Éloge de Fénelon

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jean-François de LA HARPE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Parmi les noms célèbres qui ont des droits aux éloges publics et aux hommages des peuples, il en est que l’admiration a consacrés, qu’il faut honorer sous peine d’être injuste, et qui se présentent devant la postérité environnés d’une pompe imposante et des attributs de la grandeur : il en est de plus heureux, qui réveillent dans les cœurs un sentiment plus flatteur et plus cher, celui de l’amour, qu’on ne prononce point sans attendrissement, qu’on n’oublierait pas sans ingratitude, que l’on exalte à l’envi, non pas tant pour remplir le devoir de l’équité que pour se livrer au plaisir de la reconnaissance, et qui, loin de rien perdre en passant à travers les âges, recueillent sur leur route de nouveaux honneurs, et arriveront à la dernière postérité précédés des acclamations de tous les peuples, et chargés des tributs de tous les siècles.

Tels sont les caractères de gloire qui appartiennent aux vertus aimables et bienfaisantes, et aux talents qui les inspirent. Tels sont ceux du grand homme que la nation célèbre aujourd’hui par la voix de ses orateurs et sous les auspices de sa première académie. Fénelon est parmi les gens de lettres ce que Henri IV est parmi les rois. Sa réputation est un dépôt conservé par notre amour, et son panégyriste, quel qu’il soit, est surpassé d’avance par la sensibilité de ceux qui l’écoutent. Il n’est peut-être aucune classe d’hommes à qui l’on ne puisse offrir son éloge, et qui ne doive s’y intéresser. Je dirai aux littérateurs, il eut l’éloquence de l’âme et le naturel des anciens ; aux ministres de l’Église, il fut le père et le modèle de son peuple ; aux controversistes, il fut tolérant, il fut docile ; aux courtisans, il ne rechercha point la faveur, et fut heureux dans la disgrâce ; aux instituteurs des rois, la nation attendait son bonheur du prince qu’il avait élevé ; à tous les hommes, il fut vertueux, il fut aimé. Ses ouvrages furent des leçons données, par un génie ami de l’humanité, à l’héritier d’un grand empire.

Ainsi je rapprocherai l’histoire de ses écrits de l’auguste éducation qui en fut l’objet. Je le suivrai de la gloire à la disgrâce, de la cour à Cambrai, sur le théâtre de ses vertus épiscopales et domestiques ; et je puis remarquer d’avance, comme un trait rare et peut-être unique, que l’honneur d’être compté parmi nos premiers écrivains, qui suffit à l’ambition des plus beaux génies, est le moindre de Fénelon.

 

 

 

PARTIE 1

 

Entre les avantages que Fénelon dut à la nature ou à la fortune, à peine faut-il compter celui de la naissance.

Un homme tel que lui devait répandre sur ses ancêtres plus d’illustration qu’il n’en pouvait recevoir. Un hasard plus heureux peut-être, c’était d’être né dans un siècle où il pût prendre sa place. Cette âme douce et tendre, toute remplie de l’idée du bonheur que peuvent procurer aux nations policées les vertus sociales et les sacrifices de l’intérêt et des passions, se serait trouvée trop étrangère dans ces temps d’ignorance et de barbarie, où l’on ne connaissait de prééminence que la force qui opprime, ou la politique qui trompe.

Sa voix se fût perdue parmi les clameurs d’une multitude grossière et dans le tumulte d’une cour orageuse ; ses talents eussent été méconnus ou ensevelis. Mais la nature le plaça dans un temps de lumière et de splendeur.

Lorsque après des études distinguées qui annonçaient déjà tout ce qu’il serait un jour, après les épreuves nécessaires pour être admis aux honneurs du sacerdoce, il parut à la cour de Louis XIV : la France était à son époque la plus brillante. Le trône s’élevait sur des trophées, et ne foulait point les peuples.

Le monarque, entouré de tous les arts, était digne de leurs hommages, et leur offrait son règne pour objet de leurs travaux.

L’activité inquiète et bouillante du caractère françois, longtemps nourrie de troubles et de discordes, semblait n’avoir plus pour aliment que le désir de plaire au héros couronné, qui daignait encore être aimable. L’ivresse de ses succès et les agréments de sa cour avaient subjugué cette nation sensible, qui ne résiste ni aux grâces ni à la gloire. Les sentiments qu’il inspirait étaient portés jusqu’à un excès d’idolâtrie, dont l’Europe même donnait l’excuse et l’exemple. Tout était soumis et se glorifiait de l’être. Il n’y avait plus de grandeur qu’aux pieds du trône ; et l’adulation même avait pris l’air de la vérité et le langage du génie.

Fénelon, apportant au milieu de la cour la plus polie de l’univers des talents supérieurs, des mœurs douces, des vertus indulgentes, devait être accueilli par tout ce qui avait assez de mérite pour sentir le sien, et attirer les regards d’un maître à qui nulle espèce de mérite n’échappait. Dès l’âge de dix-neuf ans, il s’était essayé dans le ministère de la parole évangélique, et avait réussi après Bossuet et Bourdaloue. Ses succès même avaient été si brillants, que son oncle, le marquis de Fénelon, homme de mœurs sévères et d’une probité respectée, craignit que le jeune apôtre ne se livrât trop aux impressions d’une gloire mondaine, et l’obligea de se renfermer dans les fonctions les plus obscures d’un état dont tous les devoirs sont également sacrés. Il fallut, dans l’âge où l’on est avide de succès et plein du sentiment de ses forces, que ce génie naissant ralentît son essor et descendît de sa hauteur. Cette première épreuve, qui était pénible, parut cependant ne pas coûter beaucoup à sa docilité naturelle. Il étudia tous les exercices de la religion et de la piété sous la conduite du supérieur de Saint-Sulpice.

Mais ceux qui le voyaient obéir le jugèrent bientôt digne de commander. On crut pouvoir confier à sa jeunesse une place qui semblait demander de la maturité, celle de supérieur des nouvelles catholiques.

C’étaient pour la plupart de jeunes personnes arrachées à l’hérésie, et qu’il fallait affermir dans une croyance qui n’était pas celle de leurs pères. Pour cet emploi, sans doute, on ne pouvait mieux choisir. Personne n’était plus capable que lui de tempérer l’austérité de sa mission en faveur d’un sexe délicat et sensible, près de qui le don de persuader ne peut guère être séparé de celui de plaire, et à qui le législateur de l’Évangile n’a jamais adressé que des paroles de grâce, de clémence et de paix. Là commencèrent à se développer les qualités apostoliques de Fénelon : c’est alors qu’il composa le traité de l’éducation des filles, et celui du ministère des pasteurs, premières productions de sa plume. Le bruit de ses travaux vint jusqu’aux oreilles de Louis XIV, d’autant plus flatté de ce genre de succès qu’il croyait sa gloire intéressée à effacer jusqu’aux derniers vestiges du calvinisme.

C’est à regret, c’est en gémissant, que, pour ne pas trahir la mémoire de Fénelon, je rappelle ici des violences odieuses exercées contre des sujets paisibles qu’on pouvait ramener par la tolérance, ou du moins contenir par l’autorité. Je ne recherche point le triste plaisir d’accuser les mânes d’un monarque illustre. En déplorant ces abus horribles dont je suis forcé de parler, je ne les impute ni au prince qui fut séduit, ni à la religion qui les désavoue, ni à la nation qui les déteste. Mais je ne dois pas omettre l’un des plus beaux traits de la vie de Fénelon, celui qui décela le premier toute la bonté de son âme et la supériorité de ses lumières. Le roi le charge d’une mission dans la Saintonge et dans l’Aunis ; mission, il faut bien le dire, qui devait, comme les autres, être soutenue par les armes et escortée de soldats. Qu’il ait eu horreur de cet affreux ministère, ce n’est pas là ce que j’admire. Était-il donc le seul qui éprouvât un sentiment si juste et si naturel ? Ferons-nous cette injure à une nation telle que la nôtre, de croire que lui seul connût alors l’humanité ? Non ; mais lui seul la défendit.

Hélas ! Il est si commun d’être humain par caractère et cruel par principe ! On ne connaît que trop cette pitié stérile et barbare qui plaint les malheureux qu’elle immole : ce n’était pas celle de Fénelon. Une sensibilité profonde et éclairée, qui, lorsqu’il s’agit de morale, devient une raison sublime, l’élevait alors au-dessus de son siècle, et lui faisait voir les suites funestes de ce système d’oppression. Il déclare qu’il ne se chargera point de porter la parole divine si on lui donne des soutiens qui la déshonorent, et qu’il ne parlera au nom de Dieu et du roi que pour faire aimer l’un et l’autre. Ce courage de la vérité en imposa aux préjugés et au pouvoir. Deux provinces, grâces à ses soins, furent préservées du fléau de la persécution qui en accablait tant d’autres. Lui seul offrit à la religion des conquêtes dignes d’elle et de lui. D’autres se contentèrent de gémir en exécutant des ordres rigoureux ; d’autres eurent des remords ; lui seul eut de la vertu.

S’il est pour l’homme vertueux une récompense qui puisse le toucher après le témoignage de son propre cœur, c’est l’amitié de ceux qui lui ressemblent ; et c’est le tribut que recueillit Fénelon en reparaissant à Versailles.

Les Beauvilliers, les Chevreuse, les Langeron, parurent s’honorer du titre de ses amis. Les belles âmes se jugent, s’entendent et se recherchent. Ces hommes rares se faisaient respecter par une conduite irréprochable et des connaissances étendues, dans une cour où les principes de l’honneur et l’élévation du caractère entraient au moins pour quelque chose dans les talents de plaire et les moyens de s’agrandir. Content de leurs suffrages, heureux dans leur société, Fénelon négligeait d’ailleurs tout ce qui pouvait l’avancer dans la carrière des dignités ecclésiastiques. Il les méritait trop pour les briguer. Il est bien rare que les distributeurs des grâces, même en reconnaissant le mérite, aillent au-devant de lui. La vanité veut des clients, et l’intérêt veut des créatures.

Fénelon, recommandé par la voix publique, allait pourtant être nommé à l’évêché de Poitiers ; il était même inscrit sur la feuille.

Mais ses concurrents mirent plus d’art à le traverser qu’il n’en mit à se maintenir. Il fut rayé ; et déjà s’ouvrait devant lui un autre champ de gloire et de travaux. L’éducation du petit-fils de Louis XIV devenait un objet de rivalité entre tout ce que la cour avait de plus éminent en mérite. Beauvilliers, gouverneur du jeune prince, devait désirer un associé tel que Fénelon. Louis XIV crut Beauvilliers et la renommée ; et Fénelon fut chargé de former un roi.

L’orgueil peut être flatté d’un pareil choix ; l’ambition peut s’en applaudir. Combien les sentiments qu’éprouve Fénelon sont plus nobles et plus purs ! Cette âme enflammée de l’amour des hommes va donc travailler pour leur bonheur ! Elle pourra faire passer dans l’âme d’un prince ce feu sacré qui l’anime elle-même, et qui, semblable au feu de Vesta, qui assurait jadis les destins de Rome tant qu’il brûlait sur les autels, assurerait de même le bonheur des empires, s’il brûlait toujours dans le cœur des souverains ! Combien Fénelon se croit heureux ! Ses pensées ne seront point vaines, et ses vœux ne seront point stériles. Tout ce qu’il a conçu et désiré en faveur du genre humain, va germer dans le sein de son auguste élève, pour porter un jour des fruits de gloire et de prospérité. Il va se faire entendre à cette âme neuve et flexible ; il la nourrira de vérités et de vertus ; il y imprimera les traits de sa ressemblance. Voilà le bonheur dont il jouit. Telle était, s’il est permis de s’exprimer ainsi, telle était la pensée du créateur, quand il dit : « Faisons l’homme à notre image. »

Plein de ces grandes espérances, il embrasse avec transport les laborieuses fonctions qui vont occuper sa vie. Cesser d’être à soi, et n’être plus qu’à son élève ; ne plus se permettre une parole qui ne soit une leçon, une démarche qui ne soit un exemple ; concilier le respect dû à l’enfant qui sera roi, avec le joug qu’il doit porter pour apprendre à l’être ; l’avertir de sa grandeur pour lui en tracer les devoirs et pour en détruire l’orgueil ; combattre des penchants que la flatterie encourage, des vices que la séduction fortifie ; en imposer par la fermeté et par les mœurs au sentiment de l’indépendance si naturel dans un prince ; diriger sa sensibilité et l’éloigner de la faiblesse ; le blâmer souvent sans perdre sa confiance ; le punir quelquefois sans perdre son amitié ; ajouter sans cesse à l’idée de ce qu’il doit, et restreindre l’idée de ce qu’il peut ; enfin, ne tromper jamais ni son disciple, ni l’état, ni sa conscience : tels sont les devoirs que s’impose un homme à qui le monarque a dit : je vous donne mon fils ; et à qui les peuples disent : donnez-nous un père.

À ces difficultés générales se joignaient des obstacles particuliers qui appartenaient au caractère du jeune prince. Avec des qualités heureuses, il avait tous les défauts qui résistent le plus au frein de la discipline ; un naturel hautain, qui s’offensait des remontrances et s’indignait des contradictions ; une humeur violente et inégale, qui se manifestait tantôt par l’emportement, tantôt par le caprice ; une disposition secrète à mépriser les hommes, qui perçait à tout moment : voilà ce que l’instituteur eut à combattre, et ce que lui seul peut-être pouvait surmonter. Il y avait deux écueils également à craindre pour lui, et où viennent échouer presque tous ceux qui se condamnent à élever la jeunesse ; c’était, ou de céder par lassitude et par faiblesse à des penchants si difficiles à rompre, ou d’aigrir et de révolter sans retour une âme si prompte et si fière, en la heurtant avec trop peu de ménagement. Mais Fénelon ne pouvait pas être dur, et il sut n’être pas faible. Il n’ignorait pas que dans tous les caractères il y a une impulsion irrésistible dont on ne peut briser le ressort, mais que l’on peut tromper et détourner par degrés, en la dirigeant vers un but. Le duc de Bourgogne avait l’âme impérieuse et pleine de tous les désirs de la domination. Son maître sut tourner cette disposition dangereuse au profit de l’humanité et de la vertu. Sans trop blâmer son élève de se croire fait pour commander aux hommes, il lui fit sentir combien son orgueil se proposait peu de chose en ne voulant d’autre empire que celui dont il recueillerait l’héritage, comme on hérite du patrimoine de ses pères, au lieu d’ambitionner cet autre empire fait pour les âmes vraiment privilégiées et fondé sur les talents qu’on admire et sur les vertus qu’on adore. Il s’emparait ainsi de cette âme dont la sensibilité impétueuse ne demandait qu’un aliment.

Il l’enivrait du plaisir si touchant que l’on goûte à être aimé, du pouvoir si noble que l’on exerce en faisant du bien, de la gloire si rare que l’on obtient en se commandant à soi-même. Lorsque le prince tombait dans ces emportements dont il n’était que trop susceptible, on laissait passer ce moment d’orage où la raison n’aurait pas été entendue. Mais, dès ce moment, tout ce qui l’approchait avait ordre de le servir en silence et de lui montrer un visage morne. Ses exercices même étaient suspendus ; il semblait que personne n’osât plus communiquer avec lui, et qu’on ne le crût plus digne d’aucune occupation raisonnable.

Bientôt le jeune homme, épouvanté de sa solitude, troublé de l’effroi qu’il inspirait, ne pouvant plus vivre avec lui ni avec les autres, venait demander grâce, et prier qu’on le réconciliât avec lui-même. C’est alors que l’habile maître, profitant de ses avantages, faisait sentir au prince toute la honte de ses fureurs, lui montrait combien il est triste de se faire craindre et de s’entourer de la consternation. Sa voix paternelle pénétrait dans un cœur ouvert à la vérité et au repentir, et les larmes de son élève arrosaient ses mains.

Ainsi c’était toujours dans l’âme du prince qu’il prenait les armes dont il combattait ses défauts : il ne l’éclairait que par le témoignage de sa conscience, et ne le punissait qu’en le faisant rougir de lui-même. Cette espèce de châtiment est sans doute la plus salutaire : car l’humiliation qui nous vient d’autrui est un outrage ; celle qui vient de nous est une leçon.

Il n’opposait pas un art moins heureux à la légèreté de l’esprit et aux inégalités de l’humeur. La jeunesse est avide d’apprendre, mais se lasse aisément de l’étude : un travail suivi lui coûte ; il coûte même à la maturité.

Fénelon, pour fixer l’inconstance naturelle de son disciple, semblait toujours consulter ses goûts, que pourtant il faisait naître. Une conversation qui paraissait amenée sans dessein, mais qui toujours en avait un, réveillait la curiosité ordinaire à cet âge, et donnait à une étude nécessaire l’air d’une découverte agréable.

Ainsi passaient successivement sous ses yeux toutes les connaissances qu’il devait acquérir, et qu’on faisait ressembler à des grâces qu’on lui accordait, dont le refus même devenait une punition. L’adresse du maître mettait de l’ordre et de la suite dans ce travail, en paraissant n’y mettre que de la variété. Le prince s’accoutumait à l’application, et sentait le prix du savoir. Un des secrets de l’instituteur était de paraître toujours le traiter en homme et jamais en enfant. On gagne beaucoup à donner à la jeunesse une haute opinion de ce qu’elle peut faire. Elle vous croit aisément quand vous lui montrez de l’estime. Cet âge n’a que la candeur de l’amour-propre, et n’en a pas les défiances.

À des soins si sagement ménagés et si constamment suivis, que l’on joigne la douceur attirante et affectueuse de Fénelon, sa patience inaltérable, la flexibilité de son zèle et ses inépuisables ressources quand il s’agissait d’être utile, et l’on ne sera pas surpris du prodigieux changement qu’on remarqua dans le jeune prince, devenu depuis l’idole de la cour et de la nation. Oh ! si nous pouvions réveiller du sommeil de la tombe les générations ensevelies, ce serait à elles de prendre la parole, de tracer le portrait de ce prince, qui serait vraiment l’éloge de Fénelon.

« C’est lui, diraient-elles, dont l’enfance nous avait donné des alarmes, dont la jeunesse nous rendit l’espérance, dont la maturité nous transporta d’admiration, dont la mort trop prompte nous a coûté tant de larmes. C’est lui que nous avons vu si affable et si accessible dans sa cour, si compatissant pour les malheureux, adoré dans l’intérieur de sa maison, ami de l’ordre, de la paix et des lois. C’est lui qui, lorsqu’il commanda les armées, était le père des soldats, les consolait dans leurs fatigues, les visitait dans leurs maladies. C’est lui dont l’âme était ouverte à l’attrait des beaux arts, aux lumières de la philosophie, lui qui fut le bienfaiteur de La Fontaine ; c’est lui que nous avons vu verser sur les misères publiques des pleurs qui nous promettaient de les réparer un jour. Hélas ! les nôtres ont coulé trop tôt sur ses cendres ; et quand le grand Louis fut frappé dans sa postérité de tant de coups à la fois, nous avons vu descendre dans le cercueil l’espoir de la France et l’ouvrage de Fénelon. »

Ce qui peut achever l’éloge du maître et du disciple, c’est le tendre attachement qui les liait l’un à l’autre, et qui ne finit qu’avec leur vie. Le duc de Bourgogne voulut toujours avoir pour ami et pour père son respectable instituteur. On ne lit point sans attendrissement les lettres qu’ils s’écrivaient.

Plus capable de réflexion à mesure qu’il avançait en âge, le prince se pénétrait des principes de gouvernement que son éducation lui avait inspirés ; et l’on croit que s’il eût régné, la morale de Fénelon eût été la politique du trône.

Ce prince pensait (du moins il est permis de le croire en lisant les écrits faits pour l’instruire), il pensait que les hommes, depuis qu’ils ont secoué le joug de l’ignorance et de la superstition, sont dignes de ne plus porter que celui des lois dont les rois justes sont les vivantes images ; que les monarques ayant dans leurs mains les deux grands mobiles de tout pouvoir, l’or et le fer, et redevables au progrès des lumières du progrès de l’obéissance, en doivent d’autant plus respecter les droits naturels des peuples, qui ont mis sous la protection du trône tout ce qu’ils ne peuvent plus défendre ; que l’autorité qui n’a plus rien à faire pour elle-même, est comptable de tout ce qu’elle ne fait pas pour l’État ; qu’on ne peut alléguer aucune excuse à des peuples qui souffrent et qui obéissent ; que les plaintes de la soumission sont sacrées, et que les cris du malheur, s’ils sont repoussés par le prince, montent au trône de Dieu ; qu’il n’est jamais permis de tromper ni ses sujets ni ses ennemis ; et qu’il faut, s’il est possible, ne faire sentir aux uns et aux autres ni trop de faiblesse ni trop de puissance ; que toutes les nations étant fixées dans leurs limites, et ne pouvant plus craindre ni méditer ces grandes émigrations qui jadis ont changé la face de l’univers, la fureur de la guerre est une maladie des rois et des ministres, dont les peuples ne devraient ressentir ni les accès ni les fléaux ; qu’enfin, excepté ces moments de calamité où l’air est infecté de vapeurs mortelles et où la terre refuse le tribut de ses moissons ; excepté ces jours de désastres marqués par les rigueurs de la nature ; dans tout autre temps lorsque les hommes sont malheureux, ceux qui les gouvernent sont coupables.

Telles sont les maximes répandues en substance dans les dialogues des morts, ouvrage rempli des notions les plus saines sur l’histoire, et des vues les plus pures sur l’administration ; dans les directions pour la conscience d’un roi, que l’on peut appeler l’abrégé de la sagesse et le catéchisme des princes ; mais surtout dans le Télémaque, chef-d’œuvre de son génie, l’un des ouvrages originaux du dernier siècle, l’un de ceux qui ont le plus honoré et embelli notre langue, et celui qui plaça Fénelon parmi nos plus grands écrivains.

Son succès fut prodigieux, et la célébrité qu’il eut n’avait pas besoin de ces applications malignes qui le firent rechercher encore avec plus d’avidité, et laissèrent dans l’âme de Louis XIV des impressions qui ne s’effacèrent point. La France le reçut avec enthousiasme, et les étrangers s’empressèrent de le traduire.

Quoiqu’il semble écrit pour la jeunesse, et particulièrement pour un prince, c’est pourtant le livre de tous les âges et de tous les esprits. Jamais on n’a fait un plus bel usage des richesses de l’antiquité et des trésors de l’imagination. Jamais la vertu n’emprunta pour parler aux hommes un langage plus enchanteur, et n’eut plus de droits à notre amour.

Là se fait sentir davantage ce genre d’éloquence qui est propre à Fénelon, cette onction pénétrante, cette élocution persuasive, cette abondance de sentiment qui se répand de l’âme de l’auteur, et qui passe dans la nôtre, cette aménité de style qui flatte toujours l’oreille et ne la fatigue jamais ; ces tournures nombreuses où se développent tous les secrets de l’harmonie périodique, et qui pourtant ne semblent être que les mouvements naturels de sa phrase et les accents de sa pensée ; cette diction toujours élégante et pure qui s’élève sans effort, qui se passionne sans affectation et sans recherche ; ces formes antiques qui sembleraient ne pas appartenir à notre langue, et qui l’enrichissent sans la dénaturer ; enfin cette facilité charmante, l’un des plus beaux caractères du génie, qui produit de grandes choses sans travail, et qui s’épanche sans s’épuiser.

Quel genre de beautés ne se trouve pas dans le Télémaque ? L’intérêt de la fable, l’art de la distribution, le choix des épisodes, la vérité des caractères, les scènes dramatiques et attendrissantes, les descriptions riches et pittoresques, et ces traits sublimes qui, toujours placés à propos et jamais appelés de loin, transportent l’âme et ne l’étonnent pas.

Il avait formé son goût sur celui des anciens, c’est-à-dire que la trempe de son esprit se trouvait analogue à celle des meilleurs écrivains de la Grèce et de Rome ; car l’étude et la méthode ne servent qu’à mettre nos sentiments en principes ; et c’est toujours notre caractère qui anime notre style, et qui lui donne son empreinte. En observant de près quel est ce caractère dans l’auteur du Télémaque et dans ses illustres modèles, on trouvera que c’est une sensibilité exquise du cœur et des organes. Il ne faut pas se méprendre à ce mot. Ce n’est point cette chaleur apprêtée qui couvre d’expressions vives et de figures violentes des idées communes ou fausses, comme un acteur médiocre gesticule avec force et pousse de grands cris, sans être ému et sans émouvoir. La sensibilité dont je parle résulte à la fois d’une âme prompte à s’affecter et d’un esprit prompt à apercevoir ; c’est celle qui, ne résistant point à l’impression des objets, les rend comme elle les a reçus, sans songer à leur ajouter rien, mais aussi sans leur rien ôter ; qui, gardant des traces fidèles de ce qu’elle a éprouvé, se trouve toujours d’accord avec ce qu’ont éprouvé les autres, et leur raconte leurs sensations ; c’est elle qui laisse tomber une larme au moindre cri, au moindre accent de la nature, mais qui demeure l’œil sec à toutes les contorsions de l’art, qui dans ce qu’elle compose donne aux lecteurs plus de plaisir qu’ils ne lui supposent de mérite, leur inspire plus d’intérêt que d’admiration, et se rapprochant toujours d’eux, les attache toujours davantage ; c’est elle qui faisait les vers de Racine, qui prête tant de charmes aux tendresses de Tibulle, et même à la négligence de Chaulieu ; c’est elle enfin qui répandit sur les écrits de Fénelon des couleurs si douces et si aimables, et qui nous y rappelle sans cesse, comme nous sommes rappelés vers une société qui nous charme, ou vers l’ami qui nous console.

Le discours qu’il prononça dans l’académie lorsqu’elle le reçut parmi ses membres, la lettre qu’il lui adressa sur la poésie, les dialogues sur l’éloquence, sont autant de monuments de la plus belle littérature et de la critique la plus lumineuse. Il est impossible en les lisant de ne pas aimer les anciens, la poésie, les arts, et surtout de ne pas l’aimer lui-même. Mais cet amour qu’il inspire à ses lecteurs n’a-t-il pas un peu égaré ceux qui ont voulu regarder le Télémaque comme un poème épique ? C’est dans l’éloge même de Fénelon, c’est en invoquant ce nom cher et vénérable qui rappelle les principes de la vérité et du goût, qu’il faut repousser une erreur que sans doute il condamnerait lui-même. Ne confondons point les limites des arts, et ressouvenons-nous que la prose n’est jamais la langue du poète. Il suffit pour la gloire de Fénelon qu’elle puisse être celle du génie.

Le Télémaque dérobé à la modestie de l’auteur, comme tous ses autres écrits, lui donnait une renommée qu’il ne cherchait pas ; l’archevêché de Cambrai, qu’il n’avait pas demandé, le mettait au rang des princes de l’église, et l’éducation du duc de Bourgogne achevée, au rang des bienfaiteurs de l’État, lorsqu’une déplorable querelle, que son nom seul pouvait rendre fameuse, vint troubler son heureuse et brillante carrière, et versa les chagrins dans son cœur et l’amertume sur ses jours.

Arrêtons-nous un moment avant que d’entrer dans ces tristes détails, et considérons le sort de l’humanité. Comment cet homme si aimé et si digne de l’être trouva-t-il des persécuteurs ? Oh ! que désormais nul mortel ne se flatte d’échapper à la haine et à l’envie, la haine et l’envie n’ont pas épargné Fénelon.

Mais quoi ! Oublions-nous que la disgrâce est le moment du grand homme ? Ne nous hâtons pas de le plaindre. Quand nous le verrons aux prises avec le malheur, nous ne pourrons que l’admirer.

 

 

 

PARTIE 2

 

L’enthousiasme de religion considéré en lui-même, indépendamment des diverses croyances, est le plus puissant de tous et le plus exalté. Comme il appartient tout entier à l’imagination, il est sans bornes comme elle. Il s’élance au-delà des temps et habite dans l’éternité. Il ne change pas les caractères, qu’en général rien ne change ; mais il porte toutes les qualités morales au plus haut point d’activité : il ajoute aux terreurs d’une âme craintive, et le solitaire vit immobile, l’oeil attaché sur les menaces de l’autre vie et sur les profondeurs des enfers : il transporte une âme impétueuse, et l’ardent missionnaire vole aux extrémités du monde pour y porter ses opinions et y chercher le trépas : il agite une âme inquiète et ambitieuse, et le sectaire veut régner sur les esprits, et se dit envoyé de Dieu pour troubler le monde : il tourmente une âme mélancolique et sombre, et le bonze et le fakir exercent leur rage contre eux-mêmes, et offrent leur sang, leurs blessures et leurs supplices au ciel qui les épouvante : il aigrit une âme dure et cruelle, et alors le nom de Dieu est profané, et l’intolérance tire le glaive : enfin il a dû produire également le zèle courageux de Xavier et les extases de sainte Thérèse, le fanatisme héroïque des croisades, et les emportements de Luther, et il dut embraser l’âme pure et tendre de Fénelon de l’amour de l’ordre, de la vérité et de la paix, réunis dans l’idée d’un Dieu.

Puisque Fénelon était destiné à l’erreur, cette erreur au moins ne pouvait être qu’un excès d’amour. C’était l’essence de son caractère. L’amitié, toute sublime qu’elle est quand elle est jointe à la vertu, ne suffisait pas à cette intarissable sensibilité. Il lui fallait un objet immortel, et l’on conçoit sans peine qu’il fut vivement frappé de l’idée d’aimer toujours, et d’aimer sans intérêt et sans crainte. Sa religion n’était qu’amour. Toutes ses pensées étaient célestes. Il suffit de lire dans son Télémaque la description de l’Élisée, pour voir combien il se transportait facilement dans un autre ordre de choses. Ce morceau est le chef-d’œuvre d’une imagination passionnée : toutes les expressions semblent au dessus de l’humain.

C’est la peinture d’un bonheur qui n’appartient pas à l’homme terrestre, et qui ne peut être conçu et senti que par une substance immortelle. En le lisant, on est enlevé dans les cieux, et l’on respire en quelque sorte l’air de l’immortalité. Ceux qui ont observé que l’on a toujours réussi à peindre l’enfer et jamais le paradis, n’ont qu’à jeter les yeux sur l’Élisée du Télémaque, et ils feront du moins une exception.

Plus susceptible qu’aucun autre d’affections extrêmes et de jouissances spéculatives, Fénelon parut avoir porté trop loin le plaisir d’aimer Dieu. Il n’est point de mon devoir de discuter cette controverse théologique, ni même d’examiner comment l’amour de Dieu a pu être l’objet d’une controverse. Je ne retracerai point non plus l’histoire de cette secte appelée quiétisme, et j’écarte de Fénelon cet odieux nom de secte qui semble si peu fait pour lui. J’en crois ses protestations renouvelées tant de fois pendant sa vie et au moment de sa mort, contre l’abus qu’on pourrait faire de ses expressions pour les tourner en hérésie, et je ne saurais croire que la secte de Fénelon ai pu jamais être autre chose que cette grande et respectable société d’hommes vertueux répandus sur la terre et éclairés par ses écrits.

Ce qui intéresse sa mémoire et notre admiration, c’est le contraste de sa conduite avec celle de ses adversaires. Ce n’est pas qu’on veuille obscurcir du moindre nuage la victoire décernée à leur doctrine ; mais on ne peut se dissimuler tout ce que mêlèrent les intérêts humains à ces combats d’opinions et de dogmes.

En parcourant les mémoires du siècle, on voit les athlètes de Port-Royal fatigués de cette longue et pénible lutte, où ils triomphaient par écrit tandis qu’on les accablait par le pouvoir, se retirer de la lice avec adresse ; et alarmer la religion et la cour fut une hérésie naissante. On arme la jalousie secrète de tous ceux qu’avait blessés l’élévation de l’archevêque de Cambrai. Desmarêts, l’évêque de Chartres, plus ardent que les autres, entraîne Madame de Maintenon, qu’il dirigeait.

Cette adroite favorite, née avec un esprit délicat et un caractère faible, qui avait plus de vanité que d’ambition, et plus d’ambition que de sensibilité ; qui ne pouvait ni être heureuse à la cour, ni la quitter ; plus jalouse de gouverner le roi que l’État, et surtout plus savante à gouverner l’un que l’autre ; cette femme qui eut une destinée singulière, sans laisser une réputation éclatante, avait aimé Fénelon comme elle aima Racine, et les abandonna tous les deux. Elle fit plus, elle se joignit à ceux qui sollicitaient à Rome la condamnation de l’archevêque, soit qu’elle fût blessée, comme on l’a dit, de n’avoir pas obtenu sur son esprit et sur ses opinions tout l’ascendant qu’elle prétendait, soit qu’elle n’eût jamais la force de résister à Louis XIV, alors conduit par Bossuet. À ce nom justement respecté, à ce nom qu’on ne peut pas confondre dans la foule des ennemis de Fénelon, étouffons, s’il est possible, les idées peu favorables qui s’élèvent dans tous les esprits ! Ne voyons dans la violence de ses écrits et de ses démarches que la dureté naturelle à un esprit nourri de controverse, et le zèle inflexible d’un théologien qui craint pour la saine doctrine. Il n’est pas en moi de fouiller dans le cœur d’un grand homme pour y chercher des sentiments peu propres à faire chérir sa mémoire ! Il est triste de représenter le génie persécutant la vertu.

Je veux croire que Bossuet, qui avait vu s’élever la jeunesse de Fénelon et naître sa fortune et sa gloire, qui même avait voulu lui imprimer de ses mains le caractère de la dignité épiscopale, ne le vit pas avec les yeux d’un concurrent, après l’avoir vu si longtemps avec les yeux d’un père ; qu’il était vraiment effrayé des erreurs de Fénelon, et non pas de ses succès et de sa renommée ; qu’il poursuivit sa condamnation avec la vivacité d’un apôtre plutôt qu’avec l’animosité d’un rival, et qu’en demandant pardon à Louis XIV de ne lui avoir pas révélé plutôt une hérésie plus dangereuse encore que le calvinisme, il n’était agité que des saintes terreurs d’un chrétien et d’un évêque, et non pas animé de l’ambition d’un courtisan qui voulait se rendre de plus en plus considérable, et qui flattait les dispositions secrètes du monarque, moins blessé peut-être des maximes des saints que des maximes du Télémaque.

Mais s’il est possible de contester sur les reproches qu’on a faits à Bossuet, on ne peut pas se refuser aux éloges que mérita Fénelon.

Jamais on n’a su mieux accorder cette fermeté qui naît de l’intime persuasion et du témoignage de la conscience, avec l’inaltérable modération que les violences et les outrages ne peuvent ni vaincre, ni fatiguer. En même temps qu’il persévère à désavouer les conséquences que l’on tire de ses principes, en même temps qu’il persiste dans le refus d’une rétractation qui pouvait prévenir sa disgrâce, il déclare que s’il ne croit pas devoir céder à ses adversaires qui interprètent mal ses pensées, il ne résistera jamais à l’autorité du Saint Siège qui a le droit de les juger. Il attend ce jugement avec une soumission profonde ; il ne se plaint ni des déclamations injurieuses qu’on se permet contre lui, ni des manœuvres qu’on emploie pour le perdre ; lui-même il couvre d’un voile tous ces ressorts odieux que font jouer les passions humaines ; il défend à son agent à la cour de Rome de se prévaloir des découvertes qu’il a pu faire sur les intrigues de ses ennemis, et surtout de se servir des mêmes armes. Il écrit à Bossuet, qui le traite de blasphémateur : « Je prie Dieu qu’il vous enflamme de ce feu céleste que vous voulez éteindre. » Il écrit à Beauvilliers : « Si le pape me condamne, je serai détrompé » ;... etc.

Enfin Louis XIV laisse éclater sa colère. Les services de Fénelon sont oubliés. Il reçoit l’ordre de quitter la cour et de se retirer à Cambrai. Ses amis sont exilés, ses parents privés de leurs emplois. On presse à Rome l’arrêt de sa condamnation, que l’on arrache avec peine, et que les juges donnent à regret, et même avec des réserves assez obligeantes pour que l’inexorable évêque de Meaux se plaigne que Rome n’en a pas fait assez. Ses ennemis semblent ne pas trouver leur triomphe assez complet. Ils ne savaient pas alors qu’ils lui en préparaient un bien plus digne d’envie, et auquel rien n’a manqué que des imitateurs. Dans le temps même où l’esprit de discorde et de résistance semblait répandu dans l’Église, où l’on voyait de tous côtés l’exemple de la révolte et nulle part celui de l’obéissance, Fénelon monte en chaire, annonce qu’il est condamné et qu’il se soumet ; invite tous les peuples de son diocèse et tous les chrétiens à se soumettre comme lui ; s’oppose au zèle des écrivains de Port-Royal, qui ne voient plus alors que la gloire de le défendre et le plaisir d’attaquer Rome ; enfin il publie ce mandement qui nous a été conservé comme un modèle de l’éloquence la plus touchante et de la simplicité évangélique.

« À Dieu ne plaise, dit-il, qu’il soit jamais parlé de nous que pour se souvenir qu’un pasteur a cru devoir être aussi soumis que le dernier de son troupeau ! »

Cet acte de résignation, écrit en peu de mots et contenu dans une page, a mérité d’échapper à l’oubli où sont plongés ces innombrables volumes, monuments de dispute et de démence, qui ont fait à la religion tout le mal qu’ils pouvaient lui faire, sans produire jamais aucun bien ; au lieu qu’il est vrai de dire que si Dieu voulait faire un miracle pour amener à la foi tout le reste de la terre, il n’en pourrait choisir un plus grand et plus efficace que de renouveler souvent l’exemple et les vertus de Fénelon.

Qui croirait que cet effort de docilité et de patience ne désarma pas ses ennemis ? La haine alla plus loin que Rome, et voulut joindre les humiliations de l’auteur à la proscription de l’ouvrage. Ses propres suffragants, assemblés pour recevoir le bref qui le condamne, osent lui reprocher que son mandement ne marque pas un acquiescement total, et laisse encore un prétexte à la résistance intérieure. Ils décident, contre l’avis du Saint Siège et malgré les réclamations de Fénelon, que tous ses écrits apologétiques sont proscrits avec son livre : et cet avis passe en sa présence à la pluralité. Ainsi l’on accumulait outrage sur outrage ; ainsi au moment même de son abaissement on se vengeait de sa faveur passée, de sa dignité même qui joignait les honneurs de la principauté à ceux de la prélature ; on se vengeait de la gloire qu’il avait acquise en se soumettant ; on se vengeait de sa renommée et du Télémaque. Qu’on ne dise point qu’il est des moyens d’adoucir l’envie. On peut quelquefois terrasser ce monstre, mais on ne l’apprivoise jamais. Il s’indigne également et qu’on lui résiste et qu’on lui cède. Il vous poursuit sans relâche si vous le combattez ; et si vous lui demandez grâce, il vous déchire et vous foule aux pieds.

Bossuet, après sa victoire, passa pour le plus savant et le plus orthodoxe des évêques ; Fénelon après sa défaite, pour le plus modeste et le plus aimable des hommes. Bossuet continua de se faire admirer à la cour ; Fénelon se fit adorer à Cambrai et dans l’Europe.

Peut-être serait-ce ici le lieu de comparer les talents et la réputation de ces deux hommes également célèbres, également immortels. On pourrait dire que tous deux eurent un génie supérieur ; mais que l’un avait plus de cette grandeur qui nous élève, de cette force qui nous terrasse ; l’autre, plus de cette douceur qui nous pénètre et de ce charme qui nous attache. L’un fut l’oracle du dogme, l’autre celui de la morale ; mais il paraît que Bossuet, en faisant des conquêtes pour la foi, en foudroyant l’hérésie, n’était pas moins occupé de ses propres triomphes que de ceux du christianisme ; il semble au contraire que Fénelon parlait de la vertu comme on parle de ce qu’on aime, en l’embellissant sans le vouloir, et s’oubliant toujours sans croire même faire un sacrifice. Leurs travaux furent aussi différents que leurs caractères. Bossuet, né pour les luttes de l’esprit et les victoires du raisonnement, garda même dans les écrits étrangers à ce genre cette tournure mâle et nerveuse, cette vigueur de raison, cette rapidité d’idées, ces figures hardies et pressantes, qui sont les armes de la parole. Fénelon, fait pour aimer la paix et pour l’inspirer, conserva sa douceur même dans la dispute, mit de l’onction jusques dans la controverse, et parut avoir rassemblé dans son style tous les secrets de la persuasion. Les titres de Bossuet dans la postérité sont surtout ses oraisons funèbres et son discours sur l’histoire : mais Bossuet, historien et orateur, peut rencontrer des rivaux. Le Télémaque est un ouvrage unique, dont nous ne pouvons rien rapprocher. Au livre des variations, aux combats contre les hérétiques, on peut opposer le livre sur L’existence de Dieu, et les combats contre l’athéisme, doctrine funeste et destructive qui dessèche l’âme et l’endurcit, qui tarit une des sources de la sensibilité et brise le plus grand appui de la morale, arrache au malheur sa consolation, à la vertu son immortalité, glace le cœur du juste en lui ôtant un témoin et un ami, et ne rend justice qu’au méchant qu’elle anéantit.

Cet ouvrage sur L’existence de Dieu en réunit toutes les preuves ; mais la meilleure, c’était l’auteur lui-même. Une âme telle que la sienne prouve qu’il est quelque chose digne d’exister éternellement. C’est surtout lorsqu’il se vit fixé dans son diocèse, c’est pendant son séjour à Cambrai (que par habitude on appelait son exil, comme si l’on pouvait jamais être exilé là où notre devoir nous a placés), c’est dans ce temps qu’il signala davantage toutes ses qualités personnelles, qui le rendaient vraiment digne de ce nom de pasteur des peuples, qu’autrefois on donnait aux rois.

On a prétendu qu’il regrettait la cour. N’est-ce point vouloir trop lire dans le cœur des hommes ? Il se peut qu’attaché tendrement à la personne du jeune prince, peut-être même à celle de Louis XIV, qu’il était difficile de ne pas aimer, attaché surtout à des amis tel qu’il savait les choisir et les mériter, il regrettât quelquefois et les charmes de leur commerce, et la vue de l’enfant auguste et chéri qu’il avait élevé pour la France, et qu’il portait toujours dans son cœur. Mais quel censeur assez sévère, quel homme assez dur pourrait lui reprocher ces sentiments si justes et si naturels ? Qu’ils sont loin de cette dégradation trop honteuse et trop ordinaire aux courtisans dépouillés, qui, du moment où ils n’ont plus ni théâtres ni spectateurs, tombent aussitôt accablés du poids d’eux-mêmes, et ne se relèvent plus ! Fénelon avait perdu quelque chose sans doute : on tient à ses premières affections, à ses liens habituels : on tient à ses travaux et à ses espérances. On peut même croire que les vertus qui lui restaient à pratiquer, seules consolations d’un homme tel que lui, pouvaient être d’un plus difficile usage que celles qui l’avaient distingué jusqu’alors. Les grands objets appellent les grands efforts, et les épreuves violentes avertissent l’âme de rassembler ses forces. Il est des sacrifices plus pénibles parce qu’ils sont plus durables, qui demandent un courage de tous les moments et un dévouement continuel.

On pouvait, occupant une place à la cour, s’être montré vigilant et irréprochable, et s’endormir dans la mollesse et l’oisiveté sur le siège épiscopal. Pour se refuser à cette facilité encouragée par l’exemple, de remettre ses fonctions à des mains subalternes, pour échapper aux séductions inséparables de l’autorité, pour résister aux douceurs d’un repos qui semble permis après des occupations laborieuses et des succès brillants, pour se dérober même à l’attrait si noble des arts et de l’étude, enfin pour s’oublier soi-même et appartenir tout entier aux autres, il fallait avoir un trésor inépuisable d’amour pour l’humanité, et ne plus rien voir dans la nature que le plaisir de faire du bien. Il y a peu d’hommes assez corrompus pour n’avoir pas connu quelquefois cette espèce de plaisir, mais il est au moins aussi rare de n’en pas connaître d’autre. Ce fut le seul de Fénelon, dès qu’il fut rendu à ses diocésains ; et il ne paraît pas, en lisant les historiens de sa vie, qu’il pût y avoir dans sa journée des moments dérobés aux fonctions de son ministère. Veiller lui-même sur les exercices d’un séminaire qu’il rapprocha de sa résidence pour s’en occuper de plus près ; instruire et former toute cette jeunesse qui doit fournir des soutiens à l’Église et aux fidèles des pasteurs ; parcourir sans cesse les villes et les campagnes pour y présider au maintien de la discipline et au soulagement des peuples ; ne croire aucune fonction du sacerdoce indigne de l’épiscopat : un tel plan de conduite ne laisse aucun accès à la dissipation, et permet à peine le délassement. Je ne trace point ici un modèle imaginaire. Je n’use point du droit des panégyristes d’écrire quelquefois ce qu’on a dû faire plutôt que ce qu’on a fait.

L’éloge doit être fidèle comme l’histoire, et l’éloquence, soit qu’elle loue, soit qu’elle raconte, a toujours à perdre en se séparant de la vérité. C’est cette vérité même, c’est Fénelon, c’est la foule des monuments historiques, c’est cet amas d’autorité que j’atteste ici. Je croirais affaiblir leur témoignage, si j’avais eu la vaine prétention d’y ajouter. Oui, c’est lui, c’est cet écrivain si riche et si sublime, cet esprit si brillant et si délicat, qui descendait jusqu’aux moindres détails de l’administration ecclésiastique, si pourtant on peut descendre en remplissant ses devoirs. Il prêchait dans une église de village aussi volontiers que dans la chapelle de Versailles. Cette voix qui avait charmé la cour de Louis XIV, ce génie qui avait éclairé l’Europe, se faisait entendre à des pâtres et à des artisans, et nul langage ne lui était étranger dès qu’il s’agissait d’instruire les hommes et de les rendre meilleurs. Il se mettait sans peine à la portée de ces esprits simples et grossiers. Il ne préparait point ses discours. C’était un père qui parlait à ses enfants, et qui leur parlait d’eux-mêmes.

Il était sûr d’être inspiré par son cœur, et il sentait que lorsqu’il n’aurait rien à leur dire, c’est qu’il cesserait de les aimer. Il ne combattait point les incrédules en parlant à des laboureurs. Il savait que s’il est des esprits infortunés et superbes qui ne connaissent la religion que par des abus, le peuple ne doit la connaître que par des bienfaits.

Les siens se répandaient autour de lui avec abondance et avec choix. Son bien était vraiment le bien des pauvres. Le désintéressement lui était naturel, et quand le roi lui donna l’archevêché de Cambrai, il résigna l’abbaye de Saint-Valéry, disant qu’il avait assez et même trop d’un seul bénéfice. Il eût été à souhaiter qu’il pût en administrer plusieurs : la bienfaisance n’a jamais trop à donner. Ses revenus étaient distribués entre des ecclésiastiques qui, s’acquittant des devoirs de leur état, n’en recevaient pas assez de secours, et ces maisons de retraite où le sexe en se mettant à l’abri de la séduction n’est pas toujours à l’abri de la pauvreté, et ces asiles consacrés au soulagement de l’humanité où quelquefois elle manque du nécessaire, et ces malheureux qui souffrent en secret plutôt que de s’exposer à rougir, et qui souvent périraient dans l’obscurité, s’il n’y avait pas quelques âmes divines qui cherchent les besoins qui se cachent.

Mais que dis-je ? Il ne s’agit plus d’infortunes secrètes ou particulières. Une plus vaste scène de malheurs s’offre à la sensibilité de Fénelon.

Elle n’est point effacée de notre mémoire, cette époque désastreuse et terrible, cette année, la plus funeste des dernières années de Louis XIV, où il semblait que le ciel voulût faire expier à la France ses prospérités orgueilleuses, et obscurcir l’éclat du beau règne qui eût encore illustré ses annales. La terre stérile sous les flots de sang qui l’inondent, devient cruelle et barbare comme les hommes qui la ravagent, et l’on s’égorge en mourant de faim. Les peuples, accablés à la fois par une guerre malheureuse, par les impôts et par le besoin, sont livrés au découragement et au désespoir. Le peu de vivres qu’on a pu conserver ou recueillir est porté à un prix qui effraie l’indigence, et qui pèse même à la richesse. Une armée, alors la seule défense de l’état, attend en vain sa subsistance des magasins qu’un hiver destructeur n’a pas permis de remplir.

Fénelon donne l’exemple de la générosité ; il envoie le premier toutes les récoltes de ses terres, et l’émulation gagnant de proche en proche, les pays d’alentour font les mêmes efforts, et l’on devient libéral même dans la disette. Les maladies, suites inévitables de la misère, désolent bientôt et l’armée et les provinces. L’invasion de l’ennemi ajoute encore la terreur et la consternation à tant de fléaux accumulés. Les campagnes sont désertes, et leurs habitants épouvantés fuient dans les villes.

Les asiles manquent à la foule des malheureux.

C’est alors que Fénelon fit voir que les cœurs sensibles, à qui l’on reproche d’étendre leurs affections sur le genre humain, n’en aiment pas moins leur patrie. Son palais est ouvert aux malades, aux blessés, aux pauvres, sans exception. Il engage ses revenus pour faire ouvrir des demeures à ceux qu’il ne saurait recevoir. Il leur rend les soins les plus charitables, il veille sur ceux qu’on doit leur rendre. Il n’est effrayé ni de la contagion, ni du spectacle de toutes les infirmités humaines rassemblées sous ses yeux. Il ne voit en eux que l’humanité souffrante. Il les assiste, leur parle, les encourage. Oh ! comment se défendre de quelque attendrissement, en voyant cet homme vénérable par son âge, par son rang, par ses lumières, tel qu’un génie bienfaisant, au milieu de tous ces malheureux qui le bénissent, distribuer les consolations et les secours, et donner les plus touchants exemples de ces mêmes vertus dont il avait donné les plus touchantes leçons !

Hélas ! la classe la plus nombreuse des humains est, dans presque tous les états, réduite à un tel degré d’impuissance et de misère, tellement dévouée à l’oppression et à la pauvreté, que plus d’un pays serait devenu peut-être une solitude, si des vertus souvent ignorées ne combattaient sans cesse les crimes ou les erreurs de la politique. Plus d’un homme public, plus d’un particulier même, a renouvelé ces traits d’une bonté compatissante et généreuse. Mais leurs belles actions ont obtenu moins d’éloges, parce que leur nom avait moins d’éclat. Celui de Fénelon était en vénération dans l’Europe, et sa personne était chère aux étrangers et même à nos ennemis. Eugène et Marlborough, qui accablaient alors la France, lui prodiguèrent toujours ces déférences et ces hommages que la victoire et l’héroïsme accordent volontiers aux talents paisibles et aux vertus désarmées. Des détachements étaient commandés pour garder ses terres, et l’on escortait ses grains jusqu’aux portes de sa métropole. Tout ce qui lui appartenait était sacré. Le respect et l’amour que l’on avait pour son nom avaient subjugué même cette espèce de soldats qui semblent devoir être plus féroces que les autres, puisqu’ils se sont réservé ce que la guerre a de plus cruel, la dévastation et le pillage. Leurs chefs lui écrivaient qu’il était libre de voyager dans son diocèse sans danger et sans crainte, qu’il pouvait se dispenser de demander des escortes françaises, et qu’ils le priaient de permettre qu’eux-mêmes lui servissent de gardes. Ils lui tenaient parole ; et l’on vit plus d’une fois l’archevêque Fénelon conduit par des hussards autrichiens. Il doit être bien doux d’obtenir un pareil empire ; il l’est même de le raconter.

S’il avait cet ascendant sur ceux qui ne le connaissaient que par la renommée, combien devait-il être adoré de ceux qui l’approchaient ! On croit aisément, en lisant ses écrits et ses lettres, tout ce que ses contemporains rapportent des charmes de sa société. Son humeur était égale, sa politesse affectueuse et simple, sa conversation féconde et animée. Une gaîté douce tempérait en lui la dignité de son ministère, et le zèle de la religion n’eut jamais chez lui ni sécheresse ni amertume. Sa table était ouverte pendant la guerre à tous les officiers ennemis ou nationaux que sa réputation attirait en foule à Cambrai. Il trouvait encore des moments à leur donner au milieu des devoirs et des fatigues de l’épiscopat. Son sommeil était court, ses repas d’une extrême frugalité, ses mœurs d’une pureté irréprochable.

Il ne connaissait ni le jeu ni l’ennui. Son seul délassement était la promenade, encore trouvait-il le secret de la faire rentrer dans ses exercices de bienfaisance. S’il rencontrait des paysans, il se plaisait à les entretenir. On le voyait assis sur l’herbe au milieu d’eux, comme autrefois saint Louis sous le chêne de Vincennes. Il entrait même dans leurs cabanes, et recevait avec plaisir ce que lui offrait leur simplicité hospitalière. Sans doute ceux qu’il honora de semblables visites racontèrent plus d’une fois à la génération qu’ils virent naître que leur toit rustique avait reçu Fénelon.

Vers ses dernières années, il se trouva engagé dans une sorte de correspondance philosophique avec le duc d’Orléans, depuis régent de France, sur ces grandes questions qui tourmentent la curiosité humaine, et auxquelles la révélation seule peut répondre. C’est ce commerce qui produisit les lettres sur la religion. C’est vers ce temps que l’on crut qu’il désirait de revenir à la cour. On prétendait qu’il ne s’était déclaré contre le jansénisme que pour flatter les opinions de Louis XIV ; et pour se venger du cardinal de Noailles qui avait condamné le quiétisme. Mais Fénelon connaissait-il la vengeance ? N’était-il pas fait pour aimer le pieux Noailles, quoiqu’il ne pensât pas comme lui ? N’avait-il pas été toujours opposé à la doctrine de Port-Royal ?

Enfin est-ce dans la retraite et dans la vieillesse que cet homme incorruptible qui n’avait jamais flatté, même à la cour, aurait appris l’art des souplesses et de la dissimulation ? Nous avons des lettres originales où il proteste de la pureté de ses intentions, et ne parle du cardinal de Noailles que pour le plaindre et pour l’estimer. Gardons-nous de récuser ce témoignage. Quelle âme mérita mieux que la sienne de n’être pas légèrement soupçonnée ? Il me semble que, dans tous les cas, le parti qui coûte le plus à prendre, c’est de croire que Fénelon a pu tromper.

Sa vie, qui n’excéda pas le terme le plus ordinaire des jours de l’homme, puisqu’elle ne s’étendit guère au-delà de soixante ans, éprouva cependant l’amertume qui semble réservée aux longues carrières. Il vit mourir tout ce qu’il aimait. Il pleura Beauvilliers et Chevreuse ; il pleura le duc de Bourgogne, cet objet de ses affections paternelles, qui naturellement devait lui survivre. C’est alors qu’il s’écria : « Tous mes liens sont rompus ! » Il suivit de près son élève. Une maladie violente et douloureuse l’emporta en six jours. Il souffrit avec constance, et mourut avec la tranquillité d’un cœur pur, qui ne voit dans la mort que l’instant où la vertu se rapproche de l’être suprême dont elle est l’ouvrage. Ses dernières paroles furent des expressions de respect et d’amour pour le roi qui l’avait disgracié, et pour l’Église qui le condamna. Il ne s’était jamais plaint ni de l’un ni de l’autre.

Sa mémoire doit avoir le même avantage que sa vie, celui de faire aimer la religion. Ah ! si elle eût toujours été annoncée par des ministres tels que lui, quelle gloire pour elle, et quel bonheur pour les humains ! Quel honnête homme refusera d’être de la religion de Fénelon ?

Grand Dieu ! car il semble que l’hommage que je viens de rendre à l’un de tes plus dignes adorateurs, soit un titre pour t’implorer, confirme nos vœux et nos espérances. Fais que les vertus de tes ministres imposent silence aux détracteurs de leur foi ; que les maximes de Fénelon, qu’un grand roi trouva chimériques, soient réalisées par de bons princes qui seront plus grands que lui ; qu’au lieu de ces prétendus secrets de la politique, qui ne sont que l’art facile et méprisable de l’intrigue et du mensonge, qu’on apprenne de Fénelon qu’il n’est qu’un seul secret vraiment rare, vraiment beau, celui de rendre les peuples heureux ; que tous les hommes soient convaincus que leur vraie gloire est d’être bons, parce que leur nature est d’être faibles ; que cette gloire soit la seule qu’ambitionnent les souverains, la seule dont leurs sujets leur tiennent compte ; que l’on songe que dix années du règne de Henri IV font disparaître devant lui comme la poussière toute cette foule de héros imaginaires, qui n’ont su que détruire ou tromper ; qu’enfin toutes les puissances de la terre qui se glorifient d’être émanées de toi, ne s’en ressouviennent que pour songer à te ressembler.

 

 

 

 

 

 

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