son peuple. Pour ne pas encourir la colère de Dieu, il ne leur faut assurément pas se glorifier d’être dignes d’avoir un si grand prophète – et quel prophète ! – comme père et fondateur de leur Ordre, mais bien plutôt il leur faut imiter sa vie, et comprendre ses enseignements et les règles de cette religion, et les mettre parfaitement en œuvre.
Dans ces dix livres, le vrai carme pourra, autant qu’il suffit de le savoir, contempler dévotement l’origine de son Ordre (religio), son progrès et sa multiplication, la dignité de ses fondateurs et plus anciens profès, l’institution et fin de la vie monastique érémitique comme aussi la bienheureuse récompense de ceux qui y sont dignement demeurés.
LIBER PRIMUS DE INSTITUCIONE ET PECULIARIBUS GESTIS MONACHORUM CARMELITARUM.
Capitulum I : Quod incipienchim est a primo huius religionis fundatore, et quo tempore floruit ipse, et a quo fuit genitus, et unde ortus, et ubi in suis primordiis conuersatus.
IOHANNES XLIV EPISCOPUS IEROSOLIMITANUS IN LIBRO DE INSTITUCIONE PRIMORUM MONACHORUM IN LEGE VETERI EXORTORUM ET IN NOVA PERSEVERANCIUM AD CAPRASIUM MONACHUM.
Principiurn religionis huius, et quemadmodum ac unde primo ipsa processit, recte petis, dilecte Caprasi, ante alia perscrutandum. Quamuis namque conuersacionis huius racio in sole experiencia consistat, et nequaquam possit hec racio plene uerborum doctrine nisi ab experto tradi, neque eciam a te totaliter percipi, nisi eam pari studio ac sudore per experienciam apprehendere laboraueris, multo tamen efficacius poteris suscepte huius professionis assequi disciplinam, et ad exercendam eam ardencius incitari, cum actorum atque fundatorum eius agnoueris dignitatem, et primariam religionis ipsius sciueris institucionem. Propter quod, ut ordine debito procedamus, de supremo huius religionis fundatore, et primaria eius institucione eloqui paulisper inchoabimus. Deinde aliqua sancta gesta, et gloriosas uirtutes, et exteriorem habitus ornatum de ipso fundatore et primis eius discipulis ceterisque huius religionis priscis professoribus succincte edisseremus ; sicut hec omnia antiqui huius nostre conuersacionis sectatores ante nos intellexerunt, et nobis tam in ueteri quam in noua Lege doctrinis et exemplis philosophati sunt. Ut per hec discas quanta sanctorum precipuorum auctoritate bec nostre ante religio confirmetur, et cum quanta mentis securitate formam huius conuersacionis sequentes non per nouitates presumptas, neque per inanes fabulas, sed per approbata tocius uite monastice primaria exemplaria uiam ad corda nostra Domino dirigimus, et semitas ueniendi ad nos Deo nostro rectas facimus, ut cum uenerit et pulsauerit, confestim et aperiamus qui ait : Ecce sto ad ostium et pulso ; si quis audierit uocem meam et aperuerit ianuam, tntroibo ad ilium et cenabo cum illo et ipse mecum.
Scito igitur et animadverte ab inicio regni Acab regis Israel usque ad Christi aduentum in carnem decades annorum circiter nonaginta quatuor fluxisse, per quas, ut Cronographi tradunt, cepit Acab regnare ante incarnacionem Domini Ihesu. In diebus uero huius Acab regis Israel, et in regno eius, fuit quidam propheta magnus de tribu Aaron, cui nomen erat Helias, ex patre uocato Sabacha, ortus in ciuitate Thesba, que est in regione Galaad ; ex qua Thesba Helias est Thesbites dictus. Qui Helias postmodum fuit habitator ciuitatis Galaad, que condita in monte Galaad, ab illo monte nomen accepit, sicuti et regio monti illi circumuicina, trans Iordanem site in sorte dimidie tribus Manasse.
LIVRE PREMIER SUR L’INSTITUTION ET LES FAITS NOTABLES DES MOINES CARMES.
Chapitre premier : Qu’on doit commencer par le premier fondateur de cette religion, l’époque où il vécut, de qui il naquit, d’où il est sorti et où il passa ses premières années.
JEAN XLIV ÉVÊQUE DE JÉRUSALEM, DANS LE LIVRE DE L’INSTITUTION DES PREMIERS MOINES DE L’ANCIENNE LOI ET DES MOINES PERSÉVÉRANT SOUS LA NOUVELLE, AU MOINE CAPRAIS.
Tu me demandes avec raison, cher Caprais, de considérer avant toute chose l’origine de cette religion (religio), les circonstances et le lieu de sa naissance. Bien sûr, cette vie, en son fond, relève de la seule expérience et jamais elle ne pourra être pleinement exprimée dans un exposé théorique si on n’en fait l’expérience, ni totalement pénétrée par toi si tu ne t’appliques à la saisir par l’expérience avec ardeur et générosité. Pourtant tu pourras beaucoup plus efficacement atteindre le mode de vie que tu professes, et tu seras stimulé à la pratiquer avec plus d’ardeur lorsque tu auras pris connaissance de la grandeur de ses pères et fondateurs et que tu sauras la prime institution de cette religion. Aussi, je procéderai selon l’ordre requis, nous commencerons par parler quelque peu du premier fondateur de cette religion et de ses débuts. Puis nous dirons quelques mots de quelques saintes activités, des glorieuses vertus, de la beauté extérieure de la vie du fondateur et de ses premiers disciples comme des premiers profès de l’ordre ; nous le dirons comme l’ont compris avant nous nos anciens et nous l’ont enseigné dans l’ancienne et la nouvelle Loi par lees et leurs exemples. Tu apprendras ainsi par l’autorité de combien de saints notre vie religieuse se voit confirmée ; avec quelle sécurité d’esprit, suivant ce genre de vie sans nouveautés hardies ni sur la foi de fables sans fondement, mais d’après les grand modèles éprouvés de toute la vie monastique, nous ouvrons au Seigneur un chemin vers nos coeurs ; et nous rectifions nos voies pour le Seigneur qui vient à nous, de sorte que lorsqu’il arrivera et frappera, aussitôt nous lui ouvrirons, à lui qui dit : « Je me tiens à la porte et je frappe : quelqu’un écoute ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je dînerai avec lui et lui avec moi. »
Sache donc et comprends ceci : du commencement du règne d’Achab roi d’Israël, jusqu’à l’incarnation du Christ, 94 décades environ se sont écoulées, selon les chronologistes. Au temps d’Achab, roi d’Israël, il y eut dans son royaume un grand prophète de la tribu d’Aaron dont le nom fut Élie ; son père s’appelait Sabacha, originaire de Thesba en Galaad ; de cette Thesba Élie reçut son surnom de Thesbite. Plus tard Élie habita la ville de Galaad, bâtie sur le mont Galaad, qui lui donne son nom ; la région qui entoure ce mont au delà du Jourdain est le lot de la moitié de la tribu de Manassé.
Capitulum II : Quod Helias monasticam et prophetalem uitam heremiticam primus hominum Deo mandante incepit, et quod Deus formam perueniendi ad finem ac perfeccionem illius uite sibi partim aperte et partim mistice expressit.
Hic propheta Dei Helias monachorum princeps primus extitit, a quo sancta primeua institucio exordium sumpsit. Ipse enim obtentu contemplacionis diuine, et desideno sublimioris profectus, longe ab urbibus recedens, et seipsum cunctis terrenis ac mundanis exuens, religiosam et prophetalem uitam heremiticam primus hominum a proposito ducere cepit, quam sancto dictante Spiritu et mandante inchoauit et instituit.
Quippe Deus ei apparens mandauit, ut communem hominum habitacionem fugeret, et se a turbis in deserto absconderet, atque deinceps in heremo monastice secundum formam ei indictam uiueret. Quod euidenti Sacre Scripture testimonio comprobatur. Legimus enim ita de hoc scriptum in libro Regnorum : Factum est uerbum Domini ad Heliam dicens : Recede hinc et uade contra orientem, et abscondere in torrente Carit, qui est contra Iordanem ; et ibi de torrente bibes, coruisque precepi ut pascant te ibi. Hec autem premissa salubria mandata, ad que implenda Spiritus Sanctus Heliam instigauit, et desiderabilia promissa, ad que adipiscenda eum erexit, tanto debent maiori intencione non solum hystorice, sed pocius mistice a nobis monachis heremitis per singula uerba pensari quanto in eis plenior comprehenditur institucio, id est forma ad perfeccionem propheticam et finem religiose uite heremitice peruemendi. ... Loquens enim Domitius sancto Helie ait eciam tam in ueteri quam in noua Lege cuilibet monacho heremite : Recede hinc, scilicet a rebus caducis mundi et transitoriis, et uade contra orientem, scilicet contra originalem tue carnis cupidinem, et abscondere in torrente Karit, ne in urbibus moreris simul cum turbis, qui est contra Iordanem, ut scilicet per caritatem sis diuisus a delictis. Hiis namque quatuor gradibus ad culmen prophetice perfeccionis conscendes, et ibi de torrente bibes.
Chapitre II : Élie fut le premier à mener sur l’ordre de Dieu une vie érémitique, monastique et prophétique ; Dieu lui manifesta tantôt clairement tantôt mystiquement la manière de parvenir à la fin et perfection de cette vie.
Élie ce prophète de Dieu est le premier chef des moines, il est à l’origine de cette sainte institution dans la fleur de son âge. Tendu en effet vers la contemplation divine, aspirant à un plus grand progrès, il se retira loin des villes, se dépouilla de tous les biens terrestres, de tous les biens du monde et ainsi, le premier, de son plein gré, commença à mener une vie érémitique, religieuse et prophétique qu’il entreprit et poursuivit sous l’inspiration et sur l’ordre du Saint-Esprit.
Car Dieu lui apparut, lui ordonnant de fuir la demeure des hommes, de se cacher au désert loin des foules et de vivre en moine dans la solitude selon la règle qui lui avait été indiquée : voici en effet ce que nous en lisons dans le livre des Rois : « La parole de Dieu fut adressée à Élie, lui disant : Éloigne-toi d’ici, marche face à l’Orient, cache-toi dans le torrent de Carith qui est en face du Jourdain ; là tu boiras du torrent, et j’ai ordonné aux corbeaux d’y porter ta nourriture. » Or ces commandements salutaires et donnés à l’avance, auxquels l’Esprit Saint inspira à Élie d’obéir, ces promesses désirables pour l’accomplissement desquelles il l’a fait lever, doivent mot à mot subir notre examen à nous, moines ermites, au point de vue historique et plus encore mystique, ayant d’autant plus d’application qu’en elles est plus parfaitement contenue notre institution : la manière de parvenir à la perfection prophétique et au terme de la vie religieuse érémitique.
... S’adressant en effet au saint prophète Élie, c’est à tout moine ermite de l’Ancien et du Nouveau Testament que le Seigneur dit : Éloigne-toi d’ici, c’est-à-dire des choses périssables et transitoires, et marche face à l’Orient, c’est-à-dire à l’encontre de la concupiscence originelle de ta chair, et cache-toi dans le torrent de Carith afin de ne pas demeurer dans les villes avec les foules ; qui est en face du Jourdain, c’est-à-dire : pour que tu sois par ta charité séparé du péché. T’élevant par ces quatre stades au sommet de la perfection prophétique, tu boiras là au torrent.
LIBER SECUNDUS DE INSTITUCIONE ET PECULIARIBUS GESTIS MONACHORUM CARMELITARUM.
Capitulum II : Quod Helias disposuit successores habere in obseruantia monastice uite heremitice, et qua racione ipsi in Sacra Scriptura appellati fuerunt prophete.
Denique Helias in monastica uita heremitica, quam primus hominem a proposito inchoauerat, successores post se in perpetuum relinquere disposuit. Qui ut pater primus monachorum fieret, in suos discipulos elegit quosdam uiros, qui idcirco ad eum in solitudine torrentis Carit tunc latentem confugiebant, ne per regem Acab et per reginam Iezabel cogerentur, sicut et ceteri populares, adorare Baal. Viri quippe isti timore Des repleti, cernentes Heliam ita uerbo Domini tunc continere celum, quod pluuiam non dabat super terram, ad eum tamquam ad magnum ueri Dei cultorem accedebant occulte in solitudine Carit, ut sub eius doctrina in cultu ueri Dei persistere possent, et ydolatriam uitarent. Hos itaque Domini deuotos uiros Helias secundum formam a Deo ei traditam habuit sue monastice uite primos discipulos et imitatores ueros.
LIVRE SECOND SUR L’INSTITUTION ET LES FAITS NOTABLES DES RELIGIEUX CARMES.
Chapitre II : Dessein d’Élie d’avoir des successeurs dans l’observance de la vie monastique érémitique et raison de leur dénomination de prophètes dans la Sainte Écriture.
Élie qui, le premier des hommes, avait commencé à mener la vie monastique érémitique, voulut laisser pour toujours après lui des successeurs. Pour être le père des premiers moines, il se choisit comme disciples des hommes qui avaient fui vers lui quand il était caché dans la solitude du torrent de Carith, de peur d’être obligés par le roi Achab et la reine Jézabel d’adorer Baal tout comme le reste du peuple. Ces hommes remplis de la crainte de Dieu, voyant qu’Élie fermait à ce point le ciel par la parole du Seigneur qu’il ne pleuvait pas sur la terre, venaient à lui en cachette dans la solitude du Carith comme au grand adorateur du vrai Dieu, afin de pouvoir sous sa doctrine persévérer dans le culte du vrai Dieu et éviter l’idolâtrie. Ce sont ces pieux hommes du Seigneur qu’Élie, selon le genre de vie révélée à lui par Dieu, eut pour premiers disciples de sa vie monastique et pour vrais imitateurs.
Capitulum III.
... Diuina itaque disponente Sapiencia ex tunc factum fuit, quod Helias multiplicatis istis monachis per eum institutis, quosdam ex eis excellentes prophetas qui futura preuidebant, assumpsit ad hoc officium, ut scilicet cum eo et post eum dictos monachos sollicite in uita monastica secundum formam a Deo Bibi traditam erudirent, et in disciplina prophetics, id est in psalmis in psalterio canendis, eos instruerent, et ita diligentem curam eorum gererent ac filii ipsorum essent. Et propterea hii monachi, qui prius ut predicimus uocabantur prophete, fuerunt postmodum appellati filii prophetarum, quia dictorum excellencium prophetarum huius religionis discipuli, et in prophetica ac monastica disciplina sub regimine ipsorum quasi patrum suorum constituti, et ueri imitatores sanctorum morum et uirtutum illorum prophetarum. Et sub hoc titulo, quo dicebantur filii prophetarum, fit sepe in Libro Regnorum de hiis monachis mencio.
Chapitre III.
La Divine Sagesse fit qu’Élie, devant la multiplication des moines de son institution, choisit parmi eux les meilleurs prophètes qui prévoyaient l’avenir, pour mettre tous leurs soins à former avec lui et après lui ces moines à la vie monastique dans le genre de vie révélé à lui par Dieu, pour les instruire dans la discipline prophétique, c’est-à-dire dans le chant des psaumes accompagné de harpe, et pour en avoir à ce point un soin diligent qu’ils soient leurs propres fils. Aussi, ces moines, auparavant nommés prophètes, comme nous l’avons dit, furent appelés fils des prophètes parce que, disciples des prophètes de cette religion, ils avaient été instruits dans la discipline prophétique et monastique sous leur direction paternelle et étaient de vrais imitateurs de leurs saintes mœurs et de leurs vertus. Et c’est sous ce titre de fils des prophètes que le Livre des Rois en fait mention.
Capitulum IV.
... Igitur cum eorum religio esset iam tempore Helie ita multiplicata, quod tam in heremis quam in ciuitatum suburbiis erant plures eorum cunei, necesse fuit ut preter Heliam quidam ex eis excellentes prophete, discipuli Helie, cuneos eorum regerent et gubernarent. Quos prophetas monachi predicti uocabant patres suos, et ipsi dicebantur fini dictorum prophetarum. Et inde inoleuit quod rectores huius religionis semper appellati sunt a suis subditis patres. Horum autem prophetarum, Helie discipulorum, non quidem omnium, sed paucorum, id est quatuor ex precipuis, decet hic aliqua succincte memorari.
Inter hos prophetas, Helie discipulos, primus ordine temporis ad uitam monasticam per Heliam uocatus fuit sanctus Ionas, de regione Geth que est in Offir, filius illius mulieris uidue, cui ligna colligenti in Sarepta Sidoniorum Helias obuiauit, et in cuius domo latuit, cum rex Acab per omnes gentes et regna eum ad mortem perquiri fecit. Hunc Ionam puerum Helias tunc resuscitauit a mortuis, cum sustentaretur in domo sue matris.
IERONIMUS in Prologo super Ionam : Sanctum Ionam Hebrei affirmant filium fuisse mulieris uidue Sareptane, quem Helias propheta mortuum suscitauit, matre postea dicente ad eum : Nunc cognoui quia uir Dei es tu, et uerbum Dei in ore tuo est ueritas. Ob hanc causam eciam ipsum puerum sic uocauit Amathi. Amathi enim in nostra lingua ueritatem sonat. Et ex eo quod uerum Helias locutus est, ille qui suscitatus est, filius dicitur esse ueritatis.
IOHANNES XLIV EPISCOPUS IEROSOLIMITANUS ubi supra :
Quem ob hoc mater ex deuocione tradidit Helie erudiendum in disciplina prophetica uite monastice. Et factus Helie discipulus ministrauit ei.
Cap. V : Heliseus. Cap. VI : Micheas. Cap. VII : Abdias.
Chapitre IV.
... Comme déjà au temps d’Élie leur Ordre s’était tellement multiplié qu’ils avaient de nombreux couvents tant dans les déserts que dans les environs des villes, il fut nécessaire qu’en dehors d’Élie, quelques-uns des meilleurs prophètes, disciples de ce dernier, régissent et gouvernent leurs couvents. Les moines appelaient ces prophètes leurs pères et s’appelaient eux-mêmes leurs fils. C’est de là que vint la coutume que les chefs de cet Ordre fussent toujours appelés « pères » par leurs sujets. De ces prophètes, disciples d’Élie, non pas de tous, mais d’un petit nombre, des quatre principaux, il convient de dire ici quelques mots.
Parmi ces prophètes disciples d’Élie, le premier à avoir été appelé par le Prophète à la vie monastique fut Jonas, de la région de Geth, en Offir, fils de cette même veuve que rencontra Élie à Sarepta de Sidon pendant qu’elle ramassait du bois, et chez laquelle il se cacha, lorsque le Roi Achab le cherchait chez tous les peuples et royaumes pour le faire mourir. Et ce fut ce Jonas qu’Élie ressuscita lorsqu’il se restaurait dans la maison de sa mère.
JÉRÔME, dans son Prologue sur Jonas, dit : Les Hébreux affirment que saint Jonas était le fils de la veuve de Sarepta, qu’Élie ressuscita d’entre les morts, ce qui fit dire à sa mère : Maintenant je sais que vous êtes un homme de Dieu et que la parole de Dieu est vérité dans votre bouche. C’est la raison pour laquelle elle appela aussi l’enfant Amathi. En effet, Amathi signifie vérité dans notre langue. Et parce qu’Élie a proféré la vérité, celui qu’il a ressuscité fut appelé fils de la vérité.
JEAN XLIV, ÉVÊQUE DE JÉRUSALEM, écrit : À cause de cela, par dévotion, sa mère le livra à Élie pour qu’il l’instruisît dans la discipline prophétique et la vie monastique. Et, devenu le disciple d’Élie, il le suivit...
Chap. V : Élisée. Chap. VI : Michée. Chap. VII : Abdias.
LIBER TERCIUS DE INSTITUCIONE ET PECULIARIBUS GESTIS MONACHORUM CARMELITARUM.
Capitulum I : Quod in exordio huius religionis primi eius professores propter graues quas paciebantur persecuciones nullius loci fuerunt incole, a quo possent denominari congrue.
Interea sciscitaris, dilecte Caprasi, qua racione monachi in hac religiosa disciplina conuersantes, appellantur Carmelite. Cum namque Helias conuersacionem hanc non in Carmelo, sed in Carit iussu diuino inchoauexit, uidetur nonnullis, ut assens, quod deberant pocius Carite appellari quam Carmelite. Verum si diligenter aduertas, perpendes Deum uoluisse quod Helias conuersacionem, quam ab eo acceperat obseruandam, ideo in solitudine Carit inciperet, et ibi ad tempus a facie regis Acab et regine Iezabel lateret, ut ad eum haberent facilem licet occultum accessum quidam uiri timorati, quorum ipse in uita monastica pater fieret. ... Deus autem non iussit quod Helias ideo inchoaret hanc conuersacionem monasticam in Carit, ut illic eam plantaret, hoc est, ut diuturnam mansionem ipse uel eius discipuli in loco illo facerent, quoniam locus ille erat ineptus habitacioni monastice propter carenciam aque. Unde post dies aliquantos quibus Helias in eo sedit, iussu diuino ab eo discessit, qui torrens siccatus fuit...
LIVRE III : DE L’INSTITUTION ET DES FAITS PARTICULIERS DES MOINES CARMES.
Chapitre I : À l’origine de cette religion, ses premiers profès, vu les graves persécutions qu’ils pâtissaient, ne purent s’établir dans aucun lieu, dont ils auraient pu légitimement tirer leur nom.
Cependant, tu te demandes, cher Caprais, les raisons pour lesquelles les moines adonnés à cette discipline religieuse sont appelés Carmes. Étant donné qu’Élie, par ordre divin, commença cette vie, non au Carmel, mais au Carith, il semble à certains, et tu l’affirmes, qu’ils devaient tirer leur nom plutôt du Carith que du Carmel. Mais si tu fais bien attention, tu remarqueras que, par la volonté de Dieu, Élie inaugura dans la solitude du Carith le genre de vie qu’il devait observer ; c’est là que, pour un temps, il se cacha de la face du roi Achab et de celle de la reine Jézabel ; ainsi pouvaient facilement accéder à sa cachette les hommes remplis de la crainte de Dieu, dont il deviendrait le père dans la vie monastique... Dieu n’ordonna pas à Élie d’inaugurer cette vie monastique au Carith en l’enracinant là, c’est-à-dire en y construisant, lui ou ses disciples, une maison : le manque d’eau rendait ce lieu inhabitable pour des moines. Aussi, après quelques jours de séjour au Carith, Élie reçut de Dieu l’ordre de s’éloigner du torrent qui était à sec...
Capitulum III.
... Quia igitur ex tunc et non antea fuit Helie et suis discipulis liberum in regno Israel secure conuersari, studuit ipse deinceps religionem quam inchoauerat in loco ydoneo plantare. Anno quidem decimo regni Acab, regis Israel, ad sui et suorum discipulorum iugem mansionem elegit pre aliis heremis Carmeli montem tamquam commodiorem ad propheticam disciplinam et uitam monasticam in eo edocendam melius et exercendam.
GREGORIUS NAZIANSENUS in Libro suo apologetico : Que uobis de loco silencii et quietis deferimus, uos probate. Nam quod aptum sit silencium et heremus ad philosophandum docet Helias, libenter Carmeli montis rupe contentus. IOHAN XLIV Eps Ier ubi supra : Mons quippe Carmeli probet heremite homini ex sua solitudine silencium et quietem, ex suis antris congruam mansionem, ex suo saltu iocunditatem, ex suo eminenti situ aerem salubrem, ex suis herbis et fructibus pastum uberem, ex suo fonte aque uiue haustum dulcem. Propter que omnia Helias in monte isto nedum habitare elegit, uerum eciam domum oracioni consecratam, appellatam « semnion », in eo edificauit. Que ideo « semnion » dicta fuit, quoniam Helias et eius discipuli de eorum tabernaculis et speluncis egredientes, ad domum illam honeste tribus uicibus cotidie conueniebant. Non quidem ad refeccionem corporalem, uel ad reliqua corporis ministeria peragenda, sed ad Creatorem omnium letaniis et oracionibus suppliciter placandum, et ut unusquisque eorum cum propheta diceret : Vespere, mane et meridie narrabo et annunciabo, et exaudiet uocem meam. Conueniebant namque ibi in unum ad psalmos, cantica et hymnos corde et ore ac cum instrumentis musicis in laudem Dei canendos ad uolumina quoque Legis et prophetarum a patre eorum audienda pariterque legenda. In quorum disciplinis arque exerciciis instituti, ad perfectam beatamque uitam studiis iugibus in heremo Carmeli coalescebant, secundum formam uite monastice per Deum creditam Helie.
BALBINUS in Epistola ad Antoninum Imperatorem : Mons est nomine Carmelus, in quo uetus religio et sanctitas antiqua est. Helias illic sacrificia semper Deo offerebat. Apparent eciam et nunc uestigia de ara sacrificiorum.
Chapitre III.
... Étant donné que ce fut à partir de ce moment, et non avant, qu’Élie et ses disciples eurent la liberté de vivre en toute sécurité dans le royaume d’Israël, ce fut alors qu’il s’occupa de la religion qu’il avait commencé de planter dans un lieu convenable. L’année dixième du règne d’Achab, roi d’Israël, il choisit comme demeure éternelle pour lui et pour les siens, de préférence à tous les autres déserts, le Mont Carmel, comme plus convenable pour enseigner et pratiquer de meilleure façon la discipline prophétique et la vie monastique.
GRÉGOIRE DE NAZIANZE, dans son Livre d’Apologétique, écrit : « Jugez vous-mêmes de ce que nous vous soumettons sur un lieu de silence et de paix. En effet, que le silence et le désert favorisent la contemplation, Élie l’enseigne, lui qui s’est épris de la roche du Mont Carmel. » JEAN XLIV, Évêque de Jérusalem, écrit : « Certes, la solitude du Mont Carmel offre à l’ermite le silence et la paix, ses grottes une demeure convenable, ses bois de l’agrément, son site élevé un air salubre, ses herbes et ses fruits une abondante nourriture, sa source d’eau vive une douce boisson. Pour toutes ces raisons, Élie non seulement choisit d’habiter sur cette montagne, mais il y construisit aussi une maison de prière, appelée « Semnion ». Celle-ci fut appelée « Semnion » parce qu’Élie et ses disciples sortaient de leurs tentes et de leurs grottes pour se réunir dans cette maison dignement, trois fois le jour. Non sans doute pour une réfection corporelle, ou pour y satisfaire d’autres besoins corporels, mais pour y apaiser humblement par des litanies et des prières le Créateur de toutes choses ; et afin que chacun pût dire avec le prophète : Le soir, le matin et à midi je raconterai et annoncerai ses merveilles, et il entendra ma voix. Ils s’y rassemblaient donc pour chanter de cœur et de bouche avec des instruments de musique, à la louange de Dieu, psaumes, cantiques, et hymnes, pour lire et pour entendre leur père expliquer les livres de la Loi et des prophètes. Et fixés dans ces disciplines et exercices, par de continuels efforts, ils s’avançaient vers une vie parfaite et bienheureuse dans le désert du Carmel, selon la règle de vie confiée par Dieu à Élie.
BALBINUS, dans son Épître à l’empereur Antonin, écrit : « Il y a un mont du nom de Carmel, où vit une ancienne religion et une antique sainteté. Là, Élie offrait continuellement des sacrifices à Dieu. Jusqu’à maintenant, on y voit les vestiges de l’autel des sacrifices. »
Capitulum V.
... Quia ergo dicti monachi ad exemplum Helie coluerunt iugiter in Carmelo iusticiam uite monastice, propterea appellati sunt Carmelite, a monte scilicet Carmeli, cuius fuerunt incole secundum modum predictum, residentes ibi in iusticia assidue, sicut propheta predixit : Iusticia in Carmelo sedebit. Sed et ceteri huius religionis monachi, habitantes alibi, cupiunt eciam idcirco Carmelite appellari, quia eorum religio et sancta conuersacio est ab illis uiris dirivata et sumpta, qui modo predicto satagerunt in monte Carmel assidue religiosam uitam prophete Helie, et usque nunc satagunt, humiliter imitari.
Chapitre V.
... Parce que ces moines, à l’exemple d’Élie, cultivèrent continuellement la justice de la vie monastique au Carmel, ils furent appelés Carmes, c’est-à-dire du Carmel, dont ils furent les habitants selon la manière qu’on a dite, demeurant assidûment dans la justice, selon la prédiction du prophète : La justice siégera sur le Carmel. Mais aussi tous les autres moines de cette religion, résidant ailleurs, désirent être appelés Carmes, étant donné que leur religion et leur sainte vie est dérivée et prise de ces hommes-là, qui, de la manière qu’on a dite, mirent assidûment tous leurs efforts, et les mettent encore, à imiter dans l’humilité la vie religieuse du prophète Élie, sur le Mont Carmel.
P. Rudolph HENDRIKS.
Article paru dans Élie le prophète,
« Études carmélitaines », 1956.
1 Voir Appendice I.
2 Étant donné la difficulté d’atteindre les ouvrages auxquels ils sont empruntés, nous avons tenu à mettre à la disposition des lecteurs, fût-ce en note, la totalité des textes, avec leur traduction, dans lesquels on peut lire la naissance et la progression de l’idée élianique dans l’Ordre du Carmel. Les carmes de Lille, sous la direction du P. Élie de Jésus-Marie, ont assumé la présentation en langue française de ce travail exhaustif. N. D. L. R.
3 Texte de 1247, – Ephemerides Carmeliticæ (febr. 1948), pp. 5-16. Traduction française : Les Plus Vieux Textes du Carmel (R. P. FRANÇOIS DE SAINTE-MARIE), pp. 85-96.
4 Traduction française partielle. Les Plus Vieux Textes... pp. 165-192.
5 Du moins Élie n’y est présenté qu’obscurément et encore n’est-ce qu’une fois, au chap. VI (op. cit., p. 172), où Nicolas le Français veut montrer, par une énumération de faits, la préférence du Christ pour la solitude. La note du traducteur (Les Plus Vieux Textes... p. 172) semble bien reposer sur une erreur d’interprétation. L’auteur remarque, en effet, à la traduction de : « Ecce qui plantavit patres nostros in solitudine, seipsum eis et eorum successoribus pro exemplari tribuit, volens ut ejus facta, quæ nunquam mysterio vacant, transcriberent in exemplum » : « allusion au premier chef des Ermites du Carmel ».
Mais, semble-t-il, il s’agit plutôt là du Christ. En effet, dans le texte il est question par quatre fois de la préférence du Seigneur pour la solitude. Le texte qui suit le passage « Ecce qui plantavit » est également éclairant par son allusion au Christ : « Hanc vero regulam Salvatoris nostri, etc.. »
6 Le mot de Carmel lui-même ne se rencontre que sous le voile d’une périphrase étymologique : « scientia circumcisionis » (chap. I) et « mons circumcisionis vitiorum » (chap. X). Il est vrai que l’auteur dit, au début du chap. II : « Quis dabit capiti meo fontem lacrymarum ut diu noctuque plorans, gemens, suspirans, tuum contra eos excitem plantatorem. » Mais par ce mot de plantator dans la plainte adressée à la « Mater religio », il entend Dieu lui-même. Cependant nous lisons un peu plus loin :
« Recordare et suspira, et suspirans recordare quam digna et quam sancta eras in statu pristino, ac in oculis omnium mirabilis et famosa, dum patres nostros, eremitas sanctissimos, in loco pascuae spirituals optime collocatos, super aquam refectionis mirabiliter educatos, nutritivo non cessabas pabulo saginare. »
Mais dans tout le contexte rien ne nous autorise à penser à ces « Patres Veteris Testamenti » attirés par la solitude contemplative du Mont Carmel dont parle la Rubrica Prima des Constitutions de Londres (1281), de Bordeaux (1294), et de Barcelone (1324).
7 Le (ou les ?) rédacteur(s) du texte ne mentionne(nt) pas de sources et toute hypothèse serait risquée, mais je ne contredirais pas quiconque prétendrait que nous avons ici le premier fruit du contact des Carmes avec les spéculations historiques de leur époque.
CONSTITUTIONS DU CHAPITRE DE LONDRES, 1281
RÉPONSE À DONNER À CEUX QUI DEMANDENT DE QUI ET COMMENT NOTRE ORDRE A PRIS NAISSANCE
« Certains frères récents dans l’Ordre ne savent répondre selon la vérité à ceux qui demandent de qui et comment notre Ordre a pris naissance ; nous voulons leur indiquer la façon de répondre, en ces propres termes :
Nous disons donc, pour rendre témoignage à la vérité, qu’à partir des prophètes Élie et Élisée, dévots habitants du Mont Carmel, de Saints Pères, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, réellement épris de la solitude de ce mont, ont sans aucun doute vécu là d’une manière digne de louange près de la source d’Élie, dans une sainte pénitence, continuée sans trêves dans une sainte succession.
Ce furent leurs successeurs, au temps d’Innocent III, qu’Albert, patriarche de l’église de Jérusalem, groupa en une seule communauté (collegium), leur écrivant une Règle que le Pape Honorius, successeur d’Innocent et nombre de ses successeurs, approuvant cet Ordre, confirmèrent très dévotement, leurs bulles en font foi.
C’est dans cette profession que nous, leurs disciples, servons jusqu’à ce jour le Seigneur, dans les diverses parties du monde. » – Les Plus Vieux Textes..., pp. 233-234.
8 La publication des constitutions de 1281, 1294, 1324, 1357 et 1369 repose sur le texte d’un seul manuscrit, de sorte que nous ne devons pas faire grand cas des différences qui existent dans le titre et l’exorde de la Rubrique Première. Le passage d’Élie et d’Élisée – celui qui nous intéresse – est mot à mot le même.
9 CONSTITUTIONES CAPITULI BARCINONENSIS 1324
IN PRIMIS QUALITER RESPONDENDUM SIT QUAERENTIBUS QUALITER ORDO NOSTER SUMPSERIT EXORDIUM ET QUARE DICAMUR FRATRES ORDINIS BEATAE MARIAE DE MONTE CARMELI – RUBRICA PRIMA
Cum quidam... quaerentibus a quo, quando vel quomodo ordo noster sumpserit exordium, vel quare dicamur Fratres Ordinis Beatae Mariae de Monte Carmeli...
Dicimus autem...
Quorum successores post Incarnacionem Christi ibidem ecclesiam in honore Beatae Mariae Virginis construxerunt, et ipsius titulum elegerunt, et ob hoc deinceps Fratres Beatae Mariae de Monte Carmeli per apostolica privilegia sunt vocati.
Voici les variantes du titre de Qualiter et Quomodo : un manuscrit de Rome (Archives de l’Ordre des Carmes, S. 271 A) met tout simplement en tête : « Quomodo ordo noster sumpsit exordium et quare dicimur fratres Beatae Mariae de Monte Carmeli », tandis que dans le texte suivent les mots : « a quo vel quomodo ordo noster sumpsit exordium » avec suppression de quando. Dans un codex d’Avila actuellement à Rome, on lit à l’Index (le texte lui-même manque) : « In primis qualiter respondendum sit querentibus quomodo et quando ordo noster sumpsit exordium ; et quare dicimur Fratres Beate Dei Genitricis Marie de Monte Carmeli. »
10 COMMENT, DANS QUELLES CIRCONSTANCES, À QUELLE ÉPOQUE EST NÉ L’ORDRE DE LA BIENHEUREUSE MARIE DU MONT-CARMEL, D’APRÈS CE QUI EST DÉCLARÉ TRÈS NETTEMENT DANS L’« HISTORIA YHEROSOLIMITANA » ET CE QU’ON TROUVE DANS LE « SPECULUM » ET DANS LA « CHRONICA ROMANA ».
« Que tous les chrétiens qui veulent connaître la naissance de l’Ordre des Frères de la Bienheureuse Marie du Mont-Carmel sachent par le présent écrit qu’à partir des prophètes Élie et Élisée, dévots habitants du Carmel, de saints Pères de l’Ancien Testament, réellement épris de la solitude de ce mont pour la contemplation, en vrai fils des prophètes, dans l’attente de la rédemption d’Israël, ont vécu là d’une manière louable jusqu’à l’Incarnation du Seigneur, près de la source d’Élie, dans une sainte pénitence, continuée sans trêve dans une sainte succession.
Trente ans après l’Incarnation du Seigneur, alors que le Seigneur Jésus-Christ avait été baptisé par Jean et enseignait, de nombreux frères de ce même Ordre montèrent à Jérusalem et habitèrent près de la porte qui ensuite, selon certains, était appelée porte de la Bienheureuse Anne, afin d’entendre enseigner et voir faire des miracles Celui dont les livres de leurs pères leur avaient appris qu’Il viendrait dans la chair. C’est d’eux qu’on lit dans les Actes des Apôtres : Il y avait à Jérusalem demeurant là, des hommes pieux, etc.
Et c’est précisément la 45e année après la passion du Seigneur, sous la domination de l’Empire Romain, au temps des empereurs Titus et Vespasien, qu’ils s’établirent pieusement à Jérusalem, à la Porte Dorée, la 7e année du Règne de Vespasien.
C’est aussi en cette 45e année après la Passion du Seigneur que les empereurs romains Titus et Vespasien, la 7e année de leur empire, avec une grande armée, s’emparèrent de Jérusalem et du peuple juif, pour venger la mort du Christ, mais laissèrent aller ces fils des prophètes sans mal, en les honorant de cadeaux par égard pour le Christ, ainsi qu’il est déclaré très nettement dans l’Historia Jerosolimitana.
Leurs successeurs ont servi le Seigneur très dévotement jusqu’à l’année 1200, laissant à leur postérité l’exemple d’une sainte vie ; vêtus de peaux de brebis ou de toisons de chèvres, dénués de tout, persécutés, maltraités ; – hommes dont le monde n’était pas digne ! – ils ont erré dans les solitudes, les montagnes, les cavernes et les antres de la terre.
Puis au temps du Bienheureux Pierre, évêque (cathedratus) d’Antioche, ils travaillaient pour la foi catholique de diverses manières dans tous les environs.
Peu de temps après, un certain Jean, Patriarche de Jérusalem, frère de cette même religion, leur imposa une règle à garder dans l’avenir, édictée jadis pour des religieux successivement par les bienheureux Pères Paulin et Basile.
Après quelque temps, Albert, Patriarche de l’Église de Jérusalem, rassembla les frères dispersés en une seule communauté (collegium) et ordonna qu’ils vivent tous (omnes) pour toujours sous l’obéissance de l’un d’eux. »
11 En effet selon le codex d’Avila qui se trouve maintenant aux archives de Rome, notre texte était déjà en 1333 en possession du lecteur en théologie Petrus Riera, de la Province d’Aragon. Nous trouvons dans ce codex une copie de la transcription que Riera a faite de cette œuvre. Il gémit déjà :
« Quia hunc tractatum subscriptum, abstractum de Speculo Hystoriali fratris Vincencii, qui incipit « Fuerunt ab initio nascentis Ecclesie » etc... multe (legendum multi) diversimode variant, addentes et abstrahentes hine inde... » Par conséquent on peut admettre que ce texte remonte aux environs de 1320, un peu après l’exemption de Jean XXII en 1317, la dernière date donnée dans le texte de Riera.
Le titre chez Riera est conçu en ces termes : « Tractatus de origine et fundamento atque aprobatione et confirmacione ordinis et regule fratrum Beate Marie de Monte Carmeli. »
En tête de la traduction espagnole de ce texte qui se trouve dans le même codex, on lit seulement : « Empieza et tratado del principio de la Orden ».
Aymericus apparaît ici pour la première fois dans les documents carmélitains ; toutefois on n’en fait pas encore mention en 1461 dans la Rubrica Prima proprement dite ; cependant il est nommé depuis 1357 dans les Paragraphi fusius tractantes après la Rubrica Prima ; enfin notons que dans le texte de Riera la date : « anno Domini MCLX » manque dans le passage ayant trait à la Règle de saint Albert.
12 DÉBUTS DE L’ORDRE DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE DU MONT-CARMEL. Vers 1320.
« Dès le début de la naissante Église en Terre Sainte et surtout au Mont Carmel, qu’Élie et Élisée et beaucoup d’autres prophètes ont, d’après les livres des Rois, fréquenté et habité, il y eut de nombreux ermites, réellement épris de la solitude de ce mont pour la contemplation. C’est dans cette solitude qu’ils ont sans aucun doute vécu d’une manière digne de louange dans une sainte pénitence en s’attachant aux Saints Pères de l’Ancien Testament par de saints progrès continus et incessants, comme il ressort de maintes chroniques et vies de saints.
Leurs successeurs, après l’Incarnation du Christ, construisirent là, près de la source d’Élie, une église en l’honneur de la Bienheureuse Vierge Marie. »
13 Jean BACONTORPH, provincial d’Angleterre, maître aux Universités d’Oxford et de Paris, † 1346.
14 À lire ce passage du chap. III : (Nous soulignons) « Regulam insuper habent imitantem vitam beatae Mariae, ut patere potest intelligenti ejus vitam angelicam, et regulam, bullis sex Romanorum pontificum munitam », on aurait l’impression que le Super Regulam n’était pas encore écrit. S’il l’avait été, Bacon y aurait renvoyé, comme il le fait dans le Compendium, quinta particula : « in quodam tractatu quem feci super regulam dicti ordinis, intitulationem illam congruam probavi, eo quod singula puncta in regula contenta imitationem habent ad puncta similia in vita beatae Mariae, ut per singula puncta deduxi. »
Voici encore quelques notes critiques sur le Speculum : l’Historia de Antiquitate oridinis citée dans le chap. I est un nom pompeux pour ce que Bacon lui-même appelle dans le Compendium la « Prima Constitutio dicti ordinis, edita ab antiquo ». Ce qu’on pourrait objecter contre cette identification habituelle est peu de chose : au chap. III de la Prima Constitutio, le sanctuaire marial sur le Mont Carmel, construit « post incarnacionem Christi », s’appelle un oratorium, tandis que dans la Secunda Particula du Compendium où est mentionnée la Prima Constitutio on emploie le mot de capella sauf dans le codex Avila-Rome précité où nous lisons ecclesia. Le « Capitulum quartum », le dernier de cette œuvre, est peu cohérent avec les trois autres qui développent le thème : « quod... fratres Carmeli specialiter originem habuerunt pro veneratione beatae Mariae ».
Notons aussi que Daniel de la Vierge dans la Vinea Carmeli p. 46, lit encore avec les manuscrits comme début du IVe chap. : « Ordo Carmelitarum ab antiquo institutionem et regulam habuit a Jerosolymitano patriarcha », tandis qu’on lit dans le Speculum de 1680, p. II, no 374 : « Ordo Carmelitarum ab antiquo regulam habuit a Jerosolymitano patriarcha. »
15 Jean BACON, Speculum sur l’Institution de l’Ordre établi pour le Culte (Veneratio) de la Bienheureuse Marie.
Chapitre I : Selon les Prophètes (les prophéties ?) les Frères du Carmel ont été fondés spécialement pour le culte de la Bienheureuse Marie.
« ... Comme c’est par le Carmel que l’on honore et fait valoir la Bienheureuse Marie, il convient qu’au Carmel, donné à Marie, celle-ci ait les Carmes pour la vénérer spécialement. Et il en fut ainsi dès l’antiquité ; en effet, les prophéties s’éclairent par les faits. C’est au Carmel donné à Marie que Saul érigea son arc de triomphe en signe de victoire : I Reg., XV, 12. C’est là encore qu’Élie sacrifia : III Reg., XVIII. Là qu’Achab, par cette expérience, apprit qui est Dieu. Là qu’Élisée plaça sa demeure : IV Reg., IV. Voilà combien de prophètes et de rois eut le Carmel qui, par leurs hauts faits, vénérèrent la maîtresse du lieu, la Bienheureuse Marie. Pour continuer le culte de la Bienheureuse Marie sur son Carmel, l’ordre (religio) des Frères du Carmel a paru. Car le culte rendu dans les sanctuaires des saints est reporté aux saints eux-mêmes après Dieu (cf. de Veneratione Dedicationis De Consecratione, distinction III, ch. Pronuntiandum). Et quoique tous ceux qui devaient être sauvés aient adoré du temps des Prophètes le Fils de la Bienheureuse Marie (selon Augustin, Lettre XXIX « Deo gratias »), ce sont pourtant les frères du Carmel, qui, parce qu’ils vénérèrent du temps des Prophètes Élie et Élisée le Fils de la Bienheureuse Marie à venir, instaurèrent au Carmel le culte (religio) de la Bienheureuse Marie, comme on le voit dans l’Historia de Antiquitate Ordinis. Donc, c’est pour ce culte (veneratio) qu’ils ont pris naissance. Quant à son apparition dès le temps des prophètes, il faut en croire les premiers (antiqui) Pères de l’Ordre. Car dans les affaires des églises ceux-là doivent être retenus surtout comme témoins qui ont mené ces mêmes affaires. » – (XIV Qu. 2, « Super prudentia »).
16 Jean BACON, Compendium Historiarum et Iurium.
« Le Bienheureux Bernard, dans un sermon sur les louanges de la Bienheureuse Marie, la loue spécialement par la Beauté du Carmel : Data est ei gloria Libani, decor Carmeli et Saron. » « La gloire du Liban lui est donnée, dit-il, la beauté du Carmel et de Saron. » Voilà pourquoi en parlant de ses Carmes, avec l’inspiration de Dieu et l’aide de la Bienheureuse Marie, contre les détracteurs de cet Ordre, je me suis proposé de la louer elle-même, non par des fables mais par des faits réels ; je procéderai en neuf points :
Premier point : Du lieu où commença l’Ordre du Carmel.
L’Ordre du Carmel commença au Mont Carmel, où le prophète Élie eut l’habitude de demeurer, selon Vincentius dans le Speculum Historiali, livre 31, chap. CXXIII. Ce qu’attestent aussi de nombreux Pontifes romains qui, dans la Règle approuvée par bulle, écrivent : « Au Prieur, et aux frères qui demeurent au Mont Carmel près de la Source d’Élie, salut et bénédiction apostolique. » Ne pas croire que le Carmel d’Élie est le même que celui de Nabal, car selon Jérôme, Super Isaias, chap. XVI, « le Mont Carmel où pria Élie est un mont situé entre la Phénicie et la Palestine » et, c’est marqué dans le livre Catholicon, « ce n’est pas celui que Nabal appelait Carmel : car ce mont-là est en Galilée ». Et le Magister est d’accord dans ses Historiae, I Reg., chap. XXV.
Deuxième point : Ancienneté de l’Ordre des Carmes.
L’Ordre du Carmel resplendit d’une telle ancienneté que dans le droit on n’en fait pas mémoire... En outre, dans la Première Constitution de ce même Ordre, éditée depuis longtemps, on trouve qu’à partir des prophètes Élie et Élisée, habitants du Mont Carmel, certains contemplatifs se sont succédé sur ce même mont, qu’ils étaient appelés Frères du Carmel, et qu’après l’incarnation du Christ, ils construisirent une chapelle (capella) (une église – ecclesia – codex Avila-Rome) en l’honneur de la Bienheureuse Marie et la prirent comme patronne. Ce témoignage est valide en droit, car, d’après Decret. XIV, q. 2, chap. « Super Prudentia », les moines peuvent témoigner dans une cause intéressant leur monastère...
Troisième point : Origine de l’Ordre des Carmes.
Il est évident (apparet) que l’Ordre du Carmel a reçu l’exemple de la contemplation, du groupe (cuneus) des prophètes, qu’il a choisi avec les fils des prophètes le prophète Élie comme père, et qu’il a pris naissance ainsi. Le Magister en effet, dans ses Histoires, I Reg., chap. X, dit que Samuel fut le premier à constituer une communauté (conventus) de religieux, appelée groupe de prophètes, son office fut de contempler Dieu. Ensuite les contemplatifs fils des prophètes s’attachèrent à Élisée (IV Reg., chap. II). Cette contemplation, commencée par le groupe et les fils des prophètes, des Carmes – le fait est bien connu et Vincentius le dit dans le Speculum Historiale cité précédemment en témoignage – prirent à cœur de la continuer au Carmel que le prophète Élie habita. Et ainsi ils prirent naissance. – Cfr. Speculum 1680, pars II, n. 715-726.
Sixième point : Habit de l’Ordre des Carmes.
L’Ordre du Carmel, comme il se doit, prit un habit conforme à celui d’Élie. On lit en effet d’Élie qu’il porta le manteau (pallium) (IV Reg., chap. II). Ce fut en effet l’usage des religieux habitant la Terre Sainte de se distinguer par leurs manteaux, comme on le voit pour les Hospitaliers, les Templiers et les Bethléémites...
17 Tractatus qui vocatur Laus Carmelitarum.
Liber I, c. V : Maria assimilatur Carmelo propter loci preeminenciam.
... Fratres Carmen titulum beate Marie elegerunt, et in monte Carmeli contemplativam vitam ducentes, imitando Heliam, religiose vitam duxerunt. Quia Magister dicit in Historiis, I Reg., III, quod Samuel primus erat qui constituit conventum religiosorum ; et vocabatur cuneus prophetarum ; quorum officium erat Deum contemplari. Postea vero adheserunt Eliseo, viro contemplant filii prophetarum, ut dicitur IV Reg., II. Et hanc contemplationem, quam cuneus prophetarum et filii inchoaverant, quidam Carmelite in eodem monte Carmeli continuare curaverunt. Hoc testatur Vincentius in Speculo Historiali, libro XXXI, c. CXXIII. Et in Historiis Hierosolimitanis, que sic incipiunt : « Terra Sancta promissione », dicitur c. LII : « Quidam ad exemplum et imitacionem sancti vira Helie », etc.
Traduction : Traité intitulé Louange des Carmes.
Livre I, chap. V : Marie est assimilée au Carmel à cause de l’éminence du lieu.
« ... Les frères du Carmel choisirent le titre de la Bienheureuse Marie et vécurent religieusement, menant la vie contemplative sur le Carmel, à l’imitation d’Élie, car le Magister dit dans ses Histoires, I Reg., III, que Samuel fut le premier qui constitua une communauté (conventus) de religieux ; appelée groupe (cuneus) des prophètes, son office était de contempler Dieu. Ensuite les fils des prophètes s’attachèrent au contemplatif Élisée comme il est dit IV Reg., II. Et cette contemplation que le groupe et les fils des prophètes avaient commencée, les Carmes eurent à cœur de la continuer sur le même Mont Carmel. Ce qu’atteste Vincentius dans le Speculum Historiale, livre XXXI, chap. CXXIII. Et dans les Historiae Hierosolimitanae, qui commencent ainsi : « La Terre Sainte par la promesse... », il est dit au chap. LII : « Certains à l’exemple et imitation du saint homme Élie, etc. »
Liber II, c. II : Ordo Carmelitarum preest aliis senioritate.
Dignitas enim ordinis Carmelitarum crescens et hactenus cum laude Dei et Virginis perseuerans antiquior ceteris comprobatur. In tempore Helie et Helizei prophetarum inceperunt, et ipsorum conuersacionem sequentes locumque contemplatiue dictorum prophetarum inhabitantes diu ante confirmacionem et tempore antiquiori quam ceteri floruerunt religiosi ; cum vinculo caritatis supportantes inuicem Deo deuotissime sunt famulati. Quamuis igrtur a confirmations tempore eorundem quibusdam videantur posteriores, per conuersacionem tam sanctam priores esse dinoscuntur.
Livre II, chap. II : L’Ordre des Carmes l’emporte sur les autres par l’ancienneté.
En effet, la dignité de l’Ordre des Carmes, croissant et persévérant jusqu’ici pour la louange de Dieu et de la Vierge, est reconnue comme plus ancienne que tous les autres. C’est au temps des prophètes Élie et Élisée qu’ils commencèrent et, vivant dans leur intimité, habitèrent en contemplatifs l’emplacement où habitaient ces prophètes, longtemps avant la confirmation et à une époque plus ancienne que celle où fleurirent tous les autres religieux. Par le lien de la charité ils se supportaient mutuellement et servirent Dieu très dévotement. Bien que par la date de leur confirmation ils semblent postérieurs à certains, par une intimité si sainte (avec les prophètes) on s’aperçoit qu’ils leur sont antérieurs...
Liber II, c. III : Carmelite sunt aliis digniores racione temporis.
... Nam Helias et Helizeus in monte Carmen contemplativam ducentes uitam ordinis Carmelitarum primigeri extiterunt. Et sic ordinis Carmelitarum dignitas demonstratur a tempore, ut sic ipsis fratribus dici ualent : Vos estis filii prophetarum, Act., III.
Livre II, chap. III : Les Carmes sont plus dignes que les autres en raison du temps
... Car Élie et Élisée, qui menaient au Mont Carmel la vie contemplative, apparurent comme les premiers de l’Ordre du Carmel. Ainsi la dignité de l’Ordre du Carmel se voit démontrée par le temps, ainsi que le signifie ce qui fut dit à ces frères eux-mêmes : Vous êtes les fils des prophètes : Act., III.
18 Tel est le titre d’après l’Incipit, mais l’Explicit dit : Explicit Tractatus qui Vocatur Laus Religionis Carmelitane.
19 Lib. II, c. in : « De confirmacione autem ordinis Carmelitarum sub titulo Marie ad presens non oportet tractare, dum alias me novi de conftrmacionibus et regula predictorum sufficienter compilasse tractatum. »
Lib. III, c. I : « De speciali vero titulo ipsius satis patet in tractatu quem feci de regula Carmelitarum et de confirmacione eorum. »
Dans le Livre IV, chap. II « De Laude Scriptoris Regule Carmelitarum », on nomme seulement Albert ; aucune trace d’Aymericus ni de Jean, de Basile ou de Paul (Paulin ?). À la fin de ce même chapitre, on trouve encore cette phrase à la Bacon :
« Et hec etiam regula multis in observanciis secundum Virginis conuersacionem pro maxima scribebatur parte. »
20 Jean DE CHEMINETO, carme de Metz, maître parisien en 1336.
21 À l’endroit susnommé, nous lisons (cf. Gottfr. ZEDLER, Die Handschriften der Nassauischen Landesbibliothek au Wiesbaden. Leipzig, 1931, p. 88) :
« Nota quo tempore libellus iste editus sit. Nota quod a tempore Helie osque ad presentem annum, qui est annus ab incarnacione MCCCXXXVII, sunt anni duo milia CC et XXXIII. Quia a tempore Helie usque ad finem quarte etatis sunt CCC et XLIII anni, quinta etas usque ad nativitatem Christi continet quingentos et nonaginta annos ; ab incarnatione vero sunt MCCCXXXVII. Et sic a tempore Helie usque ad presens tempos fiunt duo milia et ducenti et XXXIII anni. Explicit speculum ordinis beate Marie Virginis de monte Carmeli. »
Traduction du Speculum.
Chapitre Ier : Le Bienheureux Jérôme dans son « Épître à Paulin » désigne les fondateurs de cette sainte religion en ces termes : « Notre prince est Élie, notre chef est Élisée, nos chefs sont les fils des Prophètes qui habitaient dans la campagne et dans la solitude et établissaient leurs demeures sur les bords du Jourdain. » Et semblablement Jean Cassien : « Il est du devoir du religieux de marcher comme il voit qu’ont avancé ceux qui dans l’Ancien Testament ont jeté les fondements de cette religion, Élie et Élisée, ce qui est enseigné par l’autorité des Écritures. » Élie le Thesbite fut fils de Sabac de la tribu d’Aaron ; on lit qu’il habita le Carmel et que sur ce même mont il extirpa les idolâtries et les hérésies contraires à la loi en faisant, à sa prière, descendre le feu du ciel. C’est lui qui, enlevé au paradis terrestre, est réservé avec Énoch en attente jusqu’à l’avènement de l’antéchrist. Ils seront tués à Jérusalem par l’antéchrist et seront couronnés d’un glorieux martyre. Ensuite, ressuscitant après trois jours et demi, ils seront élevés à la gloire des bienheureux.
Au sujet du même saint Élie, on lit dans Les Histoires scholastiques qu’avant sa nativité son père vit en songe des hommes vêtus de blanc qui le saluaient, présage des temps futurs, montrant quels imitateurs il devait avoir dans l’avenir.
Il eut des disciples, d’abord Élisée, fils de Saphat. Comme Élie voulait sur l’ordre de Dieu prendre Élisée pour serviteur et pour disciple, il mit sur lui son manteau. Aussitôt, ayant laissé les bœufs et la culture des champs, Élisée courut après Élie, disant : « (Permets) je t’en prie, que j’embrasse mon père et ma mère et ensuite je te suivrai. » Puis il suivit Élie et fut à son service.
À ce groupe appartint le saint prophète Jonas. Selon saint Jérôme, au Prologue de ce même Jonas, il était le fils de la femme de Sarepta qu’Élie avait ressuscité. Élie laissa ce serviteur à Bersabée de Juda quand il s’enfuit par le désert devant la face de Jézabel qui s’efforçait de le faire périr (III Reg., XIX).
Le prophète Abdias, lui, servit d’abord à la cour du roi Achab et de l’impie Jézabel.
Comme celle-ci ordonnait de mettre à mort tous les prophètes de Dieu, Abdias nourrit cent prophètes dans des grottes et des cavernes. Saint Abdias était ce troisième chef qui, ainsi qu’il est écrit, monta au Mont Carmel vers Élie, et auquel Élie fit grâce ainsi qu’à ses cinquante hommes. En suite de quoi, selon Jérôme au Prologue, ayant abandonné le service du roi, il devint disciple d’Élie.
De même aussi, à l’imitation d’Élie et d’Élisée, le bx. Jean-Baptiste, avec quelques fils des prophètes, choisit de demeurer sur les bords du Jourdain en raison de la sainteté (du lieu). Car Élie et Élisée en effet le franchirent à pied sec, le fleuve ayant été divisé à leur commandement et au contact de leur manteau. C’est ce qu’affirme « le Maître » dans « l’Histoire tripartite ». De plus, le corps du bx. Jean-Baptiste fut inhumé par les mains de ses disciples entre les corps des saints Élisée et Abdias, comme frère et prophète de la même religion.
De là vient qu’Isidore dit, au VIIIe livre des Étymologies, ch. XIII, que les religieux cénobites imitent les apôtres, mais les ermites, Élie et Jean-Baptiste. Mais j’omets à présent leur vie et celle des autres saints tant de l’ancien que du nouveau Testament qui furent profès de cette religion, de peur qu’une trop grande prolixité n’engendre la fatigue chez le lecteur.
Chapitre II : Du lieu où cette religion est dite avoir commencé.
Parce que la sainteté des lieux attire fréquemment la piété des âmes, les membres de cette religion, pour marcher sur les traces d’Élie et d’Élisée dans une sainte pénitence, afin de parvenir à la contemplation des choses célestes, choisirent de préférence les lieux fréquentés par leurs modèles, les uns au bord du Jourdain, d’autres en Samarie ou encore à Sarepta... D’autres par contre habitaient sur le Mont Carmel et dans d’autres lieux déserts. C’est d’eux que Vincent dit, au XXe livre, chapitre LXXXXVIII : « Les ermites foulèrent au pied les embûches du diable qui restent ignorées du monde. Désirant attaquer de face les démons, ils ne craignaient pas de pénétrer dans les solitudes du désert, à l’instar du Bx Jean-Baptiste, d’Élie, d’Élisée et des autres. » On sait qu’Élie et Élisée habitèrent surtout le saint lieu du Mont Carmel et leurs successeurs et aussi les saints Pères tant de la loi mosaïque que de la loi nouvelle là également servirent Dieu dévotement. C’est pourquoi le Maître, dans l’Histoire Tripartite, livre I, chapitre LI et LII, décrira leur vie et le lieu de leur séjour en ces termes : « Des hommes saints, renonçant au siècle, attirés par différents désirs et idéals et enflammés par la ferveur religieuse, se choisissaient les lieux les plus aptes à leur propos et à leur dévotion. Certains, en exemple et en imitation de cet homme saint et solitaire, le prophète Élie, vivaient solitaires sur le Mont Carmel, et principalement dans cette portion de la montagne qui domine la ville de Porphyrie, aujourd’hui appelée Caïpha, auprès de la fontaine d’Élie, non loin du monastère de la bienheureuse vierge Marguerite, habitant dans leurs roches de petites cellules, et tels que les abeilles du Seigneur, faisaient du miel d’une douceur toute spirituelle.
Il est, dit-il, un autre Carmel, de l’autre côté du Jourdain, auprès du désert de la solitude où se cacha David fuyant devant Saül, où se trouve l’habitation de Nabal, le sot. Mais le Carmel où Élie habitait est situé sur le littoral, à une distance de saint Jean d’Acre de quatre milles. Élie interdit de mettre à mort sur ce saint Mont les prophètes de Baal, de peur qu’il ne fût souillé par leur sang : car il est dit : cette montagne est une montagne sainte. Là également il extirpa les hérésies contraires à la loi, et, avec l’aide de Dieu, il rétablit le peuple d’Israël dans l’intégrité de la foi. Et parce que de cette sainte colline comme une vigne solidement plantée étendant ses rameaux d’une mer à l’autre, cette religion a embaumé et fait apprécier son fruit abondant dans toutes les contrées de la chrétienté, tous ont coutume, jusqu’à ce jour, de lui donner le titre du « Mont Carmel ».
Chapitre III : Du temps où ils reçurent la foi catholique.
Comme donc ils persévéraient dans une sainte pénitence depuis le temps des saints prophètes Élie et Élisée sous le règne d’Achab, qui précéda l’Incarnation de Notre seigneur Jhésus Christ de neuf cent trente trois ans (ailleurs : 2.137), alors les ténèbres se dissipèrent et vint dans le monde la lumière, promesse de Dieu le Père, qu’ils avaient entendu prêcher par la bouche des prophètes ; ils crurent que Dieu avait envoyé son Fils, né de la femme, et ils reçurent le témoignage de la vérité, à savoir le bx. Jean Baptiste, puis le Christ prêchant. Et confessant religieusement la foi catholique, ils furent baptisés dans le Christ.
Ensuite, persévérant dans la doctrine des Apôtres, ayant la faveur de tout le peuple, ils devinrent les messagers fidèles de la vérité évangélique, et les défenseurs autorisés de la sainte foi chrétienne. C’est pourquoi on lit ce qui suit dans les Chroniques Romaines : Ce fut au temps de la prédication de Jhésus-Christ que les frères du Mont Carmel grandirent en nombre, et certains, la septième année après la passion du Seigneur, sous la domination romaine, au temps des empereurs Titus et Vespasien, s’établirent religieusement à la Porte d’Or, près de Jérusalem. À l’époque où le bienheureux apôtre Pierre avait son siège à Antioche, ils s’appliquèrent à la diffusion de la foi catholique dans divers lieux de la région avoisinante. Mais dans la suite des temps, surtout vers l’an huit cent de l’Incarnation, uniformément, selon la Règle et les Constitutions qui leur furent imposées par l’Église et les Patriarches de cette époque, ils commencèrent à vivre en commun d’une manière plus accoutumée.
Chapitre VI : De l’habit.
Quand Élie fut enlevé au ciel, les frères eurent coutume de porter sur l’habit de leur profession un manteau bicolore en signe de sainteté et de consécration. Ces couleurs, blanche et grise, signifiaient leur double statut de chasteté et de pénitence. De même le manteau était composé de sept bandes descendant perpendiculairement. Les trois grises figuraient les trois vertus théologales et les quatre blanches les quatre vertus cardinales. C’est au contact de ce manteau que les eaux du Jourdain furent divisées, comme il est écrit au IVe Livre des Rois, chapitre II.
Mais dans la suite des temps, à l’époque de pape Nicolas, (les frères) l’abandonnèrent, parce qu’un tel signe paraissait insuffisamment religieux aux fidèles de France et d’Italie.
22 TRADUCTION :
Par son habit, cet Ordre saint des Carmes se montre aussi son Ordre (de Marie) personnel et antique, lui qui solennise particulièrement cette fête : si, comme je le pense, la blancheur de son habit se réfère habilement et pieusement à cette Conception Immaculée. Vous vous étonnez peut-être parce que j’ai dit : son Ordre personnel et antique ; exacte vérité qui ne doit surprendre personne. C’est qu’en effet, comme le rapportent des histoires dignes de foi, depuis le temps d’Hélie et d’Hélisée, qui le plus souvent demeuraient au Mont Carmel, à trois milles de Nazareth, cité de Notre-Dame, des hommes pieux avaient coutume d’habiter dans la retraite jusqu’au temps du Sauveur ; et alors ces ermites, convertis parmi d’autres par les prédicateurs apostoliques, sur une face de leur mont, élevèrent en premier une église ou un oratoire en l’honneur de la Bienheureuse Vierge, au saint lieu où ils avaient appris qu’elle demeurait souvent au cours de sa vie, avec ses virginales compagnes. Et c’est pourquoi, entre tous les religieux de Notre-Dame, ils ont le plus de titres à être appelés les frères de la Bienheureuse Marie du Mont-Carmel. De plus, parce qu’au début de l’Église naissante ils ont travaillé avec beaucoup de bonheur en prêchant l’évangile dans ces régions, et que dans la suite ils reçurent du Patriarche Jean de Jérusalem la règle de vie commune des saints Paulin et Basile, ils jouissent à bon droit de l’honneur de l’antiquité sur les autres Ordres. En conséquence, à cause de cette double prérogative, cet Ordre doit raisonnablement être tenu par tous en grande vénération.
23 Jean DE VENETA, carme de Picardie, prieur en 1339 et provincial de 1342 à 1366 à Paris, maître de l’Université.
24 Johannes DE VENETA-Petrus RAYMUNDI, Paragraphi Fusius Tractantes Ordinis Originem.
De habitu eorum. Paragraphus V.
... Ab ipso igitur tempore, quo raptus est sic Helyas per turbinem ignis in celum, ut dictum est, fratres de monte Carmen in signum sanctitatis et devotionis super habitum sue professionis pallium seu clamidem duplicis coloris gestare consueverant, et ipsam clamidem carpitam antiquitus appellabant. Modus enim rehiposorum qui ortum ultra mare seu in Terra Sancta sumpserunt, ut in pluribus fuit mantellis seu clamidibus uti, prout adhuc patet in fratribus Hospitalis sancti Johannis, eciam in Templariis, in fratribus Bethiemitis sancti Lazari et aliis multis, qui ultra mare et in Terre Sancta suam sumpserunt originem. Sic eciam et huius religionis de Carmelo professores clamidem gestabant, in qua erant septem partes ad invicem distincte, totum pallium integrantes, et perpendiculariter descendentes. Quarum partium erant tres nigre seu grisee, que tres virtutes theologicas designabant, et quatuor alie partes erant coloris albi, que quatuor virtutes cardinales congruentissime figurabant. Et sic propter huiusmodi pallium seu mantellum variatum seu duobus coloribus contextum diversimode et barratum, fratres ipsi in diversis mundi partibus consueverant barrati a pluribus antiquitus nominari. Barras autem illas sive colores varios ciedimus in huiusmodi pallio propter hoc primitus contegisse. Nam sicut habetur in IV libro Regum., c. II, illa hora, qua raptus fuit Helyas in curru igneo per turbinem in celum, clamante post eum Helyseo et dicente : Pater mi, pater mi, currus Israel et auriga eius, dimisit Helyas pallium ipsi suum descendere per turbinem ignis Helyseo. In quo descensu credimus ipsum pallium per plicas diversas cum iam ab Helye corpore discessisset, cadendo et transeundo per ignis turbinem, infra plicas et extra propter ignem tunc colores varios forsitan accepisse, ut sic, ubi ipsum infra plicas non tetigit ignis, in suo albo colore remanserit ; extra plicas vero ad contactum ignis apparuerit aliqualiter denigratum sive rufum, et per consequens in diversis coloribus variatum. Unde isto eodem pallia usus est postmodum Helyseus. Nam ut habetur in IV libro Regum, c. II, ad tactum huius palliistatim post eius descensum de celo per turbinem ignis aque Iordams sunt divise. Et ideo propter pallii dignitatem tam ipse Helyseus quam multi fini prophetarum et eorum sequaces, tam eciam heremite in monte Carmeli quam alibi in locis sanctis habitantes, ad instar pallii aupradicti in signum sanctitatis et devocionis clamidem barratum aut sic duobus coloribus variatam gestare desuper dectevetunt, et specialiter fratres Beate Marie de Monte Carmeli usi sunt talibus variatis clamidibus per longissima tempore ut dictum est. – Études Carmélitaines, 1920-1922, (pagin. spéciale) pp. 8-20.
Traduction : Johannes DE VENETA - Petrus RAYMUNDI, Paragraphes traitant plus abondamment de l’Origine de l’Ordre.
Leur Habit. Paragraphe V.
... Donc, à partir du moment où Élie fut ainsi enlevé au ciel dans le tourbillon de feu, comme il a été dit, les frères du Mont Carmel, en signe de sainteté et de dévotion, avaient l’habitude de porter, sur l’habit de leur profession, un manteau (pallium) ou une chlamyde de deux couleurs ; et ils appelaient anciennement cette chlamyde « carpita ». C’était en effet l’usage des ordres religieux qui naquirent outre-mer ou en Terre Sainte, de porter des manteaux ou des chlamydes comme on le voit encore chez les frères Hospitaliers de Saint-Jean, chez les Templiers, les frères de Bethléem, de Saint-Lazare, et chez beaucoup d’autres qui eurent leur origine outre-mer ou en Terre Sainte. De même, les profès de cet Ordre du Carmel, portaient un manteau (clamis), divisé en sept parties bien distinctes, composant la totalité du pallium et descendant perpendiculairement. Trois de ces parties étaient de couleur noire ou grise, et signifiaient les trois vertus théologales, et les quatre autres parties étaient de couleur blanche et représentaient d’une manière très convenable les quatre vertus cardinales. C’est ainsi qu’à cause de cette sorte de pallium ou manteau bigarré, diversement composé et rayé de deux couleurs, ces mêmes frères étaient autrefois appelés par plusieurs dans les diverses parties du monde, les « barrés ».
Nous croyons que les raies de cette sorte de manteau tirèrent leur origine de la cause suivante : En effet, comme nous le rapporte IVe livre des Rois, chap. II, quand Élie fut enlevé au ciel dans le char de feu, à Élisée qui lui criait : « Mon Père, mon Père, char et conducteur d’Israël », il jeta son manteau à travers le tourbillon de feu. Nous pensons que ce manteau a dû quitter le corps d’Élie déjà plié et qu’en tombant et traversant le tourbillon de feu, il a reçu, au dedans et au dehors des plis, différentes couleurs ; de sorte qu’à l’intérieur des plis, là où le feu n’a pas touché, il est resté de sa couleur blanche ; mais à l’extérieur des plis, au contact du feu, il apparut noirâtre ou roussi, et par conséquent composé de différentes couleurs. Élisée s’est ensuite servi de ce même manteau. En effet, comme le dit le IVe livre des Rois, chap. II, dès que ce manteau, juste après sa descente du ciel à travers le tourbillon de feu, toucha les eaux du Jourdain, celles-ci se divisèrent. Donc, à cause de la dignité de ce manteau, tant Élisée lui-même que de nombreux fils des prophètes et leurs disciples, tant aussi les ermites du Mont Carmel que les habitants d’autres lieux saints, décidèrent de porter, en signe de sainteté et de dévotion, un manteau rayé, ou bien composé de ces deux couleurs, comme le manteau sus-mentionné. Et ce sont spécialement les frères de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont Carmel qui se sont servi pendant très longtemps de tels manteaux, comme nous l’avons dit. – Études Carmélitaines, 1920-1922, (pagin. spéciale), pp. 8-20.
25 Pierre RAYMOND, maître parisien, provincial de Narbonne, prieur général en 1342, † 1357.
26 CONSTITUTIONES MAGISTRI PETRI RAYMUNDI 1357
Rubrica prima. – Qualiter respondendum sit querentibus quomodo et quando ordo noster sumpsit exordium, et quare dicimur fratres ordinis beate Marie de Monte Carmeli.
« Cum quidam fratres nostri ordinis iuniores querentibus a quo vel quomodo ordo noster sumpsit exordium, vel quare dicimur Fratres Ordinis Beate Marie de Monte Carmeli, nesciant satisfacere competenter, hinc est quod in scriptis pro eis formam talibus relinquentes volumus respondere.
Dicimus autem veritati testimonium perhibentes, quod a tempore Helie prophete et Helisei eius discipuli, montem Carmeli, qui ab Achon non longe distat, devote inhabitancium, multi sancti patres, tam veteris quam novi Testamenti, solitudinis eiusdem monda pro contemplacione celestium veri amatores, ibidem iuxta fontem Relie in sancta penitencia, sanctis successibus continuata, sunt proculdubio laudabiliter conversati.
Quorum auccessores post Incamacionem Domini nostri Ihesu Christi ibidem oratorium in honore beatissime Marie Virginis construxerunt, et ipsius titulura elegerunt, et ob hoc Fratres Ordinis Beate Marie Virginis de monte Carmeli deinceps per apostolica privilegia suret vocati.
Quos Albertus Ierosolimitane ecclesie patriarcha et sedia apostolice legatus, in unum collegium congregavit, scribens eis certam regulam ante concilium Lateranense, postea a pluribus summis pontificibus approbatam. Et tam ipsam quam dictum ordinem et titulum sub bullarum suarum testimonio approbantes devotissime confirmarunt.
In cuius regule et ordinis professione nos eorum sequaces usque in hodiernum diem, auxiliante Virgine benedicta, in diversis mundi partibus Domino famulamur, cui est honor et gloria in secula seculorum. Amen. » – Études Carmélitaines, 1920, p. 8.
Speculum 1507 : 5 – (Dicimus – perhibentes) : De huius autem veritate testimonium perhibentes dicimus.
7-8 – (solitudinis – contemplacione) : solitudinem eiusdem montis inhabitantes per contemplationem.
12 – (Marie Virginis) : virginis Mariae matris Dei.
Traduction : CONSTITUTIONS DU MAÎTRE PIERRE RAYMOND, 1357
Rubrique première : Réponse à donner à ceux qui demandent comment et quand notre ordre a pris naissance, et pourquoi nous nous appelons frères de l’ordre de la bienheureuse Marie du Mont-Carmel.
« Certains des jeunes frères de notre Ordre ne savent pas répondre convenablement à ceux qui leur demandent de qui et comment notre Ordre a pris naissance ou pourquoi nous nous appelons Frères de l’Ordre de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel ; nous voulons donc leur donner ici la façon de répondre en ces propres termes.
Nous disons, pour rendre témoignage à la vérité, qu’à partir du temps du prophète Élie et d’Élisée son disciple, dévots habitants du Mont Carmel, près de Saint Jean d’Acre, un grand nombre de saints Pères, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, réellement épris de la solitude de ce lieu pour la contemplation, se sont installés et vécurent là sans aucun doute, d’une manière digne d’éloges, près de la source d’Élie, dans une sainte pénitence continuée sans trêve dans une sainte succession. Après l’Incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ, leurs disciples construisirent là-même un oratoire en l’honneur de la Bienheureuse Vierge Marie, la prirent pour patronne et dès lors s’appelèrent, par privilège apostolique, frères de l’Ordre de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel.
Albert, Patriarche de l’Église de Jérusalem et légat du Siège Apostolique, les a groupés en une seule communauté, leur écrivant, avant le concile de Latran, une règle de vie déterminée, qu’approuvèrent ensuite plusieurs souverains pontifes ; règle, Ordre et patronage qu’ils confirmèrent très dévotement, leurs bulles en font foi.
C’est dans la profession de cette règle et de cet Ordre que nous, leurs descendants, avec l’aide de la Vierge Bénie, servons jusqu’à ce jour dans les diverses parties du monde, le Seigneur à qui l’honneur et la gloire dans les siècles des siècles. Amen. »
27 Guillielmus COVENTRIENSIS, Cronica breuis de Carmelitarum origine et processu felici.
« Anna 18 regni Iosaphat regis Ierusalem,
quarte vero etatis 160,
et ab origine mundi secundum translacionem Ieronomi 4274,
sancto Helia patre et institutore ordinis fratrum de monte Carmeli
in celum vivo rapto, sanctus Helizeus, eiusdem Helie discipulus,
filiorum prophetarum habitancium in Carmelo magisterium suscepit.
Anno creacionis mundi 5184,
a translacione sancti Helie et presidencia beati Helizei super
filios prophetarum Carmelitas 910,
Verbum Caro factum est natum Marie Virgine. »
Ms. Oxford, Bodl., Selden supra 72, fol. 41v-44v, (s. XVIo).
Ms. Oxford, Bodl., Land. Misc. 722, fol. 124V-125Z, (s. XVo).
Cf. Speculum 1507, f. 57v.
Traduction : Guillaume DE COVENTRY, Chronique brève sur l’origine des Carmes et de leur heureux progrès.
« L’an 18 du Règne de Josaphat, roi de Jérusalem,
l’an 160 du quatrième âge
et l’an 4274 depuis l’origine du monde, selon la traduction de Jérôme,
saint Élie, père et instituteur de l’ordre des frères du Mont Carmel,
ayant été enlevé tout vif au ciel, saint Élisée, disciple du même
Élie, devint le maître des fils des prophètes qui habitaient le Carmel.
L’an 5184 depuis la création du monde,
et 910 depuis l’enlèvement de saint Élie et la présidence du
Bienheureux Élisée sur les fils des prophètes du Carmel,
le Verbe fait chair naquit de la Vierge Marie. »
Guillielmus COVENTRIENSIS, De duplici Fuga Fratrum de Carmelo.
« Legitur enim quod ab ordinis Carmelitarum institucione, que fuit, ut prenotatum est, a tempore Helie et Helizei, prophetarum, usque ad incarnacionem Christi, et ab anno passionis eius 50 usque ad annum Domini 1099, manserunt fratres in Carmelo et in aliis locis Terre Sancte. Nam ante annum Christi prenotatum, quo Godfridus de Bullon et ceteri christiani, duce Petro Heremita, Terram Sanctam christianis subiugarunt, non fuerunt Saraceni pauperibus Carmelitis neque ceteris christianis multum infesti, sed permiserunt ipsos secum cohabitare in ciuitatibus et in castris, ut patet intuenti Historiam Ierosolimitanam.
Traduction : Guillaume DE COVENTRY, La double Fuite des Frères du Carmel.
« On lit, en effet, que depuis l’institution de l’Ordre des Carmes – qui eut lieu, comme il a été dit, au temps des prophètes Élie et Élisée – jusqu’à l’Incarnation du Christ, et depuis l’an 50 de sa passion jusqu’à l’an du Seigneur 1099, les frères demeurèrent au Carmel et dans d’autres lieux de la Terre Sainte. Car, avant cette année 1099, où Godefroy de Bouillon et d’autres chrétiens, sous la conduite de Pierre l’Ermite, soumirent aux chrétiens la Terre Sainte, les Sarrasins n’inquiétaient pas beaucoup les pauvres Carmes ni les autres chrétiens, mais leur permirent de vivre avec eux dans les villes et les campements, comme il ressort de la lecture de l’Histoire de Jérusalem.
28 Jean de HILDESHEIM, allemand, maître parisien, enseigna aussi à Avignon où il fréquenta saint Pierre Thomas avant son départ en Orient comme légat du Saint-Siège. Il mourut en 1375.
29 Johannes DE HILDESHEIM, Dialogus inter Directorem et Detractorem de Ordine Carmelitarum.
Capitulum I. Quod non possunt antiqua simpliciter demonstrari.
... Director : Ecce, si pro tempore tali (sc. in tempore Eliae) fuerunt annales conscripti, factum fuit hoc a regibus et regum notariis litteratis. Incolae vero vetustae montis Carmen fuerunt eremitae simplices, non litterati, pauperes, membranus forte non habentes nec scriptores, orare potius quam scribere consueti. ... Tempore revelatae gratiae saepius per Saracenos destructi sunt, et multi martyrio coronati ; si litteras et scripturas habuerunt, utique totum perdiderunt. Et si aliquid reservare potuerunt, in ultimo passagio tempore Ludovici regis Francorum, quando fuit Accon a paganis capta et combusta perdiderunt. In qua captione constat Eliae pallium, usque adhuc reservatum, cum multis aliis periisse.
Traduction : Jean DE HILDESHEIM, Dialogue entre un Directeur et un Détracteur de l’Ordre des Carmes.
Chapitre I : Que les faits antiques ne se laissent pas facilement démontrer.
Le Directeur : Voici, si dans ce temps (c’est-à-dire le temps d’Élie) il y eut des annales écrites, ce fut le fait des rois et des notaires lettrés des rois. Quant aux antiques habitants du Carmel, c’étaient des ermites simples, illettrés, pauvres, qui n’avaient peut-être ni tablettes ni scribes, et habitués plutôt à prier qu’à écrire. Au moment de la révélation de la grâce, ils furent assez souvent ruinés par les Sarrasins, et beaucoup reçurent la couronne du martyre ; s’ils ont eu des lettres et des archives, il ne fait pas de doute qu’ils les ont absolument toutes perdues. Et s’ils ont pu en garder quelque chose, ils l’ont perdu au temps de Louis, Roi des Francs, lors du dernier passage quand les païens prirent Acre et l’incendièrent. Il est prouvé que le manteau d’Élie, jusqu’alors gardé, a été perdu avec tant d’autres choses dans cette prise d’Acre.
Capitulum II. Quod antiqua scripta destructa sunt et quod oportet pro tanto fidem novis et patrum dictis...
Director : Advertas igitur, quod antiquis patribus de ortu ordinia credendum est, quia in negotiis ecclesiartun illi potissimum in testes assumendi sunt, qui eadem negotia tractaverunt : Dist. XIV, « Super prudentia » ; item Extra, De testibus, « Veniens ».... Do tibi quartum Regum non a pauperibus eremitis, ut dixi, sed a regum notariis conscriptum, plenum testimoniis huius antiquitatis. Et scias, quod cum olim in generali concilio multae religiones delerentur, invente fuerunt invidi similes tibi, qui pro Carmen religione tollenda laborabant quibus fuit a potioribus responsum, quod ex tunc oporteret etiam consequenter deleri quartum librum Regum. Et ob hoc etiam ibidem pro tunc eadem religio nostra confirmata est, quamvis Elias incarnationem Christi longe praecesserit...
Chapitre II : Que les anciennes écritures ont été détruites et qu’il faut pour autant accorder créance aux archives plus récentes et aux dires des pères.
Le Directeur : Prends donc garde, qu’il faut croire les anciens pères sur l’origine de l’Ordre, car dans les affaires ecclésiastiques, on doit retenir de préférence comme témoins ceux qui ont mené ces mêmes affaires : Dist. XIV, « Super prudentia », item Extra, de testibus, « Veniens »... Je te donne le IVe Livre des Rois, qui comme je l’ai dit, fut rédigé non par de pauvres ermites, mais par des notaires de rois, et qui est plein de preuves de cette antiquité. Et sache que, jadis, lors d’un concile général, où beaucoup d’ordres furent supprimés, il se trouva des envieux, semblables à toi, pour s’efforcer de supprimer l’Ordre du Carmel. À ceux-ci il fut répondu par les meilleurs que, par voie de conséquence, il faudrait détruire aussi le IVe Livre des Rois. Et c’est pourquoi notre Ordre y fut alors confirmé, quoique Élie eût précédé de beaucoup l’Incarnation du Christ.
Capitulum VII. De similitudine habitus Eliae, Iohannis et multorum aliorum.
... Elias et Iohannes Baptista consimili habitu utebantur et nonnulli alii. Habitus autem illorum erat vestis pilosa, grisea, non colorata per artem, et haec vestis dicebatur melota... Habebant etiam zonas pelliceas circa lumbos. ... Super haec omnia consuevit Elias uti pallio, de quo fit mentio IV Reg., II et in multis aliis locis...
Chapitre VII : De la ressemblance des habits d’Élie, de Jean et de beaucoup d’autres.
... Élie et Jean-Baptiste et quelques autres portaient un habit semblable. Leur habit était d’une étoffe poilue, grisâtre, non teinte ; ce vêtement s’appelait melota (peau de brebis). Ils avaient aussi une ceinture de cuir autour des reins. Au-dessus de tout cela, Élie avait l’habitude de mettre un manteau, dont parle le IVe Livre des Rois, chap. II, et beaucoup d’autres passages.
Capitulum IX. Quomodo per scripta ostenditur quod ab Elia denominari debemus.
Detractor : Habesne testimonia scripturarum, quod propter omnia praedicta denominari possis ab Elia sicut a patrono, velut asseris ?
Director : Ecce, Detractor, iam sacrarum litterarum te probas ignarum. Nam et iuxta philosophum « ad pauca respicientes de facili enuntiant ». Do tibi VINCENTIUM, XII libro, Speculi Historialis, c. XXII, « Successores, inquit, Heliae et Helisei, mundi contemptores insidias diaboli calcarunt ; pium conflictum daemonibus aggredi cupientes, vastos eremi solitudinea ac secessus penetrare non timebant, ad imitationem Iohannis Baptiatae, Eliae quoque et Elisei ». Item HIERONYMUM in Epistola ad Paulinum dicentem : « Noster princeps est Elias, noster dux est Eliseus, nostri duces filii prophetarum. » Item IOANNES CASSIANUS dicit : « Sic decet religiosum incedere, sicut constat sanctos patres Eliam et Eliseum in veteri Testamento ambulasse. » Consimilia verba sunt in Historia Tripartita, libro I, c. LII, et additur ibi quod quidam viri sancti elegerunt sibi locum devotioni et proposito magis aptum, ad exemplum Eliae viri sancti et solitarii, in monte Carmel, maxime in illa parte, quae supereminet civitati Porphirianae, quae modo Caiphas appellatur, iuxta fontem Eliae vitam solitariam ducebant in alvearibus modicarum cellularum tamquam apes Domini dulcedinem spiritualem mellificantes. » Ad idem facit quod ISIDORUS, libro VII Etymologiarum dicit : « Religiosi, inquit, cenobitae imitantur apostolos, eremitae vero Eliam et Ioannem Baptistam. » Consimilem ponit sententiam IOSEPHUS ANTIOCHENUS in Speculo perfectae militiae primitivae ecclesiae ubi dicit quod « viri strenuissimi, contemplationi dicati, sequaces Eliae, surrexerunt, qui de monte Carmen descendentes, per Galilaeam, Samariam et Palestinam fidem Christi constantissime spargerunt. » Idipsum ponit SIGEBERTUS in suis Chronicis dicens : « Cum Carmelitae in sancta paenitentia perseverassent a tempore Eliae et Elisaei sanctorum prophetarum, tandem Christum praedicantem audierunt, et processu temporis per apostolos baptizati sunt. Deinde perseverantes in doctrina apostolorum, habentes gratiam ad omnem plebem, veritatis evangelicae nuntii fideles et religionis christianae legitimi defensores affecti sunt. » Idipsum haberi potest ex libro IACOBI DE VITRIACO, qui fuit episcopus Acconensis, praecipue ex Historia Hierosolymitana. Praeterea scribit GERARDUS LAODICIAE, episcopus in libro de Conservatione virorum Dei in Terra Sancta ad Guilielmum presbyterum, quod « aliud est genus religiosorum, qui singillatim habitabant a saeculi rebus alieni ; hi sunt qui ad exemplum Eliae silentium solitudinis praeferebant tumultibus civitatis. » Hae Ille. Cum igitur obligentur ex regula Carmelitae ad silentium et ad vitam eremiticam, praesertim usque ad regulae mitigationem, patet evidenter quod fuerint successores praedictorum, se conformiter habentes ad ipsos. Videsne scripts sufficientia, probantia quod fratres Carmelitae merito censendi sunt fratres et successores Eliae ? – Speculum, 1680, n. 644 ss.
Chapitre IX : Comment il est démontré par les écritures qu’Élie est notre fondateur.
Le Détracteur : Avez-vous des preuves écrites que, compte tenu de tout ce que vous venez de dire, vous puissiez tirer votre nom d’Élie, comme d’un patron, ainsi que vous l’affirmez ?
Le Directeur : Voilà, Détracteur, que vous voua montrez ignorant méme des saints écrits. Car selon le philosophe, « ad pauca respicientes de facili enuntiant ». Je vous donne VINCENTIUS, livre XII du Speculum Historiale, chap. XXII : « Les anachorètes, dit-il, d’Élie et d’Élisée méprisèrent le monde et foulèrent au pied les ruses du diable ; désirant entrer en un pieux combat avec les démons, ils ne craignaient pas de pénétrer dans les vastes solitudes et retraites du désert, à l’exemple de Jean-Baptiste, d’Élie et d’Élisée. » De même JÉRÔME, qui dit dans son Épître à Paulin : « Notre prince est Élie, notre chef Élisée, et nos guides les fils des prophètes. » De même Jean CASSIEN dit : « C’est ainsi qu’il convient de se comporter religieusement, à l’exemple des Saints Pères Élie et Élisée dans l’Ancien Testament. » Semblables sont les paroles de l’Historia Tripartita, livre I, chap. III, elle ajoute ici que de saints personnages choisirent des lieux de retraite répondant davantage à leur pieux dessein, à l’exemple du saint solitaire Élie, sur le Mont Carmel, surtout dans cette partie de la montagne qui domine la ville de Porphyre (aujourd’hui Caipha), près de la source d’Élie ; ils menaient une vie solitaire dans les alvéoles de petites cellules, élaborant, tels des abeilles du Seigneur, un miel d’une douceur spirituelle. ISIDORE, dans le livre VII des Étymologies, le confirme : « Parmi les religieux, dit-il, les cénobites imitent les apôtres et les ermites imitent Élie et Jean-Baptiste. » Même affirmation de Joseph D’ANTIOCHE dans le Speculum Perfectae Militiae Primitivae Ecclesiae, où il dit que « des hommes dévorés de zèle, adonnés à la contemplation, se levèrent sur les traces d’Élie et descendant du Mont Carmel, répandirent avec très grande constance la foi du Christ par la Galilée, la Samarie et la Palestine. » SIGEBERT dans ses Chroniques, dit de même : « Les Carmes ayant persévéré dans la sainte pénitence depuis le temps des saints prophètes Élie et Élisée, entendirent enfin la prédication du Christ, puis furent baptisés par les apôtres. Ensuite, persévérant dans la doctrine des apôtres, et distribuant la grâce à tout le peuple, ils devinrent les fidèles messagers de la vérité évangélique et les défenseurs légitimes de la religion chrétienne. » On peut trouver le même témoignage dans le livre de Jacques DE VITRY, qui fut évêque de Saint Jean d’Acre, surtout dans son Histoire de Jérusalem. De plus, Gérard DE LAODICÉE, écrivant au prêtre Guillaume, dans son livre De Conversatione Virorum Dei in Terra Sancta, dit « qu’autre est le genre de ces religieux qui habitaient dans la solitude, étrangers aux choses du siècle ; ce sont ceux qui, à l’exemple d’Élie, préféraient le silence de la solitude aux tumultes de la cité ». Voilà ce qu’il dit. Donc comme les Carmes sont tenus, de par leur règle, au silence et à une vie érémétique, surtout jusqu’à la mitigation de la règle, il est clair qu’ils sont les successeurs de ceux dont il vient d’être fait mention, leur vie étant conforme à la leur. Vois-tu maintenant qu’il existe suffisamment d’écrits pour prouver que les frères Carmes doivent à bon droit être considérés comme les frères et successeurs d’Élie ?
30 L’auteur de la malhabile compilation : De origine ordinis Fratrum Beatae Mariae Dei Genitrici de Monte Carmeli (München, Clm. 3554, f. Kgb-163v ; voir ci-dessus) introduit ainsi cette citation : « Ut dicit Sigilbertus historiographus et narrat in Speculo ordinis frater Johannes Iector Metensis » (= Jean de Chemineto).
31 Au chap. XV, il dit à l’adresse du « Detractor » : « De ordine tuo dicitur : « Utilitas eos perhibet approbatos ». Ici on désigne les Dominicains, car c’est une citation du décret du 2e Concile de Lyon : « Religionum diversitatem nimiam », où, déclare le Concile « sane ad Praedicatorum et Minorum ordines, quos evidens ex eis utilitas ecclesiae universali proveniens perhibet approbatos, praesentem non patimur constitutionem extendi ». L’histoire ne nous raconte rien d’un combat avec les Franciscains. Est-ce que ce sont les mêmes attaques contre lesquelles Johannes Horneby se défend à l’université de Cambridge en février 1374, et qui donnaient en 1376 l’occasion à Bernardus Olerius d’adresser au Pape une « supplicatio » ?
32 Bernard OLLER, provincial de Catalogne, Prieur général en 1375.
33 Bernardus OLERIUS, Informatio.
De primo articulo.
Quantum igitur ad primum articulum – videlicet super successione et imitatione Fratrum ordinis Beatae Mariae de monte Carmeli ab Elia et Eliseo sanctis Dei prophetis – dignetur Vestra Reverenda Paternitas scire, quod secundum Magistrum in Historiis sanctus propheta Samuel conventus religiosorum in Iudaea primo instituit, quorum conventus « cuneus prophetarum », ac ipsi religiosi « Filii prophetarum » in Sacra Scriptura nominantur, ut dicit Nicolaus de Lira super secundum capitulum quarti libri Regum.
Postmodum veto, tempore Achab regis Israel, surrexit quidam propheta de tribu Aaron, nomine Elias, qui altiorem ac perfectiorem vitam amplecti concupiscens, vitam heremiticami et solitariam in monte Carmeli, qui erat locus contemplationi multum aptus, incepit.
Non diu postea Eliseum in agro arantem vocavit et ad eundem modum vivendi induxit, ut patet tertio Regum, decimonono.
Quorum vitam postmodum Ionas propheta et Abdias aliique filii prophetarum plurimi imitantes successibus usque ad tempora Salvatoris in eodem monte Carmeli modo heremitico in sancta contemplatione continuare curaverunt.
Qui postmodum ad praedicationem apostolorum fidem catholicam suscipientes, ad diversa loca Terrae Sanctae apta contemplationi se dispergentes, religiosam vitam heremiticam continuaverunt...
Quamvis autem praedictam informationem totaliter et ad plenum per scripturas authenticas iuridice nequeant dicti fratres docere, pro eo quod in praedicta persecutione Saiacenorum pauci fratres, ceteris interfectis propter Deum, et eorum libris ac privilegiis ceterisque eorum rebus omnibus destructis, ad cismarinas partes se transtulerunt, tamen testimoniis congruis et evidentiis, quibus pia fide merito credi debet, ex multis doceri potest.
Traduction : Bernardus OLERIUS, Information.
Du premier article.
Pour ce qui est du premier article – c’est-à-dire au sujet de la succession des saints prophètes de Dieu, Élie et Élisée et de leur imitation par les frères de l’Ordre de la Bienheureuse Marie du Mont-Carmel –, daigne Votre Révérende Paternité savoir que, selon le Magister, dans ses Histoires, le saint prophète Samuel institua d’abord en Judée une communauté (conventus) de religieux ; dans la Sainte Écriture, ce couvent est appelé « école des prophètes » et les religieux eux-mêmes « fils des prophètes », comme le dit Nicolas de Lire, sur le chap. II du IVe Livre des Rois.
Plus tard, au temps d’Achab roi d’Israël, se leva un certain prophète de la tribu d’Aaron, nommé Élie qui, désireux d’embrasser une vie plus élevée et plus parfaite, commença la vie érémitique et solitaire au Mont Carmel, endroit qui se prêtait beaucoup à la contemplation.
Peu de temps après, il appela Élisée qui labourait son champ, et l’amena au même genre de vie, comme il ressort du IIIe Livre des Rois, chap. XIX.
Dans la suite, le prophète Jonas et Abdias ainsi qu’un grand nombre de fils de prophètes imitant leur vie, de proche en proche jusqu’au temps du Sauveur, eurent à cœur de persister dans la sainte contemplation, au sein d’une vie érémitique, sur le même Mont Carmel.
Ayant ensuite reçu la foi catholique par la prédication des apôtres, ils se dispersèrent dans divers lieux de la Terre Sainte, convenables à la contemplation, et continuèrent leur vie religieuse érémitique...
Et, quoique de l’information susdite lesdits frères ne puissent faire la preuve pleine, entière, et valable en droit par des écrits authentiques, du fait que dans la persécution sarrasine dont il a été parlé, ils furent un petit nombre ceux qui passèrent de ce côté-ci de la mer – tous les autres furent tués pour Dieu, et leurs livres, leurs privilèges et leurs biens furent détruits – cependant on est renseigné de bien des façons, par des témoignages qui concordent et qui sont évidents et dignes d’une pieuse créance.
Primo igitur praedicta informatio doceri potest ex documentis et traditionibus antiquorum patrum dicti ordinis, venientium de Terra Sancta ad partes cismarinas. Ipsi enim successores suos, quos citra mare ad ordinem duxerant, informarunt et docuerunt, ac aliis subsequentibus in scriptis reliquerunt, quod a tempore Eliae et Elisei, vitam heremiticam in monte Carmeli sectantium, alii viri devoti, primo filii prophetarum, postea religiosi heremitae nominati, eorum vestigia sequentes, iuxta fontem eiusdem montis in sancta penitencia, usque ad tempora Christi, laudabiliter successerunt. Qui tandem per praedicationem apostolorum fidem Christi suscipientes, oratorium in honore beatae Virgirus Mariae Dei genitricis in declivo ipsius montis construxerunt, et ipsam in specialem patronam elegerunt, ut patet Rubrica Prima antiquarum constitutionum ordinis praedicti.
Et, Reverendissime Domine, ponderare dignemini, quod vix est aliqua religio, et praecipue de religionibus antiquis, quae aliter docere poterit suam fundationem quam per documenta et traditiones praedecessorum suorum, nec alia documenta antiqui religiosi habere curaverunt. Sufficit enim eis bons fides et praescriptio antiquitatis...
Premièrement donc, l’information qui précède peut être acquise à partir des documents et traditions des anciens pères dudit Ordre, venus de Terre Sainte dans les pays situés de ce côté-ci de la mer. Ceux-ci, en effet, enseignèrent à leurs successeurs dans l’ordre par leurs écrits, qu’à partir d’Élie et d’Élisée, qui menaient au Mont Carmel la vie érémitique, d’autres hommes pieux, nommés tout d’abord fils des prophètes, ensuite religieux ermites, marchant sur leurs traces, se succédèrent près de la source du même mont, d’une manière digne de louange dans la sainte pénitence, jusqu’à la venue du Christ. Ces mêmes ermites, reçurent enfin la foi du Christ par la prédication des apôtres, construisirent sur la pente du même mont un oratoire en l’honneur de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, et la choisirent pour leur patronne spéciale, comme il ressort de la Rubrique première des anciennes Constitutions dudit ordre.
Révérendissime Seigneur, daignez considérer qu’on ne trouve guère d’Ordre et surtout parmi les ordres antiques, qui puisse raconter sa fondation autrement qu’à la lumière des documents et traditions de ses pères premiers, et les religieux d’antan ne prirent pas soin d’avoir d’autres documents. À ceux-ci, en effet, suffisaient la bonne foi et le prestige de l’antiquité.
Secundo pro eadem information facit auctoritas beati HIERONYMI, Epistola 66, ubi loquens de diversis religiosis, postea subiungit dicens : « Quidam vero alnus principia repetentes, a beato Elia sumpserunt exordium. » Haec ille. Quae quidem dicta de fratribus dicti ordinis debere intelligi ex duobus congruentibus ostendi potest. Primo ex loto, quia eundem locum, scilicet in monte Carmeli iuxta fontem, ubi constat Eliam habitasse, praedicti fratres ante persecutione Saracenorum conventum habuerunt. ... Secundo ex conformitate indumentorum. Elias enim, ut legitur IV Regum, II, raptus in paradisum in curru igneo, Eliseo pallium suum cadere dimisit ; in cuius descensu, sicut dicit magister IOHANNES DE VENETA, ipsum pallium per plicas diversa a corpore Eliae descendens et per turbinera ignis transiens, infra plicas et extra colores varios accepit. ... Talibus vero palliis barratis constat dictos fratres usos fuisse usque ad tempore Honorii papae IV.
Deuxièmement, en ce qui concerne cette même information, fait autorité l’épître 66 du Bienheureux JÉRÔME, où, après avoir parlé des divers religieux, il dit : « Certains, cependant, remontant à une plus lointaine origine, reçurent celle-ci du Bienheureux Élie. » Voilà ce qu’il dit. Et que l’on doive l’entendre des frères dudit Ordre, on peut le montrer par deux preuves qui conviennent. Par le lieu d’abord, parce que les frères susdits eurent leur couvent avant la persécution des Sarrasins au lieu même où on sait qu’Élie habita, à savoir près de la source du Mont Carmel. Ensuite par la conformité des vêtements. Élie, en effet – IVe Livre des Rois, chap. II – enlevé au paradis dans un char de feu, laissa tomber son manteau pour Élisée ; dans sa chute, comme le dit Maître JEAN DE VENETA, ce manteau, quittant le corps d’Élie avec des plis et passant à travers le tourbillon de feu, a reçu, à l’intérieur et à l’extérieur des plis, des couleurs diverses... On sait que jusqu’au temps du pape Honorius IV, lesdits frères ont porté de pareils manteaux rayés.
Tertio pro eadem information faciunt testimonia historiographorum, historias et facta antiqui temporis conscribentium. Unde IOSEPHUS ANTIOCHENUS in Speculo Perfectae Militiae Primitivae Ecclesiae dicit sic, c. XII : « Perfectorum militum Christi apostolorum coadiutores surrexerunt strenuissimi viri solitarii contemplationique dediti, sanctorum prophetarum Eliae et Elisei sequaces. Qui de monte Carmeli descendentes, per Galileam, Samariam et Palestinam fidem Christi constantissime sparserunt, quique in virginis Mariae honorem in Carmeli montis declivo fabricantes oratorium Salvatoris Matri specialissime servierunt. » Item GILBERTUS historiographus, quem frequenter allegat VINCENTIUS in Speculo Historiali dicit sic : « Cum Carmelitae in sancta penitentia perseverassent a tempore sanctorum prophetarum Eliae et Elisei, tandem abscesserunt tenebrae, et lux venit in mundum ; et arbitrati sunt quia misit Deus Filium suum, natum de muliere, testem veritatis Christum praedicantem audierunt. Qui religiose fidem catholicam confitentes, in Christo baptizati sunt. Deinde perseverantes in doctrina apostolorum, habentes gratiam ad omnem plebem, veritatis evangelicae nuntii fideles et religionis christianae legitimi defensores effecti sunt. » Item IACOBUS DE VITRIACO qui fuit episcopus civitatis Achon, iuxta montem Carmeli, in Historia Hierosolymitana, libro I, c. LII, dicit sic : « Quidam viri saeculo renuntiantes ad imitationem sancti viri et solitarii Eliae prophetae, in parte montis Carmeli quae supereminet civitati Porphi riae, iuxta fontem qui fons Eliae dicitur, vitam solitariam agebant in alvearibus modicarum cellularum, tamquam apes Domini spiritualem dulcedinem mellificantes. » Haec ille. Quod autem ista verba congruenter debeant intelligi de praedecessoribus dictorum fratrum, patet ex his quae in ipsorum Regula continentur ; quia conventus illorum erat in illo monte iuxta fontem, et habebat cellulas separatas, et tamquam viri solitarii silentium observabant. Item GERARDUS EPISCOPUS LAODICIAE in libro De Conservatione Virorum Dei in Terra Sancta ad Guillielmum presbyterum, loquens de diversis religiosis subiungit dicens : « Aliud est genus religiosorum, qui singillatim habitabant, a saeculi rebus alieni ; hi sunt qui ad exemplum Eliae silentium solitudinis praeferebant tumultibus civitatis. » Haec ille. Quod autem oporteat haec verba intelligi de praedecessoribus praedictorum fratrum, videtur patere ex eorum Regula, per quam obligantur ad silentium et ad singillatim habitandum per cellas separatas, et usque ad Regulae mitigationem per Innocentium IV obligabantur ad habitandum in solitudine remoti a civitatibus, praeterquam in civitate Hierusalem. Item ad illud facit Explanatio Sacrorum Conciliorum et etiam quaedam Chronica antiqua, quam habet dominus rex Franciae tam in Latino quam in Gallico, ubi sic dicitur : « In concilio Ephesino, quod fuit celebratum per ducentos episcopos anno Domini CCCCXVIII, praesidebat loco papae Caelestini I beatus Cyrillus, frater ordinis de Carmelo, doctor egregius, patriarcha Alexandrinus. ... Et quia ita audacter et scientifice pro beata Virgine contra Nestorium disputavit, in eodem concilio sancitum fuit, quod fratres sui ordinis titulo Dei Genitricis Mariae merito debeant specialiter insigniri ; et quia primus fundator illius ordinis sanctus Dei Elias fuit de tribu et stirpe, de qua beata Virgo descendit. » Haec ibi. Ubi secunda ratio intitulationis dicti ordinis expresse testatur Eliam fuisse fundatorem. Item in quadam antiqua chronica, quae dicitur Chronica Romana, de Tempore Titi et Vespasiani imperatorum, dicitur sic : « A tempore Eliae et Elisei prophetarum, qui morabantur in monte Carmen, iuxta civitatem Domini nostri Nazareth, secretius solebant homines devoti habitare usque ad tempora Salvatoris : qui tandem praedicantibus apostolis in fide confirmati, in uno latere ipsius montis primo ecclesiam in honore beatae Mariae Virginis construxerunt. » Item in eadem chronica alibi sic habetur : « Fuit tempore praedicationis Iesu Christi... catholice pro fide insistebant. » Speculum, 1680, n. 737 ss.
Troisièmement, confirment cette même information les témoignages des historiens de l’antiquité. C’est ainsi que Joseph D’ANTIOCHE, dans son Speculum Perfectae Primitivae Ecclesiae, parle de la sorte au chap. XII : « En renfort des parfaits soldats du Christ, les apôtres, on a vu se lever de fort vaillants solitaires, adonnés à la contemplation et attachés aux traces des saints prophètes Élie et Élisée. En descendant du Mont Carmel, ils répandirent avec très grande constance la foi du Christ par la Galilée, la Samarie et la Palestine, et, par la construction sur la pente du Mont Carmel d’un oratoire en l’honneur de la Vierge Marie, ils servirent d’une manière très spéciale la Mère du Sauveur. » Ainsi parle l’historien GILBERT, que VINCENTIUS cite souvent dans son Speculum Historiale : « Les Carmes, depuis les prophètes Élie et Élisée, ayant persévéré dans la sainte pénitence, les ténèbres enfin se retirèrent et la lumière vint dans le monde ; ils jugèrent que Dieu avait envoyé son Fils, né d’une femme, et entendirent la prédication du Christ, témoin de la Vérité. Confessant pieusement la foi catholique, ils furent baptisés dans le Christ. Puis, persévérant dans la doctrine des apôtres, et jouissant de l’estime publique, ils devinrent les fidèles messagers de la vérité évangélique et les défenseurs légitimes de la religion chrétienne. » De même Jacques DE VITRY, qui fut évêque de Saint Jean d’Acre, près du Mont Carmel, écrit au livre I, chap. LII, de son Histoire de Jérusalem, ce qui suit : « Certains, renonçant au siècle, à l’imitation du saint solitaire et prophète Élie, dans cette partie du Mont Carmel qui domine la ville de Porphyre, près de la source dite d’Élie, menaient une vie de solitude dans les alvéoles de petites cellules, élaborant tels des abeilles du Seigneur, un miel d’une douceur spirituelle. » Que ces paroles doivent être normalement comprises des prédécesseurs desdits frères, cela ressort du contents de la propre règle de ceux-ci ; car leur couvent était situé près de la source sur ce même mont, et il était composé de cellules séparées ; et comme des hommes solitaires, ils observaient le silence. De même GÉRARD, évêque de Laodicée, dans son livre : De Conversatione Virorum Dei in Terra Sancta, au prêtre Guillaume, parlant des divers religieux, ajoute : « Autre est le genre des religieux qui habitaient dans la solitude, étrangers aux choses du siècle. Ce sont ceux qui, à l’exemple d’Élie, préféraient le silence de la solitude aux tumultes de la cité. Que ces paroles doivent être commises des prédécesseurs desdits frères, cela semble ressortir de leur propre règle, qui les oblige au silence et à demeurer seuls dans ces cellules séparées, et, jusqu’à la Mitigation de la Règle par Innocent IV, à habiter dans les solitudes, loin des villes, sauf à Jérusalem. Ceci est confirmé aussi par l’Explication des Saints Conciles et par une certaine Chronique ancienne, que possède le Roi de France tant en latin qu’en français et dans laquelle il est dit : « Au Concile d’Éphèse, qui fut célébré par deux cents évêques en 418 A. D., à la place du pape Célestin Ier, présidait le Bienheureux Cyrille, frère de l’Ordre du Carmel, éminent docteur et patriarche d’Alexandrie. Et, parce qu’il a, résolument et savamment, discuté contre Nestorius en faveur de la Sainte Vierge, il fut décrété dans ce même concile qu’à bon droit les frères de son Ordre doivent être honorés d’une manière spéciale par le titre de Marie, Mère de Dieu ; et parce que le premier fondateur de ce même ordre fut le saint homme de Dieu Élie, de la tribu et de la famille dont descend la Vierge... » Cette seconde raison est un témoignage formel de la fondation de cet ordre par Élie. De même, dans une ancienne chronique du temps des Empereurs Titus et Vespasien, et qu’on appelle Chronique Romaine, on lit ce qui suit : « À partir des prophètes Élie et Élisée, qui demeuraient au Mont Carmel, près de la cité de Notre Seigneur, Nazareth, des hommes pieux avaient l’habitude d’y habiter à l’écart jusqu’au temps du Sauveur ; ceux-ci furent enfin confirmés dans la foi par la prédication des apôtres ; et ils bâtirent sur un côté du même mont, pour la première fois, une église en l’honneur de la Bienheureuse Vierge Marie. » Dans la même chronique, on lit d’autre part : « Il y eut au temps de la prédication de Jésus Christ... ils persistaient dans la foi catholique... »
34 28. Sur ce point, nous lisons dans la Bibl. Carm. I, 281 : « SIGIBERTUS historiographus in Historia Jerosolymitana, quam Vincentius Bellovacensis allegat in Speculo Historiali. »
35 29. Jean GROSSI (toulousain, prieur général, † 1437). Viridarium.
Prima clavis, quae est de origine ordinis temporeque primo.
« Nam ut testatur Petrus Comestor in Historia sua super X capitulum primi libri Regum, cum sanctus Samuel propheta Domini primum conventum religiosorum legatur instituisse, qui alio nomine cuneus prophetarum dicebatur, ut habetur Iudicum X, in diebus Achab regis Israel, cuius regnum praecessit incarnationem Domini nostri Iesu Christi per annos 930, fuit vir de tribu Aaron, de qua Virgo Maria processisse legitur, de civitate Thesba, quae est in regione Galaad, et nomen eius Sabacha.
Qui habuit filium cui nomen Elias, Thesbites dictus a Thesba civitate iam dicta, Ante cuius ortum, ut testatur dictus Petrus Comestor, super secundum capitulum IV libri Regum, Sabacha pater ipsius vidit in somnis viros candidatos se salutantes. Quod innuebat filium ipsius venturum esse caput ordinis candidi et albi, videlicet Fratrum Beatae Dei Genitricis Mariae de monte Carmeli.
Iste ergo Elias, arctiorem aliis filiis prophetarum in cuneis existentibus cupiens ducere vitam, montem ascendit Carmeli, qui est in Terra Sancta, in confinibus Palestinae, iuxta mare ; qui vocatur Hebraice Chermel, Latine vero Carmelus. Iste vero mons Carmeli distat a civitate Accon quatuor miliaribus, a civitate Caesarea novem miliaribus, a civitate sancta Hierusalem 32 leucas. Sed a civitate Nazareth quae erat civitas gloriosae Virginis Mariae, et in qua erat quando angelus eam salutavit, ut habetur ex testimonio evangelii, tantum distat tribus miliaribus. Et ob hoc ipsa Virgo gloriosa Maria tamquam suos ipsos filios prophetarum visitavit saepius ut fratres, et ipsi primi ad honorem ipsius gloriosae Virginis capellam fabricaverunt, eius elegentes titulum.
In isto autem monte, ut habetur III Regum, XVIII capitulo et in multis aliis capitulis, Elias propheta multa fecit miracula, assumens in socios Eliseum, Abdiam, Ionam et multos alios prophetas. Quos docuit vivere in virginitate, ad honorem praedictae gloriosae Virginis, quae sine corruptione parere habebat mundi Salvatorem cuius caput esse debebat ut Carmelus : Cant. VIII. Et ob hoc heremitae dicti montis Carmeli Fratres Virginis Mariae dicti sunt, cum ad honorem ipsius ordinem incoeperunt ante eius adventum et nativitatem.
Cum igitur Dominos Eliam prophetam post discipulorum suorum instructionem vellet per turbinem ignis in paradisum voluptatis elevare, ipse Eliseo suo discipulo tamquam digniori, suum dimisit pallium ; cum quo multa fecit miracula, ut habetur IV Regum, II.
Quod pallium erat album in signum virginalis puritatis quam tenebant et servabant. Sed cum Elias esset in curru igneo elevatus, et pallium dimitteret Eliseo, ut praefertur, ad maiorem miraculi ostensionem ipsum pallium album per ignem fuit adustum, et sic factum subrufum seu griseum ; infra plicas autem remansit album. Ex tunc cum fuit extensum per Eliseum, remansit barratum ; ob cuius memoriam omnes heremitae montis Carmeli postmodum incedebant in barratis palliis usque ad tempus Honorii IV.
Translato autem Elia, eius successor Eliseus, in quo duplex spiritus Eliae remansit, cum aliis prophetarum filiis propter vitam insignem multos traxit ad ipsius montis Carmeli inhabitationem et devotionem. Et ob hoc Iohannes Baptista propter sanctitatem loci dictum montem frequentasse dicitur, et multi alii sancti.
Ipsi tamen heremitae, propter eorum vitam legem Domini non praetermittentes, singulia annis ter in Hierusalem veniebant ibidem festa celebraturi, scilicet Paschae, Pentecostes et Scenopegiae. Et ob hoc, dura Spiritus Sanctus venir super apostolos, dicitur quod erant viri religiosi habitantes in Hierusalem ex omni natione quae sub caelo est : Actuion, II. Et tunc recepto una cura apostolis Spiritu Sancto, baptizati sunt ab apostolis, Virgine Matre, ad cuius honorem se in contemplatione posuerunt, ibidem presente. Et ad honorem ipsius Virginis Mariae, quam diu exspectaverunt, ut dicitur in Chronicis Romanis, tempore praedicationis apostolorum, anno a passione Domini 47, regnante imperio Romano tempore Titi et Vespasiani, apud Hierusalem in Porta Aurea, ubi Joachim et Anna progenitores Beatae Mariae sibi mutue obviaverunt, religiose consederunt. Et ibi ad honorem Virginis ubi concepta fuerat, ecclesiam fabricaverunt et una cum apostolis in multis regionibus fidem Christi constanter praedicaverunt. » – Speculum, 1680, I-II, n. 551-638. – Analecta Ord. Carm. VIII, 125-144.
Traduction : Jean GROSSI, Viridarium (Verger).
Première clef, qui concerne l’origine de l’ordre et ses débuts.
Car, comme l’atteste Pierre le Mangeur dans son Histoire, sur le chapitre X du Ier livre des Rois, lorsque saint Samuel, prophète du Seigneur, eut institué la première communauté de religieux, appelée aussi « école des prophètes », selon le livre des Juges, chap. X, au temps d’Achab roi d’Israël, dont le règne a précédé de 930 ans l’Incarnation de N. S. J. C., il y eut un homme de la tribu d’Aaron, dont la Vierge Marie, selon l’Écriture, est issue ; il était de la cité de Thesba, dans la région de Galaad ; son nom était Sabacha.
Il eut un fils du nom d’Élie, dit le Thesbite, à cause de sa ville natale, Thesba. Avant sa naissance, comme l’atteste ledit Pierre le Mangeur dans son commentaire du chap. II du IVe livre des Rois, Sabacha, son père, vit dans un songe des personnages tout en blanc qui le saluaient. Ce qui signifiait que son fils allait être à la tête d’un ordre blanc et immaculé, c’est-à-dire les Frères de la Bienheureuse Mère de Dieu, Marie du Mont-Carmel.
Cet Élie donc, désireux de mener une vie plus ascétique que celle menée par les autres fils des prophètes qui vivaient en communauté, monta sur le Mont Carmel qui se trouve en Terre Sainte, aux confins de la Palestine, près de la mer ; ce mont s’appelle en hébreu Chermel, en latin Carmelus. Il est à 4 milles de Saint Jean d’Acre, à 9 milles de Césarée, et à 32 lieux de Jérusalem. Mais il n’est qu’à trois milles de Nazareth, cité de la glorieuse Vierge Marie, où elle se trouvait quand l’ange vint la saluer, selon le témoignage de l’Évangile. Et c’est pourquoi la glorieuse Vierge Marie elle-même a souvent rendu visite aux fils des prophètes comme à ses propres fils et frères, et eux-mêmes furent les premiers à édifier une chapelle en son honneur, et à la choisir comme patronne.
Sur ce mont, cependant, le IIIe Livre des Rois, chap. XVIII et de nombreux autres chapitres l’attestent, le prophète Élie fit beaucoup de miracles, et s’agrégea comme compagnons Élisée, Abdias et Jonas et beaucoup d’autres prophètes. Il leur enseigna à vivre dans la virginité, en l’honneur de ladite glorieuse Vierge, qui devait sans corruption enfanter le Sauveur du monde, et dont la tête devait être comme le Carmel : Cant., VII. Et c’est à cause de cela que ces ermites du Mont Carmel furent appelés frères de la Vierge Marie, puisque c’est pour son honneur qu’ils fondèrent l’ordre, avant sa venue et naissance.
Comme le Seigneur, après qu’Élie eut achevé l’instruction de ses disciples, voulut l’élever par un tourbillon de feu dans la joie du Paradis, c’est alors qu’il laissa tomber son manteau à son disciple Élisée, comme au plus digne ; avec ce manteau Élisée fit bien des miracles, comme le dit le IVe livre des Rois, chap. II.
Ce manteau était de couleur blanche, en signe de la pureté virginale qu’ils gardaient. Mais comme Élie ne jeta à Élisée son manteau que lorsqu’il était déjà élevé dans le char de feu, pour plus de preuves du miracle, ce même manteau blanc fut brûlé par le feu, et devint ainsi roussi ou grisâtre ; cependant, à l’intérieur des plis, il resta blanc. Quand Élisée ensuite l’étendit, il resta rayé ; en mémoire de cela, tous les ermites du Mont Carmel, par la suite, portaient des manteaux rayés, jusqu’au temps d’Honorius IV.
Après l’enlèvement d’Élie, Élisée son successeur, qui reçut son double esprit, entraîna au Mont Carmel, avec les autres fils des prophètes, beaucoup de gens pour y mener une vie élevée. Et on dit que saint Jean Baptiste, à cause de la sainteté du lieu, fréquenta ce même mont, ainsi que beaucoup d’autres saints.
Ces mêmes ermites, à cause de leur genre de vie, ne négligeaient pas la loi du Seigneur ; ils allaient trois fois par an à Jérusalem pour y célébrer les fêtes de Pâques, de la Pentecôte et de la Scenopegie. Ainsi, lorsque l’Esprit Saint descendit sur les apôtres, il est dit qu’en ce moment séjournaient à Jérusalem des hommes pieux, originaires de toutes les nations qui sont sous le ciel : Act., II. Ayant alors reçu l’Esprit Saint avec les apôtres, ils furent baptisés par ces mêmes apôtres, en présence de la Vierge Marie, en l’honneur de laquelle ils s’étaient consacrés à la contemplation. Et, comme le rapportent les Chroniques Romaines, c’est en l’honneur de la même Vierge Marie, depuis longtemps attendue, qu’ils s’établirent à Jérusalem, près de la Porte Dorée, là où s’étaient rencontrés Joachim et Anne, parents de la Bienheureuse Marie ; cela eut lieu au temps de la prédication apostolique, 47 ans après la passion du Seigneur, pendant le règne sur l’Empire Romain de Titus et de Vespasien. Et là où la Vierge fut conçue, ils édifièrent une église en son honneur, et, ensemble avec les apôtres, ils prêchaient avec constance la foi du Christ dans de nombreuses régions. » – Speculum, 1680, I-II, n. 551-638. – Analecta Ord. Carm., VIII, 125-144.
36 Philippe RIBOTI, maître en théologie, provincial de Catalogne. † 1391.
37 Voir Appendice II.
38 Thomas WALDENSIS, Epistola ad provincialem colonie.
... Heu me pater, quia ex nostris nemo inventus est dignus ut aperiat librum clausum, nullus aut rarus qui in tanto pressurarum incommodo judicem Christum praecedat in spiritu et virtute nostri patris Heliae. Ipsius, inquam, quem paradisus tenet localiter, sed ejus mentem urget nostra professio, anxio dolore prospiciens quem de filiis suis fratribus nostris habebit in conflicto cum antichristo participem. Aut dicturus est obtentu triumpho ad suae religionis calumniam illius Nasonis :
Me duce ad hunc voti finem, me milite veni,
Ipse eques, ipse pedes, signifer ipse fui. (Amores, II, 12.)
Vestra interest, optime pater, hortari fratres, suadere magistris labores sanctos, sacras vigilias, studia et sudores qui ipsos spectant, et stimulos faciat ea quae jam eos tenet vera et praetensa professio. – Monumenta, p. 446.
(On trouvera la traduction de ce passage dans l’article du P. Élisée de la Nativité, infra p. 91).
39 Thomas BRADLEY, anglais, après avoir vécu durant plusieurs années dans un ermitage, où il s’adonnait à la prière et à la transcription d’anciens documents, devint évêque de Dromrore. En 1457 il abdiqua et se retira de nouveau dans la solitude où il mourut en 1491.
40 Thomas BRADLEY, Tractatus de Fundacione, Intitulacione, Antiquitate, Regula et Confirmacione ordinis Beate Marie de Monte Carmeli.
Quia Ysayas propheta, cum de Christi incarnacione prophetaret, promisit, quod sola uirgo Deum, qui est heres Carmeli, ut dicitur Jeremie, II, foret paritura pariterque gloriam Libani, id est albedinem, et decorem Carmeli, id est ordinem heremitarum de monte Carmen, qui grex Dei est, ut patet Miche, VII, possessura, ut dicitur Ysaye, XXXV, et Diuina Sapiencia, loquens in persona Matris, ut canit Ecclesia, ait : In omnibus requiem quesiui, et in hereditate Domini, id est in Carmelo, Miche, VII, morabor ; Eccli., XXIV, ideo ego THOMAS BRADLEY, anachorita, Deum heredem Carmeli et Matrem eius gloriosam Mariam, possessorem et habitatorem Carmeli, in suis gregibus, id est Carmelitia, et hereditate ac possession laudare et magnificare, non per fabulas, sed per res gestas, disposui me per 7 capitula procedere.
Traduction : Traité sur la Fondation, Institution, Ancienneté, Règle et Confirmation de l’Ordre de la Bienheureuse Marie du Mont-Carmel.
Le prophète Isaïe, lorsqu’il prophétisa l’Incarnation du Christ, a promis que seule une vierge enfanterait Dieu, maître du Carmel, comme le dit Jérémie, II, et posséderait comme le dit Isaïe, XXXV, la gloire du Liban, c’est-à-dire la blancheur et la beauté du Carmel, entendez l’Ordre des ermites du Mont-Carmel, troupeau de Dieu comme il ressort de Michée, VII. Et la divine Sagesse, parlant par la bouche de la Mère (de Dieu), dit, comme le chante l’Église : En tout j’ai cherché le repos et demeurai dans l’héritage du Seigneur (Eccl., XXIV), c’est-à-dire au Carmel, Michée, VII. Aussi, moi, THOMAS BRADLEY, Anachorète, vais, en sept chapitres, non par des fables mais par des faits réels, louer et magnifier Dieu, maître du Carmel et sa Mère, la glorieuse Marie, qui le possède et l’habite, par son héritage et sa possession, en ses troupeaux qui sont les Carmes.
Primum Capitulum : De fundatoribus Carmelitarum Ordinis.
Primos fundatores Ordinis sancti Dei genitricis Marie de Monte Carmeli in Prologo vite Sancti Pauli Egipti primi heremite ostendit beatus IERONIMUS : « Inter multos sepe dubitatum est, a quo potissimum genus monachorum heremus inhabitari cepta sit. Quidam enim alcius repetentes a beato Helia et Iohanne principia sumpserunt. Quorum et Helias plus nobis fuisse uidetur quam monachus, et Iohannes ante propheciam recepisse quam natus est. Hec Ieronimus. Similiter ISIDORUS, libro II, De origine officiorum, c. XIV : « Genus monachorum heremitarum est, qui procul ab hominibus recedentes deserta loca et vastas solitudines sequi atque habitare perhibentur ad imitacionem Helie et Iohannis Baptiste, qui heremi secessus penetrauerunt. » Hec ille. Item Sozomenus, sicut recitat eum CASSIODORUS in Historia tripartita, libro primo, c. XI, ubi loquens multa de uita solitariorum uirorum inter cetera subdit dicens : « Huius igitur antiquissime philosophie princeps quidem fuit, sicuti quidam dicunt, Helias propheta et Baptista Iohannes. » Hec ille. Similiter IOHANNES CASSIANUS, magnus heremita, exortans discipulos suos ad imitandum uestigia antiquorum heremitarum Veteris Testamenti, libro primo De Institutis Monachorum, c. II, ait : « Hoc enim habitu eciam illos ambulasse, qui in Veteri Testamento professionis huius fundauere primordia, Heliam scilicet et Helizeum ; quod diuinarum Scripturarum auctoritate monstratur. » Et subdit idem CASSIANUS in eodem libro, c. II, dicens : « Idcirco hec sue a ueteribus sanctis, qui hujus professionis fundamenta gesserunt, neque a patribus nostri temporis, qui eorum per successiones instituta nunc usque custodiunt, tradita uidimus exempla, et superflua et inutilia nos quoque resecare conuenit. » Hec Cassianus. Item IOHANNES XLVI, episcopus Ierosolimitanus libro primo de Institucione Monachorum in lege veteri exortorum et in nova perseverancium ad Caprasium monachum, c. II, ait : « Hic propheta Dei Helias monachorum Carmelitarum primus princeps extitit, a quo sancta sanctorum eorum primeua institucio exordium sumpsit. » Et beatus BERNARDUS in suo libro primo quem scripsit ad Carmelitas qui habitabant in monte Dei in regno Cipris, ipsis loquens de illorum antiquitate, c. I, ait : « Antigua hereditas Ecclesie Dei est a tempore prophetarum premonstrata iamque noue gracie sole exorto in Iohanne Baptista instaurata et renouata ab ipso Domino Ihesu familiarissime celebrata, ab eius discipulis ipso presente concupita. » Hec Bernardus Clareualensis abbas. Item abbas IOACHIM DE CALABRIA in suo Libro concordiarum novi et veteris Testamenti ait : « Precesserat enim heremitica uita designata in Helia propheta, et illa uita gloriosa in sua claritate Helizeus prophete inchoauit conuentum ordinis. » Item BERNARDUS doctor et abbas Cassinensis, in Exposicione primi Capituli regule Sancti Patris Benedicti, sc. de 4 generibus monachorum, dicit sic : « Attente bene in Veteri Testamento Helias et Helizeus, et in Novo Testamento Iohannes Baptista, Paulus et Antonius post tempera apostolorum inuentores et conseruatores horum monachorum heremitarum seu anachoretarum extiterunt. » Hec ille. – Paris, Bibl. Nat., ms Lat. 5615, f. 92 ss.
Premier chapitre : Les fondateurs de l’Ordre des Carmes.
Le Bienheureux JÉRÔME, dans son Prologue de la vie de saint Paul d’Égypte, le premier ermite, révèle les premiers fondateurs de l’Ordre de la Mère de Dieu Marie du Mont-Carmel : « Beaucoup se sont souvent demandé quelle famille de moines surtout a commencé à habiter le désert. Certains, remontant plus haut, ont été chercher les origines auprès d’Élie et Jean. Élie nous semble avoir été plus qu’un moine, et Jean avoir reçu le don de prophétie avant que de naître. Voilà ce que dit Jérôme. Dans le même sens ISIDORE dit, au livre IX du De origine officiorum, chap. XIV : « Il y a une famille de moines ermites qui, dit-on, se retirant loin des hommes, recherchent et habitent les lieux déserts et les vastes solitudes à l’imitation d’Élie et de Jean-Baptiste qui s’enfoncèrent dans l’isolement du désert. » Voilà ce que dit Isidore. Voici ce que CASSIODORE fait dire à Sozomène, dans l’Historia Tripartita, libro I, chap. XI, où, après un long discours sur la vie des solitaires, il ajoute entre autres choses : « De cette très antique sagesse, le chef fut, comme certains le disent, le prophète Élie et Jean Baptiste. » Voilà ce qu’il dit. Dans le même sens JEAN CASSIEN, le grand ermite, dit dans l’Institution des Moines, chap. II, lorsqu’il exhorte ses disciples à suivre les traces des ermites de l’Ancien Testament : « Ainsi ont marché ceux qui, dans l’Ancien Testament, ont posé les fondements de cette profession, à savoir Élie et Élisée ; et l’autorité des divines Écritures vient le démontrer. » Le même CASSIEN ajoute dans le même livre, chap. II : « Pour ce motif, il conviendra que nous aussi nous retranchions, comme inutile et superflue, toute nouveauté que nous ne verrions pas enseignée par les saints d’autrefois, qui jetèrent les premiers fondements de l’état monastique, ni par les Pères de notre temps, qui gardent jusqu’aujourd’hui leurs institutions, comme un héritage transmis de génération en génération. » Voilà ce que dit Cassien. JEAN XLIV, Évêque de Jérusalem dit, lui, au moine Caprais dans le premier livre, chap. II de l’Institution des moines nés sous l’ancienne loi et persévérant sous la nouvelle : « Élie, ce prophète de Dieu, est le premier des moines Carmes : il est à l’origine de la sainte institution de ces saints dans sa fleur. » Quant au bienheureux BERNARD, il dit au chap. I de son livre adressé aux Carmes qui habitaient au Mont-Dieu dans le royaume de Chypre, à propos de leur ancienneté : « L’antique héritage de l’Église de Dieu a été annoncé du temps des prophètes, instauré et rénové en Jean-Baptiste au lever du soleil de la nouvelle grâce, loué très fréquemment par Notre-Seigneur Jésus lui-même, désiré vivement en sa présence par ses disciples. » Voilà ce que dit Bernard, abbé de Clervaux. L’abbé JOACHIM DE CALABRE dit dans son Liber Concordiarum novi et Veteris Testamenti : « En effet, pour la vie érémétique désignée, le prophète Élie avait été le devancier et alors que cette vie était dans l’éclat de sa gloire, le prophète Élisée fonda la première communauté (conventus) de l’ordre. » BERNARD, le docteur et l’abbé du Mont-Cassin, dit dans son Commentaire du premier chapitre de la Règle du saint Père Benoît, qui traite des quatre genres de moines : « Notez-le bien : dans l’Ancien Testament, ce furent Élie et Élisée, dans le Nouveau, Jean-Baptiste, après l’époque des apôtres, Paul et Antoine, qui fondèrent et maintinrent ces moines ermites ou anachorètes. »
41 CONSTITUTIONES IOANNIS SORETH, 1461
Rubrica Prima : Qualiter breuiter respondendum sit querentibus et se inquirentibus de origine et exordio nostre sacre religionis, et quare dicimur Fratres Beate Marie de Monte Carmeli.
Quoniam quidam fratres nostri ordinis iuniores querentibus a quo uel quomodo ordo noster sumpsit exordium, uel quare dicimur Fratres Ordinis Beate Dei Genitricis Marie de Monte Carmeli, nesciant satisfacere competenter, hinc est quod in scriptis formam talibus respondendi uolumus relinquere.
Ut testimonium ueritati perhibentes dicimus, quod a tempore Helye et Helysei eius discipuli montem Carmeli, qui non longe ab Achon ciuitate distat, deuote inhabitarunt multi sancti, tam Veteris quam Novi Testamenti patres, solitudinis montis eiusdem pro contemplatione celestium ueri amatores, ibidem iuxta fontem Helye in sancta penitentia, sanctis successibus continuata, sunt proculdubio conuersati laudabiliter ac religiose, prout testatur quarti Regum hystoria, c. VI, et Iosephus Antiochenus, libro de Perfecta milicia primitive Ecclesie, c. XII, dicens : « Perfectorum militum apostolorum coadiutores surrexerunt strenuissimi uiri solitarii, contemplationi dediti, sanctorum prophetarurn Helye et Helysei sequaces. Qui de monte Carmeli descendentes, per Galileam, Samariam et Iudeam fidem Christi constantissime sparserunt, quique in Marie virginis honorem in montis Carmeli decliuo fabricantes oratorium, nostri Saluatoris matri specialissime seruierunt. » Et hac racione titulum istum elegerunt, ut dicerentur Fratres Beate Marie Virginis de Monte Carmeli. Et hac deinceps per apostolica priuilegia sunt uocati.
Quos Albertus Iherosolimitane ecclesie patriarcha, et Sedis Apostolice Iegatus, ante Concilium Lateranense in unum collegium congregauit, scribens eis certain regulam, approbatam per Honorium III, anno sui pontificatus tercio, et per Gregorium IX, anno sui pontificatus eciam tercio, scilicet 1230, et per Innocentium IV, anno uidelicet 1243, et per Alexandrum IV, 1256, pontificatus sui anno secundo, et per Urbanum IV, anno suo primo, scilicet 1262. Similiter per Nicholaum IV, anno suo secundo, die prima Iulii, et per Bonifacium VIII, etiam sui pontificatus anno secundo, scilicet 1296. Et per plures alios summos pontifices, qui ipsum titulum et ordinem approbantes, tutissime approbarunt et confirmarunt.
In cuius regule et ordinis professione nos eorum sequaces usque in hodiernum diem, auxiliante Virgine benedicta, in diuersis mundi partibus Deo famulamur, cui est honor et gloria in secula seculorum. Amen. – Paris, Bibl. Mazarine, 1791, (1224), f. 30 r.
Traduction : CONSTITUTIONS DE JEAN SORETH, 1461
Rubrique Première : Comment répondre en peu de mots à ceux qui demandent les origines et débuts de notre vénérable religion, et pourquoi on nous appelle frères de la Bienheureuse Marie du Mont-Carmel.
De jeunes frères de notre Ordre ne savent répondre convenablement à ceux qui demandent de qui ou comment notre Ordre tire son origine ou bien pourquoi on nous appelle Frères de l’Ordre de la Bienheureuse Mère de Dieu Marie du Mont-Carmel. Aussi, voulons-nous donner ici par écrit la manière de répondre.
Pour rendre témoignage à la vérité, nous disons qu’à partir d’Élie et d’Élisée, son disciple, au Mont Carmel situé non loin de la ville d’Achon (Acre), habitèrent beaucoup de saints Pères tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, vraiment épris de la solitude de ce mont pour la contemplation ; là, près de la source d’Élie, dans une sainte pénitence poursuivie avec de saints progrès, ils ont sans aucun doute vécu, d’une manière religieuse et digne de louange, ainsi qu’en témoigne le IVe livre des Rois, chap. VI, de même que Joseph d’Antioche dans son livre De Perfecta Militia primitive ecclesie, chap. XII : « En renfort de la parfaite milice des apôtres, on a vu se lever de fort vaillants solitaires, adonnés à la contemplation et attachés aux traces des saints prophètes Élie et Élisée. Ils descendirent du Mont Carmel, répandirent avec une très grande constance la foi du Christ par la Galilée, la Samarie et la Judée et, en édifiant sur la pente du Mont Carmel un oratoire en l’honneur de la Vierge Marie, ils se dévouèrent très spécialement à la Mère de Notre Sauveur. » Voilà pourquoi ils choisirent ce patronage qui les fit appeler Frères de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel. Par la suite, ce fut par privilège apostolique qu’ils furent ainsi appelés.
Albert, patriarche de l’Église de Jérusalem et légat du Siège Apostolique, les a groupés en une seule communauté, leur écrivant avant le concile du Latran une règle déterminée, qu’approuvèrent Honorius III, la 3e année de son pontificat, Grégoire IX, la 3e année de son pontificat, c’est-à-dire en 1230, Innocent IV en 1243, Alexandre IV en 1256, la 2e nnée de son pontificat, Urbain IV, en la première année, c’est-à-dire en 1262, Nicolas IV en sa 2e année, le juillet, Boniface VIII également en la 2e année de son pontificat, c’est-à-dire en 1296. Et encore plusieurs autres souverains pontifes qui, en approuvant le titre et l’Ordre, les approuvèrent et confirmèrent, de la façon la plus sûre.
Et nous, dans la profession de cette règle et de cet Ordre, leurs disciples, jusqu’aujourd’hui avec l’aide de la Bienheureuse Vierge Bénie, dans les diverses parties du monde, nous servons Dieu à qui honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen.