Sainte Agnès

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

E. MALBOIS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voulez-vous que nous causions de sainte Agnès ?

Elle est, après saint Pierre et saint Paul, avant sainte Cécile, plus célèbre, mais peut-être moins aimée, la sainte la plus populaire de Rome, la sainte romaine. Si les verres à fond d’or trouvés dans les Catacombes représentent une soixantaine de fois les deux Apôtres, ils représentent treize fois sainte Agnès, quand la Vierge Marie ne l’est que six fois, et sainte Agnès est la seule qu’ils représentent. Au IVe siècle, avant qu’on eut créé, pour fêter Marie, les anniversaires de convention de sa Nativité et de son Assomption, la fête d’Agnès – qu’en 304, la Depositio martyrum, ou liste des fêtes de Martyrs (vingt-cinq seulement) que le pape célèbre, place au 21 janvier, à la voie Nomentane – est la fête de la Virginité. Hors de Rome, sa gloire n’est pas moindre. Entre les noms de baptême, en Italie, en France, en Espagne (Inès, d’où dérive Inigo, Ignace), et surtout en Angleterre (qui ne songerait à la délicieuse Agnès de David Copperfield ?) et en Allemagne, Agnès est un des plus donnés ; beaucoup d’églises lui sont consacrées et, à Paris, elle est la patronne secondaire de saint Eustache, bâtie au XIIIe siècle sur une ancienne chapelle de Ste-Agnès. Beaucoup de villages portent son nom : dans l’Hérault, par exemple, trois St-Aunès, forme languedocienne de son nom. Dans le monde entier elle est, comme le chante Vodel, poète des Pays-Bas (œuvre protestante), « l’héroïne charmante de jeunesse et de faiblesse, merveilleuse de sagesse et de force... la rose fraîche et humide de perles d’aurore que Jésus choisit pour épouse dès que son éclat eut réjoui sa vue et qui, blessée d’amour, lui offrit les prémices de sa vie, parfum et fraîches couleurs d’un calice à peine ouvert ».

L’art a lutté avec la poésie : peu d’artistes qui n’aient essayé de faire une sainte Agnès. Qu’est-ce que cette Agnès, pourquoi cet amour et ce culte ?

Il est aujourd’hui facile de le savoir. Un Jésuite, le Père Jubaru, s’est pris d’affection pour l’humble petite sainte, et a publié une Sainte Agnès, et martyre de la voie Nomentane d’après de nouvelles recherches ; Dom Leclercq, dans son Dictionnaire d’archéologie chrétienne, lui a consacré un long article.

Son nom, comme Catherine, signifie pure, chaste. Les Latins l’empruntèrent d’autant plus facilement aux Grecs qu’il ressemble davantage à agnus, agneau. Sans doute fut-ce à l’origine un de ces mille petits noms de tendresse dont les parents aiment à caresser leurs enfants. Il n’est pas d’ailleurs exclusivement chrétien : des païennes l’ont porté, et Horace connaît une Agna : hommage à l’innocence que l’âme naturellement chrétienne ne pouvait que respecter et aimer. Il dut plaire d’autant plus aux chrétiens que saint Paul s’en sert pour caractériser la vierge chrétienne, épouse du Christ, et que le Christ est l’Agneau. Aussi fut-il employé comme nom de baptême à côté du nom de famille.

À quelle famille appartenait Agnès ? Elle fut enterrée dans un cimetière de famille, in prœdiolo suo, une de ces vignes où les riches Romains aimaient à avoir leur tombeau ; « nous nous sommes retirés dans nos jardins », disent des épitaphes. On crut en étudiant les épitaphes de ce cimetière, et surtout une mal lue, qu’il appartenait aux Clodius ; Agnès eût été apparentée au tribun Clodius et à la célèbre Clodia contre qui Cicéron (que valent des invectives d’avocat antique ?) avait prononcé le célèbre plaidoyer pour Milon, qui pèse sur leur mémoire. De fait, on n’en sait rien. Si l’épitaphe, Agne sanctissima, est, et c’est fort vraisemblable, la sienne, elle ne porte pas (à quoi bon dans une tombe de famille), son nom de famille. En tout cas, était-elle de famille noble, encore que nous ne puissions ajouter, comme sainte Agathe devant son juge, « comme en témoigne toute ma famille ».

Quelle est son histoire ? il n’y aurait qu’à lire la légende dorée ou les Vies des Saints s’il n’y fallait distinguer l’histoire et la légende. Heureusement peut-on connaître l’une par saint Damase et saint Ambroise, et savoir comment l’autre s’est formée. Saint Damase, espagnol, pape de 366 à 384, fit sa carrière ecclésiastique dans la chancellerie pontificale dont le palais est voisin de l’église St-Laurent in Damaso qu’il fit construire. Il eut pour les martyres romaines, dont, par son emploi, il connaissait parfaitement l’histoire, une particulière dévotion qui le porta à orner leurs tombes d’éloges en vers que Philocalus grava dans ces caractères damasiens ou philocaliens, aussi beaux et romains que la langue qu’ils fixent. Par un rare bonheur, le marbre même où fut gravé celui d’Agnès existe encore. Il fut trouvé, quand on le refit en 1728, dans le pavé de la basilique de la voie Nomentane, et il est encastré dans le mur de l’escalier qui y descend.

« La renommée, dit-il, répète ce que naguère ont rapporté ses saints parents. Agnès, encore enfant, entendant les sons lugubres de la trompette du tribunal (où l’on jugeait les chrétiens) quitta soudain sa suivante, et courut braver les menaces et la rage d’un cruel tyran. Quand il voulut livrer son noble corps aux flammes, elle sut, faible et petite, être plus grande que la plus grande des craintes ; elle sut, de ses cheveux, voiler les membres que le bourreau allait percer, pour que nul regard mortel ne souillât le temple du Seigneur. Comme je te vénère, sainte gloire de la chasteté, douce martyre ! De Damase qui te supplie, écoute la prière. »

Clairs pour les contemporains, ces vers sont obscurs pour nous : du moins l’essentiel y est : la date récente (celle du 21 janvier est acquise) du martyre d’Agnès : ceux qui l’ont raconté, sinon Damase lui-même, ont connu ses parents, son jeune âge, son genre de mort.

Saint Ambroise est plus précis. En 377, à la demande de sa sœur Marcelline qui l’avait élevé, il écrivit, pour elle et ses compagnes, les trois livres de la Virginité, où il utilise des discours qu’il avait prononcés sur ce sujet. Avec et avant Marie, Thècle, saint Jean, sainte Pélagie d’Antioche, la fille de Jephté, il y nomme sainte Agnès. Son premier livre s’ouvre sur un fragment de discours prononcé au jour de sa fête. Ambroise est un Romain de Rome : il en connaît les traditions sur sa vierge la plus célèbre : c’est un ancien magistrat, et s’il parle avec l’emphase de l’orateur, il n’oublie pas la précision du juriste.

« C’est aujourd’hui, dit-il, l’anniversaire d’une « vierge : marchons sur ses traces : d’une vierge martyre. Immolons-nous comme elle. C’est l’anniversaire d’Agnès : que l’homme fait admire son courage, que l’enfant s’encourage à l’imiter : quelle leçon pour l’épouse, quel exemple pour la vierge ! Que dire à sa louange quand son nom si pur est déjà une telle louange ! L’ardeur de sa piété devança son âge comme son courage devança ses forces : et vraiment son nom lui fut moins donné par les hommes que donné par le ciel pour présager sa pureté et son sacrifice. Aussi ce nom lui-même, ce nom de pureté vient-il à mon secours pour louer la vierge et louer la martyre. Et ces deux mots suffisent : avec eux je tiens, je n’ai pas besoin de chercher mon éloge. Arrière donc les développements de la rhétorique, silence à l’éloquence. Je ne veux pour toute chose que son nom, que vieillards, hommes, enfants répètent à l’envie. Quelle louange que celle qui à tous s’impose avec ce nom même et que toute bouche répète, qui le prononce !

« Elle avait douze ans, rapporte la tradition, quand elle rendit son témoignage. Faut-il plus détester la cruauté qui n’épargna pas son âge si tendre : ne faut-il pas plus admirer la foi à qui cet âge si tendre rendit ce témoignage ! Si frêle était son corps que le fer ne savait où frapper, et cette enfant, que le fer ne savait où frapper fut plus forte que le fer. À cet âge le jeune fille tremble au regard irrité de ses parents, et pour une piqûre d’abeille pleure comme pour une blessure. Agnès, intrépide au milieu des mains sanglantes des bourreaux ; Agnès, insensible aux bruits horribles des chaînes que l’on traîne et qui l’accablent, abandonne son corps au glaive que brandit le bourreau : elle est prête à la mort à l’âge où l’on ne sait même pas qu’il y a une mort. Et quand la violence la traîne aux autels, à travers les feux des sacrifices, elle tend ses mains vers le Christ, et trace sur ces feux sacrilèges le signe victorieux de la croix de son Rédempteur : elle présente elle-même son cou et ses mains aux fers qui n’arrivent pas à serrer des membres si petits. Vit-on jamais pareil martyre ! Agnès n’a pas l’âge légal du supplice, et a déjà l’âge de la victoire ! Et l’âge qui eût dû lui interdire le combat ne lui interdit pas la couronne. Jamais fiancée courut-elle à l’hymen comme Agnès au lieu du supplice. Joyeuse d’être choisie, elle hâte le pas : et si son front n’est orné ni d’une chevelure artificieusement disposée, ni d’une couronne de fleurs, il resplendit du Christ lui-même et de la grâce de ses vertus. Tous pleurent : elle seule ne pleure pas : comment pouvait-elle, disait-on, répandre si facilement une vie dont elle n’avait bu que les premières gouttes : comment pouvait-elle rendre en justice ce témoignage à son Dieu, quand la loi ne la tenait pas encore pour responsable ! Et cette enfant, dont la parole eût été sans valeur dans la cause d’un homme, tous la crurent quand elle rendit témoignage à son Dieu ; tant il est vrai que seul l’auteur de la nature est l’auteur de ce qui dépasse la nature !

« En vain le bourreau recourut-il aux menaces pour l’effrayer, aux caresses pour la séduire. En vain des admirateurs subits la prièrent d’être leur épouse : Non, dit-elle, la fiancée fait injure à l’époux qui le fait attendre. À celui qui m’a choisie, je suis et je reste. Que tardes-tu, bourreau ? et périsse ce corps qui peut exciter un amour dont je ne veux pas !

« Elle se redresse, elle prie, elle fléchit le cou. Comme s’il eût été la victime, le bourreau frémissait, son bras hésitait, tremblait de donner une mort qui ne faisait pas trembler.

« Vous avez donc, en une seule victime, un double martyre, martyre de chasteté, martyre de religion : c’est en restant vierge qu’Agnès a obtenu d’être martyre. »

On trouve dans les œuvres d’Ambroise une hymne très ancienne à sainte Agnès : est-elle de lui ou n’est-elle qu’à sa manière ? Elle n’est en tout cas que mise en vers de son récit. Saint Augustin, saint Jérôme, ne font que la nommer. Saint Grégoire a prononcé dans sa basilique deux sermons utilisés dans le Bréviaire romain pour l’office des Vierges et des saintes femmes : il ne dit rien d’ailleurs d’Agnès elle-même.

Damase, Ambroise, voilà, sans légende, la tradition romaine. Si, comme en Orient, Rome eût lu, au jour de leur fête les actes authentiques de ses martyrs, la légende ne se fut peut-être pas formée : elle se forma de bonne heure, et voici comment.

Il y eut, outre notre Agnès, et avant elle, plusieurs Agnès martyres, une entre autres dont les Grecs nous ont conservé les actes.

C’était une noble romaine qui enseignait aux femmes de Rome la loi du Christ. Sur son refus de cesser, le préfet de la ville la condamna à être exposée dans un lieu infâme. (Est-ce à elle que fait allusion Tertullien, écrivant au dernier chapitre de son Apologétique : « Dernièrement, condamnant une chrétienne à être exposée dans un lieu infâme, plutôt qu’au lion, vous avez reconnu que la perte de la chasteté est pour nous le plus grand des supplices et plus terrible que la mort même »). Un forcené voulut l’y outrager et tomba inanimé. Accusée de l’avoir tué, Agnès répondit qu’elle avait vu un jeune homme vêtu de blanc la suivre et se tenir près d’elle, l’Ange du Seigneur. – Si tu veux que nous te croyions, invoque ton Dieu et rends-lui la vie. Accusée par le peuple de sorcellerie pour l’avoir fait, elle est brûlée vive.

Il n’y a rien dans la passion de notre Agnès qui ressemble à l’horrible supplice que l’autre subit, dans un des bouges qu’abritaient les voûtes du cirque de Domitien, in agone, dont la forme et le nom se retrouvent dans la place Navone (dès le IVe siècle on avait consacré au culte la partie de ces galeries qui subsiste dans la crypte de Ste-Agnès, place Navone). L’identité de nom, l’oubli de l’histoire, firent bientôt prêter (on ne prête qu’aux riches) à l’Agnès plus récente et plus célèbre ce qui était le fait de l’ancienne : et l’histoire de l’une s’ajoutant à l’histoire de l’autre en devin la légende.

L’addition et la confusion se voient déjà dans l’hymne (la douzième de son Peristephanon, ou chants des Couronnes) que, sers 400, Prudence consacra à sainte Agnès. Espagnol comme Damase, il était vertu vers ce temps à Rome, non pas comme son compatriote du premier siècle pour voir Tite Live et repartir aussitôt, mais pour en visiter longuement les lieux saints. Il vit le tombeau et la Basilique de la voie Nomentane, il y lut l’inscription de Damase, et peut-être connut-il te récit d’Ambroise. Il n’en a pas moins confondu, comme sans doute déjà les Romains, les deux Agnès (ainsi confond-il d’ailleurs saint Hippolyte de Rome et saint Hippolyte de Porto, saint Cyprien d’Antioche et saint Cyprien de Carthage) et l’infâme supplice de l’une s’ajoute dans ses vers au supplice de l’autre. Un quart de siècle plus tard, avec le pseudo Ambroise, la confusion est complète et la légende achevée.

« Ambroise, serviteur de Dieu, appelé évêque » ; ainsi commence la dernière du quatrième livre des lettres qu’on lit dans les œuvres de saint Ambroise. Était-ce son nom ? était-il évêque ? ou n’est-ce qu’une fiction pour se recommander de ce nom illustre ? Rien de plus clair que son but. Il veut écrire, pour les vierges de Milan qui fêtaient sainte Agnès, une légende, c’est-à-dire, au sens premier et encore usité du mot en liturgie, un récit de sa vie qu’on pût lire pendant son office, « Célébrons la fête d’Agnès : chantons les Psaumes, écoutons sa légende ; que le peuple se réjouisse : que les pauvres du Christ reçoivent les aumônes. Réjouissons-nous tous dans le Seigneur, et rappelons pour édifier nos vierges le martyre d’Agnès ! » Nous ne traduisons pas cette longue légende : c’est elle qu’on lit partout, et dans Fabiola, le cardinal Wiseman l’a insérée tout entière. « Par fortune, c’est une partie du jugement du Père Jubaru, ce n’était pas un vulgaire passionnaire... il réserve un soin spécial à ces discours par lesquels les historiens anciens cherchaient à révéler l’âme de leurs héros. » Le reste des Gesta Martyrum offre peu de chose qui leur soit comparable. Dans un passage de De Virginibus, la jeune vierge refuse à l’amour humain son cœur épris du divin Fiancé : ces courtes paroles lui ont paru la plus vive expression de l’âme d’Agnès. Il s’en est emparé... et dans son récit il a introduit un ample discours... sans se préoccuper de rester naturel dans les circonstances imaginées par lui. Il n’a visé qu’à relever son discours par l’éclat d’un riche symbolisme... Mais les gestes présentent une adaptation très spéciale de ce thème biblique (des épousailles). Ici, les épousailles ne sont que préparées, le Seigneur n’est encore qu’un fiancé.

« Des allusions à peine voilées concernent l’engagement de la vierge vouée (l’anneau reçu comme arrhes) et la prise de possession par Dieu dans les mystères de l’initiation chrétienne. Cette initiation comprend la « tradition du symbole (le Fiancé lui a mis aux oreilles, Tradidit, des perles sans prix), le baptême (il l’a revêtue d’une robe brillante), la consignation (il l’a marquée au front), la communion (il lui a donné son corps et son sang), le susception liturgique du lait et du miel (il lui a fait goûter le lait et le miel). L’initiation comporte encore la riche effusion des dons de la grâce (le Fiancé l’a comblée de joyaux et de parures) et le droit aux biens célestes (il a promis à sa persévérance des trésors incomparables)...

« À lui, dit Agnès à son prétendant, sa Mère est Vierge, son Père ne connaît pas d’épouse. Les anges sont serviteurs, le soleil et la lune les admirateurs de sa beauté. À son parfum les morts revivent : à son toucher les malades reprennent la santé. Il a des trésors qui ne s’épuisent jamais, des richesses qui ne diminuent point. À lui seul je garde ma foi, à lui je me livre sans réserve. L’aimer, pour moi, c’est être chaste ; le toucher, c’est être pure, le recevoir c’est être Vierge... »

À la passion grecque le pseudo Ambroise a ajouté trois épisodes.

Le premier, l’apparition d’Agnès à ses parents, reproduit presque textuellement un passage de la passion de sainte Eugénie. Ils virent dans un défilé de vierges Agnès ayant à sa droite un agneau plus blanc que neige. « Réjouissez-vous avec moi, leur dit-elle, car je suis avec elles, dans le lieu de lumière et de paix. » Dès cette époque, on représentait, dans les églises des processions de saints et de saintes avec leurs emblèmes ; est-ce une de ces représentations qui lui a suggéré cette vision ? À St-Apollinaire le neuf, à Ravenne, (VIe siècle) on voit, dans la procession des vierges, Agnès en vêtements royaux (cyclas) ayant à sa droite un agneau portant au cou une clochette ; plus tard on fit de cet agneau l’Agneau de Dieu, d’où cette antienne de son Octave (28 janvier). « À sa droite, sous forme d’agneau plus blanc que neige était le Christ, l’époux de la vierge et de la martyre. »

Le second est le martyre de sainte Émérentienne. Une catéchumène de ce nom, lapidée par des païens, dans une crypte du cimetière moyen (elle existe encore) où elle s’était réfugiée, y avait été enterrée et était honorée le 16 septembre. Or, ce cimetière était voisin de la tombe d’Agnès ; en outre, on y a trouvé les deux tombes voisines d’un Emerentius et d’une Agnès. Or, c’est un fait que le peuple de Rome a souvent établi d’étroits rapports entre martyrs qui n’en avaient d’autres que d’être voisins de tombe. Ainsi avait-il fait de deux soldats inconnus, Nérée et Achillée, enterrés près de Flavie Domitille, deux frères, serviteurs de la sainte et de deux défuntes voisines, Euphrasyne et Theodora, ses deux sœurs de lait. Il fit deux sœurs de lait de l’illustre patricienne et de l’obscure Émérentienne : puis il plaça le martyr de l’une à la tombe de l’autre : enfin quand, pour des raisons de commodité liturgique, la fêle du 16 septembre eut été transportée au 21 janvier, Agnès et Émérentienne furent inséparables : vraies sœurs de sang, sinon de lait.

Le troisième est la guérison de sainte Constance. Sous Théodose, pour suppléer à l’unique baptistère constantinien du Latran, on transforma le Mausolée de Constance en baptistère : au Latran s’était créée la légende de Constantin purifié de la lèpre à son baptême : au Mausolée se forma celle de la guérison des ulcères de Constance au tombeau d’Agnès. Nous parlerons bientôt du Mausolée de Constance et de la Basilique d’Agnès, et l’on comprendra mieux comment le peuple créa, pour se les expliquer, ces rapports où tout n’est pas faux.

Telle est l’œuvre du pseudo Ambroise, vrai type de ces légendes sur qui tombe un décret du VIe siècle : « Les gestes des Martyrs qui sont irradiés d’une multitude de tourments et de miraculeux triomphes... ne sont pas, d’après l’ancien usage, lus dans l’Église Romaine par mesure de prudence... on les juge écrits sans discrétion, avec incompétence, par des gens bornés... »

Mais l’Église romaine perdit cette réserve quand, au VIIe siècle, il fallut, pour l’Office de la vigile d’Agnès, une « légende » des antiennes et des répons ; c’est au pseudo Ambroise qu’on les emprunta. Puis, quand on fixa le rituel de la Bénédiction et consécration des vierges, que le Pontifical romain réserve à l’Évêque, c’est à cet office (sauf une, « je suis noble, et si j’aime à paraître sous des dehors serviles, c’est que je suis la servante du Christ », empruntée à celui de sainte Agathe) qu’on emprunta antiennes et répons : et c’est au chant des ardentes et poétiques protestations d’amour du pseudo Ambroise que se consacrèrent les Mechtilde et les Gertrude, que sont consacrées les Moniales de Solesmes. Il faudrait tout citer de cette dramatique liturgie des noces sacrées, la perle du Pontifical, toute pleine de cette Agnès que Prudence caractérise d’un mot, puellulam, calentem Christum, la fillette ardemment passionnée pour le Christ. En 1602, avant qu’on ne distinguât les deux Agnès, Clément VIII remplaça au Bréviaire la légende tirée du pseudo Ambroise par le récit d’Ambroise. Logiquement, et les correcteurs du Bréviaire sous Benoît XIV le demandèrent, on eût dû changer antiennes et répons. On n’osa, telle en est la beauté ! toucher à ces paroles qui, au cours des siècles, ont communiqué à des multitudes d’âmes ferventes les pures ardeurs de l’âme d’Agnès : on n’osera sans doute jamais. Qu’importe qu’il y ait deux Agnès et un faux Ambroise, si on ne peut placer sur des lèvres plus pures, plus fraîche et plus ardente poésie. En fait, pour les cœurs chrétiens, pour les lettres, pour les arts, il n’y eut toujours, il n’y a plus qu’une Agnès ; et ni nous, ni l’une ni l’autre n’ont à s’en plaindre.

 

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Pour connaître Sainte Agnès, rien ne vaut la lecture d’un roman (célèbre pour lui-même et son auteur, un cardinal) : Fabiola. « À la première nouvelle que j’avais écrit un roman, il y eut une terrible commotion parmi mes frères les cardinaux ; depuis, du Pape jusqu’au bas de l’échelle, je ne reçois que compliments et félicitations. » Peu d’hommes connurent et aimèrent plus Rome que Wiseman. Aussi, quand, pour une bibliothèque catholique populaire, il offrit d’écrire, comme il pourrait, l’Église des catacombes, ce fut comme tout fait que sortit de sa science et de son cœur l’admirable livre que tous ont lu, relu, ou liront. En dépit du titre, c’est Agnès qui en est l’âme, qui « dans les vêtements blancs qu’elle ne quitte pas se détache », devant le tapis rouge de la porte où elle nous apparaît pour la première fois, « comme un admirable relief, une belle et inoubliable vision, connue celle d’un ange ». Pour la faire vivre et mourir, Wiseman n’a eu qu’à traduire le Bréviaire.

« Tous ceux qui connaissent le Bréviaire romain, ont dû observer que dans les offices de certains saints domine un style particulier qui présente sous une forme distincte et caractéristique celui dont la mémoire est célébrée... » « Prenons, par exemple, l’office d’Agnès... nous y découvrons, à première vue, les circonstances suivantes : il est évident qu’elle est poursuivie par quelque admirateur païen dont elle « repousse à différentes reprises la fortune et la main. Quelquefois elle lui dit qu’elle a été devancée par un autre à qui elle est fiancée : quelquefois elle décrit sous différentes images cet objet de son choix, le représentant comme l’objet de l’hommage même de la lune et du soleil ; dans une autre occasion elle décrit les riches présents qu’il lui a faits, ou les magnifiques parures dont il l’a ornée, et les chastes caresses par lesquelles il s’est fait aimer d’elle. Puis enfin, comme si elle était pressée plus importunément encore, elle rejette formellement l’amour d’un homme périssable, d’un misérable mortel, aliment de la mort, et, se déclare triomphalement l’épouse du Christ : on a recours aux menaces, mais elle se déclare sous la protection d’un ange qui la défend contre toute attaque... » On distingue une autre particularité et l’une des plus belles sans doute de son caractère. Il nous est clairement démontré que la sainte avait toujours devant les yeux l’objet invisible de son amour ; elle le voyait, l’entendait, le sentait, et entretenait avec lui un échange d’affection pure et réelle, telle qu’en peuvent éprouver des cœurs sincères. Elle semble sous le charme incessant d’une vision perpétuelle, presque d’une extase suprême qui la fait jouir de la présence de son céleste époux. Il lui a réellement mis au doigt l’anneau du mariage, il a empourpré sa joue de son sang, il l’a couronnée de roses naissantes : l’œil d’Agnès est bien réellement fixé sur lui et ils échangent de doux regards d’ineffable affection... « Soudain, dit-il, au moment où elle apprend son supplice pour le lendemain, levant vers le ciel un de ces regards extatiques dont elle avait l’habitude, elle s’écria : et voilà ce que j’ai si longtemps désiré, je le vois ; ce que j’ai si ardemment espéré, je le tiens ; je me sens déjà unie dans le ciel à lui seul, à celui que j’ai aimé sur cette terre avec toute la dévotion de mon âme. Oh ! n’est-il pas d’une incomparable beauté, Fabiola, plus beau mille fois que les anges qui l’entourent ? Quelle douceur dans son sourire, quelle mansuétude, quelle bonté infinie dans toute l’expression de son visage ! Et cette mère si douce et si pleine de grâces qui l’accompagne toujours, avec quelles instances elle m’invite à me joindre à elle pour faire partie de sa glorieuse suite ! Je viens ! je viens – Ils sont partis, Fabiola, mais ils reviendront demain matin au point du jour, entendez-vous ? et j’irai vers eux et nous ne nous séparerons plus jamais ! » Il faudrait tout citer d’un livre qu’il vaut mieux lire et qui, dans son genre, n’a pas d’égal. De fait, c’est en vain que nous avons cherché dans les lettres rien qui lui soit comparable. Adam de Saint Victor au XIIIe siècle écrit une prose pour sa fête et Santeuil au XVIIe un hymne : leur art savant ne vaut pas la simplicité de l’hymne attribué à saint Ambroise. Tons les ans, un panégyrique d’Agnès est prêché dans l’église St-Eustache : entre les orateurs qui le prêchèrent, à défaut de Bossuet et de Bourdaloue, on remarque Massillon et la Rue. Nous excusons nos fautes, dit Massillon, sur l’âge, le tempérament, les occasions : la chasteté éminente d’Agnès confond ces vaines excuses ; nous justifions notre mollesse et notre impénitence sur la faiblesse de l’homme et sur l’incompatibilité de l’Évangile avec nos mœurs et nos usages ; le courage de notre sainte martyre va détruire ces prétextes frivoles. Peu de pureté, dit la Rue, où il n’y a pas de religion : et peu de religion où il n’y a pas de pureté ; dans ces deux importantes et délicates vertus Agnès nous tiendra lieu de modèle, tellement, dit saint Ambroise, que dans cette unique victime nous avons tout à la fois une martyre de la pureté et une martyre de la religion. – À cette seule division on reconnaît qualités et défauts, le caractère des panégyriques du temps où le saint est moins le sujet que l’occasion d’un discours. La passion d’Agnès a été portée à la scène. On a du moyen âge un mystère provençal de sainte Agnès, parole et musique, celle-ci plus intéressante. Au XVIIe siècle, on peut citer les tragédies latines jouées dans les collèges des Jésuites, et les tragédies françaises des Sieurs d’Arves, de Du Ryer, j’allais dire de Corneille. Car le fond, sinon l’intrigue de sa Théodore, vierge martyre, tragédie chrétienne, n’est autre que la légende d’Agnès. C’est dans les écrits des mystiques qu’il faut chercher l’intelligence d’Agnès et des paroles dignes d’elle. Entre bien d’autres, sainte Gertrude, la grande bénédictine. Elle nous dit dans son Héraut de l’amour divin, IV, 8, comment elle eut « la vision de la chère petite sainte qu’elle avait tant aimée dès son enfance... à peine pouvait-on, dans le ciel, lui en trouver une qui lui fût comparable pour l’amabilité et l’innocence » ; toute la « délectation et la dévotion » que peuvent affecter un cœur « en vertu des paroles toutes de miel de cette bienheureuse vierge dont l’Église fait un usage si fréquent dans ses offices ». Sainte Françoise Romaine voit Madeleine et Agnès conduire les chœurs des Vierges, repentir et innocence associés ensemble, comme dans le tableau de Francia où Madeleine s’appuie sur Agnès.

Entre le premier et le second mille de la voie qui de Rome à travers la campagne va vers Nomentane, et les monts Albains qui ferment l’horizon, on rencontre un vallon où, de deux sources (les deux nymphées où, dit-on, baptisa saint Pierre à l’Ostrianum) se forme un ruisseau qui va se jeter dans l’Anio.  Sur la pente du vallon, une basilique avec une abbaye, les substructions du plus ancien cimetière à ciel ouvert de Rome, et le Mausolée de Constantina, fille de Constantin, dont le peuple a fait sainte Constance. La basilique s’élève sur l’ancien bien de famille des parents d’Agnès : le Mausolée sur le suburbanum des Constantini. Il fut bâti par Gallien second mari de Constantina qui voulut être ramenée de Bithynie où elle mourut, auprès de sainte Agnès, ad sanctos : la basilique première fut l’œuvre de Constantina, comme nous l’apprend l’inscription acrostiche qu’elle composa et fit graver sur l’arc triomphal.

L’édifice constantinien, le seul que la famille impériale eût élevé à Rome sur la tombe d’une martyre et richement doté et orné, n’existe plus. Honorius (626-38) l’a rebâti sur un plan plus vaste, avec, des galeries supérieures destinées aux femmes, et Pie IX l’a fait réparer. Dirigeons-nous vers elle avec la foule le 21 janvier. « C’était, écrit Wiseman, en parlant du jour du martyre d’Agnès, une douce matinée. Plusieurs se rappelleront avoir vu la pareille au jour de son anniversaire quand ils sont sortis de la porte Nomentane, aujourd’hui Porta Pia, pour aller à l’église qui porte le nom de notre vierge-martyre, y voir bénir sur son autel les deux agneaux dont la laine sert à tisser les palliums envoyés par le Pape aux archevêques de sa Communion. Déjà les amandiers blanchissent non sous les frimas, mais sous les fleurs suaves ; la terre est bêchée aux pieds des vignes et le printemps semble se cacher dans les bourgeons gonflés qui n’attendent que le signal de la brise du sud pour éclater et s’étendre. Le jour monte dans le calme azur des cieux et l’atmosphère a cette température que l’on aime tant et que donne un soleil déjà fort, mais non brûlant, qui adoucit sans l’échauffer l’air vif de l’hiver. C’est ainsi que « très souvent nous avons trouvé le jour de sainte Agnès quand nous allions avec des milliers de compagnons visiter ses précieuses reliques ». On descend dans la crypte par un escalier de 45 marches, dont les murs sont couverts d’inscriptions, et du portique intérieur la basilique apparaît dans toute sa splendeur, avec ses trois nefs séparées par 16 colonnes antiques, dont 10, de marbre phrygien, blanc et violet, sont celles de la basilique constantinienne, avec sa galerie supérieure et les mosaïques qui resplendissent sur les murs. La voûte d’une richesse extraordinaire est ornée de bas-reliefs représentant sainte Agnès, sainte Cécile et sainte Suzanne. Au-dessus de la Confession, sous un baldaquin porté par quatre colonnes de porphyre rouge, l’autel où reposent les corps des saintes Agnès et Émérentienne retrouvés en 1605 et placés par Paul V dans un sarcophage monumental d’argent. Cette Confession modernisée a remplacé la platonia de marbre blanc établie par le Pape Libère vers 357, et refaite par Honorius. Mais ni colonnes, ni candélabre du cierge pascal en marbre blanc à feuille d’acanthe, ni peintures, ni marbres précieux, ni chaire épiscopale dont le dossier est du IVe siècle n’égalent la mosaïque d’Honorius dans l’abside.

« Une guirlande de fruits et de fleurs qui l’entoure se coupe, à la partie supérieure de l’arc, pour faire place à une croix radieuse. Dans le champ, au-dessous de la Croix, on voit sortir des nuages la main divine tenant une couronne : plus bas apparaît sainte Agnès vêtue d’un riche costume grec, debout la tête couronnée d’émeraudes, le front ceint du nimbe circulaire, le cou orné de perles. Elle tient 1’Évangile contre son cœur ; sous ses pieds on voit le glaive qui lui trancha la tête, et de chaque côté s’échappent des gerbes de flammes pour rappeler les instruments de son martyre. À sa droite est le Pape Honorius portant le modèle de sa basilique, et, à sa gauche, le pape Symmaque : au-dessous on lit une inscription commémorative. La sainte et les Pontifes sont par rapport à la grosseur de leurs tètes d’une longueur prodigieuse... mais cette donnée contre nature une fois acceptée, la mosaïque n’est pas sans élégance et sans noblesse. Cette austère sévérité, ce calme presque immobile, la gravité des attitudes, la sobriété des gestes, les grands yeux attentifs, très ouverts et cependant très fendus comme ceux des statues grecques archaïques, les habits sombres et la simplicité monacale des deux papes, la parure de la sainte à la fois éclatante et sévère, son brillant diadème, sa robe toute unie et de couleur foncée, niais couverte par devant et sur sa poitrine d’or, de perles et de chatoyantes pierreries ; tout dans cette mosaïque est d’un effet extraordinaire et saisissant... » (Vitet.)

C’est à Ste-Agnès que le 21 janvier l’abbé de St-Jean-de-Latran bénit les deux agneaux dont la laine servira à tisser les palliums, aujourd’hui cette espèce de petite écharpe de laine blanche ornée de six croix noires que le Pape passe à son cou et sur ses épaules et qui descend sur sa poitrine. Il est depuis le IVe siècle l’insigne par excellence de la pleine autorité pontificale, et c’est à ce titre que le Pape l’envoie à tout nouvel archevêque en Communion avec lui : nous n’avons pas à décrire cette cérémonie qui est bien connue.

De la voie Nomentane venons à Sainte-Agnès de la place Navone. « L’église, construite par Rainaldi et Borromini, est une des plus belles de Rome »... une de ses plus grandes beautés réside dans la grande dimension des pans coupés qui portent la coupole... Cette disposition permet de donner beaucoup de richesse au pourtour... Ce qui ajoute encore à l’intérêt de cette église et la classe tout à fait hors de pair, c’est qu’elle a été faite tout entière à la même époque, et que par suite il y a une harmonie complète entre l’architecture, la sculpture et la peinture. L’architecture allie à la préciosité du plan la richesse des matériaux ; sur le pavé, sur les grandes colonnes et les pilastres cannelés, s’élevant jusqu’au sommet de la voûte, les marbres de couleur font scintiller toute l’église. Les bas-reliefs en marbre faits par l’Algarde et ses meilleurs élèves... et qui, au lieu de tableaux, garnissent les grandes niches des chapelles et des autels, ont la somptuosité, le relief que nécessite cette architecture ; et les peintures enfin, les merveilleux pendentifs de Vaciccio, avec leurs tons gris, mauves et argentés, sont peut-être la plus heureuse réussite pour harmoniser une peinture avec la couleur des marbres et le brillant des ors. »

Toute cette richesse et cette beauté nous toucheront moins que la crypte, où nous retrouverons los anciennes voûtes du cirque in agone. Cette église garde dans un beau reliquaire en argent, don du cardinal Rampolla, la tête ou chef de sainte Agnès. Au IXe siècle, elle avait été tirée du tombeau de la voie Nomentane pour être honorée avec les plus insignes reliques de Rome, dans le sancto Sanctorum ou chapelle des Papes au Latran. Le trésor où elles étaient gardées n’avait point été ouvert depuis Léon X ; on croyait qu’il avait été pillé en 1527 par les lansquenets du Connétable de Bourbon. En 1902, Léon XIII permit de refaire des recherches au P. Jubaru qui retrouva tout le trésor et, entre autres, la cassette d’argent où Honorius III avait renfermé, comme le disait un parchemin, le chef de sainte Agnès. Le Dr Lapponi constata que c’était celui d’une enfant « qui ne pouvait avoir moins de onze ans, ni plus de treize ans ». En 1901 le cardinal Rampolla a fait restaurer son église cardinalice de Sainte-Cécile. Dans la crypte, la maison même de sainte Cécile, il a voulu qu’Agnès eût un autel que Giovenale a orné de belles mosaïques.

L’art, et surtout la peinture, a mieux fait que la poésie et l’éloquence. Les plus grands peintres, Fra Angelico, Memling, Moretto, Rubens, le Dominiquin Murillo, Carlo Dolci, etc., etc., jusqu’à Orsel et Flandrin, se sont plu à peindre la sainte, qui, comme dit Lope de Vega, est la santa con el cordero en los brasos, la sainte qui tient l’agneau dans ses bras. Si ravissantes que soient ces images, nous sommes quelquefois tentés de leur préférer une humble sculpture, un fragment de la platonia dont le pape Libère avait fait entourer sa confession, car là, du moins, on lui donne son âge. C’est, croyons-nous, le tort de ceux qui ont voulu la représenter, de l’avoir, nous ne pouvons dire, vieillie, mais d’avoir reculé devant ses douze ans. Ils se sont ainsi privés d’un admirable motif, « cette beauté romaine si vite épanouie, mais d’une aube à la fois si fine et si pleine ». (Fr. Wey.) Et ils ne nous ont pas donné l’anneau d’or qui relierait les Vierges bambines des Présentations aux saintes adolescentes. Si jeunes soient-elles, les plus jeunes, celles du Dominiquin et de Carlo Dolci, n’ont malheureusement plus ces douze ans romains dont ils auraient pu et dû nous laisser de telles peintures !

La plus belle est encore, et sera toujours, à faire et à refaire, celle que nous aideront à voir ces quelques mots de Prudence qui fixent l’idéal d’une beauté que n’a pas connu l’antique, d’un style d’ailleurs si simple qu’il n’est pas besoin de les traduire

 

            ... candidatas, simplices

            Frontis pudorem, cordis innocentiam,

            Pacis quietem, Castitatem corporis...

 

 et, surtout, ces sœurs d’Agnès (l’âge de nos premières communiantes !) que font éternellement revivre ce divin modèle.

 

 

 

 

E. MALBOIS,

Agrégé de l’Université.

 

Paru dans Les Causeries en 1928.

 

 

 

 

 

 

 

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