Le magnétisme du bien
par
Éliphas LÉVI
On dit et l’on répète tous les jours que les gens de bien sont malheureux en ce monde, tandis que les méchants prospèrent et sont heureux. C’est un stupide et abominable mensonge.
Ce mensonge vient de l’erreur vulgaire qui confond la richesse avec le bonheur.
Il est des gens de bien qui souffrent la pauvreté et même la misère, je n’en disconviens pas, mais souvent c’est par leur faute et souvent aussi c’est leur pauvreté même qui conserve leur honnêteté, la richesse peut-être les corromprait et les perdrait.
Vous qui avez lu mes livres, vous savez ce que signifient les deux serpents du Caducée. Ce sont les deux courants contraires du magnétisme universel, le serpent de lumière créatrice et conservatrice, et le serpent du feu éternel qui dévore pour régénérer.
Les bons sont aimantés, vivifiés et conservés par la lumière impérissable, les méchants sont brûlés par le feu éternel.
Il y a communion magnétique et sympathique entre les enfants de la lumière, ils se baignent tous dans la même source de vie, ils sont heureux tous du bonheur les uns des autres.
Le magnétisme positif est une force qui rassemble, et le magnétisme négatif est une force qui disperse. La lumière attire la vie, et le feu porte avec lui la destruction.
Le magnétisme blanc c’est la sympathie, et le magnétisme noir c’est l’aversion.
Les bons s’aiment les uns les autres, sans se connaître, et les méchants se haïssent les uns les autres parce qu’ils se connaissent.
Le magnétisme des bons attire à eux tout ce qui est bon, et lorsqu’il n’attire pas les richesses, c’est qu’elles leur seraient mauvaises.
Les héros de l’antique philosophie et du christianisme primitif n’embrassaient-ils pas la sainte pauvreté comme une sévère gardienne du travail et de la tempérance ?
D’ailleurs les gens de bien sont-ils jamais pauvres ? n’ont-ils pas toujours des choses magnifiques à donner ?
Être riche, c’est donner ; donner, c’est amasser, et la fortune éternelle se forme uniquement de ce qu’on donne.
Il existe réellement et en vérité une atmosphère du bien comme une atmosphère de mal. Dans l’une on respire la vie éternelle, et dans l’autre la mort éternelle.
Le Cercle symbolique que forme le bon serpent en se mordant la queue, le plerôma des gnostiques, le nimbo des saints de la légende dorée, c’est le magnétisme du bien.
Toute tête sainte rayonne, et les rayons des saints s’entrelacent les uns aux autres pour former des chaînes d’amour.
Aux rayons de grâce se rattachent les rayons de gloire, les certitudes du ciel fécondent les bons désirs de la terre. Les justes qui sont morts ne nous ont pas quittés, ils vivent en nous et par nous. Ils nous inspirent leurs pensées et se réjouissent des nôtres, nous vivons dans le ciel avec eux et ils luttent avec nous sur la terre, car nous l’avons dit et nous le répétons solennellement encore : le ciel symbolique, le ciel que les religions promettent au juste n’est pas un lieu, c’est un état des âmes ; le ciel c’est l’harmonie éternelle des sentiments généreux, et l’enfer, l’irrémédiable enfer, c’est le conflit inévitable des instincts lâches.
Mahomet, suivant les habitudes du style oriental, présentait à ses disciples une allégorie qu’on a prise pour un conte absurde à peu près comme le fait Voltaire pour les paraboles de la Bible.
Il existe, disait-il, un arbre nommé tuba, si vaste et si touffu, qu’un cheval lancé au galop et partant du pied de cet arbre galoperait pendant cent ans avant de sortir de son ombre. Le tronc de cet arbre est d’or, ses branches portent pour feuilles des talismans faits de pierreries merveilleuses qui laissent tomber, dès qu’on les touche, tout ce que les vrais croyants peuvent désirer : tantôt des mets délicieux, tantôt des vêtements splendides. Cet arbre est invisible pour les impies, mais il introduit une de ses branches dans la maison de tous les justes, et chaque branche a les propriétés de l’arbre entier. Cet arbre allégorique, c’est le magnétisme du bien. C’est ce que les chrétiens appellent la grâce, c’est ce que le symbolisme de la Genèse désigne sous le nom de l’arbre de vie. Mahomet avait deviné un des secrets de la science, et il parle comme un initié lorsqu’il raconte les beautés et les merveilles de l’arbre d’or, du gigantesque arbre tuba.
Il n’est pas bon que l’homme soit seul, a dit la sagesse éternelle, et cette parole est l’expression d’une loi. Jamais l’homme n’est seul soit dans le bien, soit dans le mal ; son existence et ses sensations sont en même temps individuelles et collectives. Tout ce que les hommes de génie trouvent ou attirent de lumières rayonne pour l’humanité entière, tout ce que les justes font de bien profite en même temps à tous les justes et mérite des grâces de repentir aux méchants. Le cœur de l’humanité a des fibres dans tous les cœurs.
Tout ce qui est vrai est beau, et il n’y a de vain sous le soleil que l’erreur et le mensonge. La douleur même et la mort sont belles, parce qu’elles sont le travail qui purifie et la transfiguration qui délivre ; les formes passagères sont vraies, parce qu’elles sont les manifestations de la force et de la beauté éternelles. L’amour est vrai, la femme est sainte et la conception est immaculée. La vraie science ne trompe jamais, la foi raisonnable n’est pas une illusion. Le rire de la gaîté sympathique est un acte de foi, d’espérance et de charité.
Craindre Dieu, c’est le méconnaître, il ne faut craindre que l’erreur. L’homme peut tout ce qu’il veut lorsqu’il ne veut que la justice. Il peut même, s’il le veut, se précipiter dans l’injustice, mais il s’y brisera.
Dieu se révèle à l’homme dans l’homme et par l’homme. Son vrai culte, c’est la Charité. Les dogmes et les rites changent et se succèdent, la charité ne change pas et sa puissance est éternelle.
Il n’y a qu’une seule véritable puissance sur la terre comme au ciel, c’est celle du bien. Les justes sont les seuls maîtres du monde. Le monde a des convulsions lorsqu’ils souffrent, il se transforme quand ils meurent. L’oppression de la justice est la compression d’une force bien autrement terrible que celle des matières fulminantes.
La personne du juste est inviolable, malheur à qui le touche ! Les Césars sont tombés en cendre, brûlés par le sang des martyrs. Ce qu’un juste veut, Dieu le veut. Ce qu’un juste dit, Dieu l’approuve. Ce qu’un juste écrit, Dieu le signe et c’est un testament éternel.
Le grand mot de l’énigme du Sphinx, c’est Dieu dans l’homme et dans la nature. Ceux qui séparent l’homme de Dieu le séparent de la nature, parce que la nature est pleine de Dieu et repousse avec horreur l’athéisme. Ceux qui séparent l’homme de la nature sont comme des fils qui, pour honorer leur père, lui couperaient la tête. Dieu est pour ainsi dire la tête de la nature. Sans lui elle ne serait pas, sans elle il ne se manifesterait plus.
Dieu est notre père, mais c’est la nature qui est notre mère. Honore ton père et ta mère, dit le décalogue, afin que tu vives longuement sur la terre.
EMMANUEL, Dieu est en nous. Tel est le mot sacré des grands initiés connus seulement sous le nom de frères de la Rose-Croix.
C’est en ce sens que Jésus-Christ a pu, sans blasphème, se dire Fils de Dieu, et Dieu lui-même. C’est en ce sens qu’il veut que nous ne fassions qu’un avec lui comme il ne fait qu’un avec son père, et qu’ainsi l’humanité régénérée réalise en le monde le grand arcane de l’Homme- Dieu.
Aimons Dieu les uns dans les autres, car Dieu ne se montrera jamais autrement à nous. Tout ce qu’il y a d’aimable en nous, c’est Dieu qui est en nous, et l’on ne peut aimer que Dieu, et c’est toujours Dieu qu’on aime quand on sait véritablement aimer.
Dieu est lumière et il n’aime pas les ténèbres. Si donc nous voulons sentir Dieu en nous, éclairons nos âmes. L’arbre de la science n’est un arbre de mort que pour Satan et ses apôtres, c’est le mancenillier des superstitions. Mais pour nous c’est l’arbre de vie.
Étendons les mains et prenons les fruits de cet arbre, il nous guérira des appréhensions de la mort. Alors ne disons plus comme de stupides esclaves : ceci est bien parce qu’on nous l’ordonne en nous promettant une récompense, et cela est mal parce qu’on nous le défend en nous menaçant du supplice, mais nous dirons : faisons cela parce que nous savons que c’est bien, et ne faisons pas ceci parce que nous savons que c’est mal.
Éliphas LÉVI.
Paru dans La Lumière en septembre 1888.