Préface du Petit catéchisme liturgique
de l’abbé Henri Dutilliet
par
Joris-Karl HUYSMANS
QUE les gens qui ne pratiquent pas la religion catholique ignorent le langage, le costume, le geste, toute la symbolique de l’Église, cela se conçoit, mais ce qui est surprenant c’est que tant de fidèles, assidus aux offices, ne connaissent ni le sens détaillé des cérémonies qu’ils regardent, ni la signification des paroles et des chants qu’ils écoutent, ni même l’acception des divers ornements et des différentes couleurs dont le prêtre se sert, suivant les jours.
Combien en effet de pieuses personnes auxquelles vous demanderez, par exemple, pourquoi le « Gloria in excelsis Deo » est supprimé dans la messe qu’elles viennent d’entendre ou pourquoi le prêtre porte, à certains moments de l’année, une chasuble verte, vous répondront, en ouvrant de grands yeux, qu’elles n’en savent rien ; combien même sont capables de saisir, d’expliquer telle ou telle attitude de l’officiant alors qu’il célèbre le pacifiant mystère ; combien sont aptes à suivre, en la méditant, la marche processionnelle des prières qui précèdent la consécration et qui, après le silence prosterné des ouailles, se relèvent avec elles pour accompagner le Sauveur en le remerciant, en le glorifiant, jusqu’à la fin du sacrifice ? Peu, je le crains. En somme, on peut l’avérer, l’ignorance de la Liturgie est, chez presque tous les croyants des diocèses, complète.
Et pourtant cette question ne saurait être d’une vaine importance pour les catholiques.
Ainsi que Dom Guéranger l’a justement défini : « La Liturgie est l’ensemble des symboles, des chants et des actes au moyen desquels l’Église exprime et manifeste sa religion envers Dieu. » Ajoutons que l’ancien abbé de Solesmes la qualifie également de « prière considérée à l’état social ».
Et, en effet, après la prière individuelle, spéciale, comme celle que nous proférons chez nous ou en dehors des heures assignées, dans les chapelles, il existe la prière commune, générale, celle dont l’Église a précisé le moment et déterminé le texte. Celle-là ne doit pas être confondue avec l’autre et le catholique doit s’y associer, doit, lui aussi, la dire.
Or, s’acquitte-t-il de cette indispensable tâche celui qui, à l’église, ne sait ce que récite le prêtre dont la voix s’élève en son nom et au sien ? Je ne le crois pas. Ne peut-on dès lors prétendre que tout fidèle qui se confine dans des exorations purement privées et qui, faute d’avoir appris les rudiments nécessaires, se borne à répéter, sans y comprendre un seul mot, le texte français ou latin des offices, ne remplit qu’une partie de ses devoirs et se soustrait à l’autre ?
Puis, sans cette préalable étude, forcément les exercices souvent longs du culte sont dénués d’intérêt pour ceux qui les écoutent. De là, vient que, pendant les services, tant de personnes ont l’air indifférent ou ennuyé, que d’autres se livrent à des oraisons personnelles dont ce n’est ni le temps, ni l’heure. Et il ne saurait en être autrement. Comment, en effet, se sentir l’âme étreinte, l’âme prise par un spectacle qui n’est plus qu’oculaire, par des suppliques devenues toutes labiales ? L’on n’est pas chez soi en somme dans le sanctuaire, si l’on s’y trouve comme un étranger dans un pays dont il n’entend pas la langue.
Vraiment, ils ne soupçonnent guère le durable enchantement et la persistante émotion qu’ils éprouveraient à suivre l’au jour le jour admirable de l’Église, ceux qui, pour n’avoir pas tenté un léger effort, demeurent ignorants de la science des prières et des rites, car il faut pourtant bien qu’ils l’apprennent : il n’existe aucune monotonie dans les œuvres de notre Mère. Tout chez elle a un sens ; rien n’est laissé à l’imprévu : aucun détail, si minime qu’il soit, n’est inutile. Ah ! l’Église ! elle a su résumer des symboles entiers dans un signe, et elle a su développer aussi dans les plus amples périodes, dans les plus éloquentes proses, le moindre geste du Fils que nous ont conservé les Évangiles. Elle est immuable et elle est variée ! Voyez son Propre du Temps, la surprenante diversité de ses séquences et de ses hymnes et songez à cette possibilité qu’elle nous donne, si nous la comprenons, de vivre avec elle, minutes par minutes, la vie du Christ, de marcher à ses côtés, de devenir, si misérables que nous soyons, les compagnons diligents d’un Dieu !
Puis, n’est-elle pas, l’admirable Liturgie, l’âme des édifices consacrés qui ne seraient sans elle que des corps inanimés de pierre ? N’est-elle pas encore l’encens mélodique et le parfum vocal de l’Église même ; n’est-elle pas enfin pour Notre Seigneur l’écho de sa propre voix ?
Aussi, quelle puissance elle peut départir à nos prières, en nous prêtant, dans la plupart de ses offices, les paroles inspirées par Dieu même. Elle sait extraire du Psautier tous les accents de nos douleurs et de nos joies, de nos adorations et de nos craintes : elle sait enrober, en quelque sorte, nos souhaits personnels dans les vœux que formula pour l’humanité tout entière le Roi David ; elle nous fait parler au Tout Puissant sa langue, traduit magnifiquement nos pensées, les épure par ses moyens d’expression, exhausse, agrandit par son verbe, nos plaintes. Enfin elle touche Jésus en lui rappelant les phrases mêmes dont celui qui le préfigura dans l’Ancien Testament se servit. Et à nos oraisons ainsi présentées, s’allie, forcément, virtuellement, un amour, un respect infinis que nos suppliques particulières, énoncées selon nos seules ressources, dans notre pauvre langage, ne sauraient atteindre !
Mais alors, direz-vous, si la prière liturgique est si influente, si forte auprès de Dieu, pourquoi tant de chrétiens se privent-ils d’y participer utilement, alors qu’ils n’auraient qu’à ouvrir un livre qui les renseignerait, avant de se rendre à la Messe ou aux Vêpres ?
Ils seraient, en une seconde, instruits sur les symboles, sur le sens, sur le but des offices qu’ils vont suivre.
Ici, nous devons bien en faire l’aveu : les fidèles presque excusables de ne rien savoir ; car les volumes qui traitent de la Liturgie sont, pour la plupart, de gros livres bordés de manchettes, bourrés de renvois et de notes difficiles à comprendre pour des gens sans grande instruction et, qui plus est, ils valent fort cher.
D’autre part, les quelques abrégés qui traitent de cette science sont si indigents qu’ils ne valent même point qu’on les lise.
Ce qu’il faudrait, ce serait un petit ouvrage de format commode, coûtant très bon marché, écrit dans un style lucide et presque naïf, et contenant et expliquant par le menu, très clairement, très nettement, les cérémonies de l’Église, divulguant chacune de leurs allégories, chacun de leurs emblèmes, définissant les termes techniques, indiquant les causes et le sens des antiennes et des proses prescrites à certains jours, publiant la signification même des objets qui servent aux besoins du culte ; il faudrait, en un mot, un livre très substantiel et très court, permettant au lecteur de trouver, en une minute, la réponse aux questions qu’il voudrait résoudre.
Or, ce livre existe ; c’est celui-ci.
Je le découvris, un jour de flâne, sur les quais. J’étais las de pêcher avec mes doigts des épaves de papier dans la poussière des boîtes ; tout ce que je rapportais n’était qu’un affligeant fretin ; j’allais partir quand une plaquette enfouie sous un tas de tomes dépareillés m’attira. Elle était imprimée avec des caractères sans gloire sur un papier sans faste et elle portait ce titre : « Petit Catéchisme Liturgique » par l’abbé Henri Dutilliet.
Je l’achetai, ne comptant guère avoir profité d’une aubaine, mais réjoui par cette satisfaction que tout bouquineur éprouve lorsqu’il ne rentre pas au logis les mains vides.
Une fois installé chez moi, j’ouvris ce petit livre et, à mesure que je le lisais, je m’émerveillais de la science condensée en ses minuscules pages. Je voyais, se déroulant, en un ordre méthodique, les explications les plus complètes et les plus aisées à comprendre, même pour un enfant, de toutes les observances pieuses. Il y avait comprimée, sous un mince volume, à l’état de pâte essentielle, de pulpe, la matière d’énormes in-folios et vraiment j’admirai le travail de l’excellent prêtre qui avait osé entreprendre et réussi à mener à bonne fin une pareille tâche.
Je montrai ce catéchisme à des ecclésiastiques experts en ces questions et, eux aussi, l’admirèrent. D’autres personnes à qui j’en parlai voulurent l’acquérir ; mais il était épuisé depuis des années, introuvable.
L’auteur était mort ; l’éditeur ne possédait aucun exemplaire ; l’on ne savait à qui s’adresser pour dénicher des restes de tirage peut-être égarés dans des fonds de province ou perdus dans les étalages au rabais des villes.
En désespoir de cause, et convaincus que ce volume était appelé à rendre service aux fidèles et même aux simples curieux de la liturgie et de l’art, nous résolûmes de le faire reparaître.
La nouvelle édition que nous en donnons a été revue par le savant professeur de Liturgie et de plain-chant du séminaire de Saint-Sulpice. Il y a ajouté un petit catéchisme de plain-chant qui manquait dans les éditions précédentes et dont la nécessité s’impose, maintenant que les Bénédictins ont ressuscité cette véritable musique de l’Église, si malheureusement altérée parfois par de fausses notations et, plus malheureusement encore, si souvent remplacée, dans tant d’églises, en France, par de la musique de théâtre et des chants profanes.
Ce petit livre est donc aussi complet qu’il peut être. Tel qu’il se présente, il rue paraît, en tout cas, amplement suffire aux besoins des personnes qui, n’ayant ni le désir, ni le temps de se livrer à des études spéciales sur la Liturgie, veulent au moins être assez renseignées pour pouvoir intelligemment suivre des offices auxquels l’Église leur enjoint d’assister.
Joris-Karl HUYSMANS.
Recueilli dans Pages catholiques,
Stock, 1899.