De l’Annonciation à la Nativité
PAR JOSEPH MALÈGUE
par
Michelle LE NORMAND
Joseph Malègue est surtout connu comme l’auteur d’un splendide roman catholique : « AUGUSTIN ou LE MAÎTRE EST LÀ ». Mais son œuvre, interrompue trop tôt par la mort, comprend aussi ce petit livre intitulé : « De L’Annonciation à la Nativité », et qui fait de Joseph Malègue un des artisans du renouveau marial.
Dans ces pages ardentes, simples et humaines, l’auteur tout doucement, tout simplement, médite les grands mystères de la Maternité de Marie ; et d’une façon accessible à tous, qu’ils soient cultivés ou non.
« L’Annonciation, petite fête douce, un peu cachée, un peu perdue sous l’ombrage des grandes fêtes, peut-être faut-il, pour la découvrir, chercher quelque temps dans le calendrier. De même, nous faut-il scruter avec persévérance le silence où sur terre, s’est enveloppée Marie. »
Ainsi débute le livre dont les premiers paragraphes résument l’action de Marie connue, évidente, venant du ciel jusqu’aux hommes ici-bas, ... « mais une vie privée s’est d’abord passée pour elle sur la terre. Comment l’étudier, sinon par les méthodes générales que nous appliquons aux autres vies de saints : les enseignements de l’Église, d’attentives lectures textuelles, l’analyse intérieure de tout ce que l’histoire et la psychologie chrétiennes utilisent pour la description de ces très hautes âmes ; et puis les différences, les ajustements particuliers qui conviennent à Marie ? »
Or, c’est à L’Annonciation qu’il faut d’abord se placer...
« C’est à ce moment que, le plus tendrement, le plus aimablement, Marie se rapproche de nous. Les choses s’arrangent dans cette vie pour que nous puissions alors, pour la première fois, contempler avec toute la clarté qui nous est possible, une sainteté qui passe l’homme et s’en laisse voir néanmoins. S’il faut une comparaison très simple et maternelle, nous sommes le petit enfant qu’un instinct de protection, une poussée de tiède bien-être porte à lever les bras vers un beau visage aimé, penché sur lui juste à ce moment-là. Il n’en perçoit ni la gravité, ni la sagesse, ni la grâce, mais deux yeux l’éclairent et lui rient d’amour. »
L’auteur s’essaie ensuite à suppléer à ce « silence absolu des textes sur les premières années de Marie », en situant son histoire dans ce qui est connu de ces années qui précédèrent la venue du Christ. Il décrit « cette Église de l’attente » que formaient alors les meilleurs d’entre les Hébreux, ceux qui étaient prêts pour la prédication du Royaume... « La prophétesse Anne, le vieillard Siméon, qui vivaient près du temple de Zorobabel ; Élisabeth, Zacharie son époux, châtié et miraculé, Philippe et Nathanaël, Marie, femme de Cléophas, sœur de la Vierge Marie au sens imprécis que prennent dans les textes bibliques les termes de parenté plus cachés, Joachim et Anne, père et mère de la Vierge dont l’Église du Christ fera des saints. C’est là qu’humainement se prépara Marie. »
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Méditant, consultant les textes, – les illustrant sous nos yeux avec des tableaux célèbres bien choisis, l’auteur s’en va tranquillement ensuite de L’Annonciation à la Nativité, tirant tout ce qu’il peut d’humain, dans cette vie miraculeuse qu’il veut rapprocher de nous, afin que nous connaissions mieux notre Mère du Ciel, et que dans notre imagination, nous puissions la voir vivante. Nous aurons ensuite moins de mal à l’évoquer animée, allant ici et là, disant ses Fiat, ressentant ce que l’acceptation totale contrariait en elle ; en fermant le petit livre nous ne verrons plus Marie, uniquement statue et bien immobile, habillée de bleu, de blanc et d’or, les bras étendus, oui, mais rigides ! nous serons capables de sentir ses bras se refermer sur nous, et de l’entendre nous dire : Mes pauvres enfants.
Cependant, l’auteur va nous répéter l’obscurité presque sans repère qui enveloppe la vie terrestre de Marie. À un tel point, dit-il, « qu’on est bien forcé de conclure que cette obscurité est pour nous une leçon ».
Marie dépasse le monde. Mais elle a partagé la condition humaine, dans une vie terrestre. Cependant, ses contemporains étaient encore plus mal placés que nous, pour la comprendre. Sa pauvreté, son humilité la dérobaient ; et les évènements de la vie de son Fils... révolutionnaire, puisqu’ils ne furent compris qu’après le Crucifiement et la venue du Saint-Esprit, ces évènements ne furent pas d’abord de nature à glorifier sa Mère.
Nous, nous connaissons Marie par les mystères joyeux et glorieux, par les dogmes. Il faut s’arrêter d’abord, dit l’auteur : « à l’Immaculée Conception qui ouvre en ce prodigieux drame spirituel comme un premier acte que l’Annonciation va clore. En sorte que nous comprenons l’une par l’autre. Ensuite parce qu’une rencontre temporelle lie ces deux grandes scènes surnaturelles. C’est le 25 mars, jour de l’Annonciation, que Bernadette reçut de la Vierge de Lourdes ce qu’on pourrait appeler, en un sens très large, la révélation de l’Immunité. Coïncidence qu’il ne faut pas laisser perdre. Elle sonne d’un timbre spécial, dans la période contemporaine, du culte marial, dans cette « vie publique » de la Vierge dont nous parlions ». Malègue évoque d’abord la Présentation de Marie au temple, qui n’est qu’une tradition, « incluse aux évangiles apocryphes, mais inverse des insanités habituelles qu’on lit aux Apocryphes. Elle est le naturel, la simplicité, la vraisemblance même. Improuvée, mais probable, elle peut alimenter nos méditations en suffisante sûreté ».
Sur cette existence de Marie au Temple, il n’existe aucun texte, rien que des récits plausibles. Malègue ici se représente la petite fille dans l’enceinte sacrée, grandissant dans l’étude de la sainte Écriture, la lecture et les commentaires de la Loi, mais comment imaginer la vie intérieure de Marie ? « Cette petite fille ne sera pas dispensée d’efforts, ni du soin d’aider Dieu à modeler son âme, ni de toutes ces croissances des détails dont la somme s’intégrera dans sa sanctification totale. Osons sur de communes vraisemblances humaines conjecturer ce travail intérieur qui est le secret de Marie. »
Je voudrais tout citer de ces suppositions de l’auteur qui nous font comprendre comment Marie dut vivre, s’offrir, aimer, penser et souffrir. La méditation de Malègue est extrêmement touchante, elle est à la portée de tous. Elle se garde d’être difficile et savante. Elle épouse notre manière de voir, d’entendre, et nous conduit à mieux connaître « celle qui s’en va, portant gravé, indélébile, le sceau de Dieu sur son cœur ».
Les années secrètes de l’existence terrestre de Marie, Malègue nous cite quelques-uns des textes qui, dans les Psaumes, s’y adaptent, souvent avec une grande clarté.
L’Annonciation, dit l’auteur, « arrache la petite amante de Dieu à son cloître intérieur et la fait brusquement terrestre ». « L’ange Gabriel vint l’aborder chez elle, en sa petite maison noirâtre, plus ou moins creusée et prolongée sous la terre. Il lui parle sans témoins. Y en eût-il eu, sans doute, ils n’auraient pas vu l’archange. Les études hagiographiques nous l’expliquent : les visions des saints ne sont, sauf exception, visibles que pour eux. Pas davantage, peut-être, les témoins n’eussent entendu sa parole. Mais ils auraient pu recueillir, venues sur cette voix de jeune fille, quelques réponses calmes, dociles, assez basses et coupées de silences ? Elles ont transformé la face du monde. »
Et transformé la vie de Marie. « La vocation contemplative de Marie, sœur de Lazare, si belle cependant qu’elle a suffi à bien des saints, était trop peu pour notre Mère. Celle de Marthe s’y joignit, en un cœur assez vaste pour les deux. Une union avec Dieu d’une intensité inconcevable, puisqu’elle passe l’âme et descend jusqu’aux profondeurs physiologiques, définissait en même temps pour elle un devoir de charité d’une ampleur sans mesure. »
Ce petit livre de 175 pages, se divise en trois grands chapitres et s’achève par un quatrième plus court. Le premier médite sur l’Immaculée Conception et l’Annonciation ; l’auteur fait lever une Marie vivante de l’obscurité voulue des textes.
Le second résume l’art chrétien qui s’est alimenté de ces mystères. Malègue commente le reproductions incluses dans son livre.
Le troisième traite de la Visitation et de la Nativité. L’auteur analyse l’irrépressible joie du Magnificat, et interprète la Visitation, les trois mois de Marie chez sa cousine, pages lumineuses, tendres et humaines à la fois.
La scène de la Purification est parmi les plus réelles que l’auteur ait reconstituées : « Marie et Joseph montant par les escaliers, les cours successives, les portiques, traversant la cour des Gentils, des femmes, des Israélites, celles des prêtres, dans le brouhaha d’une foire à bestiaux, parmi ces bruits de marchands, de changeurs, de docteurs qui se disputent. Quelques-uns des assistants durent tourner vers ces petites gens qui s’en venaient portant un bébé, ces visages de Juifs caractéristiques, dont la construction, les rires, les yeux ont traversé les siècles... »
Des documents sans nombre nourrissent notre vénération pour la plupart des saints, dans l’Église. Marie, une seule fois, lors du Magnificat, nous ouvre une fenêtre sur son âme...
« Elle a traversé la plus extraordinaire des existences humaines, une vie éblouissante et qui, hormis celle de Dieu, passe toute gloire. Elle est le plus grand reflet que Dieu ait jamais jeté sur une âme créée. Et, rien ne nous fut transmis sur Elle que quelques mots essentiels, cette mention au Calvaire, cette autre aux Actes des Apôtres. Elle a désiré ce simple rôle de référence. Elle semble dire : « J’étais là, petit témoin pur. »
Quelle leçon pour nous, tellement attachés à la terre, aux vanités, aux plaisirs, et qui, pourtant chrétiens, ne consentons à consacrer qu’une si minime partie de nos heures à Dieu. Marie a tout donné. Que notre méditation de sa vie cachée nous aide à monter, à nous approcher du ciel de gloire où son humilité l’a conduite.
Michelle LE NORMAND.
Paru dans la revue Marie en mai-juin 1949.