L’ÉVANGILE
SELON
LE SPIRITISME
CONTENANT
L’EXPLICATION DES MAXIMES MORALES DU CHRIST
LEUR CONCORDANCE AVEC LE SPIRITISME
ET LEUR APPLICATION AUX DIVERSES POSITIONS DE LA VIE
Par ALLAN KARDEC
Auteur du Livre des Esprits.
Il n’y a de foi inébranlable que celle qui peut regarder la raison face à face, à tous les âges de l’humanité.
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PARIS
À LA LIBRAIRIE SPIRITE
1876
PRÉFACE
Les Esprits du Seigneur, qui sont les vertus des cieux, comme une immense armée qui s’ébranle dès qu’elle en a reçu le commandement, se répandent sur toute la surface de la terre ; semblables à des étoiles qui tombent du ciel, ils viennent éclairer la route et ouvrir les yeux des aveugles.
Je vous le dis en vérité, les temps sont arrivés où toutes choses doivent être rétablies dans leur sens véritable pour dissiper les ténèbres, confondre les orgueilleux et glorifier les justes.
Les grandes voix du ciel retentissent comme le son de la trompette, et les chœurs des anges s’assemblent. Hommes, nous vous convions au divin concert ; que vos mains saisissent la lyre ; que vos voix s’unissent, et qu’en un hymne sacré elles s’étendent et vibrent d’un bout de l’univers à l’autre.
Hommes, frères que nous aimons, nous sommes près de vous ; aimez-vous aussi les uns les autres, et dites du fond de votre cœur, en faisant les volontés du Père qui est au ciel : « Seigneur ! Seigneur ! » et vous pourrez entrer dans le royaume des cieux.
L’ESPRIT DE VÉRITÉ.
NOTA. L’instruction ci-dessus, transmise par voie médianimique, résume à la fois le véritable caractère du Spiritisme et le but de cet ouvrage ; c’est pourquoi elle est placée ici comme préface.
INTRODUCTION
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I. BUT DE CET OUVRAGE.
On peut diviser les matières contenues dans les Évangiles en cinq parties : Les actes ordinaires de la vie du Christ, les miracles, les prédictions, les paroles qui ont servi à l’établissement des dogmes de l’Église et l’enseignement moral. Si les quatre premières parties ont été l’objet de controverses, la dernière est demeurée inattaquable. Devant ce code divin, l’incrédulité elle-même s’incline ; c’est le terrain où tous les cultes peuvent se rencontrer, le drapeau sous lequel tous peuvent s’abriter, quelles que soient leurs croyances, car elle n’a jamais fait le sujet des disputes religieuses, toujours et partout soulevées par les questions de dogme ; en les discutant, d’ailleurs, les sectes y eussent trouvé leur propre condamnation, car la plupart se sont plus attachées à la partie mystique qu’à la partie morale, qui exige la réforme de soi-même. Pour les hommes en particulier, c’est une règle de conduite embrassant toutes les circonstances de la vie privée ou publique, le principe de tous les rapports sociaux fondés sur la plus rigoureuse justice ; c’est enfin, et par-dessus tout, la route infaillible du bonheur à venir, un coin du voile levé sur la vie future. C’est cette partie qui fait l’objet exclusif de cet ouvrage.
Tout le monde admire la morale évangélique ; chacun en proclame la sublimité et la nécessité, mais beaucoup le font de confiance, sur ce qu’ils en ont entendu dire, ou sur la foi de quelques maximes devenues proverbiales ; mais peu la connaissent à fond, moins encore la comprennent et savent en déduire les conséquences. La raison en est en grande partie dans la difficulté que présente la lecture de l’Évangile, inintelligible pour le plus grand nombre. La forme allégorique, le mysticisme intentionnel du langage, font que la plupart le lisent par acquit de conscience et par devoir, comme ils lisent les prières sans les comprendre, c’est-à-dire sans fruit. Les préceptes de morale, disséminés çà et là, confondus dans la masse des autres récits, passent inaperçus ; il devient alors impossible d’en saisir l’ensemble, et d’en faire l’objet d’une lecture et d’une méditation séparées.
On a fait, il est vrai, des traités de morale évangélique, mais l’arrangement en style littéraire moderne leur ôte la naïveté primitive qui en fait à la fois le charme et l’authenticité. Il en est de même des maximes détachées, réduites à leur plus simple expression proverbiale ; ce ne sont plus alors que des aphorismes qui perdent une partie de leur valeur et de leur intérêt, par l’absence des accessoires et des circonstances dans lesquelles ils ont été donnés.
Pour obvier à ces inconvénients, nous avons réuni dans cet ouvrage les articles qui peuvent constituer, à proprement parler, un code de morale universelle, sans distinction de culte ; dans les citations, nous avons conservé tout ce qui était utile au développement de la pensée, n’élaguant que les choses étrangères au sujet. Nous avons en outre scrupuleusement respecté la traduction originale de Sacy, ainsi que la division par versets. Mais, au lieu de nous attacher à un ordre chronologique impossible et sans avantage réel dans un pareil sujet, les maximes ont été groupées et classées méthodiquement selon leur nature, de manière à ce qu’elles se déduisent autant que possible les unes des autres. Le rappel des numéros d’ordre des chapitres et des versets permet de recourir à la classification vulgaire, si on le juge à propos.
Ce n’était là qu’un travail matériel qui, seul, n’eût été que d’une utilité secondaire ; l’essentiel était de le mettre à la portée de tous, par l’explication des passages obscurs, et le développement de toutes les conséquences en vue de l’application aux différentes positions de la vie. C’est ce que nous avons essayé de faire avec l’aide des bons Esprits qui nous assistent.
Beaucoup de points de l’Évangile, de la Bible et des auteurs sacrés en général, ne sont inintelligibles, beaucoup même ne paraissent irrationnels que faute de la clef pour en comprendre le véritable sens ; cette clef est tout entière dans le Spiritisme 1, ainsi qu’ont déjà pu s’en convaincre ceux qui l’ont étudié sérieusement, et ainsi qu’on le reconnaîtra mieux encore plus tard 2. Le Spiritisme se retrouve partout dans l’antiquité et à tous les âges de l’humanité : partout on en trouve des traces dans les écrits, dans les croyances et sur les monuments ; c’est pour cela que, s’il ouvre des horizons nouveaux pour l’avenir, il jette une lumière non moins vive sur les mystères du passé.
Comme complément de chaque précepte, nous avons ajouté quelques instructions choisies parmi celles qui ont été dictées par les Esprits en divers pays, et par l’entremise de différents médiums. Si ces instructions fussent sorties d’une source unique, elles auraient pu subir une influence personnelle ou celle du milieu, tandis que la diversité d’origines prouve que les Esprits donnent leurs enseignements partout, et qu’il n’y a personne de privilégié sous ce rapport 3.
Cet ouvrage est à l’usage de tout le monde ; chacun peut y puiser les moyens de conformer sa conduite à la morale du Christ. Les spirites y trouveront en outre les applications qui les concernent plus spécialement. Grâce aux communications établies désormais d’une manière permanente entre les hommes et le monde invisible, la loi évangélique, enseignée à toutes les nations par les Esprits eux-mêmes, ne sera plus une lettre morte, parce que chacun la comprendra, et sera incessamment sollicité de la mettre en pratique par les conseils de ses guides spirituels. Les instructions des Esprits sont véritablement les voix du ciel qui viennent éclairer les hommes et les convier à la pratique de l’Évangile 4.
II. AUTORITÉ DE LA DOCTRINE SPIRITE.
Contrôle universel de l’enseignement des Esprits.
Si la doctrine spirite était une conception purement humaine, elle n’aurait pour garant que les lumières de celui qui l’aurait conçue ; or personne ici-bas ne saurait avoir la prétention fondée de posséder à lui seul la vérité absolue. Si les Esprits qui l’ont révélée se fussent manifestés à un seul homme, rien n’en garantirait l’origine, car il faudrait croire sur parole celui qui dirait avoir reçu leur enseignement. En admettant de sa part une parfaite sincérité, tout au plus pourrait-il convaincre les personnes de son entourage ; il pourrait avoir des sectaires, mais il ne parviendrait jamais à rallier tout le monde.
Dieu a voulu que la nouvelle révélation arrivât aux hommes par une voie plus rapide et plus authentique ; c’est pourquoi il a chargé les Esprits d’aller la porter d’un pôle à l’autre, en se manifestant partout, sans donner à personne le privilège exclusif d’entendre leur parole. Un homme peut être abusé, peut s’abuser lui-même ; il n’en saurait être ainsi quand des millions voient et entendent la même chose : c’est une garantie pour chacun et pour tous. D’ailleurs on peut faire disparaître un homme, on ne fait pas disparaître des masses ; on peut brûler les livres, mais on ne peut brûler les Esprits ; or, brûlât-on tous les livres, la source de la doctrine n’en serait pas moins intarissable, par cela même qu’elle n’est pas sur la terre, qu’elle surgit de partout, et que chacun peut y puiser. À défaut des hommes pour la répandre, il y aura toujours les Esprits, qui atteignent tout le monde et que personne ne peut atteindre.
Ce sont donc en réalité les Esprits qui font eux-mêmes la propagande, à l’aide des innombrables médiums qu’ils suscitent de tous les côtés. S’il n’avait eu qu’un interprète unique, quelque favorisé qu’il fût, le Spiritisme serait à peine connu ; cet interprète lui-même, à quelque classe qu’il appartînt, eût été l’objet de préventions de la part de beaucoup de gens ; toutes les nations ne l’eussent pas accepté, tandis que les Esprits, se communiquant partout, à tous les peuples, à toutes les sectes et à tous les partis, sont acceptés par tous ; le Spiritisme n’a pas de nationalité ; il est en dehors de tous les cultes particuliers ; il n’est imposé par aucune classe de la société, puisque chacun peut recevoir des instructions de ses parents et de ses amis d’outre-tombe. Il fallait qu’il en fût ainsi pour qu’il pût appeler tous les hommes à la fraternité ; s’il ne se fût pas placé sur un terrain neutre, il aurait maintenu les dissensions au lieu de les apaiser.
Cette universalité dans l’enseignement des Esprits fait la force du Spiritisme ; là aussi est la cause de sa propagation si rapide ; tandis que la voix d’un seul homme, même avec le secours de l’imprimerie, eut mis des siècles avant de parvenir à l’oreille de tous, voilà que des milliers de voix se font entendre simultanément sur tous les points de la terre pour proclamer les mêmes principes, et les transmettre aux plus ignorants comme aux plus savants, afin que personne ne soit déshérité. C’est un avantage dont n’a joui aucune des doctrines qui ont paru jusqu’à ce jour. Si donc le Spiritisme est une vérité, il ne craint ni le mauvais vouloir des hommes, ni les révolutions morales, ni les bouleversements physiques du globe, parce qu’aucune de ces choses ne peut atteindre les Esprits.
Mais ce n’est pas le seul avantage qui résulte de cette position exceptionnelle ; le Spiritisme y trouve une garantie toute-puissante contre les schismes que pourraient susciter soit l’ambition de quelques-uns, soit les contradictions de certains Esprits. Ces contradictions sont assurément un écueil, mais qui porte en soi le remède à côté du mal.
On sait que les Esprits, par suite de la différence qui existe dans leurs capacités, sont loin d’être individuellement en possession de toute la vérité ; qu’il n’est pas donné à tous de pénétrer certains mystères ; que leur savoir est proportionné à leur épuration ; que les Esprits vulgaires n’en savent pas plus que les hommes, et moins que certains hommes ; qu’il y a parmi eux, comme parmi ces derniers, des présomptueux et des faux savants qui croient savoir ce qu’ils ne savent pas ; des systématiques qui prennent leurs idées pour la vérité ; enfin que les Esprits de l’ordre le plus élevé, ceux qui sont complètement dématérialisés, ont seuls dépouillé les idées et les préjugés terrestres ; mais on sait aussi que les Esprits trompeurs ne se font pas scrupule de s’abriter sous des noms d’emprunt, pour faire accepter leurs utopies. Il en résulte que, pour tout ce qui est en dehors de l’enseignement exclusivement moral, les révélations que chacun peut obtenir ont un caractère individuel sans authenticité ; qu’elles doivent être considérées comme des opinions personnelles de tel ou tel Esprit, et qu’il y aurait imprudence à les accepter et à les promulguer légèrement comme des vérités absolues.
Le premier contrôle est sans contredit celui de la raison, auquel il faut soumettre, sans exception, tout ce qui vient des Esprits ; toute théorie en contradiction manifeste avec le bon sens, avec une logique rigoureuse, et avec les données positives que l’on possède, de quelque nom respectable qu’elle soit signée, doit être rejetée. Mais ce contrôle est incomplet dans beaucoup de cas, par suite de l’insuffisance des lumières de certaines personnes, et de la tendance de beaucoup à prendre leur propre jugement pour unique arbitre de la vérité. En pareil cas, que font les hommes qui n’ont pas en eux-mêmes une confiance absolue ? Ils prennent l’avis du plus grand nombre, et l’opinion de la majorité est leur guide. Ainsi doit-il en être à l’égard de l’enseignement des Esprits, qui nous en fournissent eux-mêmes les moyens.
La concordance dans l’enseignement des Esprits est donc le meilleur contrôle ; mais il faut encore qu’elle ait lieu dans certaines conditions. La moins sûre de toutes, c’est lorsqu’un médium interroge lui-même plusieurs Esprits sur un point douteux ; il est bien évident que, s’il est sous l’empire d’une obsession, ou s’il a affaire à un Esprit trompeur, cet Esprit peut lui dire la même chose sous des noms différents. Il n’y a pas non plus une garantie suffisante dans la conformité qu’on peut obtenir par les médiums d’un seul centre, parce qu’ils peuvent subir la même influence.
La seule garantie sérieuse de l’enseignement des Esprits est dans la concordance qui existe entre les révélations faites spontanément, par l’entremise d’un grand nombre de médiums étrangers les uns aux autres, et dans diverses contrées.
On conçoit qu’il ne s’agit point ici des communications relatives à des intérêts secondaires, mais de ce qui se rattache aux principes mêmes de la doctrine. L’expérience prouve que lorsqu’un principe nouveau doit recevoir sa solution, il est enseigné spontanément sur différents points à la fois, et d’une manière identique, sinon pour la forme, du moins pour le fond. Si donc il plaît à un Esprit de formuler un système excentrique, basé sur ses seules idées et en dehors de la vérité, on peut être certain que ce système restera circonscrit, et tombera devant l’unanimité des instructions données partout ailleurs, ainsi qu’on en a déjà eu plusieurs exemples. C’est cette unanimité qui a fait tomber tous les systèmes partiels éclos à l’origine du Spiritisme, alors que chacun expliquait les phénomènes à sa manière, et avant qu’on ne connût les lois qui régissent les rapports du monde visible et du monde invisible.
Telle est la base sur laquelle nous nous appuyons quand nous formulons un principe de la doctrine ; ce n’est pas parce qu’il est selon nos idées que nous le donnons comme vrai ; nous ne nous posons nullement en arbitre suprême de la vérité, et nous ne disons à personne : « Croyez telle chose, parce que nous vous le disons. » Notre opinion n’est à nos propres yeux qu’une opinion personnelle qui peut être juste ou fausse, parce que nous ne sommes pas plus infaillible qu’un autre. Ce n’est pas non plus parce qu’un principe nous est enseigné qu’il est pour nous la vérité, mais parce qu’il a reçu la sanction de la concordance.
Dans notre position, recevant les communications de près de mille centres spirites sérieux, disséminés sur les divers points du globe, nous sommes à même de voir les principes sur lesquels cette concordance s’établit ; c’est cette observation qui nous a guidé jusqu’à ce jour, et c’est également celle qui nous guidera dans les nouveaux champs que le Spiritisme est appelé à explorer. C’est ainsi qu’en étudiant attentivement les communications venues de divers côtés, tant de la France que de l’étranger, nous reconnaissons, à la nature toute spéciale des révélations, qu’il y a tendance à entrer dans une nouvelle voie, et que le moment est venu de faire un pas en avant. Ces révélations, parfois faites à mots couverts, ont souvent passé inaperçues pour beaucoup de ceux qui les ont obtenues ; beaucoup d’autres ont cru les avoir seuls. Prises isolément, elles seraient pour nous sans valeur ; la coïncidence seule leur donne de la gravité ; puis, quand le moment est venu de les livrer au grand jour de la publicité, chacun alors se rappelle avoir reçu des instructions dans le même sens. C’est ce mouvement général que nous observons, que nous étudions, avec l’assistance de nos guides spirituels, et qui nous aide à juger de l’opportunité qu’il y a pour nous de faire une chose ou de nous abstenir.
Ce contrôle universel est une garantie pour l’unité future du Spiritisme, et annulera toutes les théories contradictoires. C’est là, que, dans l’avenir, on cherchera le critérium de la vérité. Ce qui a fait le succès de la doctrine formulée dans le Livre des Esprits et dans le Livre des Médiums, c’est que partout chacun a pu recevoir directement des Esprits la confirmation de ce qu’ils renferment. Si, de toutes parts, les Esprits fussent venus les contredire, ces livres auraient depuis longtemps subi le sort de toutes les conceptions fantastiques. L’appui même de la presse ne les eût pas sauvés du naufrage, tandis que, privés de cet appui, ils n’en ont pas moins fait un chemin rapide, parce qu’ils ont eu celui des Esprits, dont le bon vouloir a compensé, et au-delà, le mauvais vouloir des hommes. Ainsi en sera-t-il de toutes les idées émanant des Esprits ou des hommes qui ne pourraient supporter l’épreuve de ce contrôle, dont personne ne peut contester la puissance.
Supposons donc qu’il plaise à certains Esprits de dicter, sous un titre quelconque, un livre en sens contraire ; supposons même que, dans une intention hostile, et en vue de discréditer la doctrine, la malveillance suscitât des communications apocryphes, quelle influence pourraient avoir ces écrits, s’ils sont démentis de tous côtés par les Esprits ? C’est de l’adhésion de ces derniers qu’il faudrait s’assurer avant de lancer un système en leur nom. Du système d’un seul à celui de tous, il y a la distance de l’unité à l’infini. Que peuvent même tous les arguments des détracteurs sur l’opinion des masses, quand des millions de voix amies, parties de l’espace, viennent de tous les coins de l’univers, et dans le sein de chaque famille les battre en brèche ? L’expérience, sous ce rapport, n’a-t-elle pas déjà confirmé la théorie ? Que sont devenues toutes ces publications qui devaient, soi-disant, anéantir le Spiritisme ? Quelle est celle qui en a seulement arrêté la marche ? Jusqu’à ce jour on n’avait pas envisagé la question sous ce point de vue, l’un des plus graves, sans contredit ; chacun a compté sur soi, mais sans compter avec les Esprits.
Le principe de la concordance est encore une garantie contre les altérations que pourraient faire subir au Spiritisme les sectes qui voudraient s’en emparer à leur profit, et l’accommoder à leur guise. Quiconque tenterait de le faire dévier de son but providentiel échouerait, par la raison bien simple que les Esprits, par l’universalité de leur enseignement, feront tomber toute modification qui s’écarterait de la vérité.
Il ressort de tout ceci une vérité capitale, c’est que quiconque voudrait se mettre à la traverse du courant d’idées établi et sanctionné pourrait bien causer une petite perturbation locale et momentanée, mais jamais dominer l’ensemble, même dans le présent, et encore moins dans l’avenir.
Il en ressort de plus que les instructions données par les Esprits sur les points de la doctrine non encore élucidés ne sauraient faire loi, tant qu’elles resteront isolées ; qu’elles ne doivent, par conséquent, être acceptées que sous toutes réserves et à titre de renseignement.
De là la nécessité d’apporter à leur publication la plus grande prudence ; et, dans le cas où l’on croirait devoir les publier, il importe de ne les présenter que comme des opinions individuelles, plus ou moins probables, mais ayant, dans tous les cas, besoin de confirmation. C’est cette confirmation qu’il faut attendre avant de présenter un principe comme vérité absolue, si l’on ne veut être accusé de légèreté ou de crédulité irréfléchie.
Les Esprits supérieurs procèdent dans leurs révélations avec une extrême sagesse ; ils n’abordent les grandes questions de la doctrine que graduellement, à mesure que l’intelligence est apte à comprendre des vérités d’un ordre plus élevé, et que les circonstances sont propices pour l’émission d’une idée nouvelle. C’est pourquoi, dès le commencement, ils n’ont pas tout dit, et n’ont pas encore tout dit aujourd’hui, ne cédant jamais à l’impatience des gens trop pressés qui veulent cueillir les fruits avant leur maturité. Il serait donc superflu de vouloir devancer le temps assigné à chaque chose par la Providence, car alors les Esprits vraiment sérieux refusent positivement leur concours ; mais les Esprits légers, se souciant peu de la vérité, répondent à tout ; c’est pour cette raison que, sur toutes les questions prématurées, il y a toujours des réponses contradictoires.
Les principes ci-dessus ne sont point le fait d’une théorie personnelle, mais la conséquence forcée des conditions dans lesquelles les Esprits se manifestent. Il est bien évident que, si un Esprit dit une chose d’un côté, tandis que des millions d’Esprits disent le contraire ailleurs, la présomption de vérité ne peut être pour celui qui est seul ou à peu près de son avis ; or prétendre avoir seul raison contre tous serait aussi illogique de la part d’un Esprit que de la part des hommes. Les Esprits vraiment sages, s’ils ne se sentent pas suffisamment éclairés sur une question, ne la tranchent jamais d’une manière absolue ; ils déclarent ne la traiter qu’à leur point de vue, et conseillent eux-mêmes d’en attendre la confirmation.
Quelque grande, belle et juste que soit une idée, il est impossible qu’elle rallie, dès le début, toutes les opinions. Les conflits qui en résultent sont la conséquence inévitable du mouvement qui s’opère ; ils sont même nécessaires pour mieux faire ressortir la vérité, et il est utile qu’ils aient lieu au commencement pour que les idées fausses soient plus promptement usées. Les spirites qui en concevraient quelques craintes doivent donc être parfaitement rassurés. Toutes les prétentions isolées tomberont, par la force des choses, devant le grand et puissant criterium du contrôle universel.
Ce n’est pas à l’opinion d’un homme qu’on se ralliera, c’est à la voix unanime des Esprits ; ce n’est pas un homme, pas plus nous qu’un autre, qui fondera l’orthodoxie spirite ; ce n’est pas non plus un Esprit venant s’imposer à qui que ce soit : c’est l’universalité des Esprits se communiquant sur toute la terre par l’ordre de Dieu ; là est le caractère essentiel de la doctrine spirite ; là est sa force, là est son autorité. Dieu a voulu que sa loi fût assise sur une base inébranlable, c’est pourquoi il ne l’a pas fait reposer sur la tête fragile d’un seul.
C’est devant ce puissant aréopage, qui ne connaît ni les coteries, ni les rivalités jalouses, ni les sectes, ni les nations, que viendront se briser toutes les oppositions, toutes les ambitions, toutes les prétentions à la suprématie individuelle ; que nous nous briserions nous-même, si nous voulions substituer nos propres idées à ses décrets souverains ; c’est lui seul qui tranchera toutes les questions litigieuses, qui fera taire les dissidences, et donnera tort ou raison à qui de droit. Devant cet imposant accord de toutes les voix du ciel, que peut l’opinion d’un homme ou d’un Esprit ? Moins que la goutte d’eau qui se perd dans l’Océan, moins que la voix de l’enfant étouffée par la tempête.
L’opinion universelle, voilà donc le juge suprême, celui qui prononce en dernier ressort ; elle se forme de toutes les opinions individuelles ; si l’une d’elles est vraie, elle n’a que son poids relatif dans la balance ; si elle est fausse, elle ne peut l’emporter sur toutes les autres. Dans cet immense concours, les individualités s’effacent, et c’est là un nouvel échec pour l’orgueil humain.
Cet ensemble harmonieux se dessine déjà ; or ce siècle ne passera pas qu’il ne resplendisse de tout son éclat, de manière à fixer toutes les incertitudes ; car d’ici là des voix puissantes auront reçu mission de se faire entendre pour rallier les hommes sous le même drapeau, dès que le champ sera suffisamment labouré. En attendant, celui qui flotterait entre deux systèmes opposés peut observer dans quel sens se forme l’opinion générale : c’est l’indice certain du sens dans lequel se prononce la majorité des Esprits sur les divers points où ils se communiquent ; c’est un signe non moins certain de celui des deux systèmes qui l’emportera.
III. NOTICES HISTORIQUES.
Pour bien comprendre certains passages des Évangiles, il est nécessaire de connaître la valeur de plusieurs mots qui y sont fréquemment employés, et qui caractérisent l’état des mœurs et de la société juive à cette époque. Ces mots n’ayant plus pour nous le même sens ont été souvent mal interprétés, et par cela même ont laissé une sorte d’incertitude. L’intelligence de leur signification explique en outre le sens véritable de certaines maximes qui semblent étranges au premier abord.
SAMARITAINS. Après le schisme des dix tribus, Samarie devint la capitale du royaume dissident d’Israël. Détruite et rebâtie à plusieurs reprises, elle fut, sous les Romains, le chef-lieu de la Samarie, l’une des quatre divisions de la Palestine. Hérode, dit le Grand, l’embellit de somptueux monuments, et, pour flatter Auguste, lui donna le nom d’Augusta, en grec Sébaste.
Les Samaritains furent presque toujours en guerre avec les rois de Juda ; une aversion profonde, datant de la séparation, se perpétua constamment entre les deux peuples, qui fuyaient toutes relations réciproques. Les Samaritains, pour rendre la scission plus profonde et n’avoir point à venir à Jérusalem pour la célébration des fêtes religieuses, se construisirent un temple particulier, et adoptèrent certaines réformes ; ils n’admettaient que le Pentateuque contenant la loi de Moïse, et rejetaient tous les livres qui y furent annexés depuis. Leurs livres sacrés étaient écrits en caractères hébreux de la plus haute antiquité. Aux yeux des Juifs orthodoxes, ils étaient hérétiques, et, par cela même, méprisés, anathématisés et persécutés. L’antagonisme des deux nations avait donc pour unique principe la divergence des opinions religieuses, quoique leurs croyances eussent la même origine ; c’étaient les Protestants de ce temps-là.
On trouve encore aujourd’hui des Samaritains dans quelques contrées du Levant, particulièrement à Naplouse et à Jaffa. Ils observent la loi de Moïse avec plus de rigueur que les autres Juifs, et ne contractent d’alliance qu’entre eux.
NAZARÉENS, nom donné, dans l’ancienne loi, aux Juifs qui faisaient vœu, soit pour la vie, soit pour un temps, de conserver une pureté parfaite ; ils s’engageaient à la chasteté, à l’abstinence des liqueurs et à la conservation de leur chevelure. Samson, Samuel et Jean-Baptiste étaient Nazaréens.
Plus tard les Juifs donnèrent ce nom aux premiers chrétiens, par allusion à Jésus de Nazareth.
Ce fut aussi le nom d’une secte hérétique des premiers siècles de l’ère chrétienne, qui, de même que les Ébionites, dont elle adoptait certains principes, mêlait les pratiques du Mosaïsme aux dogmes chrétiens. Cette secte disparut au quatrième siècle.
PUBLICAINS. On appelait ainsi, dans l’ancienne Rome, les chevaliers fermiers des taxes publiques, chargés du recouvrement des impôts et des revenus de toute nature, soit à Rome même, soit dans les autres parties de l’empire. Ils étaient l’analogue des fermiers généraux et traitants de l’ancien régime en France, et tels qu’ils existent encore dans certaines contrées. Les risques qu’ils couraient faisaient fermer les yeux sur les richesses qu’ils acquéraient souvent, et qui, chez beaucoup, étaient le produit d’exactions et de bénéfices scandaleux. Le nom de publicain s’étendit plus tard à tous ceux qui avaient le maniement des deniers publics et aux agents subalternes. Aujourd’hui ce mot se prend en mauvaise part pour désigner les financiers et agents d’affaires peu scrupuleux ; on dit quelquefois : « Avide comme un publicain ; riche comme un publicain », pour une fortune de mauvais aloi.
De la domination romaine, l’impôt fut ce que les Juifs acceptèrent le plus difficilement, et ce qui causa parmi eux le plus d’irritation ; il s’ensuivit plusieurs révoltes, et l’on en fit une question religieuse, parce qu’on le regardait comme contraire à la loi. Il se forma même un parti puissant à la tête duquel était un certain Juda, dit le Gaulonite, qui avait pour principe le refus de l’impôt. Les Juifs avaient donc en horreur l’impôt, et, par suite, tous ceux qui étaient chargés de le percevoir ; de là leur aversion pour les publicains de tous rangs, parmi lesquels pouvaient se trouver des gens très estimables, mais qui, en raison de leurs fonctions, étaient méprisés, ainsi que ceux qui les fréquentaient, et qui étaient confondus dans la même réprobation. Les Juifs de distinction auraient cru se compromettre en ayant avec eux des rapports d’intimité.
Les PÉAGERS étaient les percepteurs de bas étage, chargés principalement du recouvrement des droits à l’entrée des villes. Leurs fonctions correspondaient à peu près à celles des douaniers et des receveurs d’octroi ; ils partageaient la réprobation des publicains en général. C’est pour cette raison que, dans l’Évangile, on trouve fréquemment le nom de publicain accolé à celui de gens de mauvaise vie ; cette qualification n’impliquait point celle de débauchés et de gens sans aveu ; c’était un terme de mépris synonyme de gens de mauvaise compagnie, indignes de fréquenter les gens comme il faut.
PHARISIENS (de l’Hébreu Parasch division, séparation). La tradition formait une partie importante de la théologie juive ; elle consistait dans le recueil des interprétations successives données sur le sens des Écritures, et qui étaient devenues des articles de dogme. C’était, parmi les docteurs, le sujet d’interminables discussions, le plus souvent sur de simples questions de mots ou de formes, dans le genre des disputes théologiques et des subtilités de la scolastique du moyen âge ; de là naquirent différentes sectes qui prétendaient avoir chacune le monopole de la vérité, et, comme cela arrive presque toujours, se détestaient cordialement les unes les autres.
Parmi ces sectes, la plus influente était celle des Pharisiens, qui eut pour chef Hillel, docteur juif né à Babylone, fondateur d’une école célèbre où l’on enseignait que la foi n’était due qu’aux Écritures. Son origine remonte à l’an 180 ou 200 avant J.-C. Les Pharisiens furent persécutés à diverses époques, notamment sous Hyrcan, souverain pontife et roi des Juifs, Aristobule et Alexandre, roi de Syrie ; cependant, ce dernier leur ayant rendu leurs honneurs et leurs biens, ils ressaisirent leur puissance qu’ils conservèrent jusqu’à la ruine de Jérusalem, l’an 70 de l’ère chrétienne, époque à laquelle leur nom disparut à la suite de la dispersion des Juifs.
Les Pharisiens prenaient une part active dans les controverses religieuses. Serviles observateurs des pratiques extérieures du culte et des cérémonies, pleins d’un zèle ardent de prosélytisme, ennemis des novateurs, ils affectaient une grande sévérité de principes ; mais, sous les apparences d’une dévotion méticuleuse, ils cachaient des mœurs dissolues, beaucoup d’orgueil, et par-dessus tout un amour excessif de domination. La religion était pour eux plutôt un moyen d’arriver que l’objet d’une foi sincère. Ils n’avaient que les dehors et l’ostentation de la vertu ; mais par là ils exerçaient une grande influence sur le peuple, aux yeux duquel ils passaient pour de saints personnages ; c’est pourquoi ils étaient très puissants à Jérusalem.
Ils croyaient, ou du moins faisaient profession de croire à la Providence, à l’immortalité de l’âme, à l’éternité des peines et à la résurrection des morts. (Ch. IV, no 4.) Jésus, qui prisait avant tout la simplicité et les qualités du cœur, qui préférait dans la loi l’esprit qui vivifie à la lettre qui tue, s’attacha, durant toute sa mission, à démasquer leur hypocrisie, et s’en fit par conséquent des ennemis acharnés ; c’est pourquoi ils se liguèrent avec les princes des prêtres pour ameuter le peuple contre lui et le faire périr.
SCRIBES, nom donné dans le principe aux secrétaires des rois de Juda, et à certains intendants des armées juives ; plus tard cette désignation fut appliquée spécialement aux docteurs qui enseignaient la loi de Moïse et l’interprétaient au peuple. Ils faisaient cause commune avec les Pharisiens, dont ils partageaient les principes et l’antipathie contre les novateurs ; c’est pourquoi Jésus les confond dans la même réprobation.
SYNAGOGUE (du grec Sunagoguê, assemblée, congrégation). Il n’y avait en Judée qu’un seul temple, celui de Salomon, à Jérusalem, où se célébraient les grandes cérémonies du culte. Les Juifs s’y rendaient tous les ans en pèlerinage pour les principales fêtes, telles que celles de la Pâque, de la Dédicace et des Tabernacles. C’est dans ces occasions que Jésus y fit plusieurs voyages. Les autres villes n’avaient point de temples, mais des synagogues, édifices où les Juifs se rassemblaient aux jours de sabbat pour faire des prières publiques, sous la direction des Anciens, des scribes ou docteurs de la loi ; on y faisait aussi des lectures tirées des livres sacrés que l’on expliquait et commentait ; chacun pouvait y prendre part ; c’est pourquoi Jésus, sans être prêtre, enseignait dans les synagogues les jours de sabbat.
Depuis la ruine de Jérusalem et la dispersion des Juifs, les synagogues, dans les villes qu’ils habitent, leur servent de temples pour la célébration du culte.
SADUCÉENS, secte juive qui se forma vers l’an 248 avant Jésus-Christ ; ainsi nommée de Sadoc, son fondateur. Les Saducéens ne croyaient ni à l’immortalité de l’âme, ni à la résurrection, ni aux bons et mauvais anges. Cependant ils croyaient à Dieu, mais n’attendant rien après la mort, ils ne le servaient qu’en vue de récompenses temporelles, ce à quoi, selon eux, se bornait sa providence ; aussi la satisfaction des sens était-elle à leurs yeux le but essentiel de la vie. Quant aux Écritures, ils s’en tenaient au texte de la loi ancienne, n’admettant ni la tradition, ni aucune interprétation ; ils plaçaient les bonnes œuvres et l’exécution pure et simple de la loi au-dessus des pratiques extérieures du culte. C’étaient, comme on le voit, les matérialistes, les déistes et les sensualistes de l’époque. Cette secte était peu nombreuse, mais elle comptait des personnages importants, et devint un parti politique constamment opposé aux Pharisiens.
ESSÉNIENS ou ESSÉENS, secte juive fondée vers l’an 450 avant Jésus-Christ, au temps des Machabées, et dont les membres, qui habitaient des espèces de monastères, formaient entre eux une sorte d’association morale et religieuse. Ils se distinguaient par des mœurs douces et des vertus austères, enseignaient l’amour de Dieu et du prochain, l’immortalité de l’âme, et croyaient à la résurrection. Ils vivaient dans le célibat, condamnaient la servitude et la guerre, mettaient leurs biens en commun, et se livraient à l’agriculture. Opposés aux Saducéens sensuels qui niaient l’immortalité, aux Pharisiens rigides pour les pratiques extérieures, et chez lesquels la vertu n’était qu’apparente, ils ne prirent aucune part aux querelles qui divisèrent ces deux sectes. Leur genre de vie se rapprochait de celui des premiers chrétiens, et les principes de morale qu’ils professaient ont fait penser à quelques personnes que Jésus fit partie de cette secte avant le commencement de sa mission publique. Ce qui est certain, c’est qu’il a dû la connaître, mais rien ne prouve qu’il y fût affilié, et tout ce qu’on a écrit à ce sujet est hypothétique 5.
THÉRAPEUTES (du grec thérapeutaï, fait de thérapeueïn, servir, soigner ; c’est-à-dire serviteurs de Dieu ou guérisseurs) ; sectaires juifs contemporains du Christ, établis principalement à Alexandrie en Égypte. Ils avaient un grand rapport avec les Esséniens, dont ils professaient les principes ; comme ces derniers, ils s’adonnaient à la pratique de toutes les vertus. Leur nourriture était d’une extrême frugalité ; voués au célibat, à la contemplation et à la vie solitaire, ils formaient un véritable ordre religieux. Philon, philosophe juif platonicien d’Alexandrie, est le premier qui ait parlé des Thérapeutes ; il en fait une secte du judaïsme. Eusèbe, saint Jérôme et d’autres Pères pensent qu’ils étaient chrétiens. Qu’ils fussent juifs ou chrétiens, il est évident que, de même que les Esséniens, ils forment le trait d’union entre le judaïsme et le christianisme.
IV. SOCRATE ET PLATON PRÉCURSEURS DE L’IDÉE CHRÉTIENNE ET DU SPIRITISME 6.
De ce que Jésus a dû connaître la secte des Esséniens, on aurait tort d’en conclure qu’il y a puisé sa doctrine, et que, s’il eût vécu dans un autre milieu, il eût professé d’autres principes. Les grandes idées n’éclatent jamais subitement ; celles qui ont pour base la vérité ont toujours des précurseurs qui en préparent partiellement les voies ; puis, quand le temps est venu, Dieu envoie un homme avec mission de résumer, coordonner et compléter ces éléments épars, et d’en former un corps ; de cette façon l’idée, n’arrivant pas brusquement, trouve, à son apparition, des esprits tout disposés à l’accepter. Ainsi en a-t-il été de l’idée chrétienne, qui a été pressentie plusieurs siècles avant Jésus et les Esséniens, et dont Socrate et Platon ont été les principaux précurseurs.
Socrate, de même que le Christ 7, n’a rien écrit, ou du moins n’a laissé aucun écrit ; comme lui, il est mort de la mort des criminels, victime du fanatisme, pour avoir attaqué les croyances reçues, et mis la vertu réelle au-dessus de l’hypocrisie et du simulacre des formes, en un mot pour avoir combattu les préjugés religieux. Comme Jésus fut accusé par les Pharisiens de corrompre le peuple par ses enseignements, lui aussi fut accusé par les Pharisiens de son temps, car il y en a eu à toutes les époques, de corrompre la jeunesse, en proclamant le dogme de l’unité de Dieu, de l’immortalité de l’âme et de la vie future. De même encore que nous ne connaissons la doctrine de Jésus que par les écrits de ses disciples, nous ne connaissons celle de Socrate que par les écrits de son disciple Platon. Nous croyons utile d’en résumer ici les points les plus saillants pour en montrer la concordance avec les principes du christianisme.
À ceux qui regarderaient ce parallèle comme une profanation, et prétendraient qu’il ne peut y avoir de parité entre la doctrine d’un païen et celle du Christ, nous répondrons que la doctrine de Socrate n’était pas païenne, puisqu’elle avait pour but de combattre le paganisme ; que la doctrine de Jésus, plus complète et plus épurée que celle de Socrate, n’a rien à perdre à la comparaison ; que la grandeur de la mission divine du Christ n’en saurait être amoindrie ; que d’ailleurs c’est de l’histoire qui ne peut être étouffée. L’homme est arrivé à un point où la lumière sort d’elle-même de dessous le boisseau ; il est mûr pour la regarder en face ; tant pis pour ceux qui n’osent ouvrir les yeux. Le temps est venu d’envisager les choses largement et d’en haut, et non plus au point de vue mesquin et rétréci des intérêts de sectes et de castes.
Ces citations prouveront en outre que, si Socrate et Platon ont pressenti l’idée chrétienne, on trouve également dans leur doctrine les principes fondamentaux du Spiritisme.
Résumé de la doctrine de Socrate et de Platon.
I. L’homme est une âme incarnée. Avant son incarnation, elle existait unie aux types primordiaux, aux idées du vrai, du bien et du beau ; elle s’en sépare en s’incarnant, et, se rappelant son passé, elle est plus ou moins tourmentée par le désir d’y revenir.
On ne peut énoncer plus clairement la distinction et l’indépendance du principe intelligent et du principe matériel ; c’est en outre la doctrine de la préexistence de l’âme ; de la vague intuition qu’elle conserve d’un autre monde auquel elle aspire, de sa survivance au corps, de sa sortie du monde spirituel pour s’incarner, et de sa rentrée dans ce même monde après la mort ; c’est enfin le germe de la doctrine des Anges déchus.
II. L’âme s’égare et se trouble quand elle se sert du corps pour considérer quelque objet ; elle a des vertiges comme si elle était ivre, parce qu’elle s’attache à des choses qui sont, de leur nature, sujettes à des changements ; au lieu que, lorsqu’elle contemple sa propre essence, elle se porte vers ce qui est pur, éternel, immortel, et, étant de même nature, elle y demeure attachée aussi longtemps qu’elle le peut ; alors ses égarements cessent, car elle est unie à ce qui est immuable, et cet état de l’âme est ce qu’on appelle sagesse.
Ainsi l’homme qui considère les choses d’en bas, terre à terre, au point de vue matériel, se fait illusion ; pour les apprécier avec justesse, il faut les voir d’en haut, c’est-à-dire du point de vue spirituel. Le vrai sage doit donc en quelque sorte isoler l’âme du corps, pour voir avec les yeux de l’esprit. C’est ce qu’enseigne le Spiritisme. (Ch. II, no 5.)
III. Tant que nous aurons notre corps et que l’âme se trouvera plongée dans cette corruption, jamais nous ne posséderons l’objet de nos désirs : la vérité. En effet, le corps nous suscite mille obstacles par la nécessité où nous sommes d’en prendre soin ; de plus, il nous remplit de désirs, d’appétits, de craintes, de mille chimères et de mille sottises, de manière qu’avec lui il est impossible d’être sage un instant. Mais, s’il est possible de rien connaître purement pendant que l’âme est unie au corps, il faut de deux choses l’une, ou que l’on ne connaisse jamais la vérité, ou qu’on la connaisse après la mort. Affranchis de la folie du corps, nous converserons alors, il y a lieu de l’espérer, avec des hommes également libres, et nous connaîtrons par nous-mêmes l’essence des choses. C’est pourquoi les véritables philosophes s’exercent à mourir, et la mort ne leur paraît nullement redoutable. (Ciel et Enfer, 1re partie, ch. II ; 2o partie, ch. I.)
C’est là le principe des facultés de l’âme obscurcies par l’intermédiaire des organes corporels, et de l’expansion de ces facultés après la mort. Mais il ne s’agit ici que des âmes d’élite, déjà épurées ; il n’en est pas de même des âmes impures.
IV. L’âme impure, en cet état, est appesantie et entraînée de nouveau vers le monde visible par l’horreur de ce qui est invisible et immatériel ; elle erre alors, dit-on, autour des monuments et des tombeaux, auprès desquels on a vu parfois des fantômes ténébreux, comme doivent être les images des âmes qui ont quitté le corps sans être entièrement pures, et qui retiennent quelque chose de la forme matérielle, ce qui fait que l’œil peut les apercevoir. Ce ne sont pas les âmes des bons, mais des méchants, qui sont forcées d’errer dans ces lieux, où elles portent la peine de leur première vie, et où elles continuent d’errer jusqu’à ce que les appétits inhérents à la forme matérielle qu’elles se sont donnée les ramènent dans un corps ; et alors elles reprennent sans doute les mêmes mœurs qui, pendant leur première vie, étaient l’objet de leurs prédilections.
Non-seulement le principe de la réincarnation est ici clairement exprimé, mais l’état des âmes qui sont encore sous l’empire de la matière, est décrit tel que le Spiritisme le montre dans les évocations. Il y a plus, c’est qu’il est dit que la réincarnation dans un corps matériel est une conséquence de l’impureté de l’âme, tandis que les âmes purifiées en sont affranchies. Le Spiritisme ne dit pas autre chose ; seulement il ajoute que l’âme qui a pris de bonnes résolutions dans l’erraticité, et qui a des connaissances acquises, apporte en renaissant moins de défauts, plus de vertus, et plus d’idées intuitives qu’elle n’en avait dans sa précédente existence ; et qu’ainsi chaque existence marque pour elle un progrès intellectuel et moral. (Ciel et Enfer, 2e partie : Exemples.)
V. Après notre mort, le génie (daïmon, démon) qui nous avait été assigné pendant notre vie nous mène dans un lieu où se réunissent tous ceux qui doivent être conduits dans le Hadès pour y être jugés. Les âmes, après avoir séjourné dans le Hadès le temps nécessaire, sont ramenées à cette vie dans de nombreuses et longues périodes.
C’est la doctrine des Anges gardiens ou Esprits protecteurs, et des réincarnations successives après des intervalles plus ou moins longs d’erraticité.
VI. Les démons remplissent l’intervalle qui sépare le ciel de la terre ; ils sont le lien qui unit le Grand Tout avec lui-même. La divinité n’entrant jamais en communication directe avec l’homme, c’est par l’intermédiaire des démons que les dieux commercent et s’entretiennent avec lui, soit pendant la veille, soit pendant le sommeil.
Le mot daïmon, dont on a fait démon, n’était pas pris en mauvaise part dans l’antiquité comme chez les modernes ; il ne se disait point exclusivement des êtres malfaisants, mais de tous les Esprits en général, parmi lesquels on distinguait les Esprits supérieurs appelés les dieux, et les Esprits moins élevés, ou démons proprement dits, qui communiquaient directement avec les hommes. Le Spiritisme dit aussi que les Esprits peuplent l’espace ; que Dieu ne se communique aux hommes que par l’intermédiaire des purs Esprits chargés de transmettre ses volontés ; que les Esprits se communiquent à eux pendant la veille et pendant le sommeil. Au mot démon substituez le mot Esprit, et vous aurez la doctrine spirite ; mettez le mot ange, et vous aurez la doctrine chrétienne.
VII. La préoccupation constante du philosophe (tel que le comprenaient Socrate et Platon) est de prendre le plus grand soin de l’âme, moins pour cette vie, qui n’est qu’un instant, qu’en vue de l’éternité. Si l’âme est immortelle, n’est-il pas sage de vivre en vue de l’éternité ?
Le christianisme et le Spiritisme enseignent la même chose.
VIII. Si l’âme est immatérielle, elle doit se rendre, après cette vie, dans un monde également invisible et immatériel, de même que le corps, en se décomposant, retourne à la matière. Seulement il importe de bien distinguer l’âme pure, vraiment immatérielle, qui se nourrit, comme Dieu, de science et de pensées, de l’âme plus ou moins entachée d’impuretés matérielles qui l’empêchent de s’élever vers le divin, et la retiennent dans les lieux de son séjour terrestre.
Socrate et Platon, comme on le voit, comprenaient parfaitement les différents degrés de dématérialisation de l’âme ; ils insistent sur la différence de situation qui résulte pour elles de leur plus ou moins de pureté. Ce qu’ils disaient par intuition, le Spiritisme le prouve par les nombreux exemples qu’il met sous nos yeux. (Ciel et Enfer, 2e partie.)
IX. Si la mort était la dissolution de l’homme tout entier, ce serait un grand gain pour les méchants, après leur mort, d’être délivrés en même temps de leur corps, de leur âme et de leurs vices. Celui qui a orné son âme, non d’une parure étrangère, mais de celle qui lui est propre, celui-là seul pourra attendre tranquillement l’heure de son départ pour l’autre monde.
En d’autres termes, c’est dire que le matérialisme, qui proclame le néant après la mort, serait l’annulation de toute responsabilité morale ultérieure, et par conséquent un excitant au mal ; que le méchant a tout à gagner au néant ; que l’homme qui s’est dépouillé de ses vices et s’est enrichi de vertus peut seul attendre tranquillement le réveil dans l’autre vie. Le spiritisme nous montre, par les exemples qu’il met journellement sous nos yeux, combien est pénible pour le méchant le passage d’une vie à l’autre, et l’entrée dans la vie future (Ciel et Enfer, 2e partie, ch. I.)
X. Le corps conserve les vestiges bien marqués des soins qu’on a pris de lui ou des accidents qu’il a éprouvés ; il en est de même de l’âme ; quand elle est dépouillée du corps, elle porte les traces évidentes de son caractère, de ses affections et les empreintes que chacun des actes de sa vie y a laissées. Ainsi le plus grand malheur qui puisse arriver à l’homme, c’est d’aller dans l’autre monde avec une âme chargée de crimes. Tu vois, Calliclès, que ni toi, ni Polus, ni Gorgias, vous ne sauriez prouver qu’on doive mener une autre vie qui nous sera utile quand nous serons là-bas. De tant d’opinions diverses, la seule qui demeure inébranlable, c’est qu’il vaut mieux recevoir que commettre une injustice, et qu’avant toutes choses on doit s’appliquer, non à paraître homme de bien, mais à l’être. (Entretiens de Socrate avec ses disciples dans sa prison.)
Ici on retrouve cet autre point capital, confirmé aujourd’hui par l’expérience, que l’âme non épurée conserve les idées, les tendances, le caractère et les passions qu’elle avait sur la terre. Cette maxime : Il vaut mieux recevoir que commettre une injustice, n’est-elle pas toute chrétienne ? C’est la même pensée que Jésus exprime par cette figure : « Si quelqu’un vous frappe sur une joue, tendez-lui encore l’autre. » (Ch. XII, nos 7, 8.)
XI. De deux choses l’une : ou la mort est une destruction absolue, ou elle est le passage d’une âme dans un autre lieu. Si tout doit s’éteindre, la mort sera comme une de ces rares nuits que nous passons sans rêve et sans aucune conscience de nous-mêmes. Mais si la mort n’est qu’un changement de séjour, le passage dans un lieu où les morts doivent se réunir, quel bonheur d’y rencontrer ceux qu’on a connus ! Mon plus grand plaisir serait d’examiner de près les habitants de ce séjour et d’y distinguer, comme ici, ceux qui sont sages de ceux qui croient l’être et ne le sont pas. Mais il est temps de nous quitter, moi pour mourir, vous pour vivre. (Socrate à ses juges.)
Selon Socrate, les hommes qui ont vécu sur la terre se retrouvent après la mort, et se reconnaissent. Le Spiritisme nous les montre continuant les rapports qu’ils ont eus, de telle sorte que la mort n’est ni une interruption, ni une cessation de la vie, mais une transformation, sans solution de continuité.
Socrate et Platon auraient connu les enseignements que le Christ donna cinq cents ans plus tard, et ceux que donnent maintenant les Esprits, qu’ils n’auraient pas parlé autrement. En cela il n’est rien qui doive surprendre, si l’on considère que les grandes vérités sont éternelles, et que les Esprits avancés ont dû les connaître avant de venir sur la terre, où ils les ont apportées ; que Socrate, Platon et les grands philosophes de leur temps ont pu être, plus tard, du nombre de ceux qui ont secondé Christ dans sa divine mission, et qu’ils ont été choisis précisément parce qu’ils étaient plus que d’autres à même de comprendre ses sublimes enseignements ; qu’ils peuvent enfin faire aujourd’hui partie de la pléiade des Esprits chargés de venir enseigner aux hommes les mêmes vérités.
XII. Il ne faut jamais rendre injustice pour injustice, ni faire de mal à personne, quelque tort qu’on nous ait fait. Peu de personnes, cependant, admettront ce principe, et les gens qui sont divisés là-dessus ne doivent que se mépriser les uns les autres.
N’est-ce pas là le principe de la charité qui nous enseigne de ne point rendre le mal pour le mal, et de pardonner à nos ennemis ?
XIII. C’est aux fruits qu’on reconnaît l’arbre. Il faut qualifier chaque action selon ce qu’elle produit : l’appeler mauvaise quand il en provient du mal, bonne quand il en naît du bien.
Cette maxime : « C’est aux fruits qu’on reconnaît l’arbre », se trouve textuellement répétée plusieurs fois dans l’Évangile.
XIV. La richesse est un grand danger. Tout homme qui aime la richesse n’aime ni lui ni ce qui est à lui, mais une chose qui lui est encore plus étrangère que ce qui est à lui. (Ch. XVI.)
XV. Les plus belles prières et les plus beaux sacrifices plaisent moins à la Divinité qu’une âme vertueuse qui s’efforce de lui ressembler. Ce serait une chose grave que les dieux eussent plus d’égards à nos offrandes qu’à notre âme ; par ce moyen, les plus coupables pourraient se les rendre propices. Mais non, il n’y a de vraiment justes et sages que ceux qui, par leurs paroles et par leurs actes, s’acquittent de ce qu’ils doivent aux dieux et aux hommes. (Ch. X, nos 7, 8.)
XVI. J’appelle homme vicieux cet amant vulgaire qui aime le corps plutôt que l’âme. L’amour est partout dans la nature qui nous invite à exercer notre intelligence ; on le retrouve jusque dans le mouvement des astres. C’est l’amour qui orne la nature de ses riches tapis ; il se pare et fixe sa demeure là où il trouve des fleurs et des parfums. C’est encore l’amour qui donne la paix aux hommes, le calme à la mer, le silence aux vents et le sommeil à la douleur.
L’amour, qui doit unir les hommes par un lien fraternel, est une conséquence de cette théorie de Platon sur l’amour universel comme loi de nature. Socrate ayant dit que « l’amour n’est ni un dieu ni un mortel, mais un grand démon », c’est-à-dire un grand Esprit présidant à l’amour universel, cette parole lui fut surtout imputée à crime.
XVII. La vertu ne peut pas s’enseigner ; elle vient par un don de Dieu à ceux qui la possèdent.
C’est à peu près la doctrine chrétienne sur la grâce ; mais si la vertu est un don de Dieu, c’est une faveur, et l’on peut demander pourquoi elle n’est pas accordée à tout le monde ; d’un autre côté, si c’est un don, elle est sans mérite pour celui qui la possède. Le Spiritisme est plus explicite ; il dit que celui qui possède la vertu l’a acquise par ses efforts dans ses existences successives en se dépouillant peu à peu de ses imperfections. La grâce est la force dont Dieu favorise tout homme de bonne volonté pour se dépouiller du mal et pour faire le bien.
XVIII. Il est une disposition naturelle à chacun de nous, c’est de s’apercevoir bien moins de nos défauts que de ceux d’autrui.
L’Évangile dit : « Vous voyez la paille dans l’œil de votre voisin, et vous ne voyez pas la poutre qui est dans le vôtre. » (Ch. X, nos 9, 10.)
XIX. Si les médecins échouent dans la plupart des maladies, c’est qu’ils traitent le corps sans l’âme, et que, le tout n’étant pas en bon état, il est impossible que la partie se porte bien.
Le Spiritisme donne la clef des rapports qui existent entre l’âme et le corps, et prouve qu’il y a réaction incessante de l’un sur l’autre. Il ouvre ainsi une nouvelle voie à la science ; en lui montrant la véritable cause de certaines affections, il lui donne les moyens de les combattre. Quand elle tiendra compte de l’action de l’élément spirituel dans l’économie, elle échouera moins souvent.
XX. Tous les hommes, à commencer depuis l’enfance, font beaucoup plus de mal que de bien.
Cette parole de Socrate touche à la grave question de la prédominance du mal sur la terre, question insoluble sans la connaissance de la pluralité des mondes et de la destination de la terre, où n’habite qu’une très petite fraction de l’humanité. Le Spiritisme seul en donne la solution, qui est développée ci-après dans les chapitres II, III et V.
XXI. Il y a de la sagesse à ne pas croire savoir ce que tu ne sais pas.
Ceci va à l’adresse des gens qui critiquent ce dont souvent ils ne savent pas le premier mot. Platon complète cette pensée de Socrate en disant : « Essayons de les rendre d’abord, si c’est possible, plus honnêtes en paroles ; sinon, ne nous soucions pas d’eux, et ne cherchons que la vérité. Tâchons de nous instruire, mais ne nous injurions pas. » C’est ainsi que doivent agir les spirites à l’égard de leurs contradicteurs de bonne ou de mauvaise foi. Platon revivrait aujourd’hui, qu’il trouverait les choses à peu près comme de son temps, et pourrait tenir le même langage ; Socrate aussi trouverait des gens pour se moquer de sa croyance aux Esprits, et le traiter de fou, ainsi que son disciple Platon.
C’est pour avoir professé ces principes que Socrate fut d’abord tourné en ridicule, puis accusé d’impiété, et condamné à boire de la ciguë ; tant il est vrai que les grandes vérités nouvelles, soulevant contre elles les intérêts et les préjugés qu’elles froissent, ne peuvent s’établir sans lutte et sans faire des martyrs.
L’ÉVANGILE
SELON LE SPIRITISME
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JE NE SUIS POINT VENU DETRUIRE LA LOI.
Les trois révélations : Moïse ; le Christ ; le Spiritisme. – Alliance de la science et de la religion. – Instructions des Esprits : L’ère nouvelle.
1. Ne pensez point que je sois venu détruire la loi ou les prophètes ; je ne suis point venu les détruire, mais les accomplir ; – car je vous dis en vérité que le ciel et la terre ne passeront point que tout ce qui est dans la loi ne soit accompli parfaitement, jusqu’à un seul iota et à un seul point. (Saint Matthieu, ch. V, v. 17, 18.)
Moïse.
2. Il y a deux parties distinctes dans la loi mosaïque : la loi de Dieu promulguée sur le mont Sinaï, et la loi civile ou disciplinaire établie par Moïse ; l’une est invariable ; l’autre, appropriée aux mœurs et au caractère du peuple, se modifie avec le temps.
La loi de Dieu est formulée dans les dix commandements suivants :
I. Je suis le Seigneur, votre Dieu, qui vous ai tirés de l’Égypte, de la maison de servitude. – Vous n’aurez point d’autres dieux étrangers devant moi. – Vous ne ferez point d’image taillée, ni aucune figure de tout ce qui est en haut dans le ciel et en bas sur la terre, ni de tout ce qui est dans les eaux sous la terre. Vous ne les adorerez point, et vous ne leur rendrez point le souverain culte.
II. Vous ne prendrez point en vain le nom du Seigneur votre Dieu.
III. Souvenez-vous de sanctifier le jour du sabbat.
IV. Honorez votre père et votre mère, afin que vous viviez longtemps sur la terre que le Seigneur votre Dieu vous donnera.
V. Vous ne tuerez point.
VI. Vous ne commettrez point d’adultère.
VII. Vous ne déroberez point.
VIII. Vous ne porterez point de faux témoignage contre votre prochain.
IX. Vous ne désirerez point la femme de votre prochain.
X. Vous ne désirerez point la maison de votre prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni aucune de toutes les choses qui lui appartiennent.
Cette loi est de tous les temps et de tous les pays, et a, par cela même, un caractère divin. Tout autres sont les lois établies par Moïse, obligé de maintenir par la crainte un peuple naturellement turbulent et indiscipliné, chez lequel il avait à combattre des abus enracinés et des préjugés puisés dans la servitude d’Égypte. Pour donner de l’autorité à ses lois, il a dû leur attribuer une origine divine, ainsi que l’ont fait tous les législateurs des peuples primitifs ; l’autorité de l’homme devait s’appuyer sur l’autorité de Dieu ; mais l’idée d’un Dieu terrible pouvait seule impressionner des hommes ignorants, en qui le sens moral et le sentiment d’une exquise justice étaient encore peu développés. Il est bien évident que celui qui avait mis dans ses commandements : « Tu ne tueras point ; tu ne feras point de tort à ton prochain » ne pouvait se contredire en faisant un devoir de l’extermination. Les lois mosaïques, proprement dites, avaient donc un caractère essentiellement transitoire.
Christ.
3. Jésus n’est point venu détruire la loi, c’est-à-dire la loi de Dieu ; il est venu l’accomplir, c’est-à-dire la développer, lui donner son véritable sens, et l’approprier au degré d’avancement des hommes ; c’est pourquoi on trouve dans cette loi le principe des devoirs envers Dieu et envers le prochain, qui fait la base de sa doctrine. Quant aux lois de Moïse proprement dites, il les a au contraire profondément modifiées, soit dans le fond, soit dans la forme ; il a constamment combattu l’abus des pratiques extérieures et les fausses interprétations, et il ne pouvait pas leur faire subir une réforme plus radicale qu’en les réduisant à ces mots : « Aimer Dieu par-dessus toutes choses, et son prochain comme soi-même », et en disant : c’est là toute la loi et les prophètes.
Par ces paroles : « Le ciel et la terre ne passeront point que tout ne soit accompli jusqu’à un seul iota », Jésus a voulu dire qu’il fallait que la loi de Dieu reçût son accomplissement, c’est-à-dire fût pratiquée sur toute la terre, dans toute sa pureté, avec tous ses développements et toutes ses conséquences ; car, que servirait d’avoir établi cette loi, si elle devait rester le privilège de quelques hommes ou même d’un seul peuple ? Tous les hommes, étant les enfants de Dieu, sont, sans distinction, l’objet d’une même sollicitude.
4. Mais le rôle de Jésus n’a pas été simplement celui d’un législateur moraliste, sans autre autorité que sa parole ; il est venu accomplir les prophéties qui avaient annoncé sa venue ; il tenait son autorité de la nature exceptionnelle de son Esprit et de sa mission divine ; il est venu apprendre aux hommes que la vraie vie n’est pas sur la terre, mais dans le royaume des cieux ; leur enseigner la voie qui y conduit 8, les moyens de se réconcilier avec Dieu, et les pressentir sur la marche des choses à venir pour l’accomplissement des destinées humaines. Cependant il n’a pas tout dit, et sur beaucoup de points il s’est borné à déposer le germe de vérités qu’il déclare lui-même ne pouvoir être encore comprises ; il a parlé de tout, mais en termes plus ou moins explicites ; pour saisir le sens caché de certaines paroles, il fallait que de nouvelles idées et de nouvelles connaissances vinssent en donner la clef, et ces idées ne pouvaient venir avant un certain degré de maturité de l’esprit humain. La science devait puissamment contribuer à l’éclosion et au développement de ces idées ; il fallait donc donner à la science le temps de progresser.
Le Spiritisme.
5. Le spiritisme est la science nouvelle qui vient révéler aux hommes, par des preuves irrécusables, l’existence et la nature du monde spirituel, et ses rapports avec le monde corporel ; il nous le montre, non plus comme une chose surnaturelle, mais, au contraire, comme une des forces vives et incessamment agissantes de la nature, comme la source d’une foule de phénomènes incompris jusqu’alors et rejetés, par cette raison, dans le domaine du fantastique et du merveilleux. C’est à ces rapports que le Christ fait allusion en maintes circonstances, et c’est pourquoi beaucoup de choses qu’il a dites sont restées inintelligibles ou ont été faussement interprétées. Le spiritisme est la clef à l’aide de laquelle tout s’explique avec facilité.
6. La Loi de l’Ancien Testament est personnifiée dans Moïse ; celle du Nouveau Testament l’est dans le Christ ; le Spiritisme est la troisième révélation de la loi de Dieu 9, mais il n’est personnifié dans aucun individu, parce qu’il est le produit de l’enseignement donné, non par un homme, mais par les Esprits, qui sont les voix du ciel, sur tous les points de la terre, et par une multitude innombrable d’intermédiaires ; c’est en quelque sorte un être collectif comprenant l’ensemble des êtres du monde spirituel, venant chacun apporter aux hommes le tribut de leurs lumières pour leur faire connaître ce monde et le sort qui les y attend.
7. De même que Christ a dit : « Je ne viens point détruire la loi, mais l’accomplir », le spiritisme dit également : « Je ne viens point détruire la loi chrétienne, mais l’accomplir. » Il n’enseigne rien de contraire à ce qu’enseigne le Christ, mais il développe, complète et explique, en termes clairs pour tout le monde, ce qui n’avait été dit que sous la forme allégorique ; il vient accomplir, aux temps prédits, ce que Christ a annoncé, et préparer l’accomplissement des choses futures. Il est donc l’œuvre du Christ qui préside lui-même, ainsi qu’il l’a pareillement annoncé, à la régénération qui s’opère, et prépare le règne de Dieu sur la terre.
Alliance de la science et de la religion.
8. La science et la religion sont les deux leviers de l’intelligence humaine ; l’une révèle les lois du monde matériel et l’autre les lois du monde moral ; mais les unes et les autres, ayant le même principe, qui est Dieu, ne peuvent se contredire ; si elles sont la négation l’une de l’autre, l’une a nécessairement tort et l’autre raison, car Dieu ne peut vouloir détruire son propre ouvrage. L’incompatibilité qu’on a cru voir entre ces deux ordres d’idées tient à un défaut d’observation et à trop d’exclusivisme de part et d’autre ; de là un conflit d’où sont nées l’incrédulité et l’intolérance.
Les temps sont arrivés où les enseignements du Christ doivent recevoir leur complément ; où le voile jeté à dessein sur quelques parties de cet enseignement doit être levé ; où la science, cessant d’être exclusivement matérialiste, doit tenir compte de l’élément spirituel, et où la religion, cessant de méconnaître les lois organiques et immuables de la matière, ces deux forces, s’appuyant l’une sur l’autre, et marchant de concert, se prêteront un mutuel appui. Alors la religion, ne recevant plus de démenti de la science, acquerra une puissance inébranlable, parce qu’elle sera d’accord avec la raison, et qu’on ne pourra lui opposer l’irrésistible logique des faits.
La science et la religion n’ont pu s’entendre jusqu’à ce jour, parce que, chacune envisageant les choses à son point de vue exclusif, elles se repoussaient mutuellement. Il fallait quelque chose pour combler le vide qui les séparait, un trait d’union qui les rapprochât ; ce trait d’union est dans la connaissance des lois qui régissent le monde spirituel et ses rapports avec le monde corporel, lois tout aussi immuables que celles qui règlent le mouvement des astres et l’existence des êtres. Ces rapports une fois constatés par l’expérience, une lumière nouvelle s’est faite : la foi s’est adressée à la raison, la raison n’a rien trouvé d’illogique dans la foi, et le matérialisme a été vaincu. Mais en cela comme en toutes choses, il y a des gens qui restent en arrière, jusqu’à ce qu’ils soient entraînés par le mouvement général qui les écrase s’ils veulent y résister au lieu de s’y abandonner. C’est toute une révolution morale qui s’opère en ce moment et travaille les esprits ; après s’être élaborée pendant plus de dix-huit siècles, elle touche à son accomplissement, et va marquer une nouvelle ère dans l’humanité. Les conséquences de cette révolution sont faciles à prévoir ; elle doit apporter, dans les rapports sociaux, d’inévitables modifications, auxquelles il n’est au pouvoir de personne de s’opposer, parce qu’elles sont dans les desseins de Dieu, et qu’elles ressortent de la loi du progrès, qui est une loi de Dieu.
INSTRUCTIONS DES ESPRITS.
L’ère nouvelle.
9. Dieu est unique, et Moïse est l’Esprit que Dieu a envoyé en mission pour le faire connaître, non seulement aux Hébreux, mais encore aux peuples païens. Le peuple hébreu a été l’instrument dont Dieu s’est servi pour faire sa révélation par Moïse et par les prophètes, et les vicissitudes de ce peuple étaient faites pour frapper les yeux et faire tomber le voile qui cachait aux hommes la divinité.
Les commandements de Dieu donnés par Moïse portent le germe de la morale chrétienne la plus étendue ; les commentaires de la Bible en rétrécissaient le sens, parce que, mise en œuvre dans toute sa pureté, elle n’aurait pas été comprise alors ; mais les dix commandements de Dieu n’en restaient pas moins comme le frontispice brillant, comme le phare qui devait éclairer l’humanité dans la route qu’elle avait à parcourir.
La morale enseignée par Moïse était appropriée à l’état d’avancement dans lequel se trouvaient les peuples qu’elle était appelée à régénérer, et ces peuples, à demi sauvages quant au perfectionnement de leur âme, n’auraient pas compris qu’on pût adorer Dieu autrement que par des holocaustes, ni qu’il fallût faire grâce à un ennemi. Leur intelligence, remarquable au point de vue de la matière, et même sous celui des arts et des sciences, était très arriérée en moralité, et ne se serait pas convertie sous l’empire d’une religion entièrement spirituelle ; il leur fallait une représentation semi-matérielle, telle que l’offrait alors la religion hébraïque. C’est ainsi que les holocaustes parlaient à leurs sens, pendant que l’idée de Dieu parlait à leur esprit.
Le Christ a été l’initiateur de la morale la plus pure, la plus sublime ; de la morale évangélique chrétienne qui doit rénover le monde, rapprocher les hommes et les rendre frères ; qui doit faire jaillir de tous les cœurs humains la charité et l’amour du prochain, et créer entre tous les hommes une solidarité commune ; d’une morale enfin qui doit transformer la terre, et en faire un séjour pour des Esprits supérieurs à ceux qui l’habitent aujourd’hui. C’est la loi du progrès, à laquelle la nature est soumise, qui s’accomplit, et le spiritisme est le levier dont Dieu se sert pour faire avancer l’humanité.
Les temps sont arrivés où les idées morales doivent se développer pour accomplir les progrès qui sont dans les desseins de Dieu ; elles doivent suivre la même route que les idées de liberté ont parcourue, et qui en étaient l’avant-coureur. Mais il ne faut pas croire que ce développement se fera sans luttes ; non, elles ont besoin, pour arriver à maturité, de secousses et de discussions, afin qu’elles attirent l’attention des masses ; une fois l’attention fixée, la beauté et la sainteté de la morale frapperont les esprits, et ils s’attacheront à une science qui leur donne la clef de la vie future et leur ouvre les portes du bonheur éternel. C’est Moïse qui a ouvert la voie ; Jésus a continué l’œuvre ; le spiritisme l’achèvera. (UN ESPRIT ISRAÉLITE. Mulhouse, 1861.)
10. Un jour, Dieu, dans sa charité inépuisable, permit à l’homme de voir la vérité percer les ténèbres ; ce jour était l’avènement du Christ. Après la lumière vive, les ténèbres sont revenues ; le monde, après des alternatives de vérité et d’obscurité, se perdait de nouveau. Alors, semblables aux prophètes de l’Ancien Testament, les Esprits se mettent à parler et à vous avertir ; le monde est ébranlé dans ses bases ; le tonnerre grondera ; soyez fermes !
Le spiritisme est d’ordre divin, puisqu’il repose sur les lois mêmes de la nature, et croyez bien que tout ce qui est d’ordre divin a un but grand et utile. Votre monde se perdait, la science, développée aux dépens de ce qui est d’ordre moral, tout en vous menant au bien-être matériel, tournait au profit de l’esprit des ténèbres. Vous le savez, chrétiens, le cœur et l’amour doivent marcher unis à la science. Le règne du Christ, hélas ! après dix-huit siècles, et malgré le sang de tant de martyrs, n’est pas encore venu. Chrétiens, revenez au maître qui veut vous sauver. Tout est facile à celui qui croit et qui aime ; l’amour le remplit d’une joie ineffable. Oui, mes enfants, le monde est ébranlé ; les bons Esprits vous le disent assez ; ployez sous le souffle avant-coureur de la tempête, afin de n’être point renversés ; c’est-à-dire préparez-vous, et ne ressemblez pas aux vierges folles qui furent prises au dépourvu à l’arrivée de l’époux.
La révolution qui s’apprête est plutôt morale que matérielle, les grands Esprits, messagers divins, soufflent la foi, pour que vous tous, ouvriers éclairés et ardents, fassiez entendre votre humble voix ; car vous êtes le grain de sable, mais sans grains de sable il n’y aurait pas de montagnes. Ainsi donc, que cette parole : « Nous sommes petits », n’ait plus de sens pour vous. À chacun sa mission, à chacun son travail. La fourmi ne construit-elle pas l’édifice de sa république, et des animalcules imperceptibles n’élèvent-ils pas des continents ? La nouvelle croisade est commencée ; apôtres de la paix universelle et non d’une guerre, saints Bernard modernes, regardez et marchez en avant : la loi des mondes est la loi du progrès. (FÉNELON. Poitiers, 1861.)
11. Saint Augustin est l’un des plus grands vulgarisateurs du spiritisme ; il se manifeste presque partout ; nous en trouvons la raison dans la vie de ce grand philosophe chrétien. Il appartient à cette vigoureuse phalange des Pères de l’Église auxquels la chrétienté doit ses plus solides assises. Comme beaucoup, il fut arraché au paganisme, disons mieux, à l’impiété la plus profonde, par l’éclat de la vérité. Quand, au milieu de ses débordements, il sentit en son âme cette vibration étrange qui le rappela à lui-même, et lui fit comprendre que le bonheur était ailleurs que dans des plaisirs énervants et fugitifs ; quand enfin, sur son chemin de Damas, il entendit, lui aussi, la voix sainte lui crier : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? il s’écria : Mon Dieu ! mon Dieu ! pardonnez-moi, je crois, je suis chrétien ! et depuis lors il devint un des plus fermes soutiens de l’Évangile. On peut lire, dans les confessions remarquables que nous a laissées cet éminent Esprit, les paroles caractéristiques et prophétiques en même temps, qu’il prononça après avoir perdu sainte Monique : « Je suis convaincu que ma mère reviendra me visiter et me donner des conseils en me révélant ce qui nous attend dans la vie future. » Quel enseignement dans ces paroles, et quelle prévision éclatante de la future doctrine ! C’est pour cela qu’aujourd’hui, voyant l’heure arrivée pour la divulgation de la vérité qu’il avait pressentie jadis, il s’en est fait l’ardent propagateur, et se multiplie, pour ainsi dire, pour répondre à tous ceux qui l’appellent. (ÉRASTE, disciple de saint Paul. Paris, 1863.)
Remarque. Saint Augustin vient-il donc renverser ce qu’il a élevé ? Non, assurément ; mais comme tant d’autres, il voit avec les yeux de l’esprit ce qu’il ne voyait pas comme homme ; son âme dégagée entrevoit de nouvelles clartés ; elle comprend ce qu’elle ne comprenait pas auparavant ; de nouvelles idées lui ont révélé le véritable sens de certaines paroles ; sur la terre il jugeait les choses selon les connaissances qu’il possédait, mais, lorsqu’une nouvelle lumière s’est faite pour lui, il a pu les juger plus sainement ; c’est ainsi qu’il a dû revenir sur sa croyance concernant les Esprits incubes et succubes, et sur l’anathème qu’il avait lancé contre la théorie des antipodes. Maintenant que le christianisme lui apparaît dans toute sa pureté, il peut, sur certains points, penser autrement que de son vivant, sans cesser d’être l’apôtre chrétien ; il peut, sans renier sa foi, se faire le propagateur du spiritisme, parce qu’il y voit l’accomplissement des choses prédites. En le proclamant aujourd’hui, il ne fait que nous ramener à une interprétation plus saine et plus logique des textes. Ainsi en est-il des autres Esprits qui se trouvent dans une position analogue.
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MON ROYAUME N’EST PAS DE CE MONDE.
La vie future. – La royauté de Jésus. – Le point de vue. – Instructions des Esprits : Une royauté terrestre.
1. Pilate, étant donc rentré dans le palais, et ayant fait venir Jésus, lui dit : Êtes-vous le roi des Juifs ? – Jésus lui répondit : Mon royaume n’est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour m’empêcher de tomber dans les mains des Juifs ; mais mon royaume n’est point ici.
Pilate lui dit alors : Vous êtes donc roi ? – Jésus lui repartit : Vous le dites ; je suis roi ; je ne suis né et ne suis venu dans ce monde que pour rendre témoignage à la vérité ; quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. (Saint Jean, chap. XVIII, v. 33, 36, 37.)
La vie future.
2. Par ces paroles, Jésus désigne clairement la vie future, qu’il présente en toutes circonstances comme le terme où aboutit l’humanité, et comme devant faire l’objet des principales préoccupations de l’homme sur la terre ; toutes ses maximes se rapportent à ce grand principe. Sans la vie future, en effet, la plupart de ses préceptes de morale n’auraient aucune raison d’être ; c’est pourquoi ceux qui ne croient pas à la vie future, se figurant qu’il ne parle que de la vie présente, ne les comprennent pas, ou les trouvent puériles.
Ce dogme peut donc être considéré comme le pivot de l’enseignement du Christ ; c’est pourquoi il est placé un des premiers en tête de cet ouvrage, parce qu’il doit être le point de mire de tous les hommes ; seul il peut justifier les anomalies de la vie terrestre et s’accorder avec la justice de Dieu.
3. Les Juifs n’avaient que des idées très incertaines touchant la vie future ; ils croyaient aux anges, qu’ils regardaient comme les êtres privilégiés de la création, mais ils ne savaient pas que les hommes pussent devenir un jour des anges et partager leur félicité. Selon eux, l’observation des lois de Dieu était récompensée par les biens de la terre, la suprématie de leur nation, les victoires sur leurs ennemis ; les calamités publiques et les défaites étaient le châtiment de leur désobéissance. Moïse ne pouvait en dire davantage à un peuple pasteur ignorant, qui devait être touché avant tout par les choses de ce monde. Plus tard, Jésus est venu leur révéler qu’il est un autre monde où la justice de Dieu suit son cours ; c’est ce monde qu’il promet à ceux qui observent les commandements de Dieu, et où les bons trouveront leur récompense ; ce monde est son royaume ; c’est là qu’il est dans toute sa gloire, et où il va retourner en quittant la terre.
Cependant Jésus, conformant son enseignement à l’état des hommes de son époque, n’a pas cru devoir leur donner une lumière complète qui les eût éblouis sans les éclairer, parce qu’ils ne l’auraient pas comprise ; il s’est borné à poser en quelque sorte la vie future en principe, comme une loi de nature à laquelle nul ne peut échapper. Tout chrétien croit donc forcément à la vie future ; mais l’idée que beaucoup s’en font est vague, incomplète, et par cela même fausse en plusieurs points ; pour un grand nombre, ce n’est qu’une croyance sans certitude absolue ; de là les doutes et même l’incrédulité.
Le spiritisme est venu compléter en ce point, comme en beaucoup d’autres, l’enseignement du Christ, lorsque les hommes ont été mûrs pour comprendre la vérité. Avec le spiritisme, la vie future n’est plus un simple article de foi, une hypothèse ; c’est une réalité matérielle démontrée par les faits, car ce sont les témoins oculaires qui viennent la décrire dans toutes ses phases et dans toutes ses péripéties ; de telle sorte que non seulement le doute n’est plus possible, mais l’intelligence la plus vulgaire peut se la représenter sous son véritable aspect, comme on se représente un pays dont on lit une description détaillée ; or, cette description de la vie future est tellement circonstanciée, les conditions d’existence heureuse ou malheureuse de ceux qui s’y trouvent sont si rationnelles, qu’on se dit malgré soi qu’il n’en peut être autrement, et que c’est bien là la vraie justice de Dieu.
La royauté de Jésus.
4. Le royaume de Jésus n’est pas de ce monde, c’est ce que chacun comprend ; mais sur la terre n’a-t-il pas aussi une royauté ? Le titre de roi n’implique pas toujours l’exercice du pouvoir temporel ; il est donné d’un consentement unanime à celui que son génie place au premier rang dans un ordre d’idées quelconques, qui domine son siècle, et influe sur le progrès de l’humanité. C’est dans ce sens qu’on dit : Le roi ou le prince des philosophes, des artistes, des poètes, des écrivains, etc. Cette royauté, née du mérite personnel, consacrée par la postérité, n’a-t-elle pas souvent une prépondérance bien autrement grande que celle qui porte le diadème ? Elle est impérissable, tandis que l’autre est le jouet des vicissitudes ; elle est toujours bénie des générations futures, tandis que l’autre est parfois maudite. La royauté terrestre finit avec la vie ; la royauté morale gouverne encore, et surtout après la mort. À ce titre Jésus n’est-il pas roi plus puissant que maints potentats ? C’est donc avec raison qu’il disait à Pilate : Je suis roi, mais mon royaume n’est pas de ce monde.
Le point de vue.
5. L’idée nette et précise qu’on se fait de la vie future donne une foi inébranlable dans l’avenir, et cette foi a des conséquences immenses sur la moralisation des hommes, en ce qu’elle change complètement le point de vue sous lequel ils envisagent la vie terrestre. Pour celui qui se place, par la pensée, dans la vie spirituelle qui est indéfinie, la vie corporelle n’est plus qu’un passage, une courte station dans un pays ingrat. Les vicissitudes et les tribulations de la vie ne sont plus que des incidents qu’il prend avec patience, parce qu’il sait qu’ils ne sont que de courte durée et doivent être suivis d’un état plus heureux ; la mort n’a plus rien d’effrayant ; ce n’est plus la porte du néant, mais celle de la délivrance, qui ouvre à l’exilé l’entrée d’un séjour de bonheur et de paix. Sachant qu’il est dans une place temporaire et non définitive, il prend les soucis de la vie avec plus d’indifférence, et il en résulte pour lui un calme d’esprit qui en adoucit l’amertume.
Par le simple doute sur la vie future, l’homme reporte toutes ses pensées sur la vie terrestre ; incertain de l’avenir, il donne tout au présent ; n’entrevoyant pas des biens plus précieux que ceux de la terre, il est comme l’enfant qui ne voit rien au-delà de ses jouets ; pour se les procurer, il n’est rien qu’il ne fasse ; la perte du moindre de ses biens est un chagrin cuisant ; un mécompte, un espoir déçu, une ambition non satisfaite, une injustice dont il est victime, l’orgueil ou la vanité blessée sont autant de tourments qui font de sa vie une angoisse perpétuelle, se donnant ainsi volontairement une véritable torture de tous les instants. Prenant son point de vue de la vie terrestre au centre de laquelle il est placé, tout prend autour de lui de vastes proportions ; le mal qui l’atteint, comme le bien qui incombe aux autres, tout acquiert à ses yeux une grande importance. De même, à celui qui est dans l’intérieur d’une ville, tout paraît grand : les hommes qui sont en haut de l’échelle, comme les monuments ; mais qu’il se transporte sur une montagne, hommes et choses vont lui paraître bien petits.
Ainsi en est-il de celui qui envisage la vie terrestre du point de vue de la vie future : l’humanité, comme les étoiles du firmament, se perd dans l’immensité ; il s’aperçoit alors que grands et petits sont confondus comme les fourmis sur une motte de terre ; que prolétaires et potentats sont de la même taille, et il plaint ces éphémères qui se donnent tant de soucis pour y conquérir une place qui les élève si peu et qu’ils doivent garder si peu de temps. C’est ainsi que l’importance attachée aux biens terrestres est toujours en raison inverse de la foi en la vie future.
6. Si tout le monde pensait de la sorte, dira-t-on, nul ne s’occupant plus des choses de la terre, tout y péricliterait. Non ; l’homme cherche instinctivement son bien-être, et, même avec la certitude de n’être que pour peu de temps à une place, encore veut-il y être le mieux ou le moins mal possible ; il n’est personne qui, trouvant une épine sous sa main, ne l’ôte pour ne pas se piquer. Or, la recherche du bien-être force l’homme à améliorer toutes choses, poussé qu’il est par l’instinct du progrès et de la conservation, qui est dans les lois de la nature. Il travaille donc par besoin, par goût et par devoir, et en cela il accomplit les vues de la Providence qui l’a placé sur la terre à cette fin. Seulement celui qui considère l’avenir n’attache au présent qu’une importance relative, et se console aisément de ses échecs en pensant à la destinée qui l’attend.
Dieu ne condamne donc point les jouissances terrestres, mais l’abus de ces jouissances au préjudice des choses de l’âme ; c’est contre cet abus que sont prémunis ceux qui s’appliquent cette parole de Jésus : Mon royaume n’est pas de ce monde.
Celui qui s’identifie avec la vie future est semblable à un homme riche qui perd une petite somme sans s’en émouvoir ; celui qui concentre ses pensées sur la vie terrestre est comme un homme pauvre qui perd tout ce qu’il possède et se désespère.
7. Le spiritisme élargit la pensée et lui ouvre de nouveaux horizons ; au lieu de cette vue étroite et mesquine qui la concentre sur la vie présente, qui fait de l’instant qu’on passe sur la terre l’unique et fragile pivot de l’avenir éternel, il montre que cette vie n’est qu’un anneau dans l’ensemble harmonieux et grandiose de l’œuvre du Créateur ; il montre la solidarité qui relie toutes les existences du même être, tous les êtres d’un même monde et les êtres de tous les mondes ; il donne ainsi une base et une raison d’être à la fraternité universelle, tandis que la doctrine de la création de l’âme au moment de la naissance de chaque corps rend tous les êtres étrangers les uns aux autres. Cette solidarité des parties d’un même tout explique ce qui est inexplicable, si l’on ne considère qu’un seul point. C’est cet ensemble qu’au temps du Christ les hommes n’auraient pu comprendre, c’est pourquoi il en a réservé la connaissance à d’autres temps.
INSTRUCTIONS DES ESPRITS.
Une royauté terrestre.
8. Qui mieux que moi peut comprendre la vérité de cette parole de Notre-Seigneur : Mon royaume n’est pas de ce monde ? L’orgueil m’a perdue sur la terre ; qui donc comprendrait le néant des royaumes d’ici-bas, si je ne le comprenais pas ? Qu’ai-je emporté avec moi de ma royauté terrestre ? Rien, absolument rien ; et comme pour rendre la leçon plus terrible, elle ne m’a pas suivie jusqu’à la tombe ! Reine j’étais parmi les hommes, reine je croyais entrer dans le royaume des cieux. Quelle désillusion ! quelle humiliation quand, au lieu d’y être reçue en souveraine, j’ai vu au-dessus de moi, mais bien au-dessus, des hommes que je croyais bien petits et que je méprisais, parce qu’ils n’étaient pas d’un noble sang ! Oh ! qu’alors j’ai compris la stérilité des honneurs et des grandeurs que l’on recherche avec tant d’avidité sur la terre !
Pour se préparer une place dans ce royaume, il faut l’abnégation, l’humilité, la charité dans toute sa céleste pratique, la bienveillance pour tous ; on ne vous demande pas ce que vous avez été, quel rang vous avez occupé, mais le bien que vous avez fait, les larmes que vous avez essuyées.
Oh ! Jésus, tu l’as dit, ton royaume n’est pas ici-bas, car il faut souffrir pour arriver au ciel, et les marches du trône ne vous en rapprochent pas ; ce sont les sentiers les plus pénibles de la vie qui y conduisent ; cherchez-en donc la route à travers les ronces et les épines, et non parmi les fleurs.
Les hommes courent après les biens terrestres comme s’ils devaient les garder toujours ; mais ici plus d’illusion ; ils s’aperçoivent bientôt qu’ils n’ont saisi qu’une ombre, et ont négligé les seuls biens solides et durables, les seuls qui leur profitent au céleste séjour, les seuls qui peuvent leur en ouvrir l’accès.
Ayez pitié de ceux qui n’ont pas gagné le royaume des cieux ; aidez-les de vos prières, car la prière rapproche l’homme du Très-Haut ; c’est le trait d’union entre le ciel et la terre : ne l’oubliez pas. (UNE REINE DE FRANCE. Le Havre, 1863.)
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CHAPITRE III
IL Y A PLUSIEURS DEMEURES
DANS LA MAISON DE MON PÈRE.
Différents états de l’âme dans l’erraticité. – Différentes catégories de mondes habités. – Destination de la terre. Cause des misères terrestres. – Instructions des Esprits : Mondes supérieurs et mondes inférieurs. – Mondes d’expiations et d’épreuves. – Mondes régénérateurs. – Progression des mondes.
1. Que votre cœur ne se trouble point. – Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. – Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père ; si cela n’était, je vous l’aurais déjà dit, car je m’en vais pour préparer le lieu ; – et après que je m’en serai allé et que je vous aurai préparé le lieu, je reviendrai, et vous retirerai à moi, afin que là où je serai, vous y soyez aussi. (Saint Jean, ch. XIV, v. 1, 2, 3.)
Différents états de l’âme dans l’erraticité.
2. La maison du Père, c’est l’univers ; les différentes demeures sont les mondes qui circulent dans l’espace infini, et offrent aux Esprits incarnés des séjours appropriés à leur avancement.
Indépendamment de la diversité des mondes, ces paroles peuvent aussi s’entendre de l’état heureux ou malheureux de l’Esprit dans l’erraticité. Suivant qu’il est plus ou moins épuré et dégagé des liens matériels, le milieu où il se trouve, l’aspect des choses, les sensations qu’il éprouve, les perceptions qu’il possède varient à l’infini ; tandis que les uns ne peuvent s’éloigner de la sphère où ils ont vécu, d’autres s’élèvent et parcourent l’espace et les mondes ; tandis que certains Esprits coupables errent dans les ténèbres, les heureux jouissent d’une clarté resplendissante et du sublime spectacle de l’infini ; tandis, enfin, que le méchant, bourrelé de remords et de regrets, souvent seul, sans consolations, séparé des objets de son affection, gémit sous l’étreinte des souffrances morales, le juste, réuni à ceux qu’il aime, goûte les douceurs d’une indicible félicité. Là aussi il y a donc plusieurs demeures, quoiqu’elles ne soient ni circonscrites, ni localisées.
Différentes catégories de mondes habités.
3. De l’enseignement donné par les Esprits, il résulte que les divers mondes sont dans des conditions très différentes les unes des autres quant au degré d’avancement ou d’infériorité de leurs habitants. Dans le nombre, il en est dont ces derniers sont encore inférieurs à ceux de la terre physiquement et moralement ; d’autres sont au même degré, et d’autres lui sont plus ou moins supérieurs à tous égards. Dans les mondes inférieurs, l’existence est toute matérielle, les passions règnent en souveraines, la vie morale est à peu près nulle. À mesure que celle-ci se développe, l’influence de la matière diminue, de telle sorte que dans les mondes les plus avancés la vie est pour ainsi dire toute spirituelle.
4. Dans les mondes intermédiaires, il y a mélange de bien et de mal, prédominance de l’un ou de l’autre, selon le degré d’avancement. Quoiqu’il ne puisse être fait des divers mondes une classification absolue, on peut néanmoins, en raison de leur état et de leur destination, et en se basant sur les nuances les plus tranchées, les diviser d’une manière générale, ainsi qu’il suit, savoir : les mondes primitifs, affectés aux premières incarnations de l’âme humaine ; les mondes d’expiations et d’épreuves, où le mal domine ; les mondes régénérateurs, où les âmes qui ont encore à expier puisent de nouvelles forces, tout en se reposant des fatigues de la lutte ; les mondes heureux, où le bien l’emporte sur le mal ; les mondes célestes ou divins, séjour des Esprits épurés, où le bien règne sans partage. La terre appartient à la catégorie des mondes d’expiations et d’épreuves, c’est pourquoi l’homme y est en butte à tant de misères.
5. Les Esprits incarnés sur un monde n’y sont point attachés indéfiniment, et n’y accomplissent pas toutes les phases progressives qu’ils doivent parcourir pour arriver à la perfection. Quand ils ont atteint sur un monde le degré d’avancement qu’il comporte, ils passent dans un autre plus avancé, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’ils soient arrivés à l’état de purs Esprits. Ce sont autant de stations à chacune desquelles ils trouvent des éléments de progrès proportionnés à leur avancement. C’est pour eux une récompense de passer dans un monde d’un ordre plus élevé, comme c’est un châtiment de prolonger leur séjour dans un monde malheureux, ou d’être relégués dans un monde plus malheureux encore que celui qu’ils sont forcés de quitter, quand ils se sont obstinés dans le mal.
Destination de la terre.
Causes des misères humaines.
6. On s’étonne de trouver sur la terre tant de méchanceté et de mauvaises passions, tant de misères et d’infirmités de toutes sortes, et l’on en conclut que l’espèce humaine est une triste chose. Ce jugement provient du point de vue borné où l’on se place, et qui donne une fausse idée de l’ensemble. Il faut considérer que sur la terre on ne voit pas toute l’humanité, mais une très petite fraction de l’humanité. En effet, l’espèce humaine comprend tous les êtres doués de raison qui peuplent les innombrables mondes de l’univers ; or, qu’est-ce que la population de la terre auprès de la population totale de ces mondes ? Bien moins que celle d’un hameau par rapport à celle d’un grand empire. La situation matérielle et morale de l’humanité terrestre n’a plus rien qui étonne, si l’on se rend compte de la destination de la terre et de la nature de ceux qui l’habitent.
7. On se ferait des habitants d’une grande cité une idée très fausse si on les jugeait par la population des quartiers infimes et sordides. Dans un hospice, on ne voit que des malades ou des estropiés ; dans un bagne, on voit toutes les turpitudes, tous les vices réunis ; dans les contrées insalubres, la plupart des habitants sont pâles, malingres et souffreteux. Eh bien, qu’on se figure la terre comme étant un faubourg, un hospice, un pénitencier, un pays malsain, car elle est à la fois tout cela, et l’on comprendra pourquoi les afflictions l’emportent sur les jouissances, car on n’envoie pas à l’hospice les gens qui se portent bien, ni dans les maisons de correction ceux qui n’ont point fait de mal ; et ni les hospices, ni les maisons de correction ne sont des lieux de délices.
Or, de même que dans une ville toute la population n’est pas dans les hospices ou dans les prisons, toute l’humanité n’est pas sur la terre ; comme on sort de l’hospice quand on est guéri, et de la prison quand on a fait son temps, l’homme quitte la terre pour des mondes plus heureux quand il est guéri de ses infirmités morales.
INSTRUCTIONS DES ESPRITS.
Mondes inférieurs et mondes supérieurs.
8. La qualification de mondes inférieurs et de mondes supérieurs est plutôt relative qu’absolue ; tel monde est inférieur ou supérieur par rapport à ceux qui sont au-dessus ou au-dessous de lui dans l’échelle progressive.
La terre étant prise pour point de comparaison, on peut se faire une idée de l’état d’un monde inférieur en y supposant l’homme au degré des races sauvages ou des nations barbares que l’on trouve encore à sa surface, et qui sont les restes de son état primitif. Dans les plus arriérés, les êtres qui les habitent sont en quelque sorte rudimentaires ; ils ont la forme humaine, mais sans aucune beauté ; les instincts n’y sont tempérés par aucun sentiment de délicatesse ou de bienveillance, ni par les notions du juste et de l’injuste ; la force brutale y fait seule la loi. Sans industrie, sans inventions, les habitants dépensent leur vie à la conquête de leur nourriture. Cependant Dieu n’abandonne aucune de ses créatures ; au fond des ténèbres de l’intelligence gît, latente, la vague intuition d’un Être suprême, développée plus ou moins. Cet instinct suffit pour les rendre supérieurs les uns aux autres et préparer leur éclosion à une vie plus complète ; car ce ne sont point des êtres dégradés, mais des enfants qui grandissent.
Entre ces degrés inférieurs et les plus élevés, il y a d’innombrables échelons, et dans les Esprits purs, dématérialisés et resplendissants de gloire, on a peine à reconnaître ceux qui ont animé ces êtres primitifs, de même que dans l’homme adulte on a peine à reconnaître l’embryon.
9. Dans les mondes arrivés à un degré supérieur, les conditions de la vie morale et matérielle sont tout autres, même, que sur la terre. La forme du corps est toujours, comme partout, la forme humaine, mais embellie, perfectionnée, et surtout purifiée. Le corps n’a rien de la matérialité terrestre, et n’est, par conséquent, sujet ni aux besoins, ni aux maladies, ni aux détériorations qu’engendre la prédominance de la matière ; les sens, plus exquis, ont des perceptions qu’étouffe ici-bas la grossièreté des organes ; la légèreté spécifique des corps rend la locomotion rapide et facile ; au lieu de se traîner péniblement sur le sol, il glisse, pour ainsi dire, à la surface, ou plane dans l’atmosphère sans autre effort que celui de la volonté, à la manière dont on représente les anges, ou dont les Anciens se figuraient les mânes dans les Champs Élysées. Les hommes conservent à leur gré les traits de leurs migrations passées et paraissent à leurs amis tels qu’ils les ont connus, mais illuminés par une lumière divine, transfigurés par les impressions intérieures, qui sont toujours élevées. Au lieu de visages ternes, ravagés par les souffrances et les passions, l’intelligence et la vie rayonnent de cet éclat que les peintres ont traduit par le nimbe ou l’auréole des saints.
Le peu de résistance qu’offre la matière à des Esprits déjà très avancés, rend le développement des corps rapide et l’enfance courte ou presque nulle ; la vie, exempte de soucis et d’angoisses, est proportionnellement beaucoup plus longue que sur la terre. En principe, la longévité est proportionnée au degré d’avancement des mondes. La mort n’y a rien des horreurs de la décomposition ; loin d’être un sujet d’effroi, elle est considérée comme une transformation heureuse, parce que là le doute sur l’avenir n’existe pas. Pendant la vie, l’âme, n’étant point enserrée dans une matière compacte, rayonne et jouit d’une lucidité qui la met dans un état presque permanent d’émancipation, et permet la libre transmission de la pensée.
10. Dans ces mondes heureux, les relations de peuple à peuple, toujours amicales, ne sont jamais troublées par l’ambition d’asservir son voisin, ni par la guerre qui en est la suite. Il n’y a ni maîtres, ni esclaves, ni privilégiés de naissance ; la supériorité morale et intelligente établit seule la différence des conditions et donne la suprématie. L’autorité est toujours respectée, parce qu’elle n’est donnée qu’au mérite, et qu’elle s’exerce toujours avec justice. L’homme ne cherche point à s’élever au-dessus de l’homme, mais au-dessus de lui-même en se perfectionnant. Son but est de parvenir au rang des purs Esprits, et ce désir incessant n’est point un tourment, mais une noble ambition qui le fait étudier avec ardeur pour arriver à les égaler. Tous les sentiments tendres et élevés de la nature humaine s’y trouvent agrandis et purifiés ; les haines, les mesquines jalousies, les basses convoitises de l’envie y sont inconnues ; un lien d’amour et de fraternité unit tous les hommes ; les plus forts aident les plus faibles. Ils possèdent plus ou moins, selon qu’ils ont plus ou moins acquis par leur intelligence, mais nul ne souffre par le manque du nécessaire, parce que nul n’y est en expiation ; en un mot, le mal n’y existe pas.
11. Dans votre monde, vous avez besoin du mal pour sentir le bien, de la nuit pour admirer la lumière, de la maladie pour apprécier la santé ; là, ces contrastes ne sont point nécessaires ; l’éternelle lumière, l’éternelle beauté, l’éternel calme de l’âme, procurent une éternelle joie que ne troublent ni les angoisses de la vie matérielle, ni le contact des méchants, qui n’y ont point accès. Voilà ce que l’esprit humain a le plus de peine à comprendre ; il a été ingénieux pour peindre les tourments de l’enfer, il n’a jamais pu se représenter les joies du ciel ; et pourquoi cela ? Parce que, étant inférieur, il n’a enduré que peines et misères, et n’a point entrevu les célestes clartés ; il ne peut parler que de ce qu’il connaît ; mais, à mesure qu’il s’élève et s’épure, l’horizon s’éclaircit, et il comprend le bien qui est devant lui, comme il a compris le mal qui est resté derrière lui.
12. Cependant ces mondes fortunés ne sont point des mondes privilégiés, car Dieu n’est partial pour aucun de ses enfants ; il donne à tous les mêmes droits et les mêmes facilités pour y arriver ; il les fait tous partir du même point, et n’en dote aucun plus que les autres ; les premiers rangs sont accessibles à tous : à eux de les conquérir par leur travail ; à eux de les atteindre le plus tôt possible, ou de languir pendant des siècles de siècles dans les bas-fonds de l’humanité. (Résumé de l’enseignement de tous les Esprits supérieurs.)
Mondes d’expiations et d’épreuves.
13. Que vous dirai-je des mondes d’expiations que vous ne sachiez déjà, puisqu’il vous suffit de considérer la terre que vous habitez ? La supériorité de l’intelligence chez un grand nombre de ses habitants indique qu’elle n’est pas un monde primitif destiné à l’incarnation d’Esprits à peine sortis des mains du Créateur. Les qualités innées qu’ils apportent avec eux sont la preuve qu’ils ont déjà vécu, et qu’ils ont accompli un certain progrès ; mais aussi les vices nombreux auxquels ils sont enclins sont l’indice d’une grande imperfection morale ; c’est pourquoi Dieu les a placés sur une terre ingrate pour y expier leurs fautes par un travail pénible et par les misères de la vie, jusqu’à ce qu’ils aient mérité d’aller dans un monde plus heureux.
14. Cependant tous les Esprits incarnés sur la terre n’y sont pas envoyés en expiation. Les races que vous appelez sauvages sont des Esprits à peine sortis de l’enfance, et qui y sont, pour ainsi dire, en éducation, et se développent au contact d’Esprits plus avancés. Viennent ensuite les races à demi civilisées formées de ces mêmes Esprits en progrès. Ce sont là, en quelque sorte, les races indigènes de la terre, qui ont grandi peu à peu à la suite de longues périodes séculaires, et dont quelques-unes ont pu atteindre le perfectionnement intellectuel des peuples les plus éclairés.
Les Esprits en expiation y sont, si l’on peut s’exprimer ainsi, exotiques ; ils ont déjà vécu sur d’autres mondes d’où ils ont été exclus par suite de leur obstination dans le mal, et parce qu’ils y étaient une cause de trouble pour les bons ; ils ont été relégués, pour un temps, parmi des Esprits plus arriérés, et qu’ils ont pour mission de faire avancer, car ils ont apporté avec eux leur intelligence développée et le germe des connaissances acquises ; c’est pourquoi les Esprits punis se trouvent parmi les races les plus intelligentes ; ce sont celles aussi pour lesquelles les misères de la vie ont le plus d’amertume, parce qu’il y a en elles plus de sensibilité, et qu’elles sont plus éprouvées par le froissement que les races primitives dont le sens moral est plus obtus.
15. La terre fournit donc un des types des mondes expiatoires, dont les variétés sont infinies, mais qui ont pour caractère commun de servir de lieu d’exil aux Esprits rebelles à la loi de Dieu. Là ces Esprits ont à lutter à la fois contre la perversité des hommes et contre l’inclémence de la nature, double travail pénible qui développe en même temps les qualités du cœur et celles de l’intelligence. C’est ainsi que Dieu, dans sa bonté, fait tourner le châtiment même au profit du progrès de l’Esprit. (SAINT AUGUSTIN. Paris, 1862.)
Mondes régénérateurs.
16. Parmi ces étoiles qui scintillent dans la voûte azurée, combien est-il de mondes, comme le vôtre, désignés par le Seigneur pour l’expiation et l’épreuve ! Mais il en est aussi de plus misérables et de meilleurs, comme il en est de transitoires que l’on peut appeler régénérateurs. Chaque tourbillon planétaire, courant dans l’espace autour d’un foyer commun, entraîne avec lui ses mondes primitifs, d’exil, d’épreuve, de régénération et de félicité. Il vous a été parlé de ces mondes où l’âme naissante est placée, alors qu’ignorante encore du bien et du mal, elle peut marcher à Dieu, maîtresse d’elle-même, en possession de son libre arbitre ; il vous a été dit de quelles larges facultés l’âme a été douée pour faire le bien ; mais, hélas ! il en est qui succombent, et Dieu, ne voulant pas les anéantir, leur permet d’aller dans ces mondes où, d’incarnations en incarnations, elles s’épurent, se régénèrent, et reviendront dignes de la gloire qui leur était destinée.
17. Les mondes régénérateurs servent de transition entre les mondes d’expiation et les mondes heureux ; l’âme qui se repent y trouve le calme et le repos en achevant de s’épurer. Sans doute, dans ces mondes, l’homme est encore sujet des lois qui régissent la matière ; l’humanité éprouve vos sensations et vos désirs, mais elle est affranchie des passions désordonnées dont vous êtes esclaves ; là plus d’orgueil qui fait taire le cœur, plus d’envie qui le torture, plus de haine qui l’étouffe ; le mot amour est écrit sur tous les fronts ; une parfaite équité règle les rapports sociaux ; tous se montrent Dieu, et tentent d’aller à lui en suivant ses lois.
Là, pourtant, n’est point encore le parfait bonheur, mais c’est l’aurore du bonheur. L’homme y est encore chair, et par cela même sujet à des vicissitudes dont ne sont exempts que les êtres complètement dématérialisés ; il a encore des épreuves à subir, mais elles n’ont point les poignantes angoisses de l’expiation. Comparés à la terre, ces mondes sont très heureux, et beaucoup d’entre vous seraient satisfaits de s’y arrêter, car c’est le calme après la tempête, la convalescence après une cruelle maladie ; mais l’homme, moins absorbé par les choses matérielles, entrevoit mieux l’avenir que vous ne le faites ; il comprend qu’il est d’autres joies que le Seigneur promet à ceux qui s’en rendent dignes, quand la mort aura de nouveau moissonné leurs corps pour leur donner la vraie vie. C’est alors que l’âme affranchie planera sur tous les horizons ; plus de sens matériels et grossiers, mais les sens d’un périsprit pur et céleste, aspirant les émanations de Dieu même sous les parfums d’amour et de charité qui s’épandent de son sein.
18. Mais, hélas ! dans ces mondes, l’homme est encore faillible, et l’Esprit du mal n’y a pas complètement perdu son empire. Ne pas avancer, c’est reculer, et s’il n’est pas ferme dans la voie du bien, il peut retomber dans les mondes d’expiation, où l’attendent de nouvelles et plus terribles épreuves.
Contemplez donc cette voûte azurée, le soir, à l’heure du repos et de la prière, et dans ces sphères innombrables qui brillent sur vos têtes, demandez-vous celles qui mènent à Dieu, et priez-le qu’un monde régénérateur vous ouvre son sein après l’expiation de la terre. (SAINT AUGUSTIN. Paris, 1862.)
Progression des mondes.
19. Le progrès est une des lois de la nature ; tous les êtres de la création, animés et inanimés, y sont soumis par la bonté de Dieu, qui veut que tout grandisse et prospère. La destruction même, qui semble aux hommes le terme des choses, n’est qu’un moyen d’arriver par la transformation à un état plus parfait, car tout meurt pour renaître, et rien ne rentre dans le néant.
En même temps que les êtres vivants progressent moralement, les mondes qu’ils habitent progressent matériellement. Qui pourrait suivre un monde dans ses diverses phases depuis l’instant où se sont agglomérés les premiers atomes qui ont servi à le constituer, le verrait parcourir une échelle incessamment progressive, mais par des degrés insensibles pour chaque génération, et offrir à ses habitants un séjour plus agréable à mesure que ceux-ci avancent eux-mêmes dans la voie du progrès. Ainsi marchent parallèlement le progrès de l’homme, celui des animaux ses auxiliaires, des végétaux et de l’habitation, car rien n’est stationnaire dans la nature. Combien cette idée est grande et digne de la majesté du Créateur ! Et qu’au contraire elle est petite et indigne de sa puissance celle qui concentre sa sollicitude et sa providence sur l’imperceptible grain de sable de la terre, et restreint l’humanité aux quelques hommes qui l’habitent !
La terre, suivant cette loi, a été matériellement et moralement dans un état inférieur à ce qu’elle est aujourd’hui, et atteindra sous ce double rapport un degré plus avancé. Elle est arrivée à une de ses périodes de transformation où, de monde expiatoire, elle va devenir monde régénérateur ; alors les hommes y seront heureux parce que la loi de Dieu y régnera. (SAINT AUGUSTIN. Paris, 1862.)
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CHAPITRE IV
PERSONNE NE PEUT VOIR LE ROYAUME DE DIEU S’IL NE NAÎT DE NOUVEAU.
Résurrection et réincarnation. – Liens de famille fortifiés par la réincarnation et brisés par l’unité d’existence. – Instructions des Esprits : Limites de l’incarnation. – L’incarnation est-elle un châtiment ?
1. Jésus étant venu aux environs de Césarée-de-Philippe, interrogea ses disciples et leur dit : Que disent les hommes touchant le Fils de l’Homme ? Qui disent-ils que je suis ? – Ils lui répondirent : Les uns disent que vous êtes Jean-Baptiste ; les autres Élie, les autres Jérémie ou quelqu’un des prophètes. – Jésus leur dit : Et vous autres, qui dites-vous que je suis ? – Simon-Pierre, prenant la parole, lui dit : Vous êtes le Christ, le Fils de Dieu vivant. – Jésus lui répondit : Vous êtes bienheureux, Simon, fils de Jean, parce que ce n’est point la chair ni le sang qui vous ont révélé ceci, mais mon Père qui est dans les cieux. (Saint Matthieu, ch. XVI, v. de 13 à 17 ; saint Marc, ch. VIII, v. de 27 à 30.)
2. Cependant Hérode le Tétrarque entendit parler de tout ce que faisait Jésus, et son esprit était en suspens, – parce que les uns disaient que Jean était ressuscité d’entre les morts, les autres qu’Élie était apparu, et d’autres qu’un des anciens prophètes était ressuscité. – Alors Hérode dit : J’ai fait couper la tête à Jean ; mais qui est celui de qui j’entends dire de si grandes choses ? Et il avait envie de le voir. (Saint Marc, ch. VI, v. 14, 15 ; saint Luc, ch. IX, v. 7, 8, 9.)
3. (Après la transfiguration.) Ses disciples l’interrogèrent alors et lui dirent : Pourquoi donc les scribes disent-ils qu’il faut qu’Élie revienne auparavant ? – Mais Jésus leur répondit : Il est vrai qu’Élie doit revenir et rétablir toutes choses ; – mais je vous déclare qu’Élie est déjà venu, et ils ne l’ont point connu, mais ils l’ont traité comme il leur a plu. C’est ainsi qu’ils feront souffrir le Fils de l’Homme. – Alors ses disciples comprirent que c’était de Jean-Baptiste qu’il leur avait parlé. (Saint Mathieu, ch. XVIII, v, de 10 à 13 ; saint Marc, ch. IX, v. 10, 11, 12.)
Résurrection et réincarnation.
4. La réincarnation faisait partie des dogmes juifs sous le nom de résurrection ; seuls les Sadducéens, qui pensaient que tout finit à la mort, n’y croyaient pas. Les idées des Juifs sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, n’étaient pas clairement définies, parce qu’ils n’avaient que des notions vagues et incomplètes sur l’âme et sa liaison avec le corps. Ils croyaient qu’un homme qui a vécu pouvait revivre, sans se rendre un compte précis de la manière dont la chose pouvait avoir lieu ; ils désignaient par le mot résurrection ce que le spiritisme appelle plus judicieusement réincarnation. En effet, la résurrection suppose le retour à la vie du corps qui est mort, ce que la science démontre être matériellement impossible, surtout quand les éléments de ce corps sont depuis longtemps dispersés et absorbés. La réincarnation est le retour de l’âme ou Esprit à la vie corporelle, mais dans un autre corps nouvellement formé pour lui, et qui n’a rien de commun avec l’ancien. Le mot résurrection pouvait ainsi s’appliquer à Lazare, mais non à Élie, ni aux autres prophètes. Si donc, selon leur croyance, Jean-Baptiste était Élie, le corps de Jean ne pouvait être celui d’Élie, puisqu’on avait vu Jean enfant et que l’on connaissait son père et sa mère. Jean pouvait donc être Élie réincarné, mais non ressuscité.
5. Or, il y avait un homme d’entre les Pharisiens, nommé Nicodème, sénateur des Juifs, – qui vint la nuit trouver Jésus, et lui dit : Maître, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu pour nous instruire comme un docteur ; car personne ne saurait faire les miracles que vous faites, si Dieu n’est avec lui.
Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis : Personne ne peut voir le royaume de Dieu s’il ne naît de nouveau.
Nicodème lui dit : Comment peut naître un homme qui est déjà vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère, pour naître une seconde fois ?
Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis : Si un homme ne renaît de l’eau et de l’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. – Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est Esprit. – Ne vous étonnez pas de ce que je vous ai dit qu’il faut que vous naissiez de nouveau. – L’Esprit souffle où il veut, et vous entendez sa voix, mais vous ne savez d’où il vient, ni où il va ; il en est de même de tout homme qui est né de l’Esprit.
Nicodème lui répondit : Comment cela peut-il se faire ? – Jésus lui dit : Quoi ! vous êtes maître en Israël, et vous ignorez ces choses ! – En vérité, en vérité, je vous dis que nous ne disons que ce que nous savons, et que nous ne rendons témoignage que de ce que nous avons vu ; et cependant vous ne recevrez point notre témoignage. – Mais si vous ne me croyez pas lorsque je vous parle des choses de la terre, comment me croirez-vous lorsque je vous parlerai des choses du ciel ? (Saint Jean, ch. III, v. de 1 à 12.)
6. La pensée que Jean-Baptiste était Élie, et que les prophètes pouvaient revivre sur la terre, se retrouve en maints passages des Évangiles, notamment dans ceux relatés ci-dessus (nos 1, 2, 3). Si cette croyance avait été une erreur, Jésus n’eût pas manqué de la combattre, comme il en a combattu tant d’autres ; loin de là, il la sanctionne de toute son autorité, et la pose en principe et comme une condition nécessaire quand il dit : Personne ne peut voir le royaume des cieux s’il ne naît de nouveau ; et il insiste en ajoutant : Ne vous étonnez pas de ce que je vous dis qu’il FAUT que vous naissiez de nouveau.
7. Ces mots : « Si un homme ne renaît de l’eau et de l’Esprit » ont été interprétés dans le sens de la régénération par l’eau du baptême ; mais le texte primitif portait simplement : Ne renaît de l’eau et de l’Esprit, tandis que, dans certaines traductions, à de l’Esprit on a substitué : du Saint-Esprit, ce qui ne répond plus à la même pensée. Ce point capital ressort des premiers commentaires faits sur l’Évangile, ainsi que cela sera un jour constaté sans équivoque possible.
8. Pour comprendre le sens véritable de ces paroles, il faut également se reporter à la signification du mot eau qui n’était point employé dans son acception propre.
Les connaissances des Anciens sur les sciences physiques étaient très imparfaites ; ils croyaient que la terre était sortie des eaux, c’est pourquoi ils regardaient l’eau comme l’élément générateur absolu ; c’est ainsi que dans la Genèse il est dit : « L’Esprit de Dieu était porté sur les eaux ; flottait à la surface des eaux ; – Que le firmament soit fait au milieu des eaux ; – Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu, et que l’élément aride paraisse ; – Que les eaux produisent des animaux vivants qui nagent dans l’eau, et des oiseaux qui volent sur la terre et sous le firmament. »
D’après cette croyance, l’eau était devenue le symbole de la nature matérielle, comme l’Esprit était celui de la nature intelligente. Ces mots : « Si l’homme ne renaît de l’eau et de l’Esprit, ou en eau et en Esprit » signifient donc : « Si l’homme ne renaît avec son corps et son âme. » C’est dans ce sens qu’ils ont été compris dans le principe.
Cette interprétation est d’ailleurs justifiée par ces autres paroles : Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est l’Esprit. Jésus fait ici une distinction positive entre l’Esprit et le corps. Ce qui est né de la chair est chair indique clairement que le corps seul procède du corps, et que l’Esprit est indépendant du corps.
9. L’Esprit souffle où il veut ; vous entendez sa voix, mais vous ne savez ni d’où il vient ni où il va peut s’entendre de l’Esprit de Dieu qui donne la vie à qui il veut, ou de l’âme de l’homme ; dans cette dernière acception, « Vous ne savez d’où il vient ni où il va » signifie que l’on ne connaît ni ce qu’a été, ni ce que sera l’Esprit. Si l’Esprit, ou âme, était créé en même temps que le corps, on saurait d’où il vient, puisqu’on connaîtrait son commencement. En tout état de cause, ce passage est la consécration du principe de la préexistence de l’âme, et par conséquent de la pluralité des existences.
10. Or, depuis le temps de Jean-Baptiste jusqu’à présent, le royaume des Cieux se prend par violence, et ce sont les violents qui l’emportent ; – car, jusqu’à Jean, tous les prophètes, aussi bien que la loi, ont prophétisé ; – et si vous voulez comprendre ce que je vous dis, c’est lui-même qui est Élie qui doit venir. – Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre. (Saint Matthieu, ch. XI, v. de 12 à 15.)
11. Si le principe de la réincarnation exprimé dans saint Jean pouvait, à la rigueur, être interprété dans un sens purement mystique, il ne saurait en être de même dans ce passage de saint Matthieu, qui est sans équivoque possible : c’est LUI-MÊME qui est Élie qui doit venir ; il n’y a là ni figure, ni allégorie : c’est une affirmation positive. – « Depuis le temps de Jean-Baptiste jusqu’à présent, le royaume des cieux se prend par violence. » Que signifient ces paroles, puisque Jean-Baptiste vivait encore à ce moment-là ? Jésus les explique en disant : « Si vous voulez comprendre ce que je dis, c’est lui-même qui est Élie qui doit venir. » Or, Jean n’étant autre qu’Élie, Jésus fait allusion au temps où Jean vivait sous le nom d’Élie. « Jusqu’à présent le royaume des cieux se prend par violence » est une autre allusion à la violence de la loi mosaïque qui commandait l’extermination des infidèles pour gagner la Terre Promise, Paradis des Hébreux, tandis que, selon la nouvelle loi, le ciel se gagne par la charité et la douceur.
Puis il ajoute : Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre. Ces paroles, si souvent répétées par Jésus, disent clairement que tout le monde n’était pas en état de comprendre certaines vérités.
12. Ceux de votre peuple qu’on avait fait mourir vivront de nouveau ; ceux qui étaient tués au milieu de moi ressusciteront. Réveillez-vous de votre sommeil, et chantez les louanges de Dieu, vous qui habitez dans la poussière ; parce que la rosée qui tombe sur vous est une rosée de lumière, et que vous ruinerez la terre et le règne des géants. (Isaïe, ch. XXVI, v. 19.)
13. Ce passage d’Isaïe est tout aussi explicite : « Ceux de votre peuple qu’on avait fait mourir vivront de nouveau. » Si le prophète avait entendu parler de la vie spirituelle, s’il avait voulu dire que ceux que l’on a fait mourir n’étaient pas morts en Esprit, il aurait dit : vivent encore, et non vivront de nouveau. Dans le sens spirituel, ces mots seraient un non-sens, puisqu’ils impliqueraient une interruption dans la vie de l’âme. Dans le sens de régénération morale, ils seraient la négation des peines éternelles, puisqu’ils établissent en principe que tous ceux qui sont morts revivront.
14. Mais quand l’homme est mort une fois, que son corps, séparé de son esprit, est consumé, que devient-il ? – L’homme étant mort une fois, pourrait-il bien revivre de nouveau ? Dans cette guerre où je me trouve tous les jours de ma vie, j’attends que mon changement arrive. (JOB, ch. XIV, v. 10, 14. Traduction de Le Maistre de Sacy.)
Quand l’homme meurt, il perd toute sa force, il expire ; puis où est-il ? – Si l’homme meurt, revivra-t-il ? Attendrai-je tous les jours de mon combat, jusqu’à ce qu’il m’arrive quelque changement ? (Id. Traduction protestante d’Osterwald.)
Quand l’homme est mort, il vit toujours ; en finissant les jours de mon existence terrestre, j’attendrai, car j’y reviendrai de nouveau. (Id. Version de l’Église grecque.)
15. Le principe de la pluralité des existences est clairement exprimé dans ces trois versions. On ne peut supposer que Job ait voulu parler de la régénération par l’eau du baptême qu’il ne connaissait certainement pas. « L’homme étant mort une fois, pourrait-il bien revivre de nouveau ? » L’idée de mourir une fois et de revivre implique celle de mourir et de revivre plusieurs fois. La version de l’Église grecque est encore plus explicite, si c’est possible. « En finissant les jours de mon existence terrestre, j’attendrai, car j’y reviendrai » ; c’est-à-dire, je reviendrai à l’existence terrestre. Ceci est aussi clair que si quelqu’un disait : « Je sors de ma maison, mais j’y reviendrai. »
« Dans cette guerre où je me trouve tous les jours de ma vie, j’attends que mon changement arrive. » Job veut évidemment parler de la lutte qu’il soutient contre les misères de la vie ; il attend son changement, c’est-à-dire il se résigne. Dans la version grecque, j’attendrai semble plutôt s’appliquer à la nouvelle existence : « Lorsque mon existence terrestre sera finie, j’attendrai, car j’y reviendrai » ; Job semble se placer, après sa mort, dans l’intervalle qui sépare une existence de l’autre, et dire que là il attendra son retour.
16. Il n’est donc pas douteux que, sous le nom de résurrection, le principe de la réincarnation était une des croyances fondamentales des Juifs ; qu’il est confirmé par Jésus et les prophètes d’une manière formelle ; d’où il suit que nier la réincarnation, c’est renier les paroles du Christ. Ses paroles feront un jour autorité sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, quand on les méditera sans parti pris.
17. Mais à cette autorité, au point de vue religieux, vient s’ajouter, au point de vue philosophique, celle des preuves qui résultent de l’observation des faits ; quand des effets on veut remonter aux causes, la réincarnation apparaît comme une nécessité absolue, comme une condition inhérente à l’humanité, en un mot, comme une loi de nature ; elle se révèle par ses résultats d’une manière pour ainsi dire matérielle, comme le moteur caché se révèle par le mouvement ; elle seule peut dire à l’homme d’où il vient, où il va, pourquoi il est sur la terre, et justifier toutes les anomalies et toutes les injustices apparentes que présente la vie 10.
Sans le principe de la préexistence de l’âme et de la pluralité des existences, la plupart des maximes de l’Évangile sont inintelligibles ; c’est pourquoi elles ont donné lieu à des interprétations si contradictoires ; ce principe est la clef qui doit leur restituer leur véritable sens.
Les liens de famille fortifiés par la réincarnation et brisés par l’unité d’existence.
18. Les liens de famille ne sont point détruits par la réincarnation, ainsi que le pensent certaines personnes ; ils sont au contraire fortifiés et resserrés : c’est le principe opposé qui les détruit.
Les Esprits forment dans l’espace des groupes ou familles unis par l’affection, la sympathie et la similitude des inclinations ; ces Esprits, heureux d’être ensemble, se recherchent ; l’incarnation ne les sépare que momentanément, car, après leur rentrée dans l’erraticité, ils se retrouvent comme des amis au retour d’un voyage. Souvent même ils se suivent dans l’incarnation, où ils sont réunis dans une même famille, ou dans un même cercle, travaillant ensemble à leur mutuel avancement. Si les uns sont incarnés et que les autres ne le soient pas, ils n’en sont pas moins unis par la pensée ; ceux qui sont libres veillent sur ceux qui sont en captivité ; les plus avancés cherchent à faire progresser les retardataires. Après chaque existence, ils ont fait un pas dans la voie de la perfection ; de moins en moins attachés à la matière, leur affection est plus vive par cela même qu’elle est plus épurée, qu’elle n’est plus troublée par l’égoïsme ni par les nuages des passions. Ils peuvent donc ainsi parcourir un nombre illimité d’existences corporelles sans qu’aucune atteinte soit portée à leur mutuelle affection.
Il est bien entendu qu’il s’agit ici de l’affection réelle d’âme à âme, la seule qui survive à la destruction du corps, car les êtres qui ne s’unissent ici-bas que par les sens n’ont aucun motif de se rechercher dans le monde des Esprits. Il n’y a de durables que les affections spirituelles ; les affections charnelles s’éteignent avec la cause qui les a fait naître ; or cette cause n’existe plus dans le monde des Esprits, tandis que l’âme existe toujours. Quant aux personnes unies par le seul mobile de l’intérêt, elles ne sont réellement rien l’une à l’autre : la mort les sépare sur la terre et dans le ciel.
19. L’union et l’affection qui existent entre parents sont l’indice de la sympathie antérieure qui les a rapprochés ; aussi dit-on en parlant d’une personne dont le caractère, les goûts et les inclinations n’ont aucune similitude avec ceux de ses proches, qu’elle n’est pas de la famille. En disant cela, on énonce une plus grande vérité qu’on ne le croit. Dieu permet, dans les familles, ces incarnations d’Esprits antipathiques ou étrangers, dans le double but de servir d’épreuve pour les uns, et de moyen d’avancement pour les autres. Puis les mauvais s’améliorent peu à peu au contact des bons et par les soins qu’ils en reçoivent ; leur caractère s’adoucit, leurs mœurs s’épurent, les antipathies s’effacent ; c’est ainsi que s’établit la fusion entre les différentes catégories d’Esprits, comme elle s’établit sur la terre entre les races et les peuples.
20. La crainte de l’augmentation indéfinie de la parenté, par suite de la réincarnation, est une crainte égoïste, qui prouve que l’on ne se sent pas un amour assez large pour le reporter sur un grand nombre de personnes. Un père qui a plusieurs enfants les aime-t-il donc moins que s’il n’en avait qu’un seul ? Mais, que les égoïstes se rassurent, cette crainte n’est pas fondée. De ce qu’un homme aura eu dix incarnations, il ne s’ensuit pas qu’il retrouvera dans le monde des Esprits dix pères, dix mères, dix femmes et un nombre proportionné d’enfants et de nouveaux parents ; il n’y retrouvera toujours que les mêmes objets de son affection qui lui auront été attachés sur la terre, à des titres différents, et peut-être au même titre.
21. Voyons maintenant les conséquences de la doctrine de la non-réincarnation. Cette doctrine annule nécessairement la préexistence de l’âme ; les âmes étant créées en même temps que le corps, il n’existe entre elles aucun lien antérieur ; elles sont complètement étrangères les unes aux autres ; le père est étranger à son fils ; la filiation des familles se trouve ainsi réduite à la seule filiation corporelle, sans aucun lien spirituel. Il n’y a donc aucun motif de se glorifier d’avoir eu pour ancêtres tels ou tels personnages illustres. Avec la réincarnation, ancêtres et descendants peuvent s’être connus, avoir vécu ensemble, s’être aimés, et se trouver réunis plus tard pour resserrer leurs liens sympathiques.
22. Voilà pour le passé. Quant à l’avenir, selon un des dogmes fondamentaux qui découlent de la non-réincarnation, le sort des âmes est irrévocablement fixé après une seule existence ; la fixation définitive du sort implique la cessation de tout progrès, car s’il y a progrès quelconque, il n’y a plus de sort définitif ; selon qu’elles ont bien ou mal vécu, elles vont immédiatement dans le séjour des bienheureux ou dans l’enfer éternel ; elles sont ainsi immédiatement séparées pour toujours, et sans espoir de se rapprocher jamais, de telle sorte que pères, mères et enfants, maris et femmes, frères, sœurs, amis, ne sont jamais certains de se revoir : c’est la rupture la plus absolue des liens de famille.
Avec la réincarnation, et le progrès qui en est la conséquence, tous ceux qui se sont aimés se retrouvent sur la terre et dans l’espace, et gravitent ensemble pour arriver à Dieu. S’il en est qui faillissent en route, ils retardent leur avancement et leur bonheur, mais tout espoir n’est pas perdu ; aidés, encouragés et soutenus par ceux qui les aiment, ils sortiront un jour du bourbier où ils sont engagés. Avec la réincarnation enfin, il y a solidarité perpétuelle entre les incarnés et les désincarnés, de là le resserrement des liens d’affection.
23. En résumé, quatre alternatives se présentent à l’homme pour son avenir d’outre-tombe : 1o le néant, selon la doctrine matérialiste ; 2o l’absorption dans le tout universel, selon la doctrine panthéiste ; 3o l’individualité avec fixation définitive du sort, selon la doctrine de l’Église ; 4o l’individualité avec progression indéfinie, selon la doctrine spirite. Selon les deux premières, les liens de famille sont rompus après la mort, et il n’y a nul espoir de se retrouver ; avec la troisième, il y a chance de se revoir, pourvu que l’on soit dans le même milieu, et ce milieu peut être l’enfer comme le paradis ; avec la pluralité des existences, qui est inséparable de la progression graduelle, il y a certitude dans la continuité des rapports entre ceux qui se sont aimés, et c’est là ce qui constitue la véritable famille.
INSTRUCTIONS DES ESPRITS.
Limite de l’incarnation.
24. Quelles sont les limites de l’incarnation ?
L’incarnation n’a point, à proprement parler, de limites nettement tracées, si l’on entend par là l’enveloppe qui constitue le corps de l’Esprit, attendu que la matérialité de cette enveloppe diminue à mesure que l’Esprit se purifie. Dans certains mondes plus avancés que la terre, elle est déjà moins compacte, moins lourde et moins grossière, et par conséquent sujette à moins de vicissitudes ; à un degré plus élevé, elle est diaphane et presque fluidique ; de degré en degré, elle se dématérialise et finit par se confondre avec le périsprit. Selon le monde sur lequel l’Esprit est appelé à vivre, celui-ci prend l’enveloppe appropriée à la nature de ce monde.
Le périsprit lui-même subit des transformations successives ; il s’éthérise de plus en plus jusqu’à l’épuration complète qui constitue les purs Esprits. Si des mondes spéciaux sont affectés, comme stations, aux Esprits très avancés, ces derniers n’y sont point attachés comme dans les mondes inférieurs ; l’état de dégagement où ils se trouvent leur permet de se transporter partout où les appellent les missions qui leur sont confiées.
Si l’on considère l’incarnation au point de vue matériel, telle qu’elle a lieu sur la terre, on peut dire qu’elle est limitée aux mondes inférieurs ; il dépend de l’Esprit, par conséquent, de s’en affranchir plus ou moins promptement en travaillant à son épuration.
Il est à considérer aussi que dans l’état errant, c’est-à-dire dans l’intervalle des existences corporelles, la situation de l’Esprit est en rapport avec la nature du monde auquel le lie son degré d’avancement ; qu’ainsi, dans l’erraticité, il est plus ou moins heureux, libre et éclairé, selon qu’il est plus ou moins dématérialisé. (SAINT LOUIS, Paris, 1859.)
Nécessité de l’incarnation.
25. L’incarnation est-elle une punition, et n’y a-t-il que les Esprits coupables qui y soient assujettis ?
Le passage des Esprits par la vie corporelle est nécessaire pour que ceux-ci puissent accomplir, à l’aide d’une action matérielle, les desseins dont Dieu leur confie l’exécution ; elle est nécessaire pour eux-mêmes, parce que l’activité qu’ils sont obligés de déployer aide au développement de l’intelligence. Dieu, étant souverainement juste, doit faire une part égale à tous ses enfants ; c’est pour cela qu’il donne à tous un même point de départ, la même aptitude, les mêmes obligations à remplir et la même liberté d’agir ; tout privilège serait une préférence, et toute préférence une injustice. Mais l’incarnation n’est pour tous les Esprits qu’un état transitoire ; c’est une tâche que Dieu leur impose à leur début dans la vie, comme première épreuve de l’usage qu’ils feront de leur libre arbitre. Ceux qui remplissent cette tâche avec zèle franchissent rapidement et moins péniblement ces premiers degrés de l’initiation, et jouissent plus tôt du fruit de leurs travaux. Ceux, au contraire, qui font un mauvais usage de la liberté que Dieu leur accorde retardent leur avancement ; c’est ainsi que, par leur obstination, ils peuvent prolonger indéfiniment la nécessité de se réincarner, et c’est alors que l’incarnation devient un châtiment. (SAINT LOUIS, Paris, 1859.)
26. Remarque. Une comparaison vulgaire fera mieux comprendre cette différence. L’écolier n’arrive aux grades de la science qu’après avoir parcouru la série des classes qui y conduisent. Ces classes, quel que soit le travail qu’elles exigent, sont un moyen d’arriver au but, et non une punition. L’écolier laborieux abrège la route, et y trouve moins d’épines ; il en est autrement pour celui que sa négligence et sa paresse obligent à redoubler certaines classes. Ce n’est pas le travail de la classe qui est une punition, mais l’obligation de recommencer le même travail.
Ainsi en est-il de l’homme sur la terre. Pour l’Esprit du sauvage qui est presque au début de la vie spirituelle, l’incarnation est un moyen de développer son intelligence ; mais pour l’homme éclairé en qui le sens moral est largement développé, et qui est obligé de redoubler les étapes d’une vie corporelle pleine d’angoisses, tandis qu’il pourrait déjà être arrivé au but, c’est un châtiment par la nécessité où il est de prolonger son séjour dans les mondes inférieurs et malheureux. Celui, au contraire, qui travaille activement à son progrès moral peut, non seulement abréger la durée de l’incarnation matérielle, mais franchir en une seule fois les degrés intermédiaires qui le séparent des mondes supérieurs.
Les Esprits ne pourraient-ils s’incarner qu’une seule fois sur le même globe, et accomplir leurs différentes existences dans des sphères différentes ? Cette opinion ne serait admissible que si tous les hommes étaient, sur la terre, exactement au même niveau intellectuel et moral. Les différences qui existent entre eux, depuis le sauvage jusqu’à l’homme civilisé, montrent les degrés qu’ils sont appelés à franchir. L’incarnation, d’ailleurs, doit avoir un but utile ; or, quel serait celui des incarnations éphémères des enfants qui meurent en bas âge ? Ils auraient souffert sans profit pour eux ni pour autrui : Dieu, dont toutes les lois sont souverainement sages, ne fait rien d’inutile. Par la réincarnation sur le même globe, il a voulu que les mêmes Esprits, se trouvant de nouveau en contact, eussent occasion de réparer leurs torts réciproques ; par le fait de leurs relations antérieures, il a voulu, en outre, fonder les liens de famille sur une base spirituelle, et appuyer sur une loi de nature les principes de solidarité, de fraternité et d’égalité.
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CHAPITRE V
BIENHEUREUX LES AFFLIGÉS.
Justice des afflictions. – Causes actuelles des afflictions. – Causes antérieures des afflictions. – Oubli du passé. – Motifs de résignation. – Le suicide et la folie. – Instructions des Esprits : Bien et mal souffrir. – Le mal et le remède. – Le bonheur n’est pas de ce monde. – Perte des personnes aimées. Morts prématurées. – Si c’était un homme de bien, il se serait tué. – Les tourments volontaires. – Le malheur réel. – La mélancolie. – Épreuves volontaires. – Le vrai cilice. – Doit-on mettre un terme aux épreuves de son prochain ? – Est-il permis d’abréger la vie d’un malade qui souffre sans espoir de guérison ? – Sacrifice de sa propre vie. – Profit des souffrances pour autrui.
1. Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés. – Bienheureux ceux qui sont affamés et altérés de justice, parce qu’ils seront rassasiés. – Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux est à eux. (Saint Matthieu, ch. V, v. 5, 6, 10.)
2. Vous êtes bienheureux, vous qui êtes pauvres, parce que le royaume des cieux est à vous. – Vous êtes bienheureux, vous qui avez faim maintenant, parce que vous serez rassasiés. – Vous êtes heureux, vous qui pleurez maintenant, parce que vous rirez. (Saint Luc, ch. VI, v. 20, 21.)
Mais malheur à vous, riches ! parce que vous avez votre consolation dans le monde. – Malheur à vous qui êtes rassasiés, parce que vous aurez faim. – Malheur à vous qui riez maintenant, parce que vous serez réduits aux pleurs et aux larmes. (Saint Luc, ch. VI, v. 24, 25.)
Justice des afflictions.
3. Les compensations que Jésus promet aux affligés de la terre ne peuvent avoir lieu que dans la vie future ; sans la certitude de l’avenir, ces maximes seraient un non-sens, bien plus, ce serait un leurre. Avec cette certitude même on comprend difficilement l’utilité de souffrir pour être heureux. C’est, dit-on, pour avoir plus de mérite ; mais alors on se demande pourquoi les uns souffrent plus que les autres ; pourquoi les uns naissent dans la misère et les autres dans l’opulence, sans avoir rien fait pour justifier cette position ; pourquoi aux uns rien ne réussit, tandis qu’à d’autres tout semble sourire ? Mais ce que l’on comprend encore moins, c’est de voir les biens et les maux si inégalement partagés entre le vice et la vertu ; de voir les hommes vertueux souffrir à côté des méchants qui prospèrent. La foi en l’avenir peut consoler et faire prendre patience, mais elle n’explique pas ces anomalies qui semblent démentir la justice de Dieu.
Cependant, dès lors qu’on admet Dieu, on ne peut le concevoir sans l’infini des perfections ; il doit être toute puissance, toute justice, toute bonté, sans cela il ne serait pas Dieu. Si Dieu est souverainement bon et juste, il ne peut agir par caprice ni avec partialité. Les vicissitudes de la vie ont donc une cause, et puisque Dieu est juste, cette cause doit être juste. Voilà ce dont chacun doit se bien pénétrer. Dieu a mis les hommes sur la voie de cette cause par les enseignements de Jésus, et aujourd’hui, les jugeant assez mûrs pour la comprendre, il la leur révèle tout entière par le spiritisme, c’est-à-dire par la voix des Esprits.
Causes actuelles des afflictions.
4. Les vicissitudes de la vie sont de deux sortes, ou, si l’on veut, ont deux sources bien différentes qu’il importe de distinguer ; les unes ont leur cause dans la vie présente, les autres en dehors de cette vie.
En remontant à la source des maux terrestres, on reconnaîtra que beaucoup sont la conséquence naturelle du caractère et de la conduite de ceux qui les endurent.
Que d’hommes tombent par leur propre faute ! Combien sont victimes de leur imprévoyance, de leur orgueil et de leur ambition !
Que de gens ruinés par défaut d’ordre, de persévérance, par inconduite ou pour n’avoir pas su borner leurs désirs !
Que d’unions malheureuses parce qu’elles sont un calcul d’intérêt ou de vanité, et que le cœur n’y est pour rien !
Que de dissensions, de querelles funestes on aurait pu éviter avec plus de modération et moins de susceptibilité !
Que de maladies et d’infirmités sont la suite de l’intempérance et des excès de tous genres.
Que de parents sont malheureux dans leurs enfants, parce qu’ils n’ont pas combattu les mauvaises tendances de ceux-ci dans leur principe ! Par faiblesse ou indifférence, ils ont laissé se développer en eux les germes de l’orgueil, de l’égoïsme et de la sotte vanité qui dessèchent le cœur, puis, plus tard, récoltant ce qu’ils ont semé, ils s’étonnent et s’affligent de leur manque de déférence et de leur ingratitude.
Que tous ceux qui sont frappés au cœur par les vicissitudes et les déceptions de la vie interrogent froidement leur conscience ; qu’ils remontent de proche en proche à la source des maux qui les affligent, et ils verront si, le plus souvent, ils ne peuvent pas dire : Si j’avais fait, ou n’avais pas fait telle chose, je ne serais pas dans telle position.
À qui donc s’en prendre de toutes ces afflictions, si ce n’est à soi-même ? L’homme est ainsi, dans un grand nombre de cas, l’artisan de ses propres infortunes ; mais, au lieu de le reconnaître, il trouve plus simple, moins humiliant pour sa vanité d’en accuser le sort, la Providence, la chance défavorable, sa mauvaise étoile, tandis que sa mauvaise étoile est dans son incurie.
Les maux de cette nature forment assurément un très notable contingent dans les vicissitudes de la vie ; l’homme les évitera quand il travaillera à son amélioration morale autant qu’à son amélioration intellectuelle.
5. La loi humaine atteint certaines fautes et les punit ; le condamné peut donc se dire qu’il subit la conséquence de ce qu’il a fait ; mais la loi n’atteint pas et ne peut atteindre toutes les fautes ; elle frappe plus spécialement celles qui portent préjudice à la société, et non celles qui ne nuisent qu’à ceux qui les commettent. Mais Dieu veut le progrès de toutes ses créatures ; c’est pourquoi il ne laisse impunie aucune déviation du droit chemin ; il n’est pas une seule faute, quelque légère qu’elle soit, pas une seule infraction à sa loi, qui n’ait des conséquences forcées et inévitables plus ou moins fâcheuses ; d’où il suit que, dans les petites choses comme dans les grandes, l’homme est toujours puni par où il a péché. Les souffrances qui en sont la suite sont pour lui un avertissement qu’il a mal fait ; elles lui donnent l’expérience, lui font sentir la différence du bien et du mal, et la nécessité de s’améliorer pour éviter à l’avenir ce qui a été pour lui une source de chagrins, sans cela il n’aurait aucun motif de s’amender ; confiant dans l’impunité, il retarderait son avancement, et par conséquent son bonheur futur.
Mais l’expérience vient quelquefois un peu tard ; quand la vie a été gaspillée et troublée, que les forces sont usées et que le mal est sans remède, alors l’homme se prend à dire : Si au début de la vie j’avais su ce que je sais maintenant, que de faux pas j’aurais évités ! Si c’était à recommencer, je m’y prendrais tout autrement ; mais il n’est plus temps ! Comme l’ouvrier paresseux dit : J’ai perdu ma journée, lui aussi se dit : J’ai perdu ma vie ; mais de même que pour l’ouvrier le soleil se lève le lendemain, et une nouvelle journée commence qui lui permet de réparer le temps perdu, pour lui aussi, après la nuit de la tombe, luira le soleil d’une nouvelle vie dans laquelle il pourra mettre à profit l’expérience du passé et ses bonnes résolutions pour l’avenir.
Causes antérieures des afflictions.
6. Mais s’il est des maux dont l’homme est la première cause dans cette vie, il en est d’autres auxquels il est, en apparence du moins, complètement étranger, et qui semblent le frapper comme par fatalité. Telle est, par exemple, la perte d’êtres chéris, et celle des soutiens de famille ; tels sont encore les accidents que nulle prévoyance ne pouvait empêcher ; les revers de fortune qui déjouent toutes les mesures de prudence ; les fléaux naturels ; puis les infirmités de naissance, celles surtout qui ôtent à des malheureux les moyens de gagner leur vie par le travail : les difformités, l’idiotie, le crétinisme, etc.
Ceux qui naissent dans de pareilles conditions n’ont assurément rien fait dans cette vie pour mériter un sort si triste, sans compensation, qu’ils ne pouvaient éviter, qu’ils sont dans l’impuissance de changer par eux-mêmes, et qui les met à la merci de la commisération publique. Pourquoi donc des êtres si disgraciés, tandis qu’à côté, sous le même toit, dans la même famille, d’autres sont favorisés sous tous les rapports ?
Que dire enfin de ces enfants qui meurent en bas âge et n’ont connu de la vie que les souffrances ? Problèmes qu’aucune philosophie n’a encore pu résoudre, anomalies qu’aucune religion n’a pu justifier, et qui seraient la négation de la bonté, de la justice et de la providence de Dieu, dans l’hypothèse que l’âme est créée en même temps que le corps, et que son sort est irrévocablement fixé après un séjour de quelques instants sur la terre. Qu’ont-elles fait, ces âmes qui viennent de sortir des mains du Créateur, pour endurer tant de misères ici-bas, et mériter dans l’avenir une récompense ou une punition quelconque, alors qu’elles n’ont pu faire ni bien ni mal ?
Cependant, en vertu de l’axiome que tout effet a une cause, ces misères sont des effets qui doivent avoir une cause ; et dès lors qu’on admet un Dieu juste, cette cause doit être juste. Or, la cause précédant toujours l’effet, puisqu’elle n’est pas dans la vie actuelle, elle doit être antérieure à cette vie, c’est-à-dire appartenir à une existence précédente. D’un autre côté, Dieu ne pouvant punir pour le bien qu’on a fait, ni pour le mal qu’on n’a pas fait, si nous sommes punis, c’est que nous avons fait le mal ; si nous n’avons pas fait le mal dans cette vie, nous l’avons fait dans une autre. C’est une alternative à laquelle il est impossible d’échapper, et dans laquelle la logique dit de quel côté est la justice de Dieu.
L’homme n’est donc pas toujours puni, ou complètement puni dans son existence présente, mais il n’échappe jamais aux conséquences de ses fautes. La prospérité du méchant n’est que momentanée, et s’il n’expie aujourd’hui, il expiera demain, tandis que celui qui souffre en est à l’expiation de son passé. Le malheur qui, au premier abord, semble immérité, a donc sa raison d’être, et celui qui souffre peut toujours dire : « Pardonnez-moi, Seigneur, parce que j’ai péché. »
7. Les souffrances pour causes antérieures sont souvent, comme celles des fautes actuelles, la conséquence naturelle de la faute commise ; c’est-à-dire que, par une justice distributive rigoureuse, l’homme endure ce qu’il a fait endurer aux autres ; s’il a été dur et inhumain, il pourra être à son tour traité durement et avec inhumanité ; s’il a été orgueilleux, il pourra naître dans une condition humiliante ; s’il a été avare, égoïste, ou s’il a fait un mauvais usage de sa fortune, il pourra être privé du nécessaire ; s’il a été mauvais fils, il pourra souffrir dans ses enfants, etc.
Ainsi s’expliquent, par la pluralité des existences, et par la destination de la terre, comme monde expiatoire, les anomalies que présente la répartition du bonheur et du malheur entre les bons et les méchants ici-bas. Cette anomalie n’existe en apparence que parce qu’on ne prend son point de vue que de la vie présente ; mais si l’on s’élève, par la pensée, de manière à embrasser une série d’existences, on verra qu’il est fait à chacun la part qu’il mérite, sans préjudice de celle qui lui est faite dans le monde des Esprits, et que la justice de Dieu n’est jamais interrompue.
L’homme ne doit jamais perdre de vue qu’il est sur un monde inférieur où il n’est maintenu que par ses imperfections. À chaque vicissitude, il doit se dire que s’il appartenait à un monde plus avancé cela n’arriverait pas, et qu’il dépend de lui de ne plus revenir ici-bas, en travaillant à son amélioration.
8. Les tribulations de la vie peuvent être imposées à des Esprits endurcis, ou trop ignorants pour faire un choix en connaissance de cause, mais elles sont librement choisies et acceptées par des Esprits repentants qui veulent réparer le mal qu’ils ont fait et s’essayer à mieux faire. Tel est celui qui, ayant mal fait sa tâche, demande à la recommencer pour ne pas perdre le bénéfice de son travail. Ces tribulations sont donc à la fois des expiations pour le passé qu’elles châtient, et des épreuves pour l’avenir qu’elles préparent. Rendons grâces à Dieu qui, dans sa bonté, accorde à l’homme la faculté de la réparation, et ne le condamne pas irrévocablement sur une première faute.
9. Il ne faudrait pas croire cependant que toute souffrance endurée ici-bas soit nécessairement l’indice d’une faute déterminée ; ce sont souvent de simples épreuves choisies par l’Esprit pour achever son épuration et hâter son avancement. Ainsi l’expiation sert toujours d’épreuve, mais l’épreuve n’est pas toujours une expiation ; mais, épreuves ou expiations, ce sont toujours les signes d’une infériorité relative, car ce qui est parfait n’a plus besoin d’être éprouvé. Un Esprit peut donc avoir acquis un certain degré d’élévation, mais, voulant avancer encore, il sollicite une mission, une tâche à remplir, dont il sera d’autant plus récompensé, s’il en sort victorieux, que la lutte aura été plus pénible. Telles sont plus spécialement ces personnes aux instincts naturellement bons, à l’âme élevée, aux nobles sentiments innés qui semblent n’avoir apporté rien de mauvais de leur précédente existence, et qui endurent avec une résignation toute chrétienne les plus grandes douleurs, demandant à Dieu de les supporter sans murmure. On peut, au contraire, considérer comme expiations les afflictions qui excitent les murmures et poussent l’homme à la révolte contre Dieu.
La souffrance qui n’excite pas de murmures peut sans doute être une expiation, mais c’est l’indice qu’elle a été plutôt choisie volontairement qu’imposée, et la preuve d’une forte résolution, ce qui est un signe de progrès.
10. Les Esprits ne peuvent aspirer au parfait bonheur que lorsqu’ils sont purs : toute souillure leur interdit l’entrée des mondes heureux. Tels sont les passagers d’un navire atteint de la peste, auxquels l’entrée d’une ville est interdite jusqu’à ce qu’ils se soient purifiés. C’est dans leurs diverses existences corporelles que les Esprits se dépouillent peu à peu de leurs imperfections. Les épreuves de la vie avancent quand on les supporte bien ; comme expiations, elles effacent les fautes et purifient ; c’est le remède qui nettoie la plaie et guérit le malade ; plus le mal est grave, plus le remède doit être énergique. Celui donc qui souffre beaucoup doit se dire qu’il avait beaucoup à expier, et se réjouir d’être bientôt guéri ; il dépend de lui, par sa résignation, de rendre cette souffrance profitable, et de n’en pas perdre le fruit par ses murmures, sans quoi ce serait à recommencer pour lui.
Oubli du passé.
11. C’est en vain qu’on objecte l’oubli comme un obstacle à ce que l’on puisse profiter de l’expérience des existences antérieures. Si Dieu a jugé à propos de jeter un voile sur le passé, c’est que cela devait être utile. En effet, ce souvenir aurait des inconvénients très graves ; il pourrait, dans certains cas, nous humilier étrangement, ou bien aussi exalter notre orgueil, et par cela même entraver notre libre arbitre ; dans tous les cas, il eût apporté un trouble inévitable dans les relations sociales.
L’Esprit renaît souvent dans le même milieu où il a déjà vécu, et se trouve en relation avec les mêmes personnes, afin de réparer le mal qu’il leur a fait. S’il reconnaissait en elles celles qu’il a haïes, sa haine se réveillerait peut-être ; et dans tous les cas il serait humilié devant celles qu’il aurait offensées.
Dieu nous a donné, pour nous améliorer, juste ce qui nous est nécessaire et peut nous suffire : la voix de la conscience et nos tendances instinctives ; il nous ôte ce qui pourrait nous nuire.
L’homme apporte en naissant ce qu’il a acquis ; il naît ce qu’il s’est fait ; chaque existence est pour lui un nouveau point de départ ; peu lui importe de savoir ce qu’il a été : il est puni, c’est qu’il a fait le mal ; ses tendances mauvaises actuelles sont l’indice de ce qui reste à corriger en lui, et c’est là sur quoi il doit concentrer toute son attention, car de ce dont il s’est complètement corrigé, il ne reste plus de trace. Les bonnes résolutions qu’il a prises sont la voix de la conscience qui l’avertit de ce qui est bien ou mal, et lui donne la force de résister aux mauvaises tentations.
Du reste, cet oubli n’a lieu que pendant la vie corporelle. Rentré dans la vie spirituelle, l’Esprit retrouve le souvenir du passé : ce n’est donc qu’une interruption momentanée, comme celle qui a lieu dans la vie terrestre pendant le sommeil, et qui n’empêche pas de se souvenir le lendemain de ce qu’on a fait la veille et les jours précédents.
Ce n’est même pas seulement après la mort que l’Esprit recouvre le souvenir de son passé ; on peut dire qu’il ne le perd jamais, car l’expérience prouve que dans l’incarnation, pendant le sommeil du corps, alors qu’il jouit d’une certaine liberté, l’Esprit a la conscience de ses actes antérieurs ; il sait pourquoi il souffre, et qu’il souffre justement ; le souvenir ne s’efface que pendant la vie extérieure de relations. Mais à défaut d’un souvenir précis qui pourrait lui être pénible et nuire à ses rapports sociaux, il puise de nouvelles forces dans ces instants d’émancipation de l’âme, s’il a su les mettre à profit.
Motifs de résignation.
12. Par ces mots : Bienheureux les affligés, car ils seront consolés, Jésus indique à la fois la compensation qui attend ceux qui souffrent, et la résignation qui fait bénir la souffrance comme le prélude de la guérison.
Ces mots peuvent encore être traduits ainsi : Vous devez vous estimer heureux de souffrir, parce que vos douleurs d’ici-bas sont la dette de vos fautes passées, et ces douleurs, endurées patiemment sur la terre, vous épargnent des siècles de souffrance dans la vie future. Vous devez donc être heureux que Dieu réduise votre dette en vous permettant de vous acquitter présentement, ce qui vous assure la tranquillité pour l’avenir.
L’homme qui souffre est semblable à un débiteur qui doit une grosse somme, et à qui son créancier dit : « Si vous m’en payez aujourd’hui même la centième partie, je vous tiens quitte de tout le reste, et vous serez libre ; si vous ne le faites pas, je vous poursuivrai jusqu’à ce que vous ayez payé la dernière obole. » Le débiteur ne serait-il pas heureux d’endurer toutes sortes de privations pour se libérer en payant seulement le centième de ce qu’il doit ? Au lieu de se plaindre de son créancier, ne lui dira-t-il pas merci ?
Tel est le sens de ces paroles : « Bienheureux les affligés, car ils seront consolés » ; ils sont heureux, parce qu’ils s’acquittent, et qu’après l’acquittement ils seront libres. Mais si, tout en s’acquittant d’un côté, on s’endette de l’autre, on n’arrivera jamais à la libération. Or, chaque faute nouvelle augmente la dette, parce qu’il n’en est pas une seule, quelle qu’elle soit, qui n’entraîne avec elle sa punition forcée, inévitable ; si ce n’est aujourd’hui, ce sera demain ; si ce n’est dans cette vie, ce sera dans l’autre. Parmi ces fautes, il faut placer au premier rang le défaut de soumission à la volonté de Dieu ; donc, si dans les afflictions on murmure, si on ne les accepte pas avec résignation et comme une chose que l’on a dû mériter, si l’on accuse Dieu d’injustice, on contracte une nouvelle dette qui fait perdre le bénéfice que l’on pouvait retirer de la souffrance ; c’est pourquoi il faudra recommencer, absolument comme si, à un créancier qui vous tourmente, vous payez des acomptes, tandis qu’à chaque fois vous lui empruntez de nouveau.
À son entrée dans le monde des Esprits, l’homme est encore comme l’ouvrier qui se présente au jour de la paye. Aux uns le maître dira : « Voici le prix de vos journées de travail » ; à d’autres, aux heureux de la terre, à ceux qui auront vécu dans l’oisiveté, qui auront mis leur félicité dans les satisfactions de l’amour-propre et les joies mondaines, il dira : « À vous il ne revient rien, car vous avez reçu votre salaire sur la terre. Allez et recommencez votre tâche. »
13. L’homme peut adoucir ou accroître l’amertume de ses épreuves par la manière dont il envisage la vie terrestre. Il souffre d’autant plus qu’il voit la durée de la souffrance plus longue ; or, celui qui se place au point de vue de la vie spirituelle embrasse d’un coup d’oeil la vie corporelle ; il la voit comme un point dans l’infini, en comprend la brièveté, et se dit que ce moment pénible est bien vite passé ; la certitude d’un avenir prochain plus heureux le soutient et l’encourage, et, au lieu de se plaindre, il remercie le ciel des douleurs qui le font avancer. Pour celui, au contraire, qui ne voit que la vie corporelle, celle-ci lui paraît interminable, et la douleur pèse sur lui de tout son poids. Le résultat de cette manière d’envisager la vie est de diminuer l’importance des choses de ce monde, de porter l’homme à modérer ses désirs, et à se contenter de sa position sans envier celle des autres, d’atténuer l’impression morale des revers et des mécomptes qu’il éprouve ; il y puise un calme et une résignation aussi utiles à la santé du corps qu’à celle de l’âme, tandis que par l’envie, la jalousie et l’ambition, il se met volontairement à la torture, et ajoute ainsi aux misères et aux angoisses de sa courte existence.
Le suicide et la folie.
14. Le calme et la résignation puisés dans la manière d’envisager la vie terrestre, et dans la foi en l’avenir, donnent à l’esprit une sérénité qui est le meilleur préservatif contre la folie et le suicide. En effet, il est certain que la plupart des cas de folie sont dus à la commotion produite par les vicissitudes que l’homme n’a pas la force de supporter ; si donc, par la manière dont le spiritisme lui fait envisager les choses de ce monde, il prend avec indifférence, avec joie même, les revers et les déceptions qui l’eussent désespéré en d’autres circonstances, il est évident que cette force, qui le place au-dessus des évènements, préserve sa raison des secousses qui, sans cela, l’eussent ébranlée.
15. Il en est de même du suicide ; si l’on en excepte ceux qui s’accomplissent dans l’ivresse et la folie et qu’on peut appeler inconscients, il est certain que, quels qu’en soient les motifs particuliers, il a toujours pour cause un mécontentement ; or, celui qui est certain de n’être malheureux qu’un jour et d’être mieux les jours suivants, prend aisément patience ; il ne se désespère que s’il ne voit pas de terme à ses souffrances. Qu’est-ce donc que la vie humaine par rapport à l’éternité, sinon bien moins qu’un jour ? Mais pour celui qui ne croit pas à l’éternité, qui croit que tout finit en lui avec la vie, s’il est accablé par le chagrin et l’infortune, il n’y voit de terme que dans la mort ; n’espérant rien, il trouve tout naturel, très logique même, d’abréger ses misères par le suicide.
16. L’incrédulité, le simple doute sur l’avenir, les idées matérialistes en un mot, sont les plus grands excitants au suicide : elles donnent la lâcheté morale. Et quand on voit des hommes de science s’appuyer sur l’autorité de leur savoir pour s’efforcer de prouver à leurs auditeurs ou à leurs lecteurs qu’ils n’ont rien à attendre après la mort, n’est-ce pas les amener à cette conséquence que, s’ils sont malheureux, ils n’ont rien de mieux à faire que de se tuer ? Que pourraient-ils leur dire pour les en détourner ? Quelle compensation peuvent-ils leur offrir ? Quelle espérance peuvent-ils leur donner ? Rien autre chose que le néant. D’où il faut conclure que si le néant est le seul remède héroïque, la seule perspective, mieux vaut y tomber tout de suite que plus tard, et souffrir ainsi moins longtemps.
La propagation des idées matérialistes est donc le poison qui inocule chez un grand nombre la pensée du suicide, et ceux qui s’en font les apôtres assument sur eux une terrible responsabilité. Avec le spiritisme, le doute n’étant plus permis, l’aspect de la vie change ; le croyant sait que la vie se prolonge indéfiniment au-delà de la tombe, mais dans de tout autres conditions ; de là la patience et la résignation qui détournent tout naturellement de la pensée du suicide ; de là, en un mot, le courage moral.
17. Le spiritisme a encore, sous ce rapport, un autre résultat tout aussi positif, et peut-être plus déterminant. Il nous montre les suicidés eux-mêmes venant rendre compte de leur position malheureuse, et prouver que nul ne viole impunément la loi de Dieu, qui défend à l’homme d’abréger sa vie. Parmi les suicidés, il en est dont la souffrance, pour n’être que temporaire au lieu d’être éternelle, n’en est pas moins terrible, et de nature à donner à réfléchir à quiconque serait tenté de partir d’ici avant l’ordre de Dieu. Le spirite a donc pour contrepoids à la pensée du suicide plusieurs motifs : la certitude d’une vie future dans laquelle il sait qu’il sera d’autant plus heureux qu’il aura été plus malheureux et plus résigné sur la terre ; la certitude qu’en abrégeant sa vie il arrive juste à un résultat tout autre que celui qu’il espérait ; qu’il s’affranchit d’un mal pour en avoir un pire, plus long et plus terrible ; qu’il se trompe s’il croit, en se tuant, aller plus vite au ciel ; que le suicide est un obstacle à ce qu’il rejoigne dans l’autre monde les objets de ses affections qu’il espérait y retrouver ; d’où la conséquence que le suicide, ne lui donnant que des déceptions, est contre ses propres intérêts. Aussi le nombre des suicides empêchés par le spiritisme est-il considérable, et l’on peut en conclure que lorsque tout le monde sera spirite, il n’y aura plus de suicides conscients. En comparant donc les résultats des doctrines matérialistes et spirites au seul point de vue du suicide, on trouve que la logique de l’une y conduit, tandis que la logique de l’autre en détourne, ce qui est confirmé par l’expérience.
INSTRUCTIONS DES ESPRITS.
Bien et mal souffrir.
18. Quand Christ a dit : « Bienheureux les affligés, le royaume des cieux est à eux », il n’entendait pas ceux qui souffrent en général, car tous ceux qui sont ici-bas souffrent, qu’ils soient sur le trône ou sur la paille ; mais, hélas ! peu souffrent bien ; peu comprennent que ce sont les épreuves bien endurées qui seules peuvent les conduire au royaume de Dieu. Le découragement est une faute ; Dieu vous refuse des consolations, parce que vous manquez de courage. La prière est un soutien pour l’âme, mais elle ne suffit pas : il faut qu’elle soit appuyée sur une foi vive en la bonté de Dieu. Il vous a souvent été dit qu’il n’envoyait pas un lourd fardeau sur des épaules faibles ; mais le fardeau est proportionné aux forces, comme la récompense sera proportionnée à la résignation et au courage ; la récompense sera plus magnifique que l’affliction n’est pénible ; mais cette récompense il faut la mériter, et c’est pour cela que la vie est pleine de tribulations.
Le militaire que l’on n’envoie pas au feu n’est pas content, parce que le repos du camp ne lui procure pas d’avancement ; soyez donc comme le militaire, et ne souhaitez pas un repos dans lequel s’énerverait votre corps et s’engourdirait votre âme. Soyez satisfaits quand Dieu vous envoie la lutte. Cette lutte, ce n’est pas le feu de la bataille, mais les amertumes de la vie, où il faut quelquefois plus de courage que dans un combat sanglant, car tel qui restera ferme devant l’ennemi, fléchira sous l’étreinte d’une peine morale. L’homme n’a point de récompense pour cette sorte de courage, mais Dieu lui réserve des couronnes et une place glorieuse. Quand il vous arrive un sujet de peine ou de contrariété, tâchez de prendre le dessus, et quand vous serez parvenus à maîtriser les élans de l’impatience, de la colère ou du désespoir, dites-vous avec une juste satisfaction : « J’ai été le plus fort. »
Bienheureux les affligés peut donc se traduire ainsi : Bienheureux ceux qui ont l’occasion de prouver leur foi, leur fermeté, leur persévérance et leur soumission à la volonté de Dieu, car ils auront au centuple la joie qui leur manque sur la terre, et après le labeur viendra le repos. (LACORDAIRE, le Havre, 1863.)
Le mal et le remède.
19. Votre terre est-elle donc un lieu de joie, un paradis de délices ? La voix du prophète ne retentit-elle donc plus à vos oreilles ? N’a-t-elle point crié qu’il y aurait des pleurs et des grincements de dents pour ceux qui naîtraient dans cette vallée de douleurs ? Vous qui venez y vivre, attendez-vous donc aux larmes cuisantes et aux peines amères, et plus vos douleurs seront aiguës et profondes, regardez le ciel et bénissez le Seigneur d’avoir voulu vous éprouver !... Ô hommes ! vous ne reconnaîtrez donc la puissance de votre maître que quand il aura guéri les plaies de votre corps et couronné vos jours de béatitude et de joie ! Vous ne reconnaîtrez donc son amour que quand il aura paré votre corps de toutes les gloires, et lui aura rendu son éclat et sa blancheur ! Imitez celui qui vous fut donné pour exemple ; arrivé au dernier degré de l’abjection et de la misère, il est étendu sur un fumier, et dit à Dieu : « Seigneur ! j’ai connu toutes les joies de l’opulence, et vous m’avez réduit à la misère la plus profonde ; merci, merci, mon Dieu, de vouloir bien éprouver votre serviteur ! » Jusques à quand vos regards s’arrêteront-ils aux horizons marqués par la mort ? Quand votre âme voudra-t-elle enfin s’élancer au-delà des limites d’un tombeau ? Mais dussiez-vous pleurer et souffrir toute une vie, qu’est-ce à côté de l’éternité de gloire réservée à celui qui aura subi l’épreuve avec foi, amour et résignation ? Cherchez donc des consolations à vos maux dans l’avenir que Dieu vous prépare, et la cause de vos maux dans votre passé ; et vous qui souffrez le plus, considérez-vous comme les bienheureux de la terre.
À l’état de désincarnés, quand vous planiez dans l’espace, vous avez choisi votre épreuve, parce que vous vous êtes crus assez forts pour la supporter ; pourquoi murmurer à cette heure ? Vous qui avez demandé la fortune et la gloire, c’était pour soutenir la lutte de la tentation et la vaincre. Vous qui avez demandé à lutter d’esprit et de corps contre le mal moral et physique, c’est que vous saviez que plus l’épreuve serait forte, plus la victoire serait glorieuse, et que si vous en sortiez triomphants, dût votre chair être jetée sur un fumier, à sa mort elle laisserait échapper une âme éclatante de blancheur et redevenue pure par le baptême de l’expiation et de la souffrance.
Quel remède donc ordonner à ceux qui sont atteints d’obsessions cruelles et de maux cuisants ? Un seul est infaillible, c’est la foi, c’est le regard au ciel. Si, dans l’accès de vos plus cruelles souffrances, votre voix chante le Seigneur, l’ange, à votre chevet, de sa main vous montrera le signe du salut et la place que vous devez occuper un jour... La foi, c’est le remède certain de la souffrance ; elle montre toujours les horizons de l’infini devant lesquels s’effacent les quelques jours sombres du présent. Ne nous demandez donc plus quel remède il faut employer pour guérir tel ulcère ou telle plaie, telle tentation ou telle épreuve ; souvenez-vous que celui qui croit est fort du remède de la foi, et que celui qui doute une seconde de son efficacité est puni sur l’heure, parce qu’il ressent à l’instant même les poignantes angoisses de l’affliction.
Le Seigneur a marqué de son sceau tous ceux qui croient en lui. Christ vous a dit qu’avec la foi on transporte les montagnes, et moi je vous dis que celui qui souffre et qui aura la foi pour soutien sera placé sous son égide et ne souffrira plus ; les moments des plus fortes douleurs seront pour lui les premières notes de joie de l’éternité. Son âme se détachera tellement de son corps, que, tandis que celui-ci se tordra sous les convulsions, elle planera dans les célestes régions en chantant avec les anges les hymnes de reconnaissance et de gloire au Seigneur.
Heureux ceux qui souffrent et qui pleurent ! que leurs âmes soient dans la joie, car elles seront comblées par Dieu. (S. AUGUSTIN, Paris, 1863.)
Le bonheur n’est pas de ce monde.
20. Je ne suis pas heureux ! Le bonheur n’est pas fait pour moi ! s’écrie généralement l’homme dans toutes les positions sociales. Ceci, mes chers enfants, prouve mieux que tous les raisonnements possibles la vérité de cette maxime de l’Ecclésiaste : « Le bonheur n’est pas de ce monde. » En effet, ni la fortune, ni le pouvoir, ni même la jeunesse florissante ne sont les conditions essentielles du bonheur ; je dis plus : ni même la réunion de ces trois conditions si enviées, puisqu’on entend sans cesse, au milieu des classes les plus privilégiées, des personnes de tout âge se plaindre amèrement de leur condition d’être.
Devant un tel résultat, il est inconcevable que les classes laborieuses et militantes envient avec tant de convoitise la position de ceux que la fortune semble avoir favorisés. Ici-bas, quoi qu’on fasse, chacun a sa part de labeur et de misère, son lot de souffrances et de déceptions. D’où il est facile d’arriver à cette conclusion que la terre est un lieu d’épreuves et d’expiations.
Ainsi donc, ceux qui prêchent que la terre est l’unique séjour de l’homme, et que c’est là seulement, et dans une seule existence, qu’il lui est permis d’atteindre le plus haut degré des félicités que sa nature comporte, ceux-là s’abusent et trompent ceux qui les écoutent, attendu qu’il est démontré, par une expérience archi-séculaire, que ce globe ne renferme qu’exceptionnellement les conditions nécessaires au bonheur complet de l’individu.
En thèse générale, on peut affirmer que le bonheur est une utopie à la poursuite de laquelle les générations s’élancent successivement sans pouvoir jamais y atteindre ; car si l’homme sage est une rareté ici-bas, l’homme absolument heureux ne s’y rencontre pas davantage.
Ce en quoi consiste le bonheur sur la terre est une chose tellement éphémère pour celui que la sagesse ne guide pas, que pour une année, un mois, une semaine de complète satisfaction, tout le reste s’écoule dans une suite d’amertumes et de déceptions ; et notez, mes chers enfants, que je parle ici des heureux de la terre, de ceux qui sont enviés par les foules.
Conséquemment, si le séjour terrestre est affecté aux épreuves et à l’expiation, il faut bien admettre qu’il existe ailleurs des séjours plus favorisés où l’Esprit de l’homme, encore emprisonné dans une chair matérielle, possède dans leur plénitude les jouissances attachées à la vie humaine. C’est pourquoi Dieu a semé dans votre tourbillon ces belles planètes supérieures vers lesquelles vos efforts et vos tendances vous feront graviter un jour, quand vous serez suffisamment purifiés et perfectionnés.
Néanmoins, ne déduisez pas de mes paroles que la terre soit à jamais vouée à une destination pénitentiaire ; non, certes ! car, des progrès accomplis vous pouvez facilement déduire les progrès futurs, et des améliorations sociales conquises, de nouvelles et plus fécondes améliorations. Telle est la tâche immense que doit accomplir la nouvelle doctrine que les Esprits vous ont révélée.
Ainsi donc, mes chers enfants, qu’une sainte émulation vous anime, et que chacun d’entre vous dépouille énergiquement le vieil homme. Vous vous devez tous à la vulgarisation de ce spiritisme qui a déjà commencé votre propre régénération. C’est un devoir de faire participer vos frères aux rayons de la lumière sacrée. À l’œuvre donc, mes bien chers enfants ! Que dans cette réunion solennelle tous vos cœurs aspirent à ce but grandiose de préparer aux futures générations un monde où le bonheur ne sera plus un vain mot. (FRANÇOIS-NICOLAS-MADELEINE, cardinal MORLOT. Paris, 1863.)
Pertes de personnes aimées. Morts prématurées.
21. Quand la mort vient faucher dans vos familles, emportant sans mesure les jeunes gens avant les vieillards, vous dites souvent : Dieu n’est pas juste, puisqu’il sacrifie ce qui est fort et plein d’avenir, pour conserver ceux qui ont vécu de longues années pleines de déceptions ; puisqu’il enlève ceux qui sont utiles, et laisse ceux qui ne servent plus à rien ; puisqu’il brise le cœur d’une mère en la privant de l’innocente créature qui faisait toute sa joie.
Humains, c’est là que vous avez besoin de vous élever au-dessus du terre à terre de la vie pour comprendre que le bien est souvent là où vous croyez voir le mal, la sage prévoyance là où vous croyez voir l’aveugle fatalité du destin. Pourquoi mesurer la justice divine à la valeur de la vôtre ? Pouvez-vous penser que le maître des mondes veuille, par un simple caprice, vous infliger des peines cruelles ? Rien ne se fait sans un but intelligent, et, quoi que ce soit qui arrive, chaque chose a sa raison d’être. Si vous scrutiez mieux toutes les douleurs qui vous atteignent, vous y trouveriez toujours la raison divine, raison régénératrice, et vos misérables intérêts seraient une considération secondaire que vous rejetteriez au dernier plan.
Croyez-moi, la mort est préférable, pour l’incarnation de vingt ans, à ces dérèglements honteux qui désolent les familles honorables, brisent le cœur d’une mère, et font, avant le temps, blanchir les cheveux des parents. La mort prématurée est souvent un grand bienfait que Dieu accorde à celui qui s’en va, et qui se trouve ainsi préservé des misères de la vie, ou des séductions qui auraient pu l’entraîner à sa perte. Celui qui meurt à la fleur de l’âge n’est point victime de la fatalité, mais Dieu juge qu’il lui est utile de ne pas rester plus longtemps sur la terre.
C’est un affreux malheur, dites-vous, qu’une vie si pleine d’espérances soit sitôt brisée ! De quelles espérances voulez-vous parler ? de celles de la terre où celui qui s’en va aurait pu briller, faire son chemin et sa fortune ? Toujours cette vue étroite qui ne peut s’élever au-dessus de la matière. Savez-vous quel aurait été le sort de cette vie si pleine d’espérances selon vous ? Qui vous dit qu’elle n’eût pas été abreuvée d’amertumes ? Vous comptez donc pour rien les espérances de la vie future, que vous leur préférez celles de la vie éphémère que vous traînez sur la terre ? Vous pensez donc qu’il vaut mieux avoir un rang parmi les hommes que parmi les Esprits bienheureux ?
Réjouissez-vous au lieu de vous plaindre quand il plaît à Dieu de retirer un de ses enfants de cette vallée de misères. N’y a-t-il pas de l’égoïsme à souhaiter qu’il y restât pour souffrir avec vous ? Ah ! cette douleur se conçoit chez celui qui n’a pas la foi, et qui voit dans la mort une séparation éternelle ; mais vous, spirites, vous savez que l’âme vit mieux débarrassée de son enveloppe corporelle ; mères, vous savez que vos enfants bien-aimés sont près de vous ; oui, ils sont tout près ; leurs corps fluidiques vous entourent, leurs pensées vous protègent, votre souvenir les enivre de joie ; mais aussi vos douleurs déraisonnables les affligent, parce qu’elles dénotent un manque de foi, et qu’elles sont une révolte contre la volonté de Dieu.
Vous qui comprenez la vie spirituelle, écoutez les pulsations de votre cœur en appelant ces chers bien-aimés, et si vous priez Dieu pour le bénir, vous sentirez en vous de ces consolations puissantes qui sèchent les larmes, de ces aspirations prestigieuses qui vous montreront l’avenir promis par le souverain Maître. (SANSON, anc. membre de la Société spirite de Paris, 1863.)
Si c’était un homme de bien, il se serait tué.
22. – Vous dites souvent en parlant d’un mauvais homme qui échappe à un danger : Si c’était un homme de bien, il se serait tué. Eh bien, en disant cela vous êtes dans le vrai, car effectivement il arrive bien souvent que Dieu donne à un Esprit, jeune encore dans les voies du progrès, une plus longue épreuve qu’à un bon, qui recevra, en récompense de son mérite, la faveur que son épreuve soit aussi courte que possible. Ainsi donc, quand vous vous servez de cet axiome, vous ne vous doutez pas que vous commettez un blasphème.
S’il meurt un homme de bien, et qu’à côté de sa maison soit celle d’un méchant, vous vous hâtez de dire : Il vaudrait bien mieux que ce fût celui-ci. Vous êtes grandement dans l’erreur, car celui qui part a fini sa tâche, et celui qui reste ne l’a peut-être pas commencée. Pourquoi voudriez-vous donc que le méchant n’eût pas le temps de l’achever, et que l’autre restât attaché à la glèbe terrestre ? Que diriez-vous d’un prisonnier qui aurait fini son temps, et qu’on retiendrait en prison tandis qu’on donnerait la liberté à celui qui n’y a pas droit ? Sachez donc que la vraie liberté est dans l’affranchissement des liens du corps, et que tant que vous êtes sur la terre, vous êtes en captivité.
Habituez-vous à ne pas blâmer ce que vous ne pouvez pas comprendre, et croyez que Dieu est juste en toutes choses ; souvent ce qui vous paraît un mal est un bien ; mais vos facultés sont si bornées, que l’ensemble du grand tout échappe à vos sens obtus. Efforcez-vous de sortir, par la pensée, de votre étroite sphère, et à mesure que vous vous élèverez, l’importance de la vie matérielle diminuera à vos yeux, car elle ne vous apparaîtra que comme un incident dans la durée infinie de votre existence spirituelle, la seule véritable existence. (FÉNELON, Sens, 1861.)
Les tourments volontaires.
23. L’homme est incessamment à la poursuite du bonheur qui lui échappe sans cesse, parce que le bonheur sans mélange n’existe pas sur la terre. Cependant, malgré les vicissitudes qui forment le cortège inévitable de cette vie, il pourrait tout au moins jouir d’un bonheur relatif, mais il le cherche dans les choses périssables et sujettes aux mêmes vicissitudes, c’est-à-dire dans les jouissances matérielles, au lieu de le chercher dans les jouissances de l’âme qui sont un avant-goût des jouissances célestes impérissables ; au lieu de chercher la paix du cœur, seul bonheur réel ici-bas, il est avide de tout ce qui peut l’agiter et le troubler ; et, chose singulière, il semble se créer à dessein des tourments qu’il ne tiendrait qu’à lui d’éviter.
En est-il de plus grands que ceux que causent l’envie et la jalousie ? Pour l’envieux et le jaloux, il n’est point de repos : ils ont perpétuellement la fièvre ; ce qu’ils n’ont pas et ce que d’autres possèdent leur cause des insomnies ; les succès de leurs rivaux leur donnent le vertige ; leur émulation ne s’exerce qu’à éclipser leurs voisins, toute leur joie est d’exciter dans les insensés comme eux la rage de jalousie dont ils sont possédés. Pauvres insensés, en effet, qui ne songent pas que demain peut-être il leur faudra quitter tous ces hochets dont la convoitise empoisonne leur vie ! Ce n’est pas à eux que s’applique cette parole : « Bienheureux les affligés, parce qu’ils seront consolés », car leurs soucis ne sont pas de ceux qui ont leur compensation dans le ciel.
Que de tourments, au contraire, s’épargne celui qui sait se contenter de ce qu’il a, qui voit sans envie ce qu’il n’a pas, qui ne cherche pas à paraître plus qu’il n’est. Il est toujours riche, car s’il regarde au-dessous de lui, au lieu de regarder au-dessus, il verra toujours des gens qui ont encore moins ; il est calme, parce qu’il ne se crée pas des besoins chimériques, et le calme au milieu des orages de la vie n’est-il pas du bonheur ? (FÉNELON, Lyon, 1860.)
Le malheur réel.
24. Tout le monde parle du malheur, tout le monde l’a ressenti et croit connaître son caractère multiple. Moi, je viens vous dire que presque tout le monde se trompe, et que le malheur réel n’est point du tout ce que les hommes, c’est-à-dire les malheureux, le supposent. Ils le voient dans la misère, dans la cheminée sans feu, dans le créancier menaçant, dans le berceau vide de l’ange qui souriait, dans les larmes, dans le cercueil qu’on suit le front découvert et le cœur brisé, dans l’angoisse de la trahison, dans le dénuement de l’orgueil qui voudrait se draper dans la pourpre, et qui cache à peine sa nudité sous les haillons de la vanité ; tout cela, et bien d’autres choses encore, s’appelle le malheur dans le langage humain. Oui, c’est le malheur pour ceux qui ne voient que le présent ; mais le vrai malheur est dans les conséquences d’une chose plus que dans la chose elle-même. Dites-moi si l’évènement le plus heureux pour le moment, mais qui a des suites funestes, n’est pas en réalité plus malheureux que celui qui cause d’abord une vive contrariété, et finit par produire du bien. Dites-moi si l’orage qui brise vos arbres, mais assainit l’air en dissipant les miasmes insalubres qui eussent causé la mort, n’est pas plutôt un bonheur qu’un malheur.
Pour juger une chose, il faut donc en voir la suite ; c’est ainsi que pour apprécier ce qui est réellement heureux ou malheureux pour l’homme, il faut se transporter au-delà de cette vie, parce que c’est là que les conséquences s’en font sentir ; or, tout ce qu’il appelle malheur selon sa courte vue, cesse avec la vie, et trouve sa compensation dans la vie future.
Je vais vous révéler le malheur sous une nouvelle forme, sous la forme belle et fleurie que vous accueillez et désirez par toutes les forces de vos âmes trompées. Le malheur, c’est la joie, c’est le plaisir, c’est le bruit, c’est la vaine agitation, c’est la folle satisfaction de la vanité qui font taire la conscience, qui compriment l’action de la pensée, qui étourdissent l’homme sur son avenir ; le malheur, c’est l’opium de l’oubli que vous appelez de tous vos vœux.
Espérez, vous qui pleurez ! tremblez, vous qui riez, parce que votre corps est satisfait ! On ne trompe pas Dieu ; on n’esquive pas la destinée ; et les épreuves, créancières plus impitoyables que la meute déchaînée par la misère, guettent votre repos trompeur pour vous plonger tout à coup dans l’agonie du vrai malheur, de celui qui surprend l’âme amollie par l’indifférence et l’égoïsme.
Que le spiritisme vous éclaire donc et replace dans leur vrai jour la vérité et l’erreur, si étrangement défigurées par votre aveuglement ! Alors vous agirez comme de braves soldats qui, loin de fuir le danger, préfèrent les luttes des combats hasardeux à la paix qui ne peut leur donner ni gloire ni avancement. Qu’importe au soldat de perdre dans la bagarre ses armes, ses bagages et ses vêtements, pourvu qu’il en sorte vainqueur et avec gloire ! Qu’importe à celui qui a foi en l’avenir de laisser sur le champ de bataille de la vie sa fortune et son manteau de chair, pourvu que son âme entre radieuse dans le céleste royaume ? (DELPHINE DE GIRARDIN, Paris, 1861.)
La mélancolie.
25. Savez-vous pourquoi une vague tristesse s’empare parfois de vos cœurs et vous fait trouver la vie si amère ? C’est votre Esprit qui aspire au bonheur et à la liberté, et qui, rivé au corps qui lui sert de prison, s’épuise en vains efforts pour en sortir. Mais, en voyant qu’ils sont inutiles, il tombe dans le découragement, et le corps subissant son influence, la langueur, l’abattement et une sorte d’apathie s’emparent de vous, et vous vous trouvez malheureux.
Croyez-moi, résistez avec énergie à ces impressions qui affaiblissent en vous la volonté. Ces aspirations vers une vie meilleure sont innées dans l’esprit de tous les hommes, mais ne les cherchez pas ici-bas ; et à présent que Dieu vous envoie ses Esprits pour vous instruire du bonheur qu’il vous réserve, attendez patiemment l’ange de la délivrance qui doit vous aider à rompre les liens qui tiennent votre Esprit captif. Songez que vous avez à remplir pendant votre épreuve sur la terre une mission dont vous ne vous doutez pas, soit en vous dévouant à votre famille, soit en remplissant les divers devoirs que Dieu vous a confiés. Et si, dans le cours de cette épreuve, et en vous acquittant de votre tâche, vous voyez les soucis, les inquiétudes, les chagrins fondre sur vous, soyez forts et courageux pour les supporter. Bravez-les franchement ; ils sont de courte durée et doivent vous conduire près des amis que vous pleurez, qui se réjouissent de votre arrivée parmi eux, et vous tendront les bras pour vous conduire dans un lieu où n’ont point accès les chagrins de la terre. (FRANÇOIS DE GENÈVE. Bordeaux.)
Épreuves volontaires. Le vrai cilice.
26. Vous demandez s’il est permis d’adoucir ses propres épreuves ; cette question revient à celle-ci : Est-il permis à celui qui se noie de chercher à se sauver ? à celui qui s’est enfoncé une épine de la retirer ? à celui qui est malade d’appeler le médecin ? Les épreuves ont pour but d’exercer l’intelligence aussi bien que la patience et la résignation ; un homme peut naître dans une position pénible et embarrassée, précisément pour l’obliger à chercher les moyens de vaincre les difficultés. Le mérite consiste à supporter sans murmure les conséquences des maux qu’on ne peut éviter, à persévérer dans la lutte, à ne se point désespérer si l’on ne réussit pas, mais non dans un laisser-aller qui serait de la paresse plus que de la vertu.
Cette question en amène naturellement une autre. Puisque Jésus a dit : « Bienheureux les affligés », y a-t-il du mérite à chercher les afflictions en aggravant ses épreuves par des souffrances volontaires ? À cela je répondrai très nettement : Oui, il y a un grand mérite quand les souffrances et les privations ont pour but le bien du prochain, car c’est de la charité par le sacrifice ; non, quand elles n’ont pour but que soi-même, car c’est de l’égoïsme par fanatisme.
Il y a ici une grande distinction à faire ; pour vous, personnellement, contentez-vous des épreuves que Dieu vous envoie, et n’en augmentez pas la charge déjà si lourde parfois ; acceptez-les sans murmure et avec foi, c’est tout ce qu’il vous demande. N’affaiblissez point votre corps par des privations inutiles et des macérations sans but, car vous avez besoin de toutes vos forces pour accomplir votre mission de travail sur la terre. Torturer volontairement et martyriser votre corps, c’est contrevenir à la loi de Dieu, qui vous donne le moyen de le soutenir et de le fortifier ; l’affaiblir sans nécessité, est un véritable suicide. Usez, mais n’abusez pas : telle est la loi ; l’abus des meilleures choses porte sa punition par ses conséquences inévitables.
Il en est autrement des souffrances que l’on s’impose pour le soulagement de son prochain. Si vous endurez le froid et la faim pour réchauffer et nourrir celui qui en a besoin, et si votre corps en pâtit, voilà le sacrifice qui est béni de Dieu. Vous qui quittez vos boudoirs parfumés pour aller dans la mansarde infecte porter la consolation ; vous qui salissez vos mains délicates en soignant les plaies ; vous qui vous privez de sommeil pour veiller au chevet d’un malade qui n’est que votre frère en Dieu ; vous enfin qui usez votre santé dans la pratique des bonnes œuvres, voilà votre cilice, vrai cilice de bénédiction, car les joies du monde n’ont point desséché votre cœur ; vous ne vous êtes point endormis au sein des voluptés énervantes de la fortune, mais vous vous êtes faits les anges consolateurs des pauvres déshérités.
Mais vous qui vous retirez du monde pour éviter ses séductions et vivre dans l’isolement, de quelle utilité êtes-vous sur la terre ? Où est votre courage dans les épreuves, puisque vous fuyez la lutte et désertez le combat ? Si vous voulez un cilice, appliquez-le sur votre âme et non sur votre corps ; mortifiez votre Esprit et non votre chair ; fustigez votre orgueil ; recevez les humiliations sans vous plaindre ; meurtrissez votre amour-propre ; raidissez-vous contre la douleur de l’injure et de la calomnie plus poignante que la douleur corporelle. Voilà le vrai cilice dont les blessures vous seront comptées, parce qu’elles attesteront votre courage et votre soumission à la volonté de Dieu. (UN ANGE GARDIEN, Paris, 1863.)
27. Doit-on mettre un terme aux épreuves de son prochain quand on le peut, ou faut-il, par respect pour les desseins de Dieu, les laisser suivre leur cours ?
Nous vous avons dit et répété bien souvent que vous êtes sur cette terre d’expiation pour achever vos épreuves, et que tout ce qui vous arrive est une conséquence de vos existences antérieures, l’intérêt de la dette que vous avez à payer. Mais cette pensée provoque chez certaines personnes des réflexions qu’il est nécessaire d’arrêter, car elles pourraient avoir de funestes conséquences.
Quelques-uns pensent que du moment qu’on est sur la terre pour expier, il faut que les épreuves aient leur cours. Il en est même qui vont jusqu’à croire que non seulement il ne faut rien faire pour les atténuer, mais qu’il faut, au contraire, contribuer à les rendre plus profitables en les rendant plus vives. C’est une grande erreur. Oui, vos épreuves doivent suivre le cours que Dieu leur a tracé, mais connaissez-vous ce cours ? Savez-vous jusqu’à quel point elles doivent aller, et si votre Père miséricordieux n’a pas dit à la souffrance de tel ou tel de vos frères : « Tu n’iras pas plus loin » ? Savez-vous si sa providence ne vous a pas choisi, non comme un instrument de supplice pour aggraver les souffrances du coupable, mais comme le baume de consolation qui doit cicatriser les plaies que sa justice avait ouvertes ? Ne dites donc pas, quand vous voyez un de vos frères frappé : C’est la justice de Dieu, il faut qu’elle ait son cours ; mais dites-vous, au contraire : Voyons quels moyens notre Père miséricordieux a mis en mon pouvoir pour adoucir la souffrance de mon frère. Voyons si mes consolations morales, mon appui matériel, mes conseils, ne pourront pas l’aider à franchir cette épreuve avec plus de force, de patience et de résignation. Voyons même si Dieu n’a pas mis en mes mains le moyen de faire cesser cette souffrance ; s’il ne m’a pas été donné, à moi comme épreuve aussi, comme expiation peut-être, d’arrêter le mal et de le remplacer par la paix.
Aidez-vous donc toujours dans vos épreuves respectives, et ne vous regardez jamais comme des instruments de torture ; cette pensée doit révolter tout homme de cœur, tout spirite surtout ; car le spirite, mieux que tout autre, doit comprendre l’étendue infinie de la bonté de Dieu. Le spirite doit penser que sa vie entière doit être un acte d’amour et de dévouement ; que quoi qu’il fasse pour contrecarrer les décisions du Seigneur, sa justice aura son cours. Il peut donc, sans crainte, faire tous ses efforts pour adoucir l’amertume de l’expiation, mais c’est Dieu seul qui peut l’arrêter ou la prolonger selon qu’il le juge à propos.
N’y aurait-il pas un bien grand orgueil de la part de l’homme, de se croire le droit de retourner, pour ainsi dire, l’arme dans la plaie ? d’augmenter la dose de poison dans la poitrine de celui qui souffre, sous prétexte que telle est son expiation ? Oh ! regardez-vous toujours comme un instrument choisi pour la faire cesser. Résumons-nous ici : vous êtes tous sur la terre pour expier ; mais tous, sans exception, devez faire tous vos efforts pour adoucir l’expiation de vos frères, selon la loi d’amour et de charité. (BERNARDIN, Esprit protecteur. Bordeaux, 1863.)
28. Un homme est à l’agonie, en proie à de cruelles souffrances ; on sait que son état est sans espoir ; est-il permis de lui épargner quelques instants d’angoisse en hâtant sa fin ?
Qui donc vous donnerait le droit de préjuger les desseins de Dieu ? Ne peut-il conduire un homme au bord de la fosse pour l’en retirer, afin de lui faire faire un retour sur lui-même et de l’amener à d’autres pensées ? À quelque extrémité que soit un moribond, nul ne peut dire avec certitude que sa dernière heure est venue. La science ne s’est-elle jamais trompée dans ses prévisions ?
Je sais bien qu’il est des cas que l’on peut regarder avec raison comme désespérés ; mais s’il n’y a aucun espoir fondé d’un retour définitif à la vie et à la santé, n’a-t-on pas d’innombrables exemples qu’au moment de rendre le dernier soupir, le malade se ranime, et recouvre ses facultés pour quelques instants ? Eh bien ! cette heure de grâce qui lui est accordée peut être pour lui de la plus grande importance ; car vous ignorez les réflexions qu’a pu faire son Esprit dans les convulsions de l’agonie, et quels tourments peut lui épargner un éclair de repentir.
Le matérialiste qui ne voit que le corps, et ne tient nul compte de l’âme, ne peut comprendre ces choses-là ; mais le spirite, qui sait ce qui se passe au-delà de la tombe, connaît le prix de la dernière pensée. Adoucissez les dernières souffrances autant qu’il est en vous ; mais gardez-vous d’abréger la vie, ne fût-ce que d’une minute, car cette minute peut épargner bien des larmes dans l’avenir. (SAINT LOUIS. Paris, 1860.)
29. Celui qui est dégoûté de la vie, mais ne veut pas se l’ôter, est-il coupable de chercher la mort sur un champ de bataille, avec la pensée de rendre sa mort utile ?
Que l’homme se donne la mort ou qu’il se la fasse donner, le but est toujours d’abréger sa vie, et par conséquent il y a suicide d’intention sinon de fait. La pensée que sa mort servira à quelque chose est illusoire ; ce n’est qu’un prétexte pour colorer son action et l’excuser à ses propres yeux ; s’il avait sérieusement le désir de servir son pays, il chercherait à vivre, tout en le défendant, et non à mourir, car une fois mort il ne lui sert plus à rien. Le vrai dévouement consiste à ne pas craindre la mort quand il s’agit d’être utile, à braver le péril, à faire d’avance et sans regret le sacrifice de sa vie si cela est nécessaire ; mais l’intention préméditée de chercher la mort en s’exposant à un danger, même pour rendre service, annule le mérite de l’action. (SAINT LOUIS. Paris, 1860.)
30. Un homme s’expose à un danger imminent pour sauver la vie à un de ses semblables, sachant d’avance que lui-même succombera ; cela peut-il être regardé comme un suicide ?
Du moment que l’intention de chercher la mort n’y est pas, il n’y a pas suicide, mais dévouement et abnégation, eût-on la certitude de périr. Mais qui peut avoir cette certitude ? Qui dit que la Providence ne réserve pas un moyen inespéré de salut dans le moment le plus critique ? Ne peut-elle sauver celui même qui serait à la bouche d’un canon ? Souvent elle peut vouloir pousser l’épreuve de la résignation jusqu’à sa dernière limite, alors une circonstance inattendue détourne le coup fatal. (Id.)
31. Ceux qui acceptent leurs souffrances avec résignation par soumission à la volonté de Dieu et en vue de leur bonheur futur, ne travaillent-ils que pour eux-mêmes, et peuvent-ils rendre leurs souffrances profitables à d’autres ?
Ces souffrances peuvent être profitables à autrui matériellement et moralement. Matériellement, si, par le travail, les privations et les sacrifices qu’ils s’imposent, ils contribuent au bien-être matériel de leurs proches ; moralement, par l’exemple qu’ils donnent de leur soumission à la volonté de Dieu. Cet exemple de la puissance de la foi spirite peut exciter des malheureux à la résignation, les sauver du désespoir et de ses funestes conséquences pour l’avenir. (SAINT LOUIS. Paris, 1860.)
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CHAPITRE VI
LE CHRIST CONSOLATEUR.
Le joug léger. – Consolateur promis. – Instructions des Esprits : Avènement de l’Esprit de Vérité.
Le joug léger.
1. Venez à moi, vous tous qui êtes affligés et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. – Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes ; car mon joug est doux et mon fardeau est léger. (Saint Matthieu, ch. XI, v. 28, 29, 30.)
2. Toutes les souffrances : misères, déceptions, douleurs physiques, pertes d’êtres chéris, trouvent leur consolation dans la foi en l’avenir, dans la confiance en la justice de Dieu, que le Christ est venu enseigner aux hommes. Sur celui, au contraire, qui n’attend rien après cette vie, ou qui doute simplement, les afflictions pèsent de tout leur poids, et nulle espérance ne vient en adoucir l’amertume. Voilà ce qui fait dire à Jésus : Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués, et je vous soulagerai.
Cependant Jésus met une condition à son assistance, et à la félicité qu’il promet aux affligés ; cette condition est dans la loi qu’il enseigne ; son joug est l’observation de cette loi ; mais ce joug est léger et cette loi est douce, puisqu’ils imposent pour devoir l’amour et la charité.
Consolateur promis.
3. Si vous m’aimez, gardez mes commandements ; – et je prierai mon Père, et il vous enverra un autre consolateur, afin qu’il demeure éternellement avec vous : – L’Esprit de Vérité que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit point, et qu’il ne le connaît point. Mais pour vous, vous le connaîtrez, parce qu’il demeurera avec vous et qu’il sera en vous. – Mais le consolateur, qui est le Saint-Esprit, que mon Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit. (Saint Jean, ch. XIV, v. 15, 16, 17, 26.)
4. Jésus promet un autre consolateur : c’est l’Esprit de Vérité, que le monde ne connaît point encore, parce qu’il n’est pas mûr pour le comprendre, que le Père enverra pour enseigner toutes choses, et pour faire souvenir de ce que Christ a dit. Si donc l’Esprit de Vérité doit venir plus tard enseigner toutes choses, c’est que Christ n’a pas tout dit ; s’il vient faire souvenir de ce que Christ a dit, c’est qu’on l’aura oublié ou mal compris.
Le spiritisme vient au temps marqué accomplir la promesse du Christ : l’Esprit de Vérité préside à son établissement ; il rappelle les hommes à l’observance de la loi ; il enseigne toutes choses en faisant comprendre ce que le Christ n’a dit qu’en paraboles. Le Christ a dit : « Que ceux-là entendent qui ont des oreilles pour entendre » ; le spiritisme vient ouvrir les yeux et les oreilles, car il parle sans figures et sans allégories ; il lève le voile laissé à dessein sur certains mystères ; il vient enfin apporter une suprême consolation aux déshérités de la terre et à tous ceux qui souffrent, en donnant une cause juste et un but utile à toutes les douleurs.
Le Christ a dit : « Bienheureux les affligés, parce qu’ils seront consolés » ; mais comment se trouver heureux de souffrir, si l’on ne sait pourquoi on souffre ? Le spiritisme en montre la cause dans les existences antérieures et dans la destination de la terre où l’homme expie son passé ; il en montre le but en ce que les souffrances sont comme les crises salutaires qui amènent la guérison, et qu’elles sont l’épuration qui assure le bonheur dans les existences futures. L’homme comprend qu’il a mérité de souffrir, et il trouve la souffrance juste ; il sait que cette souffrance aide à son avancement, et il l’accepte sans murmure, comme l’ouvrier accepte le travail qui doit lui valoir son salaire. Le spiritisme lui donne une foi inébranlable dans l’avenir, et le doute poignant n’a plus de prise sur son âme ; en lui faisant voir les choses d’en haut, l’importance des vicissitudes terrestres se perd dans le vaste et splendide horizon qu’il embrasse, et la perspective du bonheur qui l’attend lui donne la patience, la résignation et le courage d’aller jusqu’au bout du chemin.
Ainsi le spiritisme réalise ce que Jésus a dit du consolateur promis : connaissance des choses qui fait que l’homme sait d’où il vient, où il va, et pourquoi il est sur la terre ; rappel aux vrais principes de la loi de Dieu, et consolation par la foi et l’espérance.
INSTRUCTIONS DES ESPRITS.
Avènement de l’Esprit de Vérité.
5. Je viens, comme autrefois, parmi les fils égarés d’Israël, apporter la vérité et dissiper les ténèbres. Écoutez-moi. Le spiritisme, comme autrefois ma parole, doit rappeler aux incrédules qu’au-dessus d’eux règne l’immuable vérité : le Dieu bon, le Dieu grand qui fait germer la plante et soulève les flots. J’ai révélé la doctrine divine ; j’ai, comme un moissonneur, lié en gerbes le bien épars dans l’humanité, et j’ai dit : Venez à moi, vous tous qui souffrez !
Mais les hommes ingrats se sont détournés de la voie droite et large qui conduit au royaume de mon Père, et ils se sont égarés dans les âpres sentiers de l’impiété. Mon Père ne veut pas anéantir la race humaine ; il veut que, vous aidant les uns les autres, morts et vivants, c’est-à-dire morts selon la chair, car la mort n’existe pas, vous vous secouriez, et que, non plus la voix des prophètes et des apôtres, mais la voix de ceux qui ne sont plus se fasse entendre pour vous crier : Priez et croyez ! car la mort, c’est la résurrection, et la vie, c’est l’épreuve choisie pendant laquelle vos vertus cultivées doivent grandir et se développer comme le cèdre.
Hommes faibles, qui comprenez les ténèbres de vos intelligences, n’éloignez pas le flambeau que la clémence divine place entre vos mains pour éclairer votre route et vous ramener, enfants perdus, dans le giron de votre Père.
Je suis trop touché de compassion pour vos misères, pour votre immense faiblesse, pour ne pas tendre une main secourable aux malheureux égarés qui, voyant le ciel, tombent dans l’abîme de l’erreur. Croyez, aimez, méditez les choses qui vous sont révélées ; ne mêlez pas l’ivraie au bon grain, les utopies aux vérités.
Spirites ! aimez-vous, voilà le premier enseignement ; instruisez-vous, voilà le second. Toutes vérités se trouvent dans le Christianisme ; les erreurs qui y ont pris racine sont d’origine humaine ; et voilà qu’au-delà du tombeau que vous croyez le néant, des voix vous crient : Frères ! rien ne périt ; Jésus-Christ est le vainqueur du mal, soyez les vainqueurs de l’impiété. (L’ESPRIT DE VÉRITÉ. Paris, 1860.)
6. Je viens enseigner et consoler les pauvres déshérités ; je viens leur dire qu’ils élèvent leur résignation au niveau de leurs épreuves ; qu’ils pleurent, car la douleur a été sacrée au jardin des Oliviers ; mais qu’ils espèrent, car les anges consolateurs viendront aussi essuyer leurs larmes.
Ouvriers, tracez votre sillon ; recommencez le lendemain la rude journée de la veille ; le labeur de vos mains fournit le pain terrestre à vos corps, mais vos âmes ne sont pas oubliées ; et moi, le divin jardinier, je les cultive dans le silence de vos pensées ; lorsque l’heure du repos aura sonné, lorsque la trame s’échappera de vos mains, et que vos yeux se fermeront à la lumière, vous sentirez sourdre et germer en vous ma précieuse semence. Rien n’est perdu dans le royaume de notre Père, et vos sueurs, vos misères forment le trésor qui doit vous rendre riches dans les sphères supérieures, où la lumière remplace les ténèbres, et où le plus dénué de vous tous sera peut-être le plus resplendissant.
Je vous le dis en vérité, ceux qui portent leurs fardeaux et qui assistent leurs frères sont mes bien-aimés ; instruisez-vous dans la précieuse doctrine qui dissipe l’erreur des révoltes, et qui vous enseigne le but sublime de l’épreuve humaine. Comme le vent balaye la poussière, que le souffle des Esprits dissipe vos jalousies contre les riches du monde qui sont souvent très misérables, car leurs épreuves sont plus périlleuses que les vôtres. Je suis avec vous, et mon apôtre vous enseigne. Buvez à la source vive de l’amour, et préparez-vous, captifs de la vie, à vous élancer un jour libres et joyeux dans le sein de Celui qui vous a créés faibles pour vous rendre perfectibles, et qui veut que vous façonniez vous-mêmes votre molle argile, afin d’être les artisans de votre immortalité. (L’ESPRIT DE VÉRITÉ, Paris, 1861.)
7. Je suis le grand médecin des âmes, et je viens vous apporter le remède qui doit les guérir ; les faibles, les souffrants et les infirmes sont mes enfants de prédilection, et je viens les sauver. Venez donc à moi, vous tous qui souffrez et qui êtes chargés, et vous serez soulagés et consolés ; ne cherchez pas ailleurs la force et la consolation, car le monde est impuissant à les donner. Dieu fait à vos cœurs un appel suprême par le spiritisme ; écoutez-le. Que l’impiété, le mensonge, l’erreur, l’incrédulité soient extirpés de vos âmes endolories ; ce sont des monstres qui s’abreuvent de votre sang le plus pur, et qui vous font des plaies presque toujours mortelles. Qu’à l’avenir, humbles et soumis au Créateur, vous pratiquiez sa loi divine. Aimez et priez ; soyez dociles aux Esprits du Seigneur ; invoquez-le du fond du cœur ; alors il vous enverra son Fils bien-aimé pour vous instruire et vous dire ces bonnes paroles : Me voilà ; je viens à vous, parce que vous m’avez appelé. (L’ESPRIT DE VÉRITÉ. Bordeaux, 1861.)
8. Dieu console les humbles et donne la force aux affligés qui la lui demandent. Sa puissance couvre la terre, et partout à côté d’une larme il a placé un baume qui console. Le dévouement et l’abnégation sont une prière continuelle, et renferment un enseignement profond ; la sagesse humaine réside en ces deux mots. Puissent tous les Esprits souffrants comprendre cette vérité, au lieu de se récrier contre les douleurs, les souffrances morales qui sont ici-bas votre lot. Prenez donc pour devise ces deux mots : dévouement et abnégation, et vous serez forts, parce qu’ils résument tous les devoirs que vous imposent la charité et l’humilité. Le sentiment du devoir accompli vous donnera le repos de l’esprit et la résignation. Le cœur bat mieux, l’âme se calme et le corps n’a plus de défaillance, car le corps souffre d’autant plus que l’esprit est plus profondément atteint. (L’ESPRIT DE VÉRITÉ. Le Havre, 1863.)
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CHAPITRE VII
BIENHEUREUX LES PAUVRES D’ESPRIT.
Ce qu’il faut entendre par les pauvres d’esprit. – Quiconque s’élève sera abaissé. – Mystères cachés aux sages et aux prudents. – Instructions des Esprits : Orgueil et humilité. – Mission de l’homme intelligent sur la terre.
Ce qu’il faut entendre par les pauvres d’esprit.
1. Bienheureux les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux est à eux. (Saint Matthieu, ch. V, v. 3.)
2. L’incrédulité s’est égayée sur cette maxime : Bienheureux les pauvres d’esprit, comme sur beaucoup d’autres choses, sans la comprendre. Par les pauvres d’esprit, Jésus n’entend pas les hommes dépourvus d’intelligence, mais les humbles : il dit que le royaume des cieux est pour eux, et non pour les orgueilleux.
Les hommes de science et d’esprit, selon le monde, ont généralement une si haute opinion d’eux-mêmes et de leur supériorité, qu’ils regardent les choses divines comme indignes de leur attention ; leurs regards concentrés sur leur personne ne peuvent s’élever jusqu’à Dieu. Cette tendance à se croire au-dessus de tout ne les porte que trop souvent à nier ce qui, étant au-dessus d’eux, pourrait les rabaisser, à nier même la Divinité ; ou, s’ils consentent à l’admettre, ils lui contestent un de ses plus beaux attributs : son action providentielle sur les choses de ce monde, persuadés qu’eux seuls suffisent pour le bien gouverner. Prenant leur intelligence pour la mesure de l’intelligence universelle, et se jugeant aptes à tout comprendre, ils ne peuvent croire à la possibilité de ce qu’ils ne comprennent pas ; quand ils ont prononcé, leur jugement est pour eux sans appel.
S’ils refusent d’admettre le monde invisible et une puissance extra-humaine, ce n’est pas cependant que cela soit au-dessus de leur portée, mais c’est que leur orgueil se révolte à l’idée d’une chose au-dessus de laquelle ils ne peuvent se placer, et les ferait descendre de leur piédestal. C’est pourquoi ils n’ont que des sourires de dédain pour tout ce qui n’est pas du monde visible et tangible ; ils s’attribuent trop d’esprit et de science pour croire à des choses bonnes, selon eux, pour les gens simples, tenant ceux qui les prennent au sérieux pour des pauvres d’esprit.
Cependant, quoi qu’ils en disent, il leur faudra entrer, comme les autres, dans ce monde invisible qu’ils tournent en dérision ; c’est là que leurs yeux seront ouverts et qu’ils reconnaîtront leur erreur. Mais Dieu, qui est juste, ne peut recevoir au même titre celui qui a méconnu sa puissance et celui qui s’est humblement soumis à ses lois, ni leur faire une part égale.
En disant que le royaume des cieux est aux simples, Jésus entend que nul n’y est admis sans la simplicité du cœur et l’humilité de l’esprit ; que l’ignorant qui possède ces qualités sera préféré au savant qui croit plus en lui qu’en Dieu. En toutes circonstances, il place l’humilité au rang des vertus qui rapprochent de Dieu, et l’orgueil parmi les vices qui en éloignent ; et cela par une raison très naturelle, c’est que l’humilité est un acte de soumission à Dieu, tandis que l’orgueil est une révolte contre lui. Mieux vaut donc, pour le bonheur futur de l’homme, être pauvre en esprit, dans le sens du monde, et riche en qualités morales.
Quiconque s’élève sera abaissé.
3. En ce même temps, les disciples s’approchèrent de Jésus, et lui dirent : Qui est le plus grand dans le royaume des cieux ? – Jésus, ayant appelé un petit enfant, le mit au milieu d’eux, et leur dit : Je vous dis en vérité que si vous ne vous convertissez, et si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. – Quiconque donc s’humiliera et se rendra petit comme cet enfant, celui-là sera le plus grand dans le royaume des cieux, – et quiconque reçoit en mon nom un enfant tel que je viens de dire, c’est moi-même qu’il reçoit. (Saint Matthieu, ch. XVIII, v. 1 à 5.)
4. Alors la mère des enfants de Zébédée s’approcha de lui avec ses deux fils, et l’adora en lui témoignant qu’elle voulait lui demander quelque chose. – Il lui dit : Que voulez-vous ? Ordonnez, lui dit-elle, que mes deux fils que voici soient assis dans votre royaume, l’un à votre droite et l’autre à votre gauche. – Mais Jésus leur répondit : Vous ne savez pas ce que vous demandez ; pouvez-vous boire le calice que je vais boire ? Ils lui dirent : Nous le pouvons. – Il leur répondit : Il est vrai que vous boirez le calice que je boirai ; mais pour ce qui est d’être assis à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi à vous le donner, mais ce sera pour ceux à qui mon Père l’a préparé. – Les dix autres apôtres, ayant entendu ceci, en conçurent de l’indignation contre les deux frères. – Et Jésus, les ayant appelés à lui, leur dit : Vous savez que les princes des nations les dominent, et que les grands les traitent avec empire. – Il n’en doit pas être de même parmi vous ; mais que celui qui voudra devenir le plus grand soit votre serviteur ; – et que celui qui voudra être le premier d’entre vous soit votre esclave ; – comme le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la rédemption de plusieurs. (Saint Matthieu, ch. XX, v. de 20 à 28.)
5. Jésus entra un jour de sabbat dans la maison d’un des principaux Pharisiens pour y prendre son repas, et ceux qui étaient là l’observaient. – Alors, considérant comme les conviés choisissaient les premières places, il leur proposa cette parabole, et leur dit : – Quand vous serez conviés à des noces, n’y prenez point la première place, de peur qu’il ne se trouve parmi les conviés une personne plus considérable que vous, et que celui qui vous aura invité ne vienne vous dire : Donnez votre place à celui-ci, et qu’alors vous ne soyez réduit à vous tenir avec honte au dernier lieu. – Mais quand vous aurez été conviés, allez vous mettre à la dernière place, afin que, lorsque celui qui vous a conviés sera venu, il vous dise : Mon ami, montez plus haut. Et alors ce sera un sujet de gloire devant ceux qui seront à table avec vous ; – car quiconque s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera élevé. (Saint Luc, ch. XIV, v. 1 et de 7 à 11.)
6. Ces maximes sont les conséquences du principe d’humilité que Jésus ne cesse de poser comme condition essentielle de la félicité promise aux élus du Seigneur, et qu’il a formulé par ces paroles : « Bienheureux les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux est à eux. » Il prend un enfant comme type de la simplicité du cœur et il dit : Celui-là sera le plus grand dans le royaume des cieux qui s’humiliera et se fera petit comme un enfant ; c’est-à-dire qui n’aura aucune prétention à la supériorité ou à l’infaillibilité.
La même pensée fondamentale se retrouve dans cette autre maxime : « Que celui qui voudra devenir le plus grand soit votre serviteur », et dans celle-ci : « Quiconque s’abaisse sera élevé, et quiconque s’élève sera abaissé. »
Le spiritisme vient sanctionner la théorie par l’exemple, en nous montrant grands dans le monde des Esprits ceux qui étaient petits sur la terre, et souvent bien petits ceux qui y étaient les plus grands et les plus puissants. C’est que les premiers ont emporté en mourant ce qui seul fait la véritable grandeur dans le ciel et ne se perd pas : les vertus ; tandis que les autres ont dû laisser ce qui faisait leur grandeur sur la terre, et ne s’emporte pas : la fortune, les titres, la gloire, la naissance ; n’ayant rien autre chose, ils arrivent dans l’autre monde dépourvus de tout, comme des naufragés qui ont tout perdu, jusqu’à leurs vêtements ; ils n’ont conservé que l’orgueil qui rend leur nouvelle position plus humiliante, car ils voient au-dessus d’eux, et resplendissants de gloire, ceux qu’ils ont foulés aux pieds sur la terre.
Le spiritisme nous montre une autre application de ce principe dans les incarnations successives où ceux qui ont été les plus élevés dans une existence sont abaissés au dernier rang dans une existence suivante, s’ils ont été dominés par l’orgueil et l’ambition. Ne cherchez donc point la première place sur la terre, ni à vous mettre au-dessus des autres, si vous ne voulez être obligés de descendre ; cherchez, au contraire, la plus humble et la plus modeste, car Dieu saura bien vous en donner une plus élevée dans le ciel si vous la méritez.
Mystères cachés aux sages et aux prudents.
7. Alors Jésus dit ces paroles : Je vous rends gloire, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et que vous les avez révélées aux simples et aux petits. (Saint Matthieu, ch. XI, v. 25.)
8. Il peut paraître singulier que Jésus rende grâce à Dieu d’avoir révélé ces choses aux simples et aux petits, qui sont les pauvres d’esprit, et de les avoir cachées aux sages et aux prudents, plus aptes, en apparence, à les comprendre. C’est qu’il faut entendre par les premiers les humbles qui s’humilient devant Dieu, et ne se croient pas supérieurs à tout le monde ; et par les seconds, les orgueilleux, vains de leur science mondaine, qui se croient prudents, parce qu’ils nient, traitant Dieu d’égal à égal quand ils ne le désavouent pas ; car, dans l’antiquité, sage était synonyme de savant ; c’est pourquoi Dieu leur laisse la recherche des secrets de la terre, et révèle ceux du ciel aux simples et aux humbles qui s’inclinent devant lui.
9. Ainsi en est-il aujourd’hui des grandes vérités révélées par le spiritisme. Certains incrédules s’étonnent que les Esprits fassent si peu de frais pour les convaincre ; c’est que ces derniers s’occupent de ceux qui cherchent la lumière de bonne foi et avec humilité, de préférence à ceux qui croient posséder toute la lumière, et semblent penser que Dieu devrait être trop heureux de les ramener à lui, en leur prouvant qu’il existe.
La puissance de Dieu éclate dans les plus petites choses comme dans les plus grandes ; il ne met pas la lumière sous le boisseau, puisqu’il la répand à flots de toutes parts ; aveugles donc ceux qui ne la voient pas. Dieu ne veut pas leur ouvrir les yeux de force, puisqu’il leur plaît de les tenir fermés. Leur tour viendra, mais il faut auparavant qu’ils sentent les angoisses des ténèbres et reconnaissent Dieu, et non le hasard, dans la main qui frappe leur orgueil. Il emploie pour vaincre l’incrédulité les moyens qui lui conviennent selon les individus ; ce n’est pas à l’incrédule de lui prescrire ce qu’il doit faire, et de lui dire : Si vous voulez me convaincre, il faut vous y prendre de telle ou telle façon, à tel moment plutôt qu’à tel autre, parce que ce moment est à ma convenance.
Que les incrédules ne s’étonnent donc pas si Dieu, et les Esprits qui sont les agents de ses volontés, ne se soumettent pas à leurs exigences. Qu’ils se demandent ce qu’ils diraient si le dernier de leurs serviteurs voulait s’imposer à eux. Dieu impose ses conditions et n’en subit pas ; il écoute avec bonté ceux qui s’adressent à lui avec humilité, et non ceux qui se croient plus que lui.
10. Dieu, dira-t-on, ne pourrait-il les frapper personnellement par des signes éclatants en présence desquels l’incrédule le plus endurci devrait s’incliner ? Sans doute il le pourrait, mais alors où serait leur mérite, et d’ailleurs à quoi cela servirait-il ? N’en voit-on pas tous les jours se refuser à l’évidence et même dire : Si je voyais, je ne croirais pas, parce que je sais que c’est impossible ? S’ils refusent de reconnaître la vérité, c’est que leur esprit n’est pas encore mûr pour la comprendre, ni leur cœur pour la sentir. L’orgueil est la taie qui obscurcit leur vue ; à quoi sert de présenter la lumière à un aveugle ? Il faut donc d’abord guérir la cause du mal ; c’est pourquoi, en médecin habile, il châtie premièrement l’orgueil. Il n’abandonne donc pas ses enfants perdus ; il sait que tôt ou tard leurs yeux s’ouvriront, mais il veut que ce soit de leur propre volonté, et alors que, vaincus par les tourments de l’incrédulité, ils se jetteront d’eux-mêmes dans ses bras, et, comme l’enfant prodigue, lui demanderont grâce !
INSTRUCTIONS DES ESPRITS.
L’orgueil et l’humilité.
11. Que la paix du Seigneur soit avec vous, mes chers amis ! Je viens vers vous pour vous encourager à suivre la bonne voie.
Aux pauvres Esprits qui, autrefois, habitaient la terre, Dieu donne mission de venir vous éclairer. Béni soit-il de la grâce qu’il nous accorde de pouvoir aider à votre amélioration. Que l’Esprit-Saint m’éclaire et m’aide à rendre ma parole compréhensible et qu’il me fasse la grâce de la mettre à la portée de tous ! Vous tous incarnés, qui êtes dans la peine et cherchez la lumière, que la volonté de Dieu me soit en aide pour la faire luire à vos yeux !
L’humilité est une vertu bien oubliée parmi vous ; les grands exemples qui vous en ont été donnés sont bien peu suivis, et pourtant, sans l’humilité, pouvez-vous être charitables envers votre prochain ? Oh ! non, car ce sentiment nivelle les hommes ; il leur dit qu’ils sont frères, qu’ils doivent s’entraider, et les amène au bien. Sans l’humilité, vous vous parez des vertus que vous n’avez pas, comme si vous portiez un habit pour cacher les difformités de votre corps. Rappelez-vous Celui qui nous sauva ; rappelez-vous son humilité qui l’a fait si grand, et l’a mis au-dessus de tous les prophètes.
L’orgueil est le terrible adversaire de l’humilité. Si le Christ promettait le royaume des cieux aux plus pauvres, c’est que les grands de la terre se figurent que les titres et les richesses sont des récompenses données à leur mérite, et que leur essence est plus pure que celle du pauvre ; ils croient que cela leur est dû, c’est pourquoi, lorsque Dieu le leur retire, ils l’accusent d’injustice. Oh ! dérision et aveuglement ! Dieu fait-il une distinction entre vous par le corps ? L’enveloppe du pauvre n’est-elle pas la même que celle du riche ? Le Créateur a-t-il fait deux espèces d’hommes ? Tout ce que Dieu fait est grand et sage ; ne lui attribuez jamais les idées qu’enfantent vos cerveaux orgueilleux.
Ô riche, tandis que tu dors sous tes lambris dorés à l’abri du froid, ne sais-tu pas que des milliers de tes frères qui te valent sont gisants sur la paille ? Le malheureux qui souffre de la faim n’est-il pas ton égal ? À ce mot, ton orgueil se révolte, je le sais bien ; tu consentiras à lui donner l’aumône, mais à lui serrer fraternellement la main, jamais ! « Quoi ! dis-tu ; moi, issu d’un noble sang, grand de la terre, je serais l’égal de ce misérable qui porte des haillons ! Vaine utopie des soi-disant philosophes ! Si nous étions égaux, pourquoi Dieu l’aurait-il placé si bas et moi si haut ? » Il est vrai que vos habits ne se ressemblent guère ; mais que vous en soyez dépouillés tous deux, quelle différence y aura-t-il entre vous ? La noblesse du sang, diras-tu ; mais la chimie n’a point trouvé de différence entre le sang du grand seigneur et celui du plébéien ; entre celui du maître et celui de l’esclave. Qui te dit que, toi aussi, tu n’as pas été misérable et malheureux comme lui ? Que tu n’as pas demandé l’aumône ? Que tu ne la demanderas pas un jour à celui même que tu méprises aujourd’hui ? Les richesses sont-elles éternelles ? Ne finissent-elles pas avec ce corps, enveloppe périssable de ton Esprit ? Oh ! un retour d’humilité sur toi-même ! Jette enfin les yeux sur la réalité des choses de ce monde, sur ce qui fait la grandeur et l’abaissement dans l’autre ; songe que la mort ne t’épargnera pas plus qu’un autre ; que tes titres ne t’en préserveront pas ; qu’elle peut te frapper demain, aujourd’hui, dans une heure ; et si tu t’ensevelis dans ton orgueil, oh ! alors je te plains, car tu seras digne de pitié !
Orgueilleux ! qu’étiez-vous avant d’être nobles et puissants ? Peut-être étiez-vous plus bas que le dernier de vos valets. Courbez donc vos fronts altiers que Dieu peut rabaisser au moment où vous les élevez le plus haut. Tous les hommes sont égaux dans la balance divine ; les vertus seules les distinguent aux yeux de Dieu. Tous les Esprits sont d’une même essence, et tous les corps sont pétris de la même pâte ; vos titres et vos noms n’y changent rien ; ils restent dans la tombe, et ce ne sont pas eux qui donnent le bonheur promis aux élus ; la charité et l’humilité sont leurs titres de noblesse.
Pauvre créature ! tu es mère, tes enfants souffrent ; ils ont froid ; ils ont faim ; tu vas, courbée sous le poids de ta croix, t’humilier pour leur avoir un morceau de pain. Oh ! je m’incline devant toi ; combien tu es noblement sainte et grande à mes yeux ! Espère et prie ; le bonheur n’est pas encore de ce monde. Aux pauvres opprimés et confiants en lui, Dieu donne le royaume des cieux.
Et toi, jeune fille, pauvre enfant vouée au travail, aux privations, pourquoi ces tristes pensées ? pourquoi pleurer ? Que ton regard s’élève pieux et serein vers Dieu : aux petits oiseaux il donne la pâture ; aie confiance en lui, et il ne t’abandonnera pas. Le bruit des fêtes, des plaisirs du monde fait battre ton cœur ; tu voudrais aussi orner ta tête de fleurs et te mêler aux heureux de la terre ; tu te dis que tu pourrais, comme ces femmes que tu regardes passer, folles et rieuses, être riche aussi. Oh ! tais-toi, enfant ! Si tu savais combien de larmes et de douleurs sans nom sont cachées sous ces habits brodés, combien de sanglots sont étouffés sous le bruit de cet orchestre joyeux, tu préférerais ton humble retraite et ta pauvreté. Reste pure aux yeux de Dieu, si tu ne veux pas que ton ange gardien remonte vers lui, le visage caché sous ses ailes blanches, et te laisse avec tes remords, sans guide, sans soutien dans ce monde où tu serais perdue en attendant que tu sois punie dans l’autre.
Et vous tous qui souffrez des injustices des hommes, soyez indulgents pour les fautes de vos frères, en vous disant que vous-mêmes n’êtes pas sans reproches : c’est de la charité, mais c’est aussi de l’humilité. Si vous souffrez par les calomnies, courbez le front sous cette épreuve. Que vous importent les calomnies du monde ? Si votre conduite est pure, Dieu ne peut-il vous en dédommager ? Supporter avec courage les humiliations des hommes, c’est être humble et reconnaître que Dieu seul est grand et puissant.
Oh ! mon Dieu, faudra-t-il que le Christ revienne une seconde fois sur cette terre pour apprendre aux hommes tes lois qu’ils oublient ? Devra-t-il encore chasser les vendeurs du temple qui salissent ta maison qui n’est qu’un lieu de prière ? Et qui sait ? ô hommes ! si Dieu vous accordait cette grâce, peut-être le renieriez-vous comme autrefois ; vous l’appelleriez blasphémateur, parce qu’il abaisserait l’orgueil des Pharisiens modernes ; peut-être lui feriez-vous recommencer le chemin du Golgotha.
Lorsque Moïse fut sur le mont Sinaï recevoir les commandements de Dieu, le peuple d’Israël, livré à lui-même, délaissa le vrai Dieu ; hommes et femmes donnèrent leur or et leurs bijoux, pour se faire une idole qu’ils adorèrent. Hommes civilisés, vous faites comme eux ; le Christ vous a laissé sa doctrine ; il vous a donné l’exemple de toutes les vertus, et vous avez délaissé exemple et préceptes ; chacun de vous apportant ses passions, vous vous êtes fait un Dieu à votre gré : selon les uns, terrible et sanguinaire ; selon les autres, insouciant des intérêts du monde ; le Dieu que vous vous êtes fait est encore le veau d’or que chacun approprie à ses goûts et à ses idées.
Revenez à vous, mes frères, mes amis ; que la voix des Esprits touche vos cœurs ; soyez généreux et charitables sans ostentation ; c’est-à-dire faites le bien avec humilité ; que chacun démolisse peu à peu les autels que vous avez élevés à l’orgueil, en un mot, soyez de véritables chrétiens, et vous aurez le règne de la vérité. Ne doutez plus de la bonté de Dieu, alors qu’il vous en donne tant de preuves. Nous venons préparer les voies pour l’accomplissement des prophéties. Lorsque le Seigneur vous donnera une manifestation plus éclatante de sa clémence, que l’envoyé céleste ne trouve plus en vous qu’une grande famille ; que vos cœurs doux et humbles soient dignes d’entendre la parole divine qu’il viendra vous apporter ; que l’élu ne trouve sur sa route que les palmes déposées pour votre retour au bien, à la charité, à la fraternité, et alors votre monde deviendra le paradis terrestre. Mais si vous restez insensibles à la voix des Esprits envoyés pour épurer, renouveler votre société civilisée, riche en sciences et pourtant si pauvre en bons sentiments, hélas ! il ne nous resterait plus qu’à pleurer et à gémir sur votre sort. Mais non, il n’en sera pas ainsi ; revenez à Dieu votre père, et alors nous tous, qui aurons servi à l’accomplissement de sa volonté, nous entonnerons le cantique d’actions de grâces, pour remercier le Seigneur de son inépuisable bonté, et pour le glorifier dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (LACORDAIRE. Constantine, 1863.)
12. Hommes, pourquoi vous plaignez-vous des calamités que vous avez vous-mêmes amoncelées sur vos têtes ? Vous avez méconnu la sainte et divine morale du Christ, ne soyez donc pas étonnés que la coupe de l’iniquité ait débordé de toutes parts.
Le malaise devient général ; à qui s’en prendre, si ce n’est à vous qui cherchez sans cesse à vous écraser les uns les autres ? Vous ne pouvez être heureux sans bienveillance mutuelle, et comment la bienveillance peut-elle exister avec l’orgueil ? L’orgueil, voilà la source de tous vos maux ; attachez-vous donc à le détruire, si vous n’en voulez voir perpétuer les funestes conséquences. Un seul moyen s’offre à vous pour cela, mais ce moyen est infaillible, c’est de prendre pour règle invariable de votre conduite la loi du Christ, loi que vous avez ou repoussée, ou faussée dans son interprétation.
Pourquoi avez-vous en si grande estime ce qui brille et charme les yeux, plutôt que ce qui touche le cœur ? Pourquoi le vice dans l’opulence est-il l’objet de vos adulations, alors que vous n’avez qu’un regard de dédain pour le vrai mérite dans l’obscurité ? Qu’un riche débauché, perdu de corps et d’âme, se présente quelque part, toutes les portes lui sont ouvertes, tous les égards sont pour lui, tandis qu’on daigne à peine accorder un salut de protection à l’homme de bien qui vit de son travail. Quand la considération que l’on accorde aux gens est mesurée au poids de l’or qu’ils possèdent ou au nom qu’ils portent, quel intérêt peuvent-ils avoir à se corriger de leurs défauts ?
Il en serait tout autrement si le vice doré était fustigé par l’opinion comme le vice en haillons ; mais l’orgueil est indulgent pour tout ce qui le flatte. Siècle de cupidité et d’argent, dites-vous. Sans doute, mais pourquoi avez-vous laissé les besoins matériels empiéter sur le bon sens et la raison ? Pourquoi chacun veut-il s’élever au-dessus de son frère ? Aujourd’hui la société en subit les conséquences.
Ne l’oubliez pas, un tel état de choses est toujours un signe de décadence morale. Lorsque l’orgueil atteint les dernières limites, c’est l’indice d’une chute prochaine, car Dieu frappe toujours les superbes. S’il les laisse parfois monter, c’est pour leur donner le temps de réfléchir et de s’amender sous les coups que, de temps à autre, il porte à leur orgueil pour les avertir ; mais, au lieu de s’abaisser, ils se révoltent ; alors quand la mesure est comble, il les renverse tout à fait, et leur chute est d’autant plus terrible qu’ils étaient montés plus haut.
Pauvre race humaine, dont l’égoïsme a corrompu toutes les voies, reprends courage cependant ; dans sa miséricorde infinie, Dieu t’envoie un puissant remède à tes maux, un secours inespéré dans ta détresse. Ouvre les yeux à la lumière : voici les âmes de ceux qui ne sont plus qui viennent te rappeler à tes véritables devoirs ; ils te diront, avec l’autorité de l’expérience, combien les vanités et les grandeurs de votre passagère existence sont peu de chose auprès de l’éternité ; ils te diront que celui-là est le plus grand qui a été le plus humble parmi les petits d’ici-bas ; que celui qui a le plus aimé ses frères est aussi celui qui sera le plus aimé dans le ciel ; que les puissants de la terre, s’ils ont abusé de leur autorité, seront réduits à obéir à leurs serviteurs ; que la charité et l’humilité enfin, ces deux sœurs qui se donnent la main, sont les titres les plus efficaces pour obtenir grâce devant l’Éternel. (ADOLPHE, évêque d’Alger. Marmande, 1862.)
Mission de l’homme intelligent sur la terre.
13. Ne soyez pas fiers de ce que vous savez, car ce savoir a des bornes bien limitées dans le monde que vous habitez. Mais je suppose que vous soyez une des sommités intelligentes de ce globe, vous n’avez aucun droit d’en tirer vanité. Si Dieu, dans ses desseins, vous a fait naître dans un milieu où vous avez pu développer votre intelligence, c’est qu’il veut que vous en fassiez usage pour le bien de tous ; car c’est une mission qu’il vous donne, en mettant dans vos mains l’instrument à l’aide duquel vous pouvez développer à votre tour les intelligences retardataires et les amener à Dieu. La nature de l’instrument n’indique-t-elle pas l’usage qu’on en doit faire ? La bêche que le jardinier met entre les mains de son ouvrier ne lui montre-t-elle pas qu’il doit bêcher ? Et que diriez-vous si cet ouvrier, au lieu de travailler, levait sa bêche pour en frapper son maître ? Vous diriez que c’est affreux, et qu’il mérite d’être chassé. Eh bien, n’en est-il pas de même de celui qui se sert de son intelligence pour détruire l’idée de Dieu et de la Providence parmi ses frères ? Ne lève-t-il pas contre son maître la bêche qui lui a été donnée pour défricher le terrain ? A-t-il droit au salaire promis, et ne mérite-t-il pas, au contraire, d’être chassé du jardin ? Il le sera, n’en doutez pas, et traînera des existences misérables et remplies d’humiliations jusqu’à ce qu’il se soit courbé devant Celui à qui il doit tout.
L’intelligence est riche de mérites pour l’avenir, mais à la condition d’en faire un bon emploi ; si tous les hommes qui en sont doués s’en servaient selon les vues de Dieu, la tâche des Esprits serait facile pour faire avancer l’humanité ; malheureusement beaucoup en font un instrument d’orgueil et de perdition pour eux-mêmes. L’homme abuse de son intelligence comme de toutes ses autres facultés, et cependant les leçons ne lui manquent pas pour l’avertir qu’une main puissante peut lui retirer ce qu’elle lui a donné. (FERDINAND, Esprit protecteur. Bordeaux, 1862.)
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CHAPITRE VIII
BIENHEUREUX CEUX QUI ONT LE COEUR PUR.
Laissez venir à moi les petits enfants. – Péché en pensée. Adultère. – Vraie pureté. Mains non lavées. – Scandales. Si votre main est un sujet de scandale, coupez-la. – Instructions des Esprits : Laissez venir à moi les petits enfants. – Bienheureux ceux qui ont les yeux fermés.
Laissez venir à moi les petits enfants.
1. Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu. (Saint Matthieu, ch. V, v. 8.)
2. Alors on lui présenta de petits enfants, afin qu’il les touchât ; et comme ses disciples repoussaient avec des paroles rudes ceux qui les lui présentaient, – Jésus le voyant s’en fâcha et leur dit : Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les empêchez point ; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent. – Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra point le royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera point. – Et les ayant embrassés, il les bénit en leur imposant les mains. (Saint Marc, ch. X, v. de 13 à 16.)
3. La pureté du cœur est inséparable de la simplicité et de l’humilité ; elle exclut toute pensée d’égoïsme et d’orgueil ; c’est pourquoi Jésus prend l’enfance pour l’emblème de cette pureté, comme il l’a prise pour celui de l’humilité.
Cette comparaison pourrait ne pas sembler juste, si l’on considère que l’Esprit de l’enfant peut être très ancien, et qu’il apporte en renaissant à la vie corporelle les imperfections dont il ne s’est pas dépouillé dans ses existences précédentes ; un Esprit arrivé à la perfection pourrait seul nous donner le type de la vraie pureté. Mais elle est exacte au point de vue de la vie présente ; car le petit enfant, n’ayant encore pu manifester aucune tendance perverse, nous offre l’image de l’innocence et de la candeur ; aussi Jésus ne dit-il point d’une manière absolue que le royaume de Dieu est pour eux, mais pour ceux qui leur ressemblent.
4. Puisque l’Esprit de l’enfant a déjà vécu, pourquoi ne se montre-t-il pas, dès la naissance, ce qu’il est ? Tout est sage dans les œuvres de Dieu. L’enfant a besoin de soins délicats que la tendresse maternelle peut seule lui rendre, et cette tendresse s’accroît de la faiblesse et de l’ingénuité de l’enfant. Pour une mère, son enfant est toujours un ange, et il fallait qu’il en fût ainsi pour captiver sa sollicitude ; elle n’aurait pu avoir avec lui le même abandon, si, au lieu de la grâce naïve, elle eût trouvé en lui, sous des traits enfantins, un caractère viril et les idées d’un adulte, et encore moins si elle eût connu son passé.
Il fallait, d’ailleurs, que l’activité du principe intelligent fût proportionnée à la faiblesse du corps, qui n’aurait pu résister à une activité trop grande de l’Esprit, ainsi qu’on le voit chez les sujets trop précoces. C’est pour cela que, dès les approches de l’incarnation, l’Esprit, entrant dans le trouble, perd peu à peu la conscience de lui-même ; il est, durant une certaine période, dans une sorte de sommeil pendant lequel toutes ses facultés demeurent à l’état latent. Cet état transitoire est nécessaire pour donner à l’Esprit un nouveau point de départ, et lui faire oublier, dans sa nouvelle existence terrestre, les choses qui eussent pu l’entraver. Son passé, cependant, réagit sur lui ; il renaît à la vie plus grand, plus fort moralement et intellectuellement, soutenu et secondé par l’intuition qu’il conserve de l’expérience acquise.
À partir de la naissance, ses idées reprennent graduellement leur essor au fur et à mesure du développement des organes ; d’où l’on peut dire que, pendant les premières années, l’Esprit est véritablement enfant, parce que les idées qui forment le fond de son caractère sont encore assoupies. Pendant le temps où ses instincts sommeillent, il est plus souple, et, par cela même, plus accessible aux impressions qui peuvent modifier sa nature et le faire progresser, ce qui rend plus facile la tâche imposée aux parents.
L’Esprit revêt donc pour un temps la robe d’innocence, et Jésus est dans le vrai quand, malgré l’antériorité de l’âme, il prend l’enfant pour emblème de la pureté et de la simplicité.
Péché en pensées. Adultère.
5. Vous avez appris qu’il a été dit aux Anciens : Vous ne commettrez point d’adultère. – Mais moi je vous dis que quiconque aura regardé une femme avec un mauvais désir pour elle a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur. (Saint Matthieu, ch. V, v. 27 et 28.)
6. Le mot adultère ne doit point être entendu ici dans le sens exclusif de son acception propre, mais dans un sens plus général ; Jésus l’a souvent employé par extension pour désigner le mal, le péché, et toute mauvaise pensée quelconque, comme, par exemple, dans ce passage : « Car si quelqu’un rougit de moi et de mes paroles parmi cette race adultère et pécheresse, le Fils de l’homme rougira aussi de lui, lorsqu’il viendra accompagné des saints anges dans la gloire de son Père. » (Saint Marc, ch. VIII, v. 38.)
La vraie pureté n’est pas seulement dans les actes ; elle est aussi dans la pensée, car celui qui a le cœur pur ne pense même pas au mal ; c’est ce qu’a voulu dire Jésus : il condamne le péché, même en pensée, parce que c’est un signe d’impureté.
7. Ce principe amène naturellement cette question : Subit-on les conséquences d’une mauvaise pensée non suivie d’effet ?
Il y a ici une importante distinction à faire. À mesure que l’âme engagée dans la mauvaise voie avance dans la vie spirituelle, elle s’éclaire et se dépouille peu à peu de ses imperfections, selon le plus ou moins de bonne volonté qu’elle y apporte en vertu de son libre arbitre. Toute mauvaise pensée est donc le résultat de l’imperfection de l’âme ; mais selon le désir qu’elle a conçu de s’épurer, cette mauvaise pensée même devient pour elle une occasion d’avancement, parce qu’elle la repousse avec énergie ; c’est l’indice d’une tache qu’elle s’efforce d’effacer ; elle ne cédera pas si l’occasion se présente de satisfaire un mauvais désir ; et après qu’elle aura résisté, elle se sentira plus forte et joyeuse de sa victoire.
Celle, au contraire, qui n’a pas pris de bonnes résolutions cherche l’occasion, et si elle n’accomplit pas l’acte mauvais, ce n’est pas l’effet de sa volonté, mais c’est l’occasion qui lui manque ; elle est donc aussi coupable que si elle le commettait.
En résumé, chez la personne qui ne conçoit même pas la pensée du mal, le progrès est accompli ; chez celle à qui vient cette pensée, mais qui la repousse, le progrès est en train de s’accomplir ; chez celle, enfin, qui a cette pensée et s’y complaît, le mal est encore dans toute sa force ; chez l’une le travail est fait, chez l’autre il est à faire. Dieu, qui est juste, tient compte de toutes ces nuances dans la responsabilité des actes et des pensées de l’homme.
Vraie pureté. Mains non lavées.
8. Alors des scribes et des pharisiens qui étaient venus de Jérusalem s’approchèrent de Jésus et lui dirent : – Pourquoi vos disciples violent-ils la tradition des Anciens ? car ils ne lavent point leurs mains lorsqu’ils prennent leurs repas.
Mais Jésus leur répondit : Pourquoi vous-mêmes violez-vous le commandement de Dieu pour suivre votre tradition ? car Dieu a fait ce commandement : – Honorez votre père et votre mère ; et cet autre : Que celui qui dira des paroles outrageuses à son père ou à sa mère soit puni de mort. – Mais vous autres vous dites : Quiconque aura dit à son père ou à sa mère : Tout don que je fais à Dieu vous est utile, satisfait à la loi, – encore qu’après cela il n’honore et n’assiste point son père ou sa mère ; et ainsi vous avez rendu inutile le commandement de Dieu par votre tradition.
Hypocrites, Isaïe a bien prophétisé de vous quand il a dit : – Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi ; – et c’est en vain qu’ils m’honorent en enseignant des maximes et des ordonnances humaines.
Puis ayant appelé le peuple, il leur dit : Écoutez et comprenez bien ceci : – Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme ; mais c’est ce qui sort de la bouche de l’homme qui le souille. – Ce qui sort de la bouche part du cœur, et c’est ce qui rend l’homme impur ; – car c’est du cœur que partent les mauvaises pensées, les meurtres, les adultères, les fornications, les larcins, les faux témoignages, les blasphèmes et les médisances ; – ce sont là les choses qui rendent l’homme impur ; mais de manger sans avoir lavé ses mains, ce n’est point ce qui rend un homme impur.
Alors ses disciples s’approchant de lui, lui dirent : Savez-vous bien que les Pharisiens ayant entendu ce que vous venez de dire en sont scandalisés ? – Mais il répondit : Toute plante que mon Père céleste n’a point plantée sera arrachée. – Laissez-les ; ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles ; si un aveugle en conduit un autre, ils tombent tous les deux dans la fosse. (Saint Matthieu, ch. XV, v. de 1 à 20.)
9. Pendant qu’il parlait, un Pharisien le pria de dîner chez lui ; et Jésus y étant allé se mit à table. – Le Pharisien commença alors à dire en lui-même : Pourquoi ne s’est-il pas lavé les mains avant de dîner ? – Mais le Seigneur lui dit : Vous autres Pharisiens, vous avez grand soin de nettoyer le dehors de la coupe et du plat ; mais le dedans de vos cœurs est plein de rapines et d’iniquités. Insensés que vous êtes ! celui qui a fait le dehors n’a-t-il pas fait aussi le dedans ? (Saint Luc, ch. XI, v. de 37 à 40.)
10. Les Juifs avaient négligé les véritables commandements de Dieu, pour s’attacher à la pratique des règlements établis par les hommes et dont les rigides observateurs se faisaient des cas de conscience ; le fond, très simple, avait fini par disparaître sous la complication de la forme. Comme il était plus aisé d’observer des actes extérieurs que de se réformer moralement, de se laver les mains que de nettoyer son cœur, les hommes se firent illusion à eux-mêmes, et se croyaient quittes envers Dieu, parce qu’ils se conformaient à ces pratiques, tout en restant ce qu’ils étaient ; car on leur enseignait que Dieu n’en demandait pas davantage. C’est pourquoi le prophète dit : C’est en vain que ce peuple m’honore des lèvres, en enseignant des maximes et des ordonnances humaines.
Ainsi en a-t-il été de la doctrine morale du Christ, qui a fini par être mise au second rang, ce qui fait que beaucoup de chrétiens, à l’exemple des anciens Juifs, croient leur salut plus assuré par les pratiques extérieures que par celles de la morale. C’est à ces additions faites par les hommes à la loi de Dieu que Jésus fait allusion quand il dit : Toute plante que mon Père céleste n’a point plantée sera arrachée.
Le but de la religion est de conduire l’homme à Dieu ; or, l’homme n’arrive à Dieu que lorsqu’il est parfait ; donc toute religion qui ne rend pas l’homme meilleur n’atteint pas le but ; celle sur laquelle on croit pouvoir s’appuyer pour faire le mal est, ou fausse, ou faussée dans son principe. Tel est le résultat de toutes celles où la forme l’emporte sur le fond. La croyance à l’efficacité des signes extérieurs est nulle, si elle n’empêche pas de commettre des meurtres, des adultères, des spoliations, de dire des calomnies, et de faire tort à son prochain en quoi que ce soit. Elle fait des superstitieux, des hypocrites ou des fanatiques, mais ne fait pas des hommes de bien.
Il ne suffit donc pas d’avoir les apparences de la pureté, il faut avant tout avoir celle du cœur.
Scandales. Si votre main
est un sujet de scandale, coupez-la.
11. Malheur au monde à cause des scandales ; car il est nécessaire qu’il arrive des scandales ; mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive.
Si quelqu’un scandalise un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui pendît au cou une de ces meules qu’un âne tourne, et qu’on le jetât au fond de la mer.
Prenez bien garde de mépriser aucun de ces petits ; je vous déclare que dans le ciel leurs anges voient sans cesse la face de mon Père qui est dans les cieux ; car le Fils de l’homme est venu sauver ce qui était perdu.
Si votre main ou votre pied vous est un sujet de scandale, coupez-les et les jetez loin de vous ; il vaut bien mieux pour vous que vous entriez dans la vie n’ayant qu’un pied ou qu’une main, que d’en avoir deux et d’être jeté dans le feu éternel. – Et si votre œil vous est un sujet de scandale, arrachez-le, et jetez-le loin de vous ; il vaut mieux pour vous que vous entriez dans la vie n’ayant qu’un œil que d’en avoir deux et d’être précipité dans le feu de l’enfer. (Saint Matthieu, ch. XVIII, v. de 6 à 10.)
12. Dans le sens vulgaire, scandale se dit de toute action qui choque la morale ou les bienséances d’une manière ostensible. Le scandale n’est pas dans l’action en elle-même, mais dans le retentissement qu’elle peut avoir. Le mot scandale implique toujours l’idée d’un certain éclat. Beaucoup de personnes se contentent d’éviter le scandale, parce que leur orgueil en souffrirait, leur considération en serait amoindrie parmi les hommes ; pourvu que leurs turpitudes soient ignorées, cela leur suffit, et leur conscience est en repos. Ce sont, selon les paroles de Jésus : « des sépulcres blanchis à l’extérieur, mais pleins de pourriture à l’intérieur ; des vases nettoyés en dehors, malpropres en dedans ».
Dans le sens évangélique, l’acception du mot scandale, si fréquemment employé, est beaucoup plus générale, c’est pourquoi on n’en comprend pas l’acception dans certains cas. Ce n’est plus seulement ce qui froisse la conscience d’autrui, c’est tout ce qui est le résultat des vices et des imperfections des hommes, toute réaction mauvaise d’individu à individu avec ou sans retentissement. Le scandale, dans ce cas, est le résultat effectif du mal moral.
13. Il faut qu’il y ait du scandale dans le monde, a dit Jésus, parce que les hommes étant imparfaits sur la terre sont enclins à faire le mal, et que de mauvais arbres donnent de mauvais fruits. Il faut donc entendre par ces paroles que le mal est une conséquence de l’imperfection des hommes, et non qu’il y a pour eux obligation de le faire.
14. Il est nécessaire que le scandale arrive, parce que les hommes, étant en expiation sur la terre, se punissent eux-mêmes par le contact de leurs vices dont ils sont les premières victimes, et dont ils finissent par comprendre les inconvénients. Lorsqu’ils seront las de souffrir du mal, ils chercheront le remède dans le bien. La réaction de ces vices sert donc à la fois de châtiment pour les uns et d’épreuve pour les autres ; c’est ainsi que Dieu fait sortir le bien du mal, que les hommes eux-mêmes utilisent les choses mauvaises ou de rebut.
15. S’il en est ainsi, dira-t-on, le mal est nécessaire et durera toujours ; car s’il venait à disparaître, Dieu serait privé d’un puissant moyen de châtier les coupables ; donc il est inutile de chercher à améliorer les hommes. Mais s’il n’y avait plus de coupables, il n’y aurait plus besoin de châtiments. Supposons l’humanité transformée en hommes de bien, aucun ne cherchera à faire du mal à son prochain, et tous seront heureux, parce qu’ils seront bons. Tel est l’état des mondes avancés d’où le mal est exclu ; tel sera celui de la terre quand elle aura suffisamment progressé. Mais tandis que certains mondes avancent, d’autres se forment, peuplés d’Esprits primitifs, et qui servent en outre d’habitation, d’exil et de lieu expiatoire pour les Esprits imparfaits, rebelles, obstinés dans le mal, et qui sont rejetés des mondes devenus heureux.
16. Mais malheur à celui par qui le scandale arrive ; c’est-à-dire que le mal étant toujours le mal, celui qui a servi à son insu d’instrument pour la justice divine, dont les mauvais instincts ont été utilisés, n’en a pas moins fait le mal et doit être puni. C’est ainsi, par exemple, qu’un enfant ingrat est une punition ou une épreuve pour le père qui en souffre, parce que ce père a peut-être été lui-même un mauvais fils qui a fait souffrir son père, et qu’il subit la peine du talion ; mais le fils n’en est pas plus excusable, et devra être châtié à son tour dans ses propres enfants ou d’une autre manière.
17. Si votre main vous est une cause de scandale, coupez-la ; figure énergique qu’il serait absurde de prendre à la lettre, et qui signifie simplement qu’il faut détruire en soi toute cause de scandale, c’est-à-dire de mal ; arracher de son cœur tout sentiment impur et tout principe vicieux ; c’est-à-dire encore qu’il vaudrait mieux pour un homme avoir eu la main coupée, que si cette main eût été pour lui l’instrument d’une mauvaise action ; être privé de la vue, que si ses yeux lui eussent donné de mauvaises pensées. Jésus n’a rien dit d’absurde pour quiconque saisit le sens allégorique et profond de ses paroles ; mais beaucoup de choses ne peuvent être comprises sans la clef qu’en donne le spiritisme.
INSTRUCTIONS DES ESPRITS.
Laissez venir à moi les petits enfants.
18. Le Christ a dit : « Laissez venir à moi les petits enfants. » Ces paroles, profondes dans leur simplicité, n’emportaient pas avec elles le simple appel des enfants, mais celui des âmes qui gravitent dans les cercles inférieurs où le malheur ignore l’espérance. Jésus appelait à lui l’enfance intellectuelle de la créature formée : les faibles, les esclaves, les vicieux ; il ne pouvait rien enseigner à l’enfance physique, engagée dans la matière, soumise au joug de l’instinct, et n’appartenant pas encore à l’ordre supérieur de la raison et de la volonté qui s’exercent autour d’elle et pour elle.
Jésus voulait que les hommes vinssent à lui avec la confiance de ces petits êtres aux pas chancelants, dont l’appel lui conquérait le cœur des femmes qui sont toutes mères ; il soumettait ainsi les âmes à sa tendre et mystérieuse autorité. Il fut le flambeau qui éclaire les ténèbres, le clairon matinal qui sonne le réveil : il fut l’initiateur du spiritisme 11 qui doit à son tour appeler à lui, non les petits enfants, mais les hommes de bonne volonté. L’action virile est engagée ; il ne s’agit plus de croire instinctivement et d’obéir machinalement, il faut que l’homme suive la loi intelligente qui lui révèle son universalité.
Mes bien-aimés, voici le temps où les erreurs expliquées seront des vérités ; nous vous enseignerons le sens exact des paraboles, et nous vous montrerons la corrélation puissante qui relie ce qui a été et ce qui est. Je vous dis en vérité : la manifestation spirite grandit à l’horizon ; et voici son envoyé qui va resplendir comme le soleil sur la cime des monts. (JEAN l’Évangéliste. Paris, 1863.)
19. Laissez venir à moi les petits enfants, car je possède le lait qui fortifie les faibles. Laissez venir à moi ceux qui, craintifs et débiles, ont besoin d’appui et de consolation. Laissez venir à moi les ignorants pour que je les éclaire ; laissez venir à moi tous ceux qui souffrent, la multitude des affligés et des malheureux ; je leur enseignerai le grand remède pour adoucir les maux de la vie, je leur donnerai le secret de guérir leurs blessures ! Quel est-il, mes amis, ce baume souverain, possédant la vertu par excellence, ce baume qui s’applique sur toutes les plaies du cœur et les ferme ? C’est l’amour, c’est la charité ! Si vous avez ce feu divin, que craindrez-vous ? Vous direz à tous les instants de votre vie : Mon père, que votre volonté soit faite et non la mienne ; s’il vous plaît de m’éprouver par la douleur et les tribulations, soyez béni, car c’est pour mon bien, je le sais, que votre main s’appesantit sur moi. S’il vous convient, Seigneur, d’avoir pitié de votre faible créature, si vous donnez à son cœur les joies permises, soyez encore béni ; mais faites que l’amour divin ne s’endorme pas dans son âme, et que sans cesse elle fasse monter à vos pieds la voix de sa reconnaissance !...
Si vous avez l’amour, vous aurez tout ce qui est à désirer sur votre terre, vous posséderez la perle par excellence que ni les évènements, ni les méchancetés de ceux qui vous haïssent et vous persécutent ne pourront vous ravir. Si vous avez l’amour, vous aurez placé vos trésors là où les vers et la rouille ne peuvent les atteindre, et vous verrez s’effacer insensiblement de votre âme tout ce qui peut en souiller la pureté ; vous sentirez le poids de la matière s’alléger de jour en jour, et, pareil à l’oiseau qui plane dans les airs et ne se souvient plus de la terre, vous monterez sans cesse, vous monterez toujours, jusqu’à ce que votre âme enivrée puisse s’abreuver à son élément de vie dans le sein du Seigneur. (UN ESPRIT PROTECTEUR. Bordeaux, 1861.)
Bienheureux ceux qui ont les yeux fermés 12.
20. Mes bons amis, vous m’avez appelé, pourquoi ? Est-ce pour me faire imposer les mains sur la pauvre souffrante qui est ici, et la guérir ? Eh ! quelle souffrance, bon Dieu ! Elle a perdu la vue, et les ténèbres se font pour elle. Pauvre enfant ! qu’elle prie et qu’elle espère ; je ne sais point faire de miracles, moi, sans la volonté du bon Dieu. Toutes les guérisons que j’ai pu obtenir, et qui vous ont été signalées, ne les attribuez qu’à celui qui est notre Père à tous. Dans vos afflictions, regardez donc toujours le ciel, et dites du fond de votre cœur : « Mon Père, guérissez-moi, mais faites que mon âme malade soit guérie avant les infirmités de mon corps ; que ma chair soit châtiée, s’il le faut, pour que mon âme s’élève vers vous avec la blancheur qu’elle avait quand vous l’avez créée. » Après cette prière, mes bons amis, que le bon Dieu entendra toujours, la force et le courage vous seront donnés, et peut-être aussi cette guérison que vous n’aurez demandée que craintivement, en récompense de votre abnégation.
Mais puisque je suis ici, dans une assemblée où il s’agit avant tout d’études, je vous dirai que ceux qui sont privés de la vue devraient se considérer comme les bienheureux de l’expiation. Rappelez-vous que Christ a dit qu’il fallait arracher votre œil s’il était mauvais et qu’il valait mieux qu’il fût jeté au feu que d’être la cause de votre damnation. Hélas ! combien en est-il sur votre terre qui maudiront un jour dans les ténèbres d’avoir vu la lumière ! Oh ! oui, qu’ils sont heureux ceux-là qui, dans l’expiation, sont frappés par la vue ! Leur œil ne sera point un sujet de scandale et de chute ; ils peuvent vivre tout entiers de la vie des âmes ; ils peuvent voir plus que vous qui voyez clair... Quand Dieu me permet d’aller ouvrir la paupière à quelqu’un de ces pauvres souffrants et de lui rendre la lumière, je me dis : Chère âme, pourquoi ne connais-tu point toutes les délices de l’Esprit qui vit de contemplation et d’amour ? Tu ne demanderais pas à voir des images moins pures et moins suaves que celles qu’il t’est donné d’entrevoir dans ta cécité.
Oh ! oui, bienheureux l’aveugle qui veut vivre avec Dieu ; plus heureux que vous qui êtes ici, il sent le bonheur, il le touche, il voit les âmes et peut s’élancer avec elles dans les sphères spirites que les prédestinés de votre terre même ne voient point. L’œil ouvert est toujours prêt à faire faillir l’âme ; l’œil fermé, au contraire, est toujours prêt à la faire monter à Dieu. Croyez-moi bien, mes bons et chers amis, l’aveuglement des yeux est souvent la véritable lumière du cœur, tandis que la vue, c’est souvent l’ange ténébreux qui conduit à la mort.
Et maintenant quelques mots pour toi, ma pauvre souffrante : espère et prends courage ! si je te disais : Mon enfant, tes yeux vont s’ouvrir, comme tu serais joyeuse ! Et qui sait si cette joie ne te perdrait pas ? Aie confiance dans le bon Dieu qui a fait le bonheur et permis la tristesse ! Je ferai tout ce qu’il me sera permis pour toi ; mais, à ton tour, prie, et surtout songe à tout ce que je viens de te dire.
Avant que je m’éloigne, vous tous qui êtes ici, recevez ma bénédiction. (VIANNEY, curé d’Ars. Paris, 1863.)
21. Remarque. Lorsqu’une affliction n’est pas une suite des actes de la vie présente, il faut en chercher la cause dans une vie antérieure. Ce que l’on appelle les caprices du sort ne sont autre chose que les effets de la justice de Dieu. Dieu n’inflige point de punitions arbitraires ; il veut qu’entre la faute et la peine, il y ait toujours corrélation. Si, dans sa bonté, il a jeté un voile sur nos actes passés, il nous met cependant sur la voie, en disant : « Qui a tué par l’épée périra par l’épée » ; paroles qui peuvent se traduire ainsi : « On est toujours puni par où l’on a péché. » Si donc quelqu’un est affligé par la perte de la vue, c’est que la vue a été pour lui une cause de chute. Peut-être aussi a-t-il été cause de la perte de la vue chez un autre ; peut-être quelqu’un est-il devenu aveugle par l’excès de travail qu’il lui a imposé, ou par suite de mauvais traitements, de manque de soins, etc., et alors il subit la peine du talion. Lui-même, dans son repentir, a pu choisir cette expiation, s’appliquant cette parole de Jésus : « Si votre œil vous est un sujet de scandale, arrachez-le. »
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CHAPITRE IX
BIENHEUREUX CEUX QUI SONT DOUX ET PACIFIQUES.
Injures et violences. – Instructions des Esprits : L’affabilité et la douceur. – La patience. – Obéissance et résignation. – La colère.
Injures et violences.
1. Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre. (Saint Matthieu, ch. V, v. 4.)
2. Bienheureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu. (Id., v. 9.)
3. Vous avez appris qu’il a été dit aux Anciens : Vous ne tuerez point, et quiconque tuera méritera d’être condamné par le jugement. – Mais moi je vous dis que quiconque se mettra en colère contre son frère méritera d’être condamné par le jugement ; que celui qui dira à son frère : Racca, méritera d’être condamné par le conseil ; et que celui qui lui dira : Vous êtes fou, méritera d’être condamné au feu de l’enfer. (Id., v. 21, 22.)
4. Par ces maximes, Jésus fait une loi de la douceur, de la modération, de la mansuétude, de l’affabilité et de la patience ; il condamne par conséquent la violence, la colère et même toute expression désobligeante à l’égard de ses semblables. Racca était chez les Hébreux un terme de mépris qui signifiait homme de rien, et se prononçait en crachant et en détournant la tête. Il va même plus loin, puisqu’il menace du feu de l’enfer celui qui dira à son frère : Vous êtes fou.
Il est évident qu’ici, comme en toute circonstance, l’intention aggrave ou atténue la faute ; mais en quoi une simple parole peut-elle avoir assez de gravité pour mériter une réprobation si sévère ? C’est que toute parole offensante est l’expression d’un sentiment contraire à la loi d’amour et de charité qui doit régler les rapports des hommes et maintenir entre eux la concorde et l’union ; que c’est une atteinte portée à la bienveillance réciproque et à la fraternité ; qu’elle entretient la haine et l’animosité ; enfin qu’après l’humilité envers Dieu, la charité envers le prochain est la première loi de tout chrétien.
5. Mais qu’entend Jésus par ces paroles : « Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre », lui qui dit de renoncer aux biens de ce monde et promet ceux du ciel ?
En attendant les biens du ciel, l’homme a besoin de ceux de la terre pour vivre ; seulement il lui recommande de ne point attacher à ces derniers plus d’importance qu’aux premiers.
Par ces paroles, il veut dire que, jusqu’à ce jour, les biens de la terre sont accaparés par les violents au préjudice de ceux qui sont doux et pacifiques ; que ceux-ci manquent souvent du nécessaire, tandis que d’autres ont le superflu ; il promet que justice leur sera rendue sur la terre comme dans le ciel, parce qu’ils sont appelés les enfants de Dieu. Lorsque la loi d’amour et de charité sera la loi de l’humanité, il n’y aura plus d’égoïsme ; le faible et le pacifique ne seront plus exploités ni écrasés par le fort et le violent. Tel sera l’état de la terre lorsque, selon la loi du progrès et la promesse de Jésus, elle sera devenue un monde heureux par l’expulsion des méchants.
INSTRUCTIONS DES ESPRITS.
L’affabilité et la douceur.
6. La bienveillance pour ses semblables, fruit de l’amour du prochain, produit l’affabilité et la douceur qui en sont la manifestation. Cependant il ne faut pas toujours se fier aux apparences ; l’éducation et l’usage du monde peuvent donner le vernis de ces qualités. Combien en est-il dont la feinte bonhomie n’est qu’un masque pour l’extérieur, un habit dont la coupe calculée dissimule les difformités cachées ! Le monde est plein de ces gens qui ont le sourire sur les lèvres et le venin dans le cœur ; qui sont doux pourvu que rien ne les froisse mais qui mordent à la moindre contrariété ; dont la langue dorée, quand ils parlent en face, se change en dard empoisonné quand ils sont par derrière.
À cette classe appartiennent encore ces hommes, aux dehors bénins, qui, chez eux, tyrans domestiques, font souffrir à leur famille et à leurs subordonnés le poids de leur orgueil et de leur despotisme ; ils semblent vouloir se dédommager de la contrainte qu’ils se sont imposée ailleurs ; n’osant faire acte d’autorité sur des étrangers qui les remettraient à leur place, ils veulent au moins se faire craindre de ceux qui ne peuvent leur résister ; leur vanité jouit de pouvoir dire : « Ici je commande et je suis obéi » ; sans songer qu’ils pourraient ajouter avec plus de raison : « Et je suis détesté. »
Il ne suffit pas que des lèvres découlent le lait et le miel ; si le cœur n’y est pour rien, c’est de l’hypocrisie. Celui dont l’affabilité et la douceur ne sont pas feintes ne se dément jamais ; il est le même devant le monde et dans l’intimité ; il sait d’ailleurs que si l’on trompe les hommes par des apparences, on ne trompe pas Dieu. (LAZARE. Paris, 1861.)
La patience.
7. La douleur est une bénédiction que Dieu envoie à ses élus ; ne vous affligez donc pas quand vous souffrez, mais bénissez au contraire le Dieu tout-puissant qui vous a marqués par la douleur ici-bas pour la gloire dans le ciel.
Soyez patients ; c’est une charité aussi que la patience, et vous devez pratiquer la loi de charité enseignée par le Christ, envoyé de Dieu. La charité qui consiste dans l’aumône donnée aux pauvres est la plus facile des charités ; mais il en est une bien plus pénible et conséquemment bien plus méritoire, c’est de pardonner à ceux que Dieu a placés sur notre route pour être les instruments de nos souffrances et mettre notre patience à l’épreuve.
La vie est difficile, je le sais ; elle se compose de mille riens qui sont des coups d’épingle et finissent par blesser ; mais il faut regarder aux devoirs qui nous sont imposés, aux consolations et aux compensations que nous avons d’un autre côté, et alors nous verrons que les bénédictions sont plus nombreuses que les douleurs. Le fardeau semble moins lourd quand on regarde en haut que lorsqu’on courbe son front vers la terre.
Courage, amis, le Christ est votre modèle ; il a plus souffert qu’aucun de vous, et il n’avait rien à se reprocher, tandis que vous, vous avez à expier votre passé et à vous fortifier pour l’avenir. Soyez donc patients ; soyez chrétiens, ce mot renferme tout. (UN ESPRIT AMI. Le Havre, 1862.)
Obéissance et résignation.
8. La doctrine de Jésus enseigne partout l’obéissance et la résignation, deux vertus compagnes de la douceur, très militantes quoique les hommes les confondent à tort avec la négation du sentiment et de la volonté. L’obéissance est le consentement de la raison ; la résignation est le consentement du cœur ; toutes deux sont des forces actives, car elles portent le fardeau des épreuves que la révolte insensée laisse retomber. Le lâche ne peut être résigné, pas plus que l’orgueilleux et l’égoïste ne peuvent être obéissants. Jésus a été l’incarnation de ces vertus méprisées par la matérielle antiquité. Il vint au moment où la société romaine périssait dans les défaillances de la corruption ; il vint faire luire, au sein de l’humanité affaissée, les triomphes du sacrifice et du renoncement charnel.
Chaque époque est ainsi marquée au coin de la vertu ou du vice qui doit la sauver ou la perdre. La vertu de votre génération est l’activité intellectuelle ; son vice est l’indifférence morale. Je dis seulement activité, car le génie s’élève tout à coup et découvre à un seul les horizons que la multitude ne verra qu’après lui, tandis que l’activité est la réunion des efforts de tous pour atteindre un but moins éclatant, mais qui prouve l’élévation intellectuelle d’une époque. Soumettez-vous à l’impulsion que nous venons donner à vos esprits ; obéissez à la grande loi du progrès qui est le mot de votre génération. Malheur à l’esprit paresseux, à celui qui bouche son entendement ! Malheur ! car nous qui sommes les guides de l’humanité en marche, nous le frapperons du fouet, et forcerons sa volonté rebelle dans le double effort du frein et de l’éperon ; toute résistance orgueilleuse devra céder tôt ou tard ; mais bienheureux ceux qui sont doux, car ils prêteront une oreille docile aux enseignements. (LAZARE. Paris, 1863.)
La colère.
9. L’orgueil vous porte à vous croire plus que vous n’êtes ; à ne pouvoir souffrir une comparaison qui puisse vous rabaisser ; à vous voir, au contraire, tellement au-dessus de vos frères, soit comme esprit, soit comme position sociale, soit même comme avantages personnels, que le moindre parallèle vous irrite et vous froisse ; et qu’advient-il alors ? C’est que vous vous livrez à la colère.
Cherchez l’origine de ces accès de démence passagère qui vous assimilent à la brute en vous faisant perdre le sang-froid et la raison ; cherchez, et vous trouverez presque toujours pour base l’orgueil froissé. N’est-ce pas l’orgueil froissé par une contradiction qui vous fait rejeter les observations justes, qui vous fait repousser avec colère les plus sages conseils ? Les impatiences même que causent des contrariétés souvent puériles, tiennent à l’importance que l’on attache à sa personnalité devant laquelle on croit que tout doit plier.
Dans sa frénésie, l’homme colère s’en prend à tout, à la nature brute, aux objets inanimés qu’il brise, parce qu’ils ne lui obéissent pas. Ah ! si dans ces moments-là il pouvait se voir de sang-froid, il aurait peur de lui, ou se trouverait bien ridicule ! Qu’il juge par là de l’impression qu’il doit produire sur les autres. Quand ce ne serait que par respect pour lui-même, il devrait s’efforcer de vaincre un penchant qui fait de lui un objet de pitié.
S’il songeait que la colère ne remédie à rien, qu’elle altère sa santé, compromet même sa vie, il verrait qu’il en est la première victime ; mais une autre considération devrait surtout l’arrêter, c’est la pensée qu’il rend malheureux tous ceux qui l’entourent ; s’il a du cœur, n’est-ce pas un remords pour lui de faire souffrir les êtres qu’il aime le plus ? Et quel regret mortel si, dans un accès d’emportement, il commettait un acte qu’il eût à se reprocher toute sa vie !
En somme, la colère n’exclut pas certaines qualités du cœur ; mais elle empêche de faire beaucoup de bien, et peut faire faire beaucoup de mal ; cela doit suffire pour exciter à faire des efforts pour la dominer. Le spirite est en outre sollicité par un autre motif, c’est qu’elle est contraire à la charité et à l’humilité chrétiennes. (UN ESPRIT PROTECTEUR. Bordeaux, 1863.)
10. D’après l’idée très fausse qu’on ne peut pas réformer sa propre nature, l’homme se croit dispensé de faire des efforts pour se corriger des défauts dans lesquels il se complaît volontiers, ou qui exigeraient trop de persévérance ; c’est ainsi, par exemple, que l’homme enclin à la colère s’excuse presque toujours sur son tempérament ; plutôt que de s’avouer coupable, il rejette la faute sur son organisation, accusant ainsi Dieu de ses propres méfaits. C’est encore une suite de l’orgueil que l’on trouve mêlé à toutes ses imperfections.
Sans contredit, il est des tempéraments qui se prêtent plus que d’autres aux actes violents, comme il est des muscles plus souples qui se prêtent mieux aux tours de force ; mais ne croyez pas que là soit la cause première de la colère, et soyez persuadés qu’un Esprit pacifique, fût-il dans un corps bilieux, sera toujours pacifique ; et qu’un Esprit violent, dans un corps lymphatique, n’en sera pas plus doux ; seulement, la violence prendra un autre caractère ; n’ayant pas un organisme propre à seconder sa violence, la colère sera concentrée, et dans l’autre cas elle sera expansive.
Le corps ne donne pas plus la colère à celui qui ne l’a pas, qu’il ne donne les autres vices ; toutes les vertus et tous les vices sont inhérents à l’Esprit ; sans cela où seraient le mérite et la responsabilité ? L’homme qui est contrefait ne peut se rendre droit parce que l’Esprit n’y est pour rien, mais il peut modifier ce qui est de l’Esprit quand il en a la ferme volonté. L’expérience ne vous prouve-t-elle pas, spirites, jusqu’où peut aller la puissance de la volonté, par les transformations vraiment miraculeuses que vous voyez s’opérer ? Dites-vous donc que l’homme ne reste vicieux que parce qu’il veut rester vicieux ; mais que celui qui veut se corriger le peut toujours, autrement la loi du progrès n’existerait pas pour l’homme. (HAHNEMANN. Paris, 1863.)
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CHAPITRE X
BIENHEUREUX CEUX QUI SONT MISERICORDIEUX.
Pardonnez pour que Dieu vous pardonne. – S’accorder avec ses adversaires. – Le sacrifice le plus agréable à Dieu. – La paille et la poutre dans l’œil. – Ne jugez pas afin que vous ne soyez pas jugés. Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre. – Instructions des Esprits : Pardon des offenses. – L’indulgence. – Est-il permis de reprendre les autres ; d’observer les imperfections d’autrui ; de divulguer le mal d’autrui ?
Pardonnez pour que Dieu vous pardonne.
1. Bienheureux ceux qui sont miséricordieux, parce qu’ils obtiendront eux-mêmes miséricorde. (Saint Matthieu, ch. V, v. 7.)
2. Si vous pardonnez aux hommes les fautes qu’ils font contre vous, votre Père céleste vous pardonnera aussi vos péchés ; – mais si vous ne pardonnez point aux hommes lorsqu’ils vous ont offensés, votre Père ne vous pardonnera point non plus vos péchés. (Id., ch. VI, v. 14, 15.)
3. Si votre frère a péché contre vous, allez lui représenter sa faute en particulier, entre vous et lui ; s’il vous écoute, vous aurez gagné votre frère. – Alors Pierre s’approchant lui dit : Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère lorsqu’il aura péché contre moi ? Sera-ce jusqu’à sept fois ? – Jésus lui répondit : Je ne vous dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à septante fois sept fois. (Id., ch. XVIII, v. 15, 21, 22.)
4. La miséricorde est le complément de la douceur ; car celui qui n’est pas miséricordieux ne saurait être doux et pacifique ; elle consiste dans l’oubli et le pardon des offenses. La haine et la rancune dénotent une âme sans élévation ni grandeur ; l’oubli des offenses est le propre de l’âme élevée qui est au-dessus des atteintes qu’on peut lui porter ; l’une est toujours anxieuse, d’une susceptibilité ombrageuse et pleine de fiel ; l’autre est calme, pleine de mansuétude et de charité.
Malheur à celui qui dit : Je ne pardonnerai jamais, car s’il n’est pas condamné par les hommes, il le sera certainement par Dieu ; de quel droit réclamerait-il le pardon de ses propres fautes si lui-même ne pardonne pas celles des autres ? Jésus nous enseigne que la miséricorde ne doit pas avoir de limites, quand il dit de pardonner à son frère, non pas sept fois, mais septante fois sept fois.
Mais il y a deux manières bien différentes de pardonner : l’une grande, noble, vraiment généreuse, sans arrière-pensée, qui ménage avec délicatesse l’amour-propre et la susceptibilité de l’adversaire, ce dernier eût-il même tous les torts ; la seconde par laquelle l’offensé, ou celui qui croit l’être, impose à l’autre des conditions humiliantes, et fait sentir le poids d’un pardon qui irrite au lieu de calmer ; s’il tend la main, ce n’est pas avec bienveillance, mais avec ostentation afin de pouvoir dire à tout le monde : Voyez combien je suis généreux ! Dans de telles circonstances, il est impossible que la réconciliation soit sincère de part et d’autre. Non, ce n’est pas là de la générosité, c’est une manière de satisfaire l’orgueil. Dans toute contestation, celui qui se montre le plus conciliant, qui prouve le plus de désintéressement, de charité et de véritable grandeur d’âme se conciliera toujours la sympathie des gens impartiaux.
S’accorder avec ses adversaires.
5. Accordez-vous au plus tôt avec votre adversaire pendant que vous êtes en chemin avec lui, de peur que votre adversaire ne vous livre au juge, et que le juge ne vous livre au ministre de la justice, et que vous ne soyez mis en prison. – Je vous dis, en vérité, que vous ne sortirez point de là que vous n’ayez payé jusqu’à la dernière obole. (Saint Matthieu, ch. V, v. 25, 26.)
6. Il y a dans la pratique du pardon, et dans celle du bien en général, plus qu’un effet moral, il y a aussi un effet matériel. La mort, on le sait, ne nous délivre pas de nos ennemis ; les Esprits vindicatifs poursuivent souvent de leur haine, au-delà de la tombe, ceux contre lesquels ils ont conservé de la rancune ; c’est pourquoi le proverbe qui dit : « Morte la bête, mort le venin », est faux quand on l’applique à l’homme. L’Esprit mauvais attend que celui à qui il veut du mal soit enchaîné à son corps et moins libre, pour le tourmenter plus facilement, l’atteindre dans ses intérêts ou dans ses affections les plus chères. Il faut voir dans ce fait la cause de la plupart des cas d’obsession, de ceux surtout qui présentent une certaine gravité, comme la subjugation et la possession. L’obsédé et le possédé sont donc presque toujours victimes d’une vengeance antérieure, à laquelle ils ont probablement donné lieu par leur conduite. Dieu le permet pour les punir du mal qu’ils ont fait eux-mêmes, ou, s’ils n’en ont pas fait, pour avoir manqué d’indulgence et de charité en ne pardonnant pas. Il importe donc, au point de vue de sa tranquillité future, de réparer au plus tôt les torts que l’on a eus envers son prochain, de pardonner à ses ennemis, afin d’éteindre, avant de mourir, tout sujet de dissensions, toute cause fondée d’animosité ultérieure ; par ce moyen, d’un ennemi acharné en ce monde, on peut se faire un ami dans l’autre ; tout au moins on met le bon droit de son côté, et Dieu ne laisse pas celui qui a pardonné en butte à la vengeance. Quand Jésus recommande de s’arranger au plus tôt avec son adversaire, ce n’est pas seulement en vue d’apaiser les discordes pendant l’existence actuelle, mais d’éviter qu’elles ne se perpétuent dans les existences futures. Vous ne sortirez point de là, dit-il, que vous n’ayez payé jusqu’à la dernière obole, c’est-à-dire satisfait complètement à la justice de Dieu.
Le sacrifice le plus agréable à Dieu.
7. Si donc, lorsque vous présentez votre offrande à l’autel, vous vous souvenez que votre frère a quelque chose contre vous, – laissez là votre don au pied de l’autel, et allez vous réconcilier auparavant avec votre frère, et puis vous reviendrez offrir votre don. (Saint Matthieu, ch. V, v. 23, 24.)
8. Lorsque Jésus dit : « Allez vous réconcilier avec votre frère avant de présenter votre offrande à l’autel », il enseigne que le sacrifice le plus agréable au Seigneur est celui de son propre ressentiment ; qu’avant de se présenter à lui pour être pardonné, il faut avoir soi-même pardonné, et que si l’on a un tort envers un de ses frères, il faut l’avoir réparé ; alors seulement l’offrande sera agréée, parce qu’elle viendra d’un cœur pur de toute mauvaise pensée. Il matérialise ce précepte, parce que les Juifs offraient des sacrifices matériels ; il devait conformer ses paroles à leurs usages. Le chrétien n’offre pas de dons matériels ; il a spiritualisé le sacrifice, mais le précepte n’en a que plus de force ; il offre son âme à Dieu, et cette âme doit être purifiée ; en entrant dans le temple du Seigneur, il doit laisser en dehors tout sentiment de haine et d’animosité, toute mauvaise pensée contre son frère ; alors seulement sa prière sera portée par les anges aux pieds de l’Éternel. Voilà ce qu’enseigne Jésus par ces paroles : Laissez votre offrande au pied de l’autel, et allez d’abord vous réconcilier avec votre frère, si vous voulez être agréable au Seigneur.
La paille et la poutre dans l’œil.
9. Pourquoi voyez-vous une paille dans l’œil de votre frère, vous qui ne voyez pas une poutre dans votre œil ? – Ou comment dites-vous à votre frère : Laissez-moi tirer une paille de votre œil, vous qui avez une poutre dans le vôtre ? – Hypocrites, ôtez premièrement la poutre de votre œil, et alors vous verrez comment vous pourrez tirer la paille de l’œil de votre frère. (Saint Matthieu, ch. VII, v. 3, 4, 5.)
10. Un des travers de l’humanité, c’est de voir le mal d’autrui avant de voir celui qui est en nous. Pour se juger soi-même, il faudrait pouvoir se regarder dans un miroir, se transporter en quelque sorte en dehors de soi, et se considérer comme une autre personne, en se demandant : Que penserais-je si je voyais quelqu’un faire ce que je fais ? C’est incontestablement l’orgueil qui porte l’homme à se dissimuler ses propres défauts, au moral comme au physique. Ce travers est essentiellement contraire à la charité, car la vraie charité est modeste, simple et indulgente ; la charité orgueilleuse est un non-sens, puisque ces deux sentiments se neutralisent l’un l’autre. Comment, en effet, un homme assez vain pour croire à l’importance de sa personnalité et à la suprématie de ses qualités peut-il avoir en même temps assez d’abnégation pour faire ressortir, dans autrui, le bien qui pourrait l’éclipser, au lieu du mal qui pourrait le rehausser ? Si l’orgueil est le père de beaucoup de vices, il est aussi la négation de beaucoup de vertus ; on le retrouve au fond et comme mobile de presque toutes les actions. C’est pourquoi Jésus s’est attaché à le combattre comme le principal obstacle au progrès.
Ne jugez pas afin que vous ne soyez pas jugés. Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre.
11. Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés ; – car vous serez jugés selon que vous aurez jugé les autres ; et on se servira envers vous de la même mesure dont vous vous serez servis envers eux. (Saint Matthieu, ch. VII, v. 1, 2.)
12. Alors les Scribes et les Pharisiens lui amenèrent une femme qui avait été surprise en adultère, et la faisant tenir debout au milieu du peuple, – ils dirent à Jésus : Maître, cette femme vient d’être surprise en adultère ; or, Moïse nous ordonne dans la loi de lapider les adultères. Quel est donc sur cela votre sentiment ? – Ils disaient ceci en le tentant, afin d’avoir de quoi l’accuser. Mais Jésus, se baissant, écrivit avec son doigt sur la terre. – Comme ils continuaient à l’interroger, il se leva, et leur dit : Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre. – Puis, se baissant de nouveau, il continua à écrire sur la terre. – Mais pour eux, l’ayant entendu parler de la sorte, ils se retirèrent l’un après l’autre, les vieillards sortant les premiers ; et ainsi Jésus demeura seul avec la femme, qui était au milieu de la place.
Alors Jésus, se relevant, lui dit : Femme, où sont vos accusateurs ? Personne ne vous a-t-il condamnée ? Elle lui dit : Non, Seigneur. Jésus lui répondit : Je ne vous condamnerai pas non plus. Allez-vous-en, et à l’avenir ne péchez plus. (Saint Jean, ch. VIII, v. de 3 à 11.)
13. « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre », a dit Jésus. Cette maxime nous fait un devoir de l’indulgence, parce qu’il n’est personne qui n’en ait besoin pour son propre compte. Elle nous apprend que nous ne devons pas juger les autres plus sévèrement que nous ne nous jugeons nous-mêmes, ni condamner en autrui ce que nous excusons en nous. Avant de reprocher une faute à quelqu’un, voyons si le même blâme ne peut retomber sur nous.
Le blâme jeté sur la conduite d’autrui peut avoir deux mobiles : réprimer le mal, ou discréditer la personne dont on critique les actes ; ce dernier motif n’a jamais d’excuse, car c’est de la médisance et de la méchanceté. Le premier peut être louable, et devient même un devoir dans certains cas, puisqu’il en doit résulter un bien, et que sans cela le mal ne serait jamais réprimé dans la société ; l’homme, d’ailleurs, ne doit-il pas aider au progrès de son semblable ? Il ne faudrait donc pas prendre dans le sens absolu ce principe : « Ne jugez pas, si vous ne voulez pas être jugé », car la lettre tue, et l’esprit vivifie.
Jésus ne pouvait défendre de blâmer ce qui est mal, puisque lui-même nous en a donné l’exemple, et l’a fait en termes énergiques ; mais il a voulu dire que l’autorité du blâme est en raison de l’autorité morale de celui qui le prononce ; se rendre coupable de ce que l’on condamne en autrui, c’est abdiquer cette autorité ; c’est de plus s’enlever le droit de répression. La conscience intime, du reste, refuse tout respect et toute soumission volontaire à celui qui, étant investi d’un pouvoir quelconque, viole les lois et les principes qu’il est chargé d’appliquer. Il n’y a d’autorité légitime aux yeux de Dieu que celle qui s’appuie sur l’exemple qu’elle donne du bien ; c’est ce qui ressort également des paroles de Jésus.
INSTRUCTIONS DES ESPRITS.
Pardon des offenses.
14. Combien de fois pardonnerai-je à mon frère ? Vous lui pardonnerez non pas sept fois, mais septante fois sept fois. Voilà une de ces paroles de Jésus qui doivent frapper le plus votre intelligence et parler le plus haut à votre cœur. Rapprochez ces paroles de miséricorde de l’oraison si simple, si résumée et si grande dans ses aspirations que Jésus donne à ses disciples, et vous trouverez toujours la même pensée. Jésus, le juste par excellence, répond à Pierre : Tu pardonneras, mais sans limites ; tu pardonneras chaque offense aussi souvent que l’offense te sera faite ; tu enseigneras à tes frères cet oubli de soi-même qui rend invulnérable contre l’attaque, les mauvais procédés et les injures ; tu seras doux et humble de cœur, ne mesurant jamais ta mansuétude ; tu feras enfin ce que tu désires que le Père céleste fasse pour toi ; n’a-t-il pas à te pardonner souvent, et compte-t-il le nombre de fois que son pardon descend effacer tes fautes ?
Écoutez donc cette réponse de Jésus, et, comme Pierre, appliquez-la à vous-mêmes ; pardonnez, usez d’indulgence, soyez charitables, généreux, prodigues même de votre amour. Donnez, car le Seigneur vous rendra ; pardonnez, car le Seigneur vous pardonnera ; abaissez-vous, car le Seigneur vous relèvera ; humiliez-vous, car le Seigneur vous fera asseoir à sa droite.
Allez, mes bien-aimés, étudiez et commentez ces paroles que je vous adresse de la part de Celui qui, du haut des splendeurs célestes, regarde toujours vers vous, et continue avec amour la tâche ingrate qu’il a commencée il y a dix-huit siècles. Pardonnez donc à vos frères comme vous avez besoin qu’on vous pardonne à vous-mêmes. Si leurs actes vous ont été personnellement préjudiciables, c’est un motif de plus pour être indulgents, car le mérite du pardon est proportionné à la gravité du mal ; il n’y en aurait aucun à passer sur les torts de vos frères, s’ils ne vous avaient fait que des blessures légères.
Spirites, n’oubliez jamais qu’en paroles, comme en actions, le pardon des injures ne doit pas être un vain mot. Si vous vous dites spirites, soyez-le donc ; oubliez le mal qu’on a pu vous faire, et ne pensez qu’à une chose : le bien que vous pouvez rendre. Celui qui est entré dans cette voie ne s’en doit point écarter même par la pensée, car vous êtes responsables de vos pensées que Dieu connaît. Faites donc qu’elles soient dépouillées de tout sentiment de rancune ; Dieu sait ce qui demeure au fond du cœur de chacun. Heureux donc celui qui peut chaque soir s’endormir en disant : Je n’ai rien contre mon prochain. (SIMÉON. Bordeaux, 1862.)
15. Pardonner à ses ennemis, c’est demander pardon pour soi-même ; pardonner à ses amis, c’est leur donner une preuve d’amitié ; pardonner les offenses, c’est montrer qu’on devient meilleur. Pardonnez donc, mes amis, afin que Dieu vous pardonne, car si vous êtes durs, exigeants, inflexibles, si vous tenez rigueur même pour une légère offense, comment voulez-vous que Dieu oublie que chaque jour vous avez le plus grand besoin d’indulgence ? Oh ! malheur à celui qui dit : « Je ne pardonnerai jamais », car il prononce sa propre condamnation. Qui sait, d’ailleurs, si, en descendant en vous-même, vous n’avez pas été l’agresseur ? Qui sait si, dans cette lutte qui commence par un coup d’épingle et finit par une rupture, vous n’avez pas commencé à porter le premier coup ? si une parole blessante ne vous est pas échappée ? si vous avez usé de toute la modération nécessaire ? Sans doute votre adversaire a tort de se montrer trop susceptible, mais c’est une raison pour vous d’être indulgent et de ne pas mériter le reproche que vous lui adressez. Admettons que vous ayez été réellement l’offensé dans une circonstance, qui dit que vous n’avez pas envenimé la chose par des représailles, et que vous n’avez pas fait dégénérer en querelle sérieuse ce qui aurait pu facilement tomber dans l’oubli ? S’il dépendait de vous d’en empêcher les suites, et si vous ne l’avez pas fait, vous êtes coupable. Admettons enfin que vous n’ayez absolument aucun reproche à vous faire, vous n’en aurez que plus de mérite à vous montrer clément.
Mais il y a deux manières bien différentes de pardonner : il y a le pardon des lèvres et le pardon du cœur. Bien des gens disent de leur adversaire : « Je lui pardonne », tandis qu’intérieurement ils éprouvent un secret plaisir du mal qui lui arrive, disant en eux-mêmes qu’il n’a que ce qu’il mérite. Combien disent : « Je pardonne » et qui ajoutent : « mais je ne me réconcilierai jamais ; je ne le reverrai de ma vie ». Est-ce là le pardon selon l’Évangile ? Non ; le véritable pardon, le pardon chrétien, est celui qui jette un voile sur le passé ; c’est le seul dont il vous sera tenu compte, car Dieu ne se contente pas de l’apparence : il sonde le fond des cœurs et les plus secrètes pensées ; on ne lui en impose pas par des paroles et de vains simulacres. L’oubli complet et absolu des offenses est le propre des grandes âmes ; la rancune est toujours un signe d’abaissement et d’infériorité. N’oubliez pas que le vrai pardon se reconnaît aux actes bien plus qu’aux paroles. (PAUL apôtre. Lyon, 1861.)
L’indulgence.
16. Spirites, nous voulons vous parler aujourd’hui de l’indulgence, ce sentiment si doux, si fraternel que tout homme doit avoir pour ses frères, mais dont bien peu font usage.
L’indulgence ne voit point les défauts d’autrui, ou si elle les voit, elle se garde d’en parler, de les colporter ; elle les cache au contraire, afin qu’ils ne soient connus que d’elle seule, et si la malveillance les découvre, elle a toujours une excuse prête pour les pallier, c’est-à-dire une excuse plausible, sérieuse, et rien de celles qui, ayant l’air d’atténuer la faute, la font ressortir avec une perfide adresse.
L’indulgence ne s’occupe jamais des actes mauvais d’autrui, à moins que ce ne soit pour rendre un service, encore a-t-elle soin de les atténuer autant que possible. Elle ne fait point d’observation choquante, n’a point de reproches aux lèvres, mais seulement des conseils, le plus souvent voilés. Quand vous jetez la critique, quelle conséquence doit-on tirer de vos paroles ? C’est que vous, qui blâmez, n’auriez pas fait ce que vous reprochez, c’est que vous valez mieux que le coupable. Ô hommes ! quand donc jugerez-vous vos propres cœurs, vos propres pensées, vos propres actes, sans vous occuper de ce que font vos frères ? Quand n’ouvrirez-vous vos yeux sévères que sur vous-mêmes ?
Soyez donc sévères envers vous, indulgents envers les autres. Songez à celui qui juge en dernier ressort, qui voit les secrètes pensées de chaque cœur, et qui, par conséquent, excuse souvent les fautes que vous blâmez, ou condamne ce que vous excusez, parce qu’il connaît le mobile de tous les actes, et que vous, qui criez si haut : anathème ! auriez peut-être commis des fautes plus graves.
Soyez indulgents, mes amis, car l’indulgence attire, calme, redresse, tandis que la rigueur décourage, éloigne et irrite. (JOSEPH, Esp. protect. Bordeaux, 1863.)
17. Soyez indulgents pour les fautes d’autrui, quelles qu’elles soient ; ne jugez avec sévérité que vos propres actions, et le Seigneur usera d’indulgence envers vous, comme vous en aurez usé envers les autres.
Soutenez les forts : encouragez-les à la persévérance ; fortifiez les faibles en leur montrant la bonté de Dieu qui compte le moindre repentir ; montrez à tous l’ange de la repentance étendant son aile blanche sur les fautes des humains, et les voilant ainsi aux yeux de celui qui ne peut voir ce qui est impur. Comprenez tous la miséricorde infinie de votre Père, et n’oubliez jamais de lui dire par votre pensée et surtout par vos actes : « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Comprenez bien la valeur de ces sublimes paroles ; la lettre n’en est pas seule admirable, mais aussi l’enseignement qu’elle renferme.
Que demandez-vous au Seigneur en lui demandant votre pardon ? Est-ce seulement l’oubli de vos offenses ? oubli qui vous laisse dans le néant, car si Dieu se contente d’oublier vos fautes, il ne punit pas, mais non plus il ne récompense pas. La récompense ne peut être le prix du bien que l’on n’a pas fait, et encore moins du mal que l’on a fait, ce mal fût-il oublié. En lui demandant pardon de vos transgressions, vous lui demandez la faveur de ses grâces pour n’y plus retomber ; la force nécessaire pour entrer dans une voie nouvelle, voie de soumission et d’amour dans laquelle vous pourrez ajouter la réparation au repentir.
Quand vous pardonnez à vos frères, ne vous contentez pas d’étendre le voile de l’oubli sur leurs fautes ; ce voile est souvent bien transparent à vos yeux ; apportez-leur l’amour en même temps que le pardon ; faites pour eux ce que vous demanderez à votre Père céleste de faire pour vous. Remplacez la colère qui souille par l’amour qui purifie. Prêchez d’exemple cette charité active, infatigable, que Jésus vous a enseignée ; prêchez-la comme il le fit lui-même tout le temps qu’il vécut sur la terre visible aux yeux du corps, et comme il la prêche encore sans cesse depuis qu’il n’est plus visible qu’aux yeux de l’esprit. Suivez ce divin modèle ; marchez sur ses traces : elles vous conduiront au lieu de refuge où vous trouverez le repos après la lutte. Comme lui, chargez-vous tous de votre croix, et gravissez péniblement, mais courageusement votre calvaire : au sommet est la glorification. (JEAN, év. de Bordeaux, 1862.)
18. Chers amis, soyez sévères pour vous-mêmes, indulgents pour les faiblesses des autres ; c’est encore une pratique de la sainte charité que bien peu de personnes observent. Tous vous avez de mauvais penchants à vaincre, des défauts à corriger, des habitudes à modifier ; tous vous avez un fardeau plus ou moins lourd à déposer pour gravir le sommet de la montagne du progrès. Pourquoi donc être si clairvoyants pour le prochain et si aveugles pour vous-mêmes ? Quand donc cesserez-vous d’apercevoir dans l’œil de votre frère le fétu de paille qui le blesse, sans regarder dans le vôtre la poutre qui vous aveugle et vous fait marcher de chute en chute ? Croyez-en vos frères les Esprits : Tout homme assez orgueilleux pour se croire supérieur en vertu et en mérite à ses frères incarnés est insensé et coupable, et Dieu le châtiera au jour de sa justice. Le véritable caractère de la charité est la modestie et l’humilité, qui consistent à ne voir que superficiellement les défauts d’autrui pour s’attacher à faire valoir ce qu’il y en a lui de bon et de vertueux ; car si le cœur humain est un abîme de corruption, il existe toujours dans quelques-uns de ses replis les plus cachés le germe de quelques bons sentiments, étincelle vivace de l’essence spirituelle.
Spiritisme, doctrine consolante et bénie, heureux ceux qui te connaissent et qui mettent à profit les salutaires enseignements des Esprits du Seigneur ! Pour eux, la voie est éclairée, et tout le long de la route ils peuvent lire ces mots qui leur indiquent le moyen d’arriver au but : charité pratique, charité de cœur, charité pour le prochain comme pour soi-même ; en un mot, charité pour tous et amour de Dieu par-dessus toute chose, parce que l’amour de Dieu résume tous les devoirs, et qu’il est impossible d’aimer réellement Dieu sans pratiquer la charité dont il fait une loi à toutes ses créatures (DUFÊTRE, évêque de Nevers. Bordeaux.)
19. Personne n’étant parfait, s’ensuit-il que personne n’a le droit de reprendre son voisin ?
Assurément non, puisque chacun de vous doit travailler au progrès de tous, et surtout de ceux dont la tutelle vous est confiée ; mais c’est une raison de le faire avec modération, dans un but utile, et non, comme on le fait la plupart du temps, pour le plaisir de dénigrer. Dans ce dernier cas, le blâme est une méchanceté ; dans le premier, c’est un devoir que la charité commande d’accomplir avec tous les ménagements possibles ; et encore le blâme qu’on jette sur autrui, doit-on en même temps se l’adresser à soi-même et se demander si on ne le mérite pas. (SAINT LOUIS. Paris, 1860.)
20. Est-on répréhensible d’observer les imperfections des autres, lorsqu’il n’en peut résulter aucun profit pour eux, et alors qu’on ne les divulgue pas ?
Tout dépend de l’intention ; certainement il n’est pas défendu de voir le mal, quand le mal existe ; il y aurait même de l’inconvénient à ne voir partout que le bien : cette illusion nuirait au progrès. Le tort est de faire tourner cette observation au détriment du prochain, en le décriant sans nécessité dans l’opinion. On serait encore répréhensible de ne le faire que pour s’y complaire soi-même avec un sentiment de malveillance et de joie de trouver les autres en défaut. Il en est tout autrement lorsque, jetant un voile sur le mal pour le public, on se borne à l’observer pour en faire son profit personnel, c’est-à-dire pour s’étudier à éviter ce qu’on blâme dans les autres. Cette observation, d’ailleurs, n’est-elle pas utile au moraliste ? Comment peindrait-il les travers de l’humanité s’il n’étudiait pas les modèles ? (SAINT LOUIS. Paris, 1860.)
21. Est-il des cas où il soit utile de dévoiler le mal en autrui ?
Cette question est très délicate, et c’est ici qu’il faut faire appel à la charité bien comprise. Si les imperfections d’une personne ne nuisent qu’à elle-même, il n’y a jamais utilité à les faire connaître ; mais si elles peuvent porter préjudice à d’autres, il faut préférer l’intérêt du plus grand nombre à l’intérêt d’un seul. Suivant les circonstances, démasquer l’hypocrisie et le mensonge peut être un devoir ; car il vaut mieux qu’un homme tombe que si plusieurs deviennent ses dupes ou ses victimes. En pareil cas, il faut peser la somme des avantages et des inconvénients. (SAINT LOUIS. Paris, 1860.)
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CHAPITRE XI
AIMER SON PROCHAIN COMME SOI-MÊME.
Le plus grand commandement. Faire pour les autres ce que nous voudrions que les autres fissent pour nous. Parabole des créanciers et des débiteurs. – Rendez à César ce qui est à César. – Instructions des Esprits : La loi d’amour. – L’égoïsme. – La foi et la charité – Charité envers les criminels. – Doit-on exposer sa vie pour un malfaiteur ?
Le plus grand commandement.
1. Les Pharisiens, ayant appris qu’il avait fermé la bouche aux Sadducéens, s’assemblèrent ; – et l’un d’eux, qui était docteur de la loi, vint lui faire cette question pour le tenter : – Maître, quel est le plus grand commandement de la loi ? – Jésus leur répondit : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit ; c’est le plus grand et le premier commandement. Et voici le second qui est semblable à celui-là : Vous aimerez votre prochain comme vous-mêmes. – Toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ces deux commandements. (Saint Matthieu, ch. XXII, v. 34 à 40.)
2. Faites aux hommes tout ce que vous voulez qu’ils vous fassent ; car c’est la loi et les prophètes. (Id., ch. VII, v. 12.) Traitez tous les hommes de la même manière que vous voudriez qu’ils vous traitassent. (Saint Luc, ch. VI, v. 31.)
3. Le royaume des cieux est comparé à un roi qui voulut faire rendre compte à ses serviteurs ; – et ayant commencé à le faire, on lui en présenta un qui lui devait dix mille talents. – Mais comme il n’avait pas les moyens de les lui rendre, son maître commanda qu’on le vendît, lui, sa femme et ses enfants, et tout ce qu’il avait, pour satisfaire à cette dette. – Le serviteur, se jetant à ses pieds, le conjurait, en lui disant : Seigneur, ayez un peu de patience, et je vous rendrai le tout. – Alors le maître de ce serviteur, étant touché de compassion, le laissa aller et lui remit sa dette. – Mais ce serviteur ne fut pas plutôt sorti que, trouvant un de ses compagnons qui lui devait cent deniers, il le prit à la gorge et l’étouffait presque en lui disant : Rends-moi ce que tu me dois. – Et son compagnon, se jetant à ses pieds, le conjurait en lui disant : Ayez un peu de patience et je vous rendrai le tout. – Mais il ne voulut pas l’écouter ; et il s’en alla, et le fit mettre en prison, pour l’y tenir jusqu’à ce qu’il lui rendît ce qu’il lui devait.
Les autres serviteurs, ses compagnons, voyant ce qui se passait, en furent extrêmement affligés, et avertirent leur maître de tout ce qui était arrivé. – Alors le maître l’ayant fait venir lui dit : Méchant serviteur, je vous avais remis tout ce que vous me deviez, parce que vous m’en aviez prié ; – ne fallait-il donc pas que vous eussiez aussi pitié de votre compagnon, comme j’avais eu pitié de vous. Et son maître, étant ému de colère, le livra entre les mains des bourreaux jusqu’à ce qu’il payât tout ce qu’il devait.
C’est ainsi que mon Père qui est dans le ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne du fond de son cœur à son frère les fautes qu’il aura commises contre lui. (Saint Matthieu. ch. XVIII, v. de 23 à 35.)
4. « Aimer son prochain comme soi-même ; faire pour les autres ce que nous voudrions que les autres fissent pour nous » est l’expression la plus complète de la charité, car elle résume tous les devoirs envers le prochain. On ne peut avoir de guide plus sûr à cet égard qu’en prenant pour mesure de ce que l’on doit faire aux autres ce que l’on désire pour soi. De quel droit exigerait-on de ses semblables plus de bons procédés, d’indulgence, de bienveillance et de dévouement que l’on n’en a soi-même pour eux ? La pratique de ces maximes tend à la destruction de l’égoïsme ; quand les hommes les prendront pour règle de leur conduite et pour base de leurs institutions, ils comprendront la véritable fraternité, et feront régner entre eux la paix et la justice ; il n’y aura plus ni haines ni dissensions, mais union, concorde et bienveillance mutuelle.
Rendez à César ce qui est à César.
5. Alors les Pharisiens, s’étant retirés, firent dessein entre eux de le surprendre dans ses paroles. – Ils lui envoyèrent donc leurs disciples avec les Hérodiens, lui dire : Maître, nous savons que vous êtes véritable, et que vous enseignez la voie du Dieu dans la vérité, sans avoir égard à qui que ce soit, parce que vous ne considérez point la personne dans les hommes ; – dites-nous donc votre avis sur ceci : Nous est-il libre de payer le tribut à César, ou de ne pas le payer ?
Mais Jésus, connaissant leur malice, leur dit : Hypocrites, pourquoi me tentez-vous ? Montrez-moi la pièce d’argent qu’on donne pour le tribut. Et eux lui ayant présenté un denier, Jésus leur dit : De qui est cette image et cette inscription ? – De César, lui dirent-ils. Alors Jésus leur répondit : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.
L’ayant entendu parler de la sorte, ils admirèrent sa réponse, et le laissant, ils se retirèrent. (Saint Matth., ch. XXII, v. de 15 à 22 ; Saint Marc, ch. XII, v. de 13 à 17.)
6. La question posée à Jésus était motivée par cette circonstance que les Juifs, ayant en horreur le tribut qui leur était imposé par les Romains, en avaient fait une question religieuse ; un parti nombreux s’était formé pour refuser l’impôt ; le payement du tribut était donc pour eux une question irritante d’actualité, sans cela la demande faite à Jésus : « Nous est-il libre de payer ou de ne pas payer le tribut à César ? » n’aurait eu aucun sens. Cette question était un piège ; car, suivant sa réponse, ils espéraient exciter contre lui soit l’autorité romaine, soit les Juifs dissidents. Mais Jésus, connaissant leur malice, élude la difficulté en leur donnant une leçon de justice, et en disant de rendre à chacun ce qui lui est dû. (Voir l’introduction, article : Publicains.)
7. Cette maxime : « Rendez à César ce qui est à César », ne doit point s’entendre d’une manière restrictive et absolue. Comme tous les enseignements de Jésus, c’est un principe général résumé sous une forme pratique et usuelle, et déduit d’une circonstance particulière. Ce principe est une conséquence de celui qui dit d’agir envers les autres comme nous voudrions que les autres agissent envers nous ; il condamne tout préjudice matériel et moral porté à autrui, toute violation de ses intérêts ; il prescrit le respect des droits de chacun, comme chacun désire qu’on respecte les siens ; il s’étend à l’accomplissement des devoirs contractés envers la famille, la société, l’autorité, aussi bien qu’envers les individus.
INSTRUCTIONS DES ESPRITS.
La loi d’amour.
8. L’amour résume la doctrine de Jésus tout entière, car c’est le sentiment par excellence, et les sentiments sont les instincts élevés à la hauteur du progrès accompli. À son point de départ, l’homme n’a que des instincts ; plus avancé et corrompu, il n’a que des sensations ; mais instruit et purifié, il a des sentiments ; et le point exquis du sentiment, c’est l’amour, non l’amour dans le sens vulgaire du mot, mais ce soleil intérieur qui condense et réunit dans son ardent foyer toutes les aspirations et toutes les révélations surhumaines. La loi d’amour remplace la personnalité par la fusion des êtres ; elle anéantit les misères sociales. Heureux celui qui, dépassant son humanité, aime d’un large amour ses frères en douleurs ! Heureux celui qui aime, car il ne connaît ni la détresse de l’âme, ni celle du corps ; ses pieds sont légers, et il vit comme transporté hors de lui-même. Lorsque Jésus eut prononcé ce mot divin d’amour, ce mot fit tressaillir les peuples, et les martyrs, ivres d’espérance, descendirent dans le cirque.
Le spiritisme, à son tour, vient prononcer un second mot de l’alphabet divin ; soyez attentifs, car ce mot soulève la pierre des tombeaux vides, et la réincarnation, triomphant de la mort, révèle à l’homme ébloui son patrimoine intellectuel ; ce n’est plus aux supplices qu’elle le conduit, mais à la conquête de son être, élevé et transfiguré. Le sang a racheté l’Esprit, et l’Esprit doit aujourd’hui racheter l’homme de la matière.
J’ai dit qu’à son début l’homme n’a que des instincts ; celui donc en qui les instincts dominent est plus près du point de départ que du but. Pour avancer vers le but, il faut vaincre les instincts au profit des sentiments, c’est-à-dire perfectionner ceux-ci en étouffant les germes latents de la matière. Les instincts sont la germination et les embryons du sentiment ; ils portent avec eux le progrès, comme le gland recèle le chêne, et les êtres les moins avancés sont ceux qui, ne dépouillant que peu à peu leur chrysalide, demeurent asservis à leurs instincts. L’Esprit doit être cultivé comme un champ ; toute la richesse future dépend du labour présent et, plus que des biens terrestres, il vous apportera la glorieuse élévation ; c’est alors que, comprenant la loi d’amour qui unit tous les êtres, vous y chercherez les suaves jouissances de l’âme qui sont le prélude des joies célestes. (LAZARE, Paris, 1862)
9. L’amour est d’essence divine, et depuis le premier jusqu’au dernier, vous possédez au fond du cœur l’étincelle de ce feu sacré. C’est un fait que vous avez pu constater bien des fois : l’homme le plus abject, le plus vil, le plus criminel, a pour un être ou pour un objet quelconque une affection vive et ardente, à l’épreuve de tout ce qui tendrait à la diminuer, et atteignant souvent des proportions sublimes.
J’ai dit pour un être ou un objet quelconque, parce qu’il existe parmi vous des individus qui dépensent des trésors d’amour dont leur cœur surabonde, sur des animaux, sur des plantes, et même sur des objets matériels : espèces de misanthropes se plaignant de l’humanité en général, se raidissant contre la pente naturelle de leur âme qui cherche autour d’elle l’affection et la sympathie ; ils rabaissent la loi d’amour à l’état d’instinct. Mais, quoi qu’ils fassent, ils ne sauraient étouffer le germe vivace que Dieu a déposé dans leur cœur à leur création ; ce germe se développe et grandit avec la moralité et l’intelligence, et, quoique souvent comprimé par l’égoïsme, il est la source des saintes et douces vertus qui font les affections sincères et durables, et vous aident à franchir la route escarpée et aride de l’existence humaine.
Il est quelques personnes à qui l’épreuve de la réincarnation répugne, en ce sens que d’autres participent aux sympathies affectueuses dont ils sont jaloux. Pauvres frères ! c’est votre affection qui vous rend égoïstes ; votre amour est restreint à un cercle intime de parents ou d’amis, et tous les autres vous sont indifférents. Eh bien ! pour pratiquer la loi d’amour telle que Dieu l’entend, il faut que vous arriviez par degrés à aimer tous vos frères indistinctement. La tâche sera longue et difficile, mais elle s’accomplira : Dieu le veut, et la loi d’amour est le premier et le plus important précepte de votre nouvelle doctrine, parce que c’est celle-là qui doit un jour tuer l’égoïsme sous quelque forme qu’il se présente ; car, outre l’égoïsme personnel, il y a encore l’égoïsme de famille, de caste, de nationalité. Jésus a dit : « Aimez votre prochain comme vous-mêmes » ; or, quelle est la limite du prochain ? est-ce la famille, la secte, la nation ? Non, c’est l’humanité tout entière. Dans les mondes supérieurs, c’est l’amour mutuel qui harmonise et dirige les Esprits avancés qui les habitent, et votre planète, destinée à un progrès prochain, par sa transformation sociale, verra pratiquer par ses habitants cette sublime loi, reflet de la Divinité.
Les effets de la loi d’amour sont l’amélioration morale de la race humaine et le bonheur pendant la vie terrestre. Les plus rebelles et les plus vicieux devront se réformer quand ils verront les bienfaits produits par cette pratique : Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qui vous fût fait, mais faites-leur au contraire tout le bien qu’il est en votre pouvoir de leur faire.
Ne croyez pas à la stérilité et à l’endurcissement du cœur humain ; il cède malgré lui à l’amour vrai ; c’est un aimant auquel il ne peut résister, et le contact de cet amour vivifie et féconde les germes de cette vertu qui est dans vos cœurs à l’état latent. La terre, séjour d’épreuve et d’exil, sera alors purifiée par ce feu sacré, et verra pratiquer la charité, l’humilité, la patience, le dévouement, l’abnégation, la résignation, le sacrifice, toutes vertus filles de l’amour. Ne vous lassez donc pas d’entendre les paroles de Jean l’Évangéliste ; vous le savez, quand l’infirmité et la vieillesse suspendirent le cours de ses prédications, il ne répétait que ces douces paroles : « Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres. »
Chers frères aimés, mettez à profit ces leçons ; la pratique en est difficile, mais l’âme en retire un bien immense. Croyez-moi, faites le sublime effort que je vous demande : « Aimez-vous », vous verrez bientôt la terre transformée et devenir l’Élysée où les âmes des justes viendront goûter le repos. (FÉNELON. Bordeaux, 1861.)
10. Mes chers condisciples, les Esprits ici présents vous disent par ma voix : Aimez bien, afin d’être aimés. Cette pensée est si juste, que vous trouverez en elle tout ce qui console et calme les peines de chaque jour ; ou plutôt, en pratiquant cette sage maxime, vous vous élèverez tellement au-dessus de la matière, que vous vous spiritualiserez avant votre dépouillement terrestre. Les études spirites ayant développé chez vous la compréhension de l’avenir, vous avez une certitude : l’avancement vers Dieu, avec toutes les promesses qui répondent aux aspirations de votre âme ; aussi devez-vous vous élever assez haut pour juger sans les étreintes de la matière, et ne pas condamner votre prochain avant d’avoir reporté votre pensée vers Dieu.
Aimer, dans le sens profond du mot, c’est être loyal, probe, consciencieux, pour faire aux autres ce que l’on voudrait pour soi-même ; c’est chercher autour de soi le sens intime de toutes les douleurs qui accablent vos frères pour y apporter un adoucissement ; c’est regarder la grande famille humaine comme la sienne, car cette famille, vous la retrouverez dans une certaine période, en des mondes plus avancés, et les Esprits qui la composent sont, comme vous, enfants de Dieu, marqués au front pour s’élever vers l’infini. C’est pour cela que vous ne pouvez refuser à vos frères ce que Dieu vous a libéralement donné, parce que, de votre côté, vous seriez bien aises que vos frères vous donnassent ce dont vous auriez besoin. À toutes les souffrances donnez donc une parole d’espérance et d’appui, afin que vous soyez tout amour, toute justice.
Croyez que cette sage parole : « Aimez bien pour être aimés 13 », fera son chemin ; elle est révolutionnaire, et suit la route qui est fixe, invariable. Mais vous avez déjà gagné, vous qui m’écoutez ; vous êtes infiniment meilleurs qu’il y a cent ans ; vous avez tellement changé à votre avantage que vous acceptez sans conteste une foule d’idées nouvelles sur la liberté et la fraternité que vous eussiez rejetées jadis ; or, dans cent ans d’ici, vous accepterez avec la même facilité celles qui n’ont pu encore entrer dans votre cerveau.
Aujourd’hui que le mouvement spirite a fait un grand pas, voyez avec quelle rapidité les idées de justice et de rénovation renfermées dans les dictées des Esprits sont acceptées par la moyenne partie du monde intelligent ; c’est que ces idées répondent à tout ce qu’il y a de divin en vous ; c’est que vous êtes préparés par une semence féconde : celle du siècle dernier, qui a implanté dans la société les grandes idées de progrès ; et comme tout s’enchaîne sous le doigt du Très-Haut, toutes les leçons reçues et acceptées seront renfermées dans cet échange universel de l’amour du prochain ; par lui, les Esprits incarnés jugeant mieux, sentant mieux, se tendront la main des confins de votre planète ; on se réunira pour s’entendre et s’aimer, pour détruire toutes les injustices, toutes les causes de mésintelligence entre les peuples.
Grande pensée de rénovation par le spiritisme, si bien décrite dans le Livre des Esprits, tu produiras le grand miracle du siècle à venir, celui de la réunion de tous les intérêts matériels et spirituels des hommes, par l’application de cette maxime bien comprise : Aimez bien, afin d’être aimé. (SANSON, ancien membre de la Société spirite de Paris, 1863.)
L’égoïsme.
11. L’égoïsme, cette plaie de l’humanité, doit disparaître de la terre, dont il arrête le progrès moral ; c’est au spiritisme qu’est réservée la tâche de la faire monter dans la hiérarchie des mondes. L’égoïsme est donc le but vers lequel tous les vrais croyants doivent diriger leurs armes, leurs forces, leur courage ; je dis leur courage, car il en faut plus pour se vaincre soi-même que pour vaincre les autres. Que chacun mette donc tous ses soins à le combattre en soi, car ce monstre dévorant de toutes les intelligences, cet enfant de l’orgueil est la source de toutes les misères d’ici-bas. Il est la négation de la charité, et par conséquent le plus grand obstacle au bonheur des hommes.
Jésus vous a donné l’exemple de la charité, et Ponce-Pilate de l’égoïsme ; car lorsque le Juste va parcourir les saintes stations de son martyre, Pilate se lave les mains en disant : Que m’importe ! Il dit aux Juifs : Cet homme est juste, pourquoi voulez-vous le crucifier ? et cependant il le laisse conduire au supplice.
C’est à cet antagonisme de la charité et de l’égoïsme, c’est à l’envahissement de cette lèpre du cœur humain que le christianisme doit de n’avoir pas encore accompli toute sa mission. C’est à vous, apôtres nouveaux de la foi et que les Esprits supérieurs éclairent, qu’incombent la tâche et le devoir d’extirper ce mal pour donner au christianisme toute sa force et déblayer la route des ronces qui entravent sa marche. Chassez l’égoïsme de la terre pour qu’elle puisse graviter dans l’échelle des mondes, car il est temps que l’humanité revête sa robe virile, et pour cela il faut d’abord le chasser de votre cœur. (EMMANUEL. Paris, 1861.)
12. Si les hommes s’aimaient d’un commun amour, la charité serait mieux pratiquée ; mais il faudrait pour cela que vous vous efforçassiez de vous débarrasser de cette cuirasse qui couvre vos cœurs, afin d’être plus sensibles envers ceux qui souffrent. La rigidité tue les bons sentiments ; le Christ ne se rebutait pas ; celui qui s’adressait à lui, quel qu’il fût, n’était pas repoussé : la femme adultère, le criminel étaient secourus par lui ; il ne craignait jamais que sa propre considération eût à en souffrir. Quand donc le prendrez-vous pour modèle de toutes vos actions ? Si la charité régnait sur la terre, le méchant n’aurait plus d’empire ; il fuirait honteux ; il se cacherait, car il se trouverait déplacé partout. C’est alors que le mal disparaîtrait ; soyez bien pénétrés de ceci.
Commencez par donner l’exemple vous-mêmes ; soyez charitables envers tous indistinctement ; efforcez-vous de ne plus remarquer ceux qui vous regardent avec dédain, et laissez à Dieu le soin de toute justice, car chaque jour, dans son royaume, il sépare le bon grain de l’ivraie.
L’égoïsme est la négation de la charité ; or, sans la charité point de repos dans la société ; je dis plus, point de sécurité ; avec l’égoïsme et l’orgueil, qui se donnent la main, ce sera toujours une course au plus adroit, une lutte d’intérêts où sont foulées aux pieds les plus saintes affections, où les liens sacrés de la famille ne sont pas même respectés. (PASCAL. Sens, 1862.)
La foi et la charité.
13. Je vous ai dit dernièrement, mes chers enfants, que la charité sans la foi ne suffisait point pour maintenir parmi les hommes un ordre social capable de les rendre heureux. J’aurais dû dire que la charité est impossible sans la foi. Vous pourrez bien trouver, à la vérité, des élans généreux même chez la personne privée de religion, mais cette charité austère qui ne s’exerce que par l’abnégation, par le sacrifice constant de tout intérêt égoïste, il n’y a que la foi qui puisse l’inspirer, car il n’y a qu’elle qui nous fasse porter avec courage et persévérance la croix de cette vie.
Oui, mes enfants, c’est en vain que l’homme avide de jouissances voudrait se faire illusion sur sa destinée ici-bas, en soutenant qu’il lui est permis de ne s’occuper que de son bonheur. Certes, Dieu nous créa pour être heureux dans l’éternité ; cependant la vie terrestre doit uniquement servir à notre perfectionnement moral, lequel s’acquiert plus facilement avec l’aide des organes et du monde matériel. Sans compter les vicissitudes ordinaires de la vie, la diversité de vos goûts, de vos penchants, de vos besoins est aussi un moyen de vous perfectionner en vous exerçant dans la charité. Car, ce n’est qu’à force de concessions et de sacrifices mutuels que vous pouvez maintenir l’harmonie entre des éléments aussi divers.
Vous aurez cependant raison en affirmant que le bonheur est destiné à l’homme ici-bas, si vous le cherchez, non dans les jouissances matérielles, mais dans le bien. L’histoire de la chrétienté parle de martyrs qui allaient au supplice avec joie ; aujourd’hui, et dans votre société, il ne faut, pour être chrétien, ni l’holocauste du martyre, ni le sacrifice de la vie, mais uniquement et simplement le sacrifice de votre égoïsme, de votre orgueil et de votre vanité. Vous triompherez, si la charité vous inspire et si la foi vous soutient. (ESPRIT PROTECTEUR. Cracovie, 1861.)
Charité envers les criminels.
14. La vraie charité est un des plus sublimes enseignements que Dieu ait donnés au monde. Il doit exister entre les véritables disciples de sa doctrine une fraternité complète. Vous devez aimer les malheureux, les criminels, comme des créatures de Dieu, auxquelles le pardon et la miséricorde seront accordés s’ils se repentent, comme à vous-mêmes, pour les fautes que vous commettez contre sa loi. Songez que vous êtes plus répréhensibles, plus coupables que ceux auxquels vous refusez le pardon et la commisération, car souvent ils ne connaissent pas Dieu comme vous le connaissez, et il leur sera moins demandé qu’à vous.
Ne jugez point, oh ! ne jugez point, mes chers amis, car le jugement que vous portez vous sera appliqué plus sévèrement encore, et vous avez besoin d’indulgence pour les péchés que vous commettez sans cesse. Ne savez-vous pas qu’il y a bien des actions qui sont des crimes aux yeux du Dieu de pureté, et que le monde ne considère pas même comme des fautes légères ?
La vraie charité ne consiste pas seulement dans l’aumône que vous donnez, ni même dans les paroles de consolation dont vous pouvez l’accompagner ; non, ce n’est pas seulement ce que Dieu exige de vous. La charité sublime enseignée par Jésus consiste aussi dans la bienveillance accordée toujours et en toutes choses à votre prochain. Vous pouvez encore exercer cette sublime vertu sur bien des êtres qui n’ont que faire d’aumônes, et que des paroles d’amour, de consolation, d’encouragement amèneront au Seigneur.
Les temps sont proches, je le dis encore, où la grande fraternité régnera sur ce globe ; la loi du Christ est celle qui régira les hommes : celle-là seule sera le frein et l’espérance, et conduira les âmes aux séjours bienheureux. Aimez-vous donc comme les enfants d’un même père ; ne faites point de différence entre les autres malheureux, car c’est Dieu qui veut que tous soient égaux ; ne méprisez donc personne ; Dieu permet que de grands criminels soient parmi vous, afin qu’ils vous servent d’enseignement. Bientôt, quand les hommes seront amenés aux vraies lois de Dieu, il n’y aura plus besoin de ces enseignements-là, et tous les Esprits impurs et révoltés seront dispersés dans des mondes inférieurs en harmonie avec leurs penchants.
Vous devez à ceux dont je parle le secours de vos prières : c’est la vraie charité. Il ne faut point dire d’un criminel : « C’est un misérable ; il faut en purger la terre ; la mort qu’on lui inflige est trop douce pour un être de cette espèce. » Non, ce n’est point ainsi que vous devez parler. Regardez votre modèle, Jésus ; que dirait-il, s’il voyait ce malheureux près de lui ? Il le plaindrait ; il le considérerait comme un malade bien misérable ; il lui tendrait la main. Vous ne pouvez le faire en réalité, mais au moins vous pouvez prier pour lui, assister son Esprit pendant les quelques instants qu’il doit encore passer sur votre terre. Le repentir peut toucher son cœur, si vous priez avec la foi. Il est votre prochain comme le meilleur d’entre les hommes ; son âme égarée et révoltée est créée, comme la vôtre, pour se perfectionner ; aidez-le donc à sortir du bourbier et priez pour lui. (ÉLISABETH DE FRANCE. Le Havre, 1862.)
15. Un homme est en danger de mort ; pour le sauver, il faut exposer sa vie ; mais on sait que cet homme est un malfaiteur, et que, s’il en réchappe, il pourra commettre de nouveaux crimes. Doit-on, malgré cela, s’exposer pour le sauver ?
Ceci est une question fort grave et qui peut se présenter naturellement à l’esprit. Je répondrai selon mon avancement moral, puisque nous en sommes sur ce point de savoir si l’on doit exposer sa vie même pour un malfaiteur. Le dévouement est aveugle : on secourt un ennemi, on doit donc secourir l’ennemi de la société, un malfaiteur en un mot. Croyez-vous que ce soit seulement à la mort que l’on court arracher ce malheureux ? C’est peut-être à sa vie passée tout entière. Car, songez-y, dans ces rapides instants qui lui ravissent les dernières minutes de la vie, l’homme perdu revient sur sa vie passée, ou plutôt elle se dresse devant lui. La mort, peut-être, arrive trop tôt pour lui ; la réincarnation pourra être terrible ; élancez-vous donc, hommes ! vous que la science spirite a éclairés ; élancez-vous, arrachez-le à sa damnation, et alors, peut-être, cet homme qui serait mort en vous blasphémant se jettera dans vos bras. Toutefois, il ne faut pas vous demander s’il le fera ou s’il ne le fera point, mais aller à son secours, car, en le sauvant, vous obéissez à cette voix du cœur qui vous dit : « Tu peux le sauver, sauve-le ! » (LAMENNAIS. Paris, 1862.)
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CHAPITRE XII
AIMEZ VOS ENNEMIS.
Rendre le bien pour le mal. – Les ennemis désincarnés. – Si quelqu’un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l’autre. – Instructions des Esprits : La vengeance. – La haine. – Le duel.
Rendre le bien pour le mal.
1. Vous avez appris qu’il a été dit : Vous aimerez votre prochain et vous haïrez vos ennemis. Et moi je vous dis : Aimez vos ennemis ; faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient ; afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et fait pleuvoir sur les justes et les injustes ; – car si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous ? Les publicains ne le font-ils pas aussi ? – Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous en cela de plus que les autres ? Les païens ne le font-ils pas aussi ? – Je vous dis que si votre justice n’est pas plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. (Saint Matthieu, ch. V, v. 20 et de 43 à 47.)
2. Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on, puisque les gens de mauvaise vie aiment aussi ceux qui les aiment ? – Et si vous ne faites du bien qu’à ceux qui vous en font, quel gré vous en saura-t-on, puisque les gens de mauvaise vie font la même chose ? – Et si vous ne prêtez qu’à ceux de qui vous espérez recevoir la même grâce, quel gré vous en saura-t-on, puisque les gens de mauvaise vie s’entre-prêtent de la sorte, pour recevoir le même avantage ? – Mais pour vous, aimez vos ennemis, faites du bien à tous, et prêtez sans en rien espérer, et alors votre récompense sera très grande, et vous serez les enfants du Très-Haut, parce qu’il est bon aux ingrats, et même aux méchants. – Soyez donc pleins de miséricorde, comme votre Dieu est plein de miséricorde. (Saint Luc, ch. VI, v. de 32 à 36.)
3. Si l’amour du prochain est le principe de la charité, aimer ses ennemis en est l’application sublime, car cette vertu est une des plus grandes victoires remportées sur l’égoïsme et l’orgueil.
Cependant on se méprend généralement sur le sens du mot aimer en cette circonstance ; Jésus n’a point entendu, par ces paroles, que l’on doit avoir pour son ennemi la tendresse qu’on a pour un frère ou un ami ; la tendresse suppose la confiance ; or, on ne peut avoir confiance en celui qu’on sait nous vouloir du mal ; on ne peut avoir avec lui les épanchements de l’amitié, parce qu’on le sait capable d’en abuser ; entre gens qui se méfient les uns des autres, il ne saurait y avoir les élans de sympathie qui existent entre ceux qui sont en communion de pensées ; on ne peut enfin avoir le même plaisir à se trouver avec un ennemi qu’avec un ami.
Ce sentiment même résulte d’une loi physique : celle de l’assimilation et de la répulsion des fluides ; la pensée malveillante dirige un courant fluidique dont l’impression est pénible ; la pensée bienveillante vous enveloppe d’un effluve agréable ; de là la différence des sensations que l’on éprouve à l’approche d’un ami ou d’un ennemi. Aimer ses ennemis ne peut donc signifier qu’on ne doit faire aucune différence entre eux et les amis ; ce précepte ne semble difficile, impossible même à pratiquer, que parce qu’on croit faussement qu’il prescrit de leur donner la même place dans le cœur. Si la pauvreté des langues humaines oblige à se servir du même mot pour exprimer diverses nuances de sentiments, la raison doit en faire la différence selon les cas.
Aimer ses ennemis, ce n’est donc point avoir pour eux une affection qui n’est pas dans la nature, car le contact d’un ennemi fait battre le cœur d’une tout autre manière que celui d’un ami ; c’est n’avoir contre eux ni haine, ni rancune, ni désir de vengeance ; c’est leur pardonner sans arrière-pensée et sans condition le mal qu’ils nous font ; c’est n’apporter aucun obstacle à la réconciliation ; c’est leur souhaiter du bien au lieu de leur souhaiter du mal ; c’est se réjouir au lieu de s’affliger du bien qui leur arrive ; c’est leur tendre une main secourable en cas de besoin ; c’est s’abstenir en paroles et en actions de tout ce qui peut leur nuire ; c’est enfin leur rendre en tout le bien pour le mal, sans intention de les humilier. Quiconque fait cela remplit les conditions du commandement : Aimez vos ennemis.
4. Aimer ses ennemis est un non-sens pour l’incrédule ; celui pour qui la vie présente est tout ne voit dans son ennemi qu’un être nuisible troublant son repos, et dont il croit que la mort seule peut le débarrasser ; de là le désir de la vengeance ; il n’a aucun intérêt à pardonner, si ce n’est pour satisfaire son orgueil aux yeux du monde ; pardonner même, dans certains cas, lui semble une faiblesse indigne de lui ; s’il ne se venge pas, il n’en conserve pas moins de la rancune et un secret désir du mal.
Pour le croyant, mais pour le spirite surtout, la manière de voir est tout autre, parce qu’il porte ses regards sur le passé et sur l’avenir, entre lesquels la vie présente n’est qu’un point ; il sait que, par la destination même de la terre, il doit s’attendre à y trouver des hommes méchants et pervers ; que les méchancetés auxquelles il est en butte font partie des épreuves qu’il doit subir, et le point de vue élevé où il se place lui rend les vicissitudes moins amères, qu’elles viennent des hommes ou des choses ; s’il ne murmure pas contre les épreuves, il ne doit pas murmurer contre ceux qui en sont les instruments ; si, au lieu de se plaindre, il remercie Dieu de l’éprouver, il doit remercier la main qui lui fournit l’occasion de montrer sa patience et sa résignation. Cette pensée le dispose naturellement au pardon ; il sent en outre que plus il est généreux, plus il grandit à ses propres yeux et se trouve hors de l’atteinte des traits malveillants de son ennemi.
L’homme qui occupe un rang élevé dans le monde ne se croit pas offensé par les insultes de celui qu’il regarde comme son inférieur ; ainsi en est-il de celui qui s’élève dans le monde moral au-dessus de l’humanité matérielle ; il comprend que la haine et la rancune l’aviliraient et l’abaisseraient ; or, pour être supérieur à son adversaire, il faut qu’il ait l’âme plus grande, plus noble, plus généreuse.
Les ennemis désincarnés.
5. Le spirite a encore d’autres motifs d’indulgence envers ses ennemis. Il sait d’abord que la méchanceté n’est point l’état permanent des hommes ; qu’elle tient à une imperfection momentanée, et que, de même que l’enfant se corrige de ses défauts, l’homme méchant reconnaîtra un jour ses torts, et deviendra bon.
Il sait encore que la mort ne le délivre que de la présence matérielle de son ennemi, mais que celui-ci peut le poursuivre de sa haine, même après avoir quitté la terre ; qu’ainsi la vengeance manque son but ; qu’elle a au contraire pour effet de produire une irritation plus grande qui peut se continuer d’une existence à l’autre. Il appartenait au spiritisme de prouver, par l’expérience et la loi qui régit les rapports du monde visible et du monde invisible, que l’expression éteindre la haine dans le sang est radicalement fausse, et que ce qui est vrai, c’est que le sang entretient la haine même au-delà de la tombe ; de donner, par conséquent, une raison d’être effective et une utilité pratique au pardon, et à la sublime maxime du Christ : Aimez vos ennemis. Il n’est pas de cœur si pervers qui ne soit touché des bons procédés, même à son insu ; par les bons procédés, on ôte du moins tout prétexte de représailles ; d’un ennemi, on peut se faire un ami avant et après sa mort. Par les mauvais procédés on l’irrite, et c’est alors qu’il sert lui-même d’instrument à la justice de Dieu pour punir celui qui n’a pas pardonné.
6. On peut donc avoir des ennemis parmi les incarnés et parmi les désincarnés ; les ennemis du monde invisible manifestent leur malveillance par les obsessions et les subjugations auxquelles tant de gens sont en butte, et qui sont une variété dans les épreuves de la vie ; ces épreuves, comme les autres, aident à l’avancement et doivent être acceptées avec résignation, et comme conséquence de la nature inférieure du globe terrestre ; s’il n’y avait pas des hommes mauvais sur la terre, il n’y aurait pas d’Esprits mauvais autour de la terre. Si donc on doit avoir de l’indulgence et de la bienveillance pour des ennemis incarnés, on doit en avoir également pour ceux qui sont désincarnés.
Jadis on sacrifiait des victimes sanglantes pour apaiser les dieux infernaux, qui n’étaient autres que les Esprits méchants. Aux dieux infernaux ont succédé les démons, qui sont la même chose. Le spiritisme vient prouver que ces démons ne sont autres que les âmes des hommes pervers qui n’ont point encore dépouillé les instincts matériels ; qu’on ne les apaise que par le sacrifice de sa haine, c’est-à-dire par la charité ; que la charité n’a pas seulement pour effet de les empêcher de faire le mal, mais de les ramener dans la voie du bien, et de contribuer à leur salut. C’est ainsi que la maxime : Aimez vos ennemis, n’est point circonscrite au cercle étroit de la terre et de la vie présente, mais qu’elle rentre dans la grande loi de la solidarité et de la fraternité universelles.
Si quelqu’un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l’autre.
7. Vous avez appris qu’il a été dit : œil pour œil, et dent pour dent. – Et moi je vous dis de ne point résister au mal que l’on veut vous faire ; mais si quelqu’un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l’autre ; – et si quelqu’un veut plaider contre vous pour prendre votre robe, abandonnez-lui encore votre manteau ; – et si quelqu’un veut vous contraindre de faire mille pas avec lui, faites-en encore deux mille. – Donnez à celui qui vous demande, et ne rejetez point celui qui veut emprunter de vous. (Saint Matthieu, ch. V, v. de 38 à 42.)
8. Les préjugés du monde, sur ce que l’on est convenu d’appeler le point d’honneur, donnent cette susceptibilité ombrageuse, née de l’orgueil et de l’exaltation de la personnalité, qui porte l’homme à rendre injure pour injure, blessure pour blessure, ce qui semble la justice pour celui dont le sens moral ne s’élève pas au-dessus des passions terrestres ; c’est pourquoi la loi mosaïque disait : œil pour œil, dent pour dent, loi en harmonie avec le temps où vivait Moïse. Christ est venu qui a dit : « Rendez le bien pour le mal. » Il dit de plus : « Ne résistez point au mal qu’on veut vous faire ; si l’on vous frappe sur une joue, tendez l’autre. » À l’orgueilleux, cette maxime semble une lâcheté, car il ne comprend pas qu’il y ait plus de courage à supporter une insulte qu’à se venger, et cela toujours par cette cause qui fait que sa vue ne se porte pas au-delà du présent. Faut-il, cependant, prendre cette maxime à la lettre ? Non, pas plus que celle qui dit d’arracher son œil, s’il est une occasion de scandale ; poussée dans toutes ses conséquences, ce serait condamner toute répression, même légale, et laisser le champ libre aux méchants en leur ôtant toute crainte ; si l’on n’opposait un frein à leurs agressions, bientôt tous les bons seraient leurs victimes. L’instinct même de conservation, qui est une loi de nature, dit qu’il ne faut pas tendre bénévolement le cou à l’assassin. Par ces paroles Jésus n’a donc point interdit la défense, mais condamné la vengeance. En disant de tendre une joue quand l’autre est frappée, c’est dire, sous une autre forme, qu’il ne faut pas rendre le mal pour le mal ; que l’homme doit accepter avec humilité tout ce qui tend à rabaisser son orgueil ; qu’il est plus glorieux pour lui d’être frappé que de frapper, de supporter patiemment une injustice que d’en commettre une lui-même ; qu’il vaut mieux être trompé que trompeur, être ruiné que de ruiner les autres. C’est en même temps la condamnation du duel, qui n’est autre qu’une manifestation de l’orgueil. La foi en la vie future et en la justice de Dieu, qui ne laisse jamais le mal impuni, peut seule donner la force de supporter patiemment les atteintes portées à nos intérêts et à notre amour-propre ; c’est pourquoi nous disons sans cesse : Portez vos regards en avant ; plus vous vous élèverez par la pensée au-dessus de la vie matérielle, moins vous serez froissés par les choses de la terre.
INSTRUCTIONS DES ESPRITS.
La vengeance.
9. La vengeance est une dernière épave abandonnée par les mœurs barbares qui tendent à s’effacer du milieu des hommes. Elle est, avec le duel, un des derniers vestiges de ces mœurs sauvages sous lesquelles se débattait l’humanité dans le commencement de l’ère chrétienne. C’est pourquoi la vengeance est un indice certain de l’état arriéré des hommes qui s’y livrent et des Esprits qui peuvent encore l’inspirer. Donc, mes amis, ce sentiment ne doit jamais faire vibrer le cœur de quiconque se dit et s’affirme spirite. Se venger est, vous le savez, tellement contraire à cette prescription du Christ : « Pardonnez à vos ennemis ! » que celui qui se refuse à pardonner, non seulement n’est pas spirite, mais il n’est pas même chrétien. La vengeance est une inspiration d’autant plus funeste que la fausseté et la bassesse sont ses compagnes assidues ; en effet, celui qui s’abandonne à cette fatale et aveugle passion ne se venge presque jamais à ciel ouvert. Quand il est le plus fort, il fond comme une bête fauve sur celui qu’il appelle son ennemi, lorsque la vue de celui-ci vient enflammer sa passion, sa colère et sa haine. Mais le plus souvent il revêt une apparence hypocrite, en dissimulant au plus profond de son cœur les mauvais sentiments qui l’animent ; il prend des chemins détournés, il suit dans l’ombre son ennemi sans défiance et attend le moment propice pour le frapper sans danger ; il se cache de lui tout en l’épiant sans cesse ; il lui tend des pièges odieux et sème à l’occasion le poison dans sa coupe. Quand sa haine ne va pas jusqu’à ces extrémités, il l’attaque alors dans son honneur et dans ses affections ; il ne recule pas devant la calomnie, et ses insinuations perfides, habilement semées à tous les vents, vont grossissant en chemin. Aussi, lorsque celui qu’il poursuit se présente dans les milieux où son souffle empoisonné a passé, il est étonné de trouver des visages froids où il rencontrait autrefois des visages amis et bienveillants ; il est stupéfait quand des mains qui recherchaient la sienne se refusent à la serrer maintenant ; enfin il est anéanti quand ses amis les plus chers et ses proches se détournent et s’enfuient de lui. Ah ! le lâche qui se venge ainsi est cent fois plus coupable que celui qui va droit à son ennemi et l’insulte à visage découvert.
Arrière donc ces coutumes sauvages ! Arrière ces mœurs d’un autre temps ! Tout spirite qui prétendrait aujourd’hui avoir encore le droit de se venger serait indigne de figurer plus longtemps dans la phalange qui a pris pour devise : Hors la charité, pas de salut ! Mais non, je ne saurais m’arrêter à une telle idée qu’un membre de la grande famille spirite puisse jamais à l’avenir céder à l’impulsion de la vengeance autrement que pour pardonner. (JULES OLIVIER. Paris, 1862.)
La haine.
10. Aimez-vous les uns les autres, et vous serez heureux. Prenez surtout à tâche d’aimer ceux qui vous inspirent de l’indifférence, de la haine et du mépris. Le Christ, dont vous devez faire votre modèle, vous a donné l’exemple de ce dévouement ; missionnaire d’amour, il a aimé jusqu’à donner son sang et sa vie. Le sacrifice qui vous oblige à aimer ceux qui vous outragent et vous persécutent est pénible ; mais c’est précisément ce qui vous rend supérieurs à eux ; si vous les haïssez comme ils vous haïssent, vous ne valez pas mieux qu’eux ; c’est l’hostie sans tache offerte à Dieu sur l’autel de vos cœurs, hostie d’agréable odeur, dont les parfums montent jusqu’à lui. Quoique la loi d’amour veuille que l’on aime indistinctement tous ses frères, elle ne cuirasse pas le cœur contre les mauvais procédés ; c’est au contraire l’épreuve la plus pénible, je le sais, puisque pendant ma dernière existence terrestre j’ai éprouvé cette torture ; mais Dieu est là, et il punit dans cette vie et dans l’autre ceux qui faillissent à la loi d’amour. N’oubliez pas, mes chers enfants, que l’amour rapproche de Dieu, et que la haine en éloigne. (FÉNELON. Bordeaux, 1861.)
Le duel.
11. Celui-là seul est véritablement grand qui, considérant la vie comme un voyage qui doit le conduire à un but, fait peu de cas des aspérités du chemin ; il ne se laisse jamais un instant détourner de la voie droite ; l’œil sans cesse dirigé vers le terme, il lui importe peu que les ronces et les épines du sentier menacent de lui faire des égratignures ; elles l’effleurent sans l’atteindre, et il n’en poursuit pas moins sa course. Exposer ses jours pour se venger d’une injure, c’est reculer devant les épreuves de la vie ; c’est toujours un crime aux yeux de Dieu, et si vous n’étiez pas abusés comme vous l’êtes par vos préjugés, ce serait une ridicule et suprême folie aux yeux des hommes.
Il y a crime dans l’homicide par le duel ; votre législation même le reconnaît ; nul n’a le droit, dans aucun cas, d’attenter à la vie de son semblable ; crime aux yeux de Dieu qui vous a tracé votre ligne de conduite ; ici, plus que partout ailleurs, vous êtes juges dans votre propre cause. Souvenez-vous qu’il vous sera pardonné selon que vous aurez pardonné vous-mêmes ; par le pardon vous vous rapprochez de la Divinité, car la clémence est sœur de la puissance. Tant qu’une goutte de sang humain coulera sur la terre par la main des hommes, le vrai règne de Dieu ne sera pas encore arrivé, ce règne de pacification et d’amour qui doit à tout jamais bannir de votre globe l’animosité, la discorde, la guerre. Alors le mot duel n’existera plus dans votre langue que comme un lointain et vague souvenir d’un passé qui n’est plus ; les hommes ne connaîtront entre eux d’autre antagonisme que la noble rivalité du bien. (ADOLPHE, évêque d’Alger. Marmande,1861.)
12. Le duel peut, sans doute, dans certains cas, être une preuve de courage physique, du mépris de la vie, mais c’est incontestablement la preuve d’une lâcheté morale, comme dans le suicide. Le suicidé n’a pas le courage d’affronter les vicissitudes de la vie : le duelliste n’a pas celui d’affronter les offenses. Christ ne vous a-t-il point dit qu’il y a plus d’honneur et de courage à tendre la joue gauche à celui qui a frappé la joue droite, qu’à se venger d’une injure ? Christ n’a-t-il point dit à Pierre au jardin des Oliviers : « Remettez votre épée dans son fourreau, car celui qui tuera par l’épée périra par l’épée ? » Par ces paroles, Jésus ne condamne-t-il point à jamais le duel ? En effet, mes enfants, qu’est-ce donc que ce courage né d’un tempérament violent, sanguin et colère, rugissant à la première offense ? Où donc est la grandeur d’âme de celui qui, à la moindre injure, veut la laver dans le sang ? Mais qu’il tremble ! car toujours, au fond de sa conscience, une voix lui criera : Caïn ! Caïn ! qu’as-tu fait de ton frère ? Il m’a fallu du sang pour sauver mon honneur, dira-t-il à cette voix ; mais elle lui répondra : Tu as voulu le sauver devant les hommes pour quelques instants qui te restaient à vivre sur la terre, et tu n’as pas songé à le sauver devant Dieu ! Pauvre fou ! que de sang vous demanderait donc Christ pour tous les outrages qu’il a reçus ! Non seulement vous l’avez blessé avec l’épine et la lance, non seulement vous l’avez attaché à un gibet infamant, mais encore, au milieu de son agonie, il a pu entendre les railleries qui lui étaient prodiguées. Quelle réparation, après tant d’outrages, vous a-t-il demandée ? Le dernier cri de l’agneau fut une prière pour ses bourreaux. Oh ! comme lui, pardonnez et priez pour ceux qui vous offensent.
Amis, rappelez-vous ce précepte : « Aimez-vous les uns les autres », et alors au coup donné par la haine vous répondrez par un sourire, et à l’outrage par le pardon. Le monde sans doute se dressera furieux, et vous traitera de lâche ; levez la tête haute, et montrez alors que votre front ne craindrait pas, lui aussi, de se charger d’épines à l’exemple du Christ, mais que votre main ne veut point être complice d’un meurtre qu’autorise, soi-disant, un faux-semblant d’honneur qui n’est que de l’orgueil et de l’amour-propre. En vous créant, Dieu vous a-t-il donné le droit de vie et de mort les uns sur les autres ? Non, il n’a donné ce droit qu’à la nature seule, pour se réformer et se reconstruire ; mais à vous, il n’a pas même permis de disposer de vous-mêmes. Comme le suicidé, le duelliste sera marqué de sang quand il arrivera à Dieu, et à l’un et à l’autre le Souverain Juge prépare de rudes et longs châtiments. S’il a menacé de sa justice celui qui dit à son frère Racca, combien la peine ne sera-t-elle pas plus sévère pour celui qui paraîtra devant lui les mains rougies du sang de son frère ! (SAINT AUGUSTIN. Paris, 1862.)
13. Le duel est, comme autrefois ce qu’on appelait le jugement de Dieu, une de ces institutions barbares qui régissent encore la société. Que diriez-vous cependant si vous voyiez plonger les deux antagonistes dans l’eau bouillante ou soumis au contact d’un fer brûlant pour vider leur querelle, et donner raison à celui qui subirait le mieux l’épreuve ? Vous traiteriez ces coutumes d’insensées. Le duel est encore pis que tout cela. Pour le duelliste émérite, c’est un assassinat commis de sang-froid avec toute la préméditation voulue ; car il est sûr du coup qu’il portera ; pour l’adversaire presque certain de succomber en raison de sa faiblesse et de son inhabileté, c’est un suicide commis avec la plus froide réflexion. Je sais que souvent on cherche à éviter cette alternative également criminelle en s’en remettant au hasard ; mais alors n’est-ce pas, sous une autre forme, en revenir au jugement de Dieu du moyen âge ? Et encore à cette époque était-on infiniment moins coupable ; le nom même de jugement de Dieu indique une foi, naïve il est vrai, mais enfin une foi en la justice de Dieu qui ne pouvait laisser succomber un innocent, tandis que dans le duel on s’en remet à la force brutale, de telle sorte que c’est souvent l’offensé qui succombe.
Ô amour-propre stupide, sotte vanité et fol orgueil, quand donc serez-vous remplacés par la charité chrétienne, l’amour du prochain et l’humilité dont Christ a donné l’exemple et le précepte ? Alors seulement disparaîtront ces préjugés monstrueux qui gouvernent encore les hommes, et que les lois sont impuissantes à réprimer, parce qu’il ne suffit pas d’interdire le mal et de prescrire le bien, il faut que le principe du bien et l’horreur du mal soient dans le cœur de l’homme. (UN ESPRIT PROTECTEUR. Bordeaux, 1861.)
14. Quelle opinion aura-t-on de moi, dites-vous souvent, si je refuse la réparation qui m’est demandée, ou si je n’en demande pas une à celui qui m’a offensé ? Les fous, comme vous, les hommes arriérés vous blâmeront ; mais ceux qui sont éclairés par le flambeau du progrès intellectuel et moral diront que vous agissez selon la véritable sagesse. Réfléchissez un peu ; pour une parole souvent dite en l’air ou très inoffensive de la part d’un de vos frères, votre orgueil se trouve froissé, vous lui répondez d’une manière piquante, et de là une provocation. Avant d’arriver au moment décisif, vous demandez-vous si vous agissez en chrétien ? quel compte vous devrez à la société si vous la privez d’un de ses membres ? Pensez-vous au remords d’avoir enlevé à une femme son mari, à une mère son enfant, à des enfants leur père et leur soutien ? Certainement celui qui a fait l’offense doit une réparation ; mais n’est-il pas plus honorable pour lui de la donner spontanément en reconnaissant ses torts que d’exposer la vie de celui qui a droit de se plaindre ? Quant à l’offensé, je conviens que quelquefois on peut se trouver gravement atteint, soit dans sa personne, soit par rapport à ceux qui nous tiennent de près ; l’amour-propre n’est plus seulement en jeu, le cœur est blessé, il souffre ; mais outre qu’il est stupide de jouer sa vie contre un misérable capable d’une infamie, est-ce que, celui-ci étant mort, l’affront, quel qu’il soit, n’existe plus ? Le sang répandu ne donne-t-il pas plus de renommée à un fait qui, s’il est faux, doit tomber de lui-même, et qui, s’il est vrai, doit se cacher sous le silence ? Il ne reste donc que la satisfaction de la vengeance assouvie ; hélas ! triste satisfaction qui souvent laisse dès cette vie de cuisants regrets. Et si c’est l’offensé qui succombe, où est la réparation ?
Quand la charité sera la règle de conduite des hommes, ils conformeront leurs actes et leurs paroles à cette maxime : « Ne faites point aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît » ; alors disparaîtront toutes les causes de dissensions, et avec elles celles des duels, et des guerres, qui sont les duels de peuple à peuple. (FRANÇOIS-XAVIER. Bordeaux, 1861.)
15. L’homme du monde, l’homme heureux, qui, pour un mot blessant, une cause légère, joue sa vie qu’il tient de Dieu, joue la vie de son semblable qui n’appartient qu’à Dieu, celui-là est plus coupable cent fois que le misérable qui, poussé par la cupidité, par le besoin quelquefois, s’introduit dans une demeure pour y dérober ce qu’il convoite, et tue ceux qui s’opposent à son dessein. Ce dernier est presque toujours un homme sans éducation, n’ayant que des notions imparfaites du bien et du mal, tandis que le duelliste appartient presque toujours à la classe la plus éclairée ; l’un tue brutalement, l’autre avec méthode et politesse, ce qui fait que la société l’excuse. J’ajoute même que le duelliste est infiniment plus coupable que le malheureux qui, cédant à un sentiment de vengeance, tue dans un moment d’exaspération. Le duelliste n’a point pour excuse l’entraînement de la passion, car entre l’insulte et la réparation il a toujours le temps de réfléchir ; il agit donc froidement et de dessein prémédité ; tout est calculé et étudié pour tuer plus sûrement son adversaire. Il est vrai qu’il expose aussi sa vie, et c’est là ce qui réhabilite le duel aux yeux du monde, parce qu’on y voit un acte de courage et un mépris de sa propre vie ; mais y a-t-il du vrai courage quand on est sûr de soi ? Le duel, reste des temps de barbarie où le droit du plus fort faisait la loi, disparaîtra avec une plus saine appréciation du véritable point d’honneur, et à mesure que l’homme aura une foi plus vive en la vie future. (AUGUSTIN. Bordeaux, 1861.)
16. Remarque. – Les duels deviennent de plus en plus rares, et si l’on en voit encore de temps en temps de douloureux exemples, le nombre n’en est pas comparable à ce qu’il était autrefois. Jadis un homme ne sortait pas de chez lui sans prévoir une rencontre, aussi prenait-il toujours ses précautions en conséquence. Un signe caractéristique des mœurs du temps et des peuples est dans l’usage du port habituel, ostensible ou caché, des armes offensives et défensives ; l’abolition de cet usage témoigne de l’adoucissement des mœurs, et il est curieux d’en suivre la gradation depuis l’époque où les chevaliers ne chevauchaient jamais que bardés de fer et armés de la lance, jusqu’au port d’une simple épée, devenue plutôt une parure et un accessoire du blason qu’une arme agressive. Un autre trait de mœurs, c’est que jadis les combats singuliers avaient lieu en pleine rue, devant la foule qui s’écartait pour laisser le champ libre, et qu’aujourd’hui on se cache ; aujourd’hui la mort d’un homme est un évènement, on s’en émeut ; jadis on n’y faisait pas attention. Le Spiritisme emportera ces derniers vestiges de la barbarie, en inculquant aux hommes l’esprit de charité et de fraternité.
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CHAPITRE XIII
QUE VOTRE MAIN GAUCHE NE SACHE PAS CE QUE DONNE VOTRE MAIN DROITE.
Faire le bien sans ostentation. – Les infortunes cachées. – Denier de la veuve. – Convier les pauvres et les estropiés. Obliger sans espoir de retour. – Instructions des Esprits : La charité matérielle et la charité morale. – La bienfaisance. – La pitié. – Les orphelins. – Bienfaits payés par l’ingratitude. – Bienfaisance exclusive.
Faire le bien sans ostentation.
1. Prenez garde de ne pas faire vos bonnes œuvres devant les hommes pour en être regardés, autrement vous n’en recevrez point la récompense de votre Père qui est dans les cieux. – Lors donc que vous donnerez l’aumône, ne faites point sonner la trompette devant vous, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues pour être honorés des hommes. Je vous dis, en vérité, ils ont reçu leur récompense. – Mais lorsque vous faites l’aumône, que votre main gauche ne sache pas ce que fait votre main droite ; – afin que l’aumône soit dans le secret ; et votre Père, qui voit ce qui se passe dans le secret, vous en rendra la récompense. (Saint Matthieu, ch. VI, v. de 1 à 4.)
2. Jésus étant descendu de la montagne, une grande foule de peuple le suivit ; – et en même temps un lépreux vint à lui et l’adora en lui disant : Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir. – Jésus étendant la main, le toucha et lui dit : Je le veux, soyez guéri ; et à l’instant la lèpre fut guérie. – Alors Jésus lui dit : Gardez-vous bien de parler de ceci à personne ; mais allez vous montrer aux prêtres, et offrez le don prescrit par Moïse, afin que cela leur serve de témoignage. (Saint Matthieu, ch. VIII, v. de 1 à 4.)
3. Faire le bien sans ostentation est un grand mérite ; cacher la main qui donne est encore plus méritoire ; c’est le signe incontestable d’une grande supériorité morale : car pour voir les choses de plus haut que le vulgaire, il faut faire abstraction de la vie présente et s’identifier avec la vie future ; il faut, en un mot, se placer au-dessus de l’humanité pour renoncer à la satisfaction que procure le témoignage des hommes et attendre l’approbation de Dieu. Celui qui prise le suffrage des hommes plus que celui de Dieu, prouve qu’il a plus de foi dans les hommes qu’en Dieu, et que la vie présente est plus pour lui que la vie future, ou même qu’il ne croit pas à la vie future ; s’il dit le contraire, il agit comme s’il ne croyait pas à ce qu’il dit.
Combien y en a-t-il qui n’obligent qu’avec l’espoir que l’obligé ira crier le bienfait sur les toits ; qui, au grand jour, donneront une grosse somme, et dans l’ombre ne donneraient pas une pièce de monnaie ! C’est pourquoi Jésus a dit : « Ceux qui font le bien avec ostentation ont déjà reçu leur récompense » ; en effet, celui qui cherche sa glorification sur la terre par le bien qu’il fait s’est déjà payé lui-même ; Dieu ne lui doit plus rien ; il ne lui reste à recevoir que la punition de son orgueil.
Que la main gauche ne sache pas ce que donne la main droite est une figure qui caractérise admirablement la bienfaisance modeste ; mais s’il y a la modestie réelle, il y a aussi la modestie jouée, le simulacre de la modestie ; il y a des gens qui cachent la main qui donne, en ayant soin d’en laisser passer un bout, regardant si quelqu’un ne la leur voit pas cacher. Indigne parodie des maximes du Christ ! Si les bienfaiteurs orgueilleux sont dépréciés parmi les hommes, que sera-ce donc auprès de Dieu ! Ceux-là aussi ont reçu leur récompense sur la terre. On les a vus ; ils sont satisfaits d’avoir été vus : c’est tout ce qu’ils auront.
Quelle sera donc la récompense de celui qui fait peser ses bienfaits sur l’obligé, qui lui impose en quelque sorte des témoignages de reconnaissance, lui fait sentir sa position en exaltant le prix des sacrifices qu’il s’impose pour lui ? Oh ! pour celui-là, il n’a pas même la récompense terrestre, car il est privé de la douce satisfaction d’entendre bénir son nom, et c’est là un premier châtiment de son orgueil ; les larmes qu’il tarit au profit de sa vanité, au lieu de monter au ciel, sont retombées sur le cœur de l’affligé et l’ont ulcéré. Le bien qu’il fait est sans profit pour lui, puisqu’il le reproche, car tout bienfait reproché est une monnaie altérée et sans valeur.
L’obligeance sans ostentation a un double mérite ; outre la charité matérielle, c’est la charité morale ; elle ménage la susceptibilité de l’obligé ; elle lui fait accepter le bienfait sans que son amour-propre en souffre, et en sauvegardant sa dignité d’homme, car tel acceptera un service qui ne recevrait pas l’aumône ; or, convertir le service en aumône par la manière dont on le rend, c’est humilier celui qui le reçoit, et il y a toujours orgueil et méchanceté à humilier quelqu’un. La vraie charité, au contraire, est délicate et ingénieuse à dissimuler le bienfait, à éviter jusqu’aux moindres apparences blessantes, car tout froissement moral ajoute à la souffrance qui naît du besoin ; elle sait trouver des paroles douces et affables qui mettent l’obligé à son aise en face du bienfaiteur, tandis que la charité orgueilleuse l’écrase. Le sublime de la vraie générosité, c’est lorsque le bienfaiteur, changeant de rôle, trouve le moyen de paraître lui-même l’obligé vis-à-vis de celui à qui il rend service. Voilà ce que veulent dire ces paroles : Que la main gauche ne sache pas ce que donne la main droite.
Les infortunes cachées.
4. Dans les grandes calamités, la charité s’émeut, et l’on voit de généreux élans pour réparer les désastres ; mais, à côté de ces désastres généraux, il y a des milliers de désastres particuliers qui passent inaperçus, des gens qui gisent sur un grabat sans se plaindre. Ce sont ces infortunes discrètes et cachées que la vraie générosité sait aller découvrir sans attendre qu’elles viennent demander assistance.
Quelle est cette femme à l’air distingué, à la mise simple quoique soignée, suivie d’une jeune fille vêtue aussi modestement ? Elle entre dans une maison de sordide apparence où elle est connue sans doute, car à la porte on la salue avec respect. Où va-t-elle ? Elle monte jusqu’à la mansarde : là gît une mère de famille entourée de petits enfants ; à son arrivée la joie brille sur ces visages amaigris ; c’est qu’elle vient calmer toutes ces douleurs ; elle apporte le nécessaire assaisonné de douces et consolantes paroles qui font accepter le bienfait sans rougir, car ces infortunés ne sont point des mendiants de profession ; le père est à l’hôpital, et pendant ce temps la mère ne peut suffire aux besoins. Grâce à elle, ces pauvres enfants n’endureront ni le froid ni la faim ; ils iront à l’école chaudement vêtus, et le sein de la mère ne tarira pas pour les plus petits. S’il en est un de malade parmi eux, aucun soin matériel ne lui répugnera. De là elle se rend à l’hospice pour porter au père quelques douceurs et le tranquilliser sur le sort de sa famille. Au coin de la rue, l’attend une voiture, véritable magasin de tout ce qu’elle porte à ses protégés qu’elle visite ainsi successivement ; elle ne leur demande ni leur croyance, ni leur opinion, car pour elle tous les hommes sont frères et enfants de Dieu. Sa tournée finie, elle se dit : J’ai bien commencé ma journée. Quel est son nom ? Où demeure-t-elle ? Nul ne le sait ; pour les malheureux, c’est un nom qui ne trahit rien ; mais c’est l’ange de consolation ; et, le soir, un concert de bénédictions s’élève pour elle vers le Créateur : catholiques, juifs, protestants, tous la bénissent.
Pourquoi cette mise si simple ? C’est qu’elle ne veut pas insulter à la misère par son luxe. Pourquoi se fait-elle accompagner par sa jeune fille ? C’est pour lui apprendre comment on doit pratiquer la bienfaisance. Sa fille aussi veut faire la charité, mais sa mère lui dit : « Que peux-tu donner, mon enfant, puisque tu n’as rien à toi ? Si je te remets quelque chose pour le passer à d’autres, quel mérite auras-tu ? C’est en réalité moi qui ferais la charité et toi qui en aurais le mérite ; ce n’est pas juste. Quand nous allons visiter les malades, tu m’aides à les soigner ; or, donner des soins, c’est donner quelque chose. Cela ne te semble-t-il pas suffisant ? Rien n’est plus simple ; apprends à faire des ouvrages utiles, et tu confectionneras des vêtements pour ces petits enfants ; de cette façon tu donneras quelque chose venant de toi. » C’est ainsi que cette mère vraiment chrétienne forme sa fille à la pratique des vertus enseignées par le Christ. Est-elle spirite ? Qu’importe !
Dans son intérieur, c’est la femme du monde, parce que sa position l’exige ; mais on ignore ce qu’elle fait, parce qu’elle ne veut d’autre approbation que celle de Dieu et de sa conscience. Pourtant un jour une circonstance imprévue conduit chez elle une de ses protégées qui lui rapportait de l’ouvrage ; celle-ci la reconnut et voulut bénir sa bienfaitrice. « Chut ! lui dit-elle ; ne le dites à personne. » Ainsi parlait Jésus.
Le denier de la veuve.
5. Jésus, étant assis vis-à-vis du tronc, considérait de quelle manière le peuple y jetait de l’argent, et que plusieurs gens riches y en mettaient beaucoup. – Il vint aussi une pauvre veuve qui y mit seulement deux petites pièces de la valeur d’un quart de sou. – Alors Jésus, ayant appelé ses disciples, leur dit : Je vous dis en vérité, cette pauvre veuve a plus donné que tous ceux qui ont mis dans le tronc ; – car tous les autres ont donné de leur abondance, mais celle-ci a donné de son indigence, même tout ce qu’elle avait et tout ce qui lui restait pour vivre. (Saint Marc, ch. XII, v. de 41 à 44. – Saint Luc, ch. XXI, v. de 1 à 4.)
6. Beaucoup de gens regrettent de ne pouvoir faire autant de bien qu’ils le voudraient, faute de ressources suffisantes, et s’ils désirent la fortune, c’est, disent-ils, pour en faire un bon usage. L’intention est louable, sans doute, et peut être très sincère chez quelques-uns ; mais est-il bien certain qu’elle soit chez tous complètement désintéressée ? N’y en a-t-il pas qui, tout en souhaitant faire du bien aux autres, seraient bien aises de commencer par s’en faire à eux-mêmes, de se donner quelques jouissances de plus, de se procurer un peu du superflu qui leur manque, sauf à donner le reste aux pauvres ? Cette arrière-pensée, qu’ils se dissimulent peut-être, mais qu’ils trouveraient au fond de leur cœur s’ils voulaient y fouiller, annule le mérite de l’intention, car la vraie charité pense aux autres avant de penser à soi. Le sublime de la charité, dans ce cas, serait de chercher dans son propre travail, par l’emploi de ses forces, de son intelligence, de ses talents, les ressources qui manquent pour réaliser ses intentions généreuses ; là serait le sacrifice le plus agréable au Seigneur. Malheureusement la plupart rêvent des moyens plus faciles de s’enrichir tout d’un coup et sans peine, en courant après des chimères, comme les découvertes de trésors, une chance aléatoire favorable, le recouvrement d’héritages inespérés, etc. Que dire de ceux qui espèrent trouver, pour les seconder dans les recherches de cette nature, des auxiliaires parmi les Esprits ? Assurément ils ne connaissent ni ne comprennent le but sacré du spiritisme, et encore moins la mission des Esprits, à qui Dieu permet de se communiquer aux hommes ; aussi en sont-ils punis par les déceptions. (Livre des Médiums, nos 294, 295.)
Ceux dont l’intention est pure de toute idée personnelle doivent se consoler de leur impuissance à faire autant de bien qu’ils le voudraient par la pensée que l’obole du pauvre, qui donne en se privant, pèse plus dans la balance de Dieu que l’or du riche qui donne sans se priver de rien. La satisfaction serait grande sans doute de pouvoir largement secourir l’indigence ; mais si elle est refusée, il faut se soumettre et se borner à faire ce qu’on peut. D’ailleurs, n’est-ce qu’avec l’or qu’on peut tarir les larmes, et faut-il rester inactif parce qu’on n’en possède pas ? Celui qui veut sincèrement se rendre utile à ses frères en trouve mille occasions ; qu’il les cherche, et il les trouvera ; si ce n’est d’une manière, c’est d’une autre, car il n’est personne, ayant la libre jouissance de ses facultés, qui ne puisse rendre un service quelconque, donner une consolation, adoucir une souffrance physique ou morale, faire une démarche utile ; à défaut d’argent, chacun n’a-t-il pas sa peine, son temps, son repos, dont il peut donner une partie ? Là aussi est l’obole du pauvre, le denier de la veuve.
Convier les pauvres et les estropiés.
7. Il dit aussi à celui qui l’avait invité : Lorsque vous donnerez à dîner ou à souper, n’y conviez ni vos amis, ni vos frères, ni vos parents, ni vos voisins qui seront riches, de peur qu’ils ne vous invitent ensuite à leur tour, et qu’ainsi ils ne vous rendent ce qu’ils avaient reçu de vous. – Mais lorsque vous faites un festin, conviez-y les pauvres, les estropiés, les boiteux et les aveugles ; – et vous serez heureux de ce qu’ils n’auront pas le moyen de vous le rendre ; car cela vous sera rendu dans la résurrection des justes.
Un de ceux qui étaient à table, ayant entendu ces paroles, lui dit : Heureux celui qui mangera du pain dans le royaume de Dieu ! (Saint Luc, ch. XIV, v. de 12 à 15.)
8. « Lorsque vous faites un festin, dit Jésus, n’y conviez pas vos amis, mais les pauvres et les estropiés. » Ces paroles, absurdes, si on les prend à la lettre, sont sublimes si l’on en cherche l’esprit. Jésus ne peut avoir voulu dire qu’au lieu de ses amis il faut réunir à sa table les mendiants de la rue ; son langage était presque toujours figuré, et à des hommes incapables de comprendre les nuances délicates de la pensée, il fallait des images fortes, produisant l’effet des couleurs tranchantes. Le fond de sa pensée se révèle dans ces mots : « Vous serez heureux de ce qu’ils n’auront pas le moyen de vous le rendre » ; c’est dire qu’on ne doit point faire le bien en vue d’un retour, mais pour le seul plaisir de le faire. Pour donner une comparaison saisissante, il dit : Conviez à vos festins les pauvres, car vous savez que ceux-là ne pourront rien vous rendre ; et par festins il faut entendre, non les repas proprement dits, mais la participation à l’abondance dont vous jouissez.
Cette parole peut cependant aussi recevoir son application dans un sens plus littéral. Que de gens n’invitent à leur table que ceux qui peuvent, comme ils le disent, leur faire honneur, ou qui peuvent les convier à leur tour ! D’autres, au contraire, trouvent de la satisfaction à recevoir ceux de leurs parents ou amis qui sont moins heureux ; or, qui est-ce qui n’en a pas parmi les siens ? C’est parfois leur rendre un grand service sans en avoir l’air. Ceux-là, sans aller recruter les aveugles et les estropiés, pratiquent la maxime de Jésus, s’ils le font par bienveillance, sans ostentation, et s’ils savent dissimuler le bienfait par une sincère cordialité.
INSTRUCTIONS DES ESPRITS.
La charité matérielle et la charité morale.
9. « Aimons-nous les uns les autres et faisons à autrui ce que nous voudrions qui nous fût fait. » Toute la religion, toute la morale se trouvent renfermées dans ces deux préceptes ; s’ils étaient suivis ici-bas, vous seriez tous parfaits : plus de haines, plus de dissentiments ; je dirai plus encore : plus de pauvreté, car du superflu de la table de chaque riche, bien des pauvres se nourriraient, et vous ne verriez plus, dans les sombres quartiers que j’ai habités pendant ma dernière incarnation, de pauvres femmes traînant après elles de misérables enfants manquant de tout.
Riches ! pensez un peu à cela ; aidez de votre mieux les malheureux ; donnez, pour que Dieu vous rende un jour le bien que vous aurez fait, pour que vous trouviez, au sortir de votre enveloppe terrestre, un cortège d’Esprits reconnaissants qui vous recevront au seuil d’un monde plus heureux.
Si vous pouviez savoir la joie que j’ai éprouvée en retrouvant là-haut ceux que j’avais pu obliger dans ma dernière vie !...
Aimez donc votre prochain ; aimez-le comme vous-mêmes, car vous le savez maintenant, ce malheureux que vous repoussez est peut-être un frère, un père, un ami que vous rejetez loin de vous ; et alors quel sera votre désespoir en le reconnaissant dans le monde des Esprits !
Je souhaite que vous compreniez bien ce que peut être la charité morale, celle que chacun peut pratiquer ; celle qui ne coûte rien de matériel, et cependant celle qui est plus difficile à mettre en pratique.
La charité morale consiste à se supporter les uns les autres, et c’est ce que vous faites le moins, en ce bas monde où vous êtes incarnés pour le moment. Il y a un grand mérite, croyez-moi, à savoir se taire pour laisser parler un plus sot que soi ; et c’est encore là un genre de charité. Savoir être sourd quand un mot moqueur s’échappe d’une bouche habituée à railler ; ne pas voir le sourire dédaigneux qui accueille votre entrée chez des gens qui, souvent à tort, se croient au-dessus de vous, tandis que, dans la vie spirite, la seule réelle, ils en sont quelquefois bien loin ; voilà un mérite, non pas d’humilité, mais de charité ; car ne pas remarquer les torts d’autrui, c’est la charité morale.
Cependant cette charité ne doit pas empêcher l’autre ; mais pensez surtout à ne pas mépriser votre semblable ; rappelez-vous tout ce que je vous ai déjà dit : Il faut se souvenir sans cesse que, dans le pauvre rebuté, vous repoussez peut-être un Esprit qui vous a été cher, et qui se trouve momentanément dans une position inférieure à la vôtre. J’ai revu un des pauvres de votre terre que j’avais pu, par bonheur, obliger quelquefois, et qu’il m’arrive maintenant d’implorer à mon tour.
Rappelez-vous que Jésus a dit que nous sommes frères, et pensez toujours à cela avant de repousser le lépreux ou le mendiant. Adieu ; pensez à ceux qui souffrent, et priez. (SŒUR ROSALIE. Paris, 1860.)
10. Mes amis, j’ai entendu plusieurs d’entre vous se dire : Comment puis-je faire la charité ? souvent je n’ai pas même le nécessaire !
La charité, mes amis, se fait de bien des manières ; vous pouvez faire la charité en pensées, en paroles et en actions. En pensées : en priant pour les pauvres délaissés qui sont morts sans avoir été à même de voir la lumière ; une prière du cœur les soulage. En paroles : en adressant à vos compagnons de tous les jours quelques bons avis ; dites aux hommes aigris par le désespoir, les privations, et qui blasphèment le nom du Très-Haut : « J’étais comme vous ; je souffrais, j’étais malheureux, mais j’ai cru au Spiritisme, et voyez, je suis heureux maintenant. » Aux vieillards qui vous diront : « C’est inutile ; je suis au bout de ma carrière ; je mourrai comme j’ai vécu. » Dites à ceux-là : « Dieu a pour nous tous une justice égale ; rappelez-vous les ouvriers de la dixième heure. » Aux petits enfants qui, déjà viciés par leur entourage, s’en vont rôder par les chemins, tout prêts à succomber aux mauvaises tentations, dites-leur : « Dieu vous voit, mes chers petits », et ne craignez pas de leur répéter souvent cette douce parole ; elle finira par prendre germe dans leur jeune intelligence, et au lieu de petits vagabonds, vous aurez fait des hommes. C’est encore là une charité.
Plusieurs d’entre vous disent aussi : « Bah ! nous sommes si nombreux sur la terre, Dieu ne peut pas nous voir tous. » Écoutez bien ceci, mes amis : Quand vous êtes sur le sommet d’une montagne, est-ce que votre regard n’embrasse pas les milliards de grains de sable qui couvrent cette montagne ? Eh bien ! Dieu vous voit de même ; il vous laisse votre libre arbitre, comme vous laissez ces grains de sable aller au gré du vent qui les disperse ; seulement, Dieu, dans sa miséricorde infinie, a mis au fond de votre cœur une sentinelle vigilante qu’on appelle la conscience. Écoutez-la ; elle ne vous donnera que de bons conseils. Parfois vous l’engourdissez en lui opposant l’esprit du mal ; elle se tait alors ; mais soyez sûrs que la pauvre délaissée se fera entendre aussitôt que vous lui aurez laissé apercevoir l’ombre du remords. Écoutez-la, interrogez-la, et souvent vous vous trouverez consolés du conseil que vous en aurez reçu.
Mes amis, à chaque régiment nouveau le général remet un drapeau ; je vous donne, moi, cette maxime du Christ : « Aimez-vous les uns les autres. » Pratiquez cette maxime ; réunissez-vous tous autour de cet étendard, et vous en recevrez le bonheur et la consolation. (UN ESPRIT PROTECTEUR. Lyon, 1860.)
La bienfaisance.
11. La bienfaisance, mes amis, vous donnera dans ce monde les plus pures et les plus douces jouissances, les joies du cœur qui ne sont troublées ni par le remords, ni par l’indifférence. Oh ! puissiez-vous comprendre tout ce que renferme de grand et de doux la générosité des belles âmes, ce sentiment qui fait que l’on regarde autrui du même œil que l’on se regarde soi-même, qu’on se dépouille avec joie pour couvrir son frère. Puissiez-vous, mes amis, n’avoir de plus douce occupation que celle de faire des heureux ! Quelles sont les fêtes du monde que vous puissiez comparer à ces fêtes joyeuses, quand, représentants de la Divinité, vous rendez la joie à ces pauvres familles qui ne connaissent de la vie que les vicissitudes et les amertumes ; quand vous voyez soudain ces visages flétris rayonner d’espérance, car ils n’avaient pas de pain, ces malheureux, et leurs petits enfants, ignorant que vivre c’est souffrir, criaient, pleuraient et répétaient ces paroles qui s’enfonçaient comme un glaive aigu dans le cœur maternel : J’ai faim !... Oh ! comprenez combien sont délicieuses les impressions de celui qui voit renaître la joie là où, un instant auparavant, il ne voyait que désespoir ! Comprenez quelles sont vos obligations envers vos frères ! Allez, allez au-devant de l’infortune ; allez au secours des misères cachées surtout, car ce sont les plus douloureuses. Allez, mes bien-aimés, et souvenez-vous de ces paroles du Sauveur : « Quand vous vêtirez un de ces petits, songez que c’est à moi que vous le faites ! »
Charité ! mot sublime qui résume toutes les vertus, c’est toi qui dois conduire les peuples au bonheur ; en te pratiquant, ils se créeront des jouissances infinies pour l’avenir, et pendant leur exil sur la terre, tu seras leur consolation, l’avant-goût des joies qu’ils goûteront plus tard quand ils s’embrasseront tous ensemble dans le sein du Dieu d’amour. C’est toi, vertu divine, qui m’as procuré les seuls moments de bonheur que j’aie goûtés sur la terre. Puissent mes frères incarnés croire la voix de l’ami qui leur parle et leur dit : C’est dans la charité que vous devez chercher la paix du cœur, le contentement de l’âme, le remède contre les afflictions de la vie. Oh ! quand vous êtes sur le point d’accuser Dieu, jetez un regard au-dessous de vous ; voyez que de misères à soulager ; que de pauvres enfants sans famille ; que de vieillards qui n’ont pas une main amie pour les secourir et leur fermer les yeux quand la mort les réclame ! Que de bien à faire ! Oh ! ne vous plaignez pas ; mais, au contraire, remerciez Dieu, et prodiguez à pleines mains votre sympathie, votre amour, votre argent à tous ceux qui, déshérités des biens de ce monde, languissent dans la souffrance et dans l’isolement. Vous recueillerez ici-bas des joies bien douces, et plus tard... Dieu seul le sait !... (ADOLPHE, évêque d’Alger. Bordeaux, 1861.)
12. Soyez bons et charitables, c’est la clef des cieux que vous tenez en vos mains ; tout le bonheur éternel est renfermé dans cette maxime : Aimez-vous les uns les autres. L’âme ne peut s’élever dans les régions spirituelles que par le dévouement au prochain ; elle ne trouve de bonheur et de consolation que dans les élans de la charité ; soyez bons, soutenez vos frères, laissez de côté l’affreuse plaie de l’égoïsme ; ce devoir rempli doit vous ouvrir la route du bonheur éternel. Du reste, qui d’entre vous n’a senti son cœur bondir, sa joie intérieure se dilater au récit d’un beau dévouement, d’une œuvre vraiment charitable ? Si vous ne recherchiez que la volupté que procure une bonne action, vous resteriez toujours dans le chemin du progrès spirituel. Les exemples ne vous manquent pas ; il n’y a que les bonnes volontés qui sont rares. Voyez la foule des hommes de bien dont votre histoire vous rappelle le pieux souvenir.
Le Christ ne vous a-t-il pas dit tout ce qui concerne ces vertus de charité et d’amour ? Pourquoi laisse-t-on de côté ses divins enseignements ? Pourquoi ferme-t-on l’oreille à ses divines paroles, le cœur à toutes ses douces maximes ? Je voudrais qu’on apportât plus d’intérêt, plus de foi aux lectures évangéliques ; on délaisse ce livre, on en fait un mot creux, une lettre close ; on laisse ce code admirable dans l’oubli : vos maux ne proviennent que de l’abandon volontaire que vous faites de ce résumé des lois divines. Lisez donc ces pages toutes brûlantes du dévouement de Jésus, et méditez-les.
Hommes forts, ceignez-vous ; hommes faibles, faites-vous des armes de votre douceur, de votre foi ; ayez plus de persuasion, plus de constance dans la propagation de votre nouvelle doctrine ; ce n’est qu’un encouragement que nous sommes venus vous donner, ce n’est que pour stimuler votre zèle et vos vertus que Dieu nous permet de nous manifester à vous ; mais si on voulait, on n’aurait besoin que de l’aide de Dieu et de sa propre volonté : les manifestations spirites ne sont faites que pour les yeux fermés et les cœurs indociles.
La charité est la vertu fondamentale qui doit soutenir tout l’édifice des vertus terrestres ; sans elle les autres n’existent pas. Sans la charité, point d’espoir dans un sort meilleur, pas d’intérêt moral qui nous guide ; sans la charité, point de foi, car la foi n’est qu’un pur rayon qui fait briller une âme charitable.
La charité est l’ancre éternelle du salut dans tous les globes : c’est la plus pure émanation du Créateur lui-même ; c’est sa propre vertu qu’il donne à la créature. Comment voudrait-on méconnaître cette suprême bonté ? Quel serait, avec cette pensée, le cœur assez pervers pour refouler et chasser ce sentiment tout divin ? Quel serait l’enfant assez méchant pour se mutiner contre cette douce caresse : la charité ?
Je n’ose pas parler de ce que j’ai fait, car les Esprits ont aussi la pudeur de leurs œuvres ; mais je crois celle que j’ai commencée une de celles qui doivent le plus contribuer au soulagement de vos semblables. Je vois souvent les Esprits demander pour mission de continuer ma tâche ; je les vois, mes douces et chères sœurs, dans leur pieux et divin ministère ; je les vois pratiquer la vertu que je vous recommande, avec toute la joie que procure cette existence de dévouement et de sacrifices ; c’est un grand bonheur pour moi de voir combien leur caractère est honoré, combien leur mission est aimée et doucement protégée. Hommes de bien, de bonne et forte volonté, unissez-vous pour continuer grandement l’œuvre de propagation de la charité ; vous trouverez la récompense de cette vertu par son exercice même ; il n’est pas de joie spirituelle qu’elle ne donne dès la vie présente. Soyez unis ; aimez-vous les uns les autres selon les préceptes du Christ. Ainsi soit-il. (SAINT VINCENT DE PAUL. Paris, 1858.)
13. Je me nomme la charité, je suis la route principale qui conduit vers Dieu ; suivez-moi, car je suis le but où vous devez tous viser.
J’ai fait ce matin ma tournée habituelle, et, le cœur navré, je viens vous dire : Oh ! mes amis, que de misères, que de larmes, et combien vous avez à faire pour les sécher toutes ! J’ai vainement cherché à consoler de pauvres mères ; je leur disais à l’oreille : Courage ! il y a de bons cœurs qui veillent sur vous ; on ne vous abandonnera pas ; patience ! Dieu est là ; vous êtes ses aimées, vous êtes ses élues. Elles paraissaient m’entendre et tournaient de mon côté de grands yeux égarés ; je lisais sur leur pauvre visage que leur corps, ce tyran de l’Esprit, avait faim, et que si mes paroles rassérénaient un peu leur cœur, elles ne remplissaient pas leur estomac. Je répétais encore : Courage ! courage ! Alors une pauvre mère, toute jeune, qui allaitait un petit enfant, l’a pris dans ses bras et l’a tendu dans l’espace vide, comme pour me prier de protéger ce pauvre petit être qui ne prenait à un sein stérile qu’une nourriture insuffisante.
Ailleurs, mes amis, j’ai vu de pauvres vieillards sans travaux et bientôt sans asile, en proie à toutes les souffrances du besoin, et, honteux de leur misère, n’osant pas, eux qui n’ont jamais mendié, aller implorer la pitié des passants. Le cœur ému de compassion, moi qui n’ai rien, je me suis faite mendiante pour eux, et je vais de tous côtés stimuler la bienfaisance, souffler de bonnes pensées aux cœurs généreux et compatissants. C’est pourquoi je viens à vous, mes amis, et je vous dis : Là-bas il y a des malheureux dont la huche est sans pain, le foyer sans feu et le lit sans couverture. Je ne vous dis pas ce que vous devez faire ; j’en laisse l’initiative à vos bons cœurs ; si je vous dictais votre ligne de conduite, vous n’auriez plus le mérite de votre bonne action ; je vous dis seulement : Je suis la charité, et je vous tends la main pour vos frères souffrants.
Mais si je demande, je donne aussi et je donne beaucoup ; je vous convie à un grand banquet, et je fournis l’arbre où vous vous rassasierez tous ! Voyez comme il est beau, comme il est chargé de leurs et de fruits ! Allez, allez, cueillez, prenez tous les fruits de ce bel arbre qui s’appelle la bienfaisance. À la place des rameaux que vous aurez pris, j’attacherai toutes les bonnes actions que vous ferez, et je rapporterai cet arbre à Dieu pour qu’il le charge de nouveau, car la bienfaisance est inépuisable. Suivez-moi donc, mes amis, afin que je vous compte parmi ceux qui s’enrôlent sous ma bannière ; soyez sans crainte ; je vous conduirai dans la voie du salut, car je suis la Charité. (CARITA, martyrisée à Rome. Lyon, 1861.)
14. Il y a plusieurs manières de faire la charité que beaucoup d’entre vous confondent avec l’aumône ; il y a pourtant une grande différence. L’aumône, mes amis, est quelquefois utile, car elle soulage les pauvres ; mais elle est presque toujours humiliante et pour celui qui la fait et pour celui qui la reçoit. La charité, au contraire, lie le bienfaiteur et l’obligé, et puis elle se déguise de tant de manières ! On peut être charitable même avec ses proches, avec ses amis, en étant indulgents les uns envers les autres, en se pardonnant ses faiblesses, en ayant soin de ne froisser l’amour-propre de personne ; pour vous, spirites, dans votre manière d’agir envers ceux qui ne pensent pas comme vous ; en amenant les moins clairvoyants à croire, et cela sans les heurter, sans rompre en visière avec leurs convictions, mais en les amenant tout doucement à nos réunions où ils pourront nous entendre, et où nous saurons bien trouver la brèche du cœur par où nous devrons pénétrer. Voilà pour un côté de la charité.
Écoutez maintenant la charité envers les pauvres, ces déshérités ici-bas, mais ces récompensés de Dieu, s’ils savent accepter leurs misères sans murmurer, et cela dépend de vous. Je vais me faire comprendre par un exemple.
Je vois plusieurs fois dans la semaine une réunion de dames : il y en a de tous les âges ; pour nous, vous le savez, elles sont toutes sœurs. Que font-elles donc ? Elles travaillent vite, vite ; les doigts sont agiles ; aussi voyez comme les visages sont radieux, et comme les cœurs battent à l’unisson ! Mais quel est leur but ? C’est qu’elles voient approcher l’hiver qui sera rude pour les pauvres ménages ; les fourmis n’ont pas pu amasser pendant l’été le grain nécessaire à la provision, et la plupart des effets sont engagés ; les pauvres mères s’inquiètent et pleurent en songeant aux petits enfants qui, cet hiver, auront froid et faim ! Mais patience, pauvres femmes ! Dieu en a inspiré de plus fortunées que vous ; elles se sont réunies et vous confectionnent de petits vêtements ; puis un de ces jours, quand la neige aura couvert la terre et que vous murmurerez en disant : « Dieu n’est pas juste », car c’est votre parole ordinaire à vous qui souffrez ; alors vous verrez apparaître un des enfants de ces bonnes travailleuses qui se sont constituées les ouvrières des pauvres ; oui, c’est pour vous qu’elles travaillaient ainsi, et votre murmure se changera en bénédiction, car dans le cœur des malheureux l’amour suit de bien près la haine.
Comme il faut à toutes ces travailleuses un encouragement, je vois les communications des bons Esprits leur arriver de toutes parts ; les hommes qui font partie de cette société apportent aussi leur concours en faisant une de ces lectures qui plaisent tant ; et nous, pour récompenser le zèle de tous et de chacun en particulier, nous promettons à ces ouvrières laborieuses une bonne clientèle qui les payera, argent comptant, en bénédictions, seule monnaie qui ait cours au ciel, leur assurant en outre, et sans crainte de trop nous avancer, qu’elle ne leur manquera pas. (CARITA. Lyon, 1861.)
15. Mes chers amis, chaque jour j’en entends parmi vous qui disent : « Je suis pauvre, je ne puis pas faire la charité » ; et chaque jour je vous vois manquer d’indulgence pour vos semblables ; vous ne leur pardonnez rien, et vous vous érigez en juges souvent sévères, sans vous demander si vous seriez satisfaits qu’on en fît autant à votre égard. L’indulgence n’est-elle pas aussi de la charité ? Vous qui ne pouvez faire que la charité indulgente, faites-la au moins, mais faites-la grandement. Pour ce qui est de la charité matérielle, je veux vous raconter une histoire de l’autre monde.
Deux hommes venaient de mourir ; Dieu avait dit : Tant que ces deux hommes vivront, on mettra dans un sac chacune de leurs bonnes actions, et à leur mort on pèsera ces sacs. Quand ces deux hommes arrivèrent à leur dernière heure, Dieu se fit apporter les deux sacs ; l’un était gros, grand, bien bourré, il résonnait le métal qui le remplissait ; l’autre était tout petit, et si mince, qu’on voyait à travers les rares sous qu’il contenait ; et chacun de ces hommes reconnut son sac : Voici le mien, dit le premier : je le reconnais ; j’ai été riche et j’ai beaucoup donné. Voilà le mien, dit l’autre ; j’ai toujours été pauvre, hélas ! je n’avais presque rien à partager. Mais, ô surprise ! les deux sacs mis dans la balance, le plus gros devint léger, et le petit s’alourdit, si bien qu’il emporta de beaucoup l’autre côté de la balance. Alors Dieu dit au riche : Tu as beaucoup donné, c’est vrai, mais tu as donné par ostentation, et pour voir ton nom figurer à tous les temples de l’orgueil, et de plus en donnant tu ne t’es privé de rien ; vas à gauche et sois satisfait que l’aumône te soit comptée encore pour quelque petite chose. Puis il dit au pauvre : Tu as bien peu donné, toi, mon ami ; mais chacun des sous qui sont dans cette balance représente une privation pour toi ; si tu n’as pas fait l’aumône, tu as fait la charité, et ce qu’il y a de mieux, tu as fait la charité naturellement, sans penser qu’on t’en tiendrait compte ; tu as été indulgent ; tu n’as pas jugé ton semblable, tu l’as au contraire excusé dans toutes ses actions : passe à droite, et va recevoir ta récompense. (UN ESPRIT PROTECTEUR. Lyon, 1861.)
16. La femme riche, heureuse, qui n’a pas besoin d’employer son temps aux travaux de son ménage, ne peut-elle consacrer quelques heures à des travaux utiles pour ses semblables ? Qu’avec le superflu de ses joies elle achète de quoi couvrir le malheureux qui grelotte de froid ; qu’elle fasse, de ses mains délicates, de grossiers mais chauds vêtements ; qu’elle aide la mère à couvrir l’enfant qui va naître ; si son enfant, à elle, a quelques dentelles de moins, celui du pauvre aura plus chaud. Travailler pour les pauvres, c’est travailler à la vigne du Seigneur.
Et toi, pauvre ouvrière, qui n’as pas de superflu, mais qui veux, dans ton amour pour tes frères, donner aussi du peu que tu possèdes, donne quelques heures de ta journée, de ton temps ton seul trésor ; fais de ces ouvrages élégants qui tentent les heureux ; vends le travail de ta veille, et tu pourras aussi procurer à tes frères ta part de soulagement ; tu auras peut-être quelques rubans de moins, mais tu donneras des souliers à celui qui a les pieds nus.
Et vous, femmes vouées à Dieu, travaillez aussi à son œuvre, mais que vos ouvrages délicats et coûteux ne soient pas faits seulement pour orner vos chapelles, pour attirer l’attention sur votre adresse et votre patience ; travaillez, mes filles, et que le prix de vos ouvrages soit consacré au soulagement de vos frères en Dieu ; les pauvres sont ses enfants bien-aimés ; travailler pour eux, c’est le glorifier. Soyez-leur la Providence qui dit : Aux oiseaux du ciel Dieu donne la pâture. Que l’or et l’argent qui se tissent sous vos doigts se changent en vêtements et en nourriture pour ceux qui en manquent. Faites cela, et votre travail sera béni.
Et vous tous qui pouvez produire, donnez ; donnez votre génie, donnez vos inspirations, donnez votre cœur que Dieu bénira. Poètes, littérateurs, qui n’êtes lus que par les gens du monde, satisfaites leurs loisirs, mais que le produit de quelques-unes de vos œuvres soit consacré au soulagement des malheureux ; peintres, sculpteurs, artistes en tous genres, que votre intelligence vienne aussi en aide à vos frères ; vous n’en aurez pas moins de gloire, et il y aura quelques souffrances de moins.
Tous vous pouvez donner ; dans quelque classe que vous soyez, vous avez quelque chose que vous pouvez partager ; quoi que ce soit que Dieu vous ait donné, vous en devez une partie à celui qui manque du nécessaire, parce qu’à sa place vous seriez bien aises qu’un autre partageât avec vous. Vos trésors de la terre seront un peu moindres, mais vos trésors dans le ciel seront plus abondants ; vous y recueillerez au centuple ce que vous aurez semé en bienfaits ici-bas. (JEAN. Bordeaux, 1861.)
La pitié.
17. La pitié est la vertu qui vous rapproche le plus des anges ; c’est la sœur de charité qui vous conduit vers Dieu. Ah ! laissez votre cœur s’attendrir à l’aspect des misères et des souffrances de vos semblables ; vos larmes sont un baume que vous versez sur leurs blessures, et lorsque, par une douce sympathie, vous parvenez à leur rendre l’espérance et la résignation, quel charme n’éprouvez-vous pas ! Ce charme, il est vrai, a une certaine amertume, car il naît à côté du malheur ; mais s’il n’a pas l’âcreté des jouissances mondaines, il n’a pas les poignantes déceptions du vide que celles-ci laissent après elles ; il a une suavité pénétrante qui réjouit l’âme. La pitié, une pitié bien sentie, c’est de l’amour ; l’amour, c’est du dévouement ; le dévouement, c’est l’oubli de soi-même ; et cet oubli, cette abnégation en faveur des malheureux, c’est la vertu par excellence, celle qu’a pratiquée toute sa vie le divin Messie, et qu’il a enseignée dans sa doctrine si sainte et si sublime. Lorsque cette doctrine sera rendue à sa pureté primitive, qu’elle sera admise par tous les peuples, elle donnera le bonheur à la terre en y faisant régner enfin la concorde, la paix et l’amour.
Le sentiment le plus propre à vous faire progresser en domptant votre égoïsme et votre orgueil, celui qui dispose votre âme à l’humilité, à la bienfaisance et à l’amour de votre prochain, c’est la pitié ! Cette pitié qui vous émeut jusque dans vos entrailles devant les souffrances de vos frères, qui vous fait leur tendre une main secourable et vous arrache de sympathiques larmes. N’étouffez donc jamais dans vos cœurs cette émotion céleste, ne faites pas comme ces égoïstes endurcis qui s’éloignent des affligés, parce que la vue de leur misère troublerait un instant leur joyeuse existence ; redoutez de rester indifférents lorsque vous pouvez être utiles. La tranquillité achetée au prix d’une indifférence coupable, c’est la tranquillité de la mer Morte, qui cache au fond de ses eaux la vase fétide et la corruption.
Que la pitié est loin cependant de causer le trouble et l’ennui dont s’épouvante l’égoïste ! Sans doute l’âme éprouve, au contact du malheur d’autrui et en faisant un retour sur elle-même, un saisissement naturel et profond qui fait vibrer tout votre être et vous affecte péniblement ; mais la compensation est grande, quand vous parvenez à rendre le courage et l’espoir à un frère malheureux qu’attendrit la pression d’une main amie, et dont le regard, humide à la fois d’émotion et de reconnaissance, se tourne doucement vers vous avant de se fixer sur le ciel pour le remercier de lui avoir envoyé un consolateur, un appui. La pitié est le mélancolique mais céleste précurseur de la charité, cette première des vertus dont elle est la sœur et dont elle prépare et ennoblit les bienfaits. (MICHEL. Bordeaux, 1862.)
Les orphelins.
18. Mes frères, aimez les orphelins ; si vous saviez combien il est triste d’être seul et abandonné, surtout dans le jeune âge ! Dieu permet qu’il y ait des orphelins pour nous engager à leur servir de pères. Quelle divine charité d’aider une pauvre petite créature délaissée, de l’empêcher de souffrir de la faim et du froid, de diriger son âme afin qu’elle ne s’égare pas dans le vice ! Qui tend la main à l’enfant abandonné est agréable à Dieu, car il comprend et pratique sa loi. Pensez aussi que souvent l’enfant que vous secourez vous a été cher dans une autre incarnation ; et si vous pouviez vous souvenir, ce ne serait plus de la charité mais un devoir. Ainsi donc, mes amis, tout être souffrant est votre frère et a droit à votre charité, non pas cette charité qui blesse le cœur, non cette aumône qui brûle la main dans laquelle elle tombe, car vos oboles sont souvent bien amères ! Que de fois elles seraient refusées si, au grenier, la maladie et le dénuement ne les attendaient pas ! Donnez délicatement, ajoutez au bienfait le plus précieux de tous : une bonne parole, une caresse, un sourire d’ami ; évitez ce ton de protection qui retourne le fer dans un cœur qui saigne, et pensez qu’en faisant le bien, vous travaillez pour vous et les vôtres. (UN ESPRIT FAMILIER. Paris, 1860.)
19. Que faut-il penser des gens qui, ayant été payés de leurs bienfaits par l’ingratitude, ne font plus de bien de peur de rencontrer des ingrats ?
Ces gens-là ont plus d’égoïsme que de charité ; car ne faire le bien que pour en recevoir des marques de reconnaissance, ce n’est pas le faire avec désintéressement, et le bienfait désintéressé est le seul qui soit agréable à Dieu. C’est aussi de l’orgueil, car ils se complaisent dans l’humilité de l’obligé qui vient mettre sa reconnaissance à leurs pieds. Celui qui cherche sur la terre la récompense du bien qu’il fait ne la recevra pas au ciel ; mais Dieu tiendra compte à celui qui ne la cherche pas sur la terre.
Il faut toujours aider les faibles, quoique sachant d’avance que ceux à qui on fait le bien n’en sauront pas gré. Sachez que si celui à qui vous rendez service oublie le bienfait, Dieu vous en tiendra plus de compte que si vous étiez déjà récompensés par la reconnaissance de votre obligé. Dieu permet que vous soyez parfois payés d’ingratitude pour éprouver votre persévérance à faire le bien.
Que savez-vous, d’ailleurs, si ce bienfait, oublié pour le moment, ne portera pas plus tard de bons fruits ? Soyez certains, au contraire, que c’est une semence qui germera avec le temps. Malheureusement vous ne voyez toujours que le présent ; vous travaillez pour vous, et non en vue des autres. Les bienfaits finissent par amollir les cœurs les plus endurcis ; ils peuvent être méconnus ici-bas, mais lorsque l’Esprit sera débarrassé de son voile charnel, il se souviendra, et ce souvenir sera son châtiment ; alors il regrettera son ingratitude ; il voudra réparer sa faute, payer sa dette dans une autre existence, souvent même en acceptant une vie de dévouement envers son bienfaiteur. C’est ainsi que, sans vous en douter, vous aurez contribué à son avancement moral, et vous reconnaîtrez plus tard toute la vérité de cette maxime : Un bienfait n’est jamais perdu. Mais vous aurez aussi travaillé pour vous, car vous aurez le mérite d’avoir fait le bien avec désintéressement, et sans vous être laissé décourager par les déceptions.
Ah ! mes amis, si vous connaissiez tous les liens qui, dans la vie présente, vous rattachent à vos existences antérieures ; si vous pouviez embrasser la multitude des rapports qui rapprochent les êtres les uns des autres pour leur progrès mutuel, vous admireriez bien mieux encore la sagesse et la bonté du Créateur qui vous permet de revivre pour arriver à lui. (GUIDE PROTECTEUR. Sens, 1862.)
20. La bienfaisance est-elle bien entendue quand elle est exclusive entre les gens d’une même opinion, d’une même croyance ou d’un même parti ?
Non, c’est surtout l’esprit de secte et de parti qu’il faut abolir, car tous les hommes sont frères. Le vrai chrétien ne voit que des frères dans ses semblables, et avant de secourir celui qui est dans le besoin, il ne consulte ni sa croyance, ni son opinion en quoi que ce soit. Suivrait-il le précepte de Jésus-Christ, qui dit d’aimer même ses ennemis, s’il repoussait un malheureux parce que celui-ci aurait une autre foi que la sienne ? Qu’il le secoure donc sans lui demander aucun compte de sa conscience, car si c’est un ennemi de la religion, c’est le moyen de la lui faire aimer ; en le repoussant, on la lui ferait haïr. (SAINT LOUIS. Paris, 1860.)
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CHAPITRE XIV
HONOREZ VOTRE PÈRE ET VOTRE MÈRE.
Piété filiale. – Qui est ma mère et qui sont mes frères ? – Parenté corporelle et parenté spirituelle. – Instructions des Esprits : L’ingratitude des enfants.
1. Vous savez les commandements : vous ne commettrez point d’adultère ; vous ne tuerez point ; vous ne déroberez point ; vous ne porterez point de faux témoignage ; vous ne ferez tort à personne ; honorez votre père et votre mère. (Saint Marc, ch. X, v. 19 ; saint Luc, ch. XVIII, v. 20 ; saint Matthieu, ch. XIX, v. 19.)
2. Honorez votre père et votre mère, afin que vous viviez longtemps sur la terre que le Seigneur votre Dieu vous donnera. (Décalogue ; Exode, ch. XX, v. 12.)
Piété filiale.
3. Le commandement : « Honorez votre père et votre mère » est une conséquence de la loi générale de charité et d’amour du prochain, car on ne peut aimer son prochain sans aimer son père et sa mère ; mais le mot honorez renferme un devoir de plus à leur égard, celui de la piété filiale. Dieu a voulu montrer par là qu’à l’amour il faut ajouter le respect, les égards, la soumission et la condescendance, ce qui implique l’obligation d’accomplir envers eux d’une manière plus rigoureuse encore tout ce que la charité commande envers le prochain. Ce devoir s’étend naturellement aux personnes qui tiennent lieu de père et de mère, et qui en ont d’autant plus de mérite que leur dévouement est moins obligatoire. Dieu punit toujours d’une manière rigoureuse toute violation de ce commandement.
Honorer son père et sa mère, ce n’est pas seulement les respecter, c’est aussi les assister dans le besoin ; c’est leur procurer le repos sur leurs vieux jours ; c’est les entourer de sollicitude comme ils l’ont fait pour nous dans notre enfance.
C’est surtout envers les parents sans ressources que se montre la véritable piété filiale. Satisfont-ils à ce commandement ceux qui croient faire un grand effort en leur donnant tout juste de quoi ne pas mourir de faim, alors qu’eux-mêmes ne se privent de rien ? en les reléguant dans les plus infimes réduits de la maison, pour ne pas les laisser dans la rue, alors qu’ils se réservent ce qu’il y a de mieux, de plus confortable ? Heureux encore lorsqu’ils ne le font pas de mauvaise grâce et ne leur font pas acheter le temps qui leur reste à vivre en se déchargeant sur eux des fatigues du ménage ! Est-ce donc aux parents vieux et faibles à être les serviteurs des enfants jeunes et forts ? Leur mère a-t-elle marchandé son lait quand ils étaient au berceau ? A-t-elle compté ses veilles quand ils étaient malades, ses pas pour leur procurer ce dont ils avaient besoin ? Non, ce n’est pas seulement le strict nécessaire que les enfants doivent à leurs parents pauvres, ce sont aussi, autant qu’ils le peuvent, les petites douceurs du superflu, les prévenances, les soins délicats, qui ne sont que l’intérêt de ce qu’ils ont reçu, le payement d’une dette sacrée. Là seulement est la piété filiale acceptée par Dieu.
Malheur donc à celui qui oublie ce qu’il doit à ceux qui l’ont soutenu dans sa faiblesse, qui avec la vie matérielle lui ont donné la vie morale, qui souvent se sont imposé de dures privations pour assurer son bien-être ; malheur à l’ingrat, car il sera puni par l’ingratitude et l’abandon ; il sera frappé dans ses plus chères affections, quelquefois dès la vie présente, mais certainement dans une autre existence, où il endurera ce qu’il aura fait endurer aux autres.
Certains parents, il est vrai, méconnaissent leurs devoirs, et ne sont pas pour leurs enfants ce qu’ils devraient être ; mais c’est à Dieu de les punir et non à leurs enfants ; ce n’est pas à ceux-ci de le leur reprocher, parce que peut-être eux-mêmes ont mérité qu’il en fût ainsi. Si la charité fait une loi de rendre le bien pour le mal, d’être indulgent pour les imperfections d’autrui, de ne point médire de son prochain, d’oublier et de pardonner les torts, d’aimer même ses ennemis, combien cette obligation n’est-elle pas plus grande encore à l’égard des parents ! Les enfants doivent donc prendre pour règle de leur conduite envers ces derniers, tous les préceptes de Jésus concernant le prochain, et se dire que tout procédé blâmable vis-à-vis d’étrangers l’est encore plus vis-à-vis des proches, et que ce qui peut n’être qu’une faute dans le premier cas peut devenir crime dans le second, parce qu’alors au manque de charité se joint l’ingratitude.
4. Dieu a dit : « Honorez votre père et votre mère, afin que vous viviez longtemps sur la terre que le Seigneur votre Dieu vous donnera » ; pourquoi donc promet-il comme récompense la vie sur la terre et non la vie céleste ? L’explication en est dans ces mots : « Que Dieu vous donnera », supprimés dans la formule moderne du décalogue, ce qui en dénature le sens. Pour comprendre cette parole, il faut se reporter à la situation et aux idées des Hébreux à l’époque où elle a été dite ; ils ne comprenaient pas encore la vie future ; leur vue ne s’étendait pas au-delà de la vie corporelle ; ils devaient donc être plus touchés de ce qu’ils voyaient que de ce qu’ils ne voyaient pas ; c’est pourquoi Dieu leur parle un langage à leur portée, et, comme à des enfants, leur donne en perspective ce qui peut les satisfaire. Ils étaient alors dans le désert ; la terre que Dieu leur donnera était la Terre Promise, but de leurs aspirations : ils ne désiraient rien de plus, et Dieu leur dit qu’ils y vivront longtemps, c’est-à-dire qu’ils la posséderont longtemps s’ils observent ses commandements.
Mais à l’avènement de Jésus, leurs idées étaient plus développées ; le moment étant venu de leur donner une nourriture moins grossière, il les initie à la vie spirituelle en leur disant : « Mon royaume n’est pas de ce monde ; c’est là, et non sur la terre, que vous recevrez la récompense de vos bonnes œuvres. » Sous ces paroles, la Terre Promise matérielle se transforme en une patrie céleste ; aussi, quand il les rappelle à l’observation du commandement : « Honorez votre père et votre mère, » ce n’est plus la terre qu’il leur promet, mais le ciel. (Chap. II et III.)
Qui est ma mère et qui sont mes frères ?
5. Et étant venu dans la maison, il s’y assembla une si grande foule de peuple qu’ils ne pouvaient pas même prendre leur repas. – Ce que ses proches ayant appris, ils vinrent pour se saisir de lui, car ils disaient qu’il avait perdu l’esprit