Jean van Eyck, peintre de la Vierge Marie

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Ernest LOTTHÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA plus ancienne image connue de la Sainte Vierge se trouve à la catacombe de Priscille, à Rome. Peinte à fresque dans la première moitié du IIe siècle, elle représente Marie portant l’Enfant Jésus. À ses côtés Isaïe, debout, montre de la main une étoile, considérée ici comme le signe annonciateur de l’enfantement virginal prédit par le prophète en ces termes : « Voici que la Vierge concevra et elle enfantera un Fils qui s’appellera Emmanuel 1. »

Depuis ces temps lointains, les images de la Vierge ne se comptent plus. Tous les siècles, tous les peuples l’ont célébrée, car elle est à la fois la Mère de Dieu et la Mère des hommes. Mais c’est au XIIe siècle surtout que revient l’honneur d’avoir donné à son culte une large diffusion. L’influence de saint Bernard fut à cet égard décisive. N’est-ce pas lui qui répandit l’usage du beau nom de Notre-Dame sous lequel les plus illustres basiliques ont été édifiées ? Notre-Dame ! Rappel de chevalerie tout naturel sur les lèvres de celui qui fut appelé le chevalier de Marie.

En même temps, et à la suite de Bernard, évêques et prêtres, moines et moniales exaltèrent à l’envi les perfections de la Vierge dans leurs prédications, leurs ouvrages, leurs hymnes et leurs proses. Citons, parmi eux, les Bénédictins, les Cisterciens, les Franciscains, les Dominicains et, pour les Pays-Bas, les Frères de la vie commune. Ainsi se créèrent en Occident un immense courant d’amour envers Marie 2, un appel confiant à sa bonté et à son intercession que Dante Alighieri a exprimés dans sa prière à la Vierge, dont nous extrayons ces vers admirables :

 

            Donna, se’ tanto grande e tanto vali

            Che, qual vuol grazia ed a te non ricorre

            Sua disianza vuol volare sanz’ ali 3.

            

            Femme, tu es si grande et si puissante

            Que vouloir une grâce et ne pas recourir à toi

            C’est vouloir voler sans avoir des ailes.

 

 

 

La « Vierge d’Yolande Belle », à Ypres

 

 

Ce mouvement de dévotion envers Marie exerça une grande influence sur tous les artistes de la chrétienté. Les peintres flamands comme les autres se plurent à représenter la Vierge à l’Enfant. Les miniaturistes la prodiguèrent, tel, dans les Très Belles Heures de Jean de Berry (1390-1402), à la Bibliothèque royale de Bruxelles, le Valenciennois André Beauneveu qui travaillait de « taille et de peinture 4 » (activité 1362-1402).

Un des plus anciens tableaux flamands sur ce sujet, peint à l’œuf sur fond d’or, est celui qui décorait autrefois le tombeau d’Yolande Belle, femme d’un grand bailli d’Ypres, actuellement à l’Hôtel de ville. Au centre du panneau, devant une tapisserie semée d’écussons et tenue par des anges, Marie est debout, un peu déhanchée selon l’usage des peintres et sculpteurs du temps : robe bleu pâle serrée à la taille, manteau bleu foncé. Entre le pouce et l’index de la main gauche elle tient un fruit et sur le bras droit l’Enfant Jésus. Celui-ci, les jambes écartées, a porté un doigt à la bouche et pince de l’autre main l’extrémité de son pied. La famille Belle est à genoux : à droite, sous le patronage de sainte Catherine, deux fois plus grande qu’elles, la mère et ses trois filles les unes derrière les autres, enveloppées de larges mantes, toutes semblables, un peu figées, les mains jointes, les yeux candides levés vers Marie ; à gauche, protégés par saint Georges affublé d’une cuirasse que recouvre un étrange costume découpé en banderoles, le père en armure avec ses quatre fils auxquels on donnerait volontiers, à cause de leurs yeux en amande, une origine mongole. Expressive d’idées et de sentiments délicats, mais d’une présentation symétrique et d’une exécution plate, sans profondeur, cette œuvre des environs de 1420 donne une idée de ce qu’était la peinture flamande avant l’avènement des van Eyck.

Jean van Eyck est le peintre de la Vierge. Sur seize tableaux religieux qui lui sont généralement attribués, neuf sont consacrés à Marie. Leur variété révèle chez le créateur de la peinture flamande, en même temps qu’une grande richesse d’imagination, un sentiment humain et chrétien vraiment exquis.

 

 

 

La « Madone de Lucques », à Francfort-sur-le-Main

 

 

Voici d’abord, à l’Institut Stædel de Francfort, la Madone de Lucques (1434), ainsi appelée du nom d’un de ses premiers propriétaires, le duc de cette ville. Pour allaiter son Enfant, la Vierge s’est retirée dans une petite pièce aux murs nus où le peintre, en l’honneur de la Mère de Dieu, a dressé un trône à baldaquin. Point de mobilier inutile, mais simplement dans une cavité de la muraille à droite, quelques objets usuels : une cuvette à demi remplie d’eau, un chandelier de cuivre, un flacon de cristal où se reflète le vitrail placé à l’opposé. Marie est assise tenant contre son sein la bouche de Jésus. Aucun nimbe autour de la tête virginale, mais un ruban de métal orné de perles. L’irradiation est si grande de ce jeune visage, les yeux sont si purs, le sourire si tendre, le geste si respectueux que nul ne saurait s’offusquer que cette image ait pu être placée sur un autel. L’allaitement divin est ici un rite. Et l’Enfant sagement posé sur les genoux maternels l’accomplit avec une dignité étonnante, tout en conservant dans sa main un fruit d’or qui serait un rappel de la faute de nos premiers parents.

 

 

 

La « Vierge à la fontaine », à Anvers

 

 

Dans la Vierge à la fontaine du musée d’Anvers (1439), Marie s’en est allée dans un jardin avec son Enfant sur les bras. Ils parlent tous deux le langage qu’ils comprennent bien. Elle le regarde, il lui répond de son sourire, de sa main passée autour du cou pour l’embrasser. Elle s’est arrêtée près d’une vasque d’où s’échappent droit des fils d’argent qui tombent sur la surface mouvante des eaux. Ce n’est pas une fontaine quelconque, c’est l’image de la grâce que Jésus apporte au monde, la Fontaine de vie. Et les anges descendus pour honorer la Vierge ont d’abord placé sous ses pieds un tissu de brocart or et rouge, ils l’ont ensuite relevé derrière elle et le soutiennent gentiment, ouvrant leurs ailes roses serties de bleu. C’est le printemps dans l’âme de Marie, c’est aussi le printemps dans la nature. Partout des fleurs, sur le gazon, dans les taillis qui s’élèvent comme une chanson de chaque côté de la Vierge.

 

 

 

La « Vierge et l’Enfant lisant », à Melbourne

 

 

L’heure de la réflexion et de la prière est arrivée. Le tableau de la National Gallery à Melbourne (1433), la Vierge et l’Enfant lisant, nous le montre. Marie est assise sur un siège qui disparaît sous les vastes plis en éventail que forme son manteau déployé devant elle. Elle a interrompu sa méditation pour permettre à Jésus, qu’elle tient sur ses genoux, de feuilleter le gros livre à miniatures. La scène est tout intime, l’Enfant d’un naturel parfait. Tandis qu’il se plaît, avec beaucoup de sérieux d’ailleurs, à regarder ces belles images, la Vierge repasse en son esprit les pensées que lui suggère la lecture, et c’est ce qui explique la gravité de ses traits et son air d’intense recueillement.

 

 

 

La « Vierge et l’Enfant à l’église », à Berlin

 

 

Cette prière, elle ira la poursuivre à l’église. Jean van Eyck, dans un tableau du musée de l’Empereur Frédéric à Berlin (v. 1426), l’a représentée sous les grands arcs d’une basilique, dans la douce lumière des verrières. Vêtue d’une robe rouge en grande partie cachée par un manteau bleu, le front couronné d’un diadème de saphirs et de rubis, elle est debout au milieu de la nef solitaire. Jésus s’agrippe à son corsage. Elle sourit. Pour respecter sa solitude, les anges qui l’accompagnaient se sont mis à l’écart ; vous les découvrirez sous le jubé que domine la croix, cette croix où Jésus, trente-trois ans plus tard, s’étendra pour mourir. Et serait-ce à cause de cela que dans le beau regard de Marie transparaît une pointe de tristesse ? Les joies maternelles sont toujours tempérées.

 

 

 

La « Vierge assise dans une église », à Dresde

 

 

Nous retrouverons Marie dans une église, mais ce ne sera plus dans les mêmes conditions. Au musée de Dresde en effet, sur un tableau aux dimensions de miniature (v. 1435), la Vierge est assise sous un baldaquin, à l’extrémité d’une double colonnade à chapiteaux historiés. Elle offre jésus à l’adoration des fidèles. Ici plus de ces jeux de l’amour maternel, de ces effusions de tendresse ; elle n’est qu’une servante devant son créateur sous les formes d’un frêle enfant nu. Mais celui-ci entend rendre à sa Mère la gloire qui lui revient en déroulant une inscription latine, utilisée également dans la Vierge au chanoine van der Paele, sur laquelle est écrit : Hæc est speciosior sole et super omnem dispositionem stellarum loci comparata invenitur prior. Celle-ci est plus belle que le soleil et au-dessus de l’ordonnance des étoiles. Comparée à la lumière, elle lui est supérieure. Ne s’agit-il que de la seule beauté physique ? À Dieu ne plaise. C’est la suprême beauté morale qui fait la grandeur de Marie. Elle nous invite à la prière dans ce sanctuaire où nous sommes censés nous trouver en compagnie de sainte Catherine, de l’archange saint Michel, peints sur les volets représentant ici les bas-côtés.

 

 

 

La « Madone au Chancelier Rolin », à Paris

 

 

La Vierge vénérée par les fidèles, les anges et les saints deviendra un des motifs favoris des peintres flamands. Le chancelier de Bourgogne et de Brabant, Nicolas Rolin, au service de Philippe le Bon depuis 1422, fondateur de l’hospice de Beaune, eut l’idée de se faire représenter devant la Vierge par Jean van Eyck (1436). Le tableau offert à la collégiale d’Autun par le chancelier lui-même dont le fils était évêque de cette ville, fut transporté à Paris et placé au musée du Louvre en 1800.

Van Eyck a disposé ses personnages, Jésus, la Vierge, le chancelier, dans la chambre haute d’un château fort dominant un admirable paysage aperçu à travers une triple arcade. Au premier plan, des terrasses fleuries, puis le chemin de ronde où deux hommes penchés entre les créneaux regardent dans le vide, et tout en bas un large fleuve qui s’écoule lumineux sous les arches d’un pont en dos d’âne commandé par des tours à pont-levis. Le fleuve poursuit sa route, d’abord rectiligne, vers une île dont les maisons, les tourelles et les clochetons se reflètent dans les eaux, puis il s’incurve, dessine de larges méandres à travers la campagne et va se perdre derrière des montagnes bleues où s’étagent, parmi les vignes et les cabanes des vignerons, de vieux burgs comme au bord du Rhin. Sur la rivière le trafic est intense, les barques chargées de passagers se croisent, les bateaux accostés déversent leurs marchandises sur les quais animés. Car c’est une grande ville cernée de remparts qui étale ses monuments de chaque côté de l’eau : toits enchevêtrés, flèches effilées des églises et de la cathédrale. Quelle est cette cité ? On a tour à tour proposé Liège, Lyon, Maëstricht et son vieux pont de 1280. Ici on a découvert la tour d’Utrecht, là une basilique française. À vrai dire le paysage, fait de réminiscences, a été imaginé par van Eyck qui les a unifiées pour dresser la composition qui nous enchante. Car tout nous charme en ce tableau : les fleurs du jardin où se promènent les paons multicolores, les champs lointains, les forêts verdâtres et la lumière éparse dans cette salle où se trouvent réunis le donateur et la Vierge.

Timide, les yeux baissés, presque craintive, perdue dans un manteau pourpre, Marie est assise sur un tabouret. De ses bras tendus, elle tient Jésus posé en avant sur ses genoux. Ne serait le bel ange voletant derrière elle, porteur d’une couronne qu’il se dispose à placer sur sa tête, on la prendrait pour une royale visiteuse. Elle semble même attendre la fin de l’audience et qu’on en ait fini de les observer, elle et son petit qu’elle a dû déshabiller. Sans aucun doute, Marie lui a recommandé de bien tenir le globe de cristal surmonté d’une croix de pierreries ; elle lui a dit de lever la main droite pour bénir. Et l’Enfant accomplit ici ces gestes qui ne sont pas de son âge avec une gravité charmante.

Toute cette mise en scène est destinée au chancelier Rolin à genoux, les mains jointes, sur un prie-Pieu d’azur, dans une robe de velours à grands ramages encadrée de fourrure. L’attitude est humble de ce sexagénaire qui commanda le plus beau duché sous le ciel, mais dans le visage vigoureux travaillé par les soucis du pouvoir se lisent la force physique, la volonté, l’intelligence qui n’est pas exempte d’une certaine rouerie.

 

 

 

La « Vierge au Chartreux », et La « Vierge et le Prévôt de Saint-Martin d’Ypres », à Paris

 

 

Plusieurs fois van Eyck reprit le thème du douteur devant la Madone. Dans la Vierge au Chartreux, de la collection Rothschild, à Paris (v. 1438), Marie debout sous un baldaquin reçoit les hommages d’un moine blanc agenouillé, protégé par sainte Barbe dont la tour ajourée se profile sur le ciel, et sainte Élisabeth portant trois couronnes superposées. La scène, qui se passe sous les arcades d’un cloître d’où l’on admire un paysage analogue à celui de la Vierge au Chancelier Rolin, mais moins grandiose, est empreinte d’une tendresse sereine et confiante.

On n’en peut dire autant de la Vierge de Nicolas van Mælbèke, prévôt de Saint-Martin à Ypres de 1429 à 1445. Elle est pourtant un authentique tableau de Jean van Eyck dont on suit parfaitement les traces. Placé d’abord sur le tombeau du donateur en son église yproise, il fut déposé à l’évêché d’Ypres où il se trouvait encore en 1767. Il fait actuellement partie d’une collection privée à Paris. La destinée a voulu que le triptyque (1441), dont les volets sont d’ailleurs inachevés, passât au XVIe siècle par un restaurateur qui n’eut pas honte de porter la main sur cette peinture ultime du maître. Le malheureux reprit le chef-d’œuvre, dota le prévôt d’une tête de rechange et lui donna l’air le plus niais qui fût : crâne rasé, barbiche en pointe poivre et sel, moustache appliquée de couleur sombre 5. Malgré tout, la belle ordonnance du tableau n’a pas totalement disparu. Pour l’apprécier, faisant abstraction de ces repeints, de cette tête que le soi-disant artiste ne fut même pas capable d’ajuster convenablement au corps, admirons quelques aspects de sa splendeur passée : la chape de brocart sur les épaules du prévôt à genoux, son bâton ciselé surmonté d’une petite figure de saint Martin à cheval, la Vierge candide debout portant Jésus qui jette sur le donateur un regard attendri. Tout le groupe est abrité dans une sorte de chapelle en plein air constituée par des colonnettes sous des voûtes dessinées avec une grande perfection. Au loin, un paysage où se reconnaît également la main de van Eyck.

 

 

 

La « Vierge au chanoine van der Paele », à Bruges

 

 

Et nous terminerons cette série de Madones eyckiennes avec la plus illustre de toutes : la Vierge au chanoine van der Paele, du musée communal de Bruges. Exécutée en 1436 pour la collégiale Saint-Donatien de Bruges, elle y resta jusqu’en 1794, date à laquelle elle fut transportée à Paris. En 1814 elle fit retour à la cité brugeoise 6.

Dans le chœur d’une église, à la place de l’autel, un trône sous baldaquin a été dressé. Sur les montants : les images d’Adam et d’Ève, de Caïn tuant son frère Abel et de Samson aux prises avec un lion. La Vierge, assise, a déployé devant elle son manteau de drap rouge dont les plis se brisent autour des pieds. Son visage coloré, d’une beauté sans apprêt, encadré d’une chevelure finement ondulée, se détache sur la tapisserie semée de fleurs. Sur ses genoux l’Enfant Jésus, un de ces petits garçons de Flandre aux cheveux bouclés, au minois rose, aux yeux éperdument bleus, caresse un perroquet. Il regarde, non sans étonnement, près de sa Mère, un vénérable personnage en prière, le chanoine van der Paele. De large carrure, alourdi par les ans, celui-ci est à genoux presque de face, enveloppé de son costume canonial tout blanc d’où émerge sa tête immense rectangulaire. L’examen en est inépuisable : gros bourrelets de chair autour du cou et sous le menton, joue tombante et ravinée, lèvres fines et volontaires, narine épatée au bas du nez demeuré fort, front chauve interminable, tempe traversée de veines en zigzag, près de laquelle errent encore de rares touffes de cheveux blancs, oreille jaunâtre et plate, et, pour finir, des yeux gris marron avec une touche claire sur l’iris, des yeux cernés de poches et de rides où toute la vie de l’homme d’église est concentrée, avec ses souvenirs, ses pensées, ses déceptions, ses espoirs et ses rêves.

Georges van der Paele était chanoine de Saint-Donatien de Bruges qui comptait parmi les plus anciennes églises de Belgique. On en faisait remonter l’origine à saint Eloi. Érigée d’abord sous le patronage de Notre-Dame, elle fut enrichie par Baudouin Bras-de-fer, comte de Flandre, des reliques d’un évêque de Reims, Donatien, qui en devint dès lors le titulaire. Un chapitre canonial y fut installé dans la seconde moitié du XIe siècle au plus tard 7. C’est dans cette église où il était venu prier que, le 2 mars 1127, le comte Charles le Bon attaqué par des adversaires en armes eut le crâne brisé 8. L’édifice, détruit à la grande Révolution, était de plan circulaire. Peut-être van Eyck en peignant les colonnades de son tableau a-t-il voulu en reproduire les formes. En tout cas, tel Georges van der Paele apparaissait dans sa stalle de chanoine en la collégiale brugeoise, tel il est sur le panneau, tenant entre ses doigts potelés les objets qui lui étaient nécessaires : son office en parchemin, ses besicles, ses gants, son étui de fine peau, enfin son aumusse, cette large fourrure grise qu’il étendait en hiver sur ses genoux pour se préserver des rhumatismes.

Le chanoine est accompagné de son patron saint Georges dont la silhouette guerrière – il est armé de pied en cap – et l’attitude – il sourit de manière assez étrange – apparaissent un peu fantaisistes en une scène aussi majestueuse. Une inscription révèle qu’il est le soldat du Christ, Miles Christi. Ici il se contente de désigner d’une main son protégé, tandis que de l’autre il soulève, assez gauchement d’ailleurs, son casque à godrons. Saint Donatien, qui se trouve de l’autre côté, est par contre admirable. Debout, coiffé de la mitre précieuse dans une chape de velours bleu ornée d’orfrois, il ne porte pas la crosse des évêques mais une croix processionnelle enrichie de cabochons. Les cinq cierges allumés fixés à une petite roue de chariot qu’il tient dans ses mains gantées rappellent le miracle qui lui rendit la vie. La légende rapporte en effet que, jeune enfant, il fut jeté dans un fleuve par un des serviteurs de son père. Informé du malheur qui le frappait, ce dernier en avertit le pape Denis qui eut l’idée de faire poser sur les eaux une roue garnie de cinq cierges allumés. Celle-ci se dirigea d’elle-même vers l’endroit où le corps avait été immergé. Retiré du fleuve, l’enfant, grâce aux prières du pontife, put être ramené à la vie. Donatien est ici d’une imposante dignité. Ses traits, comme ceux du chanoine qui lui fait pendant, ont quelque chose d’immuable par leur sérénité ; ils s’imposent à notre souvenir par leur puissance et leur caractère.

Certes le génie de Jean van Eyck n’a pas épuisé ce thème magnifique de la Vierge à l’Enfant, mais il en a fourni les éléments essentiels : Vierges allaitant leur Enfant, Vierges se promenant dans les jardins, Vierges se livrant aux jeux de l’amour maternel, Vierges lisant, Vierges présentées à vénération des fidèles, seules avec Jésus ou bien en compagnie d’anges et de saints. Van Eyck a ouvert d’admirables perspectives aux peintre flamands qui sauront au cours des siècles suivants se montrer dignes d’un tel précurseur 9.

 

 

Ernest LOTTHÉ.

 

Paru dans le numéro de

novembre-décembre 1948

de la revue Marie.

 

 

 

 



1 Isaïe, VII, 14.

2  Signalons ici la thèse encore manuscrite que Mlle M.-L. Leblanc a présentée à l’École du Louvre, le 10 juillet 1939, sur « La Vierge à l’Enfant chez les primitifs néerlandais ». (Prof. M. Rouchès).

3  Dante Alighieri, La Divina commedia, commentata da G. Vandelli, Paradis, vers 13-15, Milano, 1926, p. 972.

4 Cf. P. Fierens, La Peinture flamande. Des origines à Q. Metsys, p. 9.

5 Cf. H. Hymans, Les van Eyck, Paris, s. d., p. 115.

6  Cf. E. Hosten et E. I. Strubbe, Catalogue illustré du musée communal des Beaux-Arts à Bruges, Bruges, 1935, p. 51. Lafenestre et Richtenberger, op. cit., p. 326.

7 Cf. E. de Moreau, Histoire de l’Église en Belgique, des origines aux débuts du XIIe siècle, t. II, Bruxelles, 1940, p. 9.

8  Cf. J. Leclercq, Saints de Belgique, Bruxelles, 1942, p. 44.

9 Extrait de La Pensée chrétienne dans la Peinture flamande et hollandaise. De van Eyck à Rembrandt (1432-1669), par Mgr E. Lotthé. Deux volumes (22 1/2 x 28). Texte de XVI-412 pages. 221 planches hors texte comportant 353 reproductions de tableaux en héliogravure. Chez l’auteur 68 rue Royale LILLE (Nord) France. 2 000 frs fçais.

 

 

 

 

 

 

 

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