Ricardo Güiraldes
par
Valery LARBAUD
Lorsqu’il est mort, à Paris, en octobre dernier, Ricardo Güiraldes préparait depuis deux ou trois ans une édition corrigée et augmentée de son recueil de poèmes, El Cencerro de Cristal, publié en 1915 à Buenos-Aires. Très sévère pour ses ouvrages, il n’avait guère conservé, d’un bon nombre de poésies composées parallèlement à ses deux grands livres de prose, Xaimaca et Don Segundo Sombra, entre 1918 et 1926, que deux groupes lyriques : Poemas Solitarios et Poemas Misticos, qui vont être donnés dans la nouvelle édition que, réalisant son vœu, Mme A. del Carril, sa veuve, a établie. C’est de ce dernier groupe que nous donnons ici la traduction intégrale.
Aucun des sept poèmes qui le composent n’a encore paru dans le texte original, alors que trois des douze « Poèmes solitaires » avaient été publiés dans la revue d’avant-garde « Proa », fondée en 1925, à Buenos-Aires, par Ricardo Güiraldes et quelques-uns de ses amis. Il est vraisemblable qu’il avait hésité à les livrer même au public restreint, l’élite des lettrés argentins, qui suivait « Proa ». Il les gardait pour lui, comme des effusions d’un sentiment trop intime pour être montrées même à ses amis, peut-être même à ses proches.. Dans ses conversations les plus libres, les plus confidentielles, la même pudeur l’empêchait de parler, sinon vaguement, de « ces choses ». Nous avions seulement compris que, durant un séjour qu’il avait fait dans l’Inde, la foi à un monde invisible et à l’immortalité, qu’il avait perdue, lui était revenue, mais sous une forme étrangère aux dogmes chrétiens. C’est ainsi qu’avant d’avoir mieux lu Paul Claudel il disait que l’admiration qu’il avait pour cet écrivain était contrebalancée par la gêne qu’il éprouvait à trouver dans ses œuvres « une morale de vieille fille », et c’était de la morale chrétienne qu’il voulait parler.
Quatre mois avant sa mort, la dernière fois que nous nous rencontrâmes, il aborda plus directement, le sujet « religion », et ce fut pour me demander si je ne m’étais jamais senti attiré vers « l’Orient ». Visiblement, il attachait de l’importance à ma réponse, et souhaitait qu’elle fût affirmative. Je le savais très malade, mais non pas mourant, et je fis ce qu’on appelle une réponse de Normand, sur un ton qui soulignait l’équivoque de la phrase ; quelque chose comme : « Avec l’Occident et Rome j’ai assez. » Mais à sa nouvelle question (sur un ton mi-déçu, mi-rassuré, bien difficile à analyser) : « Vraiment ? » je répondis par les mêmes mots, prononcés tout à fait sérieusement.
Je sens combien il est inconvenant et choquant de parler de moi-même à propos d’un ami mort et célèbre. Mais presque toute l’œuvre de Ricardo Güiraldes est pénétrée d’un sentiment religieux qui semble osciller entre les doctrines qu’il connut dans l’Inde et le catholicisme de sa première éducation ; et, comme cette œuvre est importante à la fois par elle-même et par sa position dans l’histoire de la littérature argentine, tout témoignage concernant ses opinions religieuses est précieux.
Je me bornerai cependant à dire ici, pour résumer les conclusions auxquelles je suis arrivé d’après ses ouvrages et d’après ses confidences, que ce qu’on peut appeler son activité mystique, ou sa vie religieuse, a finalement rejoint la vie de l’Église catholique romaine, dont il a reçu les derniers sacrements.
Les poèmes dont on va lire la traduction, et dont deux seulement sont datés, – le premier de 1926 et le quatrième de 1923, – ont dû être écrits à d’assez longs intervalles entre ces deux dates, et correspondent à des périodes pendant lesquelles le sentiment chrétien dominait en lui. Dans les Poemas Solitarios, écrits avant et pendant ce même laps de temps, le sentiment religieux qui s’exprime est moins nettement chrétien. Quoi qu’il en soit, Poemas Misticos doivent prendre place à la fin de El Cencerro de Cristal, comme l’aboutissement et la conclusion de son œuvre de poète.
Valery LARBAUD.
Paru dans le Roseau d’or en 1928.