François, le Celte
par
Mgr MAEL
L’Ombrie est celtique. Le peuple ombrien, le dernier qui peupla la Péninsule Italique, est de race gauloise. L’Italie entière doit beaucoup au sang celte qui se maria au sang latin. L’Italie du Nord s’appelait la Gaule Cisalpine. C’est la joie, le charme profond des paysans d’Assise qui firent remonter un Joergensen du fond de sa douleur noire et de son désespoir de malade nihiliste, pour l’amener à la tendre sérénité et à la béatitude franciscaine. À la manière celte, ils mêlent allègrement l’âme à toutes les démarches de la vie.
RENAN, dans La Poésie des Races Celtiques, note les trois tendances souveraines qui la caractérisent : primauté du cœur, amour fraternel de la nature et accord inné avec le Christianisme.
Cela est tout François d’Assise.
« Race – écrit Renan – vivant toute en dedans, sentant profondément et portant, dans ses instincts religieux, une adorable délicatesse ; dans le grand concert de l’espèce humaine aucune famille ne l’égale pour les sons pénétrants qui vont au cœur. [...] Ne riez pas de nous autres Celtes. Nous ne ferons pas de Parthénon, le marbre nous manque ; mais nous savons prendre à poignée le cœur de l’âme. [...] Cette race a au cœur une éternelle source de folie. Le royaume de féerie, le plus beau qui soit en terre, est son domaine 1. »
Nul mieux que les bardes et harpeurs celtiques n’ont illustré cette audacieuse proposition, acceptée aujourd’hui par tous les grands intellectuels, qu’il n’est de vie véritable que par le cœur, qu’une vie sans amour est une vie perdue, qu’il faut sentir et agir par le don total de soi à ce qu’on aime.
En face des hommes rudes de son temps, en face de sa famille, en face de l’Église, François d’Assise affirme et prouve la supériorité de l’amour, la prépondérance du cœur, la souveraineté de la charité. Toute sa vie semble menée par cette pensée qui lui aurait échappé, un jour, dans les larmes : « L’amour n’est pas aimé. » Il ajoutait après saint Jean : « L’Amour qui est Dieu même. » Le malheur profond des hommes provient de cela qu’ils préfèrent à l’amour mille autres choses qui l’étouffent plus sûrement que le lierre mortel à l’arbre qu’il entoure : intérêt, argent, ambitions, honneurs, orgueil et vanité, volupté, tous les faux dieux en face du seul vrai Dieu qui est Amour.
André SUAREZ écrit : « Que sont les hommes qui ne se soucient pas de Dieu ? et que savent-ils de l’amour ? » Rien n’est ensemble plus dans l’esprit de François et plus orthodoxe. Orthodoxe du point de vue même de l’intelligence laïque. Les plus profonds génies modernes en conviennent, les plus cérébraux.
C’est DANTE, orienté vers « une lumière intellectuelle pleine d’amour » et proclamant que « l’amour est la raison cachée de son âme », comme « l’esprit de vie repose dans la chambre la plus secrète du cœur ». Et Léonard de VINCI dit : « Toute la connaissance vient du sentiment. » DESCARTES, dans ses Cogitations Privatae : « Il n’y a qu’une force active dans le monde : l’amour, la charité, l’harmonie. » Et Pascal : « Dans les choses mêmes où il semble que l’on ait séparé l’amour, il s’y trouve secrètement et en cachette et il n’est pas possible que l’homme puisse vivre un moment sans cela. Qui peut douter si nous sommes au monde pour autre chose que pour aimer ? » Citons aussi Bossuet : « La connaissance doit se fondre tout entière en amour [...]. Malheur à la connaissance stérile qui ne se tourne point à aimer. » Et Racine : « L’esprit est sujet à aimer autant qu’à penser et songer [...]. Si je n’aime, je ne suis rien. » Barrès est encore plus explicite : « L’intelligence, quelle petite chose à la surface de nous-mêmes ! Profondément, nous sommes des êtres affectifs [...]. Seule vaut une intelligence qui ne diffère point de l’amour [...]. C’est par l’amour que nous trouvons la vérité, car elle n’est pas chose qui se démontre [...]. Observer, prendre des notes, les rassembler systématiquement, toute cette froide compréhension par l’extérieur nous mène moins loin que ne feraient cinq minutes d’amour. » Et Anatole France confie, au terme de sa vie : « La pensée ! La pensée ! Croire, aimer, voilà les mots magiques. »
Voilà « l’hérésiarque » d’Assise, comme dit SUARÈS, absous et justifié. Lui, du moins, s’est du premier élan jeté, pour s’y tenir ensuite, à l’extrême pointe si lumineuse de la vérité. L’homme ne comprend vraiment que cela seul qu’il a d’abord senti ; c’est par l’amour seul qu’il saisit et possède les choses. Sans amour, tout objet de l’univers est pour lui comme s’il n’existait pas. C’est par l’amour seul qu’il pénètre et atteint le réel ; par l’amour seul, aussi, qu’il le supporte puisque l’amour transforme tout et enchante même la douleur et la mort. Par une interne révélation, dont la plus vaste science est bien incapable, l’amour apporte de soi-même la certitude : en une effusion et un éblouissement de l’âme, il vous livre la vérité et la vie dans leur essence, aussi sûrement que s’il vous donnait la clef des choses. L’unique profond regret que chacun doive traîner, au soir de ses jours, est de n’avoir pas su aimer, transformer en un cœur vivant, en un cœur de chair, son cœur de pierre. Malheur aux hommes, savants, poètes, philosophes et tous autres qui ont préféré quoi que ce fut à l’Amour !
Il a fallu qu’il fût profondément Celte, ce François, pour avoir osé, avec une foi, une assurance intrépide, hisser résolument le cœur au-dessus de tout et reprocher aux Chrétiens mêmes de son temps, qui n’avaient que les mots « Amour » et « Charité » sur les lèvres, de ne les avoir point profondément gravés dans le cœur.
François, héritier des bardes et des trouvères par le celtisme ombrien, héritier des troubadours encore par le sang provençal de sa mère, aura été le plus accompli de tous « les chevaliers de la Table Ronde ». Mais, chez lui, nul besoin de prodigieux attirail ni de magnifique colifichet. Ce qui lui vaut son don supraterrestre, c’est son cœur où éclatent tout feu et lumière, le monogramme et la croix du Sauveur du Monde. À la manière de Dante, on pourrait l’appeler « Soleil du cœur ».
Quand on lit la scène où Perceval le Gallois, devant sa mère anxieuse, s’obstine à vouloir mener la vie chevaleresque, on croit entendre les échos antérieurs de ce qui devait, plus tard, s’échanger dans la maison d’Assise entre François et sa mère suppliante. Comme de Perceval, être primitif et illuminé, de François les actes épanouirent sur terre les injonctions du cœur, son seul seigneur et maître après Dieu.
Quand Michelet nous dépeint François infirme consentant à monter dans une carriole de paysan pour prêcher l’Évangile et quêter, de village en village, les âmes pécheresses, nous croyons revoir Lancelot, le chevalier à la charrette.
Aussi, François s’exprime-t-il toujours à la manière courtoise. Il disait : « Madame la Pauvreté », comme Perceval dit « Madame ma Mère ». Il dira même à la mort : « Ma Sœur ». C’est le comble de la fraternité. La courtoisie sera, selon lui, la première qualité de Dieu qui se montre avec ses créatures d’abord Grand Seigneur.
Ce qui frappe encore dans les inventions des bardes celtiques, c’est l’intelligence qu’ils donnent aux animaux et le goût que révèlent les hommes, et qui leur paraît tout simple, de converser avec eux comme avec des amis ou des frères.
Les compagnons d’Arthur, lorsqu’il s’agit de retrouver Mahon, fils de Modron, enlevé à sa mère trois jours après sa naissance, ne manquent pas d’enquêter auprès des animaux. Ils interrogent le merle, le cerf, le hibou, l’aigle, le saumon, et ceux-ci leur répondent, donnant leurs avis aux chevaliers. On sent très bien qu’ils eussent été fort surpris du contraire.
François d’Assise a parlé de même aux animaux : il leur a même prêché. Ceux-ci lui ont répondu à leur manière : ramages, gazouillis, battements d’ailes et vols en croix. C’est du celtisme italianisé. Comme il y a un celtisme irlandais, anglais, français, belge, espagnol, il y a un celtisme italien dont François d’Assise est l’extrême fleur. Il est même, à notre goût, la fleur suprême du celtisme universel. C’est un celtisme plus rationnel, tout en demeurant exquis. On n’est plus dans les brumes, mais sous la belle lumière qui aime à voir les choses à peu près comme elles sont. On s’aperçoit aussi que l’esprit gréco-latin est passé par là et y règne toujours. Le brochet du lac Trasimène, que François a fraternellement rejeté à l’eau plutôt que de le manger, suit la barque de son libérateur, ne lui propose point de le prendre sur son dos (ce qu’aurait osé un brochet gallois) ni même de lui donner quelque avis. Un jour, saint Kevin, narrent les bardes bretons, s’endormit en priant à sa fenêtre, les bras étendus ; une hirondelle apercevant la main ouverte du vieux moine, trouva la place bonne pour y faire son nid ; le saint, à son réveil, voyant la mère qui couvait ses œufs, ne voulut point la déranger et attendit, pour se relever, que les petits fussent éclos et aptes à voler. On dirait une préfiguration de François d’Assise avec l’excès coutumier de la sensibilité galloise et de son imagination. Sympathie merveilleuse qui, chez François d’Assise, comme chez les Celtes, s’étend à toute la Nature.
Quant à la légende de saint Brendan « produit le plus singulier de la combinaison du naturalisme celtique avec le spiritualisme chrétien » (RENAN), on la croirait écrite par les Trois Compagnons de François. Lorsque Brendan s’en va, suivi de dix-sept de ses religieux, à la recherche de la mystérieuse « terre de promission », réservée par Dieu à ses saints, quelque part sur la face du Monde, ils s’aventurent au large dans une barque. Les fêtes de l’Église, ils les célèbrent sur le dos d’une baleine qui se tient ainsi qu’une pierre liturgique. Chaque île découverte est une merveilleuse monacale qui présage le rêve de François à la Portioncule ou sur l’Alverne. C’est d’abord l’île des Oiseaux, terrestre paradis ou la gente ailée vit selon les règles des religieux, chantant matines et laudes aux heures canoniques. Brendan et ses compagnons y célèbrent la Pâque avec les oiseaux et y demeurent cinquante jours, nourris uniquement de leurs chants : c’est le comble du rêve de François. Ailleurs, c’est l’île Délicieuse, idéal de la vie monastique au milieu des flots. Aucune nécessité matérielle ne s’y fait sentir ; les lampes s’allument d’elles-mêmes pour les offices et ne se consument jamais (c’est une lumière toute spirituelle). Un absolu silence règne dans l’île ; chacun sait au juste quand il mourra et n’en éprouve d’ailleurs aucun chagrin, au contraire. On n’y ressent ni froid, ni chaud, ni tristesse, ni maladie de corps ou d’esprit. Tout cela dure depuis saint Patrick qui l’a réglé ainsi. Le rêve de François est là dépassé.
Connut-il les légendes de saint Patrick et saint Brendan ? C’est possible puisque Dante les connut. Il est plus vraisemblable de penser que des rêves analogues ont jailli de son âme, selon les mêmes ordres du sang des Celtes. On est ce qu’on naît...
« Cette race veut l’infini ; elle en a soif, elle le poursuit, à tout prix, au-delà de la tombe, au-delà de l’enfer [...]. Elle poursuit la vision du monde invisible [...]. On peut dire que la douceur des mœurs et l’exquise sensibilité des races celtiques les prédestinaient au Christianisme Cette douce petite race était naturellement chrétienne. Loin de l’altérer et de lui enlever quelques-unes de ces qualités, le Christianisme l’achevait et la perfectionnait. » (RENAN)
Cela explique l’aisance avec laquelle François greffe sur sa nature exquise son Christianisme sublimé. L’Évangile, la « Bonne Nouvelle » divine, ne faisait qu’épanouir, dans une lumière et une chaleur plus pures, des tendances où l’entraînait sa race. Mais, cela encore, il le fit à l’italienne. Loin de s’égarer, comme le Patrick et le Brendan légendaires, vers une terre de promissions incertaine au sein d’un océan brumeux, vers un paradis qu’il savait n’être point de ce monde, François alla droit au Christ, à son Évangile avec ses préceptes, ses règles et ses dogmes. Nette démarche qui lui facilita, il est vrai, la vision qu’il eut du Maître sur le chemin de Spolète. Il sut, d’une science sûre et directe, par le moyen d’une orthodoxie épurée et illuminée, où était le centre d’amour qui devait rayonner sur la Nature – « ce premier Amour » comme devait dire Dante, plus tard, au terme de son Paradis – « qui meut les soleils et les autres étoiles », et avec les astres la Création tout entière, cœur humain compris, la plus étrange des étoiles. C’est le Christ qui est toute la charité et toute la grâce. C’est dominé, pénétré, enthousiasmé par Lui que François ira, débordant de bonté, vers toutes les créatures. Il aura pitié même du méchant loup et des brigands mauvais : il les appellera ses frères. Car rien n’est, a priori, damné depuis le sang expiatoire du Rédempteur. François rejoint Brendan qui eut pitié même de Judas. Le barde celtique raconte que le saint irlandais rencontra le traître sur un îlot des mers polaires où il lui était octroyé, en grâce, pour une aumône d’autrefois, un jour de congé par semaine afin de s’y rafraîchir des feux infernaux. Quelle charmante idée ! Le drap que l’Iscariote avait donné jadis, par charité, à un lépreux, était suspendu devant lui et tempérait ses souffrances ! Voilà bien, lépreux compris, une légende d’avant François.
Serait-il insensé de voir encore une annonce du « second Christ » du Moyen Âge dans ce trait des Romans de la Table Ronde ? Sous la forme d’un aigle, le saint moine Eliwlod évangélise le roi Arthur. Il l’initie aux sentiments de résignation, de sujétion et d’humilité que le Christianisme opposait à la violence et à la superbe païenne. L’héroïsme orgueilleux d’Arthur recule pas à pas devant la souveraine formule que le Christianisme, dit Renan, ne cessa de répéter aux races celtiques pour les civiliser : « Il n’y a de grand que Dieu. » Saint Colomban répétait de même à l’enchanteur Merlin : « Il n’y a d’autre devin que Dieu. » Et le roi Arthur, comme Merlin, se laissa persuader, abdiqua la divinité dont il se croyait privilégié et finit, genou ployé, par dire le Pater.
François d’Assise, rossignol de l’amour divin, savait aussi devenir un aigle, lorsqu’il lui fallait dominer en soi, comme les cœurs endurcis des hommes, la sauvagerie et l’orgueil originels !
L’histoire et la légende de l’Ombrie rejoignent, par cet inspiré, les songes romanesques de la profonde poésie celtique qu’il a incarnés sur la terre des vivants.
Le grand-père de François était originaire de Lucques en Toscane. Bernardone Monconi s’installa à Assise, où il fit une fortune qu’il laissa à son fils Pietro, marchand-drapier, père de notre François. C’est sans doute au cours d’un de ses voyages d’affaires que Pietro épousa une jeune fille noble de Provence : Pica de Bourlemont, « femme amie de toute honnêteté », de mœurs pures, douces, bonne et pieuse. On peut penser que c’est de sa mère que François a hérité son côté troubadour et patricien. Peut-être aussi son physique : petit, mince, nerveux, au teint mat. Si, comme c’est l’opinion de Camille Julian, les Ligures sont « l’avant-garde de la migration celtique, des Celtes de premier ban », le celtisme de l’Ombrien François a, sans doute, été renforcé par le sang provençal de sa mère.
Il naquit (certains disent) le 26 septembre 1182, tandis que son père voyageait en France. C’est en l’absence de son père qu’il fut baptisé en la cathédrale d’Assise. Sa mère lui donna le prénom de Jean [...] le nom du Précurseur [...] et, en effet, il le méritait bien, car il devait, plus tard, annoncer à nouveau le message du Christ. Cependant, au retour de France, son père le prénomma François, ce qui était assez insolite, car il n’existait pour ce nom aucun saint patron. Depuis, les François ne se comptent plus. Son père aurait dit : « Je ne veux pas Jean-Baptiste vêtu de poils de chameau, mais un élégant et aimable François » (français). Il n’a pas été exaucé ! (Nous citions ici saint Bonaventure). Mais, François l’est par sa mère avant elle, il l’est par sa race gauloise d’Ombrie ; il le sera aussi par le langage qu’il aura appris au foyer, de ses parents eux-mêmes. D’autres prétendent que ce surnom lui fut donné seulement dans son adolescence, justement à cause de sa maîtrise de la langue française. Peu importe l’origine, le nom lui est resté. Cette langue, il l’aura aussi apprise des Romans de la Table Ronde dont il fut, très tôt, un lecteur passionné, ainsi que des Chansons de Gestes. « La noblesse de l’idiome gaulois » était vantée, dès cette époque, jusqu’en Allemagne. Brunetto Latini, grammairien maître de Dante, disait : « La parlure de France est plus délectable et plus commune à toutes gens que nulle autre. »
Dans les circonstances importantes de sa vie, François fit souvent usage du français. Thomas de CELANO confie : « Parce que la France aimait le Corps du Christ, il chérissait ce pays par-dessus tous les autres. À cause du respect qu’on y avait pour les choses saintes, il désirait y mourir. » (C’était au XIIIe siècle [...] les choses ont bien changé depuis !) Celano ajoute : « En France, les sages de l’univers et les hommes les plus instruits vénèrent avec humilité et dévotion, admirent et prient François, cet homme sans armes, ami de la vraie simplicité. François, plus que tous les autres avait, en effet, le cœur “franc” et noble. »
En même temps que la langue d’oc à la maison, il apprit aussi le latin chez les prêtres de l’église Saint Georges (remplacée aujourd’hui par la basilique Sainte-Claire). Son instruction ne fut jamais très poussée, heureusement. Il n’a pas été encombré de savoir inutile et n’a pas été troublé par la vanité intellectuelle ; son école sera celle du cœur.
On peut s’étonner que ce troubadour ait justement fait si peu de place aux « affaires du cœur ». Citons François DUHOURCAU : « François d’Assise, nature délicate, sensible, généreuse, profond poète du cœur, Celte, en un mot, jusqu’à l’extrême pointe du sentiment, aurait eu, tôt ou tard, son coup de grâce décisif, son inspiration déterminante, mais s’il avait été autre, il eut pu l’éprouver pour sa ville charmante et son pays d’Ombrie, ou la guerre de la Croix, ou quelque Béatrice un jour rencontrée. Ce qui fait sa singularité, sa grandeur, sa sainteté, c’est la qualité rare de sa fulguration et du feu qu’elle allume au repli le plus secret de son cœur. Une prédestination mystérieuse et sacrée le devait attacher à Jésus-Christ, Homme-Dieu, Sauveur du Monde, Rédempteur des hommes et faire de lui, douze siècles après sa mort, son nouvel apôtre et nouveau disciple bien-aimé, afin de rappeler ce Modèle et Maître salutaire à un monde oublieux. Le cœur d’un François est trop ardent, trop pur, trop sublime pour se contenter d’un amour qui fût seulement humain, il ne pouvait sr contenter que de Dieu, mais d’un Dieu miséricordieux qui englobât toute la Création dans son amour infini : les choses et les êtres, les bêtes et les gens, tous les règnes créés, le minéral et le végétal, l’animal et l’humain. François était charité fait homme : il la haussa jusqu’à l’imitation de la charité faite Homme-Dieu. Il ne pouvait se satisfaire que de Jésus-Christ. Pour tout dire d’un mot souverain, François ne pouvait croire (credo pour cor do = je donne mon cœur), c’est-à-dire ne donner son cœur qu’à Jésus-Christ. Voilà pourquoi il est sans doute le plus grand des saints, comme pour ses qualités de force, d’amour et de charme, il en est le plus séduisant. En se penchant et s’appuyant, comme Jean le Bien-Aimé, sur le cœur du Christ, pour en écouter les battements, régler le sien à leur rythme et les transmettre au monde, François se tient au cœur brûlant du Christianisme. Son emprise unique est, dans sa mansuétude, écho divin et, dans sa manière, extrême et suave. » C’est de ce François que Celano dit : « Du moment où il eut entendu la voix du Bien Aimé, son âme fondit d’amour et, peu après, les plaies de son corps manifestèrent l’amour de son cœur. » Il ne pouvait, dès lors, contenir ses larmes et gémissait tout haut sur la Passion du Christ ; témoin de cette confidence à son ami intime, frère Léon : « Je pleure parce que l’Amour n’est pas aimé ! » (Non e amato l’Amore !)
Cet être d’une dimension cosmique était plutôt petit et frêle (1,68 m), menu de pieds et de mains, de teint mat mais délicat, aux yeux d’un bleu très foncé, limpide, aux cheveux châtain foncé mais avec des reflets clairs au soleil. Un cou mince porte une tête fine et l’ovale allongé. La bouche est bien formée ; les dents sont très blanches et bien rangées ; la barbe a des reflets dorés et est clairsemée ; le nez est mince et droit. Physiquement, un vrai Celte de Ligurie. On aurait pu dire de lui qu’il possédait « la grâce, plus belle encore que la beauté ». Son regard et son sourire vous demandaient le cœur ; mais il commençait, il est vrai, par donner le sien, don qu’il fit à tous : au Créateur et à toute sa Création...
Le souffle de François d’Assise, uni au souffle humain-divin du Christ, auquel il s’est donné et auquel il s’apparente, peut toujours opérer des miracles. Ils peuvent « soulever des montagnes » et « changer la face de la terre », mieux que la machinerie la plus parfaite, parce qu’ils sont la vérité et la sagesse, comme ils sont la foi, l’espérance et l’Amour...
Mgr MAEL.
Paru dans la revue Sainte Présence.