Rêves d’enfants
par
Olivette LAMONTAGNE
Quelle harmonie délicieuse de sentiments et de poésie ce seul mot éveille dans nos âmes ! Le rêve est la suavité mystérieuse de la vie.
Oiseau divin : le rêve, peut-il se poser sur la branche frêle et fleurie d’une âme d’enfant ?
Quand vous voyez un petit enfant, assis dans un grand fauteuil, un livre d’images sur les genoux et les yeux perdus dans le lointain, avez-vous songé à pénétrer cette cage de cristal si fragile et si belle qu’est une âme d’enfant ?
Ils rêvent et pensent, les enfants, comme nous, les grands. Si nous voyions tout ce qui se passe dans ces petites têtes blondes ou brunes qui s’agitent près de nous ; si nous connaissions tous les rêves des enfants, nous aurions souvent honte de nos rêves qui n’ont plus cette subtilité, cette candeur naïve et ce parfum délicat qu’exhale l’âme des petits quand ils rêvent.
Tout un monde vit dans leur imagination encore neuve. Un monde merveilleux où règne l’idéal souverain. L’enfant bâtit plus d’un roman dans son esprit ; et si l’oiseau bleu du rêve a plus d’attrait que la réalité, il s’empare de ces âmes légères et pures pour les conduire dans le monde inaccessible à ceux qui ont trop vécu.
Notre âme est le bouquet de nos souvenirs d’enfant. Quelle tâche pour les éducatrices que de faire fleurir dans ces petites âmes des fleurs bien saines, bien naturelles, qui demeureront, après des années, humides encore de la rosée du matin de la vie !
L’enfant cueille les mauvaises herbes comme les plus séduisantes. Nous devons donc orner l’âme d’un enfant comme nous ornons l’autel de la Divinité. L’âme juvénile est un tabernacle où Dieu repose, où il se complaît, même quand l’enfant n’est pas sage, car il y trouve cette pureté d’intention qui a le don de le charmer.
Les enfants ne pensent qu’à jouer, disons-nous ! Leurs jeux reflètent déjà leur vraie personnalité et c’est par eux que nous devinerons leurs aptitudes et leurs aspirations. Quand ils cessent de jouer et qu’ils pensent, c’est l’avenir qui leur apparaît dans un nuage de poésie ; et le plus beau rêve des enfants, n’est-ce pas celui de devenir grand ?
Grandir, c’est aussi notre rêve le plus cher ! Nous grandir aux yeux de ceux que nous aimons, de ceux que nous plaçons bien haut dans notre affection reconnaissante. Pourquoi les petits, qui seront les grands de demain, n’auraient-ils pas le même rêve ?
Le héros d’un charmant ouvrage que j’ai lu dans mon enfance avait vu, à quatre ans, mourir sa mère. Ce souvenir avait laissé une empreinte dans cette jeune âme. Et, dans ces paroles, si pleines de mélancolie et de souffrance, comment n’éprouverions-nous pas tout ce qu’une âme d’enfant peut ressentir ! « J’aimais, je n’avais rien d’autre. J’aimais ma mère morte, je l’aimais d’un amour impuissant, je désirais une éternelle absente, un certain regard qui ne me regardait jamais, un certain accent que je ne trouvais plus en aucune parole. Et, le matin, sur mon lit froid, je cherchais sans les voir les fleurs violettes et pâles, à jamais flétries et disparues. »
Elle souffrait, cette âme d’enfant, comme nous, quand nous perdons un être très aimé. Plus que nous, qui rencontrons des sympathies, des âmes sœurs qui nous comprennent parce que nous pouvons nous expliquer. Les enfants, quand ils rêvent et souffrent, sont seuls avec leurs rêves et leur souffrance. Ils n’osent se confier aux compagnons de leurs jeux, et les plus âgés ne voudraient pas les écouter. Bien peu d’entre nous avons cette tendresse sympathique qu’il faut pour comprendre pleinement la douleur d’un enfant.....
Ce n’est pas une besogne facile que de former et de recréer des âmes. Pour y réussir, il faut être juste envers les enfants, qui ont le don de nous juger bien sévèrement parfois. Ils comprennent mieux que nous l’agencement des choses humaines et ils se plient aux circonstances avec une étonnante souplesse.
L’enfant guette plus qu’on ne le croit le spectacle de la vie. Il sait qu’on lui cache tant de choses ; et si nous percions le mystère de son âme, nous saurions vite, quand il rêve, où va sa pensée. Ils rêvent de grandes choses, nos petits. Des rêves héroïques parfois ; mais il faut diriger leurs rêves comme on dirige leurs pas, afin qu’ils ne soient pas trop déçus dans la vie. La réalité, qui vient toujours à son heure, si laide quand le rêve est trop beau, détruira ces châteaux de cartes construits avec amour dans leur imagination.
Si nous nous emparions vraiment de l’âme des petits, nous transformerions le monde, a écrit un philosophe. Personne ne peut résister à cet attrait magique d’un regard d’enfant qui supplie, implore, pour être compris, être aimé. Étudions leur âme pour mieux les former, emparons-nous de leur cœur pour mieux les aimer, soulevons le voile de leur intelligence pour mieux les cultiver. Notre rêve : essayer de pénétrer les rêves d’enfants.
Tous, nous aimons les enfants. Il faut que notre âme soit bien laide pour résister à leurs pleurs, à leurs caresses. Victor Hugo, qui possédait si bien l’art d’être grand-père, s’écriait devant un enfant en larmes : « Ce cri, ce chant qui sort d’un nid, c’est l’homme qui commence et l’ange qui finit. Vénérez-le ! »
Cupidon, petit dieu malin, qui enchaîne les cœurs, prend la forme d’un délicieux bébé blond pour mieux nous séduire et nous charmer.....
L’âme de l’enfant rayonne, et, quand il rêve, ce sont les anges qui descendent chanter sur son petit lit blanc. Ne disons-nous pas d’ailleurs, quand un enfant dort et qu’il sourit, qu’il cause avec les anges ?
Olivette LAMONTAGNE, Le long de la route..., 1937.