Angélique des Melliers

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

G. LENÔTRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au Mans, dans l’étranglement des ruelles qui dévalent vers le pont de la Sarthe, s’écrase l’armée vendéenne, la population de cent villages, errante depuis deux mois sur les routes de Bretagne, et qui, l’avant-veille, a échoué là, harassée, éperdue : chefs, soldats, enfants, prêtres, châtelaines, paysannes, cavaliers, vieillards, pêle-mêle, livides, décharnés, plaqués de boue jusqu’aux cheveux, vêtus de haillons, de peaux de moutons, de rideaux en loques, de sacs que nouent des ficelles. Des hommes sont en jupons, d’autres ont des turbans, des casques, des chapeaux de femme, des bonnets de laine, même des vestes de Turcs, des toques de juges ramassées, au cours du lamentable exode, dans les magasins des théâtres ou les vestiaires des tribunaux. Tout cela crie, se bouscule, se piétine, roulant des chariots, traînant des prolonges, poussant des bœufs qui beuglent et refusent d’avancer, tirant des charrettes chargées de meubles. Car beaucoup de ces malheureux, au cours de leur randonnée harassante, n’ont pu se résoudre à abandonner ce qu’ils ont emmené de leur village : voitures, literie, bestiaux, jusqu’aux vaisselles de leurs dressoirs, jusqu’aux ornements de leurs églises.

Une seule rue, la rue de la Vieille-Porte, sert d’exutoire au grand campement improvisé sur la place des Halles et sur celle de l’Éperon, et le torrent de la déroute s’y jette incessamment, si tumultueux qu’il s’immobilise, heurté au tournant de la rue Dorée, étroite et déclive, qui conduit à la rivière. Dans ce boyau tortueux se bloque un effroyable entassement d’où monte la clameur angoissée de ceux que la presse étouffe contre les maisons ou qui, tournoyant dans le remous, buttent contre les bœufs tombés, les chevaux qui reculent, les charrettes en travers, et s’efforcent d’avancer, se ruant, luttant à coups de poing, à coups de sabre, à coups de faux dans la nuit brumeuse qu’empourprent les vacillants éclairs de la canonnade. Les bleus sont à l’entrée de la place des Halles et leurs batteries dirigent, par-dessus les toits, un feu plongeant sur cette hurlante cohue.

Au pont de la Sarthe, large de deux toises à peine, un canon abandonné obstrue le passage ; par grappes les fuyards culbutés se débattent dans l’eau noire dont le courant entraîne leurs appels désespérés. Par les rues du faubourg la débandade affolée se poursuit, détalant sous la pluie glacée, sans autre guide que la panique, gagnant les champs, poursuivie par le bruit de la fusillade qui, continuellement, crépite sur les hauteurs de la ville.

À la place des Halles le combat dure toute la nuit. Quelques centaines d’obstinés Vendéens arrêtent là, pendant douze heures, les soldats de Westermann et de Marceau, assurant ainsi la retraite de l’armée catholique. Cette héroïque arrière-garde succombe enfin et, à l’aube brumeuse du fatal vendredi 13 décembre 1793, les bleus prennent possession de la ville dévastée. Sur les deux places, des corps « à ne savoir où mettre le pied », des chariots abandonnés, des caisses éventrées, des sabots, des armes, des mitres, des ostensoirs, des calices ; dans la rue de la Vieille-Porte et dans la rue Dorée, une haie de cadavres déjà dépouillés ; au pont Saint-Jean, des morts encore, et loin aussi sur la route de Laval où les hussards poursuivent les brigands, ramenant en ville par gros pelotons ceux que la fatigue a terrassés ou qui errent égarés dans la campagne. Vers midi, les conventionnels qui suivent l’armée entrent au Mans : c’est Bourbotte et Turreau, et, sur leur ordre, le massacre des prisonniers commence. On fusille devant l’hôtel des représentants ; on fusille aussi sous les tilleuls des Jacobins ; des troupes de femmes défilent par les rues, allant à la mort, silencieusement résignées. Marceau, que cette tuerie révolte, voulant éviter que ses soldats s’y souillent, fait battre le rappel et rassemble sa division qui évacue la ville par le chemin de Laval sur lequel il doit bientôt la rejoindre 1.

Le Mans semble vide d’habitants ; sauf le passage des patrouilles convoyant les traînards vendéens, les routes sont désertes, les portes de toutes les maisons fermées. Devant celle où sont logés Kléber et Marceau, le chef d’état-major Savary s’occupe des préparatifs du départ 2. Il surprend, dans la rue voisine, une jeune fille seule, hésitante, effrayée, en quête d’un refuge. Il va vers elle, l’aborde, lui demande d’où elle vient. Toute tremblante, elle répond qu’elle est de la Châtaigneraie, chef-lieu de district du département de la Vendée. C’est une brigande : si on l’aperçoit, elle est prise, conduite aux Jacobins, fusillée sans jugement... Savary avise une porte cochère tout près de là, y frappe : la porte tourne, une femme l’entrouvre. Savary pousse dans l’entrebâillement la jeune fille :

– Je vous confie cette personne, dit-il, vous m’en répondrez 3.

L’inconnue entre, le battant retombe. Celle-là, au moins jusqu’au lendemain, échappera aux massacreurs.

Savary revint à l’état-major. L’heure du départ était proche ; il était dans la cour, – où se trouvait attelé le cabriolet qui suivait Marceau dans ses déplacements, – et se disposait à monter à cheval, quand deux grenadiers arrivèrent, conduisant une Vendéenne qu’ils avaient capturée sur la route de Laval. Celle-ci était toute jeune, – dix-huit ans à peine, – et d’une ravissante beauté. Elle n’avait pas peur ; elle répondit résolument aux questions de l’officier. Ayant perdu dans la déroute sa mère et ses frères, morts sans aucun doute, elle ne pouvait leur survivre et demandait qu’on la fusillât. Son nom était Angélique des Melliers 4 ; elle était de Montfaucon, en Maine-et-Loire. Lui s’efforçait de calmer l’exaltation de la jeune fille ; peut-être retrouvera-t-elle ses parents ; mais, opiniâtre, elle n’écoutait rien et voulait mourir 5.

S’adressant aux deux soldats : « Grenadiers, ordonna Savary, je m’en charge ; retournez à votre poste. » Restée seule avec lui, la petite chouanne, stupéfaite, – on lui avait tant dit que les vainqueurs étaient sans pitié, – entendit cet homme qui portait l’uniforme abhorré, ce républicain, ce bourreau, ce bleu, lui parlant doucement de la douleur qu’elle causerait à sa mère, à tous les siens, si elle se refusait à vivre, l’exhortant à se conserver pour leur consolation. Il la vit émue, se montra paternel : « Nous n’avons pas de temps à perdre, disait-il presque suppliant ; nous allons partir ; consentez à monter dans ce cabriolet 6 ; un officier dont je vous réponds accompagnera la voiture, vous serez seule, vous serez libre, et j’espère que nous retrouverons ceux que vous avez perdus. » Bouleversée, elle céda ; mais soupçonneuse de quelque piège peut-être, elle déclara qu’elle voudrait chercher un paquet laissé la veille dans une maison de la ville. « Soit, on vous conduira où vous le désirez. » Et appelant l’adjoint Nicolle, son aide de camp, Savary le chargea d’accompagner par la ville la voiture où la jeune fille prenait place et de la conduire ensuite au bivouac, où s’arrêteraient pour la nuit les généraux. Il lui assurerait là une chambre particulière, le tout dans le plus grand secret 7.

Le chef d’état-major risquait, en effet, à cette aventure, non seulement la vie de sa protégée, mais la sienne propre. Celle de Marceau, son chef, serait également en danger si les représentants apprenaient que les militaires s’occupaient ainsi de soustraire les brigandes à la fusillade. Savary, sûr de l’approbation du général, se réservait, pour ne pas l’y compromettre, de l’informer de sa bonne action, alors seulement qu’on serait loin des conventionnels.

Nicolle sauta en selle, prit les ordres d’Angélique et l’escorta par les rues encombrées de cadavres.

 

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Du fond de son cabriolet, sur la route de Laval, parmi les colonnes républicaines dont l’avant-garde talonne les bandes vendéennes, Mlle des Melliers suit les sanglantes étapes qu’a parcourues quelques heures auparavant l’horrible déroute. Dans la brume de frimaire, au soir tombant, ce qu’elle peut distinguer le long du chemin la renseigne brutalement sur le sort de ceux dont elle partagea, depuis deux mois, les misères et les dangers. Partout des morts ; les paysans manceaux ont tué plus de brigands que les soldats et les ont laissés là, dans les fossés, au pied des haies. À quelque distance de la ville, sur le bord de la chaussée, est un épouvantable amoncellement : une centaine de corps, nus, rangés en tas, « comme des cochons qu’on aurait voulu saler 8 ».

Cette route fatale où si peu d’heures auparavant se sont traînés sa mère, sa sœur et ses frères, Angélique la parcourt doucement, sans fatigue. Que sont-ils devenus, ceux qu’elle aime ? Étendus là, dans les champs, tout près d’elle ? Sans la pitié de l’homme qui l’a sauvée du désespoir, n’y serait-elle pas, elle aussi ? Quel revirement ! Reposée et confiante, elle avance, mêlée aux vainqueurs prêts à la protéger ; un officier bleu chevauche à la roue de sa voiture. À la douleur, à l’épouvante de ce qu’elle voit, se confondent, sans doute, en son âme d’enfant, la joyeuse fierté de vivre, la curiosité anxieuse du lendemain, la gloriole effarée, pour elle qui n’a jamais quitté sa mère ou le couvent, de se retrouver seule, libre et respectée, parmi ces hordes de barbares.

Au village de Chassillé – cinq grandes lieues du Mans – l’état-major avait fait halte 9 et le cabriolet s’arrêta devant le quartier général. Le sort d’Angélique allait se décider. Elle devait être là mise en présence de Marceau, le commandant en chef. Elle attendait un Attila. Quelle surprise ! C’était un jeune homme, presque un enfant comme elle – vingt-quatre ans. Il avait l’air loyal et bon, le front sévère et le regard tendre. Autour de lui s’empressaient des généraux plus âgés auxquels il parlait en maître, Carpentier, Savary, Westermann, Kléber et les aides de camp, et les hussards d’escorte, et les grenadiers d’Armagnac, et les volontaires en sabots qui, tous, le tutoyaient fraternellement et semblaient être unis à lui par quelque sentiment enthousiaste et sacré. Quand il eut assuré la nuit de ses troupes, il s’approcha de la jeune fille que lui présentait Savary. Si elle tremblait, ce n’était pas de peur.

Marceau fut d’une réserve délicate. Frappé de la beauté d’Angélique, il approuva généreusement Savary et décida que Mlle des Melliers accompagnerait l’état-major jusqu’à Laval, où on lui chercherait un asile. À l’aube du lendemain, l’armée reprit, à marche forcée, la poursuite des royalistes dont, à Sainte-Suzanne, l’avant-garde de Westermann fit un grand carnage. Angélique, dans le cabriolet du commandant en chef, suivait les colonnes. Le soir on cantonnait à Vaige et le jour suivant, 15 décembre, les bleus s’emparaient de Laval que les Vendéens venaient d’évacuer.

Il y avait alors à Laval, dans la rue du Pont-de-Mayenne, une grande hôtellerie, fameuse dans la région, à l’enseigne de la Boule Noire. C’est là probablement que descendit Marceau, car dès le jour même, s’étant informé d’un refuge honorable et sûr pour sa protégée, il la confiait à une femme occupant la maison voisine de l’auberge 10. Elle était veuve et se nommait Perrine Leclerc ; son frère, Joseph Chevreul, qui n’habitait pas avec elle, avait cinquante-cinq ans et était perruquier.

Soucieux d’assumer toute la responsabilité, Marceau, en plaçant la jolie Vendéenne chez Perrine, remit à celle-ci une attestation très rapidement tracée de sa main, et que conservent en vitrine, parmi leurs plus précieux documents, les archives de la Mayenne :

 

« La citoyenne Demesliers, natife (sic) de Nantes, demeurant ordinairement à Mautfaucon, nous ayant déclaré que sa mère l’ayant forcée de la suivre avec l’armée des rebelles lors de leurs passages de la Loire, elle se rend avec nous et abandonne l’armée des rebelles et qu’elle veut désormais vivre en bonne citoyenne et demande pour sa sûreté la présente attestation. Je déclare que la citoyenne ci-dessus nommée s’est rendue de bonne volonté à mon quartier général le 22 frimaire l’an II de la République une et indivisible. – Le général Marceau 11 »

 

En reportant au 22 frimaire, c’est-à-dire antérieurement à la bataille du Mans, l’arrivée d’Angélique au camp républicain, le général la disculpait de s’être rendue après la déroute. Sur son conseil aussi, peut-être, elle déclara prudemment à Perrine qu’elle était âgée seulement de seize ans et demi, ce qui, en cas de délation, devait lui assurer l’indulgence. Et comme pour s’excuser de ce charitable mensonge, Marceau écrivait à sa sœur Marie, en lui parlant d’Angélique, cette ligne d’un sentiment exquis : « J’ai pensé... qu’elle avait peut-être un frère qui l’adorait 12. »

Dans la journée du 15, il prit le temps de rendre visite à celle qu’il avait sauvée, s’assura qu’elle ne manquerait d’aucun soin. Le lendemain il quittait la ville et se portait avec son armée sur Craon.

En face de la maison qui fut l’hôtellerie de la Boule-Noire est le vieux portail de l’église Saint-Vénérand. Sur la dentelle de ses pierres grises ont erré les doux regards d’Angélique des Melliers, recluse chez Perrine Leclerc et rêvant derrière son rideau. Son aventure passait la vraisemblance. Née à Nantes, d’une créole de Saint-Domingue et d’un père « officier noble au régiment provincial de Bretagne », elle avait été élevée dans une aristocratique pension de Rennes. M. des Melliers étant mort avant la Révolution, sa veuve s’était retirée à sa maison du Pont-de-Moine, qui est un faubourg de Montfaucon ; quand vint l’exode de la Vendée, elle avait fui, entraînant ses enfants dans le grand désastre d’outre-Loire. L’aîné de ses fils, Arthus, qui avait quatorze ans, marchait bravement dans les rangs des combattants ; le second Jules, plus jeune de deux années, allait avec sa mère et ses deux sœurs, Angélique et Thècle, parmi ce long convoi de femmes, de malades et d’enfants qui suivaient l’armée de La Rochejaquelein. Sans une heure de répit, huit semaines de détresse, de faim, de froid, de nuits dans la boue, de réveils sous les balles, d’angoisses, de dangers, de désespérance ; et quand, isolée des siens dans le tourbillon de la débâcle, Angélique, à bout de résistance, s’était, pour échapper à cette vie atroce, livrée aux implacables exterminateurs, elle avait rencontré chez eux assistance et dévouement. Pas un qui ne lui eût témoigné des égards ou de la compassion, et le chef de ces inexorables ennemis compromettait pour elle, inconnue, sa carrière et sa vie ! Vers lui montait sa reconnaissance, vers lui que, à peine échappée au funèbre cortège des vaincus, elle avait aperçu le premier soir parmi ses hardis compagnons, dans l’auréole de la victoire, avec son visage martial et bon, sa moustache fine, ses cheveux mordorés tombant en longues cadenettes, son cou nu dans la cravate lâche, et sur la tête le colback à écharpe, surmonté, en cimier, d’un haut panache tremblant. Il était loin d’elle maintenant, mais on imagine bien que, dans le cœur d’Angélique, le roman n’était point fini. Elle était belle, il l’avait sauvée, elle allait vivre et, sur tant de sombres catastrophes auxquelles elle venait d’échapper, sa rencontre avec le héros se levait douce et prometteuse comme une aurore.

Angélique, confiante désormais, ignorait que, derrière les armées, s’avançait la Terreur. Les soldats se bornaient à vaincre les ennemis de la République ; après eux, prudemment, venaient les représentants du peuple, organisateurs des représailles. Le 22 décembre, alors que l’armée, à trente lieues de là, se préparait à la décisive victoire de Savenay, les conventionnels Bourbotte et Bissy établissaient à Laval une commission révolutionnaire, chargée, nous l’avons dit dans une précédente étude, « de juger définitivement et sans appel tous les rebelles traduits devant elle, et ceux qui auront été leurs complices, soit en les recelant, soit en favorisant leur évasion ». Un jacobin d’Ernée, Clément, que les lecteurs connaissent déjà, fut nommé, le jour même, président de ce tribunal improvisé ; on désigna comme greffier le procureur de la commune de Laval, Guilbert, qui s’affublait du prénom de Franklin et s’était signalé en dévastant les églises de la ville dont il avait été vicaire épiscopal. J.-B. Volcler, autre défroqué, fut investi des fonctions d’accusateur public et promit son zélé concours, disant : « Nous rendrons les cimetières bossus ! » Un notaire, un marchand, un imprimeur acceptèrent d’être juges et tous les vauriens du pays allaient servir de rabatteurs à ces dictateurs d’occasion.

La besogne commença aussitôt. En quelques heures le grand château des la Trémoille, dont la lugubre silhouette domine la vieille ville de Laval, fut encombré d’une provision de justiciables : prêtres réfractaires, traînards de l’armée royaliste, femmes épuisées de fatigue n’ayant pu suivre la déroute, ramassés sur les chemins et dans les fermes des environs, paysans de tout âge, suspects de compassion envers les brigands... Perrine Leclerc eut peur. Assistée de son frère, le perruquier Chevreul, elle vint à la mairie déclarer qu’une Vendéenne, à elle confiée par le général Marceau, était logée dans sa maison. Elle possédait, assurait-elle, une sauvegarde du commandant en chef. Les municipaux, embarrassés, adressèrent Perrine à un personnage considérable du moment, le cordonnier Beaudouin, vraisemblablement habile à dépêtrer les cas épineux, qui l’écouta et la congédia sans se prononcer.

Quatre jours plus tard, le 26 décembre, comme Perrine Leclerc est auprès d’Angélique, quelqu’un vient lui dire que deux citoyens la réclament sur-le-champ chez son frère, à l’autre extrémité de la ville. On lui recommande bien de se munir du sauf-conduit. Elle prend sur elle le précieux papier, court à la maison Chevreul et y trouve Lepescheux, maire de la ville, avec le greffier de la commission, Guilbert. Celui-ci demande le billet de Marceau ; Perrine le lui présente ; il l’examine et le met dans sa poche. Elle se récrie ; mais le greffier la rassure : « Je réponds de vous sur ma tête », dit-il. Pourtant elle est inquiète ; elle veut rentrer en possession de cet écrit qui fait sa sauvegarde. Guilbert s’obstine à le conserver. Cependant pour la calmer il promet que le billet sera rendu quand on l’aura fait voir au général.

Perrine comprend qu’il faut céder. Très alarmée pourtant, elle reprend le chemin de sa maison. Sur le pont de la Mayenne, dont la première arche était à cette époque obstruée par les bâtiments d’un moulin, elle rencontre une patrouille escortant une femme... C’est Angélique qui vient d’être arrêtée dans sa retraite et qu’on mène à la prison. La jeune fille appelle à son secours Perrine, lui prend le bras ; il faut qu’elle vienne à la mairie s’expliquer. Les soldats apitoyés permettent à la citoyenne d’accompagner leur prisonnière et consentent au détour par la maison commune. Mais ni Lepescheux ni Guilbert ne sont là ; un commis conseille de voir le citoyen Pincé, qui doit être chez lui ; c’est un marbrier, membre influent de la municipalité. La patrouille guide les deux femmes jusqu’à son chantier. Pincé est absent. Il faut l’attendre. La troupe bientôt perd patience : Angélique ira en prison. Elle proteste, assure qu’elle a un sauf-conduit et qu’on doit la laisser en liberté. Où est-il, ce sauf-conduit ? Qu’elle le montre ! On le lui a pris ; elle ne sait qui le détient. Pour en finir, les soldats entraînent la malheureuse enfant jusqu’à la geôle du château. Perrine ne perd pas courage ; elle ne peut croire que Guilbert lui ait tendu un piège en l’attirant hors de chez elle avec la sauvegarde, pour procéder, en son absence, à l’arrestation d’Angélique ; elle se hâte vers la maison du greffier, se poste dans sa cour, résolue à ne point quitter la place sans remporter le billet de Marceau. Mais Guilbert n’est plus à Laval ; il vient de partir pour Ernée, où doit, le lendemain, fonctionner la Commission. Et Perrine rentre chez elle désespérée 13.

Le tour était adroitement joué. Au vrai, les machinateurs du stratagème visaient moins la tête d’Angélique que celle de Marceau. Que leur importait une enfant de plus ou de moins ? Ils en avaient tant à abattre. Mais ces épauletiers hautains qui ne savaient que sabrer, qui, si souvent, avaient manifesté avec arrogance leur mépris pour les pourvoyeurs d’échafaud, pour « les tueurs après la victoire », c’était là du beau gibier de guillotine. Cette fois, on en tenait un, bien incontestablement coupable de trahison envers la République, puisqu’il s’était montré pitoyable et qu’il avait insolemment signé de son nom cet acte d’humanité 14.

 

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Dans sa prison, Angélique des Melliers vivait bien tranquille : Marceau, le triomphateur, était son garant ; que pouvait-elle craindre d’un Guilbert, taré et avili ? Elle ne connaissait pas l’effrayante puissance de ces comparses subalternes qui, par envie, intérêt ou peur, accaparent les révolutions et font trembler ceux mêmes qu’ils servent. Le 29 décembre, elle écrivait à sa tante, Mme Grellier de Concise 15, l’informant de sa situation. On sent que ses pensées reconnaissantes sont toutes à son chevaleresque libérateur : « Je désirais la mort et je n’ai trouvé que de la pitié parmi les troupes républicaines. J’ai été sauvée par le général Marceau qui m’a traitée non seulement avec humanité, mais encore ai-je à me louer de son honnêteté et de sa générosité... Je n’ai dû mon salut qu’à ma jeunesse ; elle a été respectée par le général bienfaisant qui m’a protégée. » D’ailleurs elle ne craint pas pour sa vie ; on l’assure que son âge la met à l’abri de toute représaille ; elle croit qu’on lui rendra bientôt la liberté et si la mort de sa mère, de sa sœur et de ses frères se confirme, elle supplie sa tante de lui donner asile chez elle, à Nantes. Puis, comme son héros s’est engagé à ce qu’elle vive désormais « en bonne citoyenne », soucieuse de lui obéir, la petite Vendéenne date patriotiquement sa lettre du 9 nivôse, an deux de la République 16.

Mlle des Melliers n’avait, en effet, rien à redouter ; Clément, Guilbert, Volcler et leur bande parcouraient, il est vrai, la région, frappant impitoyablement de mort tout ce qu’ils pouvaient atteindre ; mais écœuré de ce carnage qu’il n’osait endiguer pourtant, le conventionnel Garnier, de Saintes, quoique peu suspect de clémence, leur recommandait d’épargner « les filles au-dessous de dix-huit ans et les garçons au-dessous de seize ». L’ordre était formel et donné au nom de la Convention nationale. Or Angélique, on s’en souvient, avait déclaré n’être âgée que de seize ans et demi. Elle échappait donc à l’échafaud. La Commission révolutionnaire reçut la lettre de Garnier le 6 janvier 1794 et n’enregistra que le 9 cette mesure jugée incivique. Pour l’éluder, les madrés bourreaux négligeront désormais, contrairement à ce qu’ils ont fait invariablement jusqu’alors, de mentionner dans les jugements l’âge des victimes. Cet artifice leur donnera, sans crainte de blâme, licence de tuer des enfants.

À la prison du château, Angélique retrouvait une de ses parentes, Mme Hay, Nantaise comme elle, détenue avec ses quatre filles. M. Hay, pris par les bleus, avait été fusillé sans jugement. Les malheureuses femmes se montraient résignées ; la mère et l’aînée des filles, tout au moins, ne pouvaient s’illusionner sur leur sort ; les trois autres, la dernière surtout, Cécile, qui avait un peu plus de quinze ans, trouveraient certainement grâce devant la Commission.

Celle-ci, revenue de sa tournée dans le département, était rentrée à Laval le 5 janvier et, tout de suite, elle commença à vider la prison. Dans la journée, neuf Vendéens furent condamnés et fusillés ; dix-neuf périrent le lendemain ; puis le tribunal suspendit ses séances. Il attendait une guillotine dont il manquait. Le 13 janvier, l’instrument et l’exécuteur enfin arrivés, la besogne reprit : vingt-sept condamnés ce jour-là, dont six femmes ; le 14, vingt femmes ; le 15, dix femmes encore et un homme 17... Les détenus, parqués dans les souterrains et les salles basses du château, vivaient en une angoisse de tous les instants, car le simple caprice de l’accusateur public présidait au groupement des condamnés et nul interrogatoire préalable ne leur permettait de prévoir l’heure où ils seraient appelés ; ceux qui partaient pour le tribunal ne reparaissaient plus.

Le 21 janvier fut un jour particulièrement terrible. Quatorze ecclésiastiques, parmi lesquels cinq septuagénaires et un infirme qu’il fallut porter sur une chaise, furent jugés et exécutés sur-le-champ. La ville était dans la stupeur. Ceux qui assistèrent à la mort des prêtres virent, aux fenêtres de l’Auditoire, devant lesquelles ·était dressée la guillotine, Guilbert, Volcler et Clément, affectant de rire, insultant les têtes qui tombaient et trempant, pour se réconforter, des biscuits dans du vin qu’ils buvaient à la santé des mourants. La foule indignée murmura ; mais la peur paralysait les plus audacieux et, dans l’après-midi, une seconde fournée de cinq Vendéens occupa les loisirs des juges 18.

Le lendemain 22 janvier, à l’aube, la prison fut, comme chaque jour, mise en émoi par la voix de l’huissier recrutant la pâture du tribunal. Cette fois il appela la veuve Alain, de Saumur ; la femme Richardeau, de Bayeux ; René Robin, un paysan manceau ; la veuve Hay, ses quatre filles, Sophie, Émilie, Éléonore et Cécile, et la citoyenne Angélique des Melliers 19. Celle-ci, peut-être, avait encore confiance. Protégée de Marceau, pouvait-elle mourir ?

Par la porte du temps de Henri IV, qui sert encore d’entrée à l’ancien château, les accusés parvinrent à la place au Blé, où l’échafaud était préparé ; il fallait longer la grille du château neuf et passer devant l’instrument des supplices pour arriver à l’Auditoire, où siégeait la Commission. C’était un vieux bâtiment, aujourd’hui remplacé par une construction qui naguère servit d’école, à l’angle de la place et de la ruelle abrupte qu’on nommait le Roquet-du-Château.

Le perruquier Chevreul, frère de Perrine Leclerc, s’était glissé parmi les curieux, dans le prétoire 20. Il vit paraître Angélique, que Clément interrogea sommairement. Comme elle répondait qu’elle possédait un sauf-conduit et qu’elle avait logé chez la citoyenne Leclerc, un des juges opina qu’il fallait entendre la déclaration de cette femme. Le greffier Guilbert prit la parole : « Cela n’est pas nécessaire, dit-il, la citoyenne Leclerc a fait sa déclaration et a remis le papier. » Le président posa une seconde question que Chevreul n’entendit pas ; puis on s’occupa des autres prévenus et le verdict fut prononcé. Pour tous, la mort.

Pendant qu’on les entraîne, Angélique crie encore qu’elle a une sauvegarde... qu’elle s’est rendue. Guilbert, qui a dans sa poche le billet de Marceau, c’est-à-dire la vie de cette enfant, reste impassible. Déjà l’exécuteur Durand mutile toutes ces belles chevelures, tailladées à coups de ciseaux. À huit heures, l’audience a commencé ; il n’est pas neuf heures, et tout est prêt. Les gens attroupés sur la place voient avancer ces femmes liées de cordes, qui docilement se laissent conduire ; en quelques pas elles sont devant l’échafaud. Mme Hay exhorte ses filles ; contre elle se serrent toutes ces jeunes têtes, vacillantes et tondues. L’exécuteur happe l’une des condamnées : c’est Angélique ; et pendant qu’on la hisse, qu’on la boucle, qu’on la pousse sous le couteau, ce qu’aperçoivent ses yeux éperdus, ce n’est pas, comme elle l’a espéré, peut-être, Marceau, miraculeusement averti, fendant la foule, repoussant les bourreaux, ordonnant de surseoir, c’est, au-dessous d’elle, contre l’échafaud, le groupe éploré de ses compagnes, dont la plus jeune, Cécile, – celle qui n’a pas seize ans, – suffoque et crie d’épouvante 21.

Dans la matinée, les neuf cadavres furent jetés loin de la ville, dans la lande de Croix-Bataille, à droite du chemin d’Entrammes, où déjà avaient été enfouis les suppliciés des jours précédents. Trente ans plus tard, on voyait encore là un poteau avec une inscription portant : Défense de fouiller le terrain... C’était toute l’épitaphe d’Angélique des Melliers et de bien d’autres.

 

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Quand elle mourut, Marceau, qui avait été sa dernière pensée, s’était, depuis quinze jours, retiré de l’armée 22. Le sauf-conduit confisqué par Guilbert avait servi de base à une dénonciation qu’étouffa courageusement le conventionnel Bourbotte, auquel le général avait sauvé la vie au cours de la campagne et qui acquittait ainsi une dette de reconnaissance. L’affaire n’alla donc pas plus loin et Angélique fut la seule victime de l’abject stratagème de Guilbert. Mais, jalousé pour ses éclatants succès, suspect de tiédeur républicaine pour son humanité envers les vaincus, dégoûté de cette guerre entre Français, malade d’ailleurs depuis plus d’un mois, le vainqueur des Vendéens s’était retiré le 13 janvier à Châteaubriant, où son mal, subitement, empira. Kléber, qui l’y avait accompagné, manda aussitôt un médecin de Rennes qui diagnostiqua une gale répercutée, compliquée d’une affection vésicale aiguë. Cinq jours plus tard, Marceau entrait en convalescence et partait pour Rennes 23 où, de Chartres, sa sœur Marie vint le rejoindre. Tous deux étaient logés dans la maison de M. Leprêtre de Châteaugiron, dont le fils était l’aide de camp et l’ami du jeune général.

Marceau ne fut pas informé de la condamnation d’Angélique. Sa rencontre avec la petite Vendéenne n’avait été, dans sa tumultueuse existence, qu’un incident vite oublié. Si la beauté de cette enfant avait fait tout d’abord sur son cœur inflammable quelque impression 24, ce souvenir s’était bientôt effacé, et pour cause : depuis son arrivée à Rennes, Marceau aimait la fille de son hôte, Mlle Agathe de Châteaugiron, gracieuse et jolie fille qui atteignait alors sa dix-neuvième année ; elle-même n’était pas insensible à l’affection du tendre héros, et leurs fiançailles étaient prochaines. Ainsi dans la douce retraite où les amoureux vivaient confinés, s’écoulait pour eux en idylle cet effroyable hiver de l’an II, dont, pour la Bretagne et la Vendée, chaque journée fut une hécatombe 25.

Un soir, comme le général reposait dans sa chambre, – sa sœur, ainsi que Mme de Châteaugiron et ses deux filles se trouvaient près de lui, – on lui annonça la visite d’un homme, qui aussitôt introduit lui présenta un petit paquet cacheté 26.

Marceau hésite. D’où, de qui lui vient l’envoi ? L’inconnu répond qu’il arrive de Nantes exprès pour apporter ce paquet ; il le tient du bourreau de cette ville, qui l’a chargé de le remettre aux mains du général et de se munir d’un reçu. Marceau refuse d’accepter cet étrange message. Il n’a, il ne veut avoir aucun rapport avec le bourreau ; ce mot seul lui fait horreur. Mais la curiosité des femmes est éveillée ; elles pressentent quelque mystère. Pourquoi ne romprait-il pas le cachet ? L’envoi provient peut-être d’un malheureux qui réclame assistance. Le général cède enfin, déchire renveloppe, et découvre, sous plusieurs papiers, une très petite montre d’or, fort simple, à la bélière de laquelle pend une ganse noire. Une lettre est jointe au bijou. Elle est du bourreau de Laval et dit : « Monsieur le général, en sortant de notre prison pour conduire sur la place du supplice une jeune demoiselle vendéenne amenée du Mans ici devant notre tribunal, elle m’a remis cette petite montre qu’elle tenait cachée dans sa poitrine et m’a dit : « Promettez-moi devant Dieu de faire remettre à M. le général Marceau, où il sera, le seul gage que je puisse lui donner de ma reconnaissance. » Je le lui ai promis, monsieur le général, et je remplis mon devoir. »

Aucune formule de politesse ne termine le billet ; il n’est signé d’aucun nom, mais seulement de ce mot : Exécuteur. L’homme qui supplicia Angélique des Melliers, soucieux d’accomplir sa solennelle promesse, mais ne sachant où trouver le destinataire, a expédié le legs et la lettre à son collègue de Nantes, Charles-François Ferrey, qui consciencieusement s’acquitte ainsi du pieux mandat.

Marceau tout à coup se souvint. Il revoit le doux visage, le sourire confiant de sa jolie captive au cantonnement de Chassilé ; il se la rappelle renaissant à l’espoir, heureuse et fière de sa pitié. Très ému : « La pauvre enfant, dit-il, je lui avais promis qu’elle vivrait ! » Et saisissant la main que lui tend sa sœur, il pleure la petite morte dont le cœur a battu pour lui jusque sur la planche de l’échafaud.

 

 

G. LENÔTRE, Bleus, blancs et rouges, 1960.

 

 

 

 

 

 

 

 

 



1Nous suivons pour ce court récit de la bataille du Mans et des incidents qui la suivirent l’ouvrage de M. Chardon, les Vendéens dans la Sarthe. V. notamment le t. II où les faits sont contés dans le plus grand détail d’après des documents originaux.

2Savary, né en 1753, ancien avocat. Le 5 décembre 1793, à Antrain, il avait été nommé par les conventionnels Bourbotte et Prieur chef provisoire de l’état-major de l’armée républicaine. Dans son recueil Guerre des Vendéens et des Chouans, t. II, p. 436 et suiv., il raconte sa rencontre au Mans avec Angélique des Melliers.

3Savary, loc. cit.

4Angélique-Marguerite des Melliers, née à Nantes, le 15 décembre 1775, fille de Sébastien des Melliers, officier noble au régiment provincial de Bretagne, et d’une créole de Saint-Domingue, Mlle Greffreys. Angélique, élevée à Rennes, ne rejoignit sa mère habitant Montfaucon que peu de temps avant le début de la Révolution. La maison des Melliers, à Montfaucon, existe encore, au Pont-de-Moine. Après avoir servi de collège, elle est maintenant une ferme appartenant à Mme Berthelot du Chenay.

5« Elle ajouta qu’elle avait perdu sa mère et son frère sur la route, qu’elle croyait qu’ils avaient péri, qu’elle ne voulait pas leur survivre et qu’elle demandait à être fusillée. » Récit de Savary. Mme des Melliers n’était pas morte : prise non loin du Mans par les bleus, elle fut ramenée dans la ville et emprisonnée aux Ursules. Elle n’obtint sa liberté qu’après la fin de la Terreur. Les deux frères d’Angélique, Arthus et Jules, ainsi que sa sœur, Eugénie-Thècle, avaient également suivi l’armée vendéenne. Arthus fut tué à Savenay, il avait quatorze ans ; Jules, onze ans, fut recueilli par des paysans et mourut célibataire, en 1833, à la Septière, commune de Saint-Crespin. Eugénie-Thècle, capturée par les bleus, fut emprisonnée à Nantes, et dut sa délivrance à un médecin, nommé Rocher. Elle épousa plus tard M. Jacques du Doré. Renseignements fournis par M. du Doré, petit-fils d’Eugénie des Melliers.

6« Le cabriolet appartenait à Marceau ; c’était la seule voiture de l’état-major, dont personne ne se servait et qui n’avait d’autre destination que de procurer quelque secours en cas d’accident. » Savary, loc. cit.

7Savary, Guerre des Vendéens et des Chouans, t. II, p. 437 et suiv.

8Chardon, Les Vendéens dans la Sarthe, II, 82.

9Kléber en Vendée, documents publiés pour la Société de l’histoire contemporaine par M. Baguenier-Désormeaux, p. 330. « Quant aux généraux Kléber et Marceau, raconte Savary, il eût été à craindre de les compromettre en leur donnant connaissance, au Mans même, près des représentants, de ce qui se passait sans leur autorisation. Ce ne fut que le soir (à Chassillé) qu’ils en furent instruits et qu’ils virent pour la première fois Mlle des Melliers, au sort de laquelle ils prirent tout l’intérêt qu’elle méritait. »

10« Mlle des Melliers fut ainsi conduite à Laval, écrit Savary, où on lui chercha un refuge que l’on croyait assuré, chez une femme qui promit de lui prodiguer tous ses soins. Marceau s’empressa de l’aller visiter dans cet asile. » L’abbé Perrin, dans ses Martyrs du Maine, révèle le nom de cette femme, à laquelle Angélique fut confiée : c’était Perrine Chevreul, veuve de François Leclerc. À l’ancien cadastre de Laval, la maison Leclerc est indiquée comme étant située rue du Pont-de-Mayenne, en face de Saint-Vénérand, à côté de l’hôtel de la Boule-Noire (ou de la Tête-Noire).

11L’original est entièrement écrit de la main de Marceau.

12Lettre citée par Chardon, les Vendéens dans la Sarthe, II, 284.

13Voici la déposition de Perrine Leclerc, faite après la Terreur, lors de l’enquête contre les terroristes : le texte en a été publié par le Nouvelliste de la Sarthe les 9 et 10 août 1889 : – « ... La déclarante se rendit avec son frère à la municipalité pour faire sa déclaration ; on lui dit qu’il fallait aller la faire chez le citoyen Beaudouin, cordonnier, ce qu’elle fit. Quatre jours après, Lepescheux, maire et Guilbert, agent national, se transportèrent chez son frère et envoyèrent chercher la déclarante, en lui faisant dire d’apporter le certificat (écrit par Marceau), ce qu’elle fit. Alors Guilbert lui demanda ledit billet, qu’elle lui remit en présence de Lepescheux. Ayant redemandé le même billet, Guilbert lui répondit : « Je réponds de vous sur ma tête. » Ayant persisté à redemander ledit billet pour sa propre sûreté, ledit Guilbert lui répondit : « Eh bien, on le remettra chez Chevreul, ton frère, mais il faut qu’on le fasse voir au général. » En s’en retournant, elle rencontra sur le pont de Mayenne ladite Angélique des Melliers que la garde conduisait ; cette dernière l’ayant prise par le bras, elles furent ensemble, du consentement de la garde, à la maison commune ; là on lui dit d’aller chez Pincé, qui n’était pas chez lui. La garde s’ennuyant d’attendre dit qu’ils allaient la mettre en prison. Alors Angélique des Mesliers s’écria qu’elle avait un certificat qui l’en exemptait. La garde ayant désiré le voir pour le lire, la déposante fut chercher Guilbert pour le lui montrer (pour qu’il montre le certificat à la garde). Ne trouvant nulle part ledit Guilbert, elle fut un certain temps dans sa cour pendant que la garde conduisait Angélique en prison... »

14Il est hors de doute que la mort d’Angélique des Melliers fut le résultat d’une intrigue combinée par Guilbert pour atteindre Marceau. Le jeune général ne cachait pas son horreur de cette guerre fratricide ; il écrivait à sa sœur Marie : « Quoi ! Ma chère sœur, vous m’envoyez des félicitations sur ces deux batailles, ou plutôt ces deux carnages, et vous voudriez avoir des feuilles de mes lauriers ! Ne savez-vous pas qu’elles sont tachées de sang humain, de sang français ! » (Noël Parfait, Le général Marceau.) Cc ton déplaisait aux guillotineurs tels que Guilbert ou Clément, et ils espéraient, en produisant le sauf-conduit, débarrasser la République d’un soldat aussi peu « sans-culotte ». De fait, « on instruisit contre les généraux, dit Savary, une procédure qui aurait pu leur être fatale si elle n’eût été communiquée au représentant Bourbotte qu’une indisposition retint quelques jours à Laval et qui s’empara des procès-verbaux rédigés en conséquence. Il nous apprit ces détails en rejoignant l’armée le lendemain de l’affaire de Savenay ».

15Suzanne-Éléonore de Chavagnac, femme de Charles-Augustin Grellier de Concise. Emprisonnée à Nantes, avec sa fille et Eugénie des Melliers, sœur d’Angélique, elle fut dit-on, noyée, dans l’une des exécutions en masse organisées par la bande de Carrier. Elle périt, en tout cas, pendant la Terreur. Sa fille, sauvée par un officier, épousa au petit bourg des Herbiers, le 19 brumaire an IX, M. de la Thibaudière, de Niort.

16Le texte de cette lettre a été publié par Chardon, Les Vendéens dans la Sarthe, II, 290.

17Perrin, Martyrs du Maine et Registre des jugements de la commission, aux archives du greffe de Laval.

18Perrin, loc. cit., et Isidore Boullier, Mémoires ecclésiastiques concernant la ville de Laval et ses environs.

19Archives du greffe de Laval, Registre des jugements de la Commission Clément. L’âge d’aucune des accusées n’est indiqué dans le jugement.

20Le Nouvelliste de la Sarthe, 10 août 1889. Déclaration du citoyen Chevreul.

21« La plus jeune, âgée de seize ans, fut saisie d’effroi à la vue de l’instrument meurtrier : mais la voix de sa mère fit renaître le calme dans son âme. Comme celle des Macchabées, cette mère obtint de mourir la dernière et, après avoir soutenu le courage de ses enfants, fut au ciel partager leur triomphe et l’accroître par sa présence. » Notice sur quelques victimes. Mémoires de Mme de Sapinaud. Voir sur l’exécution de Mme Hay et de ses filles, Perrin, Martyrs du Maine, et Boullier, Mémoires ecclésiastiques.

22Une tradition subsiste d’après laquelle Marceau, commandant à l’armée du Nord (!) et ayant appris, au fond des Ardennes, le danger qui menaçait Angélique des Melliers, monta à cheval, et courut à Paris, afin de solliciter du Comité de Salut public la grâce de la jeune fille. Ayant obtenu cette faveur, et toujours galopant, il arrive à Laval, au moment même où la tête de sa protégée vient de tomber dans le panier ensanglanté ! Ce roman a été accepté comme véridique par nombre d’historiens notoires, quoiqu’il soit formellement contredit par tous les documents authentiques. D’autres, l’abbé Perrin, par exemple, attribuent le fait au général Beaufort, accouru de Paris pour sauver la vie de Mlle des Melliers, de Mme Hay et de ses filles. L’abbé Perrin, dont la mère avait connu, dans les prisons, Angélique et Mme Hay, se faisait ici l’écho d’une simple hâblerie de Beaufort, personnage extravagant, dont le souvenir était resté très vivant dans la Mayenne. Il suffit de feuilleter le dossier de ce Beaufol, dit Beaufort, pour constater combien semblables vantardises lui étaient coutumières. Nous avons fait à ce dossier quelques emprunts pour l’une des précédentes études. Tant que dure la Terreur, Beaufort proclame qu’il est sans pitié pour les chouans, conte avec quelle ardeur il les extermine : c’est lui qui a fait arrêter Perrault et Talmond ; il a pris à Vitré plusieurs chefs vendéens, il en a fusillé cent quatre, etc. Plus tard, sous la Restauration, il assure avoir sauvé tous ceux que, auparavant, il se vantait d’avoir mis à mort. Il a soustrait au trépas cent huit royalistes prisonniers ; le chiffre se transforme bientôt en six cents, puis en huit cent soixante-trois : il a risqué sa vie pour arracher aux bourreaux ce même Perrault et ce même Talmond. Et il conclut : Il y a vingt-neuf ans que je suis mort pour la famille des Bourbons ! (Précis sincère et véridique de la conduite morale, politique et militaire de M. le lieutenant-général Beaufol de Beaufort, Archives du ministère de la Guerre.) Rien d’étonnant à ce que cet halluciné ait rétrospectivement sauvé – dans le nombre – Angélique des Melliers ; cette allégation, répétée et accrue de circonstances vraisemblables, a trouvé quelque créance ; mais elle ne repose sur aucun fait précis et on doit la considérer comme absolument controuvée.

Il semble plus difficile d’expliquer ce passage des Mémoires de Kléber. C’est le 20 décembre : l’armée républicaine, pourchassant les Vendéens en déroute, est cantonnée à Derval, à six lieues de Châteaubriant. Les bleus font un grand nombre de prisonniers. « J’étais à l’auberge de Derval, écrit Kléber, lorsque l’un de mes aides de camp vint me dire que l’on en emmenait une soixantaine parmi lesquels se trouvait une jeune femme qui semblait mourir de froid. Je la fis monter et on la plaça près du feu ; on la détermina à prendre quelque restaurant. Je ne vis jamais de femme plus jolie, ni mieux faite et, sous tous les rapports, plus intéressante. Elle avait à peine dix-huit ans et se disait fille d’un médecin de Montfaucon... Elle me demanda... avec un ton extrêmement touchant : « Croyez-vous, Monsieur, qu’on me fera mourir ? » Je lui répondis que j’étais loin de le penser, que son âge, son sexe la sauveraient sûrement. – « Mais, ajouta-t-elle, j’ai un frère qui a porté les armes contre les républicains, et on le fera sans doute mourir. – Où est-il, votre frère, lui demandai-je ? – Il est, Monsieur, avec les prisonniers que vous avez en ce moment devant votre porte. – Quel âge a-t-il ? – Trente-trois ans. » Comme je ne pouvais rien lui dire de satisfaisant, je changeai de discours ; mais elle s’écria aussitôt : – « Ah ! je vois bien que mon frère est perdu et je mourrai avec lui, car c’est moi qui l’ai particulièrement engagé à porter les armes. Il avait eu plusieurs fois l’intention de se retirer et de se rendre à Nantes. » Comme il était tard, les paysans qui escortaient ces prisonniers vinrent réclamer cette jeune personne et je me vis contraint de la leur abandonner ; elle fut conduite à Laval où, sans doute, elle périt. »

Tel est le récit de Kléber. M. Baguenier-Desormeaux, l’érudit et si consciencieux éditeur de Kléber en Vendée, en rapportant ce texte, note que cette fille de Montfaucon, si parfaitement belle, n’est autre qu’Angélique des Melliers ; mais il observe, très justement, qu’il s’est produit une confusion singulière dans les souvenirs de Kléber, qui n’a pu rencontrer Angélique, le 20 décembre, à Derval, puisque, depuis le 15, elle était cachée à Laval par les soins de Marceau. J’avais pensé que la belle prisonnière de Kléber pouvait être la sœur d’Angélique, Eugénie-Thècle des Melliers, qui fut prise, en effet, vers le 20 décembre « aux environs d’Ancenis ou de Châteaubriant ». Mais elle n’aurait pu, sans mentir, répondre au général qu’elle était la fille d’un médecin de Montfaucon, puisque son père, mort à cette époque, avait été officier : en outre Eugénie avait bien un frère parmi les Vendéens, mais ce frère, Arthus, était âgé de quatorze ans et non de trente-trois. Je suppose donc que la belle jeune fille interrogée par Kléber, s’il faut prendre, comme je le crois, le récit pour exact, était la cousine d’Angélique, fille d’un docteur Thenaisie, médecin à Montfaucon, mari d’une sœur de feu M. des Melliers. Mais c’est là une simple hypothèse, et j’ignore complètement le sort de cette personne, au souvenir de laquelle Kléber aura peut-être associé par confusion ce qu’il entendit raconter plus tard de la fin d’Angélique des Melliers.

23Marceau tombait malade le 13 janvier 1794, à Châteaubriant ; le 18 on le transportait à Rennes où se prolongea sa convalescence. Kléber en Vendée, p. 509.

24S’il faut en croire Sergent, le beau-frère de Marceau, cette impression aurait été des plus fugitives. – « Il n’a pu nous la nommer lorsqu’il nous en parla... lorsqu’il me narra ce fait, deux mois plus tard, il me dit : « Elle m’a semblé jolie et fraîche. » Cité par Chardon, Les Vendéens dans la Sarthe, II, 288.

25Après la mort de Marceau, son fiancé, Mlle de Châteaugiron épousa M. Dodun, premier secrétaire d’ambassade à Vienne. Elle remit alors à la sœur de Marceau l’urne contenant une partie des cendres du jeune héros, qu’Émira Marceau lui avait envoyée. Noël Parfait, Le général Marceau.

26Nous suivons ici le récit de Chardon, écrit d’après les Mémoires manuscrits et les notes de Sergent sur Marceau.

 

 

 

 

 

 

 

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