Voltaire, défenseur de Calas

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

HENRI-ROBERT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voltaire, défenseur de Calas ! l’affaire Calas ! Quel écho ce nom, jadis si tristement célèbre, éveille-t-il aujourd’hui dans l’esprit de la plupart d’entre nous ?

À peine le vague souvenir d’une horrible erreur judiciaire, engendrée par le fanatisme le plus déplorable, découverte et réparée, dans la mesure où elle pouvait l’être, grâce à la puissante intervention de Voltaire qui a fait preuve, en cette occasion, d’autant de méritoire persévérance que d’admirable générosité !

Voilà, n’est-il pas vrai ? le résumé fidèle de l’idée que l’on se fait en général, aujourd’hui, de l’affaire Calas..., quand – ce qui arrive – on ne l’ignore pas complètement !

Nous avons peine à concevoir que ce drame ait eu, voici un siècle et demi, un tel retentissement, qu’il ait profondément troublé non seulement la France, mais l’Europe entière puisqu’il est parvenu à Voltaire des subsides et des appuis de Suisse, de Prusse, de Russie, de Hollande et d’Angleterre.

Nous ne comprenons pas davantage que ce procès si oublié ait pu alors attiser tant de haines, allumer tant de passions ardentes que l’ordre public en ait été menacé, tandis qu’on n’en retrouverait aujourd’hui même plus une fugitive étincelle sous les cendres épaisses du temps et de l’oubli.

C’est que l’on ne connaît, en général, que la légende qui veut que le mystère de ce drame ait été définitivement éclairé par Voltaire, l’erreur judiciaire démontrée par lui comme absolument certaine et flagrante.

On considère qu’il n’y a « plus d’affaire Calas » parce qu’on ne se souvient que de l’arrêt de réhabilitation rendu solennellement par le Parlement de Paris, à la suite de la campagne d’opinion menée par Voltaire.

On juge que cet arrêt de réhabilitation est décisif.

Et on ignore que le Parlement de Toulouse, qui avait condamné Calas, a toujours tenu cet arrêt pour nul et non avenu, qu’il a défendu qu’on l’affichât dans son ressort, qu’il a persisté à considérer Calas comme coupable, qu’il a formellement refusé de procéder à la radiation de son arrêt de condamnation et à l’insertion, sur ses registres, de l’arrêt de réhabilitation.

Il avait, en effet, légalement, le droit de s’y refuser, parce qu’il n’était pas, hiérarchiquement, sous la dépendance du Parlement de Paris. Il était juge souverain pour les affaires de sa province.

 

C’est par une procédure tout à fait anormale, une sorte de loi de dessaisissement, disons le mot, par une mesure de politique et pour mettre fin à une affaire qui troublait trop profondément l’ordre public, que le Parlement de Paris avait été saisi du procès Calas par le Conseil du roi.

Bien plus, par une procédure absolument sans précédent, l’affaire tout entière fut évoquée devant le Parlement de Paris comme si elle n’avait jamais été jugée, et l’on fit comparaître devant lui non seulement les condamnés, ce qui eût été normal, mais aussi ceux des accusés qui avaient été mis hors de cause et acquittés par le Parlement de Toulouse trois ans auparavant.

On voulait ainsi mettre fin à toutes discussions et liquider, une fois pour toutes, cette cause de troubles qui n’avait que trop duré.

Mais le Parlement de Toulouse pouvait, à bon droit, se refuser à considérer un arrêt rendu dans des conditions aussi anormales comme un arrêt de justice régulière.

Ce n’était là, pour lui, qu’une parodie de justice, un service purement politique, destiné à rendre la paix au pays, mais devant lequel il était de sa dignité de refuser de s’incliner.

Et le fait est qu’ayant refusé, on n’osa point le contraindre à s’incliner.

La famille Calas dut se contenter d’une pension de 30 000 livres, que le roi lui servit comme indemnité sur sa cassette personnelle.

Pourtant, quand on lit Voltaire et les mémoires que, sous le titre : Défense des Opprimés, il a consacrés à l’affaire Calas, ce dont on s’étonne, ce qui vous frappe de stupeur, ce n’est pas que Voltaire ait réussi à taire réhabiliter Calas, mais c’est bien plutôt que Calas ait pu trouver des juges pour le condamner.

On s’indigne que de telles erreurs aient pu se produire, on ne peut se les expliquer que par l’aveuglement coupable d’un odieux fanatisme et l’on s’imagine que personne ne peut plus mettre en doute une si évidente innocence.

Pourtant un esprit d’une haute conscience, Joseph de Maistre, n’a pas craint d’écrire, dans Les Soirées de Saint-Pétersbourg :

« Rien n’est moins prouvé que l’innocence de Calas : il y a mille raisons d’en douter, et même de croire le contraire. »

Plus récemment encore, la même opinion a été soutenue, dans un ouvrage très documenté, par l’abbé Salvan, petit-neveu d’un des juges de Calas, réfutant le fameux plaidoyer du célèbre pasteur Athanase Coquerel.

Enfin, dernièrement, un professeur de droit à la Faculté de Toulouse, devenu conseiller à la Cour d’appel de Paris, M. Huc, a conclu, dans une étude de l’affaire Calas, que « rien ne permettait de dire que le Parlement de Toulouse n’eût pas bien jugé ».

Quelles raisons peut-il y avoir de penser de la sorte ?

Ou bien les faits ont-ils donc été présentés, ou passés sous silence, avec une singulière habileté par Voltaire, pour qu’il soit parvenu à donner à l’innocence de Calas une si forte apparence de vérité qu’il ait finalement réussi à la faire considérer par tous comme la vérité même ?

Nous verrons tout à l’heure comment a été conduite, en merveilleux avocat, cette défense de Calas par Voltaire. Mais, pour mieux en saisir le mécanisme, voyons d’abord quelle était l’accusation ;

Qui étaient les accusés ;

Comment se sont présentés les faits qui ont motivé l’accusation ;

Quelles ont été les explications successives et contradictoires des Calas au cours de l’instruction ;

Comment ont été rendus les arrêts (car il y en a plusieurs) de condamnation.

Quand nous aurons examiné ces divers points, nous verrons alors comment et pourquoi Voltaire a été amené à intervenir dans cette affaire, les mobiles réels et secrets de cette intervention, d’après ses lettres mêmes, les moyens par lui mis en œuvre pour obtenir le réhabilitation de Calas.

 

 

LES ACCUSÉS.

 

Jean Calas et sa femme, née Anne-Rose Cabibel, habitaient Toulouse depuis trente ans environ, au numéro 16 de la rue des Filatiers.

Le mari était marchand de toiles, indiennes et cotonnades.

Son commerce était des plus prospères et il passait pour fort riche.

Les Calas avaient six enfants : quatre fils et deux filles, et la famille occupait la maison tout entière.

Au premier étage, se trouvaient les chambres, la salle à manger et la cuisine

Au rez-de-chaussée, un couloir conduisant à la rue, dans lequel donnait directement une boutique qui servait de dépôt aux marchandises et qui communiquait elle-même, par une porte à deux battants (retenez bien ce détail), avec le magasin situé sur la rue.

Le père Calas avait, au moment du drame, soixante-trois ans à peine, étant né à la fin de l’année l698.

Les témoins nous le dépeignent : grand, sec de complexion et très vigoureux. C’est donc très inexactement, et pour les besoins de sa cause, que Voltaire le présente, dans ses lettres et mémoires justificatifs, comme un vieillard débile de soixante-huit ans. Vous verrez qu’il est, d’ailleurs, accoutumé de prendre avec la vérité, quand elle le gêne, de grandes libertés.

Les fils étaient âgés respectivement : Marc-Antoine (la victime), de vingt-neuf ans ; Pierre Calas, de vingt-huit ans ; Louis Calas, de vingt-cinq ans ; Donat Calas (le signataire des Mémoires), de vingt-deux ans. Les deux jeunes filles avaient dix-neuf et dix-huit ans.

Mais notez que, sur ces six enfants, deux seulement étaient présents le jour du drame : Marc-Antoine et son frère cadet, Pierre Calas !

Le troisième, Louis Calas, avait, en effet, quitté depuis cinq ans sa famille avec laquelle il s’était complètement brouillé, je vous dirai pour quelle raison.

Le quatrième, Donat Calas, se trouvait à Nîmes, en apprentissage.

Quant aux deux jeunes filles, on les avait conduites, dans la journée, chez des amis, aux environs de Toulouse.

En revanche, il y avait à dîner, ce soir-là, chez les Calas, un ami : le jeune Lavaïsse, fils d’un avocat, qui se trouvait de passage à Toulouse.

Je ne vous ai pas encore dit que toute la famille Calas était protestante. Et veuillez noter qu’il y avait quelque mérite à l’être, à ce moment-là, après la Révocation de l’Édit de Nantes, car les déclarations du roi n’étaient pas précisément tendres pour la religion réformée.

Toutes sortes de déchéances et d’interdictions frappaient les protestants qui n’avaient pas abjuré, et une déclaration du roi de 1686 portait que « seraient punis de mort ceux qui seraient surpris accomplissant des exercices de culte autres que ceux de la religion catholique ».

On ne badinait pas avec la liberté de conscience !

Il fallait donc, pour rester protestant, que ce fût l’effet d’une conviction bien forte et bien enracinée

Vous comprendrez, dès lors, à quel point la famille Calas avait pu être troublée, quelques années auparavant, lorsque le troisième fils, Louis, entraîné par l’exemple et les exhortations de la vieille domestique Jeannette Vigier, dite Vigière (Tullia, fille de Tullius), qui était catholique, avait abjuré la religion de ses parents pour se convertir au catholicisme !

Vous n’allez pas manquer de trouver étrange que ces protestants si intransigeants aient eu et gardé à leur service une domestique catholique et qui faisait du prosélytisme dans leur propre famille !

Voltaire s’est empressé d’en tirer un argument qu’il présentait comme décisif en disant : qu’il n’y avait point de plus forte preuve de la bonté du cœur des Calas !

Son argument pouvait porter sur la foule et impressionner les ignorants qui étaient, sans doute, la majorité !

 

Mais vous allez voir que la preuve n’était point aussi forte que se plaisait à le dire Voltaire et que les Calas n’auraient guère pu faire autrement.

Une déclaration du roi du 11 janvier 1686 disposait, en effet :

« Ceux de la religion réformée ne pourront se servir de domestiques autres que ceux de la religion catholique. »

C’était déjà la crise des domestiques !

Si les Calas voulaient avoir une domestique, ils étaient donc absolument forcés d’en avoir une catholique.

De même, Voltaire a prétendu que le père Calas était le plus tolérant des hommes et qu’il n’avait pas vu d’un mauvais œil la conversion de son fils Louis, ayant comme principe que « gêner les consciences ne sert qu’à faire des hypocrites ». La meilleure preuve en était, disait Voltaire, qu’il lui versait une pension de quatre cents livres.

Eh bien ! Sur ce point encore, la réalité est tout autre, n’en déplaise à Voltaire.

La vérité, c’est que le père Calas, en apprenant la conversion de son fils Louis, l’avait chassé de chez lui après être entré dans une terrible colère et lui avoir adressé les plus sanglants reproches.

Et pendant plus de quatre ans, non seulement il ne lui avait pas servi de pension, mais il ne lui avait pas donné un sou pour vivre, bien qu’à cette date le jeune homme n’eût pas vingt ans.

Qu’aurait-il donc pu faire de plus s’il n’eût pas été le plus tolérant des hommes ?

C’est si vrai que le jeune homme, mourant de faim, avait dû adresser un placet à M. de Saint-Priest, intendant du Languedoc, pour que son père fût tenu de lui verser une pension alimentaire, « qu’il lui refusait, disait-il dans ce placet, en haine de sa conversion ».

M. Amblard, le délégué à Toulouse de M. de Saint-Priest, saisi de cette affaire, écrivait à celui-ci, après avoir vu et vainement essayé de fléchir le père Calas en faveur de son fils :

« Le père Calas est un homme fort riche et je ne puis dissimuler que je l’ai trouvé fort dur à l’égard de son fils. C’est un jeune homme sage et pieux et, depuis cinq ans qu’il a quitté la maison paternelle, le père n’a donné autre chose à son fils que cinquante francs pour son entretien. J’ai travaillé, mais inutilement, à concilier les parties. »

Les tentatives de conciliation de M. Amblard continuent sans succès pendant plusieurs mois.

Ce n’est que le 9 septembre 1761, absolument contraint et forcé par une nouvelle démarche extrêmement pressante, et même menaçante, cette fois, de M. de Saint-Priest, que le père Calas, en lésinant encore, se décide à verser le premier terme de cette pension.

Un mois plus tard, Marc-Antoine Calas, le fils aîné, qui manifestait à son tour l’intention de se convertir au catholicisme, était trouvé étranglé.

 

 

LES FAITS.

 

Voici de quelle façon ce tragique évènement fut tout d’abord connu.

Le l3 octobre 1761, vers neuf heures et demie du soir, les habitants de la rue des Filatiers, à Toulouse, entendirent, provenant de la maison occupée par les Calas, des plaintes, des cris, des appels au secours, des exclamations, puis des allées et venues nombreuses et inusitées qui faisaient présumer qu’un évènement grave et tout à fait anormal venait de s’y passer.

Quelques minutes plus tard, la vieille domestique avait ouvert la porte de la rue en s’écriant :

– Ah ! mon Dieu, on l’a tué !

Aussitôt les voisins accourent aux nouvelles, un rassemblement se forme devant la porte ; on s’enquiert de ce qui s’est passé.

Et l’on apprend de la bouche même des Calas que le fils aîné, Marc-Antoine, a été trouvé mort, quelques instants auparavant, dans la boutique qui est située au rez-de-chaussée, en arrière du magasin.

Les Calas, à ce moment, cherchent à accréditer la version que ce sont des malfaiteurs, venus du dehors, qui ont dû faire le coup.

Le cadavre de Marc-Antoine, disent-ils, a été trouvé par son frère Pierre, qui était descendu avec un flambeau pour reconduire jusqu’à la porte le jeune Lavaïsse, qui était venu dîner.

Les deux jeunes gens, en passant devant la porte ouverte de la boutique, avaient aperçu Marc-Antoine, étendu à terre, couché sur le dos dans l’obscurité complète, nu-tête, en chemise, n’ayant que ses culottes, ses bas et ses souliers. Son vêtement et son gilet avaient été enlevés, soigneusement pliés et posés sur le bord de la table.

Il avait, autour du cou, une cravate noire qu’il ne portait pas habituellement.

Aussitôt ils avaient appelé le père Calas : celui-ci était descendu, suivi de sa femme et de la domestique, et ils avaient vainement essayé, avec de l’eau de senteur, de ranimer Marc-Antoine qu’ils ne croyaient qu’évanoui et blessé, pensaient-ils, d’un coup d’épée.

Pierre Calas et Lavaïsse courent chercher un chirurgien. Ils trouvent un jeune aide-chirurgien, le sieur Gorsse et le ramènent aussitôt.

En même temps, Pierre Calas va demander au café des Quatre-Billards, où son frère avait l’habitude de passer la soirée, « si Marc-Antoine ne s’est pas pris de querelle avec personne, car on se perd en conjectures sur le mystérieux assassinat dont il vient d’être victime ».

Il niera d’ailleurs, par la suite, avoir fait cette démarche ; mais le patron du café est formel sur ce point.

L’aide-chirurgien Gorsse trouve, devant la porte des Calas, un rassemblement où l’on discutait avec animation les possibilités de l’assassinat.

Il écarte les voisins, pénètre dans la boutique, y trouve le corps de Marc-Antoine dans la tenue déjà décrite ; il retire la cravate noire et découvre alors, autour du cou, sous la cravate, deux sillons sanglants en demi-cercle, qui vont se perdre derrière les oreilles, marque indiscutable d’une corde double qui a servi à étrangler Marc-Antoine...

– Qui a pu faire cela ? s’écrie aussitôt le père Calas.

Aucun des voisins n’a vu personne entrer dans la maison ni en sortir ; aucune trace d’effraction ; aucun vol n’a été commis. On commence à murmurer, dans la foule, que les assassins pourraient bien n’être pas venus du dehors.

Un voisin prend l’initiative d’aller chercher le capitoul de service, David de Beaudriguez.

Notez que, sur ce point encore, le mémoire de Voltaire accrédite une erreur en disant que ce sont les Calas qui l’ont envoyé quérir.

Le capitoul était alors une sorte de fonctionnaire chargé, à la fois, de la police et de la juridiction au premier degré, qui tenait en même temps du commissaire de police et du juge d’instruction et qui, de plus, pouvait, avec ses collègues, constituer une juridiction subalterne.

Il fait les premières constatations, interroge les uns et les autres. Les réponses et l’attitude de la famille Calas lui semblent suspectes. Il a l’impression qu’on récite une leçon et qu’on cherche à lui cacher quelque chose et, pour éclaircir ce mystère, après avoir commis trois médecins experts pour examiner le cadavre, il fait conduire à l’Hôtel de Ville tous les Calas et le jeune Lavaïsse.

Là, il procède immédiatement aux premiers interrogatoires, assisté de son greffier qui consigne les réponses par écrit.

C’est aussitôt après le drame, le l4 octobre, à une heure du matin.

La version adoptée à ce moment par les Calas est identique et conçue dans les mêmes termes, comme une leçon bien apprise.

Ils s’étaient mis à table à sept heures avec le jeune Lavaïsse, invité par hasard ce soir-là.

Aussitôt après le dîner, Marc-Antoine s’était levé pour sortir et se rendre au café, comme il faisait tous les soirs.

Le reste de la famille avait continué paisiblement à causer jusqu’à neuf heures et demie environ. À ce moment, Pierre Calas était descendu avec le jeune Lavaïsse qui prenait congé, pour le reconduire, avec un flambeau, jusqu’à la porte.

Et c’est alors qu’ils avaient aperçu, en passant devant la boutique ouverte sur le couloir, le cadavre de Marc-Antoine, étendu sur le dos, dans la tenue sommaire qui a été décrite.

Les voisins, eux, déposent qu’ils ont entendu des éclats de voix, des cris : « Ah ! mon Dieu ! Ah ! mon père ! », des plaintes comme d’une personne mourante, des allées et venues précipitées, et que la vieille domestique est apparue sur le pas de la porte en s’écriant : « Ah ! mon Dieu ! on l’a tué ! », propos qu’elle niera ensuite avoir tenu, mais que plusieurs voisins affirment avoir nettement entendu.

On rappelle encore que Marc-Antoine, désireux de se faire recevoir avocat, ce qui n’était possible, pour lui, qu’en abjurant la religion réformée, avait résolu d’imiter son frère Louis ; qu’il fréquentait les églises, était assidu aux offices des Pénitents Blancs et devait prochainement se convertir au catholicisme.

N’est-ce point au cours d’une scène, causée par son dépit et sa colère de ne pouvoir empêcher cette nouvelle conversion qui allait lui entraîner les frais si vexants d’une nouvelle pension, que le père Calas aurait étranglé son fils ?

L’hypothèse est admise par le capitoul David de Beaudriguez, qui prend le parti d’inculper tout le monde.

Le 14 octobre, dans la soirée, les trois médecins experts déposent leur rapport : ils concluent que la mort est le résultat de la pendaison et que « Marc-Antoine a pu être pendu par lui-même ou par d’autres ».

Vous voyez qu’ils ne se compromettaient pas !

Le 15 octobre ont lieu les deuxièmes interrogatoires. Et c’est alors que se produit un complet changement de système dans les déclarations des accusés.

Avec le même ensemble qu’ils avaient, la veille, soutenu l’assassinat, renonçant à cette version trop invraisemblable, ils déclarent maintenant :

« Nous avons menti pour sauvegarder l’honneur de la famille et éviter au cadavre de Marc-Antoine le traitement infamant réservé aux suicidés (qu’on traînait sur une claie). Mais la vérité, c’est que ce malheureux, sombre et mélancolique, ne réussissait à rien dans la vie, vivait dans la pensée de la mort et qu’il s’est pendu : nous l’avons trouvé pendu. »

Le seul malheur, c’est qu’en se donnant à eux-mêmes ce propre démenti, les Calas, ainsi que put l’établir le capitoul, ne faisaient que suivre les suggestions de leurs avocats.

Les accusés avaient eu, en effet, la veille au soir, pendant leur souper, une longue entrevue avec leurs avocats.

Ce qu’il s’y est dit, on peut l’induire des trois lettres qu’ils reçurent le lendemain, faisant allusion à cet entretien.

Voici la lettre adressée au jeune Lavaïsse :

« N’oubliez pas de dire dans quel état vous avez trouvé le cadavre et, si vous ne l’avez pas déclaré dans votre première déposition, ce fut de crainte que la famille fût déshonorée parce qu’on traînait le corps des suicidés sur une claie. Rappelez-vous si vous n’entendîtes crier : « Ah ! mon père ! Ah ! mon père ! Ah ! mon Dieu ! », car il y a des voisins qui ont entendu crier ainsi et, pour prévenir toute équivoque, il convient d’indiquer celui qui criait. Il est inutile que je signe cette lettre, car vous vous rappellerez que je vous parlai hier soir à votre souper. »

Ces trois lettres, conçues à peu près dans les mêmes termes (et il faut avouer que les avocats de ce temps-là faisaient preuve d’une singulière imprudence professionnelle !), étaient destinées aux deux Calas, père et fils, et à Lavaïsse. David de Beaudriguez survint à temps pour saisir ces deux dernières.

Celle de Calas père parvint donc à destination. Et voici la nouvelle version identique, soutenue par les accusés, en contradiction avec celle, également identique, qu’ils avaient soutenue la veille.

Ils avaient trouvé Marc-Antoine pendu à une corde dont l’extrémité était fixée au milieu d’un billot de buis (sorte de gros bâton destiné à assujettir les ballots d’étoffe sur l’épaule), qui reposait en travers des deux battants de la porte faisant communiquer le magasin avec la boutique.

Mais David de Beaudriguez, qui me paraît avoir été un Sherlock Holmes avant la lettre, fait préciser quelques points intéressants.

D’abord :

– Marc-Antoine avait-il à sa portée une chaise ou une escabelle ?

– Non ! répondent les accusés, ses pieds touchaient presque à terre.

Ensuite :

– Y avait-il une lumière consumée dans la pièce ?

– Non, disent-ils encore, aucune lumière !

Il se transporte alors avec eux sur les lieux, et il mesure, avec une précision minutieuse, la largeur de la porte, la longueur du billot de buis, la longueur de la corde, le tour du cou de Marc-Antoine, la hauteur de la porte et la taille de Marc-Antoine, déduction faite de la tête, puisque la corde partait du cou.

Il établit ainsi, mesures en mains, que la porte a un mètre de large et le bâton quatre-vingt-six centimètres seulement, qu’il faut donc que les battants n’aient été qu’entr’ouverts pour que les extrémités de ce bâton aient pu reposer sur le haut de ces battants.

En outre, il prouve qu’avec sa taille et la longueur disponible de la corde, Marc-Antoine ne pouvait pas, sans escabeau, faire atteindre au bâton le haut de la porte.

Il conclut donc à l’impossibilité matérielle du suicide tel qu’il est allégué, et voici textuellement en quels termes nets et précis il pose la question au père Calas :

« Nous lui avons représenté que la porte a neuf pans de hauteur, que Marc-Antoine a sept pans cinq pouces, que le restant de la corde qu’il dit avoir attaché à la bille a environ un pan, d’où il suit évidemment que, distraction faite de la hauteur de la tête, qui va à plus d’un pan, Marc-Antoine n’avait de hauteur avec le restant de sa taille et la corde attachée à la bille qu’environ sept pans. Et comme Calas a convenu que son fils n’avait près de lui ni chaise ni escabelle, il aurait donc fallu nécessairement, pour que ledit fils mît la bille sur les battants, qu’il se levât de lui-même à la hauteur d’environ deux pans, en tenant la bille derrière la tête avec ses deux mains, ce qui, absolument et physiquement, est impossible : d’où il résulte que son fils n’a pu s’étrangler lui-même.

« Nous lui avons représenté, en outre :

« 1º Que la bille de buis était ronde et glissante ; si on la met entre les battants de la porte, pour peu qu’on se remue perpendiculairement ou de côté, avec la corde, elle glissera et tombera et, à plus forte raison, aurait-elle tombé dans l’instant par les secousses et les agitations violentes de son fils s’il avait voulu se pendre.

« 2° S’il s’y était pendu, par l’effet des agitations il aurait fait des impressions sensibles sur les battants de la porte qui se seraient complètement ouverts. »

Il ajoute, enfin, qu’il y a, sur un des battants de cette porte, treize bouts de ficelle, et qu’aucun d’eux n’a été déplacé ; qu’il y existe, en outre, sur toute l’épaisseur, « cette poussière floconneuse qui ne se rassemble qu’avec le temps sur les meubles qu’on n’essuie pas ». Et cette poussière n’a pas été touchée.

 

À ces questions précises, à ces constatations accablantes, le père Calas ne trouve pas un mot à répondre.

Le capitoul lui fait remarquer, de plus, qu’il est bien difficile d’admettre qu’en pleine nuit, dans l’obscurité complète, un homme qui va se suicider ait pris soin d’enlever ses vêtements, de les plier, de les ranger sur la table, de mettre une cravate qu’il ne porte pas d’habitude et qui ne peut que le gêner, et de procéder, enfin, à l’arrimage de la corde et de la bille de bois sur les battants de la porte, et tout cela dans l’obscurité, avec la porte ouverte sur le couloir, où tout le monde peut passer à chaque instant, risquant de le surprendre dans ses funèbres préparatifs.

Ajoutez à cela qu’il convainquit encore le père Calas d’avoir menti en disant qu’il avait, pour dépendre son fils, coupé la corde qui fut retrouvée intacte. Qu’en outre, cette corde n’était pas assez longue pour avoir été doublée autour du cou alors que les marques de strangulation indiquaient une corde double.

Rapprochez tous ces mensonges, toutes ces impossibilités, toutes ces contradictions du premier système soutenu par les Calas disant avoir trouvé le cadavre couché à terre et tentant, par leurs démarches et leurs déclarations, par toute la mise en scène organisée par eux, d’accréditer la version d’un assassinat commis par des malfaiteurs venus du dehors.

Ajoutez à cela les cris, les appels à l’aide, les plaintes, les allées et venues suspectes, tout cet ensemble de bruits inexplicables et inexpliqués entendus par les voisins.

Rappelez-vous encore la dureté intransigeante du père Calas, laissant, pendant cinq ans, son premier fils converti dans le dénuement le plus complet, ne cédant qu’aux menaces directes de M. de Saint-Priest pour la pension alimentaire.

Et, par-dessus tout cela, imaginez la clameur populaire littéralement déchaînée contre les Calas (c’est Voltaire lui-même qui le constate en disant « que ce n’est point une voix, mais un cri de brutes »).

Enfin, dernier détail qui, à cette époque religieuse, devait particulièrement frapper l’imagination des spectateurs : les Pénitents Blancs de Toulouse montrèrent un empressement vraiment prématuré en faisant à Marc-Antoine des funérailles solennelles. Un immense catafalque blanc, surmonté d’un cadavre portant la palme du martyre, avec les mots : « Abjuration de l’hérésie », fut promené en procession à travers la ville, suivi d’une foule fanatique qui demandait justice.

Il faut avouer qu’il y avait là toute une atmosphère singulièrement troublante pour la sérénité de la Justice (mais les campagnes de presse d’aujourd’hui donnent-elles plus de garanties d’impartialités ?), tout un ensemble de faits, tout un faisceau solide de présomptions et de demi-preuves singulièrement impressionnants.

Aussi ne vous étonnez-vous pas que, le 18 novembre 176l, le tribunal des capitouls ait condamné les trois Calas, mari, femme et fils, à subir la question ordinaire et extraordinaire, le jeune Lavaïsse et la domestique à y être présentés.

Appel fut fait de ce jugement à la fois par les Calas et par le ministère public.

Au cours de cette instruction, des mémoires furent publiés en faveur des Calas par leur avocat, M. de Sudre.

« Ces mémoires, dit le pasteur Coquerel, sont fort au-dessus de ceux de Voltaire que l’Europe fit profession d’admirer plus tard. »

Mais M. de Sudre n’avait ni le crédit ni l’influence de Voltaire.

L’instruction terminée, le Parlement nomma M. de Cassan-Clairac conseiller rapporteur.

C’était un magistrat de haute conscience, dont Voltaire et les encyclopédistes eux-mêmes durent reconnaître l’esprit éclairé et le souci d’impartialité.

Un détail vous en donnera la mesure : pour être plus sûr de se soustraire complètement à toute influence étrangère à la Justice, il demanda à se retirer quelques jours dans un couvent de Chartreux, pour y rédiger son rapport dans le calme et la sérénité désirables.

Le 28 février 1762, devant le Parlement de Toulouse assemblé, il concluait à la culpabilité.

Le Parlement, sur conclusions conformes du procureur général Riquet de Bonrepos, rendit le 9 mars 1762, à la majorité de huit voix contre cinq, un arrêt déclarant le père Calas coupable et le condamnant au supplice de la roue.

En ce qui concernait les autres accusés, il était sursis à statuer jusqu’après l’exécution du père Calas.

Le Parlement pensait, en effet, que celui-ci avouerait avant de mourir.

Mais il expira en protestant, jusqu’au dernier moment, de son innocence, avec un courage et une fermeté d’âme qui frappèrent d’admiration et de respect ses accusateurs même les plus acharnés.

C’est pourquoi le 18 mars, dans un deuxième arrêt, le Parlement de Toulouse mit hors de cause et acquitta les autres accusés, malgré la clameur populaire que la mort admirable du père n’avait point désarmée.

Pourtant le Parlement condamna le fils Calas au bannissement, avec un certain illogisme que Voltaire n’a pas manqué de souligner en disant :

« Pourquoi le bannir, s’il est innocent ? Et pourquoi se borner au bannissement, s’il est coupable ? »

En raison pure, évidemment, la critique était fondée.

Mais la Justice a parfois de ces illogismes lorsqu’elle n’a pas la certitude absolue de la culpabilité, et qu’elle transforme son léger doute en grande indulgence, sans vouloir, toutefois, aller jusqu’à l’acquittement.

 

Quoi qu’il en soit, ces deux arrêts du Parlement de Toulouse semblaient avoir mis fin à cette troublante affaire et, de fait, en dehors d’un petit cercle de protestants de Toulouse, qui y voulaient voir une nouvelle marque de persécution à l’égard d’un des leurs, on peut dire que ces arrêts avaient semblé plutôt pécher par excès d’indulgence.

Ils n’avaient, en tout cas, créé nulle agitation, ni même nulle émotion en dehors de Toulouse.

Bien mieux : à la première nouvelle qu’il en a, Voltaire lui-même en plaisante, sur un mode badin qu’il est permis de trouver quelque peu déplacé. Il écrit en effet le 22 mars 1762, au conseiller Le Bault :

« Vous avez entendu parler, peut-être, d’un bon huguenot que le Parlement de Toulouse a fait rouer pour avoir étranglé son fils. Cependant, ce saint réformé croyait avoir fait une bonne action, attendu que son fils voulait se faire catholique et que c’était prévenir une apostasie.

« Il avait immolé son fils à Dieu et pensait être fort supérieur à Abraham, car Abraham n’avait fait qu’obéir ; mais notre Calviniste avait pendu son fils de son propre mouvement et pour la satisfaction de sa conscience. Nous ne valons pas grand’chose, mais les huguenots sont pires que nous et, de plus, ils déclament contre la comédie. »

On eût, sans doute, bien étonné Voltaire ce jour-là, si on lui avait dit qu’il consacrerait trois ans de démarches et d’efforts à faire réhabiliter « ce bon huguenot » dont il parlait alors si légèrement.

La fin de mars n’était pas encore arrivée qu’il recevait, en effet, une visite fort inattendue et qui devait modifier considérablement le détachement ironique avec lequel Voltaire avait, tout d’abord, envisagé cette affaire.

Un négociant protestant, Dominique Audibert, venant de Toulouse et se rendant à Genève, s’arrêta en passant à Ferney, chez Voltaire, le vit, lui raconta tout le procès de Calas, son supplice, sa mort admirable, et lui fit part de la conviction profonde qu’il avait de l’innocence de Calas et que sa condamnation ne pouvait s’expliquer que par l’influence secrète des Pénitents Blancs et le fanatisme religieux du Parlement de Toulouse, « le Parlement le plus sanguinaire de France », comme devait, par la suite, le qualifier Voltaire.

 

Il faut, pour que vous compreniez bien à quel point un semblable entretien pouvait passionner Voltaire, que vous vous rappeliez ce qu’avait été sa vie, toute de lutte contre la religion qu’il dénommait « l’infâme », ce qu’étaient ses idées, en opposition continuelle avec l’ordre établi, sapant sans relâche, au nom de la raison, de la tolérance et de la liberté, toutes les institutions de l’ancien régime, à commencer par l’autorité des Parlements.

Tout jeune encore, il s’était habitué à ne rien respecter, ayant appris à lire dans les contes de La Fontaine, sur les genoux de Ninon de Lenclos, et son premier essai dans la vie littéraire, alors qu’il n’avait pas vingt ans, avait été une satire si violente contre l’Église et le défunt roi Louis XIV, qu’elle lui valut d’être envoyé quelques semaines à la Bastille.

Rappelez-vous aussi qu’après une existence orageuse et dissipée, dont la première partie s’était passée en débauches scandaleuses avec les libertins les plus notoires de son temps ; après avoir connu, par deux fois, les rigueurs de la Bastille et les désagréments cuisants de la bastonnade (que lui fit donner, notamment, le duc de Rohan) ; après avoir dû s’exiler en Angleterre et avoir subi, pour ses écrits subversifs, les censures de la Sorbonne, les mises à l’index et les réquisitoires des Parlements ; après avoir voyagé non seulement en Angleterre, mais en Prusse, où il avait été hébergé plusieurs années à la Cour de Frédéric, qui lui avait remis la croix de son Ordre et la clé de chambellan, en Hollande et en Suisse, où il s’était lié avec les hommes les plus considérables de ces pays, Voltaire, approchant de la soixantaine, s’était fixé à Ferney, à deux pas de la frontière suisse et de sa propriété des Délices, près Genève.

« Les philosophes, disait-il – se souvenant des désagréments divers que lui avait attirés l’excessive liberté de sa plume, – les philosophes doivent avoir deux ou trois trous sous terre contre les chiens qui courent après eux. »

Il s’était ainsi assuré deux refuges, qu’une frontière opportunément franchie rendait alternativement inviolables.

De l’un, il narguait la police française et, de l’autre, il écoutait paisiblement aboyer Genève quand il avait manqué de respect à Calvin !

Mais, à mesure qu’il prenait de l’âge, sa réputation, grandissant toujours, le mettait de plus en plus à l’abri des désagréments de sa jeunesse.

On lui avait donné le titre honorifique d’« historiographe de France ». Rien n’attire la considération comme un titre officiel et dont la signification échappe au vulgaire. Sa notoriété s’en était trouvée empreinte de plus de respectabilité. Et puis, ayant passé sa vie à combattre, il avait su se rendre redoutable. On craignait les traits mordants de son terrible esprit.

Et rien ne contribue davantage à assurer à un homme le respect de ses semblables que la crainte qu’il leur inspire.

 

La crainte, la fortune, les relations, Voltaire avait su cumuler et mettre à sa merci ces trois incomparables moyens d’action, les plus puissants dont un homme puisse disposer.

Ajoutez-y les plaisirs et les réceptions, – car on menait joyeuse vie à Ferney.

Il y avait fait bâtir un joli théâtre, nous dit-il dans ses Mémoires, et il jouait quelquefois lui-même avec sa nièce, Mme Denis, qui possédait supérieurement le talent de la déclamation. Les acteurs les plus en renom lui donnaient la réplique. On accourait de vingt lieues à la ronde pour les entendre.

On venait même en joyeuse bande de Paris.

Le « patriarche de Ferney » donnait l’hospitalité à tout le monde, et il y eut, plus d’une fois, des soupers de cent couverts et des bals où l’on n’engendrait pas la mélancolie.

Ses relations épistolaires n’étaient pas moins actives.

De Ferney « le roi Voltaire », comme l’appelle Arsène Houssaye, exerçait sa dictature intellectuelle sur toute l’Europe.

Il était en correspondance habituelle avec Frédéric le Grand et avec Catherine de Russie ; il était conseiller des princes et des ministres, en relations personnelles, et très étroites, avec Choiseul, Maupeou, Turgot, pour ne nommer que ceux-là.

Étonnez-vous donc que son crédit ait été immense et que la prodigieuse fécondité de son esprit lui ait permis de diriger véritablement la marche de son siècle.

Ces honneurs ne l’avaient cependant pas désarmé. Si, avec l’âge et la situation, l’expression de ses idées avait perdu sa virulence, les idées étaient restées les mêmes.

Après avoir été le

 

                Bedeau du temple de Cythère,
                Du Christ le terrible adversaire...

 

après avoir

 

                Offert à la Pompadour
                Sa vieille eau bénite de cour... ;

 

il vivait à Ferney, puissant admiré, célèbre et redouté.

C’était toujours la lutte contre le christianisme, contre les Parlements, contre l’intolérance.

Je vous laisse à penser, étant données ces tendances, dans quelles dispositions d’esprit et avec quel puissant intérêt il devait écouter le récit encore tout vibrant d’indignation sincère que vient lui faire Dominique Audibert.

Musset nous dirait qu’un très doux sourire voltigea alors sur ses traits décharnés.

N’était-ce pas là l’occasion tant attendue de lui, l’occasion favorable entre toutes de marcher à fond contre le fanatisme religieux et l’autorité des Parlements, sans, cependant, qu’on puisse dire que c’était là le but qu’il poursuivait, et, sans avoir à heurter de front ces redoutables puissances du siècle ?

Cette graine, jetée par Audibert en si bon terrain, ne pouvait que germer, croître et se développer.

 

Et de fait, sans plus attendre, Voltaire entre aussitôt en campagne.

Dès le 25 mars, le soir même de la visite d’Audibert, il écrit au cardinal de Bernis :

« Oserai-je supplier votre Éminence de me dire ce que je dois penser de l’aventure affreuse de ce Calas, roué à Toulouse pour avoir tué son fils ? C’est qu’on prétend ici qu’il est très innocent. On prétend que trois juges ont protesté contre cet arrêt : cette aventure me tient au cœur. »

Le cardinal de Bernis lui répond :

« Je ne crois pas un protestant plus capable d’un crime atroce qu’un catholique ; mais je ne crois pas non plus, sans preuves démonstratives, que des magistrats s’entendent pour faire une horrible injustice. »

Cette réponse prudente ne pouvait point tirer Voltaire de son doute.

Il écrit en Languedoc. Mais les renseignements qu’il en reçoit sont moins encourageants encore.

« Catholiques et protestants, avoue-t-il à Damilaville, me répondirent qu’il ne fallait point douter du crime de Calas ; tous me conseillèrent, unanimement, de ne point me mêler d’une si mauvaise affaire ; tout le monde me condamna, et je persistai. »

Il persiste si bien que, malgré les réponses négatives, sa conviction s’affirme de plus en plus dans le sens de l’innocence de Calas, du fanatisme et de la partialité des juges. Il y veut croire, quand même, car c’est ce qu’il désire pouvoir démontrer.

À tel point que, le 4 avril (il n’a encore reçu à cette date aucun renseignement qui vienne confirmer le récit d’Audibert, qui est du 25 mars), il écrit à Damilaville :

« Il est avéré que les juges toulousains ont roué le plus innocent des hommes. Jamais, depuis la Saint-Barthélemy, rien n’a tant déshonoré la nature humaine. Criez et qu’on crie ! »

Il est, cependant, tellement peu fixé lui-même que, dix jours après avoir assuré Damilaville de l’intolérance criminelle des magistrats toulousains, il écrit, le 15 avril, des Délices, à Mlle X... :

« Il est vrai, mademoiselle, que j’ai demandé à M. de Chazelles des éclaircissements sur l’aventure horrible des Calas... J’ai rendu compte à M. de Chazelles des sentiments et des clameurs de tous les étrangers dont je suis environné ; mais je ne puis lui avoir parlé de mon opinion sur cette affaire, puisque je n’en ai aucune. »

Il n’en a aucune ? Mais il a lancé à tous ses fidèles l’ordre de bataille : « Criez et qu’on crie ! »

Car c’est là le moyen dont il compte se servir : il va tout faire pour déclencher le puissant et aveugle levier de l’opinion publique !

Il y revient sans cesse, à ce mot d’ordre, il le fait passer à tous ses intimes sur le zèle de qui il sait pouvoir compter.

Il écrit à d’Argental :

« Je n’ai d’espoir que dans le cri public. Je crois qu’il faut que MM. de Beaumont et Mallard fassent brailler en notre faveur tout l’ordre des avocats, et que, de bouche en bouche, on fasse tinter les oreilles du chancelier, qu’on ne lui laisse ni repos ni trêve, qu’on lui crie toujours : Calas ! Calas ! »

Le 8 juillet 1762, il envoie encore à Damilaville cette exhortation pressante :

« Criez, je vous en prie, et faites crier. Il n’y a que le cri public qui puisse nous obtenir justice. »

Ainsi, tous ses amis ont la mission de crier et de faire crier. Mais lui, de son côté, ne reste pas inactif !

Car il n’a encore aucune pièce du procès, aucun témoin, rien qui lui permette d’agir en justice comme il a déjà commencé d’agir sur l’opinion.

Il faut donc constituer un dossier. Et il ne peut s’en charger tout seul. Il a bien, il est vrai, quelques vagues notions juridiques, car son père, jadis, pour le dissuader de faire de la littérature, – ce qu’il estimait être « l’état d’un homme qui veut être inutile à la société et qui veut mourir de faim », – lui avait fait faire son droit et un stage dans une étude d’avoué.

Mais il a besoin, cependant, de s’entourer d’aides et de conseils.

Il établit donc, à Genève, un Comité consultatif composé du ministre protestant Mouton, le plus enragé des partisans de Calas, de l’avocat de Végobre, protestant émigré de Tronchin, son docteur, et du banquier Cathala.

Ces conseillers, dont l’ardeur est égale à la sienne, sont spécialement chargés de la chasse aux documents.

Ils recueillent les témoignages favorables et font venir les pièces du dossier de Toulouse.

Donat Calas, qui s’est réfugié en Suisse, est mandé par Voltaire auprès de lui. Et c’est en son nom que vont paraître les nombreux tracts et mémoires rédigés par Voltaire.

Ces brochures de propagande, imprimées en Suisse, Voltaire charge ses amis les encyclopédistes de les répandre à profusion.

« Il faut, dit-il à d’Alembert, qu’on les répande partout, qu’on en inonde Paris, que tout le public soit au fait de cette horrible aventure. »

En même temps, il agit et fait agir auprès des gens de cour. Il écrit à la duchesse d’Enville, au duc de Richelieu, à la comtesse d’Egmont, au président de Brosses.

Dès qu’il voit que l’affaire commence à prendre une tournure favorable, il ne prend plus la peine de cacher à ses intimes son allégresse, en même temps qu’il leur dévoile les véritables mobiles de son intervention :

« Il me sera bien doux, écrit-il à d’Argental, de gagner ce procès contre les Pénitents Blancs. »

Il écrit, d’une manière encore plus explicite, le 15 septembre 1762, à d’Alembert :

« Ces mémoires pour Calas ne sont faits que pour préparer les esprits et avoir le plaisir de rendre un Parlement et des Pénitents Blancs exécrables et ridicules ! »

Il y revient encore le 28 novembre, en lui recommandant la veuve de Calas, qui vient d’arriver à Paris :

« Protégez, mon frère, tant que vous pourrez, la veuve Calas. C’est une huguenote imbécile : mais son mari a été victime des Pénitents Blancs. Il importe au genre humain que les fanatiques soient confondus.

« Oh ! mes frères ! combattons l’infâme jusqu’au dernier soupir ! »

 

Ainsi donc, nous en retenons l’aveu sous sa plume même : c’était la lutte contre « l’infâme » le véritable mobile qui donnait tant d’ardeur au défenseur de Calas.

On admirait sa générosité ; il avait aussi la satisfaction d’assouvir ses haines personnelles.

Tant d’efforts ne devaient pas rester stériles.

La consigne : « Criez et faites crier ! » portait déjà ses fruits.

Un écrivain de la valeur de Voltaire n’entreprend pas inutilement de secouer l’opinion publique.

Faites appel à l’indignation populaire en répétant inlassablement, même sans preuves, qu’une injustice affreuse a été commise, et vous trouverez toujours des gens de bonne foi pour vous suivre.

Et l’exemple de ces convaincus en entraînera bientôt d’autres à leur suite.

Ainsi, la cohorte des défenseurs de Calas allait grossissant. La clameur populaire montait, s’enflait, commençait à émouvoir le pouvoir.

N’avons-nous pas vu de la sorte, plus d’un siècle plus tard, un écrivain notoire, dans une affaire qui passionnait aussi l’opinion, en partie pour les mêmes raisons d’ordre confessionnel, de clan et de mystère, s’attaquer, avec une véhémence éloquente, à la juridiction des Conseils de guerre et entraîner à sa suite une foule d’honnêtes gens que cet appel public à leur conscience avait fait sortir de leur réserve coutumière ?

Éternel recommencement des choses d’ici-bas ! Toutes les fois qu’une question religieuse se mêle à une affaire judiciaire, la vérité en est obscurcie et l’action de la Justice entravée ou faussée.

L’Europe entière commençait à s’émouvoir à la voix de Voltaire et prenait parti pour Calas.

Frédéric de Prusse et Catherine de Russie envoyèrent à Voltaire des sommes considérables pour l’aider à obtenir la réhabilitation. Des souscriptions furent ouvertes en Angleterre et en Hollande au profit des Calas.

C’est que toute cette campagne d’opinion coûtait très cher. Il fallait payer les pièces de l’instruction qu’on avait fait venir de Toulouse, payer le voyage des témoins favorables, entamer l’instance régulière devant le Conseil du roi; enfin et surtout, réimprimer sans cesse d’innombrables exemplaires du mémoire pour Calas dont on inondait la France et l’Europe.

Voltaire ne se souciait pas d’assumer seul tous ces frais. Il estimait avoir déjà suffisamment payé de sa personne en mettant sa plume au service de cette cause et en rédigeant lui-même le mémoire pour Calas.

Il y avait déployé toutes les ressources de son esprit le plus souple et de son éloquence la plus persuasive, mais il y montrait bien plus de souci de convaincre que de respecter la vérité.

Il commençait par y présenter Donat Calas, qui avait alors vingt-trois ans, étant né le 11 octobre 1739, comme un jeune Éliacin plein de candeur et d’autant plus touchant qu’il assumait seul la défense de son père, de sa mère et de son frère.

Le mémoire retraçait d’abord de la vie de famille des Calas un tableau idyllique : l’harmonie la plus complète, l’union, la tendresse la plus touchante, l’égalité d’humeur et la tolérance la plus sage ne cessaient d’y régner.

La preuve en était : la présence à ce foyer d’une vieille domestique catholique et la pension versée au frère converti (nous avons vu ce qu’il fallait en penser).

Il retraçait ensuite les circonstances du drame, en ayant soin de dire, d’abord, que Marc-Antoine ne songeait nullement à se faire catholique ; qu’il nourrissait, depuis longtemps, son tragique projet, hanté sans cesse par l’idée de la mort et du suicide, connaissant par cœur le fameux monologue d’Hamlet.

Il ne dit pas un mot des objections matérielles de David de Beaudriguez.

En revanche, il présente le père Calas comme un vieillard débile de soixante-huit ans ; Marc-Antoine comme l’homme le plus robuste de la contrée.

« Aucun des indices trompeurs sur lesquels il a été jugé ne peut balancer, dit-il, cette impossibilité physique. »

Enfin, il s’étend complaisamment sur le rôle odieux des Pénitents Blancs et répand le bruit que la moitié des juges faisait partie de cette confrérie.

 

Pour le public qui ne connaissait pas l’affaire, qui ne pouvait pas la connaître autrement que par ce mémoire habilement présenté, l’innocence de Calas ne pouvait faire de doute.

En même temps, la correspondance de Voltaire continuait à s’occuper de cette affaire avec la même activité insinuante, habile, variant ses effets suivant les destinataires.

À l’un, il disait :

– J’ai des preuves certaines que ce malheureux n’avait nulle envie de se faire catholique.

« Et vous avez vu que c’est le contraire qui est certain. »

À l’autre, il écrivait :

« Cette affaire, où je suis fort trompé, est un reste de l’esprit de croisade contre les Albigeois ! »

À un troisième, il protestait de sa bonne foi :

– Je fais œuvre d’historien... Si je m’intéresse tant à cette affaire, c’est que je vois tous les étrangers indignés, c’est que tous vos officiers suisses protestants disent qu’ils ne combattent plus de grand cœur pour une nation qui fait rouer leur frère sans aucune preuve.

À un autre encore, il déclare :

« On ne sait pas quel effet cela produit. Nous devenons l’horreur et le mépris de l’Europe, j’en suis fâché. Il est important, pour l’honneur de la France, que le jugement de Toulouse soit ou confirmé ou condamné. »

Ainsi, toute cette agitation qui est son œuvre, qu’il a su si habilement créer lui-même de toutes pièces, lui devient un argument patriotique en faveur de la révision.

Vous le voyez, c’est la propagande-protée, changeant de forme sans cesse suivant l’interlocuteur, insinuante et diverse, toujours convaincante.

Elle pénétrait partout, enlevait toutes les convictions, et c’est au point que l’on put voir cette chose qui semblait invraisemblable et paradoxale : l’alliance de Voltaire et de la Sœur Anne-Julie, dame de la Visitation, visitandine fort influente par sa parenté avec le chancelier de Maupeou, unissant leurs efforts pour faire réhabiliter Calas.

Enfin, tout étant prêt, Voltaire chargea Mariette et Élie de Beaumont, avocats plus connus par leur libéralisme que par leur talent, de rédiger un mémoire pour le Conseil du roi qui, seul, avait qualité pour casser les arrêts des Parlements.

Ces deux avocats rédigèrent chacun un mémoire que Voltaire couvrit d’éloges hyperboliques… après avoir pris soin de les retoucher fortement et de corriger les erreurs qui s’y étaient glissées.

Cette fois, le grand assaut allait être donné. Voltaire, pour préparer le terrain, écrit au premier président d’Auriac, au duc de Villars, à la duchesse d’Enville, au maréchal de Richelieu, afin qu’ils interviennent en faveur de la cassation, auprès de M. le chancelier de Saint-Florentin.

Dès que les juges sont nommés, Voltaire les fait pressentir en sa faveur.

Il écrit à d’Argental :

« Il en est de la Justice comme du ciel : Violenti rapiunt illud. Il faut faire solliciter les magistrats fort et longtemps, matin et soir, par leurs amis, leurs parents, leurs confesseurs, leurs maîtresses. »

Grimm raconte que Louis XV lui-même s’était intéressé à Calas et, comme on lui disait : « Les juges ont pu se tromper, il n’est si bon cheval qui ne bronche », le roi aurait répondu :

– Ce n’est pas un juge, c’est tout le Parlement de Toulouse qui s’est trompé. J’admets qu’un cheval bronche, mais pas toute une écurie.

 

Cette conspiration devait aboutir.

Le 1er mars 1763, le bureau des cassations au Conseil jugea la requête admissible.

Après quinze mois, l’arrêt de cassation fut prononcé par le Conseil du roi, – le résultat ne faisait plus de doute.

Enfin, le 9 mars 1765, trois ans jour par jour après la condamnation, Calas était solennellement réhabilité par le Parlement de Paris.

Voltaire pleura de joie en apprenant sa victoire. Et il put dire, dans un cri de triomphe, ce mot qui donne la mesure exacte de la valeur juridique de cet arrêt :

– Il avait été prononcé par le public longtemps avant qu’il pût être signé par le Conseil.

La campagne de Voltaire pour Calas avait fait une victime assez inattendue en la personne du capitoul David de Beaudriguez, qui se vit mettre en disgrâce, révoquer de ses fonctions et se suicida.

Son nom devait rester honni du peuple au point que la Révolution décapita, en 1793, son infortuné petit-fils, uniquement parce qu’il était le dernier descendant de celui que la légende rendait responsable de la mort de Calas.

Voilà un innocent dont personne ne se leva pour demander la réhabilitation, bien que ses juges aient apporté moins de formes à sa condamnation que le Parlement de Toulouse de 1762.

Rencontre particulièrement piquante : la Révolution, qui guillotina sans raison le petit-fils du capitoul de Beaudriguez faisait transporter au Panthéon les cendres de l’auteur du Traité de Tolérance.

Ainsi, parfois, les idées lancées par les grands penseurs ont de ces ricochets lointains, dont l’ironie cruelle eût bien déconcerté ceux qui en furent les auteurs.

 

Mais ces considérations... lointaines ne doivent pas nous empêcher de donner à Voltaire le tribut d’admiration qu’il a mérité dans cette affaire par son habileté et par le dévouement dont il a fait preuve.

Par là, il a prouvé que son père n’avait point tout à fait tort lorsqu’il voulait faire de lui un avocat.

Nul doute qu’il ne se fût montré parfaitement apte à remplir cette profession d’une manière éminente.

Pourtant, il est plus juste de dire qu’il s’est comporté, en l’occurrence, beaucoup moins comme un avocat que comme un polémiste.

Il a réussi, avant la lettre, le modèle des campagnes de presse.

Et il s’est montré, dans tout le cours de cette affaire, le plus passionné et le plus habile des journalistes.

Il savait doser son indignation avec un sens critique d’une clairvoyante lucidité.

« Vous avez trouvé mon dernier mémoire pour Calas trop chaud, écrivait-il à Tronchin ; je vous en prépare un autre au bain-marie. »

Et il disait encore au même :

– Nous avons une viande crue pour les étrangers ; ce mémoire-ci est pour la France, et au bain-marie.

Nous aimerions plus de fougue et moins d’adresse, plus de sincérité et moins de sens de l’opportunité.

Ce qui nous retient d’admirer sans réserves son habileté, c’est précisément qu’il en a trop déployé.

C’est surtout que Calas et sa réhabilitation n’ont été pour lui qu’un moyen de servir ses propres idées et non le but réel de ses efforts.

Mais ne soyons pas trop difficiles.

Aussi bien, toute vérité est-elle relative et, avec le recul du temps, l’histoire importe moins à la réputation d’un homme que la légende.

La légende aux mille bouches a répété, depuis un siècle et demi : « Voltaire, le défenseur, le sauveur des Calas ».

C’est ainsi que l’acclamait Paris lorsqu’il y vint en triomphateur à la fin de sa vie.

Ce beau titre de « défenseur des Calas » est et restera accolé à son nom d’une manière indissoluble, malgré les travaux savants et peu lus de quelques rares érudits qui ont démontré qu’en défendant Calas, c’était ses idées surtout qu’il prétendait faire triompher.

Il n’en gardera pas moins sa réputation, et c’est très naturel, en somme, puisque les réputations sont faites de l’opinion du plus grand nombre, et que le plus grand nombre juge sur les apparences.

Voltaire restera donc le défenseur des opprimés, le champion de la justice qui a triomphé du fanatisme et de l’intolérance.

Ses adversaires mêmes continueront de lui faire gloire de son généreux désintéressement, en répétant avec lui ce vers, qu’il s’appliquait si modestement à lui-même :

 

                J’ai fait un peu de bien : c’est mon meilleur ouvrage !

 

 

 

 

HENRI-ROBERT, Les grands procès de l’histoire,
Payot, Paris, 1931.

 

 

 

 

 

 

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