Mademoiselle de la Chauvinière

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

G. LENÔTRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I

 

 

À Ernée, ville plate et grise du Bas Maine, l’aube du 2 novembre 1793 fut morne.

C’est le matin des trépassés suivant la liturgie abrégée, et le bourg semble mort, en effet ; l’armée vendéenne, débuchée, deux semaines auparavant, de son territoire, approche, marchant vers la Bretagne en masses irrésistibles ; sortie l’avant-veille de Laval, elle a occupé Mayenne et son avant-garde s’est portée jusqu’à Saint-Georges-Buttavent, distant d’Ernée de trois lieues seulement 1. Aucune troupe ne peut s’opposer à cette écrasante incursion de trente mille paysans armés que pousse un compact et lent convoi de cinquante mille femmes, vieillards, blessés, prêtres, enfants, malades, pêle-mêle piétons et cavaliers, escortant des voitures, des bestiaux, des prolonges de munitions et de bagages.

Tout ce qui a pu fuir Ernée a quitté le bourg. Les officiers municipaux ont caché en hâte les registres de l’état civil ; le 8e bataillon du Calvados, tenant garnison dans la ville, reçoit l’ordre de se replier sur Fougères ; beaucoup d’habitants abandonnent leurs maisons et s’égaillent dans la campagne : ils ont passé la nuit brumeuse dans les champs, derrière les haies, guettant la grande rumeur lointaine du campement des Vendéens. Aux premières lueurs du jour sont arrivés, éperdus, des paysans de Chatillon et de Vautorte, annonçant les envahisseurs. Vers dix heures débouchent de la route de Bretagne sur le champ de foire cinq cents chasseurs d’un bataillon de volontaires parisiens, venus de la Pellerine, pour défendre la ville 2 : ils amènent deux pièces de canon qu’ils mettent en batterie, mais déjà les éclaireurs royalistes paraissent à l’autre extrémité du bourg : on les voit, en même temps, sur la place de l’Église, dans la rue Moiteau, dans celle des Religieuses ; ils avancent jusqu’à la place des Halles où, en quelques coups de hache, ils jettent bas l’arbre de la Liberté. Les volontaires parisiens se rangent en bataille ; une fusillade s’engage et l’élan des bleus est tel que l’avant-garde vendéenne, bousculée, recule jusqu’à la sortie de la ville. Mais, de cette surprise, l’envahissement n’est pas retardé : c’est, bientôt, par toutes les rues un débordement que rien ne peut arrêter, qui submerge la ville, s’étend, s’infiltre dans les moindres ruelles, s’étale sur les places, reflue dans les jardins. La petite troupe des républicains, emportée par ce flot montant, est, en quelques instants, dispersée, noyée, entraînée, disparue.

En cohue compacte les colonnes vendéennes avancent : d’abord Stofflet et ses chasseurs qui vont occuper la route de Bretagne ; puis défilent les cavaliers, montés sur des chevaux de meuniers, de colporteurs ou de poissonniers, avec des brides et des étriers de corde : à leur tête parade le jeune prince de Talmond que distinguent son panache blanc, sa grande taille, son air vainqueur et l’oriflamme bleu des La Trémoille, recouvré au château de Laval et qu’un écuyer arbore à ses côtés. Ensuite se bouscule la multitude des fantassins, paysans du bocage vendéen reconnaissables à leurs vestes et à leurs chapeaux noirs, bretons aux casaques de peau de chèvre, aux cheveux longs sous un grand feutre, sans rang, sans ordre, tenant négligemment leurs fusils sous le bras ou sur l’épaule ; leur accoutrement ne comporte ni giberne ni sac : un mouchoir roulé en ceinture contient leur poudre et leurs balles ; tous sont chaussés de sabots ferrés résonnant comme un ressac continu sur les galets. Ils ont des branches vertes à leurs chapeaux où flottent des rubans de papier blanc, un scapulaire sur la poitrine et le chapelet pendu au cou. Parmi eux est l’état-major : quelques officiers à cheval suivent un enfant de vingt ans, mince, grave, coiffé d’un chapeau haut de forme, serré dans une redingote bleue, le bras gauche en écharpe : c’est le général en chef, la Rochejaquelein, Monsieur Henri. Mêlés aux fantassins passent les trente-six canons 3 pris aux bleus ; puis une interminable file de charrettes chargées de blessés, de meubles, de literie, d’ustensiles de ménage, l’exode de toute une province : hommes armés de faux, de piques, d’épieux, de serpes emmanchées à de longs bâtons, portant un enfant sur la nuque, en traînant d’autres par la main ; villageoises exténuées, ployées sous des ballots, tirant, à bout de corde, une brebis ou une chèvre ; prêtres enguenillés ; châtelaines aux pieds nus, vêtues de loques, de lambeaux, de tapisserie 4, telles que l’affolement de la fuite les a jetées hors de leurs maisons. Sur des chevaux fourbus, des pères de famille tiennent en croupe leur femme et leurs marmots ; d’autres ont trouvé place sur des chariots traînés par des bœufs. Voici les nouvelles recrues de l’Anjou et du Maine, alertes et résolues ; des déserteurs républicains à l’habit retourné ; la calèche aux rideaux baissés, dans laquelle agonise M. de Lescure ; elle va, au tour de roues, comme un char funèbre, entourée de quelques cavaliers. Enfin c’est l’interminable mêlée des traînards, des malades, des vieux courbés sur leur bâton et, pendant des heures, tout cela, d’une marche inégale, se bourre dans les rues étroites, recule, tournoie, se heurte, s’accroche, se cherche, s’appelle 5.

Quand la nuit vint, l’empilement continuait dans ce bourg de cinq mille habitants où se pressaient quatre-vingt mille êtres : toutes les maisons regorgeaient des caves aux combles ; les fourgons et les attelages enchevêtrés obstruaient les places et les rues ; l’invasion, en campements épais, grouillait dans les jardins piétinés, sur les prairies au bord de la rivière, sur les routes jusqu’à Charnay, jusqu’à Guinefolle et Villiers. De ces entassements humains s’élevait le sourd murmure du chapelet récité, coupé des clameurs de Vive le Roi ! Çà et là vacillaient, au tournant des rues et dans la campagne, les lueurs des bivouacs et, sur la place des Halles, achevaient de se consumer les archives de la municipalité dont on avait fait grand feu 6.

Le 3, dès le petit jour, l’entassement moutonnait et s’ébranlait pour partir, une telle multitude ne pouvant séjourner plus d’un jour en un bourg dont elle consommait, en quelques heures, les approvisionnements de toute l’année. L’évacuation dura la journée et la nuit entières et se prolongea encore le 4, jusqu’à midi. On vit s’éloigner, avec l’arrière-garde, la calèche qui portait Lescure ; la jeune femme du moribond chevauchait à la portière 7.

Lorsque les dernières prolonges de l’invasion vendéenne eurent disparu sur la route de Fougères, les gens d’Ernée évaluèrent le désastre : on ne constatait, à la vérité, qu’un seul vol d’argent, commis chez un médecin, jacobin farouche, par un cavalier que Stofflet, pour ce fait, condamna à la fusillade 8 ; trois personnes avaient été tuées : un maçon et un maréchal, mis à mort, pour causes inconnues, à Villiers, et une vieille femme 9, nommée Desbois, qui, à grands coups de faux, avait attaqué un canonnier en criant : Vive la République ! 10 mais si l’on comptait seulement trois victimes, la ruine matérielle était générale : les magasins restaient épuisés, les granges vides ; plus de fourrages, plus de grains, plus de farines, plus de bestiaux. Les habitations des fonctionnaires et les établissements publics avaient été pillés ; les maisons particulières mêmes, sans distinction entre celles des royalistes et des républicains, se trouvaient dévastées et leurs jardins détruits par le seul fait du séjour, pendant une seule nuit, d’une agglomération si disproportionnée avec l’étendue de la ville. Ernée était ravagée comme par un cyclone et cette détresse s’augmentait du désarroi administratif.

Le procureur de la commune, Mesnage, avait péri en combattant, à Laval, contre « les brigands » de la Vendée. Quantin, le maire de la ville, montagnard exalté, qui, par ostentation de civisme, se baptisa Marat-Quantin, appelé au chef-lieu, y siégeait dans le conseil du département. Renault-Morlière, qui lui succédait, s’était enfui à l’approche des Vendéens. Les honnêtes gens, fussent-ils d’opinion républicaine, suspectés de « fédéralisme » depuis la chute du parti girondin, ne manifestaient aucun entrain à s’occuper des affaires publiques, et c’est ainsi que, profitant de l’anarchie municipale, s’érigèrent maîtres d’Ernée deux jacobins notoires, le notaire Clément et le chirurgien Gilles Coutard.

 

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Coutard avait quarante-huit ans 11. Connu de toute la région, il exerçait depuis 1771 la médecine à Ernée où il s’était établi 12 après avoir épousé la fille d’honorables cultivateurs de Placé. Son renom comme chirurgien surpassait sa réputation privée, car on lui attribuait des aventures plus nombreuses que choisies aux inconvénients desquelles avait dû parer souvent son habileté peu scrupuleuse. De mauvais bruits couraient à ce sujet et, en 1784, la plainte d’une fille du bourg fit scandale 13.

Mme Coutard avait donné le jour à douze ou quinze enfants ; une fille, Marie-Anne, née en 1768, avait survécu 14 ; les autres étaient morts en très bas âge ; cette fatalité singulière prêtait à dire aux ennemis du chirurgien. On le consultait sans l’estimer et bien que, dès les premiers jours de la Révolution, il se fût déclaré partisan exalté des idées nouvelles, le suffrage de ses concitoyens ne se fixa jamais sur son nom 15. Il fut pourtant promu, en 1791, chirurgien par quartier de l’hôpital d’Ernée 16 : il s’était appelé jusqu’alors Coutard de la Chauvinière : supprimant, vers cette époque, la particule, il signa plus démocratiquement Coutard-Chauvinière et acheta des biens nationaux 17. Sa considération ne s’en accrut pas. Esprit fort, comme bien on le pense, il n’aimait pas les prêtres, du moins ceux qui demeuraient obstinément fidèles à leur foi ; en revanche, il estimait grandement le citoyen Cahoreau, le seul ecclésiastique d’Ernée qui eût prêté serment constitutionnel. Cahoreau, solide gaillard de trente-quatre ans, pratiquait l’édification à sa manière. Nommé curé à La Gravelle, il avait fait dans sa nouvelle paroisse une entrée triomphale, avec quatre femmes dans sa voiture et une escorte de quatre-vingt-dix cavaliers. Après quelques semaines d’apostolat civique à La Gravelle, Cahoreau abandonnait cette cure pour celle d’Ernée, plus lucrative 18, encore qu’il dût se résigner, non sans geindre, à une « clientèle » des plus restreintes. Quand, le 3 juin 1792, Coutard fut père une fois de plus, c’est l’ami Cahoreau qui, le lendemain, baptisa constitutionnellement l’enfant, – une fille ; – elle fut nommée Adélaïde. Le parrain et la marraine étaient un choriste et une domestique 19, soit que le père eût à dessein fait ce choix afin d’étaler ses sentiments démocratiques, soit, plutôt, qu’il eût vainement cherché des répondants plus notables pour présenter sa fille aux onctions sacrilèges de Cahoreau.

On ne dit pas que l’intrus prononça un discours, quoiqu’il laissât rarement échapper l’occasion d’une harangue patriotique. S’il avait lu dans l’avenir, il aurait pu, ce jour-là, prendre pour texte le verset de certain psaume enseignant que « les enfants sont un héritage envoyé du ciel », que les parents reçoivent, selon leurs mérites ou leur indignité, comme une récompense ou comme un châtiment. Mais Coutard-Chauvinière donnait peu d’importance à ces vétilles : il était de ceux qui se croient libérés de préjugés parce qu’ils sont sans mœurs et méprisent davantage l’opinion à mesure qu’elle leur devient plus défavorable. Les hommes de cette sorte n’étaient pas plus rares alors qu’ils ne le sont aujourd’hui. Dans les petites villes, où tout le monde les connaît, ils dissimulent, tant qu’on les tient en respect, leur haineuse envie de l’élite honorée et dédaigneuse : vienne un bouleversement social où leur échoit une part d’autorité, ils se ménagent d’épouvantables revanches et font, sans merci, expier aux honnêtes gens la certitude qu’ils ont de n’être pas des leurs.

Il ne paraît pas, d’ailleurs, que l’ingérence de Coutard, – il était maintenant Coutard tout court, – et de son compère, le notaire Clément, s’installant à la mairie d’Ernée 20 après le passage de l’armée vendéenne, eût pour effet un immédiat renouveau de calme et de prospérité. Ils s’appliquaient beaucoup moins à réparer les dommages qu’à enquêter contre les citoyens suspects de pactiser avec « les brigands », encore apportaient-ils à cet espionnage quelque prudence, car les Vendéens, après avoir poussé jusqu’à Grandville, retournaient vers la Loire et menaçaient une seconde fois la ville. Ils la traversèrent dans la journée du 26 novembre 21 ; ce fut un grand désordre et un pitoyable spectacle : à la tête des cavaliers décimés on revit le prince de Talmond, suivi des troupes harassées par quarante jours de combats et de marches dans la boue. Les traînards, trempés de pluie et grelottants de froid, les blessés à figure cadavérique passèrent, en file morne et silencieuse, et s’éloignèrent sur le chemin de Mayenne, parsemant la route de malades que la dysenterie ou des plaies mal fermées épuisaient 22. Enfin les derniers Vendéens disparurent : cette fois, c’était bien fini ; on ne les reverrait plus : Coutard et Clément pouvaient sans crainte de représailles se montrer impitoyables et leur premier soin fut de donner la chasse aux vaincus attardés, recueillis par la pitié des paysans dans les fermes du voisinage. Six ou huit traînards furent capturés le jour même et enfermés à la prison d’Ernée. Le lendemain à l’aube, un détachement de chasseurs à cheval de la république arriva par la route de Bretagne et s’avança jusqu’à la place des Halles. Les rues de la ville étaient désertes.

Seul un homme à peine vêtu, chaussé de sabots 23, sort de sa maison et s’avance à la rencontre des cavaliers : c’est Coutard. Il les conduit à la prison dont la porte s’ouvre ; deux chasseurs descendent de cheval, pénètrent dans la geôle : on entend quelques coups de feu ; puis les deux hommes reparaissent, retrouvent leurs camarades qui, avec Coutard, attendent patiemment devant la porte et tout le détachement se dirige vers l’auberge du Chapeau rouge. Un passant que le bruit attira, aperçut dans la cour de la prison plusieurs corps étendus 24...

Chailland, le bourg voisin, avait aussi ses prisonniers, dix Vendéens « hors d’état de marcher et atteints d’une maladie contagieuse ». Ne sachant que faire de ces hommes, les municipaux s’adressèrent, le 28 novembre, à leurs collègues d’Ernée pour demander avis. La réponse de Coutard et de Clément a été conservée : ils se bornent à informer leurs voisins du procédé qu’ils emploient en l’absence des autorités constituées :

 

« ... Nous prenons le parti de paraître conduire ces scélérats dans un autre endroit ; el, à une demie ou une lieue de la ville, dans un endroit commode, pour ne pas faire de bruit et dépenser la poudre, les conducteurs leur font l’affaire avec piques et sabre et on les encavent (sic) ensuite sur le terrain 25. »

 

Et, sous sa signature, Coutard, par allusion à l’état de ces malheureux et à sa profession, jugea plaisant de tracer ce mot d’ordre : « PURGEONS ! PURGEONS ! »

On « purgea » beaucoup dans les campagnes du Maine et de Bretagne durant le mois de décembre 1793 : diligentés par des patriotes à la façon de Coutard, les villageois traquaient les débris épars des cohortes vendéennes : les femmes et les blessés, ramassés le long des haies, étaient refoulés par troupes dans les villes, à moins qu’on ne les achevât sur place à coups de faux ou de fourche.

À la suite de l’armée des bleus, poussant le gros des insurgés vers Nantes et vers Savenay, avançaient les représentants du peuple, venus pour exercer prompte justice. La Convention avait choisi ces missionnaires parmi les députés du pays, afin qu’ils désignassent plus sûrement « les têtes coupables » et connussent mieux leur terrain d’action : déplorable système qui livre les électeurs, adversaires de la veille, aux rancunes locales des élus devenus tout-puissants. Ainsi, à Mayenne, a débarqué le régicide Esnue-Lavallée, ci-devant procureur de Craon ; avec Bourbotte est à Laval le conventionnel Bissy, avocat à Mayenne avant la législature : ces proconsuls, comme on pense, sont très renseignés sur le civisme de leurs concitoyens, puisqu’ils doivent à ceux-ci leurs mandats ; les tièdes, ceux qui ont mal voté, leur sont d’avance suspects.

Le notaire Clément est certainement compté parmi « les solides », car, dès le 22 décembre, son compatriote Bissy le désigne pour présider une de ces commissions révolutionnaires, chargées de juger définitivement et sans appel dans les vingt-quatre heures, tous les rebelles et ceux qui auront été leurs complices, soit en les recevant, soit en favorisant leur évasion, ou en les aidant dans leurs projets contre-révolutionnaires 26. Ladite commission doit se transporter, suivant le caprice de son président, partout où besoin sera, dans l’étendue du département. Clément se trouve de la sorte investi du droit de vie ou de mort sur tous les habitants de la Mayenne, car tous ont reçu forcément les rebelles et, pour le moindre témoignage de pitié, se trouvent justiciables du notaire d’Ernée. On adjoint à celui-ci, comme accusateur public, Volcler, curé constitutionnel et maire de Lassay, d’une honorable famille, très bel homme, de mine douce et de caractère timide 27. Trois juges et le greffier Guilbert, autre prêtre apostat, complètent le tribunal. Moyennant huit francs de traitement par jour, ces magistrats de rencontre vont « régénérer » leurs concitoyens.

Le choix fait par les conventionnels a grandement satisfait Coutard, car Clément est son ami, et, depuis le début de la Révolution, leurs aspirations et leurs inimitiés sont communes. Aussi la ville d’Ernée sera-t-elle l’une des premières étapes de la Commission. Le chirurgien, maintenant, y règne : il est de la municipalité, du comité de surveillance révolutionnaire et de la société populaire ; ces promotions subites, l’amitié de Clément, de Volcler et de Marat-Quantin, son affectation de cynisme, lui ont valu non pas le respect, mais la déférence obséquieuse des timorés, et ils sont nombreux en temps de révolution. Chacun sait que, de longue date, il connaît les opinions, les répugnances, les convictions politiques et religieuses de tous les habitants du bourg, où il vit depuis près d’un quart de siècle : un mot de lui à Clément, c’est la mort.

Car le notaire prend à cœur ses nouvelles fonctions : depuis le 23 décembre, il « travaille » à Mayenne. Il a, ce jour-là, envoyé à la fusillade quatre soldats de l’armée royaliste, tous étrangers : deux Allemands, un Belge et un jeune Hongrois de dix-neuf ans. Le lendemain, en deux séances, vingt-quatre condamnés ; le jour suivant, quinze encore, paysans des Mauges ou du Bocage, qui, faute de guillotine, sont « passés par les armes », à la porte de la ville, sur la route de Laval 28. Le 26 décembre, le bruit sinistre se répand tout à coup que la Commission a quitté Mayenne et se dirige sur Ernée. Clément tient à s’y montrer dans tout l’appareil de sa récente omnipotence. Le Comité révolutionnaire lui garde, d’ailleurs, en réserve un important gibier : c’est le marquis Chambona de Perrault, chevalier de Saint-Louis, ancien capitaine de vaisseau, commandant en second l’artillerie de l’armée catholique. Grièvement blessé au pied 29, il a, dans la débâcle, suivi le prince de Talmond qu’on dit réfugié dans les forêts des environs de Fougères. M. de Perrault, errant par la campagne, aperçoit à la lisière d’un bois une pauvre vendéenne mourante qui le supplie d’avoir pitié de sa fillette ; il accepte généreusement ce legs, prend sur sa selle l’enfant et, dans l’espoir de trouver pour celle-ci un asile, pénètre dans le village de Bazouges-du-Désert. Arrêté là, il est conduit, avec l’orpheline, à Ernée où commande le général républicain Beaufort.

C’est alors que la Commission Clément est appelée pour fixer le sort du prisonnier, Coutard n’osant pas condamner de sa propre autorité un si important personnage, comme il l’a fait des Vendéens sans nom capturés à Ernée ou à Chailland. Perrault est donc amené, le 27 décembre, devant le tribunal ambulant : il est l’un des chefs des rebelles et son procès sera vite instruit ; mais le général Beaufort imagine de soustraire à la mort cet adversaire dont il a naguère apprécié la valeur et dont il admire le caractère. La plupart des généraux de la République dissimulaient mal leur mépris pour ces civils tels que Clément qui se cachaient pendant les combats et se faisaient bourreaux après la victoire. Beaufort atteste donc que l’accusé, s’étant rendu de son plein gré, ne doit pas être confondu avec les insurgés pris les armes à la main 30. Les juges, soucieux de complaire au général, vont céder et se montrer pitoyables quand entrent en scène Coutard et ses collègues du Comité révolutionnaire 31. « N’ayant jamais eu le plaisir de voir fusiller un royaliste », ils exigent que cette réjouissance leur soit offerte et, sur cette considération, le notaire prononce un verdict de mort.

Il condamna, en même temps que Perrault, le domestique de celui-ci, Pierre Chagnon, et deux paysans vendéens, dont un enfant de seize ans. L’exécution eut lieu, le jour même, dans le quartier du Baril, derrière la maison de Coutard et, si l’on en croit la tradition, contre le mur de son jardin. Perrault ne permit pas qu’on lui couvrît les yeux et refusa de s’agenouiller. Beaufort, qui l’avait suivi jusqu’au supplice, lui jura de n’abandonner jamais la petite orpheline, cause innocente de sa mort. On dit que les soldats, chargés de l’exécution, hésitaient à faire feu sur ce blessé et sur ses compagnons ; ils maugréaient contre l’odieuse besogne et contre les bourgeois qui la leur imposaient 32.

 

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Le soir de ce jour-là, Clément et sa bande pliaient bagage, se promettant bien de ne plus reparaître à Ernée que pourvus d’un bourreau de profession et d’une expéditive guillotine. Les Ernéens n’avaient pas apprécié, autant qu’on se l’était promis, le divertissement réclamé par le Comité révolutionnaire. À vrai dire, ils n’avaient pas le cœur à se distraire, car leur misère était grande et ils mouraient de faim. Les vivres manquaient : il fallait chercher les grains jusqu’à Caen ou jusqu’à Vendôme ; mais les bœufs qu’on pouvait se procurer étaient si maigres, par suite de la disette des fourrages, qu’on renonçait à les atteler. Il ne se passait pas de semaines sans qu’une réquisition draconienne écrasât la population : réquisitions de tous genres auxquelles il fallait se soumettre sous peine de mort : cent cinquante bois de lits, autant de matelas, vingt-quatre tables, quarante bancs, vingt marmites, quarante gamelles, cent cinquante paillasses et six cents draps 33. On vidait de leur mobilier les maisons d’émigrés, puis on en vint au pillage organisé : on prenait chez tous ceux qui possédaient, le beurre, dont Paris manquait, les suifs pour confectionner des chandelles et jusqu’aux cendres des foyers, indispensables à la fabrication du salpêtre 34. Le Comité révolutionnaire et la municipalité, pour donner à cette dévastation l’allure d’une régénération sociale, recouraient à des dérivatifs illusoires : c’est ainsi qu’on brûla, sur la place des Halles, les titres féodaux livrés par les notaires ; plus tard on changea les noms des rues : il y eut la rue Guillaume Tell, la rue des Jacobins, la rue de la Montagne, la rue Marat ; la place des Halles devint place du Ralliement, et le Pâtis-Saint-Jacques, ou champ de foire, fut appelé de la Loi 35.

En dépit de ces réformes, la ville restait si pauvre que la municipalité dut emprunter cent livres destinées à solder les frais de plantation du nouvel arbre de la liberté 36. Alors on résolut de saccager l’église paroissiale. Marat-Quantin, l’ancien maire, devenu vice-président de l’Assemblée départementale 37 entreprit, pour la circonstance, le voyage d’Ernée 38. Après un beau discours à la municipalité, où il prouva que « les signes extérieurs du catholicisme, culte impie et sanglant, rappellent au peuple le besoin d’une religion qui ne fut inventée que pour asservir l’humanité et corrompre la morale », il emmena, jusqu’à l’église, les sans-culottes émerveillés et dirigea le pillage. Coutard est là, bien entendu 39 : « les cloches sont descendues, les statues renversées et les croix, les calvaires, les crucifix se brisent en éclats aux cris de Vive la République 40 ! » Les ornements précieux, les vases d’argent, de cuivre ou de plomb, les ostensoirs et les calices sont portés à la maison où siège l’administration du district ; les gens d’Ernée assistent, sans mot dire, à cette procession sacrilège et voient passer, aux mains des profanateurs, toutes les richesses de leur église, entre autres un reliquaire vénéré que le procès-verbal désigne ainsi : une petite croix d’argent renfermant, soi-disant, une parcelle de la croix de feu Jésus 41. Le jour même, la société populaire est convoquée dans le temple dévasté ; on se félicite de la victoire remportée sur le fanatisme et la cérémonie se termine par le chant de la Marseillaise 42.

Les dépouilles de l’église n’enrichirent pas la ville : elles devaient être adressées à la Convention 43. Maintenant, il ne restait à Ernée plus rien à prendre et le Comité révolutionnaire régnait sur un peuple d’affamés, quand un évènement imprévu fournit à Coutard l’occasion d’offrir à ses concitoyens un amusement inédit ; le prince de Talmond, découvert par les bleus, le 1er janvier 1794, dans la forêt du Pertre, avait été emprisonné à Rennes, où le conventionnel Esnue-Lavallée se trouvait de séjour.

 

 

 

II

 

 

AVEC le prince était détenu un ancien serviteur de sa famille, Félix Enjubault de la Roche, – ci-devant président en la Cour des Comptes du duc de la Trémoille et député aux États généraux. Élu en 1791 président du tribunal de Laval, Enjubault, magistrat intègre et considéré, avait, de tout temps, porté ombrage à Esnue-Lavallée, le petit procureur de Craon, ambitieux et jaloux. À peine installé en proconsul dans la région, Lavallée destitua donc Enjubault, à qui ses amis conseillèrent de quitter le département et de se soustraire ainsi aux ressentiments du haineux régicide. Mais Enjubault avait cinquante-six ans, l’existence hasardeuse du proscrit lui répugnait ; partisan résigné des institutions nouvelles, il ne pouvait imaginer, dans sa candeur d’honnête républicain, qu’on incriminât sa modération et son passé sans tache : il se plaça résolument sur le passage du représentant, qui se rendait de Laval à Rennes, arrêta la berline et se présenta lui-même. Esnue-Lavallée l’accueillit en ami, le fit monter dans sa voiture, promit qu’il s’emploierait de tout son pouvoir à régulariser la situation du magistrat, que, dès l’arrivée à Rennes... il fit emprisonner à la Tour Le Bât 44.

C’est ainsi qu’Enjubault y retrouvait le prince de Talmond, frère de son ci-devant seigneur. Le typhus régnait dans la geôle et le prince en était gravement atteint. Les représentants, en mission dans le pays, se disputaient ce précieux otage et se promettaient de l’expédier sur Paris, afin d’en tirer gloire ; mais Lavallée ne cédait à personne son prisonnier : il l’avait interrogé plusieurs fois et constatait avec inquiétude les progrès de son mal : une vulgaire épidémie allait-elle donc frustrer l’échafaud de cette noble tête ? Dans son appréhension, Lavallée brusqua les choses : il expédia Talmond à la commission militaire Vaugeois, siégeant à Vitré ; le prince y parvint si épuisé par la fièvre qu’il fallut le porter devant les juges et ceux-ci le condamnèrent bien vite à la peine de mort. Esnue-Lavallée, qui s’y attendait, avait déjà ordonné que l’exécution aurait lieu à Laval dans les vingt-quatre heures : il lui paraissait pathétique qu’un si puissant aristocrate pérît dans la ville dont ses pères avaient été les suzerains. Le conventionnel y envoya également Enjubault, qui serait jugé là en pays de connaissance et qu’allait rejoindre un autre proscrit, « reste impur du fédéralisme », Jean-Baptiste Jourdain du Rocher, jeune avocat au bailliage d’Ernée et ancien administrateur du département. Le notaire Clément et le chirurgien Coutard le haïssaient depuis longtemps ; traqué par le Comité révolutionnaire d’Ernée, Jourdain s’était enfui ; il venait d’être arrêté par la garde nationale de Saint-Germain-du-Fouilloux.

 

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*   *

 

Talmond, escorté de quatre cents cavaliers, entra dans Laval le 27 janvier 45 à la tombée de la nuit 46 ; un grand nombre de curieux s’étaient, pour le voir, massés au carrefour aux Toiles et dans la rue Rennaise ; les soldats de l’escorte criaient Vive la République ! La foule resta silencieuse ; bien des fronts se découvrirent 47 au passage du condamné.

L’échafaud l’attendait sur la place du marché au blé 48 ; mais on fit halte au Comité révolutionnaire où se trouvaient, avec d’autres, les citoyens Brutus Bescher 49, faisant fonction de président, et Publicola Garot, secrétaire, qui se donnèrent le plaisir d’interroger le ci-devant prince, tandis que le bourreau le préparait pour la mort. Ils lui demandèrent « depuis combien de temps il était parmi les brigands. – Depuis que je suis avec vous », riposta fièrement le moribond. Exténué par la fièvre, se soutenant à peine, il coupa court à l’entretien par ce mot dédaigneux : – « J’ai fait mon devoir, faites votre métier 50 ! »

La nuit est venue ; la pluie tombe à torrents 51 ; Bescher et Garot souhaiteraient porter jusqu’à l’échafaud cet insolent aristocrate, pour qu’on puisse répandre le bruit qu’il a eu peur. Prétextant son épuisement, ils offrent de le soutenir par-dessous les bras ; mais il les repousse, assurant « qu’il lui reste assez de forces pour mourir ». Sur la place, se tasse autour de l’instrument du supplice toute la sans-culotterie de Laval apprêtant ses brocards et ses huées. Des torches projettent de brutales lueurs sur l’attroupement tumultueux, sur la vieille porte pittoresque et jusque sur la froide et régulière façade du palais neuf. Au pied de la guillotine, un loustic, s’avisant que les regards du condamné se sont tournés de ce côté, lui demande « s’il connaît cette maison. –  Oui, c’est mon château » répond le prince. La charpente sinistre et la plate-forme sur laquelle apparaît maintenant la haute et jeune silhouette de Talmond, ruissellent sous l’averse et la horde amusée improvise ce refrain abject, bientôt hurlé en chœur :

 

        Monsieur de la Trémoille, mouille, mouille

        Monsieur de la Trémoille mouillera 52.

 

Quand le couperet se fut abattu, l’exécuteur Durand abandonnera sur l’échafaud le corps tronqué que lava, pendant toute la nuit, l’eau du ciel 53. Quant à la tête, Brutus Bescher et Publicola Garot l’emportèrent au Comité révolutionnaire. Elle avait sa destination.

Ils venaient de recevoir, en effet, une lettre adressée de Rennes, l’avant-veille, par le conventionnel Esnue-Lavallée alors que Talmond n’avait pas encore paru devant ses juges. Il faut la citer, au moins partiellement, car elle contient en germe le drame que nous avons à raconter et dont elle fut en quelque sorte, la cause occasionnelle. Voici donc ce qu’écrivait au Comité révolutionnaire de Laval le représentant de la Convention nationale :

 

... Vous voudrez bien, sitôt l’exécution de Talmond, faire attacher sa tête au bout d’une pique et la faire placer de suite sur la principale porte du ci-devant château de Laval, afin d’épouvanter les royalistes... Vous voudrez bien aussi faire les mêmes honneurs à la tête d’Enjubault, si ce fameux fédéraliste est condamné à la peine de mort 54.

 

Esnue-Lavallée tenait à son idée, car le 28 janvier, il insistait en ces termes :

 

... Je vous recommande aussi de faire à Jourdain, après son jugement et son exécution, les mêmes honneurs qu’à Enjubault et à Talmond. Ce sera une pique de plus à faire fabriquer. Je crois que vous ferez bien de faire de suite fabriquer quelques autres (piques) afin d’en avoir de prêtes au besoin, au fur et à mesure que les conspirateurs mayennais seront arrêtés 55.

 

En disposant si allégrement des têtes de Jourdain et d’Enjubault, le diligent conventionnel avançait : ces deux prévenus n’avaient pas encore été interrogés. Ils ne devaient point paraître avant quelques jours devant le tribunal du notaire Clément. L’exécution du prince de Talmond avait indigné tous les honnêtes citoyens de Laval 56 et, bien que, malgré leur nombre, ils ne comptassent guère, la commission jugeait prudent de laisser chômer sa machine et d’attendre, pour lui fournir de nouvelle pâture, que l’opinion parût résignée. Esnue-Lavallée indiquait, d’ailleurs, un moyen « d’épouvanter les royalistes » et il était urgent d’en expérimenter l’effet.

Pour aborder le récit de certains épisodes qui vont suivre, les lecteurs auront à vaincre quelque répugnance, ainsi qu’a dû faire le narrateur qui, d’avance, s’excuse auprès d’eux. Trop souvent la Terreur en province fut, non seulement sanglante, mais ignoble, telle que Paris, – même le Paris de ce temps-là, – s’en serait assurément révolté. Si tant de missionnaires de la Convention ont généralement laissé, partout où ils passèrent, l’horreur du nouveau régime, c’est parce qu’ils rivalisaient entre eux, semble-t-il, d’atrocité voulue et raffinée. Était-ce, de leur part, désir de se signaler ? Était-ce cruauté, ou peur, ou sadisme, ou sordide ivresse de leur éphémère omnipotence ? Était-ce parce qu’ils ne trouvaient, comme acolytes et comme instruments, que des hommes tarés, rebut des pires jacobinières ? À quelque mobile qu’ils aient obéi, tous ces déclassés ont aujourd’hui leurs apologistes, et qui se permet de mettre en lumière leur sombre histoire, même appuyée des documents les plus authentiques, est facilement traité de romancier ou de détracteur à gages. Durant le demi-siècle qui suivit la Révolution, les survivants de l’un et de l’autre camp, encore sous l’étreinte de l’effrayant cauchemar, se refusaient, d’un tacite accord, à en évoquer certaines visions trop repoussantes. Ce silence volontaire n’était pas sans grandeur : il se justifiait par les remords des uns, par le pardon des autres, par égard commun pour le bon renom du pays. Mais à présent que la mode est de décréditer systématiquement les victimes et d’exalter effrontément les oppresseurs, une si pudique réserve n’est plus autorisée. Quand tout sera connu, même l’immonde, on jugera impartialement auxquels revient l’opprobre et à qui doit aller la pitié.

Soucieux donc d’obéir au conventionnel, Brutus Bescher et Publicola Garat mandent, le 28 janvier, au comité révolutionnaire de Laval, l’officier de santé Tillot 57. Celui-ci accourt ; apprend qu’il s’agit « de vider la tête de Talmond pour l’exposer sur le portail du château » ; ainsi l’ordonne le représentant. Tillot, décontenancé, objecte son incompétence : il n’a, d’ailleurs, ni les instruments, ni les drogues indispensables à une préparation de ce genre. Sur quoi les autres assurent qu’un simple crochet lui suffira ; qu’il fera bien de s’en procurer un sur-le-champ, et de revenir aussitôt ; sinon on mettra des soldats à ses trousses. Quant aux drogues, du tan et de l’eau-de-vie feront parfaitement l’affaire.

Tillot sort, en quête d’un crochet. De retour au comité, il avise, sur la table, deux bouteilles d’eau-de-vie et un boisseau de tan ; il s’étonne : à quoi bon de telles provisions ? On lui répond qu’il n’y en a pas trop et « qu’on pourra en avoir besoin ». L’opération terminée, l’officier de santé se dispose à quitter le comité, emportant son outil ; mais Bescher et Garot lui commandent de le laisser : « il y a encore deux têtes à vider ; elles serviront de pendants à celle de Talmond ». Tillot interroge les deux sans-culottes ; ceux-ci hésitent un peu, puis déclarent que ces têtes sont celles de Jourdain et d’Enjubault, qui ne sont pas encore jugés.

Ils le furent le 1er février et, le soir de ce jour-là, le comité fit, de nouveau, appel à Tillot. Un des juges de la Commission Clément se chargea d’aller le prévenir ; armé de sabres et de pistolets, complètement ivre, il se présenta chez l’officier de santé au moment où la citoyenne Tillot servait la soupe : son mari, dit-elle, était absent ; mais il ne larderait pas à rentrer. Tillot se rendit au comité. Les deux têtes, fraîchement coupées, étaient sur la table ; Bescher, Garot, Marat-Quantin, d’autres encore s’amusaient à les manipuler, à les « peloter » ; l’opérateur reprit son crochet et, quand sa besogne fut accomplie, les commissaires, en manière d’essayage, plantèrent eux-mêmes les têtes sur des piques façonnées à cette intention. Mais l’effet n’était pas heureux ; les piques étaient mal faites : on dut les garnir de mentonnières en fer-blanc 58 : le résultat en devint très satisfaisant. Tillot reçut trente-six livres pour sa peine et les deux têtes, bourrées de tan et empestant l’alcool, allaient flanquer, sur le grand portail du château, celle du prince de Talmond, déjà exposée depuis quatre jours.

Cette dégoûtante exhibition consterna les habitants de Laval ; durant plusieurs jours la ville parut déserte ; les gens se confinaient dans leurs demeures ; seuls les exaltés du comité ainsi que les coupe-jarrets de leur état-major se montraient rayonnants et se rendaient en groupes bruyants jusqu’à la place du marché au blé afin d’insulter les trois têtes aux joues livides dont l’aspect hideux effrayait les soldats mêmes 59. Et voici ce que l’on racontait : de purs sans-culottes vinrent de loin pour voir ça : Gilles Coutard fut du nombre. Il y a huit lieues d’Ernée à Laval ; mais une si patriotique manifestation valait le dérangement ; d’autant plus que l’une de ces têtes était celle d’un Ernéen, le fédéraliste Jourdain auquel Coutard gardait de vieilles rancunes. Quand il l’eut bien examinée, il se prit à envier pour Ernée ce réjouissant spectacle. Là Jourdain avait vécu ; là sa famille habitait encore : à Ernée donc revenait, de droit, le répugnant trophée.

Comment Coutard réussit-il à l’obtenir, car il n’est pas supposable qu’il eût osé s’en emparer sans autorisation ? Nul document ne renseigne à ce sujet. Clément et Marat-Quantin, tous deux Ernéens et tous deux éminemment influents au comité révolutionnaire de Laval, l’y aidèrent bien certainement de tout leur pouvoir, persuadés que cette translation ne pouvait que plaire à Esnue-Lavallée. Coutard, d’ailleurs, étant près d’eux en grand crédit, on lui passa bien volontiers sa fantaisie et sans doute approuva-t-on sa bonne pensée. La tête de Jourdain, arrachée de sa pique, fut donc remise au chirurgien qui la glissa dans un bissac et reprit avec elle le chemin de chez lui 60.

Quand vivaient encore en grand nombre les contemporains de la Révolution, la tradition d’Ernée relatait que Coutard, revenant de son voyage porteur de son hideux colis, rentra, pour en faire l’ouverture, dans sa maison, où vivaient sa femme et ses deux filles : Marie-Anne, alors âgée de vingt-cinq ans et Adélaïde qui avait deux ans à peine. L’enfant, sans comprendre, vit-elle, de ses yeux effarés, cette tête abattue par le couperet du bourreau ? Le père de famille osa-t-il se faire gloire, auprès des siens, de son infamant exploit 61 ? Ce que de lui on sut plus tard rend vraisemblable cette inconsciente jactance ; mais comme il ne s’était pas procuré la tête de Jourdain pour récréer uniquement son entourage, elle fut promenée par la ville et portée au comité révolutionnaire qui l’exposa devant la maison du district, située dans la grande rue et dont la cour était précisément fermée d’une grille de bois sur les barreaux de laquelle la mentonnière de fer blanc s’adapta aisément. Les passants regardaient, fuyaient s’ils étaient braves, riaient et approuvaient s’ils ne l’étaient pas. Les gamins, d’abord effrayés, se familiarisèrent bientôt avec cette fascinante nouveauté ; ils l’avaient prise pour cible et lui jetaient des pierres.

 

*

*   *

 

L’acte de Coutard révolta toute la région et, sans la peur, maîtresse souveraine, l’unanime dégoût eût fait prompte justice, mais les plus indignés se taisaient, constatant que la cynique fanfaronnade du chirurgien valait à celui-ci, parmi ses confrères en jacobinisme, un surcroît de crédit et de prépondérance. On le vit bien quand Marat-Quantin, étant venu de Laval une seconde fois afin d’évangéliser « sa bonne ville » d’Ernée, se rendit à la société populaire. Saisi d’un patriotique transport, il s’étonne d’y rencontrer, à la place d’un club agissant et prêt aux grandes mesures de salut public, une simple réunion « d’apitoyeurs, de modérés et d’égoïstes ». Il décide aussitôt le renouvellement de la société et nomme sept « vrais sans-culottes pour en former le noyau ». Coutard est au nombre de ces sept « solides », qui devront désigner eux-mêmes les vingt-neuf autres membres du club épuré par leurs soins 62. Ainsi, les représentants du peuple, par la voix de leur délégué 63, témoignent à Coutard que son civisme est apprécié, et, fort de cette approbation, il arrive à domestiquer tous ses concitoyens.

Dans une ville telle que Paris, où l’on devient un anonyme dès qu’on sort de chez soi, la terreur avait des répits et le plus traqué des suspects parvenait quelquefois, dans ce tourbillon incessamment en remous, à dépister la surveillance ; mais imagine-t-on ce que peut être l’angoissante obsession de l’espionnage dans une petite cité de cinq mille habitants ? Nul n’ignore l’opinion du voisin ; la plus insignifiante action est remarquée, un mot, un haussement d’épaule suscitent des commentaires. On est suspect si l’on s’enferme : – Que fait-il chez lui ? Suspect également si l’on se promène : – Où va-t-il ? Impossible de fuir ; la ville entière en serait aussitôt informée. D’ailleurs des postes de soldats gardent les routes et les issues sont barricadées de troncs d’arbres 64. Il faut donc rester, affecter l’air satisfait, saluer bas les maîtres du jour.

Ils ont l’œil à tout : Coutard surtout est redoutable, lui que, depuis vingt-cinq ans, l’exercice de sa profession a mis en rapport avec tous les habitants, qui a pénétré dans toutes les maisons, qui connaît les ressources, les convictions, les sentiments et les relations de toutes les familles. Or, en sa qualité de membre fondateur de la société populaire, son devoir est de dénoncer les ennemis de la Révolution ; officier municipal, il octroie ou refuse, suivant son caprice, les cartes de sûreté, qui sont, en quelque sorte « un permis de vivre » ; ceux à qui fait défaut ce passeport civique, il les envoie à la prison, car il est membre du comité de surveillance révolutionnaire. Et comme il cumule, avec ces trois fonctions, celle de directeur de la poste aux lettres 65, ce qui le rend maître de la correspondance des suspects, il tient tout Ernée dans sa dépendance.

Bientôt la prison fut pleine : il fallut entasser les détenus dans l’église, dont le clocher était coiffé pourtant d’un bonnet de la liberté 66, et qui servait, en outre, de magasin militaire, de prétoire au club et de Temple à la Raison 67. Quand la place manqua dans l’église, une troisième geôle fut ouverte 68. Le gibier était parqué ; le notaire Clément pouvait maintenant reparaître.

Avec son peloton de juges il fit son entrée dans Ernée le 11 mars 1794. Une charrette les suivait portant la guillotine. Depuis qu’on ne les avait vus, Clément et ses acolytes avaient fait de la besogne et acquis de l’expérience : à Laval seulement leur compte se montait à deux cent vingt têtes 69. Clément envoyait maintenant à la mort des enfants de seize ans et des mères de famille sans plus d’émoi que s’il eût rédigé un contrat de vente et, l’habitude aidant, il prenait plaisir· à voir ses justiciables « éternuer dans le sac » ; on l’avait aperçu, en compagnie de ses juges, à la fenêtre d’une maison voisine de l’échafaud, se servant rasades et buvant à la santé des condamnés 70.

La Commission arrivait de Lassay, bourg dont Volcler, l’accusateur public, avait été, nous l’avons dit, le maire et le curé : glorieux de faire apprécier à ses anciens administrés son changement de situation, il venait de leur procurer le spectacle de cinq exécutions : deux prêtres, deux laïques et une fillette de seize à dix-sept ans, Françoise Gauderian, dont le souvenir est, jusqu’à nos jours, resté légendaire dans toute la contrée 71.

C’est donc précédée d’une réputation méritée que la Commission s’installait à Ernée. L’anxieuse curiosité des habitants se portait sur la guillotine, d’abord, émouvante nouveauté, que l’exécuteur Durand dressa aussitôt sur la place du Ralliement ; on guettait aussi Clément, que toute la ville avait connu, très récemment encore, doux et placide tabellion. Ce cas insolite d’un notaire transformé en pourvoyeur du bourreau causait aux Ernéens une stupeur justifiée.

De le voir à l’œuvre on comprit moins encore : ce fut, pendant huit jours, une débauche ininterrompue de sanglantes extravagances. La Commission s’installa dans l’église et, sans enquête ni procédure préalables, condamna, au hasard, les suspects qu’on lui amenait de la prison. Volcler, chargé, pour la forme, du réquisitoire, basait habituellement sa conviction sur une proportion arithmétique : la population se monte, disait-il, à tant d’habitants, donc elle doit contenir tant d’aristocrates 72. L’un des juges ne « dessoulait pas » ; le président Clément, lui aussi, s’enivrait à rouler, si bien qu’un jour on le crut mort et le bruit de sa fin se répandit dans Ernée 73. Ces incidents, au reste, n’entravaient pas « le cours de la justice ». La Commission fit comparaître une cinquantaine de cultivateurs du Bas-Maine : motifs de l’arrestation, des plus vagues : en feuilletant le registre des jugements on rencontre ceux-ci : – inculpé d’avoir vendu trop cher une jument ; – suspect de sentiments brigantins ; – a dit qu’il se foutait de la garde nationale ; – accusé d’avoir aimé la cocarde blanche ; – convaincu de jouir, parmi les scélérats, d’une certaine considération. À la plupart on reproche, sans preuve aucune, d’avoir fait bon accueil à l’armée des brigands. On ne sait rien de l’aspect de ces audiences : sans doute n’y assistaient que les juges, les accusés et les soldats de garde ; personne n’a rapporté la contenance de ces paysans devant ce tribunal d’ivrognes, ni leurs protestations, leurs cris, les invectives échangées, ni la marche, à travers les rues, vers l’échafaud, par petits groupes de quatre, de six, de neuf ; ces choses n’avaient pour témoins que les énergumènes qui s’en gaudissaient et ceux-là, plus tard, se gardèrent bien de raconter. Les autres, probablement, se terraient au fond de leurs demeures, s’efforçant de ne rien voir, de ne rien entendre, ne devinant que trop, aux chants sinistres, aux hurlements des brutes en liesse, les scènes de sauvagerie qui déshonoraient leur cité.

Avec la tête de Jourdain, Coutard a donné le ton ; ses imitateurs forcent la note. Un certain Boulan, adjudant général, collectionne les oreilles de chouans : il ne se risque pas à les conquérir lui-même, mais en charge ses soldats : 20 livres par paire d’oreilles, tel est son tarif. Il a même l’aplomb de présenter à un député, – François Primaudière, sans doute, – un mémoire de 800 livres à ordonnancer pour le paiement de quatre-vingts oreilles dont il a tapissé sa chambre 74 ! Ce Boulan prend le commandement d’Ernée pendant le séjour de la Commission Clément 75 ; l’exemple ainsi vient de haut et chacun s’ingénie à surenchérir. Aux exécutions, sur la place du Ralliement, des mégères trépignent, se bousculent, et trempent dans le sang des linges qu’elles garderont comme fétiches ; et l’on voit un jour une malheureuse qui, sur le point d’être mère, prise d’une sorte de délire, se place sous l’échafaud, demi-nue, pour baptiser de sang d’aristocrate l’enfant qu’elle porte dans son sein 76. Volclerc, afin de renforcer le spectacle de quelques figurants terrifiés et sanglotants, ordonne que les acquittés assisteront aux supplices : on les force ainsi à regarder de tout près tomber la tête d’un père, d’un mari, d’un camarade 77. Le notaire Clément est là aussi, en habitué que la mort n’effraie pas : il plaisante et nargue les victimes : – « Allez, allez, dit-il, éternuer patriotiquement devant le père éternel. »

Ernée est maintenant asservi : il faut approuver ou disparaître : la pitié, le dégoût même sont réputés crimes : le 20 mars, par les rues du bourg, deux hommes portent sur un fauteuil une vieille femme hydropique et percluse : c’est une religieuse, Jeanne Véron, qu’on a tirée de son lit, à l’hospice, et que Clément envoie à l’échafaud 78 ; une autre religieuse, Françoise Trehet, comparaît devant la Commission et Volcler lui promet la vie si elle crie Vive la République. Le soldat qui surveille le banc des accusés s’apitoie, – les soldats seuls ont encore l’audace de la compassion ; – il dit Vive la République ! et ajoute aussitôt : – « Elle a crié. » Mais la sœur Trehet proteste ; elle n’a pas crié, elle ne criera pas : elle préfère mourir. Courageusement elle marche vers l’échafaud en chantant le Salve regina 79 ; avec elle sont guillotinés quatre paysans.

Les paysans, les religieuses ou les prêtres composent seuls « les fournées » ; aucun bourgeois du canton d’Ernée n’y figure. C’est que le notaire Clément a grand soin de ne pas entamer la clientèle de son étude 80. Coutard, lui non plus, ne consent pas qu’on touche à ses clients et, dans sa maison, entre Clément, Volcler et lui, ces marchandages provoquent de farouches échanges d’invectives et de menaces 81.

La Commission clôtura ses travaux le 20 mars. L’échafaud, tant sur la place des Halles que sur celle du Champ-de-Foire 82, avait tranché, en une décade, trente-huit têtes. Les restes des condamnés, – trente-trois hommes et cinq femmes, – furent portés à deux mille pas environ de la ville, et enfouis dans un pré, à gauche du chemin de Larchamp. L’exécuteur Durand démonta l’appareil, le chargea sur sa charrette, qui, suivant les juges, prit, sous forte escorte, le chemin de Mayenne où allait se terminer la mission de Clément. Nommé pour trente jours, il avait prolongé son proconsulat durant trois mois. Par ordre des représentants le tribunal fut renouvelé et, dans les premiers jours d’avril, Clément, ayant déposé le chapeau à plumes insigne de ses fonctions, revint à Ernée et reprit possession de son étude aussi placidement que si, pendant sa vacance, il n’avait pas prononcé près de 300 arrêts de mort 83.

Comme il ne renonçait pas à « la politique », il rentra au comité de surveillance révolutionnaire ; lui et Coutard y avaient la prépondérance et tous deux, convaincus que le règne de la bienfaisante terreur durerait toujours, s’occupèrent à préparer de la besogne au nouveau tribunal ambulant qui, dès le 7 avril, avait tenu séance à Laval. Ce médecin et ce notaire de petite ville, marquant pour la mort leurs concitoyens, s’entendant pour choisir, parmi leurs connaissances, la pâture de la guillotine, ne faisaient pas exception. Par tout le pays, à cette époque, d’autres Coutard et d’autres Clément travaillaient à la même tâche et, de cette généralisation, l’exemple d’Ernée prend tout son intérêt. On possède une liste de suspects dressée par les deux compères : elle montre de quelle formidable puissance s’étaient investis ces commissaires sans mandat satisfaisant leurs rancunes personnelles avec un cynisme souverain. Nulle explication ; pas de commentaire : – La citoyenne Renée-Louise Corbière, femme Picot : enflée de sa noblesse et suspectée d’avoir eu des relations avec son père et son mari émigrés. – Charlotte Desnos veuve Boisbéranger : orgueilleuse et aussi suspecte que la Picot. – P.-J. Foucault, veuve d’Aubin Messugière : suspectée d’avoir excité ses deux fils à émigrer. – Femme Tripier-Lozay : femme haute. – Louise David, femme de Nicolais : prédicante du fanatisme. – Charles Pottier : n’a rien fait pour la Révolution et a paru favoriser l’aristocratie 84... Devant un tribunal de ce temps-là, pareilles désignations, c’était la mort, et ces notes brèves, que n’appuyaient aucun fait, aucune référence, équivalaient au plus impitoyable des réquisitoires.

Ainsi promu l’un des arbitres des destinées d’Ernée, Coutard trouva un époux pour sa fille aînée, Marie-Anne. C’était un veuf, Jean Godin-Dubrie, âgé de vingt-sept ans et demi. Marie-Anne avait vingt-six ans 85. Le mariage eut lieu le 5 mai 1794 86. Le jeune ménage s’établit à Ernée, dans une propriété voisine de celle du chirurgien. Celui-ci restait seul dans sa grande maison du Baril avec sa femme et la petite Adélaïde qui, à l’époque où prit fin la Terreur, avait exactement deux ans et cinq mois.

 

 

 

III

 

 

« LES pères ont des enfants qui ressemblent au fond de leur pensée », disait Blanc de Saint-Bonnet. L’éducation d’Adélaïde Coutard ne la déroba pas aux dangers de son fatal atavisme : les premiers mots qu’elle dut entendre furent des imprécations et des blasphèmes ; alors que son esprit s’éveillait, les familiers de la maison paternelle étaient Clément, Volcler, Boulan, Marat-Quantin ; ils l’avaient, peut-être, caressée après boire et tenue sur leurs genoux. Qui d’autre se serait occupé d’elle ? Les religieuses de l’hospice 87, réduites à la mendicité, n’entraient pas chez Coutard ; la morale que prêchait Cahoreau, le curé intrus, ne devait pas être édifiante 88. De la citoyenne Coutard nous ne savons rien, peut-être ne comptait-elle guère dans le ménage. Usée par quinze maternités qu’avaient suivies tant de deuils, témoin depuis longtemps résigné, probablement, de la vie dissolue de son mari, elle reste dans cette histoire ce qu’elle fut dans l’existence, une figure effacée et insaisissable.

La révolution du 9 thermidor fut une sorte de résurrection. Sans que le pays se rendît compte des causes de ce grand revirement, il sentit que le règne des forcenés était passé. La France semblait entrer en convalescence ; les survivants, si longtemps molestés, s’informaient les uns des autres comme après une bataille meurtrière. Seuls à regretter Robespierre, ceux qu’on appelait « les égorgeurs 89 », pris d’angoisse à leur tour, se tenaient cois. À Ernée, Coutard et Clément affectaient la quiétude ; on ne se risquait pas encore à les honnir ; mais les républicains de la ville, tout autant que les royalistes, se détournaient d’eux et ne cachaient plus leur mépris. Tous deux simulaient l’assurance : Clément continuait à gérer son étude, dont les clients, il est vrai, se faisaient rares ; Coutard poursuivait avidement ses spéculations sur les biens nationaux. Le moment était heureusement choisi, car la dépréciation du papier de la République s’accentuait de jour en jour. Quand, en fructidor an II, le chirurgien achète la closerie du Perray, à Montenay 90, l’assignat de cent livres ne vaut plus que trente-quatre francs. En l’an III ses acquisitions de trois terres appartenant à des nobles ou à des prêtres déportés sont plus lucratives : cent livres papier égalent un peu moins de trois francs en numéraire. Au cours de l’an IV il acquiert encore du bien de paroisses 91, alors à la portée de toutes les bourses, puisque l’assignat de cent livres est tombé à trente centimes 92.

Coutard s’arrondissait, Clément rédigeait des actes ; mais ils n’étaient pas tranquilles. Il y avait, à quelque cent mètres du bourg, dans la verte vallée de l’Ernée, en un endroit où, le soir, le brouillard s’étend en longues écharpes, impalpable et blanc comme une ronde de fantômes, ce champ où tant de corps avaient été enfouis... On l’appelait le « champ des guillotinés 93 ». Les deux compères n’avaient pas peur des morts ; mais ils redoutaient les représailles des vivants, représailles prochaines dont, à certains indices, on ne pouvait douter. Le Comité révolutionnaire, d’abord muselé, fut bientôt supprimé 94 ; Clément, ayant réclamé de la municipalité un certificat de civisme, ne put l’obtenir 95 ; partout on bâtonnait les jacobins ; la « jeunesse dorée » s’insurgeait contre les terroristes ; la Convention, enfin libérée de sa trop longue peur, instruisait elle-même son propre procès et faisait amende honorable : à la fin de mai 1795, on apprit qu’Esnue-Lavallée, avec bien d’autres, était décrété d’accusation ; quelques jours plus tard l’Assemblée repentante célébrait une cérémonie expiatoire en commémoration des magnanimes défenseurs de la liberté morts dans les prisons ou sur les échafauds pendant la tyrannie 96. Coutard et Clément, pleins de fiel, causant de leurs exploits passés, se lamentaient de la trop courte durée de leur règne et déploraient leur « modération ».

– J’ai fait couper deux cents têtes et je ne me repens que d’une chose, disait le notaire, c’est de n’en avoir pas coupé deux cents autres pour être tranquille.

– Que dis-tu, répliquait le chirurgien ; il en faudrait plutôt quatre cents 97.

Dans la région d’Ernée même, la réaction s’affirmait. À la requête de l’accusateur public, François Midy, presque tous les « sanguinocrates » du Comité révolutionnaire de Laval, Bescher, Marat-Quantin, étaient emprisonnés et transférés à Alençon 98. Boulan, l’homme aux oreilles de chouans, était sous les verrous ; même les gendarmes vinrent à Ernée pour arrêter le notaire Clément, et à Lassay pour s’emparer de Volcler qui, avertis à temps, réussirent à se soustraire aux poursuites 99 jusqu’au jour où la Convention, comprenant que, si elle continuait dans cette voie, elle se dévorerait elle-même, proclama, à sa dernière séance 100, une amnistie pour tous les délits, poursuites ou jugements relatifs aux faits révolutionnaires.

Coutard échappait donc au châtiment ; du moins en jugeait-il ainsi, et même il triompha quand il fut nommé commissaire du Directoire à Ernée. Redoutant partout et sans cesse un mouvement royaliste, le nouveau gouvernement choisissait comme agents les plus compromis terroristes, assuré que, ceux-là du moins, le défendraient, ne fût-ce que par souci personnel, contre la restauration menaçante 101. Mais ce passage aux honneurs fut de courte durée, car le pouvoir exécutif reconnut bien vite l’impossibilité de maintenir en place un homme à ce point taré et Coutard-Chauvinière fut révoqué 102. Vers la même époque, Clément, sous le poids de l’unanime exécration, était contraint de céder son étude : il quitta Ernée et disparut 103.

Coutard-Chauvinière est sans vergogne : le mépris de ses concitoyens ne lui pèse guère : habile praticien, encore employé à l’hospice, il trouve à soigner quelques malades pauvres, auxquels, assure-t-il, il ne réclame jamais d’honoraires ; non point qu’il agisse ainsi par charité, mais, sans doute, parce que la clientèle riche l’a quitté, car il sollicite et obtient l’autorisation d’installer dans sa maison une apothicairerie 104. Ceux qui se souviennent s’étonnent de son impunité : le chirurgien paraît être heureux : il est riche ; il habite l’une des plus belles maisons d’Ernée ; en 1797, il est grand-père, sa fille aînée, Marie-Anne Dubrie, ayant donné naissance à une fille 105, nommée, elle aussi, Marie-Anne, mais que, dans l’intimité de la famille, on appellera Manette. L’autre fille de Coutard-Chauvinière, Adélaïde, atteint, à cette époque, sa cinquième année : on pressent qu’elle sera peu jolie ; mais elle sera une héritière. C’est une enfant sournoise, renfermée et qui paraît reporter toute son affection sur sa nièce, la petite Manette Dubrie, pour laquelle elle témoigne une enfantine sollicitude.

A l’aurore du XIXesiècle, il semble que renaît la France d’autrefois : pour les jacobins impénitents, tels que Coutard, quel amer et mortifiant dépit de voir se réveiller, jeunes et ardentes, les traditions du passé qu’ils ont cru pour toujours détruire ! Quel soufflet pour leur orgueil que les sonneries des cloches enfin ranimées, la joyeuse émotion des fidèles se pressant dans l’église purifiée des souillures révolutionnaires, la première procession déroulant le cortège des voiles blancs et les jonchées de roses ! L’église d’Ernée fut rendue au culte en mai 1803 ; Cahoreau, l’intrus, dut quitter la ville 106.

Quelques années passèrent et Coutard connut d’autres déconvenues encore, plus alarmantes : quand vint l’époque de la Restauration, il subit, contenant sa rage, le spectacle des enthousiasmes populaires, les drapeaux blancs arborés aux fenêtres, les défilés de chouans chantant des airs royalistes, le triomphe de tout ce qu’il avait combattu. Il arriva même, au cours de cet été de 1814, le 16 juillet, que, par les rues de la ville, s’avancèrent des prêtres en surplis, suivis d’une foule recueillie : on exhumait, du champ des guillotinés, les restes des trente-huit victimes de l’échafaud, enterrés là depuis vingt ans. Au bruit des cloches et des chants funèbres, leurs ossements furent portés à la chapelle de Charnay et déposés dans un caveau où ils reçurent la sépulture ecclésiastique 107. La population d’Ernée s’associa pieusement à la cérémonie et, ce jour-là, bien certainement, la maison de Coutard resta close ; l’ancien commissaire révolutionnaire évita de se montrer.

On ne l’inquiétait pas, cependant, nul ne semblait se souvenir de lui : on s’efforçait d’oublier les persécutions révolutionnaires ; la politique mansuétude du roi, ses solennelles promesses de pardon portaient exemple et ceux mêmes qui, envers le chirurgien, gardaient quelque grief personnel, s’en remettaient à la justice divine du soin de leur vengeance.

Bien qu’il se fît appeler, maintenant comme dans l’ancien temps, Coutard de la Chauvinière, il n’avait rien abdiqué de ses ressentiments et de ses haines : à soixante-dix ans, pendant les Cent-Jours, il réclamait un fusil pour guerroyer contre les chouans 108. Sa requête parvenait au chef-lieu le jour même où l’on y apprenait le désastre de Waterloo. Au définitif retour du roi, le chirurgien comprit enfin que son rôle était terminé : il se tut et se terra, sans se résigner.

Il était veuf depuis 1809 109. Sa fille Marie-Anne Dubrie avait perdu son mari : elle vivait, avec Manette, son unique enfant, dans une maison que l’étroite ruelle du Baril séparait du grand immeuble, bâti en manière d’hôtel, qu’habitaient, avec sa fille Adélaïde, le chirurgien et un neveu de celui-ci, Michel Coutard, militaire retraité pour cause de blessures, retiré là, en 1809 110, ex-lieutenant aux chasseurs à cheval de la garde impériale et membre de la Légion d’honneur 111. Les deux maisons n’en faisaient qu’une : une porte ouvrant sur la ruelle permettait aux Coutard une communication constante avec les Dubrie : on traversait la ruelle en savates et en costume d’intérieur ; on échangeait les petits services ménagers auxquels oblige l’intimité d’un voisinage et l’on vivait, pour ainsi dire, en commun.

Adélaïde de la Chauvinière, – ainsi désignait-on à Ernée la plus jeune fille de Coutard, – était, en 1815, à vingt-trois ans, une toute petite personne 112 aux cheveux châtains, aux yeux roux, assez vive et délurée, mais sans beauté 113. Plus jeune d’un quart de siècle que la veuve Dubrie, sa sœur, elle s’assortissait davantage, en raison de la parité d’âge, avec sa nièce Manette alors près de ses dix-huit ans. Manette était jolie, affable, réservée et charmante ; nul ne consentait à la confondre dans la réprobation qui pesait sur le reste de la famille : élevée dans un pensionnat du Mans 114, elle était rentrée chez sa mère à l’époque de la première Restauration ; de tout son cœur tendre elle aimait sa petite tante Adélaïde et celle-ci lui témoignait un attachement assez semblable à une camaraderie quasi maternelle.

Mlle de la Chauvinière n’avait, d’ailleurs, pas d’autre amie : elle fréquentait chez sa cousine, Jeanne Clouard, fille du pharmacien auquel, vers 1806, Coutard avait cédé son fonds d’apothicairerie ; mais, là comme ailleurs, on l’accueillait assez froidement. C’est que la maison Coutard avait un sinistre renom : certains n’oubliaient pas la mort singulière des douze enfants du chirurgien ; on se rappelait aussi la tête de Jourdain, l’intimité avec Clément, Volcler et Marat-Quantin ; à ces souvenirs s’ajoutaient des imputations qu’on n’osait pas formuler : depuis la mort de Mme Coutard, l’habitation du vieux jacobin passait pour être un lieu d’épouvantables débauches qu’Adélaïde n’avait point ignorées et Coutard, insinuait-on, trouvait à satisfaire, sans sortir de chez lui, son criminel libertinage. On savait, à n’en pas douter que, dans le courant de 1814, un hobereau breton, M. V. du T., ayant demandé la main de Mlle de la Chauvinière, avait été agréé par le père et par la jeune fille qui, à cette époque-là, fut, durant plusieurs semaines, obligée de garder le lit : son père lui donnait des soins. Maladie de poitrine, dit-elle, lorsqu’elle fut remise. Mais le prétendu, mieux renseigné, on ne sait par qui, sur la nature de ce mal mystérieux, reprit sa parole et ne reparut plus 115. En octobre 1815, un nouvel épouseur se présenta, M. H. M. de Vitré ; sa demande faite, il rompit, comme l’autre, ses engagements, donnant comme prétexte que toute la fortune de la demoiselle consistait en biens acquis révolutionnairement 116. La présence du cousin militaire n’avait pas affermi la réputation de Mlle de la Chauvinière, encore qu’il eût quarante-quatre ans 117 et que toute la ville fût informée de ses assiduités auprès de la veuve Dubrie : la chronique le mariait, tantôt avec celle-ci, tantôt avec Adélaïde et aussi avec Manette qui, dans l’innocence de ses dix-huit ans, croissait, candide, dans cet Averne comme une fleur sur un fumier.

Mlle de la Chauvinière, depuis la rupture de ses secondes fiançailles, ne dissimulait plus le dépit jaloux qu’elle éprouvait des égards témoignés à sa nièce et de l’éloignement dont elle-même se sentait l’objet. – « Je ne sais pas pourquoi l’on m’en veut, disait-elle, je ne suis point comme une autre ; je ne parle de personne et tout le monde s’occupe de moi 118. » Elle confiait ses déboires à sa servante, Thérèse Caillère, une fille d’Ernée âgée, comme Adélaïde, de vingt-trois ans, et bien des gens s’étonnaient de l’extrême intimité qui était établie entre cette domestique et Mlle de la Chauvinière 119. Celle-ci communiquait à la docile Thérèse toutes ses pensées et l’on connut plus tard quelques-uns de ces étranges épanchements : un jeune homme, de vingt-deux ans, plaisait beaucoup à Adélaïde ; mais il hésitait à la demander en mariage parce qu’il ne jugeait pas la dot assez ronde ; et la tendre fille disait à Thérèse : – « Papa est d’un certain âge, il peut mourir... » Un autre jour, songeant à la fortune de la jolie Manette Dubrie, elle observa : « Si ma nièce venait à mourir, je serais héritière et je deviendrais un beau parti 120. »

 

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Le 20 novembre 1815, un lundi, Jeanne Furon, domestique de Mme Dubrie, accommoda en civet un lièvre acheté au marché. Au moment de dresser le plat, elle le goûta et lui trouva une mauvaise saveur. Elle le servit cependant à Mme Dubrie et à Manette qui, avant la fin du repas, furent prises de vomissements violents accompagnés de mouvements convulsifs. Manette dut s’aliter ; sa mère s’installa au coin du feu, dans la cuisine, et Jeanne Furon, que l’insuccès de son civet tracassait, prit dans la sauce un oignon qu’elle mangea. Presque aussitôt il lui parut « qu’elle gonflait » ; elle eut des vertiges. Thérèse Caillère, la servante de Coutard, étant entrée, dans l’après-midi, chez les Dubrie, trouva, auprès de l’âtre, Mme Dubrie qui lui confia l’aventure et l’invita à goûter ce civet suspect. Thérèse obéit et le déclara « très bon ». Le lendemain, pourtant, elle fut malade. Le père Coutard, consulté, ordonna à Mme Dubrie et à Manette une infusion de fleurs de tilleul. Cette alerte n’eut, d’ailleurs, d’autre effet que le départ de Jeanne Furon ; elle se souvenait bien d’avoir, plusieurs fois, quitté sa cuisine tandis que le plat mijotait ; mais elle ne s’était pas aperçue que quelqu’un y fût entré pendant ces absences. Quoique personne ne l’accusât même de négligence, elle abandonna la maison et fut remplacée par une femme Séjean, complètement ignorante des rudiments de l’art culinaire. Toute la ville, comme bien on pense, s’intéressa au changement de domestiques survenu chez Mme Dubrie et en commenta les causes : certains ricanaient, assurant que « ce vieux farceur de Coutard » tentait maintenant de se débarrasser de sa petite-fille comme il l’avait fait, jadis, de presque tous ses enfants 121.

La Séjean, depuis le 21 novembre au service de Mme Dubrie, se tirait courageusement des gros ouvrages, mais, pour la confection des repas, elle était obligée de faire appel à l’expérience de Thérèse Caillère qui passait complaisamment d’une cuisine à l’autre afin de conseiller sa novice camarade. Le dimanche, 3 décembre, vers huit heures du matin, la Séjean entra, très perplexe, chez Thérèse. On vient de lui commander, pour le déjeuner une soupe au lait et elle ne sait comment s’y prendre. Thérèse la suit dans la cuisine de la maison Dubrie, pose sur le feu une marmite où elle met de l’eau, des navets et du beurre. Mlle de la Chauvinière, déjà levée, entre un instant chez sa nièce pour lui emprunter un châle : elle donne, en passant, un coup d’œil à la soupe et soulève le couvercle de la marmite ; puis elle revient chez elle et continue sa toilette. Thérèse regagne sa cuisine où, vers neuf heures, la Séjean reparaît : elle a, de nouveau, besoin d’un conseil : elle ne sait pas si la soupe est cuite et s’il est temps de la tremper. Thérèse, après examen, déclare que la soupe est à point : comme elle la verse dans la soupière, elle voit, au fond de la marmite « quelque chose de blanc », – du lait tourné ou des navets trop cuits ? On dirait plutôt du sable : les deux femmes y touchent du bout de la cuiller : cette substance blanche est compacte, presque dure. La Séjean reste consternée : mais Thérèse, pour ne point paraître embarrassée devant son élève, décide que « ce n’est rien ; que la soupe n’a pas été assez remuée, voilà tout ». Elle porte la marmite sur l’évier et la rince à grande eau 122.

Une demi-heure après leur déjeuner, Mme Dubrie et Manette souffraient d’atroces douleurs à l’estomac : Manette s’évanouit : la Séjean qui, elle aussi, avait mangé sa part de soupe, restait assise sur sa chaise, « les jambes mortes », incapable d’un mouvement, et les deux chiens auxquels on avait distribué le fond de la soupière, vomissaient en hurlant dans la cour 123. Adélaïde vint « voir ce qu’il y avait » ; elle était habillée, prête à sortir ; elle paraissait de bonne humeur, adressa quelques mots de commisération enjouée aux malades et partit pour rejoindre sa cousine Jeanne Clouard que, ce dimanche-là, elle voulait accompagner à la messe. Après l’office, elle prévint Jeanne qu’elle irait avec elle aux vêpres et qu’elles passeraient l’après-midi ensemble. Cela surprit, car Mlle de la Chauvinière se montrait rarement à l’église et n’était pas dévote 124. Fort gaie durant tout le jour, elle quitta la maison Clouard tard dans la soirée. Quand elle rentra chez elle, son père l’attendait : en furetant dans une armoire, non fermée à clef, où étaient conservées quelques drogues, il avait constaté une sensible diminution d’un paquet d’arsenic acheté récemment 125 et destiné à la destruction des rats qui pullulaient dans la cave. Il fit part de cette découverte à sa fille ; le vieux chirurgien soupçonnait de ce méfait son neveu Michel, l’officier. Bien qu’ils vécussent sous le même toit, les deux hommes ne sympathisaient guère ; les discussions entre eux étaient fréquentes et grossières. Michel, il faut le dire, se querellait, de son propre aveu, « avec tout le monde 126 ». Comme Coutard achevait cette confidence, survint Thérèse Caillère qui vit le père et la fille se parlant à voix basse : elle entendit la demoiselle recommander « de ne rien révéler, parce qu’une indiscrétion pourrait amener des désagréments ».

Le lendemain Manette et la veuve Dubrie allaient mieux. Vers la fin de l’après-midi, une femme Sentif, qu’Adélaïde employait parfois à des commissions, se présenta à la maison Coutard apportant, disait-elle, quelque chose pour Mlle de la Chauvinière : celle-ci accourut et reçut de la femme Sentif un petit paquet qu’elle glissa « mystérieusement » dans sa poche 127. Elle se rendit aussitôt chez sa sœur et s’occupa, sans tarder, à préparer un lavement pour Manette qui, le soir, eut des convulsions. La nuit fut très mauvaise. Dans la journée du mardi 5, Coutard, préoccupé, alla chez Clouard acheter de l’arsenic « pour procéder à une expérience ». Revenu chez lui, il fit bouillir le poison dans du lait. Adélaïde assistait à la préparation ; Thérèse, intriguée, les surveillait de loin. Mlle de la Chauvinière dit à son père :

– Vous avez tort de perdre cet arsenic, nous pouvons en avoir besoin.

– Je fais cette expérience, répondit Coutard, pour éloigner de nous les soupçons.

– À moins que Thérèse ne babille, ajouta Adélaïde, personne ne le saura.

Thérèse, pour le coup, se révolta :

– Ah ! mademoiselle, voilà pourtant assez de malheurs...

Adélaïde la gourmanda d’un ton menaçant :

– Taisez-vous, Thérèse, cela ne vous regarde pas ; j’ai encore les moyens de vous en faire autant.

La servante, épouvantée, ne dit mot : Coutard et Adélaïde continuèrent, en riant, leur besogne 128.

La pauvre Manette était très mal : le grand-père, qui la soignait, ordonnait une médication qui paraissait ne produire aucun effet : de l’eau sucrée, des infusions de mauve ou de tilleul. Ce farouche jacobin qui, en politique, préconisait les remèdes radicaux, était, comme médecin, partisan des plus anodins. Il n’appela d’ailleurs aucun de ses confrères 129. Adélaïde s’occupait de Manette, préparant les potions devant Thérèse terrifiée de voir Mlle de la Chauvinière sortir, à tout instant, de sa poche, un petit paquet contenant une poudre blanche dont elle sucrait les tisanes. Chez Coutard, de virulentes disputes éclataient, à toute heure du jour, entre le chirurgien et le neveu militaire : celui-ci avait appris la disparition de l’arsenic déposé dans l’armoire et menaçait de dénoncer le fait au juge de paix : Adélaïde et son père essayaient d’intimider ce grognard inquiétant en insinuant qu’ils le croyaient coupable. – « Tu es cause de tous nos malheurs », tonnait Coutard. Mais l’autre, pénétrant leur dessein, invectivait son oncle : – « Malheureux ! Scélérat ! Brigand que vous êtes, vous voudriez me sacrifier pour sauver votre... » Michel s’exprimait en termes soldatesques et le reste de sa phrase ne peut être reproduit 130, bien qu’on y découvre, résumé d’un mot, le motif des complaisances de ce père indigne pour cette fille criminelle.

Le jeudi soir Manette fut secouée de telles convulsions que Thérèse dut passer la nuit entière auprès d’elle. À l’aube, la prévenante Adélaïde servit à sa domestique, pour la remettre de ses fatigues, une soupe qu’elle avait confectionnée de sa main ; mais Thérèse, malgré les instances de Mademoiselle, s’obstina à ne point y goûter : elle préférait un morceau de pain coupé, par elle-même, à la miche. Mme Dubrie et la Séjean, toujours alitées, montraient pareilles répugnances : on cachait à la mère l’état de sa fille qui, le dimanche matin, fut désespéré. Ce jour-là, Mlle de la Chauvinière se fit voir encore à la messe et, comme le dimanche précédent, elle passa tout l’après-midi chez ses cousines Clouard. Plusieurs personnes se trouvaient là qui lui firent froid accueil : la ville entière s’intéressait au sort de Manette et nul ne prenait soin de dissimuler sa conviction d’un manifeste assassinat, comme si un pareil drame, chez les Coutard, eût été, depuis vingt ans, présagé, à l’égal d’un inéluctable enchaînement. Mme Dubourg, la directrice de la poste, l’une des visiteuses de Mme Clouard, ne put cependant contenir son indignation : elle demanda des nouvelles de la malade : Adélaïde répondit avec indifférence, que Manette « allait aussi bien que possible ». Alors Mme Dubourg éclata :

– Quels sont les monstres qui, par souci de fortune, ont pu commettre un si grand crime ?

Devant l’assistance stupéfaite, Adélaïde expliqua posément que les coupables, quels qu’ils fussent, ne pouvaient savoir laquelle des deux, de sa sœur ou de sa nièce, mourrait la première : elle exposa que, si Mme Dubrie décédait avant sa fille et que celle-ci disparût à son tour, la fortune revenait à la famille du père : il faudrait pour qu’elle, Adélaïde, héritât, que la jeune fille mourût d’abord et sa mère ensuite 131. Ceux qui l’entendaient en tremblaient d’effroi. Ah ! celle-là était bien du sang des Coutard. – « Les pères ont mangé du raisin vert et les dents de leurs enfants en sont encore agacées », disaient les bonnes femmes ; d’autres remarquaient que le baptême imposé par Cahoreau, le prêtre intrus, n’avait pas soustrait au démon l’âme de la petite Adélaïde, et d’un bout à l’autre d’Ernée en rumeur, des imprécations allaient vers la maison maudite où agonisait une nouvelle victime du vieux terroriste.

 

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Manette expira le lendemain, à cinq heures du matin. Avertie par Thérèse, sa domestique, Adélaïde se leva et se rendit à la chambre de la morte, étendue sur son lit qu’abritaient des rideaux de bazin bleu. Mlle de la Chauvinière se pencha sur le visage du cadavre et y déposa un baiser ; puis elle ouvrit l’armoire de sa nièce, y chercha une reconnaissance de cinq mille et quelques francs prêtés par les dames Dubrie à Coutard, et, l’ayant trouvée, elle emporta chez elle le précieux papier 132. Elle revint à l’armoire, s’empara de six couverts d’argent ; une troisième fois, vers dix heures du matin, elle reparut, fouilla dans les nippes de Manette et y prit deux coupons de toile dont elle chargea Thérèse en lui ordonnant de les fourrer dans son lit. Elle se hâtait car, dans la rue, aux alentours de la maison, des gens s’attroupaient et déjà frappaient à la porte. Vite, Adélaïde aida Thérèse à cacher les rouleaux d’étoffe, soulevant elle-même la couette, tandis que la servante étendait les coupons sur le matelas. Il était temps... La maison Dubrie était envahie : des gendarmes gardaient la ruelle et repoussaient les curieux impatients de voir le juge de paix, M. Barrangerie, entrer chez l’empoisonnée, en compagnie de son greffier Pottier et des deux docteurs Lambron et Mulot.

Par ceux qui jusqu’au soir stationnèrent dans la ruelle du Baril, on apprit les incidents de la journée : d’abord le transport dans la maison Coutard de Mme Dubrie et de la Séjean, toujours malades ; les deux médecins commencèrent aussitôt l’autopsie de Manette et l’on sut que, dès l’ouverture du corps, ils avaient rencontré des traces d’arsenic ; leur rapport concluait à l’empoisonnement. Puis le juge de paix passa chez Coutard, questionna Mme Dubrie qui déclara ne soupçonner personne ; il interrogea ensuite Thérèse Caillère, la Séjean, Jeanne Furon dont il ne tira que des indications contradictoires. Les curieux virent encore apporter le cercueil où allaient être déposés les restes de Manette. Dans l’après-midi un vicaire vint procéder à la levée du corps qui partit pour l’église et fut, le jour même, inhumé au cimetière 133. Adélaïde assistait à la cérémonie et « sa gaieté » fut remarquée 134. M. Barrangerie entreprit, sans tarder, l’inventaire et apposa les scellés sur les meubles : la nuit interrompit ses opérations. L’anxiété dans Ernée était grande : un crime avait été commis ; mais par qui ? Les uns accusaient formellement le chirurgien ; d’autres soupçonnaient Adélaïde ; on disait aussi, – et ce bruit émanait de la maison Coutard, – que l’ancien officier de Buonaparte, le neveu Michel, était l’assassin de Manette qu’il avait courtisée sans succès 135.

Le lendemain, 12 décembre, arriva de Mayenne le procureur du roi, M. de la Broise : il s’adjoignit le juge de paix et tous deux, avec les gendarmes, pénétrèrent chez Coutard : rien ne fut connu de leur enquête qui se prolongea durant toute la journée ; le 13 se produisit un coup de théâtre : Thérèse Caillère était mise en arrestation ; on la vit partir, sous l’escorte de la gendarmerie, pour la prison, d’où, le lendemain, elle fut transférée à Mayenne 136. Quelle déception ! Et les autres ? Ah ! ces Coutard étaient habiles ! avaient-ils donc soufflé l’idée du crime à leur servante qui n’y devait trouver aucun profit ? Ou bien, à force de promesses et de menaces avaient-ils obtenu qu’elle consentît à porter seule le poids de l’accusation, l’assurant « qu’elle n’avait qu’à nier, qu’on ne lui ferait rien, et qu’ils la tireraient d’affaire ». C’était la version de Perrine Caillère, sœur de Thérèse, une brave fille, estimée de tout Ernée : depuis longtemps elle prédisait cette catastrophe ; elle s’en était expliquée avec Mme Dubrie, disant : « Madame, il est bien malheureux que ma sœur ait mis les pieds dans une maison où il n’y a aucun principe de religion. » Au surplus, Perrine déclarait Thérèse innocente : si celle-ci avait aidé à l’empoisonnement, c’est que Mlle Adélaïde « s’était arrangée pour l’y contraindre 137 ». Et cette hypothèse se renforçait de l’attitude des Coutard : au moment de l’arrestation de Thérèse, ils lui avaient juré de ne jamais l’abandonner et dès qu’elle fut à la prison de Mayenne, le chirurgien lui porta des vivres et de l’argent : on le rencontrait presque tous les jours sur la route, muni de vins et de fruits dont il fournissait la détenue 138. Projetait-il de l’empoisonner ? Le décès de Thérèse eût assuré la quiétude de Coutard et Adélaïde ne s’en cachait pas. À Mlle Lafosse elle dit un jour : – « Je voudrais qu’elle mourût... » Elle se reprit : – « Ou qu’elle perdît la tête pendant trois ou quatre jours parce qu’elle ne serait plus crue dans ses dires 139. »

La tactique du chirurgien et de sa fille consistait à répéter, avec des mines de désolation, que la justice faisait fausse route : Thérèse Caillère était innocente. Ils se donnaient ainsi l’apparence d’une sincérité désintéressée, tout en détournant les soupçons sur l’officier. – « Je ne sais, disait Coutard d’un ton bonasse, je ne sais pourquoi les magistrats se plaisent à tourmenter cette pauvre fille... Le coupable peut être dans la maison. » Il affectait de geindre à la pensée qu’un innocent risquait d’être frappé : « Thérèse est bête ; elle va se couper et ça fera une autre victime 140. » Aussi, pour la bien disposer, lui portait-il forces victuailles ; mais la prévenue, méfiante, s’obstinait à n’y pas toucher. Coutard lui ouvrit un crédit illimité chez un orfèvre de Mayenne, Fleury, qui, par petites sommes, remit à la prisonnière cent dix-huit francs 141.

Adélaïde, de son côté, jouait une dévotion si manifestement empruntée que cette hypocrisie fit scandale. Ses rares relations l’abandonnèrent : elle s’en plaignit à Jeanne Clouard et celle-ci répondit nettement : – « Je ne veux pas me compromettre ». Mlle de la Chauvinière s’emporta : « Pourquoi s’acharnait-on ainsi ? Tout le monde la regardait d’un tel air qu’elle avait honte d’aller dans les rues. Pourtant elle n’avait rien à se reprocher 142. » Elle tenta quelques visites ; mais elle subit des avanies et préféra ne plus sortir. La maison n’était pas agréable : Coutard s’efforçait de persuader à son neveu le militaire qu’il le croyait coupable, et l’officier, étouffant de rage, criait que « s’il n’avait pas tant l’esprit de famille », il irait causer avec le juge d’instruction et en dirait long. Ces querelles se renouvelaient à chaque repas, si bien que, de guerre lasse, à la table commune, « on mangeait sans se parler » 143.

L’instruction fut close en mars et Thérèse Caillère renvoyée devant les assises de la Mayenne ; le procès s’ouvrit à Laval, le 5 avril 1816. L’interrogatoire de l’accusée n’apporta pas grande lumière et les témoins furent hésitants. Seule Mlle Lafosse déclara courageusement que, si Thérèse était coupable, elle avait pour complice Mlle de la Chauvinière. Le grand intérêt des débats fut la confrontation à la barre d’Adélaïde avec la prévenue : quand la fille de Coutard parut, toute menue et embarrassée, un murmure parcourut le prétoire. Elle déposa d’un air sournois 144, parlant à voix très basse : Thérèse, à son avis, était innocente ; mais Adélaïde le dit avec des réticences, sans la chaleureuse protestation d’une femme indignée dont la servante, presque l’amie, se trouve sous le coup d’une accusation capitale. Tandis qu’elle parlait, le procureur du roi, M. Duchemin de Villiers, ne la quittait pas du regard et la sévérité de son attitude décontenançait la déposante.

Après elle, fut appelé Coutard, et son entrée occasionna un tumulte de ricanements et de huées : tous ceux qui étaient là connaissaient les répugnantes prouesses de ce survivant des mauvais jours : assez court de taille 145, le front dégarni, les cheveux grisonnants, le teint coloré, le nez gros 146, il se campa devant la barre et entama sa déposition, jouant l’aplomb et la rondeur, sans produire d’autre impression que celle de la dissimulation et de la contrainte 147. Il équivoqua, exposa, en termes ambigus, sa conviction de l’innocence de l’accusée, en vint aux soupçons qu’il avait de la culpabilité de son neveu Michel ; mais l’officier le rabroua vertement et parla avec tant de fermeté que le vieux jacobin se replia, confondu, en balbutiant : – « Je ne l’accuse pas » 148.

Le 7 avril, dernier jour des débats, Mlle de la Chauvinière demanda à compléter sa déclaration : elle redoutait, en cas d’acquittement, que l’instruction ne recommençât et se décidait à sacrifier Thérèse : avec une inconscience qui souleva l’auditoire, elle affirma que la prévenue était bien l’auteur du crime : ce revirement stupéfiait les magistrats ; Coutard vint à la rescousse : très ému, « se faisant violence », il se leva de son banc, criant : – « Eh bien ! moi aussi je crois Thérèse coupable ! » Et comme s’il eût, tout à coup, compris l’horreur qu’il inspirait et senti, sur sa vieille tête, passer le vent du châtiment, cet homme rude se mit à pleurer : suppliant, il s’adressa aux juges, parlant à mots entrecoupés : – « Si vous croyez... ma fille coupable... Je demande à donner ma tête pour la sienne 149. »

L’audience fut suspendue et la Cour se retira pour délibérer sur l’incident : le bruit se répandit que Coutard et sa fille allaient passer du banc des témoins à celui des accusés 150. Ce fut une déception quand la Cour rentra : le reste de l’après-midi fut occupé par le réquisitoire et la plaidoirie. Le jury formula une réponse affirmative ; Thérèse était condamnée à mort et, dès le verdict rendu, Adélaïde et son père, poursuivis par les invectives de la foule, regagnaient l’auberge où les attendait leur voiture et se hâtaient de reprendre le chemin d’Ernée 151. Ils étaient bien tranquilles, désormais ; la justice avait prononcé, son arrêt demeurait sans appel ; ils le savaient et se tiraient donc, sinon moralement indemnes, du moins saufs de ce mauvais pas.

Quand la nuit fut tombée, ils arrivèrent à Ernée et rentrèrent dans leur maison que hantaient tant de sinistres souvenirs.

 

 

 

IV

 

 

À cette même heure, Thérèse Caillère était reconduite à la prison de Laval ; sa torpeur des premiers instants se changea bientôt en une crise de désespoir qui mit en émoi toute la geôle. La malheureuse se roulait sur son lit, criant qu’elle voulait parler aux juges, qu’elle était victime. On prévint le procureur qui, quelques instants plus tard, se présentait à la prison, accompagné d’un des juges du tribunal. Ils trouvèrent la condamnée étendue sur sa couche et tremblante de fièvre. Avec la volubilité et le désordre du délire, elle protesta de son innocence ; tous les Coutard s’étaient ligués contre elle ; tous étaient coupables : l’aïeul, la veuve Dubrie, l’officier, Adélaïde. Elle parlait, parlait, sans rien préciser, mêlant les faits, confondant les dates, déroulant le cauchemar d’épouvante qu’avaient été pour elle les sept années passées au service des Coutard. Ce que l’on comprenait de ses divagations était si infâme et si monstrueux que les magistrats la crurent folle : ils se refusaient à consigner de telles allégations dans un procès-verbal 152. Le procureur invita Thérèse à se reposer, promettant de revenir lorsqu’elle aurait recueilli ses idées.

Plus calme, le lendemain, elle le reçut de nouveau et révéla, « avec clarté et précision », tout ce qu’elle savait : elle dit la jalousie d’Adélaïde pour Manette, son âpre désir de fortune ; elle raconta comment, le 3 décembre au matin, elle avait vu, dans la cuisine de Mme Dubrie, Mlle de la Chauvinière soulever le couvercle de la marmite où cuisait la soupe, dans laquelle elle jeta une poudre blanche ; comment, chaque jour de la semaine qui suivit, elle mêla cette même poudre à toutes les potions que buvait docilement Manette. D’où provenait ce poison ? Coutard le procurait-il à sa fille ? Thérèse l’ignorait ; mais elle savait que l’armoire du chirurgien renfermait de l’arsenic : il en avait secrètement vendu à des paysans et il en parsemait sa cave pour empoisonner les rats 153.

Dans une autre déclaration, la condamnée divulgua les scènes d’effroyables débauches dont elle avait si longtemps été témoin. Si elle-même s’était laissée accuser, par attachement pour Mlle de la Chauvinière, c’est parce que ses maîtres l’avaient assurée que la justice ne pouvait rien sans preuves et aussi parce qu’ils promettaient de l’enrichir ; d’ailleurs ils la terrorisaient et avaient tenté de l’empoisonner 154.

Sans tarder d’un instant, le procureur de Laval dépêche un courrier à son collègue de Mayenne qui, dans la nuit du 8 au 9 avril, se transporte à Ernée. Dès cinq heures du matin la maison Coutard est cernée par la gendarmerie ; le maréchal des logis Billard pénètre dans la chambre d’Adélaïde réveillée en sursaut, tandis qu’un autre gendarme se poste auprès du lit où est couché le père Coutard. Celui-ci maugrée et s’emporte. Adélaïde est plus résignée.

– « Ah ! dit-elle, je n’aurais jamais cru Thérèse capable de me trahir. »

Et tout de suite elle insinue l’argument dont elle s’est précautionnée :

– « Peut-on s’en rapporter à la déclaration d’une femme condamnée à mort 155 ? »

Le père et la fille restent gardés à vue durant toute la matinée : vers dix heures arrivent le procureur du roi, le juge de paix et le maire d’Ernée, M. de la Lande : aussitôt l’enquête commence : Adélaïde nie toute participation au crime : la veuve Dubrie se lamente, Coutard s’indigne lorsque le magistrat le questionne sur les imputations naguère émises à la mort prématurée de ses douze enfants. Toute la ville est en rumeur : les gendarmes parcourent les rues, frappent aux portes, ramènent chez le chirurgien les personnes appelées en témoignage qu’ils rassemblent dans la salle du rez-de-chaussée en attendant l’interrogatoire : c’est, dans la maison envahie, toutes portes ouvertes, le va-et-vient des perquisitions, de l’apposition des scellés, l’émouvante bousculade de la « descente de justice » ; et, sur la place, tenu à distance par les soldats, l’attroupement tapageur des curieux accourus sur la nouvelle qui, jusqu’à l’extrémité des faubourgs, a pénétré : Coutard est pris ! Vers le soir on le vit, avec sa fille, monter dans une voiture qui, entourée de gendarmes, tourna par les rues et s’éloigna sur la route de Mayenne. Quelle revanche ! C’était donc cela l’homme arrogant devant lequel Ernée avait tremblé ; ce porte-drapeau de la Révolution, prêchant, jadis, la régénération des mœurs et vilipendant les honnêtes gens : c’était cela, un dépravé et un assassin 156.

Le juge d’instruction de Mayenne, M. Novel de la Touche, questionna Coutard et sa fille dès le lendemain de leur emprisonnement : le 20 avril les deux prévenus, conduits à Laval, furent confrontés avec Thérèse : celle-ci soutint ses accusations que les deux autres repoussèrent, Coutard d’un ton de haineuse violence, Adélaïde avec une obstination insouciante 157. Le chirurgien récusait le témoignage de la condamnée, défiait qu’on en produisit d’autres émanant « de gens probes », assuré qu’on n’en trouverait pas. En matière d’empoisonnement, il le savait bien, l’identification du criminel demeure, en effet, toujours discutable.

Le procureur du roi à Laval, M. Duchemin de Villiers, était un royaliste fervent et un magistrat consciencieux. Ses parents et lui-même avaient passé par les prisons de la Terreur, et sa mère y était morte. Il connaissait la tradition d’Ernée où l’une de ses sœurs était fixée depuis trente ans. Il n’ignorait donc rien des exploits révolutionnaires de Coutard : il écrivait à son collègue de Mayenne : – « Je suppose que vous êtes informé des faits anciens et atroces que le public impute au sieur Chauvinière... vous trouverez à Ernée beaucoup de personnes qui vous le diront 158... » Mais il se refusait à en charger l’accusé. Il est remarquable que, des trente ou quarante témoignages retenus au procès, pas un ne fait allusion aux opinions du terroriste : on évitait ainsi jusqu’à l’apparence de représailles politiques. C’est à ce scrupule des magistrats que Coutard dut sa mise en liberté. Les faits recueillis par l’enquête, accablants pour Adélaïde, laissaient douteuse la complicité de son père. Il fut relaxé des fins de la poursuite : Mlle de la Chauvinière était déférée à la Cour d’assises 159.

Coutard, ainsi frappé dans sa fille, comprend, cette fois, que le châtiment est proche : n’ignorant pas ce qu’il expie, il juge l’heure venue d’apaiser les fantômes qui peuplent son passé et d’implorer leur pardon : ce n’est pas son enfant qu’il tente de justifier, c’est lui-même. À peine en liberté, il répand une brochure, sorte de confession générale, essayant de détourner, par cet aveu public, le coup qui le menace. Mais le tenace jacobin ne sait pas s’humilier : son amende honorable a le ton d’une apologie personnelle et d’un réquisitoire acerbe contre ceux qu’il accuse de se souvenir 160. Aussi plat en cela que nombre d’anciens conventionnels régicides qui, à cette même époque, agenouillés devant Louis XVIII, protestent de leur inviolable attachement à l’auguste famille des Bourbons, il renie la Révolution, maintenant qu’elle est vaincue : « – Précipité, écrit-il, au milieu de la révolution la plus immorale, entouré des factieux les plus cruels... j’ai été porté malgré moi à des charges qui sont aujourd’hui un motif de honte et de proscription. » Il reconnaît « qu’une renommée monstrueuse » l’accable, ainsi qu’Adélaïde, que « la pitié s’est éloignée d’eux » et que le peuple « abusé a trouvé le crime vraisemblable dans la fille d’un criminel ». Puis il tente de se disculper : jamais son âme n’a été sanguinaire ; s’il a accepté des emplois, ce fut pour secourir plus utilement les royalistes : il a disputé, au risque de sa vie, des têtes à Clément et à Volcler, « ces tigres ! » – En précédant les soldats républicains vers la prison où les Vendéens étaient enfermés, il n’avait qu’un but : épargner un massacre... Par malheur il n’a pas réussi. Ainsi du reste.

Mais c’est surtout la tête de Jourdain qui le hante : c’est ce spectre vengeur qu’il faudrait fléchir. « Tous les habitants d’Ernée, assure Coutard, savent que je suis étranger à cette dégoûtante action » ; celui qui l’a commise « est un homme estimable à tous égards que, par un raffinement trop ordinaire à cette époque déplorable, on chargea de ce message parce qu’on le savait opposé à la Révolution 161... » Le plaidoyer de Coutard se termine par l’attestation d’un certain nombre d’habitants d’Ernée, certifiant que le chirurgien n’a encouru aucun reproche et s’est toujours montré bon père et bon époux... En publiant ces noms, il ignorait que plusieurs des signataires, et non des moindres, honteux de leur complaisance, allaient bientôt se rétracter 162. Le factum suscita d’autres démentis 163 et l’effet de cette audacieuse tentative de justification fut, pour lui, plus défavorable que le silence. Elle avait réveillé d’affreux souvenirs et, le 13 juillet 1816, jour où Mlle de la Chauvinière parut devant la Cour d’assises de Laval, l’opinion considérait ce drame judiciaire autant comme la punition des forfaits lointains du père que du crime récent de la fille.

Trois audiences. La seconde, celle du dimanche 14, fut très écourtée, la Cour et MM. les Jurés « désirant se rendre au Te Deum chanté pour l’anniversaire de la rentrée du roi à Paris » 164. Me Lelièvre assistait l’accusée ; trente témoins à charge furent entendus ; sur réquisition du procureur et malgré l’opposition de l’avocat, l’un d’eux, Jean Jarry, fils de la nourrice des enfants de Coutard, raconta leur mort suspecte et l’émoi singulier qu’elle causa dans le pays. Le lundi comparurent douze témoins à décharge ; Me Lelièvre plaida l’innocence ; puis le procureur du roi déposa ses conclusions. Après une heure et demie de délibération, le jury rendit une réponse affirmative et le président prononça contre Mlle de la Chauvinière l’arrêt de mort. Tandis que les gendarmes l’entraînaient vers le cachot des condamnés, la foule, massée devant les grilles, sur la place du marché au blé, attendait Coutard qui, pour sortir du Palais, dut passer, le front bas, sous cette porte où, vingt-deux ans auparavant, avaient été exposées les trois têtes : il lui fallut traverser la place où jadis s’était dressé l’échafaud de Jourdain ; rude trajet pour cet homme qu’écrasait le poids de la tardive et formidable revanche du mort outragé. Un monument, tout récemment érigé, s’élevait à l’endroit précis qu’avait occupé la guillotine et si le vieillard osa tourner les yeux vers cette croix de marbre, il put lire qu’on l’avait dressée là en expiation du passé, ainsi qu’en témoignait l’inscription gravée sur le socle 165.

 

*

*   *

 

Coutard n’était encore qu’à mi-chemin : la Cour de Cassation infirma, le 30 août, l’arrêt de Laval et ordonna le renvoi de l’affaire devant le jury d’Ille-et-Vilaine. Thérèse Caillère et Adélaïde furent transférées à Rennes et écrouées à la prison de Saint-Michel.

Ce nouveau répit permettait à Coutard quelque espoir : jugeant les autres d’après lui-même, il affectait de se poser en victime des rancunes politiques : c’était la fille du rude républicain qu’avaient frappée, selon lui, les jurés de la Mayenne, jaloux de manifester la pureté de leur royalisme ; et il pensait trouver plus d’impartialité devant les magistrats d’un département où il n’était pas connu. En quoi il s’illusionnait encore : car son renom avait pénétré jusqu’à Rennes, et dès qu’ils eurent reçu le dossier et procédé aux premières informations, ce coin d’enfer qu’avait été la maison Coutard apparut aux juges instructeurs et au conseiller Le Gomeriel désigné pour présider les assises 166. Adélaïde opposa un obstiné démenti aux accusations de Thérèse : celle-ci persista énergiquement dans ses déclarations : ce duel entre deux femmes, toutes deux déjà condamnées à mort et luttant pour la vie sur les marches de l’échafaud, stimulait la curiosité des amateurs de tragédies judiciaires et, le 25 novembre 1816, une foule, avide d’apercevoir les tristes héroïnes de cette cause célèbre, envahissait le vieux Palais du parlement breton et s’entassait dans la salle des Pas-perdus, dans le promenoir conduisant à la grand-chambre où siégeait la Cour d’assises et se pressait tumultueusement dans la partie du prétoire réservée au public.

À gauche, au banc des accusés, entre les gendarmes, est assise Mlle de la Chauvinière, faisant face aux fenêtres auxquelles s’adossent les sièges des jurés. Les murs de la haute salle qu’ont décorés, avant la Révolution, des tapisseries de Flandre, sont tendus d’un papier bleu à bordure jaune : aux deux extrémités de la Grand-Chambre se voient encore les « lanternes », sortes de cabinets en encorbellement, d’où Anne d’Autriche, dit-on, et, plus tard Mme de Sévigné, assistaient à l’assemblée des États ; et, dans les lourds et somptueux caissons à bordure dorée qui divisent le plafond, règne un Olympe de Coypel où, durant la longueur des audiences, les regards de la fille Coutard peuvent distinguer une rayonnante Justice, nimbée d’or, offrant la main à l’innocence, tandis que Minerve écarte d’elle la Fraude et les Passions mauvaises 167.

En ce noble et pompeux décor, se déroule le drame ignoble de l’envieuse âpreté d’Adélaïde, de sa haine sournoise pour Manette, du crime, hypocritement masqué, durant toute une semaine, sous l’apparence des soins affectueux et d’une tendre sollicitude. À mesure que défilent les témoins, la rumeur grandit, les convictions se précisent : à la seconde audience, le 26, Thérèse, déjà entendue la veille, comparait, sans prêter serment, car elle est condamnée, et sa déposition est admise « à titre de simple renseignement ». La cour reçoit ensuite les déclarations de l’officier Coutard et des médecins d’Ernée, qui ont pratiqué l’autopsie de Manette. L’audience, commencée à neuf heures du matin, se prolonge jusqu’à neuf heures du soir. Le lendemain, pendant la suspension, la foule grossissante des curieux rompt les barrières et emplit la Grand-Chambre en masse si compacte et si bruyante que, dans l’impossibilité de rétablir l’ordre, la Cour doit se transporter à l’autre extrémité du Palais : le procès s’achèvera dans la salle des appels correctionnels qu’éclairent deux hautes fenêtres donnant sur la place. Là, le 28, se termine l’audition des témoins et, le jour suivant, sont prononcés le réquisitoire et les plaidoiries. Un avocat du barreau de Rennes, Me Bernard, présente la défense d’Adélaïde : il est assisté de Me Lelièvre qui déjà, devant la Cour d’assises de Laval, a parlé pour la prévenue. Tard dans la soirée, vers dix heures et demie, le président déclare les débats clos et le jury se retire pour délibérer.

C’est ordinairement l’instant angoissant : à la solennité de l’audience succède brusquement une détente fiévreuse ; le public se délasse avec bruit de sa longue attention ; les huissiers, professionnellement respectueux, circulent, se groupent, parlent à voix basse ; à la lueur des lampes on distingue les fauteuils vides de la Cour et des jurés, la haute porte de la salle voisine où se discute le sort de l’accusée ; celle, plus étroite et plus basse, par laquelle elle vient de sortir avec les gendarmes. Coutard, qu’on sait à Rennes, mais qui n’a point paru aux audiences, est peut-être là, tout près, n’osant se montrer, rôdant par les rues endormies, les regards rivés sur les deux fenêtres, seules éclairées à l’extrémité de la sombre façade. Si sa pensée se reporte aux jours où la guillotine était fêtée à Ernée, alors qu’il reprochait à Clément de trop ménager les têtes ; où lui-même, d’un mot, disposait de la vie des blessés vendéens, il doit comprendre qu’un lien existe entre ce passé-là et les heures qu’il vit aujourd’hui. Car une singulière et saisissante corrélation le poursuit : on est au 29 novembre : il y a vingt-trois ans, à pareille date, dix paysans étaient, sur son ordre, égorgés à Chailland et, sans nul doute, des pères désolés pleuraient alors des larmes toutes semblables à celles qui le suffoquent en ce moment. Là-haut sa fille, sans une amie qui la soutienne, suppute ses chances de vie, en de torturantes alternatives d’espérance et de prostration ; – attente interminable et qui, pourtant, paraît avoir été trop courte quand, un peu avant minuit, l’appel des sonnettes, l’empressement des huissiers, le réveil subit du Palais somnolent indiquent la reprise de l’audience. Les jurés, graves, regagnent leurs sièges ; l’accusée reparaît entre ses gardes ; aussitôt une voix annonce : la Cour ! Les assistants sont debout, les toques se soulèvent ; les magistrats prennent place ; dans le silence, soudain absolu, le chef du jury, un feuillet à la main, se dresse : – « La déclaration est oui, à la majorité de sept voix contre cinq, l’accusée est coupable... » C’est la mort. Mais le verdict n’est pas rendu encore : minuit vient de tinter et la Cour se retire de nouveau pour délibérer sur la peine. C’est très long : à deux heures et demie du matin, seulement, elle rentre en séance : l’avocat général réclame, en peu de mots, le châtiment suprême et le président, se tournant vers Mlle de la Chauvinière, l’interroge une dernière fois :

– Désire-t-elle ajouter quelque chose à sa défense ? – Rien, monsieur.

M. le Gomeriel prononce alors la sentence : la Cour, à la majorité de quatre voix contre une, se range à l’avis du jury. L’accusée est condamnée aux frais de la procédure 168 et à la peine de mort : l’exécution aura lieu sur l’une des principales places d’Ernée.

À trois heures moins le quart l’audience est levée 169.

Reconduite à la maison de justice 170, la condamnée signa, le 3 décembre, son pourvoi en cassation et le recours à la clémence du roi : c’était un mois et demi d’existence. De sa réclusion, durant ce délai, on ne sait rien, si ce n’est que les magistrats semblaient pris de quelque compassion pour cette fille de vingt-quatre ans, si près de la mort. Adélaïde manifestait un sincère repentir et une piété non équivoque 171.

La Cour de cassation confirma l’arrêt, le 17 janvier 1817 : on n’en informa pas la condamnée : les magistrats jugeaient humain de la laisser à son recueillement en attendant la décision du roi touchant le recours en grâce. Une lettre du garde des Sceaux, parvenue à Rennes dans les premiers jours de mars, annonça que Sa Majesté n’avait pas cru pouvoir, en cette circonstance, « préférer miséricorde à la rigueur des lois 172 ». Un sursis était accordé à Thérèse Caillère, dont la peine se trouvait, de fait, commuée en une détention perpétuelle.

Le jeudi 6 mars, le commis-greffier Hervé se présentait à la geôle : Adélaïde l’attendait dans la chambre du concierge : il annonça le rejet du pourvoi et de la demande en grâce et se mit en devoir de donner lecture des pièces : Mlle de la Chauvinière refusa de l’entendre, alléguant que ce n’était pas la peine et qu’elle en savait bien assez 173. Il ne lui restait plus qu’à se préparer à la mort dont la séparait une longue semaine d’obsédante épouvante. Durant deux jours encore elle resta dans la prison de Rennes. Coutard vint-il la voir ? Fut-il autorisé à l’embrasser une dernière fois et ne refusa-t-elle pas de le recevoir ? Sur ces points la tradition est incertaine. Il paraît probable que le vieux chirurgien n’eut pas le courage d’affronter sa fille et que, momentanément retiré à Placé, bourg où il s’était marié, cinquante ans auparavant, il se contentait de correspondre avec Me Bernard, le défenseur d’Adélaïde 174. On ignore également si Mlle de la Chauvinièrc et Thérèse Caillère, logées dans la même prison, se réconcilièrent avant de se quitter pour toujours. La servante partait, en effet, pour la maison centrale de Fontevrault 175 et, le dimanche 9 mars, après la messe 176, Adélaïde montait dans une chaise de poste qui, escortée de gendarmes, sortit de la ville et s’engagea sur la grande route de Paris. Le soir elle arrivait à Vitré, – neuf lieues de Rennes, – et y passa la nuit. Le lendemain, lundi, on poussa jusqu’à Laval, et elle coucha dans la prison où elle avait séjourné lors de son premier procès. À chaque étape de ce voyage d’agonie un nouveau peloton de gendarmes à cheval remplaçait celui qui, la veille, avait accompagné la moribonde.

Le 11, dans l’après-midi, elle arrivait à Mayenne et fut écrouée à la geôle du vieux château qu’elle connaissait également pour y avoir passé le temps de sa prévention 177. On laissa la malheureuse « se reposer » là tout le jour suivant : le jeudi 13, au matin, il fallut se remettre en route : avant le départ, on prépara la condamnée pour la mort : ses cheveux furent coupés, son cou fut découvert 178 : pourtant, on ne lui lia pas les mains ; un ecclésiastique, l’abbé Deschapelles, prit place auprès d’elle dans la voiture qui, traversant dans leur longueur les deux places du Palais, suivit la rue du Haut-de-Ville et tourna à gauche, sur la route d’Ernée. Quinze cavaliers de la gendarmerie lui faisaient escorte.

Six longues lieues encore, à travers une région dont tous les aspects, à mesure qu’on approchait, étaient familiers à celle qui allait mourir. Elle savait qu’au-delà du hameau de la Margaulière, le chemin traversait un ruisseau ; puis venait une rude côte qu’il faudrait monter au pas. Ensuite, pendant plus d’une lieue, la route s’enfonçait dans la forêt de Mayenne. Si son père avait embusqué, dans les fourrés, quelques hommes résolus... ? Ne tenterait-on rien pour la délivrer ? Ces choses-là s’étaient vues au temps de la chouannerie 179. Hantée de cette illusion voisine de la démence, elle griffonnait des caractères informes sur des feuillets de papier qu’elle déchirait ensuite en menus fragments et jetait par la portière, afin, supposa-t-on, de signaler son trajet à des libérateurs improbables. Au village de Saint-Georges-Buttavent, le brigadier commandant l’escorte ordonna une halte : les soldats entrèrent à l’auberge du sieur Barthélemy et la condamnée accepta de « se rafraîchir ». Après ce court arrêt, on reprit l’ordre de marche : c’était la dernière étape. Comme midi était proche, Adélaïde put reconnaître qu’on arrivait : la voiture filait entre les maisons de Charnay, laissant à droite « la chapelle des guillotinés » ; puis, encore un bout de campagne, le tournant de la route de Laval et, tout de suite, le fracas du pavé, les maisons serrées de la ville, celle de son père, avec sa grande porte, vite aperçue, les gens s’appelant sur les seuils, courant vers la place... Quel écrasement !

C’était jour de marché : le champ de foire, devant la mairie, était, dans toute son étendue, couvert de paysans, venus, dès l’aube, avec leurs charrettes ou leurs bestiaux : on savait, depuis longtemps, que, ce jour-là, aurait lieu l’exécution de Mlle de la Chauvinière, la fille du fameux Coutard 180, et, sur l’annonce de ce spectacle, les villageois de tout le canton s’étaient rendus à Ernée : on dit que le bourg n’avait pas revu pareil entassement depuis le jour des Morts de 1793, alors que les masses vendéennes l’avaient envahi. La veille, était arrivé, de Laval, le bourreau, avec sa charrette portant les bois de justice et, bien avant le jour, il avait bâti l’échafaud devant la mairie. Cet homme s’appelait Durand 181 ; il était fils de ce Durand qui, en l’an II, avait été, à Ernée même, à Laval et ailleurs, l’acolyte du notaire Clément. Le fils de l’exécuteur de Jourdain, chargé de mettre à mort la fille de Coutard, dressant pour celle-ci la même guillotine que son père avait élevée pour celui-là... 182 ce rapprochement impressionnait et tous le considéraient comme le dénouement obligé d’un vieux drame resté jusqu’alors inachevé 183.

La machine, toute prête, domine la bousculade des paysans tirant leurs veaux ou poussant leurs porcs, parmi les éventaires des marchandes de légumes et les chariots chargés de sacs 184. Et soudain, à l’angle de la place, paraissent les gendarmes : ils entourent de près la voiture fermée ; repoussant bêtes et gens, ils s’ouvrent un chemin dans la foule, s’arrêtent devant la gendarmerie qui touche à la maison commune. Midi sonne au frêle clocheton de la mairie quand Adélaïde descend de voiture : on la fait entrer dans la caserne où l’attend le commis-greffier de la justice de paix, Pottier, chargé de dresser le procès-verbal de l’exécution. L’abbé Deschapelles ne la quitte pas. La chambre où on l’a introduite prend jour sur la place : la condamnée peut apercevoir, à quelques pas, l’estrade où elle va monter, le couteau d’acier suspendu entre les charpentes. Mais voit-elle quelque chose dans la torpeur des derniers moments, parmi ces hommes effarés qui s’empressent autour d’elle, tandis qu’on la lie de cordes, qu’on la pousse dehors, qu’on la hisse, pauvre chose vacillante 185, bien vite renversée, glissée sous la masse tranchante qui s’abat en un éclair 186. Peu d’instants plus tard, pendant que les transactions, sur le marché, étaient déjà reprises, les groupes, de nouveau, s’écartaient pour laisser passage aux porteurs d’une civière que le prêtre accompagnait vers le cimetière. Un vicaire de la paroisse présida à l’inhumation et dressa l’acte que les deux fossoyeurs signèrent comme témoins 187.

 

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*   *

 

Le vieux Coutard ne reparut jamais à Ernée : de Placé, où il passa quelque temps, il se rendit à Angers et y séjourna durant plusieurs années. En 1823, il vint se fixer à Montenay ; il s’était fait bâtir une belle maison qu’il habita jusqu’en 1827, solitaire, haineux, farouche, impénitent jusqu’à la fin. Il mourut le 25 mai de cette année-là : il avait quatre-vingt-deux ans 188.

Son neveu, l’ancien chasseur à cheval de Bonaparte, ne crut pas devoir quitter Ernée où il vivait largement de ses dix-huit cents francs de retraite. En 1820, pourtant, l’ambition le prit : il sollicita la croix de Saint-Louis ; comme la requête s’attardait dans les bureaux du ministère, il entreprit le voyage de Paris pour se créer des protections, vantant très haut « son dévouement au roi et à son auguste famille », reniant l’Usurpateur « qu’il avait refusé de servir, malgré les menaces durant les Cent jours », et faisant valoir, comme titre à la bienveillance de Louis XVIII, les sentiments que tous les siens avaient sans cesse professés pour la cause sacrée des Bourbons 189.

 

 

G. LENÔTRE, Bleus, blancs et rouges, Perrin, 1960.

 

 

 

 

 

 

 

 



1Documents sur la ville de Mayenne, publiés par A. Grosse-Dupéron, p. 208 : l’armée vendéenne à Saint-Georges-Buttavent.

2On conserve aux archives de la municipalité d’Ernée un récit détaillé du passage des Vendéens : il y est mentionné que ces défenseurs inespérés appartenaient au 19e régiment de Paris. Il est plus probable que ce détachement faisait partie du 2e bataillon de la Réunion – du nom d’une section de Paris, – alors cantonné à Fougères et aux environs. Hennet. Les volontaires nationaux, III, p. 400.

3C’est le chiffre indiqué par Mme de la Rochejaquelein. Mémoires, édition originale, p. 296. Le procès-verbal du passage des Vendéens, à Saint-Georges-Buttavent, trois lieues avant Ernée, dit « une cinquantaine de canons ». Documents sur la ville de Mayenne, par A. Grosse-Dupéron, Mayenne, 1906.

4Entre autres, Mme du Fief, femme d’un émigré ; voir Mémoires inédits de Poirier de Beauvais, p. 175 et suiv.

5Les divers traits de ce tableau de la marche de l’armée vendéenne sont empruntés aux Mémoires de la marquise de la Rochejaquelein, à ceux de Poirier de Beauvais, de Boutillier de Saint-André, au Mémoire inédit de M. le comte de Colbert (publié par le R. P. J. Emmanuel Drochon dans son édition illustrée de l’Histoire de la Vendée militaire de Crétineau-Joly), aux pittoresques récits de l’abbé Deniau, etc.

6Procès-verbal du passage des Vendéens (Archives de la mairie d’Ernée).

7Lescure mourut une heure après le départ d’Ernée, au moment où la voiture parvenait à La Pellerine. Mémoires de la Rochejaquelein.

8Ce cavalier se nommait Renaud. Excellent soldat, il fut gracié à la prière de ses chefs. Souvenirs inédits de Mlle Gonbard de la Chevalerie, publiés par M. Aurélien de Curzon. La Vendée historique, 20 décembre 1906.

9E. et R. Delaunay. Ernée pendant la Révolution, p. 51.

10Notes sur la guerre des Chouans... par A. du Chêne. Mémoires de la Société nationale d’agriculture, sciences et arts d’Angers, 1898.

11Il était né à Bourgon, Mayenne, et avait été baptisé le 25 novembre 1745.

12Communication de M. Laurain, archiviste de la Mayenne.

13Idem.

14Ainsi qu’un fils, nommé Victor (?), qui, à l’époque de l’Empire, étudiait la médecine. Mais ce personnage, dont nous ignorons le sort, ne fut mêlé en rien aux évènements qui font le sujet de cette étude.

15Il ne figure, en effet, ni dans le comité de 1789, ni dans la liste des officiers municipaux de 1790, ni encore dans celle des électeurs nommés pour le canton d’Ernée. On ne le trouve pas non plus dans l’état-major de la garde nationale. Mémoires épistolaires sur la Révolution à Laval, par l’abbé Angot, 1896.

16Communication de M. Laurain, archiviste de la Mayenne.

17Idem. La première « acquisition révolutionnaire » de Coutard-Chauvinière est du 12 août 1791 : métairie de la Boisardière, achetée 10 000 livres.

18Dom Piollin. Histoire de l’église du Mans, citée par M. l’abbé Angot, Mémoires épistolaires, p. 34, note.

19Acte de baptême d’Adélaïde Coutard. Archives de l’état civil d’Ernée.

20Voici, à titre de points de repère, les principales dates de la vie administrative et politique de Coutard-Chauvinière, pendant la révolution :

Le 28 novembre 1793, il signe officier municipal le procès-verbal du passage des Vendéens (Archives municipales d’Ernée). Le même jour, il signe également off. m. (officier municipal) la lettre Purgeons ! Purgeons ! dont il sera fait mention ci-dessous. Dans cette dernière lettre, il annonce que les autorités constituées ne sont pas encore de retour et, cependant, le procès-verbal précité, daté du même jour, est signé du maire, Renault-Morlière, de six officiers municipaux et de plusieurs notables.

Le 5 juin 1794, il adresse une requête au représentant François, exposant que ses collègues et lui, membres du Comité de surveillance révolutionnaire, sont en activité depuis le mois d’octobre 1793 et qu’il ne leur a été accordé aucune indemnité : il réclame 500 livres pour remboursement d’avances « faites en vrais sans culottes ». (Communication de M. Laurain, archiviste de la Mayenne). Jusqu’à la fin de Thermidor, Coutard reste membre du Comité révolutionnaire (Idem et Archives nationales Ftb II1).

D’autre part, quand le 17 mars 1794, Marat-Quantin épure la société populaire, Coutard est l’un des sept membres chargés d’en recruter vingt-neuf autres pour former le noyau d’une nouvelle société « digne de ce nom » (Archives municipales d’Ernée).

C’est ainsi que, durant la Terreur, on voit Coutard simultanément membre de la Municipalité, de la Société populaire et du Comité révolutionnaire.

Les Comités de surveillance, dits, bientôt, Comités révolutionnaires, furent créés par la loi du 21 mars 1793. Ils devaient être composés de douze membres élus. Celui d’Ernée comprenait : Coutard, Lepêcheur du Haubourg, Mulot, Godin, menuisier, Leveillé fils aîné, Boucher, Gallouin, Lambert de Pierre des Landes (Saint-Pierre des Landes), Rallu, Divay, Travigné et Gesbert, tisserand (Archives nationales, dossier cité). Ces Comités étaient autorisés à poursuivre les suspects, à les mettre en arrestation et à les déférer aux tribunaux révolutionnaires, sous la réserve de certaines conditions qui, à Ernée du moins, ne furent pas observées. (Décrets du 7 décembre 1793 et du 7 janvier 1794). Le Comité révolutionnaire d’Ernée fut supprimé par le décret du 24 août 1794, qui ne laissait subsister l’institution que dans les villes dont la population était supérieure à 8 000 habitants. Le même décret ordonnait le dépôt au district de tous les registres, pièces, effets des Comités supprimés. Celui d’Ernée refusa de livrer son registre qui, depuis lors, a disparu. (Communication de M. Laurain, archiviste de la Mayenne).

21Deniau. La Guerre de Vendée, t. III, p. 273.

22Deniaud, III, 273 et pages suivantes.

23Introduction à la défense de ma fille. Laval, 1816.

24Déclaration de Pierre Bouvin, soixante-six ans, juillet 1816, communication de M. Camille Renault, d’Ernée.

25Communication de M. Camille Renault. Les municipaux de Chailland suivirent à la lettre le conseil de Coutard et de Clément. Un procès-verbal du juge de paix en fait foi. – « En conséquence d’ordres supérieurs, on se défit bientôt de dix de ces détenus... mais la municipalité, touchée de commisération de l’âge tendre de l’onzième, nommé Antoine Réveillère, à peine âgé de quinze ans, suspendit le glaive de la loi sur ce jeune homme. Le juge de paix, après guérison, renvoie l’affaire devant le district d’Ernée. » C’est encore à M. Camille Renault que je dois la connaissance de cette pièce : ce correspondant érudit chercheur autant qu’obligeant confrère a bien voulu se faire mon guide dans le pays et les archives d’Ernée. Je le prie de trouver ici le témoignage de ma vive gratitude.

26Le registre des jugements de la Commission Clément est conservé aux Archives du greffe de Laval.

27Isidore Boullier. Mémoires ecclésiastiques concernant la ville de Laval de 1789 à 1802, p. 198, note.

28Voir sur les séjours à Mayenne de la Commission Clément, Souvenirs du Vieux Mayenne, par M. A. Grosse-Dupéron.

29Perrault avait été blessé à la bataille d’Entrammes, le 27 octobre 1793 (Mémoires inédits de Poirier de Beauvais, p. 160), et de nouveau atteint grièvement au pied, lors du siège de Granville. Mémoires de la Rochejaquelein, p. 314.

30Dans le dossier de Beaufort – ou plus exactement Beaufol, – au ministère de la Guerre, se trouve un extrait d’une notice sur le personnage – « à Ernée, il voulut sauver un ancien officier de la marine, le major Peyreaux (sic) qui, dangereusement blessé, fut arrêté et dévalisé par les habitants, au moment où il fuyait, ayant en croupe un enfant de sept ans qu’une mère expirante avait confié à ses soins. Après avoir fait restituer au major les objets qui lui avaient été pris, il déclara au Comité révolutionnaire que Peyreaux était sous la sauvegarde des lois. Quelques jeunes gens d’Ernée demandèrent à le fusiller. – « Il faut lui mettre du plomb dans la tête, disaient-ils, nous n’avons jamais vu d’exécution de ce genre. » Archives du Ministère de la Guerre. On ne doit pas prendre à la lettre les hâbleries de Beaufort. Patriote exalté, pendant la Révolution, il se vantait de ses rigueurs envers les royalistes : il en avait tué cent quatre à Vitré, fusillé vingt autres, mis en arrestation le prince de Talmont, etc. La Restauration venue, tout change : il a soutenu, pendant quatre mois, de ses deniers, ce même prince de Talmond, il a sauvé cent royalistes, puis six cent sept, puis huit cent soixante-trois. « Il y a vingt-neuf ans, écrit-il, que je suis mort pour la famille des Bourbons ! » Archives de la Guerre.

31Crétineau-Joly (édition Drochon, II, 12) écrit : – « ... Le Comité révolutionnaire d’Ernée déclare, par procès-verbal, qu’il n’a jamais eu le plaisir de voir fusiller des royalistes, et il exige que cette fête lui soit offerte. Une aussi démocratique curiosité fait l’objet d’un considérant qu’on lit encore sur les registres de ce club. » On voit que Crétineau-Joly eut communication du registre du Comité révolutionnaire d’Ernée, qui reste aujourd’hui introuvable. Nous écrivons « Coutard et ses collègues du Comité », parce qu’il nous paraît bien que Coutard était le président de ce Comité, au cas où les démocrates qui le composaient aient accepté l’autorité d’un président. Coutard en était, du moins, l’inspirateur et le personnage en évidence : c’est lui qui, dans la liste, figure le premier (Archives nationales, F1 b II2) et non par ordre alphabétique. C’est lui encore qui, en prairial an II, réclame l’indemnité due pour huit mois de travaux et Clément, qui signe avec lui la requête, s’intitule simplement secrétaire.

32Crétineau-Joly (édition Drochon), II, 12, et Perrin, Martyrs du Maine, II, 237.

33E. et R. Delaunay. Ernée pendant la Révolution.

34Idem.

35Idem.

36Idem.

37Quernau-Lamerie. La commission Félix.

38Il était en mission officielle, « chargée de prendre les mesures imposées par les circonstances ». Son rapport est cité par Boullier. Mémoires ecclésiastiques concernant la ville de Laval de 1789 à 1802, p. 177.

39Il signe le procès-verbal. Archives de la mairie d’Ernée. Registres des déclarations, 14 nivôse an II. Il acheta, aux enchères publiques qui suivirent le pillage des monuments religieux d’Ernée, une moitié de confessionnal qu’il paya 9 livres 15 sols.

40Rapport de Marat-Quantin, cité par Boullier.

41Archives de la mairie d’Ernée. Registres des délibérations.

42« Le bonheur de tous est à l’ordre du jour et l’oraison funèbre des saints se termine par l’hymne sacré de la liberté. » Rapport de Marat-Quantin, cité par Boullier.

43L’expédition fut-elle faite ? Marat-Quantin, parti le lendemain pour Mayenne, écrivait : « J’y reste avec le trésor. » Ce qui permet de concevoir quelque doute sur l’intégralité de l’envoi destiné à Paris.

44Queruau-Lamerie. Notice sur quelques députés du département de la Mayenne, p. 64.

45Perrin. Martyrs du Maine, II, p. 257.

46« Il y arriva dans la soirée. » Notice sur quelques députés..., par Queruau-Lamerie, p. 69.

47Perrin. Martyrs du Maine, II, p. 357.

48L’auteur de Mes parents (M. le duc de la Trémoille) a écrit (p. 44) que la guillotine avait été dressée pour la circonstance, dans la cour même du château. Pourtant, à l’époque de la Restauration, alors que nombre de témoins oculaires vivaient encore, on éleva, sur le marché au blé, une croix expiatoire portant cette inscription : « au milieu de cette place, tomba sous la hache révolutionnaire, la tête de A. P. de la Trémoille, prince de Talmond..., etc. » Il nous paraît donc que l’échafaud fut placé pour Talmond, comme pour toutes les autres victimes de la Commission à Laval, non dans la cour du château, mais sur la place qui en précède l’entrée.

49Administrateur du département. Angot. Mémoires épistolaires.

50Perrin. Martyrs du Maine, II, 261.

51Mes parents(par M. le duc de la Trémoille), p. 202.

52Mes parents, p. 44.

53« Son corps y resta exposé tout le reste de la nuit, car l’exécution s’était faite le soir à la lueur de quelques flambeaux. » Perrin. Martyrs du Maine, II, 261.

54Mes parents, p. 56. Esnue-Lavallée écrit Tallemond.

55Archives de la Mayenne. Lettre du représentant Esnue-Lavallée aux membres du Comité révolutionnaire de Laval, 9 pluviôse an II.

56« Pendant quelques jours la ville ressembla à un désert... » Perrin, Martyrs du Maine, II, 263.

57Archives de la Mayenne, M. Quernau-Lamerie, en reproduisant la déclaration de cet opérateur, n’a pas dévoilé son nom. Notice sur quelques députés.

58Quernau-Lamerie, Notice...

59Perrin. Martyrs du Maine, II, 263.

60Vingt ans plus tard, sous la Restauration, sans nier le fait, Coutard protesta qu’il n’en était pas l’auteur. Nous examinerons plus loin cette protestation : nous suivons ici la version de l’abbé Perrin dont le livre, les Martyrs du Maine, parut en 1829 et qui en avait réuni les matériaux à une époque presque contemporaine des évènements révolutionnaires. Il avait interrogé, il le dit dans sa préface, nombre de témoins oculaires de ces évènements et il se trouvait, en ce qui concerne Coutard, – que d’ailleurs, il ne désigne que par une initiale, – en concordance parfaite avec la tradition constante d’Ernée.

61L’abbé Perrin rapporte – et cette tradition est appuyée d’une note de M. A. Grosse-Dupéron (Ville et pays de Mayenne, p. 444) que Coutard appela sa servante et l’invita à plonger la main dans le bissac pour y prendre « une tête de veau » rapportée de la ville. Cette fille, sans méfiance, obéit et tomba sans connaissance. Elle serait morte des suites de cette émotion.

62Archives municipales d’Ernée. Ce coup d’État de Marat-Quantin est du 17 ventôse, an II, 17 mars 1794.

63Marat-Quantin avait déclaré, au début de la séance, « qu’il était revêtu des pouvoirs du représentant du peuple français, pour écouter les réclamations ».

64E. et R. Delaunay. Ernée pendant la Révolution.

65Archives municipales d’Ernée.

66E. et R. Delaunay. Ernée pendant la Révolution, p. 59.

67Idem, p. 68 et 100.

68Dans la maison actuelle des sœurs de la Miséricorde. Angot. Dictionnaire de la Mayenne.

69Registre de la Commission Clément. Archives du greffe de Laval.

70Boullier. Mémoires ecclésiastiques concernant la ville de Laval, p. 214.

71Étude sur la Révolution dans le Bas-Maine ; la petite émigrée, par Colin-Leblanc, avocat. Mayenne, 1891.

72C’est en ces termes qu’il écrivait à la municipalité de Ribai, en ajoutant : « Faites-les arrêter sur-le-champ et cherchez des témoins pour que la Commission puisse les juger à Lassay. » Archives de la Mayenne.

73Perrin. Martyrs du Maine, II, 274 et 291.

74Moniteur du 7 fructidor an III, cité par Crétineau-Joly, édition Drochon, II, 170. Sur Boulan et sa dénonciation par la Société populaire d’Ernée, en avril 1794. V. Mémoires de Kléber, par Baguenier-Désormaux, XII et 525.

75Mémoires de Kléber, loc. cit.

76Souvenirs du Vieux Mayenne, par A. Grosse-Dupéron, p. 347.

77Registres des jugements de la Commission Clément. Archives du greffe de Laval. Voir à la date du 22 ventôse an II : « Trois hommes et quatre femmes sont acquittés à la condition d’être présents sur l’échafaud pendant l’exécution des condamnés. »

78Registre de la Commission, en Perrin, II, 288.

79Perrin, II, 287.

80« Pour ne pas déprécier cet office ministériel, Clément ne prononça pas une seule condamnation contre les habitants du pays d’Ernée. » Angot. Mémoires épistolaires, p. 124.

81Coutard soignait à la prison l’abbé de Couasnon de la Barillère, vicaire général de Limoges, originaire des environs d’Ernée. Pour le soustraire à Volcler qui le réclamait, le chirurgien fit porter ce client chez la sœur de celui-ci, Mlle de la Barillère : mais l’accusateur public le rechercha et on sortit l’abbé de son lit pour le conduire à l’échafaud. Perrin, I, 78 et Introduction à la défense de ma fille.

82Sur les emplacements de l’échafaud, voir E. et R. Delaunay, Ernée pendant la Révolution.

83Deux cent quatre-vingt-cinq, si je n’ai pas fait erreur en relevant ce chiffre sur le registre des jugements au greffe de Laval.

84La liste est aux Archives de la Mayenne. Elle est signée de Coutard, de Clément et de cinq autres membres du Comité : Gallouin, Pottier, Travigné, Rallu et Divay. Le Comité ne se bornait pas à signaler les suspects : il les jugeait, car, revenant sur son opinion, il ajoutait à la première liste un second tableau, portant des appréciations indulgentes : Pélagie Renault ; le Comité pense qu’elle est assez punie. Beauvais ; a été prouvé patriote, etc. À quels mobiles étaient dus des revirements si complets dans les appréciations du Comité ? On ne le sait pas ; mais de pareilles listes furent dressées ailleurs qu’à Ernée, et ceci explique combien il était facile, à certains comités révolutionnaires, de battre monnaie en spéculant sur la frayeur des prétendus suspects.

85L’acte de mariage indique, par erreur, vingt-quatre ans.

86État civil d’Ernée.

87Les religieuses ne quittèrent l’hospice d’Ernée que le 15 pluviôse an III. E. et R. Delaunay. Ernée pendant la Révolution.

88Cahoreau avait cessé d’exercer le culte durant la Terreur : il n’avait point cependant quitté Ernée et se réinstalla dans l’église après le 9 thermidor. Idem, p. 99.

89Wallon. Les représentants du peuple en mission dans les départements. Tome V, 304.

90Confisquée sur J.-B. du Bois-Béranger.

91Une ferme provenant de la fabrique de Launay-Villiers.

92Nous suivons ici le tableau de la dépréciation des assignats qu’a publié M. Vialay dans son intéressant ouvrage sur la Vente des biens nationaux.

93Le nom lui est resté jusqu’à nos jours, quoique, ainsi qu’on le verra, les corps des suppliciés aient été transférés à Charnay.

94Les Comités révolutionnaires, sauf ceux de district, furent supprimés par le décret du 7 fructidor an III (24 avril 1794).

95E. et R. Delaunay. Ernée pendant la Révolution.

96Telle était l’inscription du catafalque élevé pour la fête funèbre du 14 prairial an III. Wallon. Les représentants en mission, V, 242.

97Angot, Dictionnaire de la Mayenne, IV, 222.

98Ordre de Guezno, Grenot et Guermeur, représentants du peuple, Rennes, 13 floréal an III. Angot. Mémoires épistolaires, 122.

99Volcler s’enfuit jusqu’à Abbeville où, le 7 février 1796, il épousa Émilie Riquier, âgée de vingt-deux ans et neuf mois, fille d’un huissier de la ville. (État civil d’Abbeville, Somme.)

100Le 26 octobre 1795.

101« Le premier usage que le Directoire fit de son autorité fut de remettre en place, comme commissaires, tous les scélérats et buveurs de sang... tous gens à rouer. La peur de la chouannerie faisait alors agir le Directoire ; mais il s’aperçut bientôt qu’il organisait le crime, l’assassinat et la révolte ». Mémoires de Dufort de Cheverny, II, 263.

102Archives nationales, F1b II1, 24 messidor an VI. Tableau des commissaires du Directoire exécutif du département de la Mayenne, contenant le nom des candidats proposés en remplacement de quelques-uns. Sur soixante-quatorze commissaires, huit seulement sont proposés pour la révocation, dont cinq pour insuffisance de moyens. Voici la note jointe au nom de Coutard : « Sa correspondance est exacte ; mais ses principes et sa moralité ne peuvent lui concilier la confiance et s’opposent au bien qu’il pourrait faire. »

103M. l’abbé Angot suppose qu’il mourut à Rennes, où il s’était réfugié. Mémoires épistolaires, 124, note.

104Renseignement communiqué par M. Laurain, archiviste de la Mayenne.

105État civil d’Ernée.

106Nommé curé concordataire à Saint-Germain-le-Guillaume, il mourut l’année suivante. E. et R. Delaunay. Ernée pendant la Révolution.

107Voici l’inscription qu’on lit sur une dalle à l’entrée de la chapelle de Charnay : « Ici reposent les corps de trente-six malheureuses victimes de la Révolution mises à mort en mars 1794, exhumées et rendues à la sépulture ecclésiastique le 16 juillet 1814. Priez Dieu pour le repos de leurs âmes. » Nous avons compté trente-huit victimes d’après le registre de la Commission : c’est aussi le chiffre donné par Perrin. Il faut y ajouter Perrault et ses trois compagnons dont les corps, n’ayant pas été inhumés au champ des Guillotinés, se trouvent encore sans doute enfouis quelque part dans le quartier du Baril, non loin de la maison Coutard.

108Communication de M. Laurain, archiviste de la Mayenne.

109Renée B..., femme de Coutard-Chauvinière, était morte le 3 juin de cette année-là. État civil d’Ernée.

110Coutard, Michel, né à Bourgon, Mayenne, le 13 juillet 1771. Volontaire au premier bataillon de la Mayenne, en 1791, hussard au 10e régiment le 8 avril 1793, fut nommé lieutenant le 1er pluviôse an XII et passa, en qualité de lieutenant en second, au régiment de chasseurs à cheval de la garde impériale, par décret du 27 frimaire an XIV. Mis à la retraite le 10 avril 1809. Trois blessures, dont l’une à l’abdomen, le rendaient impropre à monter à cheval. Il était le filleul du chirurgien. Archives du ministère de la Guerre.

111Archives du ministère de la Guerre.

112Elle avait, de taille, 4 pieds 6 pouces, 1 m 46. Archives du Greffe de Rennes.

113Signalement d’Adélaïde Chauvinière. Archives du greffe de Rennes. La tradition d’Ernée assure qu’Adélaïde n’était pas jolie.

114Chez Mme Mersant. Correspondance d’Adélaïde Coutard de la Chauvinière. Archives du greffe de Rennes. Il faut remarquer que Adélaide appelle toujours sa nièce Manette ; celle-ci, dans ses réponses, signe Delphine Dubrie. Son acte de naissance n’indique pourtant que le prénom de Marie-Anne. État civil d’Ernée.

115Archives nationalesBB18 518, et Archives du greffe de la Cour de Rennes.

116Archives nationalesBB18, 518.

117Archives du ministère de la Guerre.

118Déclaration de Jeanne Clouard. Archives du greffe de Rennes.

119Déclaration de Perrotte Caillère, sœur de Thérèse. Idem.

120Archives du greffe de Rennes.

121Confrontation du 20 avril 1816. Archives du greffe de Rennes.

122Interrogatoire de Thérèse Caillère par le juge de paix d’Ernée, 11 décembre 1815.

123Première enquête du juge de paix d’Ernée.

124« À partir de ce moment elle affecta une dévotion dont elle n’avait ni l’habitude, ni les principes. » Requête du procureur de Mayenne au juge d’instruction.

125Le 20 novembre. Interrogatoire de Coutard, 11 avril 1816.

126Déposition de Michel Coutard, officier retraité.

127Requête du procureur de Mayenne, 10 avril 1816.

128Déclaration de Thérèse Caillère.

129Une amie de Manette, Mlle le Jariel, amena chez la malade le docteur Lambron « qui fut reçu très froidement ». Enquête du juge d’instruction de Mayenne.

130Déposition de Michel Coutard, officier retraité. Archives du greffe de Rennes.

131Déposition de Mme Chemin-Dubourg, directrice de la peste d’Ernée.

132Le procureur de Laval à son collègue de Mayenne, 9 avril 1816.

133Sépulture de Marie-Anne Godin-Dubrie, âgée de dix-huit ms, 11 décembre 1815. Registres paroissiaux d’Ernée.

134« Le jour de l’enterrement, elle parut fort gaie. » Acte d’accusation. Greffe de Rennes.

135Rapport de gendarmerie. Communication de M. Laurain, archiviste de la Mayenne.

136Rapport de gendarmerie. Archives de la Mayenne.

137Déclaration de Perrotte (ou Perrine) Caillère, devant le juge d’instruction de Mayenne.

138Requête du procureur de Mayenne au juge d’instruction, et déposition de M. Le Fizelier, propriétaire à Ernée.

139Déposition d’Anne Lafosse, propriétaire, quarante-sept ans, 30 avril 1816.

140Déclaration de M. Le Fizelier.

141Déclaration de Fleury, orfèvre à Mayenne.

142Déclaration de Zoé Clouard. Archives du greffe de Rennes.

143Déposition de Michel Coutard, officier retraité.

144Lettre du procureur de Laval à son collègue de Mayenne.

145Coutard mesurait 1 m 684.

146Signalement de Coutard. Archives du greffe de Rennes.

147« L’attitude du sieur Chauvinière, aux débats, a été scandaleuse, comme dans tout le reste de la procédure ; même apparence de dissimulation. » Lettre du procureur de Laval à son collègue de Mayenne.

148Lettre du procureur de Laval à son collègue de Mayenne.

149Idem.

150« J’ai délibéré si je ne ferais pas arrêter Adélaïde comme complice... Je consultai la Cour ; on ne trouva pas les charges suffisantes. » Lettre du procureur de Laval à son collègue de Mayenne.

151« La famille Chauvinière est repartie hier pour Ernée : le peuple a hué Coutard dans les rues. » Lettre du procureur du roi de Laval, 8 avril 1816.

152« Elle parla longuement et avec volubilité, sans donner aucun détail précis qui donnassent (sic) un air de vraisemblance aux faits... Nous ne fîmes pas de procès-verbal... Nous pensâmes que c’était une simple récrimination et qu’elle était irritée de l’opinion exprimée par La Chauvinière et sa fille. (Lettre du procureur de Laval à son collègue de Mayenne, 8 avril 1816.)

153Déclaration de Thérèse Caillère, 8 avril 1816.

154Déclaration de Thérèse Caillère, 3 juin 1816, et confrontations de Thérèse avec Coutard et Adélaïde. Archives du greffe de Rennes.

155Acte d’accusation. Archives du greffe de Rennes.

156L’arrestation est du 9 avril ; le mandat d’arrêt est daté du 11. Archives du greffe de Rennes.

157Voici une lettre de Coutard, adressée au procureur de Laval, le lendemain de cette confrontation : – « Maison d’arrêt, 23 avril. Monsieur le procureur du Roi, le sombre de la nuit et une insomnie entière m’a facilité, sans confusion, le rappel des inculpations atroces et mensongères de Thérèse sur le comte (sic) de ma fille et de moi, sur lesquelles vous eûtes la bonté de me donner toute l’attitude (sic) de répondre, ce qui ne m’avait pas été permis dans d’autres circonstances ; son ton d’audace et même gai pour une criminelle, concentre mes idées ; je frémis d’horreur pour elle au point que j’oublié (sic) de mettre au pied de mes protestations que je demandais qu’elle prouve par des gens probes tous les faits calomnieux qu’elle met sur notre compte, ce qui lui est impossible. Ce que j’ai fait pour elle pendant que je l’ai crue innocente me prouve la noirceur et la bizarrie (sic) de son caractère. COUTARD. » (Archives du greffe de Rennes.)

158Lettre du procureur du roi de Laval à son collègue de Mayenne, 8 avril 1816.

15918 avril 1816. Ordonnance du juge d’instruction de Mayenne, 3 juin 1816. Confirmation par la chambre des mises en accusation de la Cour d’Angers.

160Introduction à la défense de ma filleà Laval, chez Fr.-B. Grandpré, imprimeur du roi et de M. le Préfet, rue Rennaise, 289. Une copie de ce factum très rare m’a été communiquée par M. Delaunay.

161Coutard avait beau jeu de nier, aucun procès-verbal, comme nous l’avons dit, n’ayant officiellement constaté le fait ; mais il s’illusionnait en imaginant que tous les habitants d’Ernée l’innocentaient du fait odieux, rapporté ci-dessus. L’unanimité des Ernéens l’en accusait, au contraire, et sa mémoire est restée chargée de cette imputation. On a lu, déjà, l’allusion du procureur du roi de Laval aux faits anciens et atroces reprochés à Coutard. Perrin, qui écrivait ses Martyrs du Maine à l’époque de la Restauration, porte cette action au compte de Coutard, dont il n’indique que l’initiale, mais qu’il désigne de façon à ne laisser aucun doute. Les éditions postérieures de cet ouvrage ont mentionné le fait dans les mêmes termes, sans soulever d’objection ; tous les historiens de la région l’ont relaté, également. M. Grosse-Dupéron, l’éminent érudit mayennais, a recueilli cette tradition dans l’un de ses savants ouvrages (Ville et Pays de Mayenne, p. 444, note). Quant au citoyen estimable à tous égards dont parle Coutard, il entendait par là désigner le citoyen Grosse, d’Ernée : c’est, du moins, l’hypothèse émise par MM. E. et R. Delaunay, Ernée pendant la Révolution. Mais Grosse n’était pas du Comité révolutionnaire (Archives nationales F1b II1 Mayenne), il n’est nommé officier municipal que le 16 germinal an II, c’est-à-dire près de trois mois après l’exécution de Jourdain (registre des délibérations de la municipalité d’Ernée) ; à quel titre, puisqu’il n’exerçait aucune fonction publique en janvier 1794, les commissaires de Laval se seraient-il dessaisis en « sa faveur » de leur macabre trophée ? Coutard, au contraire, occupait des emplois en vue : il était l’ami des hommes chargés de préparer la tête ; sa popularité, de son propre aveu, était grande parmi les exaltés et permettait qu’on lui passât cette fanfaronnade : sa qualité même de chirurgien, sans atténuer l’horreur du fait, le rend, en quelque sorte, vraisemblable. Et comment supposer qu’un homme n’ayant pas l’habitude de manier des débris anatomiques ait pu porter, pendant huit lieues, l’horrible bissac et faire parade de son contenu devant tous ses concitoyens : c’était une plaisanterie de carabin ; de la part de tout autre elle est inadmissible. À supposer, comme on l’a fait, et comme l’insinue Coutard, que le conventionnel Esnue-Lavallée lui-même, pour châtier Grosse de son modérantisme, le força, sous peine de mort, à transporter de Laval à Ernée la tête de Jourdain, rien n’autorise à admettre un si révoltant abus de pouvoir de la part du représentant, et une si lâche docilité de la part de Grosse, estimable à tous égards.

162Le 23 avril 1815 le maire d’Ernée, de la Lande, écrit au procureur de Laval : « Occupé que j’étais au moment où l’on m’a présenté à signer le certificat du sieur Coutard-Chauvinière, je croyais qu’il n’était question que d’attester que, dans son état, il s’était conduit avec honneur et probité, ce qui est très vrai et serait signé, au besoin, par toute la ville. On m’a assuré, depuis, qu’il était question de sa vie morale et politique. Sur cela, je crois me devoir, à moi-même, de vous prier de regarder ma signature comme non avenue. » Lettres similaires de M. Le Jaël, de M. Clouard, notaire, et de son fils. (Archives du greffe de Rennes.)

163« ... C’est tout à fait à tort que le sieur Coutard prétend s’approprier des services rendus par d’autres que par lui... Lorsque j’allai voir ma mère à la maison d’arrêt, où elle a été retenue pendant treize mois de suite, ce n’a point été à la sollicitude de Coutard que les portes se sont ouvertes. Henry Picot. Laval, 13 juillet 1816. » Communication de M. Camille Renault.

164Assises de la Mayenne. Procès d’Adélaïde Coutard. Greffe de Rennes.

165Une autre face du monument présentait cette inscription : « Au milieu de cette place, le 27 janvier 1794, tomba sous la hache révolutionnaire la tête d’Antoine-Philippe de la Trémoille, prince de Talmond, et elle fut exposée sur une pique à l’entrée du château de ses pères. Un grand nombre de Vendéens, compagnons de ses victoires et de ses revers, à la vue de cette tête illustre, sentaient augmenter leur dévouement généreux et recevaient le coup mortel en criant : Vive le Roi ! » Perrin. Martyrs du Maine, II, 263.

166M. Le Gomeriel interroge Adélaïde le 30 octobre. Archives du greffe de Rennes.

167Je témoigne ici ma très vive gratitude à M. J. Hamon qui, avec une obligeante érudition, m’a guidé dans le vieux Palais de Rennes et a pris la peine de procéder à de longues recherches dans le volumineux dossier du procès.

168Le 12 mai 1817, Mme Dubrie, mère de Manette et sœur de la condamnée, acquitta ces frais montant à 1 533 fr. 62, dont 958 fr. 10 pour le procès de Rennes, le reste pour le procès de Laval. Adélaïde laissait pour héritiers son père, sa sœur et un neveu, Romain-Victor Coutard, mineur.

169Archives du greffe de Rennes. Procès-verbaux des audiences de la Cour d’assises.

170La Tour Le Bat était, à l’époque, en réparation et c’est à la prison Saint-Michel que fut écrouée Adélaïde. Registre d’écrou.

171Archives nationales BB18, 518.

172Le rejet du recours en grâce est du 26 février. (Greffe de Rennes.)

173Procès-verbal et lecture de l’arrêt de condamnation, 6 mars 1817. (Greffe de Rennes.)

174Le dossier contient, en effet, une lettre de Coutard, datée de Placé, le 20 avril, et chargeant l’avocat de lui renvoyer les bijoux d’Adélaïde, restés au greffe après la condamnation. (Greffe de Rennes.)

175Thérèse Caillère mourut à la prison de Fontevrault, le 11 juillet 1820. (État civil de Fontevrault.)

176La levée d’écrou est du 8. – « Gardien de cette maison, vous êtes, par moi soussigné gendarme à la résidence de Rennes, déchargé de la nommée Coutard Adélaïde, allant à Laval pour l’exécution de son jugement... »

177« Nous, gendarme à la résidence de Laval, certifions avoir écroué, sur le présent registre, la nommée Adélaïde Coutard, condamnée à la peine de mort par arrêt de la Cour d’assises du département d’Ille-et-Vilaine, pour subir la peine de mort à Ernée. Mayenne, le 11 mars 1817. Signé : Mathiaux, gendarme. » Communication de M. A. Grosse-Dupéron, de Mayenne.

178Cette tradition de la dernière toilette subie par Adélaïde à Mayenne est confirmée par les indications du procès-verbal d’exécution.

179« Elle comptait, paraît-il, sur un coup de main, qui devait être exécuté par des parents et des amis. » Communication de M. Camille Renault, d’Ernée.

180Immédiatement après cassation de la première condamnation d’Adélaïde, le grand chancelier écrivait, le 11 octobre 1816, au procureur général de Rennes : « Il est convenable, en cas de nouvelle condamnation, que vous requériez la Cour d’ordonner que l’exécution aura lieu à Ernée où le crime a été commis. » (Archives du greffe de Rennes.)

181Archives nationalesBB3, 217.

182L’exécuteur d’Adélaïde de la Chauvinière devait, deux ans plus tard, en 1819, mourir sur l’échafaud. C’est du moins ce que raconte M. Coron, ancien chef de la sûreté. (Mémoires, ch. IV.)

183L’abbé Perrin, qui, si je ne me trompe, habita Ernée, vers cette époque, en qualité de précepteur, écrivait : « Le public, qui n’avait pas oublié les crimes de 1794, fit, à cette occasion, un rapprochement qui n’était que trop naturel. » Martyrs du Maine, II, 263.

184L’exécution de Mlle de la Chauvinière produisit, à Ernée, une impression très durable et l’on en raconte encore aujourd’hui les péripéties. Notons que, en 1839, contrairement à ce qui se passait au temps de la Restauration, le garde des sceaux recommanda d’éviter de faire les exécutions les jours de marché, « la réunion d’une grande foule faisant d’une peine un spectacle populaire qui, loin de répandre d’utiles enseignements, peut contribuer à la dépravation des mœurs ». Adolphe Guillot. Les prisons de Paris.

185« Mlle de la Chauvinière était très abattue et se soutenait à peine. » Communication particulière.

186Voici quelques extraits du procès-verbal de l’exécution : « L’an 1817, le jeudi, 13 mars, heure de midi. Je, commis greffier... me suis rendu en la maison servant de caserne de la gendarmerie, dans la chambre ayant vue sur la place du champ de foire... où étant est immédiatement arrivée Adélaïde Coutard... laquelle était escortée de quinze gendarmes à cheval et accompagnée de M. Deschapelles, prêtre catholique. L’exécuteur des arrêts criminels la conduisit et la fit monter sur l’échafaud qui se trouvait dressé à cet effet, et elle a été mise à mort en la manière accoutumée prescrite par la loi, à midi deux minutes. Son corps a été ensuite emporté au cimetière pour être inhumé... Pottier. »

187« L’an 1817, le 13 mars, le corps d’Adélaïde Coutard, âgée de vingt-quatre ans, baptisée en cette église, fille de Gilles Coutard et défunte Renée B... son épouse, décédée de ce jour, a été inhumé dans le cimetière de cette paroisse, le même jour, par nous Polisse, vicaire d’Ernée soussigné, en présence de Jean Fouqué et de Joseph Jouin qui ont signé avec nous le présent acte. » Registres paroissiaux d’Ernée.

188Archives de l’état civil de la commune de Montenay.

189Il exposait que deux de ses frères avaient, au temps de la révolution, servi dans les armées vendéennes ; pris les armes à la main, ils avaient été fusillés à Bourgon. Un certificat du maire de cette ville constatait, en effet, que Barthélemy et Jean Coutard furent passés par les armes, comme chouans, le 14 prairial an II. C’étaient les neveux du chirurgien. Archives du ministère de la Guerre.

 

 

 

 

 

 

 

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