Anglo-Saxons
par
L.-F. JEHAN DE SAINT-CLAVIEN
Plusieurs années avant son pontificat, et quand il vivait sous la règle de saint Benoît, dans son palais du Mont-Aventin, changé en monastère, un jour qu’il passait sur le forum, saint Grégoire le Grand vit en vente de jeunes esclaves étrangers, dont il admira le beau visage, le teint pur et les blonds cheveux. Et comme il s’informait de leur religion et de leur patrie, le marchand répondit que ces enfants étaient païens, et qu’ils appartenaient à la nation des Angles, en Grande-Bretagne. « Quel malheur, s’écria le serviteur de Dieu, que la grâce n’habite pas encore sous de si beaux fronts ! Car, ajouta-t-il, ces Angles sont des anges ; et tels doivent être les frères des anges dans le ciel. » Devenu pape, Grégoire se souvint des barbares aux visages d’anges ; et, par ses ordres, le moine Augustin, accompagné de quarante religieux, passa en Grande-Bretagne (Joan. Diacon., De vita S. Gregor. Magni, l. II, cap. 2).
Le christianisme n’avait pas d’ennemis plus redoutés que les Anglo-Saxons. Depuis cent quarante ans qu’ils occupaient la Bretagne, le temps n’avait pas éteint la première fureur de la conquête ; et telle était l’oppression où vivait le petit nombre de chrétiens bretons qui habitaient encore les villes romaines, qu’en 586 Théon, évêque de Londres, et Thadioc, évêque d’York, abandonnèrent leurs églises, et se réfugièrent avec les corps des saints dans les montagnes du pays de Galles. Jamais cependant le salut de l’Angleterre n’avait été plus proche. Dix ans après, quarante étrangers débarquaient dans l’île de Thanet, portant une croix d’argent avec une image peinte du Sauveur, chantant des litanies, et annonçant qu’ils venaient de Rome, chargés des promesses de la vie éternelle. Le roi Ethelbert de Kent les reçut en plein air, pour éviter les sortilèges que ces prêtres d’un autre dieu auraient pu lui jeter, les écouta avec attention, et leur permit de prêcher à son peuple. Quelque temps après, le roi, touché de leur sainte vie, décidé d’ailleurs par la reine Berthe, chrétienne et fille du roi des Francs, se rendit et demanda le baptême. Le jour de Noël de l’année 597, Augustin, sacré archevêque de Cantorbéry, baptisa dix mille infidèles. Il parcourut ensuite tout le pays, régénérant les païens dans l’eau des rivières, laissant des prêtres aux peuples convertis ; et saint Grégoire le Grand, à la nouvelle de ce succès, put s’écrier : « Voici que la langue des Bretons qui n’avait que des frémissements barbares, fait retentir les louanges du Seigneur, et répéter l’alléluia des Hébreux. Voici que l’Océan avec ses orages se courbe sous les pieds des saints, et la parole du prêtre enchaîne les flots que l’épée des empereurs n’avait pu dompter 1. »
Mais si les flots obéissaient, et si les rois barbares se laissaient fléchir, les missionnaires de Rome trouvèrent une résistance inattendue chez le clergé breton, refoulé par la conquête dans le pays de Galles. Des historiens d’une autorité considérable ont donné à la querelle d’Augustin et des Bretons l’éclat d’une grande controverse théologique. Ils représentent d’une part l’ancienne Église celtique, indépendante dans le dogme comme dans la discipline, professant, avec le Breton Pélage, un christianisme plus pur, rejetant le péché originel et la damnation ; d’un autre côté, les prêtres romains moins occupés de prêcher la foi que d’étouffer une Église rivale. Quand Augustin convoque les députés des Gallois, et leur propose de reconnaître sa mission, on leur prête cette énergique réponse : « Qu’ils ne devaient aucune obéissance à celui qui se faisait appeler le Pape et le père des pères. » On ajoute enfin que l’implacable étranger se vengea de leur refus en déchaînant contre eux le roi des Northumbres, qui tailla les Bretons en pièces à Caerléon, et noya l’Église galloise dans le sang de douze cents moines 2.
Toutefois, l’hypothèse d’une Église nationale des Celtes, sans lien avec le reste de l’Occident, ne se soutient pas mieux en Bretagne qu’en Irlande. Le clergé breton avait siégé aux conciles d’Arles et de Sardique ; il repoussait avec horreur les doctrines pélagiennes, condamnées au synode national de Vérulam. Gildas nous a montré les évêques de son pays sur le chemin de Rome, et les poétiques légendes des monastères gallois y font voir toutes les observances et toutes les croyances des peuples catholiques. La papauté se tenait si sûre de la foi des Bretons, que les instructions d’Augustin lui soumettaient en sa qualité d’archevêque métropolitain non seulement les évêques qu’il instituerait, mais ceux qu’il trouverait en Bretagne. Les envoyés de Rome avaient dû compter, là comme ailleurs, sur le concours des vaincus pour civiliser les conquérants, des vieux chrétiens pour évangéliser les infidèles. Leur correspondance atteste la vénération qu’ils portaient d’avance à cette Église galloise, dont ils avaient entendu vanter la fidélité, dont les sept évêchés, les vingt-cinq abbayes, habitées, disait-on, par des peuples saints, leur promettaient une armée de missionnaires 3.
Quand donc Augustin, avec une poignée de moines italiens, se trouva en présence de l’Angleterre païenne, il invita fraternellement les évêques et les docteurs des Bretons à s’entendre avec lui, afin de travailler ensemble à la conversion des gentils. Le vénérable Bède, historien de cette entrevue, atteste que les dissidences, loin de toucher au dogme ni au fond même de le discipline, se réduisirent à trois points : les cérémonies accessoires du baptême, la célébration de la fête de Pâques, et la prédication de l’Évangile aux barbares. Mais les Bretons refusèrent de recevoir Augustin pour archevêque, et ils en donnèrent cette raison, qu’il ne s’était point levé à leur entrée : « Or, disaient-ils, s’il nous méprise dès à présent, que sera-ce quand nous lui serons soumis ? Cependant Augustin les pressait de se joindre aux siens pour annoncer la foi aux Saxons, leur prédisant que s’ils refusaient d’éclairer cette nation, elle les en punirait un jour par les armes. Plus tard, en effet, Edelfrid, roi des Northumbres, fit un grand carnage des Gallois et de leurs moines. Mais il y avait déjà longtemps que le bienheureux Augustin avait passé à une meilleure vie. C’est le récit de Bède : l’allocution antipapale qu’on attribue aux députés du clergé breton est produite pour la première fois au XVIIe siècle par le protestant Spelman, sur la foi d’un manuscrit gallois sans date et sans auteur connu. Une autre chronique galloise du Xe siècle, postérieure de quatre cents ans, accuse des massacres de Caerléon l’envoyé de Rome, oubliant qu’il avait cessé de vivre, et qu’un roi païen, sourd à la prédication des missionnaires, n’était pas l’exécuteur naturel de leurs vengeances. Ce qui souleva les Bretons contre la mission d’Augustin, ce qui le fit repousser par leurs évêques et calomnier par leurs historiens, ce fut le ressentiment national, ce fut l’irritation d’un peuple qui ne pouvait pardonner à ces Romains d’évangéliser ses oppresseurs, par conséquent de les absoudre. Les mêmes chroniques déclarent, en effet, que « les prêtres gallois ne pouvaient croire juste de prêcher la parole de Dieu à la nation saxonne, à cette race cruelle qui avait égorgé leurs aïeux et usurpé leur terre 4.
Il se peut qu’Augustin et ses compagnons n’aient pas toujours assez ménagé l’orgueil des Bretons, exalté par une longue résistance militaire, par les traditions des moines et par les chants des bardes. Mais, derrière les missionnaires romains, il faut voir le grand esprit de saint Grégoire qui les a poussés, qui les soutient de ses exhortations, lorsque, arrivés dans les Gaules, ils s’effrayent de leur entreprise, et demandent à retourner en arrière ; qui les appuie de ses lettres auprès du clergé gaulois et des rois francs ; qui ne les abandonne point dans cet isolement où ils se voient entre les Saxons païens et les Gallois indociles, mais qui leur envoie de nouveaux auxiliaires, des livres, des ornements sacrés, des conseils enfin destinés à devenir pour les siècles suivants la règle et, pour ainsi dire, le rôde des missions chrétiennes 5.
La première maxime de cette politique si différente de celle que l’ancienne Rome avait pratiquée, c’est d’abhorrer la conquête par les armes, et de ne rien devoir qu’au libre assentiment des esprits. Saint Grégoire, qui avait fait rendre aux Juifs de Cagliari leur synagogue envahie à main armée par dus Chrétiens, qui ni souffrait pas qu’on fît violence à ce peuple, parce que Dieu demande « un sacrifice volontaire », avait appris à ses disciples à détester les conversions forcées. Voilà pourquoi, les envoyant chez les païens, il demande pour eux au roi des Francs, non des gardes, mais des interprètes. Voilà pourquoi Ethelbert converti ne contraignait personne à professer le christianisme : « Seulement il embrassait les chrétiens d’un amour plus étroit, comme ses concitoyens du royaume céleste. Car, ajoute l’historien, il avait appris des auteurs de son salut que le service du Christ doit être libre, et ne souffre pas de contrainte 6. » Ces missionnaires, si effrayés naguère de la férocité des Saxons, ne craignait pas de leur proposer, comme à des intelligences exercées, des doctrines auxquelles tout l’effort de la philosophie antique n’avait pas atteint. Ils eurent cette confiance dans la rectitude naturelle de l’esprit humain. Ils voulurent tout attendre, non de la force ni de la surprise, mais de la discussion libre. Ethelbert avait pris son temps pour s’assurer de la doctrine qu’on lui prêchait, ne pouvant, disait-il, abjurer sans examen ce qu’il avait observé depuis si longtemps, à l’exemple de ses pères et avec le concours de tout son peuple. Plus tard, quand le roi des Northumbres, Edwy, ébranlé par l’évêque Potin, penchait au christianisme, il convoqua les sages de son royaume, et, tenant conseil avec eux, il voulut savoir ce que chacun pensait d’un culte si nouveau. Il faut assister avec l’historien Bède à cette étrange conférence, il faut voir ces tueurs d’hommes tourmentés des problèmes de l’autre vie, et de l’incertitude où le paganisme, malgré toutes ses fables, laissait le dogme de l’immortalité. Le premier qui parla fut Coïffi, le grand prêtre des faux dieux : « Ô roi, dit-il, c’est à vous de juger ce qu’on nous prêche maintenant. Pour moi, je vous confesse sans détour qu’il n’y a aucune sorte de vertu dans la religion que nous avons gardée jusqu’ici ; car, de tous vos sujets, aucun ne s’est appliqué plus que moi au culte de nos dieux, et cependant il en est plusieurs qui reçoivent de vous plus de bienfaits, plus de dignités, qui réussissent mieux dans leurs desseins et dans leur espérance. C’est pourquoi si la nouvelle doctrine vous paraît meilleure après un mûr examen, nous n’avons qu’à l’embrasser sans aucune hésitation. » Alors un autre d’entre les grands prit la parole, et dit : « Ô roi, telle me paraît être la vie de l’homme sur la terre, en comparaison du temps qui la suit et dont nous ne savons rien. C’est comme en hiver, quand vous êtes assis au festin avec vos chefs et vos officiers, et qu’un grand feu allumé au milieu de la salle l’échauffe tout entière pendant qu’au dehors tout est enveloppé d’un tourbillon de neige. Alors s’il arrive qu’un passereau traverse la salle, entrant par une ouverture et sortant par l’autre, tant qu’il est dedans il n’est point battu par l’orage ; mais, après un court intervalle de sérénité, il disparaît, passant de la tempête à la tempête. Telle est la vie humaine, dont nous voyons un court moment ; mais nous ignorons ce qui la précède et ce qui la suit. C’est pourquoi, si cette doctrine nouvelle vient nous apprendre quelque chose de plus certain, il semble qu’il faudra la suivre 7. » Les autres conseillers du roi et les vieillards tinrent des discours semblables. Ensuite l’évêque Paulin parla ; et tous ayant reconnu que la vérité éclatait dans sa doctrine, le roi demanda qui se chargerait de profaner les autels, le temple, et l’enceinte qui les environnaient. Aussitôt Coïffi, renonçant à toute superstition, se fit donner des armes et l’étalon que le roi montait ; et, violant ainsi la loi païenne qui défendait les armes aux prêtres des Saxons, il s’élança vers le temple, et jeta sa lance pour le profaner. Puis, tout joyeux d’avoir reconnu le vrai Dieu, il ordonna à ses compagnons de brûler le temple et d’en détruire l’enceinte.
Pendant que les convertis brûlaient leurs temples, c’était saint Grégoire qui ordonnait de les conserver. Comme il voulait les conversions sans contrainte, il les voulait aussi sans rupture avec les habitudes légitimes de l’esprit et du cœur. Il pratiquait cette économie savante de l’Église, qui ne méprise aucune des facultés humaines, qui ménage les imaginations pour s’assurer des consciences. C’est la pensée d’une lettre du pontife au moine Mellitus, au moment où celui-ci venait de quitter Rome pour conduire à Augustin un renfort de missionnaires : « Après le départ de vos frères, nous sommes restés dans une grande inquiétude, car nous n’avons rien appris du succès de votre voyage. Mais quand le Dieu tout-puissant vous aura conduit auprès de notre révérendissime frère l’évêque Augustin, communiquez-lui ce que j’ai résolu après avoir longuement réfléchi sur l’affaire des Angles ; c’est-à-dire que les temples de leurs idoles ne doivent point être détruits, mais seulement les idoles qui s’y trouvent. Qu’on fasse de l’eau bénite, que les temples en soient arrosés ; qu’on y élève des autels, et qu’on y place des reliques. Car si ces édifices sont bien construits, il faut les faire passer du culte des idoles au service du vrai Dieu, afin que ce peuple, ne voyant pas abattre ses temples, se convertisse plus aisément, et qu’après avoir confessé le vrai Dieu, il s’assemble plus volontiers pour l’adorer dans les lieux qu’il connaît déjà. Et comme ils ont l’habitude, dans les fêtes des démons, d’immoler beaucoup de bœufs, il faut aussi instituer quelque autre solennité à la place de celle-ci. Par exemple, le jour de la Dédicace des églises, le peuple pourra se faire des huttes de feuillage autour de ces temples changés en sanctuaire du Christ, et célébrer la fête par un banquet fraternel. Alors ils n’immoleront plus les animaux au démon : ils les tueront seulement pour s’en nourrir en glorifiant Dieu, et ils rendront grâces au dispensateur de toutes choses ; de sorte que si on leur permet encore quelques joies extérieures, ils puissent goûter plus facilement les joies de l’esprit. Car il est impossible de tout retrancher d’un seul coup à des âmes sauvages ; et celui qui veut atteindre un lieu élevé n’y « arrive que pas à pas, et non par élans ». On a blâmé la condescendance de saint Grégoire pour les Anglo-Saxons ; on lui reproche d’avoir corrompu la sévérité de la loi chrétienne en l’accommodant à leurs superstitions, et d’avoir ouvert la porte du sanctuaire au paganisme. L’Église romaine, en effet, s’était attachée à cette règle, de distinguer dans le paganisme deux choses : l’erreur, qui est l’adoration de la créature ; et la vérité, qui est l’essence même de la religion, telle que la nature humaine la conçoit et la veut, avec les temples, les sacerdoces, les sacrifices. En respectant les habitudes religieuses des peuples, l’Église faisait acte de sagesse premièrement, mais aussi de charité. Car s’il est quelque chose à quoi les hommes tiennent plus qu’à la terre qui les nourrit, plus qu’aux enfants qu’ils élèvent sur leurs genoux, ce sont les traditions qui consacrent pour eux le sol du pays, et les fêtes qui les arrachent un moment aux durs et monotones devoirs de la vie 8.
L.-F. JEHAN DE SAINT-CLAVIEN,
Dictionnaire des controverses historiques,
Troisième et dernière Encyclopédie théologique
publiée par M. l’Abbé Migne, 1866.
1 Règle, Historia Ecclesiastica, I, 23 et seqq. Joannes diaconus, lib. II, 3 seqq. ; S. Gregor., In Iob. : « Ecce lingua Britanniæ, quæ nihil aliud noverat quam barbarum frendere, jamdudum in divinis laudibus hebræum cœpit Alleluia resonare. Ecce quondam tumidus, plane substratus sanctorum pedibus servit Oceanus, etc. »
2 Hugues, Horæ Britannicæ, p. 364. Rettberg t. I, p. 317. Augustin Thierry, Conquête de l’Angleterre par les Normands, tome I. M. Mignet, dans son excellent mémoire sur la conversion de la Germanie, a su éviter cette erreur.
3 Varin, De la répugnance des Bretons à reconnaître la suprématie de Rome. C’est un chapitre détaché des savantes études que M. Varin a communiquées à l’académie des inscriptions, et dont la publication promet de jeter un jour nouveau sur les origines des Églises britanniques. – La lettre des trois compagnons d’Augustin sur les dispositions du clergé breton, est rapportée dans Labbe, Concil., edit. Venet., t. VI, et dans Usserius, De Primordiis, etc., p. 486. Sur les croyances et les pratiques de l’Église Bretonne, le témoignage de Gildas est si formel, que M. Wright (Biographia Britannica, t. I) a cru devoir le décliner en niant l’existence de Gildas, et en regardant ses ouvrages comme l’œuvre de quelque moine anglo-saxon du VIIe siècle. Mais toute la saine critique est contraire à l’opinion de Wright, et le savant Lappenberg (Geschichte der Angelsachsen, XXXIII, 135) ne le partage pas. – Williams, Ecclesiastical antiquities of the Cyrury, p. 127. Un poème du barde Tyssilio, publié dans l’archéologie de Myvyr, t. I, p. 163, prouve que les veilles sacrées, le chant des heures canoniques, la confession, la pénitence, la fréquentation de la sainte Eucharistie, entraient dans les coutumes et dans les règles des monastères bretons. Que la liturgie y fut célébrée en langue latine, c’est ce qui résulte du grand nombre de mots latins empruntés à la langue de l’Église, qu’on trouve dans les poèmes du barde Thaliésin. Je dois à l’obligeance et au savoir de M. de la Villemarqué la communication de plusieurs fragments de ce poème, où je remarque, au milieu des souvenirs du druidisme, ces invocations chrétiennes : Gloria in excelsis, Laudatun, laudate Jesum, Miserere mei, Deus. Voyez enfin le Liber Landavensis, recueil de légendes des saints gallois, du Ve et du VIe siècle, pages 65, 75 et suivantes, et Regula S. Davidis, apud Bolland., Acta SS. Martii 1.
La dissidence capitale, qui portait sur la célébration de la fête de Pâques, venait précisément de l’attachement des Bretons à l’ancien usage romain. Rome elle-même leur avait appris à célébrer les solennités pascales à l’époque fixée par le concile de Nicée, et qu’elle observa jusqu’au temps de saint Léon le Grand. Alors seulement l’Occident adopta le cycle Alexandrin de 19 ans. Mais l’invasion avait rompu toutes les relations avec la Bretagne ; et quand Augustin y porta un comput ecclésiastique plus exact, on comprend que cette nouveauté fut repoussée, comme une dérogation aux premières traditions romaines.
4 Bède, Hist. Eccles., l. II, 2. Voici la proposition d’Augustin : « Si in tribus his mihi obtemperare vultis, ut Pascha suo tempore celebretis, ut ministerium baptizandi quo Deo renascimur, juxta morem S. Romanae Ecclesiae compleatis, ut genti Anglorum una nobiscum praedicetis verbum Domini, caetera quae agius, quanquam moribus nostris contraria, aequanimiter cuncta tolerabimus. At illi nihil borum se fracturos respondebant, conferentes as invicem quod si modo nobis adsnigere noluit, quanto magis si ei subdui coeperimusm jam nos pio nihilocontemnet. » La vie de saint Livin, attribuée à saint Boniface, mais qui est assurément très ancienne, fait voir saint Augustin en rapport d’étroite amitié avec le clergé et les rois d’Irlande. Quel que soit le mérite de ce document, il vaut assurément la chronique galloise du Xe siècle alléguée par M. Thierry, et surtout le prétendu discours du clergé breton, produit pour la première fois par Spelman. Concilia Britanniae, I, p. 108. L’Archéologie de Myvyr a recueilli les chroniques qui attribuent à Danand, abbé de Bangor Iscoed, cette déclaration : qu’il ne pouvait croire juste de prêcher l’évangile aux barbares. Cf. Williams, Ecclesiast. Antiquities, p. 55 et suivantes. – Les écrivains auxquels nous répondons ont voulu que la phrase de Bède, qui déclare le massacre de Caerléon postérieur à la mort d’Augustin, fut interpolée. Mais on ne donne aucune preuve de cette interpolation.
5 Bède, Hist. eccles., lib. I et II. S. Greg. Epist., lib. VI, 56, 58; XI, 29, 64, 65, 66. 76. Saint Boniface, engagé dans ses missions de Thuringe, prie ses frères d’Angleterre de lui envoyer une copie des lettres de saint Grégoire à Augustin.
6 S. Greg., epist. lib. VII, ep. 5. Bède, Hist. eccles. lib. 1 : « Didicerat enim a doctoribus auctoribusque suae salutis servitium Christi voluntarium non coactinium debere esse. » Ibid. : « Pulchra quidem sunt ea verba et promissa quae affertis : sed quia nova sunt et incerta, non possum eis assensum tribuere, relictis eis quae tanto tempore cum omni gente Anglorum servavi. »
7 Bède, Hist. eccles., lib. II, cap. 13 : « Talis inquiens mihi videtur, rex, vita huminum praesens in terris, ad comparationem ejus quod nobis incertum est temporis, quale cum te residente ad coenam cum ducibus ac ministris tuis tempore brumali accenso quidem foco in medio et calido efferto coenaculo, forentibus etiam foris per omnia turbinibus... adveniensque unus passerum domum eitissime pervolarit, qui cum per unum ostium ingrediens mox per aliud exierit... sed tamen minimo spatio serenitatis ad momentum excurso, mox de bieme in biemem regrediens tuis oculis elabitur. Ita haec vita hominum ad modicum apparet, quod autem sequatur quidve praecesserit, prorsus ignoramus. »
8 S. Greg., Epist., lib. XI, 76 : « Nam duris mentibus simul omnia abscidere impossibile esse non est dubium. » Hughes, Horae Britannicae, 260, dénonce la lettre de saint Grégoire à Mellitus comme le commencement des capitulations de conscience. M. Mignet, au contraire (sur l’Introduction de l’ancienne Germanie dans la société civilisée, p. 18), loue la profonde sagesse de cette conduite.