Henri Pourrat

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Henri LEMAÎTRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il est rare que l’histoire littéraire offre une semblable image de coïncidence entre un destin et une vocation : faute de pouvoir être ingénieur agronome, comme il en avait formé le projet, Henri Pourrat se fit le chantre de la terre et du paysan. Mais dans un pays et en un temps où, semblait-il, une carrière littéraire passait inévitablement par Paris, alors que sa santé lui interdisait d’y résider, Henri Pourrat résolut de fonder la grandeur de son œuvre sur sa fidélité à son terroir. À cette conjonction des circonstances et de sa volonté, il dut d’échapper aux limites du « régionalisme » littéraire. Car, et il faut le dire tout de suite, s’il arrive qu’on le classe parmi les « écrivains régionalistes », que ce ne soit pas pour limiter la portée de son œuvre et l’envergure de son talent, mais seulement pour définir la nature et l’origine de son inspiration. « Moi, dit un des Compagnons peints par Pourrat, je fais cas de la sève ! » Ce sens de la sève, pour reprendre l’expression de Henri Clouard, n’est rien de moins que le sens du concret vivant, du mystère et de l’esprit de vie.

Lorsqu’au début de 1966, la Télévision française présentait une remarquable adaptation de Gaspard des Montagnes, elle révélait combien cet écrivain était à la fois populaire et universel. L’on pouvait aussi noter, à cette occasion, l’un des mérites sans doute les plus rares d’Henri Pourrat : sa capacité de charmer ensemble les enfants et les hommes, les esprits neufs et les intelligences cultivées. Sans doute le doit-il à cette aisance obstinée avec laquelle il ne cesse de rejoindre les plus hautes valeurs humaines à travers un cheminement toujours attaché aux réalités les plus immédiates de l’homme et de la nature : qu’on voie plutôt comment, chez lui, la description d’un paysage refuse le pittoresque pourtant facile quand il s’agit de l’Auvergne et recherche, par le choix des mots, par la sonorité des syllabes, par l’organisation du rythme, la plénitude du symbolisme humain. Et c’est à tel point que le rapport entre la description et l’action qui est, pour le romancier ou le conteur, la part peut-être la plus délicate de son art, s’opère ici avec la plus exacte simplicité et la plus complète richesse. L’Auvergne de Pourrat cesse alors d’être enfermée dans les limites du pittoresque régionaliste pour devenir l’indispensable décor, et l’inévitable incarnation d’un humanisme universel, comme elle avait déjà été l’objet d’une poésie simple, savoureuse, telle cette peinture de jeune paysanne que l’on trouve dans Les Montagnards :

 

        Celle qui fait, au fond chaud de l’étable,

        Mousser dans la seille le lait des vaches,

        Celle, la tourte entre les seins, qui taille

        Le pain dans les écuelles sur la table ;

        Et qui, aux champs, a sa part de travail :

        Non la charrue, ni les chars, ni le dail,

        Mais les paniers et le râteau de bois.

 

Car cet écrivain qui s’attacha à ressusciter, dans la région d’Ambert, l’antique industrie du papier de chiffon fabriqué à la main, de sorte qu’aujourd’hui les touristes se pressent en ce lieu autrefois ignoré, cet écrivain qui se disait « vissé au sol natal comme les choux », a le goût inné de la qualité verbale : les mots, avec leur sens et leur figure, les phrases, avec leurs ondulations, leurs brusques arrêts et leurs départs en flèche, ressemblent à des figures chorégraphiques mais aussi à des objets dont le charme serait dans le poids et le mouvement. Henri Pourrat aurait pu être un simple fabricateur de mots, car il y a en lui comme une tentation permanente de l’éloquence ; parfois même on dirait qu’il a hérité du culte parnassien de la forme : et pourtant comme il est loin de tout esthétisme et se montre un admirable artisan de la prose. La seule analyse d’une de ses pages prouverait avec quel soin minutieux à la manière peut-être de Flaubert la phrase est agencée jusqu’au moindre détail de sa ponctuation, sans toutefois qu’il subsiste à la lecture aucune trace de technicité, comme de ce papier d’Ambert dont le moindre mérite n’est pas qu’il semble être un pur produit de la nature, une écorce d’arbre qui miraculeusement s’offrirait aux exigences les plus difficiles de l’impression.

C’est que toute l’œuvre de Pourrat il est temps de le dire est unifiée dans sa signification et emportée dans son style par un inépuisable souffle épique. Quels écrivains contemporains peuvent comme lui nous autoriser à parler sérieusement d’épopée, dans le sens où on en parle quand il s’agit de l’Odyssée ? Nous hésitons devant ce rapprochement tant il paraît inattendu, et peut-être incongru, au XXe siècle. Et cependant il s’impose à tout lecteur de bonne foi. Qu’on relise Gaspard des Montagnes et l’on verra combien à chaque page la fusion du naturel et de la grandeur soutient une action à la fois fantastique et vraie : et cela principalement par le miracle du langage, car l’imagination, quoique féconde, reste disciplinée et soucieuse avant tout de vérité.

Or, Gaspard des Montagnes, l’œuvre la plus célèbre de Pourrat, n’est pas un roman mais un conte épique. Nous employons cette expression à dessein, car elle souligne, croyons-nous, l’originalité de l’écrivain, et le définit. Il y a, par exemple, chez Mistral, à qui parfois Pourrat fait penser, une part d’artifice délibéré qu’ignore le conteur auvergnat. Peut-être est-ce justement parce qu’il a la tête épique qu’il reste un conteur, l’héritier authentique des conteurs de veillées paysannes aussi bien que de la tradition littéraire qui remonte jusqu’au Moyen Âge. Et il se pourrait bien que son « régionalisme » lui ait permis de réaliser avec autant de naturel la fusion, si rare chez nous, de la tradition littéraire et de la tradition populaire. Cela apparaît avec évidence dans ce beau livre qu’est Gaspard des Montagnes l’on voit une jeune femme mariée contre sa volonté à un aventurier, malgré l’amour caché qu’elle porte à son cousin Gaspard. Celui-ci se dépensera à défendre et protéger sa cousine au cours des péripéties les plus mouvementées.

Mais l’étonnant Gaspard des Montagnes ne doit pas faire oublier les neuf volumes parus du Trésor des contes, œuvre interrompue en 1959 par la mort de Pourrat qui a pourtant laissé pour une publication posthume un nombre impressionnant de textes. C’est là une véritable somme d’apparence folklorique et populaire mais qui plonge au plus profond de l’âme des hommes et de l’esprit de la terre. Et si l’on songe que, dans ce Trésor des contes, Pourrat a puisé son inspiration à nombre de sources autres qu’auvergnates, quitte à spirituellement traduire en décor auvergnat des histoires venues de Méditerranée ou d’Extrême-Orient, on verra une fois encore que cette littérature est tout autre chose que du régionalisme. Jugeant son œuvre, Henri Pourrat a pu dire : « Il ne s’agit pas d’un retour au passé, il s’agit d’un retour à la fraîcheur... Nature reste le maître-mot de tous les arts, et de l’art de vivre. Celui qui dit déjà surnaturel”. »

Certes, par bien des aspects, Henri Pourrat n’a rien d’un « moderne » : il a des affections et des nostalgies que risque de ne plus comprendre la civilisation d’aujourd’hui ; mais il est lui-même avec une telle vigueur, une telle santé et une telle perfection de langage que, vraiment, nous n’hésitons pas à voir dans ce chantre exclusif d’une petite patrie un écrivain de partout et un écrivain de toujours.

 

Henri LEMAÎTRE.

 

 

Henri Pourrat réunit la conscience de l’artisan, l’habileté du conteur et le souffle du poète. La perfection de la forme, la présence des personnages, le dynamisme de l’action, associés dans l’unité du récit, produisent, tout au long de l’œuvre, ce contre-point de finesse psychologique et de puissance épique qui en fait tout le charme.

 

 

Œuvres essentielles

 

GASPARD DES MONTAGNES. C’est, dans le cadre des montagnes du Livradois et du Forez, dans la région d’Ambert, au lendemain des bouleversements de la Révolution et de l’Empire, le récit des aventures d’un héros-paysan, en conflit avec lui-même et avec une société aux valeurs frelatées ; l’occasion aussi de multiples épisodes qui enrichissent l’action principale sans jamais la briser.

LE TRÉSOR DES CONTES. Œuvre unique en son genre, car sous l’apparence d’un « recueil » destiné à rassembler tout un vaste folklore de contes populaires, c’est une création originale la verve de Pourrat s’en donne à cœur joie et révèle l’immense variété de ses registres.

 

 

Études sur Henri Pourrat

 

L’œuvre d’Henri Pourrat reste à étudier sérieusement, sans doute parce que son classement dans la catégorie du « régionalisme » lui a malheureusement été défavorable. Signalons cependant le chapitre consacré à Pourrat dans l’ouvrage suivant :

 

VERNOIS (Paul), Le Style rustique dans les romans champêtres après George Sand, P. U. F.

 

 

Biographie

 

1887 Naissance d’Henri Pourrat le 7 mai à Ambert (Puy-de-Dôme).

1897-1903 Études secondaires au Collège d’Ambert.

1904-1910 Études au Lycée Henri IV à Paris et à l’Institut Agronomique.

1912 Henri Pourrat, ingénieur agronome, est contraint par son état de santé de renoncer à sa profession et de se retirer définitivement en Auvergne, ce qui détermine sa vocation littéraire. Sa vie, sans histoire, se confond désormais avec son œuvre.

1941 Henri Pourrat reçoit tardivement le Prix Concourt pour son livre Vent de mars.

1959 Mort d’Henri Pourrat, au Vernet, près d’Ambert, le 16 juillet.

 

 

Bibliographie

(principaux ouvrages)

 

Contes, récits, légendes, etc.

 

Les Montagnards, Paris, Payot, 1919 (et Gallimard, 1925).

Gaspard des Montagnes, Paris, Albin Michel, 1922 (éd. définitive, 1941).

Les Jardins sauvages, Paris, Gallimard, 1923.

À la belle bergère ou Quand Gaspard de guerre revint, Paris, Albin Michel, 1925.

Le Mauvais Garçon, Paris, Gallimard, 1925.

Dans l’herbe des trois vallées, Paris, Bloud et Gay, 1927.

La Ligne verte, Paris, Gallimard, 1929.

Le Meneur de loups, Saint-Félicien en Vivarais, Édit. du Pigeonnier, 1930.

Le Pavillon des amourettes, ou Gaspard et les Bourgeois d’Ambert, Paris, Albin Michel, 1930.

Le Bosquet pastoral, Paris, Gallimard, 1931.

La Tour du Levant ou Quand Gaspard mit fin à l’histoire, Paris, Albin Michel, 1931.

Les Sorciers du canton, Paris, Gallimard, 1933.

Monts et Merveilles, Paris, Albin Michel, 1934.

Contes de la bûcheronne, Tours-Paris, Mame, 1936.

Toucher terre, Uzès, Édit. de la Cigale, 1936.

Au château de Flamboisy, Contes des montagnes, Tours-Paris, Marne, 1937.

Le Secret des compagnons, Paris, Gallimard, 1937.

La Porte du verger, Uzès, Édit. de la Cigale, 1938.

Georges ou les Journées d’avril, Paris, Gallimard, 1940.

Vent de mars, Paris, Gallimard, 1941 (Prix Concourt, 1941).

Le Blé de Noël, Marseille, Sagittaire, 1943.

Histoire fidèle de la bête en Gévaudan, Le Puy-en-Velay. Édit de l’Épervier, 1946.

Le Chemin des chèvres, Paris, Gallimard, 1947.

Légendes d’Auvergne, Paris, Laffont, 1947.

Le Trésor des contes I, Paris, Gallimard, 1948.

Les Vaillances, farces et gentillesses de Gaspard des Montages, édition définitive de l’histoire de Gaspard, Paris, Albin Michel, 1948.

Trois contes de la colère, Paris, Édit. Elzévir, 1949.

Le Trésor des contes II, Paris, Gallimard, 1949.

Le Chasseur de la nuit, Paris, Albin Michel, 1951.

La Belle Mignonne, Tours-Paris, Marne, 1951.

Conté sous l’alisier, Périgueux, Fanlac, 1951.

Le Trésor des contes III, Paris, Gallimard, 1951.

Contes du pré carré, Paris, Lanore, 1952.

L’Épopée de Guillaume Douarre, Paris, Flammarion, 1953.

Le Trésor des contes IV, Paris, Gallimard, 1953.

Le Trésor des contes V, Paris, Gallimard, 1954.

Europe et Paradis, Paris, Albin Michel, 1955.

Comptines, Paris, Lanore, 1955.

Le Trésor des contes VI, Paris, Gallimard, 1955.

Contes du fraisier sauvage, Paris, Édit. Bias, 1956.

Le Trésor des contes VII, Paris, Gallimard, 1956.

Chronique d’Auvergne, des âges perdus aux temps modernes, Clermont, de Bussac, 1957.

Le Trésor des contes VIII, Paris, Gallimard, 1957.

L’Aventure de Roquefort, Paris, Albin Michel, 1958.

Le Trésor des contes IX, Paris, Gallimard, 1958.

Histoire des gens dans les montagnes du Centre, Paris, Albin Michel, 1959.

Le Trésor des contes X, Paris, Gallimard, 1959.

 

Publications posthumes :

 

Contes des grands bois, Paris, Édit. Bias, 1960.

Le Trésor des contes XI, Paris Gallimard, 1961.

Le Château des loups, Paris, Édit. Bias, 1962.

Le Trésor des contes XII et XIII, Paris, Gallimard, 1962.

 

 

Littérature de notre temps, Casterman, 1966,

par Joseph Majault, Jean-Maurice Nivat

et Charles Géronimi.

 

 

 

 

 

www.biblisem.net