Saint Athanase

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Marcel JOUHANDEAU

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Saint Athanase est une pierre d’angle de l’édifice chrétien. Il y avait en lui quelque chose de l’athlète hellénique. Peu d’hommes se sont battus avec plus de courage et ont eu moins que lui de penchant à renoncer à la victoire. Il ferme l’ère des martyrs et ouvre celle des politiques et des docteurs. Il a su tour à tour se concilier les puissances de ce monde, traiter avec elles ou leur résister avec fureur. Il a donné au dogme essentiel du christianisme son expression la plus simple, la plus parfaite. Après lui, on saura de quoi l’on discute, parce que les termes du problème, il les a définis avec précision. Désormais, il sera impossible d’y revenir, de les retoucher.

C’est à travers lui que l’on peut le mieux connaître Arius, dont il ne reste pas une ligne. Peut-être serait-il permis de rendre grâce même à cet hérésiarque d’envergure qui a suscité le concile où Athanase s’est révélé. Sans Arius, Athanase n’aurait pas eu l’occasion d’exposer aussi clairement ce qui est le fondement de la Foi. On ne saurait douter en effet que le rôle d’Athanase n’ait été capital dans l’élaboration du symbole de Nicée, auquel, depuis le IVe siècle, l’Église a donné une place de choix dans la liturgie de la Messe. Malgré son jeune âge et bien qu’il fût seulement le secrétaire d’Alexandre, archevêque d’Alexandrie, aucun évêque du temps n’ayant une culture et un talent comparables à ceux d’Athanase, on est autorisé à penser que l’on dut recourir tout particulièrement à ses lumières pour la rédaction d’un Credo, qui devait assurer l’unité du monde catholique.

Peu de vies ont été plus mouvementées que la sienne. Il fut quarante-cinq ans, de 328 à 373, archevêque d’Alexandrie et il en fut banni cinq fois ; il passa vingt ans hors de son diocèse, où enfin il put mourir dans son lit. Exilé par Constantin, proscrit, après avoir été chassé de son église tragiquement, ignominieusement, sur l’ordre de Constance, il fut poursuivi par Julien, persécuté par Valens. Il a essuyé toutes les sortes d’injures, de vexations ; il eut à se défendre contre les pires accusations, celles de trahison, d’assassinat, de péculat, de sacrilège. Il a su échapper à tous les pièges, se terrer et se taire avec prudence, quand il le fallait, tantôt perdu dans les déserts de la Thébaïde, tantôt enfermé dans les prisons de Trêves, tournant toutes ses peines à son propre enseignement et à son avancement spirituel. Ce qui ressort de sa vie, c’est qu’il n’a jamais consenti à la perdre inutilement, je veux dire qu’il a comme refusé de mourir, avant d’avoir triomphé de ses ennemis et surtout avant d’avoir fait sur leurs erreurs triompher la Vérité, qui lui importait plus que lui-même.

 

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Ses premiers écrits étaient dirigés contre le polythéisme. Il s’appliqua d’abord à faire descendre l’un après l’autre de leur socle tous les dieux, en expliquant humainement l’origine du culte qu’on leur rendait, disons, de leur apothéose.

Ensuite, de passer à l’œuvre constructive qui est celle du théologien. Dans ses trois ouvrages : Exposition de la Foi, Apologie et Discours contre les Ariens, il pose le principe de ce qui est la raison d’être du christianisme, de ce qui fait l’originalité de notre religion en face du judaïsme et du paganisme et de tout théisme fondé sur une quelconque idéologie. Il établit d’abord le dogme de la Trinité, puis celui de l’Incarnation. De la consubstantialité du Verbe avec le Père, il passe à l’union hypostatique du Verbe et de la personne de Jésus. Ainsi, le Christ ayant pris place au cœur de la Divinité, le Fils de Marie étant Dieu, par Lui dont la nature est la nôtre, l’espèce humaine est admise à un accès au divin qui n’aura de limites que celles de notre indignité.

Toute une partie de l’œuvre d’Athanase a été perdue, celle de l’homme de combat, ses libelles, ses pamphlets, ses plaidoyers pro domo, ses réquisitoires contre des ennemis déclarés, mais nous tenons de sa main un chef-d’œuvre qui fut le modèle de tous les hagiographes à venir : c’est la vie de l’anachorète Antoine qu’il connut personnellement et qui fut son ami, un ami capable de ne pas hésiter à quitter ses solitudes lointaines, pour venir le défendre au milieu des foules déchaînées d’Alexandrie et qui lui légua, en mourant, tout ce qu’il possédait : sa tunique et son manteau.

S’il n’y avait dans ce livre que le premier monument d’un genre littéraire nouveau, ce serait déjà beaucoup, mais il nous révèle un mode de vie sans exemple jusque-là, une éthique, une ascèse dont l’austérité nous stupéfie. On sait par saint Augustin quelle influence exerça cet ouvrage sur la jeunesse du siècle suivant. Par surcroît (et c’est là le côté merveilleux du message), on y découvre, et comme due à une expérience directe, personnelle, une démonologie complète qui ouvre des perspectives inconnues et insondables sur tout un versant du monde invisible, si nous avons la Foi, sur le pouvoir qu’aurait notre imagination d’engendrer des monstres, si nous nous refusions à croire.

Tantôt c’est une femme qui visite Antoine et tantôt un enfant noir lui apparaît. Ou bien des ténèbres l’environnent auxquelles succède une lumière éblouissante. Quand il n’est pas emporté par des tempêtes qui font s’écrouler sa maison et dispersent tout son pauvre bien, il voit luire dans la nuit un plat d’argent massif ou un monceau d’or, dont il ne tient qu’à lui de se saisir. En des propos qu’il prête à Antoine, Athanase rapporte que « les démons se font voir d’une grandeur si prodigieuse qu’ils touchent de la tête les nuées, afin de surprendre par ces illusions ceux qu’ils n’ont pu tromper par d’autres images ou par leurs fallacieux discours ». Ils se feraient parfois volontiers bons apôtres, mais quelle apparence y a-t-il que nous fussions instruits de nos devoirs par le Diable ? « À cause de leur impuissance », poursuit Athanase, « ils semblent jouer sur un théâtre, changeant de figure, comme pour étonner les enfants par la multitude de tant de fantasmagories et de visions. » Antoine donne ensuite les moyens de résister à l’Enfer et fixe les bornes de l’intelligence de Satan, en même temps que la courte portée de ses prophéties.

Tous ces travaux – et si divers – achevés, une des gloires d’Athanase, c’est que son oraison funèbre ait été prononcée deux fois et par les voix si différentes, l’une entre toutes grave, l’autre un peu trop fleurie de deux saints, Jean Chrysostome et Grégoire de Nazianze.

 

 

Marcel JOUHANDEAU, Saint Athanase.

 

Recueilli dans Les saints de tous les jours de mai, 1958.

 

 

 

 

 

 

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