SUR LA TOMBE DE TOULET

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jean LEBRAU

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À HENRI MARTINEAU.

 

 

La matinée d’avril n’était que glycines. Le train n’avait laissé que moi sur le quai de la petite gare grise et son bruit se perdait dans la rumeur de l’océan.

Je n’aurais pas voulu grimper avec tant d’allégresse l’étroite rue pressée de verdures. J’allais sur une tombe et tout m’exaltait, jusqu’à ce nom de villa : « Thalassa » qui me donnait envie de m’écrier : thalassa ! thalassa ! comme Moréas, je crois, un jour qu’il revoyait les flots de l’Odyssée. C’est que tout ce rivage basque a quelque chose de dépouillé qui grise, quelque chose de grec. Voyez la race ! On le ressent surtout quand on vient du Béarn où le plaisir est si souvent fait de mollesse. Ici les filles d’Arles et de Perpignan trouveraient des sœurs.

Tout embaumait. J’écrasais des pétales. C’était aussi, près de la dune instable, le temps de l’asphodèle, le lys qu’y courbe un souffle amer.

L’azur voulait s’épanouir. Les glycines du ciel se teintaient de plus en plus. Celles de la tombe passaient, mais pleines d’abeilles encore.

À genoux devant la grille, je ne voyais maintenant que l’océan, perle fondue, deux cargos, la côte écumeuse et sombre d’Espagne. Le presbytère à droite, l’église à gauche délimitent étroitement le paysage. Comme il suffisait à notre entretien, ami que je n’ai pas connu ! Comme il suffisait à votre silence et à ma prière, ce paysage infini où les fumées des bateaux se couchaient sous le vent pareilles à des crinières ! Ces flots portent jusqu’aux rives créoles, et, là, l’Espagne, nerveuse et charnue comme votre poésie, et, comme elle, souvent, consumée jusqu’au cœur – l’ascétisme des passions – mais éclatante de grenadiers, l’Espagne où quand le rossignol chante il faut chanceler, où les Madones se nichent derrière des arabesques de fer forgé, image de vos rythmes à l’épreuve du temps.

Combien de temps suis-je resté ainsi ?... Le plus léger des bruits de pas me fait tressaillir. Une enfant de quinze ans qui traverse le cimetière. Ah ! jolie à ravir, drue et dorée ! Ses blanches sandales effleurent les vieilles dalles. Je crois rêver. Elle porte à bout de bras un baluchon noir qui a la forme d’une outre. Elle ne me voit pas, ni en revenant, presque aussitôt, ayant changé de fardeau, une rose au lieu du foulard enveloppant je ne sais quel peu de marchandise.

Toulet, je ne pourrai jamais séparer de votre souvenir, désormais, celui de cette mystérieuse messagère qui interrompit notre muet colloque. Et toi, jeune belle à la joue ardente, dont la bouche, les yeux et les tresses brillaient, étais-tu son regret des filles de la terre ?

 

Mais peut-être qu’à d’autres yeux

L’autre côté déploie

Le rêve, et les fleurs et la joie

D’un dessin merveilleux.

 

De ces fleurs et de cette joie que je demandais à Dieu de lui prodiguer n’étais-tu plutôt la promesse, adolescente d’annonciation ?

Elle semblait danser, si leste, sa rose à la main, en descendant la courte rue jusqu’à la route. En vérité, la noble race !

Avant de quitter le petit jardin des morts tout embaumé de violiers, j’ai cherché la tombe des quatre frères d’Elbée, héros d’Action Française. Je l’ai trouvée à l’autre chevet de l’église. Le père, le colonel marquis d’Elbée, a rejoint ses enfants dans la gloire éternelle. D’un côté la solitude du poète, de l’autre ce magnifique faisceau de soldats. Différemment, mais l’un et les autres de l’élite de la France ; qui raffermit ses destinées.

L’église est réconfortante comme toutes celles du pays basque. Même dans l’abandon de la semaine, elle garde, telle une conque, la rumeur marine, le bourdonnement fertile des prières, l’atmosphère de la ferveur des foules. Il semble que jamais l’encens des cérémonies ne se dissipe tout à fait, que jamais la chaleur des cierges ne refroidisse ! Et ces tribunes circulaires disent l’affluence des hommes. Je pense avec amertume aux pauvres messes de mon Languedoc viticole et radical-socialiste.

Mais l’heure avance. Je frappe à la porte du presbytère. La servante traditionnelle m’introduit dans la salle à manger.

« À Guéthary, la mer par une fenêtre, un carré bleu tendre, et des oiseaux qui passent, continuellement, dans le même sens... »

Je suis séduit par le tapis de cretonne imprimée qui recouvre la table ronde, sous la suspension, à cause des bouquets de prunes bleues et de grenades entr’ouvertes qui le décorent. Mais voici Monsieur le Curé, lunettes de mandarin et calotte de velours. Ma visite à Paul-Jean Toulet me laisserait insatisfait si je ne serrais la main du bon prêtre qui lui fit faire ses dernières pâques et qui est souvent chargé de prier pour lui. De ce paroissien un peu capricieux – la seule messe dont l’heure ne dérangeât point ses habitudes fut toujours celle de minuit – je rappelle à mon hôte d’un instant ce mot recueilli par le plus sûr des amis, un de ceux qui brûlent, cœur pareil au feu couvert, ce mot que, l’année de l’armistice, Toulet adressait à une dame, férue de beau langage et de hautes pensées, qui lui énumérait les chefs-d’œuvre de l’humanité : « Il y a aussi les Évangiles. »

Je me retrouve sur le chemin légèrement poudreux qu’un couple d’oiseaux traverse, amoureuse poursuite.

« Etchéberria » ? C’est là, non loin du fronton. Je voudrais bien saluer celle qui a provoqué ce frémissant aveu du plus amer et du plus secret de nos maîtres, une de ces lames de fond, un de ces mouvements qui achèvent de vous conquérir : « Au désert de la vie, se sentir aimé tout à coup (car cela aussi arrive), c’est comme à Robinson le pas du sauvage. On a peur d’abord ; et puis de mourir d’espérance. On songe de n’être plus seul. On songe. »

Je regrette de ne pas rencontrer Mme Toulet. Du moins aurai-je vécu quelques minutes dans le petit bureau du rez-de-chaussée, le bureau du meuble d’ébène, où j’ai à peine le temps de remarquer une gerbe d’iris toute fraîche qui témoigne du regret de chaque jour, offrande à l’Absent de celle qui reste, et des soldats de plomb qui me font penser à une des dernières poésies de Toulet, – Petit pioupiou, cœur de flamme... – d’un ton différent, mais poignante comme un départ de fantassins pour le front sur une avenue de province.

 

Et maintenant, regagnant à pied l’orgueilleuse et baroque Biarritz, je me retourne vers les blanches maisons éparses sur lesquelles s’écartent les nues et se pose un azur de papillon, et mon dernier regard, du haut de la côte, est pour l’église ouvrant là-bas son aile de palombe sur l’horizon, l’église tout contre laquelle Paul-Jean Toulet repose sous le signe de la Croix, veillé par l’Amour et par l’Amitié, dans la mélancolie des glycines et la rumeur infinie.

 

 

 

Jean LEBRAU.

 

Paru dans La Muse française en 1923.

 

 

 

 

 

 

 

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