Le vrai sens du féminisme

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Olivette LAMONTAGNE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le féminisme, comme le conçoivent certains esprits, est une doctrine absolue intéressant directement et exclusivement la femme, doctrine que la femme imposerait par la force de ses convictions, le libre exercice de ses droits et de son empire sur les hommes.

C’est pourquoi, avant de nous aventurer sur un terrain aussi dangereux, nous allons immédiatement élaguer tout ce qui serait de nature à masculiniser la femme et à l’inciter à ce soi-disant bolchevisme féminin qui est une révolte contre la nature même de la femme et qui cherche à détruire ce qu’il y a de meilleur dans l’être humain : son équilibre moral.

Il est pénible de constater que nous ignorons le principe véritable du féminisme pour ne considérer que l’application que nous imaginons de ce principe. Combien de gens appartiennent à un parti politique ou à un autre, sans savoir exactement quels sont les caractères de ce parti ! Il en est de même pour le féminisme ; on est féministe ou on ne l’est pas, ne sachant parfois pourquoi l’on en appuie les théories ou pourquoi on les rejette comme dangereuses et anti-sociales. Il est nécessaire de raisonner ses convictions en les établissant sur la vérité. On ne considère dans le féminisme que l’abus de la doctrine ou du système qu’il préconise. Il faut cependant prendre le sujet sous un aspect plus logique et en appliquer les principes selon les conditions nouvelles que la vie moderne nous impose.

Le féminisme a un sens social ; voilà le fond de sa définition exacte. Cela implique déjà une tendance à améliorer la situation de la femme dans la société, non pas aux dépens de l’homme, mais à l’avantage de la famille. Si nous voulons être justes, c’est à cette signification que nous devons nous en tenir.

Toute idée contraire aux lois de la justice sociale et de la suprématie de la famille sur l’individu est préjudiciable à l’ordre moral et matériel d’une société. Des sociétés neuves peuvent s’organiser ; des morales façonnées pour satisfaire les caprices et les ambitions peuvent se concevoir ; le principe est toujours là, il s’impose pour le bien-être et la stabilité d’un peuple. De ces deux concepts naissent les théories qui affermissent ou désagrègent les sociétés.

Le féminisme bien compris est la collaboration étroite des esprits et des cœurs en vue d’un même idéal : la stabilité et la perfection du sentiment de la famille.

Unir les forces intellectuelles et morales des femmes, les discipliner pour le bien, les organiser dans l’ordre, pour permettre à celles-ci de prendre conscience d’elles-mêmes, de leurs responsabilités et de leur influence, afin de mieux travailler au relèvement des enthousiasmes.

Le féminisme qui tend à réprimer les abus et à favoriser l’application des principes moraux qui sont à la base d’une société parfaite ne saurait être considéré comme arbitraire ou injuste. Le féminisme qui aidera la femme à retrouver le foyer qu’elle a déserté par la force des circonstances et non pour satisfaire de mesquines ambitions personnelles ; celui qui améliorera les conditions de vie des femmes, surtout de celles de nos campagnes, et mettra un peu plus de douceur, de paix et de sécurité à leur foyer ; ce féminisme ne peut être dommageable à personne, et il doit être agréé par les esprits bien-pensants comme un reconstituant des forces intellectuelles et morales pour aider à ramener l’organisme social et économique à un état plus normal.

Tout ce qui est hostile à la famille l’est aussi à la société. Comment voulez-vous que les affaires de l’État soient prospères si l’anarchie règne au sein des foyers par l’exode de la mère qui en est l’âme ? Un foyer que la femme est obligée de quitter pour gagner sa vie meurt bien vite, car il n’est pas activé par le feu de l’amour. Le vent des passions s’empare des cendres mortes du foyer éteint pour les confondre avec la poussière des rues. Les enfants deviennent insensibles à un foyer vide. Ils se découragent, et les plaisirs du dehors, qui ont plus d’attrait que les devoirs, s’emparent de ces pauvres êtres trop jeunes et trop inexpérimentés pour se diriger seuls dans la vie. Alors germent dans leur esprit ces idées de révolte, de désorganisation de l’ordre établi, qui donneront libre cours aux pires excès. Les jeunes concluront qu’il ne peut exister aucune solidarité humaine, aucune entente sociale, aucun esprit familial, et ils ne regarderont la vie qu’à travers leur désenchantement.

Ce n’est pas le féminisme qui est la cause de tous les maux dont nous souffrons ; c’est plutôt l’individualisme de l’homme, comme celui de la femme, qu’ils soient l’un et l’autre dans n’importe quelle sphère de l’activité humaine. De là, la décadence de la morale et celle du sentiment.

Des transformations profondes dues à l’évolution des idées, aux progrès de la science et au triomphe du machinisme, ont porté atteinte aux conditions de la vie sociale. Le machinisme a entraîné à sa suite une innombrable légion de femmes qui, ne pouvant plus trouver au foyer de quoi assurer leur subsistance, se sont dirigées vers les centres où s’est localisée la grande industrie. Créant des emplois de tous genres pour la femme et même pour l’enfant, le machinisme a exploité les forces physiques et morales de ces deux êtres, bien souvent au détriment de l’homme qui demandait un salaire plus élevé. Et l’homme, la femme et l’enfant sont maintenant les esclaves de ses rouages ; ils sont devenus impersonnels et confondus dans un ensemble gigantesque.

La lutte pour la vie déconcerte la femme, surtout quand la situation qu’elle occupe est en opposition avec ses idées et ses aptitudes. Nombreuses sont les jeunes filles qui sollicitent de l’emploi, sans lequel elles mouraient littéralement de faim. Le féminisme, pour ces femmes plus souvent méprisées que protégées, n’est pas une théorie de salon, ni un sujet de discussion brillante, mais une pénible nécessité.

Orienter les jeunes filles vers des carrières féminines, les rattachant ainsi à la grande œuvre humaine et sociale qu’elles sont appelées à remplir dans le monde, serait la plus digne et la plus noble des initiatives. Surtout dans notre siècle, les hommes esquivent de plus en plus les responsabilités et l’effort et qu’ils critiquent ou raillent les femmes qui réclament leurs droits parce qu’eux ont néglileurs devoirs.

Il ne faut pas croire que le féminisme est l’engouement des cerveaux et la passion de l’esprit pour les choses intellectuelles. Le féminisme est de la misère et il n’existe pas dans les pays où les sociétés sont établies sur la répartition des emplois et la division intelligente du travail, non pas selon les sexes, mais suivant les aptitudes ; non pas sur le partage des droits, mais sur la distribution équitable des devoirs.

Le véritable féminisme, que l’on pourrait appeler l’action sociale féminine, est un effort de la femme pour rajuster la société en aidant à rétablir la famille sur ses bases naturelles et en demandant un peu plus de justice pour la femme. « On ne connaît pas assez l’emploi de la justice, écrivait Mgr Dupanloup, on l’ignore même complètement, et il est rare que chacun occupe dans son ménage la place qu’il doit occuper. C’est un empiètement irraisonou une confusion irréfléchie. L’homme doit avoir l’autorité, la femme le conseil ; l’homme doit commander sans dominer, la femme doit obéir sans bassesse ; ils ne sont pas plus l’un que l’autre, ils sont différents. »

Si les hommes et les femmes se connaissaient mieux, nous ne sentirions pas ces sourdes rancunes et ces fausses jalousies qui aigrissent les cœurs. Au lieu de toujours soutenir cette infériorité qui fait commettre tant d’erreurs et cette supériorité qui incite à l’orgueil, il serait plus logique de se comprendre et de s’aider.

Quand chacun des sexes aura compris qu’il a une tâche à remplir et que la tâche de l’homme n’est pas celle de la femme ; quand les efforts de chacun seront appréciés et encouragés en vue du bien commun, il est à espérer que la vie sera vécue avec le minimum de dissensions et de vaines présomptions.

L’équilibre social ne peut être établi que sur la solidarité et la compréhension, plutôt que sur l’exercice outré des droits et l’oubli marqué des devoirs. Les parlements font les lois, mais les femmes peuvent les devancer en contribuant à l’élaboration des lois sociales féminines, et en secondant les initiatives généreuses.

Les lois ayant un caractère familial sont bienfaisantes, car elles permettent l’épanouissement moral de la femme, fortifient la famille et augmentent pour tous les chances de bonheur.

Le salut de notre peuple sera impossible sans un renouveau de l’esprit féminin.

Au-dessus de tous les préjugés sociaux, il est un idéal vers lequel doivent tendre tous ceux qui aiment sincèrement leur pays : vouloir que la petite patrie où nous sommes nés soit heureuse, prospère, admirée et chantée. Ce n’est que par l’expansion de cet idéal dans les cœurs que nous réussirons à grouper les intelligences et les volontés, travaillant chacun dans son domaine, en vue du bien de tous.

Stimuler chez les femmes un patriotisme éclairé qui les incitera à s’unir pour servir. Jamais notre société n’a eu autant besoin d’âmes ardentes, enthousiastes, néreuses, pour nous rapprocher de tout ce qui est vérité, charité et justice.

L’action sociale féminine est nécessaire dans tous les domaines. En arrêter l’évolution saine et normale, c’est porter atteinte à la personnalité de la femme, à ses aspirations, à la conception qu’elle se fait de ses devoirs, aussi bien qu’à sa valeur intellectuelle qui deviendra la réserve morale de notre peuple et le pivot de notre vie sociale.

 

 

 

Olivette LAMONTAGNE, Le long de la route..., 1937.

 

 

 

 

 

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