LA
CITÉ MYSTIQUE DE DIEU
MIRACLE DE SA TOUTE-PUISSANCE
ET ABÎME DE LA GRACE
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HISTOIRE DIVINE ET VIE DE LA VIERGE MÈRE DE DIEU
NOTRE DAME ET NOTRE SOUVERAINE
LA TRÈS SAINTE MARIE
Restauratrice de la faute d’Ève, et Médiatrice de la grâce
MANIFESTÉE EN CES DERNIERS TEMPS
PAR LA MÊME SOUVERAINE À SON ESCLAVE
SŒUR MARIE DE JÉSUS
Abbesse du Couvent de l’Immaculée Conception de la ville d’Agreda
de la province de Burgos, de l’observance régulière
de notre Séraphique Père saint François
POUR ÊTRE LA NOUVELLE LUMIÈRE DU MONDE,
L’ALLÉGRESSE DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ET
LA CONFIANCE DES MORTELS
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Traduite de l’espagnol par
ROSE DE LIMA DUMAS
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LIVRE PREMIER
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IMPRIMERIE DE LA CITÉ MYSTIQUE
ROME, 1915
APPROBATION
Par commission du Très Révérend Père Lepidi, Maître du Sacré Palais Apostolique, j’ai lu la traduction de la Cité Mystique, et je déclare qu’elle ne contient rien contre la foi ni les mœurs, et on peut l’imprimer.
En foi de quoi,
F. REGINALDO FEI, O. P.,
Docteur en Théologie sacrée.
Rome, 24 janvier 1912.
SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
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Chers Lecteurs et Amis de la Cité Mystique,
En vous présentant cette nouvelle traduction je me permets d’avertir que l’on ne doit pas s’étonner de la longueur des constructions et des nombreux membres de phrase qui se rattachent à une même période. Il faut accepter ce style fort qui se déroule presque toujours sur un plan de syllogismes serrés, au moyen desquels les vérités entrent plus profondément dans l’esprit en y produisant une conviction plus grande, de sorte que la mémoire les retient aussi plus fidèlement. C’est ainsi que saint Thomas a écrit toute sa Somme Théologique, et c’est ainsi que la Vénérable a reçu du ciel les lumières qui lui furent données pour écrire cette autre Somme : la Vie de la Très Sainte Vierge. Ce fut pour elle un sujet d’étonnement que le bon Dieu demandât à une femme d’écrire sous cette forme ; et le Seigneur lui répondit que c’était le mode qui convenait le mieux à l’esprit humain.
Saint Thomas enseigne que le plus grand bonheur de l’homme consiste dans la plus haute opération de son intelligence, et cette opération ne peut s’exercer que sur Dieu et les choses de Dieu ; car les choses terrestres ne perfectionnent pas notre esprit, puisqu’elles lui sont inférieures. Le Sage nous dit que celui qui méprise la sagesse et l’instruction est un insensé, et l’Écriture sainte nous recommande de chercher Dieu. L’esprit, en découvrant les vérités divines et en y donnant son assentiment, entraîne la volonté par là même dans la pratique du bien, qui devient d’autant plus facile qu’on le connaît mieux. Or cette connaissance du bien que l’on aime et auquel on adhère donne à l’âme, dès ici-bas, une certaine impeccabilité. C’est ainsi que Notre Seigneur disait aux Apôtres qui avaient entendu et reçu ses instructions : « Maintenant vous êtes purs à cause de ma parole que vous avez entendue. »
Ainsi donc, pieux lecteurs, ne vous laissez point rebuter par ces dehors scholastiques, lors même que vous ne seriez pas amateurs de l’étude. Pour savourer ce fruit béni qui nous vient du ciel, il faut bien se décider à en rompre l’écorce ; et l’on y trouve tant de sagesse, d’onction et de douceur !... D’ailleurs dans cette lecture de la Vie de la Très Sainte Vierge, la pureté du cœur et la bonne volonté aident plus que la subtilité de l’esprit.
Je n’ai pas essayé de couper les phrases ; j’ai suivi Marie d’Agreda mot pour mot ; et j’ai conservé l’ampleur de ses constructions, de crainte de diminuer la valeur de son ouvrage. Après qu’elle eut fini de l’écrire, elle raconte elle-même que la Très sainte Vierge lui apparut et lui dit que son Histoire qu’elle venait de terminer était très bien écrite et qu’elle lui était en tous points très agréable. Elle lui dit aussi qu’un ange à sa place n’aurait pas mieux fait, et qu’il ne convenait pas que ce fût un ange qui l’écrivît, ni non plus un grand savant, mais une simple femme ignorante, afin qu’il fût plus avéré que Dieu seul est l’Auteur de cette œuvre merveilleuse.
Avant de s’aventurer dans cette lecture, il est très à propos de faire une bonne prière du fond du cœur, pour en recueillir tous les fruits de salut qu’elle est de nature à produire dans les âmes. Un bon « Veni Sancte », une invocation à Marie aideront beaucoup. Inutile de dire qu’il faut quelque chose des dons de sagesse et d’intelligence pour pénétrer ces mystères sublimes ; mais ils sont si faciles à obtenir !... L’Esprit-Saint s’offre lui-même à tous, et il s’empresse de se donner à celui qui le désire et qui se dispose à le recevoir. Ce Dieu amour veut tellement se communiquer qu’il dit quelque part dans les Saints Livres : « Ouvrez la bouche et aspirez l’Esprit-Saint » : c’est nous dire que nous n’avons pas un grand effort à faire pour l’attirer à nous. Il est encore dit que celui qui désirera la sagesse et qui se lèvera de grand matin pour la chercher la trouvera assise à sa porte. Tout revient à dire que Dieu veut seulement que nous désirions ses bienfaits et que nous les lui demandions. Il est si incliné par sa bonté infinie à nous les accorder qu’il est plus désireux de nous les communiquer que nous ne le sommes de les recevoir, et souvent nous n’avons pas fini de les demander que déjà nous les possédons.
Enfin, il faut apporter à cette lecture si sainte un cœur pur : le cœur pur voit Dieu et le goûte dès ici-bas en une certaine manière ; donc réformer dans sa conduite tout ce qui serait contraire aux commandements : « L’Esprit de Sagesse n’entre jamais dans une âme dont le corps est sujet au péché. » Il faut aussi lire pour s’édifier et non pas seulement par curiosité ou avec l’envie de critiquer, c’est l’humilité et la docilité qui disposent à bien recevoir les célestes enseignements de la Reine du ciel : « Dieu résiste aux superbes et il donne sa grâce aux humbles. »
Obéissant aux décrets du Pape Urbain VIII et de la sainte Inquisition Romaine, la traductrice proteste que les visions, révélations et autres faveurs extraordinaires qui se lisent dans cet ouvrage n’ont pour base que la foi humaine, en remettant le jugement au Saint Siège à qui comme enfant très docile elle se soumet pleinement.
ROSE DE LIMA DUMAS,
disciple de Marie.
Saint-Jean-Chrysostome,
Co. Lévis
P. Q., Canada.
INTRODUCTION
À LA
VIE DE LA REINE DU CIEL
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Des raisons qu’il y avait de l’écrire et autres avertissements
relatifs à cette Histoire.
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SOMMAIRE. – 1. La Vénérable est portée à écrire cet ouvrage par la vertu divine. – 2. Il lui fallait une grâce extraordinaire pour écrire les mystères cachés de la Mère de Dieu. – 3. Jugements inscrutables de Dieu dans la distribution de la grâce. – 4. La Vénérable fut mue par une force divine. – 5. Faite abbesse à vingt-cinq ans, son humilité se trouble de cet office. – 6. Elle invoque le Seigneur dans cette tribulation ; la volonté divine lui est manifestée. – 7. La Mère de Dieu s’offre à être sa Mère et sa Supérieure et celle de son couvent. Cette Vierge très pure favorise sa servante d’une communication plus intime : elle lui révèle les mystères de sa vie et lui ordonne de les écrire ; le Seigneur aussi lui déclare que telle est sa volonté. – 8. Exhortation des Anges à cet effet ; leur doctrine concernant la sécurité de l’obéissance. – 9. Saint Michel lui promet de l’assister et de l’enseigner. – 10. Précepte de Dieu lui-même d’écrire cet ouvrage. – 11. Ses supérieurs lui commandent aussi d’écrire. – 12. Efforts du démon pour l’empêcher. La Vénérable diffère plusieurs années ; convenances de ce retard. – 13. Elle se détermine à écrire par l’obéissance ; invocation à Marie ; fin à laquelle cette Œuvre est ordonnée. – 14. L’instruction de la Vénérable elle-même qui écrit comme disciple ; elle soumet son ouvrage à la correction de l’Église et au jugement de ses ministres. – 15. Elle l’écrit une seconde fois, ayant fait brûler son premier manuscrit. – 16. Le Seigneur l’élève à une lumière nouvelle, effets de cette lumière ; il lui commande d’écrire une seconde fois la Vie de sa Mère. – 17. La très sainte Vierge lui promet pour cela de l’orner de grâces : elle lui commande de l’imiter et elle lui donne sa bénédiction pour écrire. – 18. Division et ordre de cette Histoire. – 19. Fondation du couvent de l’Immaculée Conception d’Agreda. À quelle époque cette histoire fut écrite pour la première fois ; raisons qu’elle eut de la faire brûler ; les supérieurs l’obligent sous peine de censures à l’écrire de nouveau ; elle l’écrit avec une lumière plus abondante.
1. Celui qui entendra dire, si toutefois quelqu’un vient à l’entendre, qu’une simple femme, par sa condition, l’ignorance et la faiblesse même, et par ses péchés très indigne, ose se déterminer à écrire des choses divines et surnaturelles, je ne serai pas étonnée qu’il me condamne fortement ; dans ces derniers siècles surtout, quand notre Mère la Sainte Église a dans son sein beaucoup de théologiens et d’hommes très savants, qu’elle est enrichie de la doctrine des saints Pères et des Docteurs sacrés ; les circonstances étant si peu propices, puisque malgré le saint zèle des directeurs sages et prudents, il se trouve tant de personnes, troublées et flottantes parmi celles qui suivent la voie spirituelle, cette voie étant maintenant regardée comme la plus suspecte et la plus dangereuse de la vie chrétienne : or celui qui, dans une telle conjoncture, arrivera à considérer à l’aveugle et sans autre attention qu’une femme comme moi ose faire une telle entreprise, me blâmera sans doute comme grandement audacieuse, légère et présomptueuse, à moins que dans l’Œuvre même et dans son but, il se trouve des motifs suffisants pour me disculper : car il y a des choses si hautes, si supérieures à nos désirs et si inégales aux forces humaines, que leur entreprise ne peut naître que d’un manque de jugement ; ou bien de ce que l’on y est porté par la vertu d’une autre cause plus grande et plus puissante.
2. Comme fidèles enfants de la sainte Église, nous devons confesser que tous les mortels, non seulement avec leurs forces naturelles, mais aussi avec celles de la grâce commune et ordinaire, sont incapables, ignorants et muets pour une entreprise aussi difficile que d’expliquer et d’écrire les mystères cachés et les sacrements (a) magnifiques que le puissant bras du Très-Haut opéra dans cette Créature ; car pour la faire sa Mère, il la fit un océan incommensurable de sa grâce et de ses dons et il déposa en elle les plus grands trésors de sa Divinité. C’est bien peu que notre ignorance et notre faiblesse s’en reconnaissent incapables, puisque les esprits angéliques eux-mêmes confessent qu’ils n’ont point de langue pour parler d’un sujet aussi au-dessus de leurs pensées et de leur capacité. C’est pourquoi la Vie de ce Phénix des œuvres de Dieu est un livre si scellé qu’il ne se trouvera aucune créature, ni dans le ciel ni sur la terre, qui puisse dignement l’ouvrir 1. Il est bien clair que le seul puissant Seigneur qui la créa peut le faire, lui qui la forma plus excellente que toutes les créatures ; ainsi que cette auguste Dame elle-même, notre Reine et notre Mère, qui fut capable de recevoir des dons si ineffables et qui fut digne de les connaître. Et afin de manifester ces dons dans l’étendue, le temps et la manière qu’il a plu à son Fils Unique de le faire, il appartenait à ce même Fils de choisir les instruments les plus proportionnés et les plus propres à sa gloire (b).
3. J’aurais bien jugé que ces instruments eussent dû être les théologiens et les saints hommes de l’Église catholique, ou les docteurs des écoles qui nous enseignent le chemin de la vérité et de la lumière. Mais les jugements du Très-Haut et ses pensées s’élèvent au-dessus des nôtres comme le ciel est éloigné de la terre 2, et personne ne connaît son sentiment 3 ni ne peut lui donner de conseil dans ses œuvres ; c’est lui qui tient le poids 4 du sanctuaire dans sa main et il pèse les vents 5 ; il comprend tous les globes dans le creux de sa main 6 et par l’équité de ses très saints conseils il dispose toutes les choses avec poids et mesure 7, donnant à chacune un temps et un lieu opportuns. Il dispense la lumière de sa sagesse 8 et il la distribue par sa très juste bonté ; nul ne peut monter au ciel pour la chercher 9 ni la faire sortir des nuées, ni connaître ses voies, ni scruter ses sentiers cachés ; seul il regarde cette sagesse en lui-même, et comme vapeur et émanation de son immense charité 10, éclat de sa lumière éternelle, miroir sans tache et image de sa bonté infinie, il la répand sur les nations par les âmes saintes, afin de constituer par elle des prophètes et de faire des amis du Très Haut. Ce divin Seigneur sait par quoi et pourquoi, moi la plus vile créature, il m’a réveillée, appelée et élevée, disposée et acheminée, obligée et contrainte d’écrire la Vie de sa digne Mère, notre Reine et notre Maîtresse.
4. Et l’on peut croire, avec un jugement prudent, que sans ce mouvement et cette force de la puissante main du Très-Haut, une telle pensée ne pouvait venir dans un cœur humain, ni une semblable détermination, dans ma volonté ; car je reconnais et confesse que je ne suis qu’une femme faible et sans vertu ; mais comme je n’ai pu penser à faire cette entreprise par mon jugement, je ne dois pas non plus y résister avec opiniâtreté par ma volonté. Or, afin que l’on puisse en juger avec droiture, je raconterai selon la simple vérité quelque chose de ce qui m’est arrivé à ce sujet.
5. La huitième année de la fondation de ce couvent et la vingt-cinquième de mon âge, l’obéissance me donna l’office de supérieure que je tiens indignement aujourd’hui. Je me trouvai alors troublée et affligée par une grande tristesse et une grande timidité ; parce que mon âge et mon désir ne m’enseignaient pas à gouverner et à commander, mais à obéir et à être gouvernée. Cette tristesse était plus grande de ce que je savais que pour me donner cet office on avait demandé dispense ; et d’autres justes raisons aggravaient encore les craintes par lesquelles le Très-Haut a tenu toute ma vie mon cœur crucifié, craintes continuelles que je ne puis m’expliquer, si ma vie est sûre, si je perdrai ou conserverai son amitié et sa grâce.
6. Dans cette tribulation, j’invoquai le Seigneur de tout mon cœur, le priant de m’aider, et si c’était sa volonté, de me délivrer de ce péril et de cette charge. Il est vrai que sa Majesté m’avait prévenue quelque temps auparavant, et m’avait commandé d’accepter cette charge de supérieure et moi je m’en excusais et m’en retirais ; toujours il me consolait et me manifestait que tel était son bon plaisir. Néanmoins je ne cessais pas mes prières, au contraire je les multipliais ; parce que je voyais et comprenais dans le Seigneur une chose bien digne de considération : c’était que nonobstant ce que me montrait sa Majesté comme étant de sa volonté très sainte, que je fusse abbesse, et que je ne pouvais pas l’éviter (c), je comprenais en même temps qu’il me laissait libre quand même de résister et de me retirer, faisant en cela ce que je devais comme créature faible, connaissant combien mon insuffisance était grande de toutes manières : les œuvres du Seigneur sont si prudentes envers nous ! Avec cette connaissance de ce qui lui était agréable, je fis plusieurs tentatives pour m’exempter d’un péril si évident et si peu connu de la nature infectée, de ses malheureux restes du péché et de la concupiscible déréglée (d). Pendant ce temps le Seigneur me répétait toujours que sa volonté était que je fusse abbesse et il me consolait par lui-même et par ses saints Anges ; ces esprits célestes me conseillaient d’obéir.
7. Tout affligée, j’eus recours à la Reine du ciel, ma Maîtresse, comme à mon singulier refuge dans tous mes soucis ; et lui ayant manifesté mes voies et mes désirs, elle daigna me répondre et elle me dit ces très douces paroles : « Ma fille, rassure-toi ; que ton cour ne soit point troublé par l’affliction et prépare-toi à la recevoir, car je suis ta Mère et ta Supérieure à qui tu obéiras ; je serai aussi la Supérieure de tes sujettes. Je suppléerai à tes manquements et tu seras mon agente par qui j’opérerai la volonté de mon Fils et mon Dieu. Tu accourras à moi en toutes tes tentations et tes afflictions pour me les rapporter et prendre mon conseil : je te le donnerai en tout. Obéis-moi, et je te favoriserai et je serai attentive à tes peines. » Telles sont les paroles que me dit cette douce Reine, paroles aussi consolantes que profitables pour mon âme, laquelle s’apaisa et se consola dans sa tristesse. Depuis ce jour-là, la Mère de miséricorde augmenta cette miséricorde qu’elle avait pour sa servante : sa très douce communication avec mon âme fut plus intime et plus continuelle ; elle me recevait, m’écoutait et m’enseignait avec une condescendance ineffable ; elle me donnait consolation et conseil dans mes afflictions ; elle remplissait mon âme de lumière et de doctrine de vie éternelle ; elle me commandait de renouveler les vœux de ma profession religieuse entre ses mains : en un mot cette très aimable Mère, Notre Dame, se dévoila davantage à son esclave, retirant le rideau qui dérobe la vue des sacrements très sublimes et très cachés, des mystères magnifiques qui sont renfermés dans sa très sainte vie et qui sont inconnus aux mortels. Ce bienfait et cette lumière surnaturelle avaient déjà été continuels pour moi, surtout aux jours de ses fêtes, et en diverses autres circonstances j’avais connu plusieurs mystères, mais non pas toutefois avec la plénitude, la fréquence et la clarté avec lesquelles ils m’ont été enseignés depuis, ajoutant le commandement qu’elle me fit plusieurs fois de les écrire comme je les comprenais, et sa Majesté me promettant de me les dicter et de me les enseigner. Un jour donc qui était une fête de la Très Sainte Marie, le Très-Haut me dit qu’il tenait cachés plusieurs sacrements et plusieurs bienfaits qu’il avait opérés à l’égard de cette divine Dame, sa Mère, pendant qu’elle était voyageuse parmi les mortels et qu’elle me les enseignerait elle-même pour me les faire écrire. J’ai connu continuellement cette volonté dans sa Majesté sublime pendant l’espace de dix ans, jusqu’à ce qu’enfin je cessai d’y résister et je commençai la première fois à écrire cette Histoire divine.
8. Je conférais de ce souci avec les saints princes du ciel, les Anges que le Tout-Puissant avait marqués pour me diriger dans cette œuvre d’écrire l’histoire de notre Reine ; je leur manifestais mon trouble et l’affliction de mon cœur, et combien ma langue était muette et sans parole pour une entreprise si difficile : et souvent ils me répondirent que la volonté du Seigneur était que j’écrivisse la Vie de sa très pure Mère, notre Souveraine. Un jour entre autres que je leur avais répliqué beaucoup en représentant ma difficulté, mon impossibilité et mes grandes craintes, ils me dirent ces paroles : « C’est avec raison, ô âme, que tu t’intimides et que tu te troubles, que tu doutes et que tu résistes dans une cause où nous-mêmes les anges nous le ferions, étant incapables de déclarer des choses aussi sublimes et aussi magnifiques que celles que le puissant bras du Très-Haut opéra dans notre Reine, la Mère de miséricorde. Mais sache, ô très chère âme, que le ciel et la terre passeraient 11 et tout ce qui a l’être cesserait de l’avoir, plutôt que vienne à manquer la parole du Très-Haut. Or, il a donné sa parole plusieurs fois à ses créatures, et dans son Église elle se trouve dans les Écritures saintes, que l’obéissant chantera des victoires qu’il aura remportées sur ses ennemis 12 et qu’il ne sera pas répréhensible en obéissant. Lorsqu’il créa le premier homme et qu’il lui posa le précepte d’obéissance 13 de ne point manger du fruit de l’arbre de la science, alors il établit cette vertu de l’obéissance, et il la confirma par un jurement (e) solennel pour mieux assurer l’homme, jurement que le Seigneur a coutume de faire, comme lorsqu’il promit à Abraham que le Messie descendrait de sa race et qu’il le lui donnerait, affirmation qu’il fit avec jurement. C’est ce qu’il fit lorsqu’il créa le premier homme, en lui assurant que l’obéissant n’errerait point. Ce jurement, il le répéta encore lorsqu’il commanda à son très saint Fils de mourir, en assurant les mortels que celui-là vivra éternellement qui obéira à ce second Adam et qui l’imitera dans l’obéissance par laquelle il restaura ce que le premier Adam avait perdu par sa désobéissance, et il jura que l’ennemi n’aura point de part dans les œuvres de celui qui obéit. Sois assurée, Marie, que toute obéissance a son origine de Dieu comme de sa cause première et principale ; et nous les Anges, nous obéissons au pouvoir de sa divine droite et à sa très juste volonté, parce que nous ne pouvons pas y résister ; et nous ne l’ignorons pas non plus, car nous voyons l’Être Immuable du Très-Haut face à face, et nous connaissons que sa volonté est sainte, pure et vraie, très droite et très juste. Cette certitude que nous avons, nous anges, par la vision béatifique, vous l’avez, vous, mortels, respectivement et selon l’état de voyageurs dans lequel vous êtes par ces paroles que le même Seigneur dit aux prélats et aux supérieurs : Qui vous écoute, m’écoute et qui vous obéit, m’obéit 14. Et en vertu de ce que l’on obéit pour Dieu qui est la cause principale et supérieure, il appartient à sa puissante Providence de faire que les obéissants soient en sécurité quand ce qui leur est commandé n’est point matière de péché : tout cela le Seigneur l’assure avec serment, et il cesserait d’exister, ce qui est impossible parce qu’il est Dieu, plutôt que sa parole manque de s’accomplir. Et de même que les enfants procèdent des parents, et tous les mortels procèdent d’Adam, multipliés dans la postérité de sa nature, ainsi tous les prélats procèdent de Dieu comme de leur Suprême Seigneur pour lequel nous obéissons aux supérieurs : la nature humaine obéit aux prélats vivants de la nature humaine, et la nature angélique à ceux de la hiérarchie supérieure de notre nature (f) ; et les uns et les autres nous obéissons en eux au Dieu éternel. Or, souviens-toi, ô âme, que tous t’ont commandé et ordonné ce que tu crains de faire ; si tu voulais obéir et que la chose ne convînt pas, le Très-Haut ferait de ta plume ce qu’il fit à l’égard de l’obéissant Abraham 15 lorsqu’il allait sacrifier son fils Isaac : il commanda à l’un de nous, ses esprits angéliques, de retenir son bras et son couteau, et il ne nous commande point de retenir ta plume, mais bien de la porter avec un vol léger, écoutant sa Majesté divine et te dirigeant, d’illuminer ton esprit et de t’aider. »
9. En cette circonstance, mes seigneurs, les saints anges me donnèrent ces raisons et cette doctrine ; et plusieurs autres fois le saint prince Michel m’a déclaré la même volonté et le même commandement du Très-Haut. J’ai compris de magnifiques mystères du Seigneur et de la Reine du ciel par les illustrations, les faveurs et les instructions continuelles de ce grand prince ; car ce saint archange fut l’un de ceux qui gardaient et assistaient cette divine Vierge avec les autres anges qui furent députés de chaque chœur et de chaque hiérarchie pour former sa garde, comme je le dirai (g) en son lieu. L’archange Saint Michel est aussi le patron et le protecteur universel de la sainte Église, c’est parce qu’il fut témoin spécial et ministre très fidèle des mystères de l’Incarnation et de la Rédemption. C’est ce que j’ai entendu plusieurs fois du saint archange, de la protection duquel j’ai reçu des bienfaits singuliers dans mes travaux et mes combats ; et il me promit de m’assister et de m’enseigner dans cet ouvrage.
10. Outre tous ces commandements et d’autres que je dirai plus loin, le Seigneur me commanda immédiatement par lui-même et il me déclara plusieurs fois sa volonté : je me bornerai à présent à rapporter ce qui suit. Un jour de la Présentation de la Très Sainte Marie au Temple, sa Majesté me dit : « Mon épouse, il y a plusieurs mystères qui ont été manifestés dans mon Église militante concernant ma Mère et les saints ; mais il y en a aussi beaucoup qui sont cachés, surtout les mystères intérieurs et secrets ; or, je veux les manifester. Ma volonté est que tu les écrives comme ils te seront enseignés, surtout ceux de la très pure Marie. Je te les déclarerai et te les découvrirai ; jusqu’à présent je les ai tenus réservés par les secrets jugements de ma sagesse ; car ce n’était pas le temps convenable ni opportun à ma providence. Mais, maintenant l’heure est arrivée et c’est ma volonté que tu les écrives. Obéis, ô âme. »
11. Toutes ces choses que je viens de dire et beaucoup d’autres que je pourrais raconter n’auraient pas été assez puissantes pour réduire ma volonté à une détermination si ardue et si étrangère à ma condition, si l’obédience de mes prélats qui ont dirigé mon âme et qui m’enseignent la voie de la vérité ne s’y fût jointe, car mes doutes et mes craintes ne sont pas de nature à me laisser rassurée dans une matière si difficile, lorsqu’en d’autres matières surnaturelles plus faciles je ne fais pas peu de me tranquilliser par le moyen de l’obéissance : comme femme ignorante, j’ai toujours cherché l’obéissance comme la boussole de mon âme, parce que c’est une obligation de régler toutes les choses, lors même qu’elles paraissent plus élevées et plus dégagées de tout doute, avec l’approbation des docteurs et des ministres de la Sainte Église. J’ai tâché de faire tout cela dans la direction de mon âme et surtout concernant ce sujet d’écrire la Vie de la Reine du ciel. Et afin que mes supérieurs ne fussent pas mus en cela par les relations que je leur faisais, j’ai beaucoup travaillé à dissimuler autant que possible certaines choses, demandant avec larmes au Seigneur de leur donner lumière et conseil, afin qu’ils ne me laissassent point errer ni être trompée ; et même je désirais que Dieu leur ôtât de l’esprit cette affaire.
12. Je confesse aussi que le démon, se servant de mon naturel et de mes craintes, a fait de grands efforts pour m’empêcher d’accomplir cette Œuvre ; il a cherché des moyens pour m’atterrer et m’affliger et il eut sans doute réussi à me la faire abandonner, si l’industrie et la persévérance invincibles de mes supérieurs n’eussent ranimé ma pusillanimité ; et il donna aussi occasion au Seigneur, à la très pure Vierge et aux saints anges de renouveler pour ce sujet la lumière, les signes et les merveilles. Néanmoins, j’ai retardé, ou pour mieux dire, j’ai résisté pendant plusieurs années à l’obédience de tous, comme je le dirai plus loin, sans pouvoir m’enhardir à mettre la main à une entreprise aussi au-dessus de mes forces. Toutefois, je ne crois pas qu’il en ait été ainsi sans une providence particulière de Dieu, parce que dans l’intervalle il s’est passé pour moi tant d’évènements, et je peux dire, tant de misères et de travaux si extraordinaires et si variés que je n’eusse pu goûter avec cela de la quiétude et de la sérénité d’esprit nécessaire pour recevoir cette lumière et cette instruction, puisque ce n’est pas dans un état quelconque, même très sublime et très profitable que le sommet de l’âme peut être disposé à recevoir des influences si élevées et si délicates. Outre cette raison, j’en ai trouvé une autre : c’était afin que par un si long délai je pusse m’informer et m’assurer, tant par la nouvelle lumière qui va en grandissant avec le temps, et la prudence que l’on acquiert dans de multiples expériences, que parce que le Seigneur, les saints anges et mes Pères spirituels persévérant dans leurs instances, avec une obédience si continue, j’en vinsse à me tranquilliser, à me rassurer, à vaincre mes craintes, ma pusillanimité et mes perplexités et à me fier au Seigneur autant que je me défiais de ma faiblesse.
13. Me confiant donc dans cette grande vertu de l’obéissance, je me déterminai au nom du Dieu Très-Haut et de la Reine du ciel ma Maîtresse, à soumettre ma résistance. J’appelle l’obéissance une grande vertu, non-seulement parce qu’elle offre à Dieu le plus noble de la créature, qui est l’esprit, le jugement et la volonté en holocauste et en sacrifice ; mais aussi parce qu’aucune autre vertu n’assure autant le bon succès que l’obéissance, puisqu’alors la créature n’opère pas par elle-même, mais comme instrument de celui qui la gouverne et la commande. Elle donna à Abraham 16 la vigueur nécessaire pour surmonter la loi naturelle et la violence de l’amour à l’égard d’Isaac. Et elle fut assez puissante pour cela et aussi pour que le soleil et les cieux retinssent leur mouvement si rapide 17 ; elle peut l’être de même pour que la terre se meuve (h). Si Osa avait été gouverné par l’obéissance, il est à croire qu’il n’eût pas été châtié comme audacieux et téméraire en touchant l’arche 18. Je vois bien que je suis plus indigne d’étendre la main pour toucher non pas seulement l’arche morte et figurative de l’ancienne loi, mais l’Arche vivante du nouveau testament où sont renfermées la manne de la Divinité, la source de la grâce et sa sainte loi (i). Mais si je me tais, je crains aussi avec raison de désobéir à tant de commandements, et je pourrais dire avec Isaïe : Malheur à moi parce que je me suis tue 19 ! Puisqu’il en est ainsi, ô ma Reine et ma Maîtresse, il vaudra mieux que votre pitié et votre miséricorde très bénigne et la faveur de votre main libérale resplendissent dans ma vileté ; et il sera mieux que vous me les accordiez afin que j’obéisse à vos ordres, plutôt que j’encoure le malheur de tomber sous le coup de votre indignation. Ce sera une œuvre de votre clémence, ô très pure Mère, d’élever ma pauvre âme au-dessus de la terre et de faire qu’un sujet faible et incapable devienne un instrument pour des œuvres aussi difficiles, œuvres par lesquelles vous exalterez votre grâce et celle que votre très saint Fils vous communique, et vous ne donnerez point lieu à la trompeuse présomption, il n’y aura point lieu de s’imaginer que c’est par l’industrie humaine, ou la prudence terrestre, ou la force et l’autorité de la dispute que cette œuvre ait été accomplie ; mais que c’est par la vertu de la grâce divine que vous réveillez de nouveau les cœurs des fidèles et que vous les attirez à vous, ô Fontaine de pitié et de miséricorde. Parlez donc, ô ma Maîtresse, car votre servante vous écoute 20 ; j’ai une volonté ardente de vous obéir comme je le dois. Mais comment pourrai-je arriver à accomplir mes désirs et mes obligations ? La digne rétribution me sera impossible, mais si elle était possible, je désirerais la faire. Ô Reine puissante et magnanime, accomplissez vos promesses et vos paroles ; manifestez-moi vos grâces et vos attributs, afin que votre grandeur soit plus connue et plus exaltée de toutes les nations et de toutes les générations. Parlez, ô Madame, car votre servante écoute ; parlez, exaltez le Seigneur pour les œuvres puissantes et merveilleuses que sa droite opéra en votre humilité très profonde ; qu’elles procèdent de ses mains faites au tour et remplies d’hyacinthes 21 dans les vôtres, et de celles-ci à vos dévots et à vos serviteurs, afin que les Anges bénissent le Très-Haut, que les justes l’exaltent, que les pécheurs le cherchent ; afin que tous nous ayons un exemplaire de sainteté et de pureté souveraines et que j’aie moi-même ce miroir et cette règle efficace selon laquelle je puisse composer ma vie ; puisque telle doit être ma première intention en écrivant votre Histoire, selon que votre Altesse me l’a répété plusieurs fois, vous offrant à moi comme exemplaire vivant et miroir sans tache et animé, où mon âme puisse se mirer et s’orner pour être votre fille et l’épouse de votre très saint Fils.
14. Voilà toute ma prétention et ma volonté : je n’écrirai point comme maîtresse, mais comme disciple ; non pour enseigner, mais pour apprendre ; car les femmes doivent, par office, se taire dans la sainte Église et écouter les Docteurs 22. Mais comme instrument de la Reine du ciel, je manifesterai ce que sa Majesté daignera m’enseigner et me commander, afin de recevoir l’Esprit que son très saint Fils a promis d’envoyer 23 sur les personnes de toutes conditions sans exception, sur toutes les âmes qui en sont capables ; et qui sont capables aussi de le manifester de la manière qui lui convient selon qu’elles le reçoivent, lorsque l’autorité supérieure ordonne cette manifestation avec une providence chrétienne, comme je juge que mes Prélats l’ont disposé. Il m’est possible d’errer, et il est conséquent que cela arrive à une femme ignorante ; mais ce ne sera pas en obéissant ni non plus par ma volonté ; ainsi je me remets et me soumets à celui qui me dirige et à la correction de la sainte Église catholique, aux ministres de laquelle j’accourrai en quelque difficulté que ce soit. Je veux que mon père spirituel, directeur et confesseur, soit le témoin et le censeur de la doctrine que je reçois, et qu’il soit aussi le juge vigilant et sévère de la manière dont je la mets en pratique, ou bien si je manque dans l’accomplissement de cette doctrine et de mes grandes obligations qui doivent être mesurées sur ce bienfait.
15. J’ai écrit une seconde fois cette Histoire divine par la volonté du Seigneur et l’ordre de l’obéissance, car la première fois, la lumière par laquelle je connaissais ces mystères était si abondante et si féconde et mon incapacité si grande que ma langue ne suffisait pas, les termes et la vélocité de ma plume n’arrivaient pas à tout dire. Je laissai donc certaines choses. Mais avec le temps et les intelligences nouvelles que je reçois, je me trouve à présent mieux disposée pour les écrire : toutefois je laisserai toujours beaucoup de choses à dire de tout ce que j’ai entendu et connu ; parce que tout dire n’est jamais possible. J’ai aussi connu une autre raison dans le Seigneur pour recommencer à écrire cette Histoire : c’est que lorsque je l’écrivis la première fois, le souci du matériel et de l’ordre de cet ouvrage m’enlevait beaucoup d’attention ; et si grandes furent les tentations et les craintes, si excessives, les tempêtes qui me combattaient par des discours et des suggestions de ce que j’étais téméraire d’avoir mis la main à une entreprise si difficile, qu’enfin je me soumis à la brûler. Mais je crois que ce ne fut pas sans la permission du Seigneur ; parce que dans un état si troublé, il ne m’était pas possible de donner à mon âme l’attention convenable que le Très-Haut exigeait, afin d’écrire sa doctrine dans mon cœur et de la graver dans mon esprit, comme il m’a commandé de le faire maintenant, ce dont on peut se convaincre par l’évènement qui suit.
16. Un jour de fête de la Purification de Notre Dame, après avoir reçu le saint Sacrement, je voulais célébrer tout spécialement cette sainte solennité par des actions de grâces et la soumission de mon cœur au Très-Haut de ce qu’il m’avait reçue pour son épouse sans que je l’eusse mérité, parce qu’en ce saint jour j’accomplissais les années de ma profession. Au moment donc d’exercer ces affections, je sentis dans mon intérieur un changement efficace avec une lumière très abondante qui me portait et m’obligeait fortement et suavement 24 à la connaissance de l’Être de Dieu, de sa bonté, de ses perfections et de ses attributs et à me dégager de ma propre misère. Ces objets qui se posaient en même temps dans mon esprit me faisaient des effets variés : le premier d’enlever toute mon attention et toute ma volonté ; le second de m’abaisser jusqu’à la poussière de sorte que mon être s’anéantissait. Je sentais une douleur véhémente et une grande contrition de mes très graves péchés avec un ferme propos de m’amender, de renoncer à tout ce que le monde possède et de m’élever au-dessus de tout ce qui est terrestre vers l’amour du Seigneur. Je demeurai défaillante dans ces affections, mais la plus grande douleur m’était une consolation, et mourir c’était vivre. Le Seigneur eut pitié de ma défaillance à cause de sa seule miséricorde et il me dit : « Ne te décourage point, ma fille et mon épouse, car je t’appliquerai mes mérites infinis et le Sang que j’ai répandu pour toi pour te pardonner, te laver et te purifier de tes péchés. Anime-toi à la perfection que tu désires par l’imitation de la vie de ma très sainte Mère : écris-la une seconde fois, afin d’y ajouter ce qui y manque et d’imprimer sa doctrine dans ton cœur. N’irrite plus ma justice et ne désoblige plus ma miséricorde en brûlant ce que tu auras écrit, de peur que mon indignation ne t’ôte la lumière que je t’ai donnée sans que tu l’aies méritée, pour connaître et manifester ces mystères. »
17. Ensuite je vis la Mère de Dieu et Mère de miséricorde et elle me dit : « Ma fille, tu n’as pas encore cueilli le fruit convenable pour ton âme de l’arbre de vie de mon histoire que tu as écrite ; tu n’es pas encore arrivée à la moelle de sa substance, tu n’as point suffisamment recueilli de cette manne cachée et tu n’as pas eu la dernière disposition de perfection qu’il te faut pour que le Très-Haut grave et imprime respectivement dans ton âme mes vertus et mes perfections. Je dois te donner la qualité et l’ornement convenables, afin que sa divine droite veuille opérer en toi ; et je lui ai demandé que par ma main et mon intercession, et par la grâce très abondante qu’il m’a communiquée, il me permît de t’orner et de composer ton âme, afin que tu te remettes à écrire ma vie sans faire attention au côté matériel, mais bien au formel et au substantiel ; te comportant passivement et sans mettre d’obstacles, pour recevoir le courant de la grâce divine que le Tout-Puissant achemina vers moi, et qu’en toi passe la partie de cette grâce que la volonté divine disposera de te donner. Ne la raccourcis point et ne la limite point par ta petitesse et ta conduite imparfaite. » Alors je connus que la Mère de miséricorde me revêtait d’un vêtement plus blanc que la neige et plus resplendissant que le soleil. Puis elle me ceignit d’une ceinture très riche et me dit : « Cette ceinture est une participation de ma pureté. » Elle demanda aussi au Seigneur la science infuse pour m’en parer, ce qui me servit de très beaux cheveux ; elle demanda encore d’autres dons et présents de grand prix dont je ne parvenais pas à connaître la valeur, mais je voyais bien qu’ils étaient très grands. Après m’avoir ainsi ornée, la divine Dame me dit : « Sois fidèle et diligente pour travailler à m’imiter et être ma fille très parfaite engendrée de mon esprit et nourrie à mon sein. Je te donne ma bénédiction afin que tu écrives une seconde fois ma vie en mon nom et avec ma direction et mon assistance. »
18. Toute cette Vie très sainte se réduit pour plus de clarté à trois parties. La première traitera de ce qui appartient, ce qui touche aux quinze premières années de la Reine du ciel, depuis sa Conception très pure jusqu’à ce que le Verbe prît chair humaine dans son sein virginal, et ce que le Très-Haut opéra en elle pendant ces années. La seconde partie comprend le mystère de l’Incarnation, toute la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ, sa passion et sa mort et son ascension aux cieux, qui fut le temps que la divine Reine vécut avec son très saint Fils et ce qu’elle fit dans ce temps. La troisième partie est le reste de la vie de cette Mère de la grâce après qu’elle fut seule dans le monde, sans notre Rédempteur Jésus-Christ, jusqu’à ce qu’arrivât l’heure de son très heureux trépas, de son assomption et de son couronnement dans les cieux, pour en être l’Impératrice et pour y vivre éternellement, comme Fille du Père, Mère du Fils, et Épouse de l’Esprit-Saint. Je divise ces trois parties en huit livres, afin qu’ils soient plus faciles à manier et qu’ils soient toujours l’objet de mon entendement, le stimulant de ma volonté, et ma méditation le jour et la nuit.
19. Pour expliquer en quel temps j’écris cette histoire, je dois avertir que mes parents, Frère François Coronel, mon père, et Sœur Catalina, ma mère, fondèrent ce couvent des religieuses déchaussées de l’Immaculée Conception dans leur propre maison, selon une disposition et une volonté divine, déclarée par une lumière et une révélation particulière donnée à ma mère, Sœur Catalina. La fondation eut lieu le jour de l’octave de l’Épiphanie, le 13 janvier de l’année 1619. Le même jour nous prîmes l’habit, ma mère et ses deux filles : et mon père entra dans l’ordre de notre séraphique Père Saint François avec ses deux fils qui sont maintenant religieux, où il prit l’habit, fit profession et vécut d’une manière exemplaire pour tous, et il y mourut saintement. Ma mère et moi nous reçûmes le voile le jour de la Purification de la grande Reine du ciel, le 22 février de l’année 1620. La profession de la seconde fille fut retardée parce qu’elle n’avait point l’âge suffisant. Le Tout-Puissant, à cause de sa seule bonté, favorisa notre famille en ce qu’elle se consacra tout entière à l’état religieux. La huitième année de la fondation, à la vingt-cinquième de mon âge et du Seigneur 1627, l’obéissance me donna l’office de supérieure que je tiens indignement aujourd’hui. Il se passa dix ans de mon supériorat pendant lesquels j’eus plusieurs commandements du Très-Haut et de la grande Reine du ciel d’écrire sa très sainte Vie. Je résistai tout ce temps-là à ces ordres divins jusqu’en l’an 1639, quand je commençai à l’écrire la première fois. Et lorsque je l’achevais, je brûlai tous ces papiers et beaucoup d’autres ; tant de cette Histoire sacrée que d’autres matières graves et mystérieuses, en l’absence de mon confesseur ordinaire qui me gouvernait, à cause des craintes et des tribulations que j’ai dites et du conseil d’un confesseur qui m’assistait ; parce qu’il me dit que les femmes ne doivent point écrire dans la sainte Église. Je fus prompte à lui obéir ; ensuite j’eus de très âpres réprimandes de mes Prélats et du confesseur qui savait toute ma vie. Ils m’intimèrent de nouveau des ordres très sévères de l’écrire une autre fois. Le Très-Haut et la Reine du ciel répétèrent aussi de nouveaux commandements pour me faire obéir ; et la lumière que j’eus cette seconde fois de l’Être de Dieu fut si copieuse, les bienfaits que la droite du Très-Haut me communiqua furent si abondants, afin que ma pauvre âme se renouvelât et se vivifiât dans les enseignements de ma divine Maîtresse, enfin les doctrines furent si parfaites et les sacrements si sublimes qu’il a été nécessaire de faire un livre à part qui appartiendra à la même histoire ; et son titre est : Les lois de l’épouse, les sommets de son chaste amour, et le fruit cueilli de l’arbre de La Vie de la Très Sainte Marie, Notre Dame. Je commençai donc à écrire cette Vie, avec la faveur divine, le 8 décembre 1655, jour de l’Immaculée et très pure Conception de Marie.
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NOTES EXPLICATIVES
EXTRAITES DE CELLES DE DON CRESETO
À L’USAGE DES PRÊTRES
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a. Le mot sacrement dans la sainte Écriture a souvent la signification de chose sublime, cachée, sainte et divine. En ce sens ce mot sera souvent employé dans cet ouvrage.
b. À celui qui demandera : À quoi bon de nouvelles révélations ? on pourrait répondre avec le docte Görres (Myst., div., t. II, c. 2) que l’Esprit-Saint agit non seulement dans le corps entier de l’Église, mais aussi dans ses membres en particulier ; qu’ainsi outre sa direction ordinaire, il y en a une autre extraordinaire qui se manifeste dans la continuation du don de prophétie ; que l’Église sait très bien cela et qu’elle est bien éloignée de négliger les trésors de science, de sagesse et de contemplation spirituelle qui se sont formés de cette manière dans son sein pendant le cours des siècles.
c. Dieu peut vouloir que la créature fasse une chose et en même temps il peut vouloir que la même créature, avec une volonté inefficace, résiste à la volonté divine, désirant au moins inefficacement qu’elle ne s’accomplisse point. La volonté humaine de Notre Seigneur Jésus-Christ sentit et montra de la répugnance à la volonté divine, et cela était agréable à la même volonté divine à cause des biens qui devaient en résulter : comme de montrer la vérité de la nature humaine en Jésus-Christ, de nous enseigner à vaincre la tristesse de mourir, d’encourager les martyrs à la vue des tourments, etc. La Vénérable, en cherchant à se soustraire à la charge de supérieure, ne faisait point une chose mauvaise ni inutile, bien qu’elle sût parfaitement que la volonté divine allait s’accomplir inévitablement. En cela elle pratiquait l’humilité, elle reconnaissait son insuffisance, elle exerçait la sainte crainte avec laquelle on doit fuir les dignités à cause du péril qui s’y trouve par notre fragilité humaine, puisque ceux-là même qui reçoivent les dignités par la volonté divine révélée ne sont pas rassurés pour cela, comme on le voit par l’exemple de Saül : toutes fins bonnes qui justifient la répugnance et la résistance conditionnée de la Vénérable au précepte divin. Du reste, Moïse aussi, sans péché au moins grave, résista cinq fois au commandement de Dieu d’aller vers Pharaon. Exode, III, 11, 13 ; IV, 1, 10, 13.
d. Les mauvais restes dérivés du péché originel sont, selon saint Thomas (I, 2, q. 85, art. 3), l’ignorance, la malice, la faiblesse et la concupiscence. Toutes ces choses empêchent la connaissance du danger que l’on court dans les charges et les honneurs ; mais c’est surtout la concupiscence qui empêche de discerner le danger, parce que c’est le propre de l’appétit d’aspirer aux honneurs ; c’est pourquoi la Vénérable note spécialement la concupiscence.
e. Si par jurement l’on n’entend point la parole solennelle par laquelle Dieu assura à Adam qu’il mourrait s’il mangeait du fruit défendu, il n’y a point de parole de ce jurement dans la Genèse. Le Révérend Père Ximenès dit, dans son prologue adressé aux savants qui liraient la Cité Mystique, qu’on doit tenir que la Vénérable l’aura eu par révélation. De là il prend occasion de démontrer qu’il y a eu des révélations privées dans l’Église même après les apôtres et dans tous les siècles, comme le suppose le Droit Canonique, le Concile de Latran, sous Léon X, le Concile de Trente et comme il appert des Pères de l’Église, des Docteurs, des Histoires ecclésiastiques, etc. Il suffit de dire que le Pape saint Pie I définit la controverse de la Pâque par suite d’une révélation privée. Ces révélations privées peuvent être non seulement touchant des choses morales, mais aussi touchant des choses dogmatiques. Saint Thomas dit (2, 2, q. 171, art. 3) : que la prophétie ou révélation peut s’étendre à quelque chose que ce soit, divine ou humaine, spirituelle ou corporelle. Cajetan admet avec saint Thomas que l’Église ne manquera jamais en aucun temps de quelqu’un qui ait l’esprit de prophétie.
f. Nul doute que les Anges des hiérarchies supérieures commandent aux Anges inférieurs. Saint Grégoire-le-Grand l’infère de la Sainte Écriture (Zacharie, II, 4) disant : Quand un ange dit à un autre ange : Cours, parle à ce jeune homme, il n’y a point de doute que l’un envoie l’autre ; ceux qui sont envoyés sont moindres que ceux qui envoient.
g. Infra, Partie I, n. 201, 206.
h. Par la terre, la Vénérable veut dire elle-même qui devait se mouvoir pour écrire la Vie de la très sainte Vierge.
i. Que l’Arche de Moïse fût la figure de la très sainte Marie, la Sainte Église le chante continuellement par ces paroles des Litanies : Fœderis Arca. C’est aussi le sentiment des Pères et des Docteurs. Ainsi saint Ambroise écrit : « Qui peut être l’Arche, sinon Marie ? car l’arche portait au dedans de soi les tables du Testament, et Marie, l’Héritier du même testament. L’arche contenait la voix de Dieu, et Marie le Verbe de Dieu. L’arche resplendissait d’or au dedans et au dehors, et Marie au dedans et au dehors resplendissait de l’éclat de la virginité. »
PREMIÈRE PARTIE
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De la Vie et des sacrements de la Reine du ciel ; ce que le
Très-Haut opéra dans cette pure créature depuis son
Immaculée Conception jusqu’à ce que le Verbe prît
chair humaine dans ses entrailles virginales ;
les faveurs qu’il lui fit dans ses quinze
premières années et tout ce qu’elle
acquit par elle-même avec la
grâce divine.
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LIVRE PREMIER
SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE I
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De deux visions particulières que le Seigneur montra à mon
âme et d’autres mystères et intelligences qui m’obli‑
geaient à m’éloigner du terrestre en élevant mon
esprit et mon habitation au-dessus de la terre.
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SOMMAIRE. – 1. Louanges à Dieu pour lui avoir révélé ces mystères. – 2. Lumière surnaturelle et hauteur de vie par lesquelles Dieu prépare la Vénérable Mère pour écrire cet ouvrage ; Voix du Seigneur à son épouse. – 3. Effets de cette parole divine. – 4. Les six anges que le Seigneur désigna pour la purifier, la présenter à Dieu et l’assister dans cette œuvre. – 5. Vision merveilleuse où les mystères de la Vierge très pure lui furent manifestés. – 6. Le Seigneur l’appelle à une plus grande perfection et lui désigne sa très sainte Mère pour Maîtresse. – 7. La Vierge Marie reçoit ce magistère et l’engage à imiter sa vie très sainte. L’échelle mystérieuse. – 8. La vie de la très sainte Marie lui est manifestée dans le symbole de l’échelle. – 9. Besoin que le monde a de la connaissance de ces mystères. – 10. Pourquoi Dieu ne les a point manifestés dans la primitive Église. – 11. La Vénérable dit dans le chapitre suivant comment elle recevait cette doctrine.
1. Je te confesse 25 et t’exalte, ô Roi Très Haut, de ce que par ta condescendance et ta Majesté sublime, tu as caché ces hauts mystères à des sages et à des docteurs et de ce que tu me les as révélés à moi ton esclave, la plus petite et la plus inutile de ton Église, afin que tu sois connu tout-puissant et auteur de cette œuvre, et avec d’autant plus d’admiration que l’instrument dont tu te sers est plus vil et plus faible.
2. Après les longues résistances que j’ai rapportées, beaucoup de craintes désordonnées et de grandes suspensions nées de ma timidité pour connaître cette mer immense de merveilles dans laquelle je m’embarque, craignant d’y être submergée ; après tous ces délais donc, le Seigneur Très-Haut me fit sentir une vertu supérieure forte, suave, efficace et douce 26 ; une lumière qui éclaire l’intelligence et qui réduit la volonté rebelle, qui tranquillise, dirige, gouverne et convoque toute la république des sens intérieurs et extérieurs et qui soumet toute la créature à l’agrément et à la volonté du Très-Haut, à la recherche de sa gloire et de son honneur en toute chose. Dans cette disposition, j’entendis une voix du Tout-Puissant : elle m’appelait et m’attirait après lui avec une grande force, elle élevait mon habitation et elle me fortifiait contre les lions affamés et rugissants qui essayaient d’éloigner mon âme du bien qui lui était offert dans la connaissance des grands sacrements qui sont renfermés dans ce Tabernacle, cette sainte Cité de Dieu. Or cette voix divine me délivrait des portes de la tribulation 27 où ces lions auraient voulu me faire entrer, environnée que j’étais des douleurs de la mort et de la perdition 28 et assiégée par les flammes de cette Sodome, cette Babylone où nous vivons ; ils auraient voulu me tromper pour m’y faire tomber en aveugle, pour cela ils m’offraient des objets de délices apparentes pour les sens qu’ils encombraient de choses vaines, avec tromperie et astuce. Mais le Très-Haut me délivra de tous les pièges que ces ennemis préparaient pour mes pieds 29 ; il éleva mon esprit et il m’enseigna le chemin de la perfection par des admonitions efficaces ; il me convia à une vie spiritualisée et angélique dans une chair mortelle ; enfin, il m’obligea à vivre avec tant de soin qu’étant au milieu de la fournaise 30 le feu ne me touchât point et que je susse me délivrer de la langue souillée chaque fois qu’elle me racontait des fables terrestres 31. Son Altesse m’appelait ainsi à me relever de la poussière et de la faiblesse que cause la loi du péché, à résister aux effets hérités de la nature infecte et à refréner cette nature dans ses inclinations déréglées en les vainquant à la vue de la lumière ; en un mot, à m’élever au-dessus de moi-même. Le Seigneur m’appelait souvent par ses forces de Dieu tout-puissant, par ses corrections de Père et ses caresses d’Époux, et il me disait : « Ma colombe, ouvrage de mes mains, lève-toi, hâte-toi 32, viens à moi qui suis la lumière et la voie 33 ; celui qui me suit ne marche point dans les ténèbres 34. Viens à moi qui suis la vérité assurée, la sainteté certaine ; je suis le puissant et le sage, et le correcteur des sages. »
3. Ces paroles produisaient en moi un doux amour, beaucoup d’admiration, de respect, de crainte et de connaissance de mes péchés et de ma bassesse ; et avec cette bassesse je me retirais, me recueillais et m’anéantissais. Puis le Seigneur me disait : « Viens, ô âme, viens, car je suis ton Dieu tout-puissant ; et quoique tu aies été prodigue et pécheresse, relève-toi de la terre et viens à moi qui suis ton Père, reçois l’étole de mon amitié et l’anneau d’épouse. »
4. Étant dans cette demeure que je dis, je vis un jour les saints anges, qui sont au nombre de six, que le Tout-Puissant m’a désignés pour m’assister et me diriger dans cette Œuvre ainsi que dans le combat que j’ai à soutenir et pour me purifier et me disposer. Et après l’avoir fait, ils me présentèrent au Seigneur ; sa Majesté donna à mon âme une nouvelle lumière et une qualité comme de gloire par lesquelles je fus fortifiée et proportionnée pour voir et connaître ce qui est au-dessus de mes forces de créature terrestre. Ensuite deux autres anges de hiérarchie supérieure m’apparurent et je me sentis puissamment appelée par eux de la part du Seigneur ; je comprenais qu’ils étaient très mystérieux et qu’ils voulaient me manifester des sacrements très sublimes et très cachés. Je leur répondis avec empressement, désireuse de goûter de ce bien qu’ils m’annonçaient ; et avec une ardente affection, j’exprimai mon désir de voir ce qu’ils voulaient me montrer et ce qu’ils me cachaient encore mystérieusement. Ils me répondirent aussitôt avec beaucoup de sérénité : « Arrête, ô âme. » Je me tournai vers leurs altesses et je leur dis : « Princes du Tout-Puissant et messagers du grand Roi, pourquoi me retenez-vous maintenant après m’avoir appelée ? Vous violentez ma volonté et vous retardez ma joie et mon allégresse. Quelle force vous avez et quel est ce pouvoir qui m’appelle, m’embrase, me rend anxieuse et me retient ? Tout à la fois vous m’entraînez après l’odeur de mon Seigneur bien-aimé 35 et vous me retenez comme avec de fortes chaînes. Dites-moi pourquoi cela. » Ils me répondirent : « Parce qu’il faut, ô âme, que tu viennes déchaussée et dépouillée tout à fait de tes appétits et de tes passions, pour connaître ces mystères sublimes qui ne sont point compatibles et qui ne s’accommodent point avec les inclinations sinistres. Déchausse-toi comme Moïse, car c’est ce qui lui fut commandé pour voir ce buisson miraculeux 36. » « Mes princes et mes seigneurs, leur répondis-je, on demanda beaucoup à Moïse, d’avoir des opérations angéliques dans une nature terrestre ; mais il était saint et je suis une pécheresse remplie de misères. Mon cœur se trouble et je me plains de cette servitude, de cette loi du péché que je sens dans mes membres, toute contraire à celle de mon esprit. » À cela ils me répondirent : « Ô âme, ce serait une chose très violente si l’on te demandait de le faire par tes propres forces ; mais le Très-Haut qui veut et qui demande cette disposition est tout-puissant, et il ne te refusera point son secours si tu le demandes de tout ton cœur et si tu te disposes à le recevoir. Et sa puissance, qui faisait brûler le buisson sans se consumer, pourra faire que l’âme emprisonnée et enfermée dans le feu des passions ne s’y brûle pas, si elle veut en être délivrée. Demande à sa Majesté ce que tu veux, il peut ce que tu demandes et avec sa grâce de force tu pourras faire ce qu’il te commande : déchausse-toi et pleure amèrement, crie du plus profond de ton cœur, afin que ton oraison soit entendue et ton désir accompli. »
5. Je vis ensuite qu’un voile très riche recouvrait un trésor ; et ma volonté s’enflammait et désirait que ce voile fût tiré et que me fût découvert ce que l’intelligence me manifestait comme un mystère caché. Il fut répondu à mon désir : « Obéis, ô âme, à ce qui t’est commandé : dépouille-toi de toi-même et ce trésor te sera découvert. » Je fis le propos d’amender et de vaincre mes appétits ; je pleurai avec des soupirs et des gémissements, de l’intime de mon âme, afin que ce bien me fût manifesté et, à mesure que je prenais ces résolutions, le voile qui couvrait mon trésor se retirait. Il fut donc tout à fait tiré, et mes yeux intérieurs virent ce que je ne saurais ni dire ni manifester par des paroles. Je vis un grand signe dans le ciel, un signe mystérieux : une Femme, une très belle Dame, une Reine couronnée d’étoiles, revêtue du soleil, et ayant la lune sous les pieds 37. Les saints anges me dirent : « Celle-ci est cette heureuse femme que vit saint Jean dans l’Apocalypse, dans laquelle les merveilleux mystères de la Rédemption sont renfermés, déposés et scellés. Le Très-Haut Tout-Puissant a tellement favorisé cette créature qu’elle nous cause de l’admiration à nous, ses esprits. Fais attention et considère ses excellences : écris-les, car après le bienfait pour toi-même qu’il te convient d’en retirer, c’est pour les écrire qu’elles te sont manifestées. » Je connus tant de merveilles que leur abondance me rend muette et ravie d’admiration, et même je ne pense pas que dans la vie mortelle toutes les créatures soient capables de les connaître ; je les déclarerai dans le cours de cette histoire.
6. Un autre jour, en un temps de quiétude et de sérénité, dans cette même habitation que j’ai dite, j’entendis une voix du Très-Haut qui me disait : « Mon épouse, je veux que tu achèves de te déterminer vraiment, je veux que tu me cherches avec sollicitude, que tu m’aimes avec ferveur, que tu oublies tout ce qui est de la terre et que ta vie soit plus angélique qu’humaine ; je veux, ô pauvre, que tu te relèves de la poussière, et nécessiteuse, de ton fumier 38 ; lorsque je t’élèverai, il faut que tu t’humilies, et que ton nard répande son odeur de suavité 39 en ma présence, il faut aussi que tu reconnaisses ta faiblesse et tes misères et que tu te persuades que tu mérites la tribulation et en elle l’humiliation de ton cœur. Regarde ma grandeur et ta petitesse, car je suis juste et saint ; je t’assiste avec équité, j’use de miséricorde et je ne te châtie point comme tu le mérites. Sur ce fondement de l’humilité, tâche d’acquérir les autres vertus, afin que ma volonté s’accomplisse. Je te désigne ma Mère, la Très Sainte Vierge, pour Maîtresse ; elle t’enseignera, te corrigera et te reprendra, et elle dirigera tes pas vers mon agrément et ma volonté. »
7. J’étais devant cette Reine lorsque le très sublime Seigneur dit ces paroles et la divine Princesse ne dédaigna pas d’accepter l’office que Sa Majesté lui donnait. Elle l’accepta bénignement et me dit : « Ma fille, je veux que tu sois ma disciple et ma compagne, je serai ta Maîtresse ; mais sache que tu dois m’obéir avec force et dès ce jour on ne doit point reconnaître en toi de restes de fille d’Adam. Ma vie et les œuvres de mon pèlerinage ainsi que les merveilles que le bras puissant du Très-Haut opéra envers moi doivent être ton miroir et la règle de ta vie. » Je me prosternai devant le trône royal du Roi et de la Reine de l’univers et je promis d’obéir en tout. Puis je rendis grâces au Très-Haut pour le bienfait qu’il m’accordait au-dessus de mes mérites, de me donner une telle protection et un tel guide. Je renouvelai dans les mains de cette douce Mère les vœux de ma profession et je promis de nouveau de lui obéir et de coopérer de toutes mes forces à l’amendement de ma vie. Le Seigneur me dit : « Fais attention et regarde. » Ce que je fis et je vis une Échelle de plusieurs degrés ; elle était très belle, beaucoup d’anges l’assistaient ; et d’autres qui y montaient et descendaient. Sa Majesté me dit : « C’est l’Échelle mystérieuse de Jacob 40 qui est la maison de Dieu et la porte du ciel ; si tu te disposes et si ta vie est telle que mes yeux n’y trouvent rien à reprendre, tu monteras à moi par elle. »
8. Cette promesse incitait mon désir, embrasait ma volonté et ravissait mon esprit, et je me plaignais avec d’abondantes larmes d’être lourde et pesante à moi-même 41. Je soupirais après la fin de ma captivité pour arriver là où il n’y a plus d’obstacle qui puisse empêcher l’amour. Je passai quelques jours dans ces anxiétés, tâchant de perfectionner ma vie, faisant de nouvelles confessions générales et réformant quelques imperfections : toujours se continuait la vue de l’échelle, mais je ne comprenais pas sa signification. Je fis beaucoup de promesses au Seigneur, me proposant de nouveau de m’éloigner de toutes les choses de la terre et de tenir ma volonté libre pour n’aimer que lui seul, sans la laisser s’incliner vers la moindre chose même innocente : je répudiai et je réfutai tout ce qui est trompeur et visible. Après avoir passé quelques jours dans ces affections et cette disposition, le Très-Haut me déclara comment cette Échelle était la vie, les vertus et les mystères de la très sainte Vierge. Puis sa Majesté me dit : « Mon épouse, je veux que tu montes par cette Échelle de Jacob et que tu entres par cette Porte du ciel pour connaître mes attributs et contempler ma Divinité ; monte donc et avance, monte à moi par elle. Ces anges qui l’assistent et l’accompagnent sont ceux que j’ai dédiés à la garde, à la défense et à la garnison de cette Cité de Sion : considère-la et en méditant ses vertus travaille à les imiter. » Il me semblait que je montais par cette Échelle et que je connaissais la plus grande merveille et le prodige le plus ineffable du Seigneur dans une pure créature, la plus grande sainteté et la plus grande perfection de vertus que le bras du Tout-Puissant ait jamais opérés. Au bout de l’Échelle je voyais le Seigneur des Seigneurs et la Reine de toutes les créatures et ils me commandèrent de le louer, de le glorifier et de l’exalter pour ces magnifiques sacrements et de les écrire tels que je les comprenais. L’éminent et très haut Seigneur me mit en ces tables, mieux que dans celles de Moïse, la loi que je devais méditer et observer 42, écrite de son doigt puissant 43 et il porta ma volonté à me manifester en sa présence à la Reine très pure, afin qu’elle vainquît mes résistances et que j’écrivisse sa Vie avec son aide, faisant attention à trois choses. La première, afin que chacun connaisse la révérence profonde que l’on doit au Dieu éternel et l’obligation de la créature de s’humilier et de s’abaisser devant sa Majesté infinie, d’autant plus que celle-ci se rend plus familière ; l’effet des plus grandes faveurs et des plus grands bienfaits doit être une crainte plus grande, jointe à plus de respect, d’attention et d’humilité. La seconde afin que le genre humain oublieux de son remède y prenne garde et qu’il reconnaisse ce qu’il doit à sa Reine, la Mère de miséricorde, dans les œuvres de la Rédemption ; l’amour et le respect qu’elle eut pour Dieu et ceux que nous devons avoir envers cette Auguste Souveraine. La troisième afin que celui qui dirige mon âme, et tout le monde s’il est à propos, connaisse ma petitesse, ma pauvreté et le peu de retour que je rends pour tout ce que je reçois.
9. La Très Sainte Vierge répondit à mes désirs : « Ma fille, le monde a un grand besoin de cette doctrine, parce qu’il ne connaît pas le Seigneur tout-puissant et il n’a pas la révérence qui lui est due ; et par cette ignorance l’audace des mortels provoque l’équité de sa justice et le porte à les affliger et à les opprimer ; ainsi ils demeurent possédés de cet oubli et aveuglés par leurs ténèbres, sans savoir chercher le remède, ni regarder avec la lumière ; et ceci leur vient de ce que la crainte et le respect qu’ils doivent avoir leur a manqué. Le Dieu Très-Haut et la Reine du ciel me donnèrent ces avis et plusieurs autres, pour me manifester leur volonté dans cette œuvre. Il me sembla que c’eût été une témérité et un défaut de charité envers moi-même que de ne point recevoir la doctrine et l’enseignement que cette grande Dame a promis de me donner dans le cours de sa très sainte Vie : aussi il ne me parut pas convenable de remettre à un autre temps de l’écrire ; parce que le Très-Haut me dit que c’était le temps opportun et convenable, et à ce sujet il me dit ces paroles : « Ma fille, quand j’envoyai mon Fils unique dans le monde, celui-ci était dans le pire état qu’il avait eu depuis le commencement, à l’exception de quelques-uns qui me suivaient ; parce que la nature humaine est si imparfaite que si elle ne se soumet pas au gouvernement intérieur de ma lumière et à l’exercice de l’enseignement de mes ministres, assujettissant le jugement propre et marchant à ma suite, moi qui suis la voie, la vérité et la vie 44, observant mes commandements afin de ne point perdre mon amitié ; si donc la pauvre nature n’agit point avec cette dépendance, elle s’enfonce aussitôt d’abîme en abîme dans les plus profondes ténèbres et dans des misères innombrables, jusqu’à l’obstination dans le péché. Depuis la création du monde et le péché du premier homme jusqu’à la loi que je donnai à Moïse, ils se gouvernèrent selon leurs propres inclinations et ils commirent de grandes erreurs et de grands péchés 45. C’est ce qu’ils firent encore après la loi en ne lui obéissant pas 46 ; en s’avançant ainsi dans le mal, ils s’éloignaient davantage de la vérité et de la lumière, arrivant à l’état d’un suprême oubli. Et moi avec un amour paternel, je leur ai envoyé le salut éternel 47, comme remède à leurs infirmités incurables, et par ce remède j’ai justifié ma cause. Et comme j’attendis alors au temps où cette miséricorde put resplendir davantage, je veux maintenant leur faire une autre miséricorde très grande, car c’est le temps opportun de l’opérer, pendant que mon heure arrive où je trouverai le monde si chargé et si rempli de ses désordres qu’ils connaîtront la justice de la cause de mon indignation. Je manifesterai mon courroux, ma justice et mon équité et combien ma cause est justifiée. Pour leur faire sentir davantage ma miséricorde, je veux leur donner un remède opportun s’ils veulent s’en servir pour arriver à ma grâce ; car voilà le temps où l’attribut de ma miséricorde doit être le plus manifesté et dans lequel je veux que mon amour ne soit point oisif ; maintenant que le monde est arrivé à un si malheureux siècle, après que le Verbe s’est incarné et quand les mortels sont le plus négligents de leur bien et qu’ils le cherchent le moins, quand le jour de la vie transitoire est près de finir au coucher du soleil du temps, quand s’approche la nuit de l’éternité pour les réprouvés, quand naît pour les justes le jour éternel sans nuit, quand le plus grand nombre des mortels sont dans les ténèbres de leur ignorance et de leurs péchés, opprimant les justes et se moquant des enfants de Dieu, quand ma loi sainte et divine est méprisée pour l’inique matière d’état, d’autant plus odieuse qu’elle est ennemie de ma providence ; quand les méchants m’ont le moins obligé, regardant les justes qu’il y a dans ce temps acceptable pour eux, je veux ouvrir à tous une porte, afin qu’ils entrent par elle à ma miséricorde ; je veux leur donner une lumière afin qu’ils s’éclairent dans les ténèbres de leur aveuglement. Heureux ceux qui trouveront ce remède 48, bienheureux ceux qui en connaîtront la valeur, riches ceux qui rencontreront ce trésor ; heureux et très sages ceux qui le scruteront avec révérence et qui comprendront ses énigmes et ses sacrements : je veux que l’on sache combien vaut l’intercession de Celle qui fut le remède de leurs péchés, donnant dans ses entrailles la vie mortelle à l’Immortel. Je veux qu’ils aient comme miroir pour voir leurs ingratitudes les œuvres merveilleuses que mon puissant bras opéra envers cette pure Créature et leur en montrer plusieurs de celles que j’ai faites à l’égard de la Mère du Verbe et qui sont restées cachées jusqu’à présent par mes très sublimes jugements (a).
10. « Je ne les ai pas manifestées dans la primitive Église, parce que ce sont des mystères si magnifiques que les fidèles se seraient arrêtés à les scruter et à les admirer, quand il était nécessaire que la loi de grâce et l’Évangile fussent établis. Et bien que le tout soit compatible, l’ignorance aurait pu néanmoins souffrir certaines défiances et certains doutes, lorsque la foi de l’Incarnation et de la Rédemption et les principes de la nouvelle loi évangélique n’étaient encore que dans leur début. C’est pour cela que la personne du Verbe fait homme dit à ses disciples dans la dernière Cène qu’il avait plusieurs choses à leur dire, mais qu’ils n’étaient pas alors disposés à les recevoir. Il parla à tous dans leurs personnes ; car le monde n’a pas été disposé à recevoir les mystères et la foi de la Mère jusqu’à ce que la loi de grâce et la foi du Fils fussent bien établis (b). D’ailleurs la nécessité en est maintenant plus grande et cette nécessité m’oblige encore plus que la disposition propice à recevoir ce bienfait. Et le monde aurait quelque remède si l’on m’obligeait en révérant, croyant et connaissant les merveilles que la Mère de miséricorde renferme en soi et si tous sollicitaient son intercession, pourvu qu’on le fît de bon cœur. Je ne veux pourtant point laisser de poser devant eux cette Mystique Cité de refuge ; décris-la et dépeins-la autant que ton peu de capacité pourra y arriver. Je ne veux point que cette description ou déclaration de sa vie soit regardée comme des opinions ou des considérations, mais comme la vérité certaine (c). Que ceux qui ont des oreilles pour entendre entendent 49 ; que ceux qui ont soif viennent aux eaux vives 50 et abandonnent les citernes desséchées 51 ; que ceux qui veulent la lumière la suivent jusqu’à la fin. » C’est le Seigneur Dieu Tout-Puissant qui m’a dit ceci.
11. Telles sont les paroles que le Très-Haut m’a dites dans la circonstance que j’ai rapportée. Je dirai dans le chapitre suivant la manière dont je reçois cette doctrine et cette lumière et comment je connais le Seigneur ; en cela j’accomplis l’obéissance qui me l’ordonne, afin de déclarer à tous les lumières et les miséricordes de ce genre que je reçois et que je rapporterai plus loin.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. Que tout ce qui regarde le mystère de la Très Sainte Vierge n’ait pas encore été dit dans l’Église et que tout n’ait pas encore été manifesté par Dieu, mais qu’à cet égard de nouvelles connaissances se succéderont dans le cours des siècles, c’est le sentiment de saint Bernard, de saint Amédée, évêque, de Gerson et d’autres docteurs. « On doit tenir comme une chose très certaine, dit saint Amédée, que des miracles très fréquents, des visions spirituelles, des consolations sublimes de l’Auguste Mère de Dieu illumineront assidûment le globe de la terre, jusqu’à ce que le monde vieilli arrive à sa fin et que commence la lumière de ce règne qui n’a point de fin. » Le Père Ludovic de Besse raconte dans « le Propagateur des trois Ave », Déc. 1909, que Dom Guéranger, lui ayant donné l’hospitalité à Solesme, lui montra dans un rayon de sa bibliothèque une vingtaine d’in-folio et il lui dit : « Père, tout ceci est Marie d’Agreda. C’est sa Cité Mystique avec tout ce qu’on a écrit pour et contre ce livre de la Vénérable. Or, sachez bien une chose : La définition de l’Immaculée Conception n’est qu’une pierre d’attente. C’est le fondement d’un édifice doctrinal qui sera élevé un jour en l’honneur de Marie. Eh bien ! quand l’Église voudra bâtir cet édifice, elle ira en chercher les matériaux dans la Cité Mystique. »
b. Ici la foi du Fils et la foi de la Mère doit s’entendre non-seulement pour l’habitude avec laquelle nous donnons notre assentiment aux vérités révélées ; mais aussi pour les vérités révélées elles-mêmes appelant foi du Fils, les vérités révélées touchant Jésus-Christ, et foi de la Mère celles qui regardent sa Mère.
c. Dieu ne peut parler autrement, étant la Vérité même. Quand il révèle quelque chose, il ne peut pas vouloir que cette chose qu’il a révélée comme certaine soit regardée comme simple contemplation. Cela serait indigne de lui, car lorsqu’il parle il veut être cru. Toutefois cela n’implique pas que ces vérités soient de foi pour les autres qui n’ont pas reçu une pareille révélation : il n’y a que celui à qui une pareille révélation est faite qui est tenu d’y croire avec foi divine. Cependant, le Pape Benoît XIV dit qu’il est contraire à la prudence et à la charité de mépriser les dons de Dieu faits au prochain et de lui refuser créance, comme à un faussaire, sans grave raison, chacun ayant un droit strict à n’être pas cru de mauvaise foi : « Nemo malus, nisi probetur. »
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE II
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Qui déclare la manière dont le Seigneur manifeste ces
mystères et la Vie de la Reine dit ciel à mon âme,
dans l’état où sa Majesté m’a placée.
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SOMMAIRE. – 12. On met ce chapitre pour déclarer la manière dont Dieu manifestait ces merveilles. – 13. La sainte crainte de Dieu dont la Vénérable fut douée. – 14. Dieu lui ôte les qualités extérieures ; état où le Seigneur la met. – 15. Lumière intellectuelle. – 16. Son union avec Dieu. – 17. Assistance de Dieu dans son âme. – 18. Comment Dieu proportionne l’entendement créé pour une connaissance si sublime. – 19. Effets de cette connaissance. – 20. Elle ne connut jamais la damnation d’aucune âme. – 21. Usage qu’elle faisait de cette sagesse. – 22. Deux modes de connaissance. – 23. Comment elle voyait les objets en Dieu. – 24. Comment elle les voyait en eux-mêmes. – 25. Ses visions étaient intellectuelles, quelquefois imaginaires, rarement corporelles.
12. Il a paru convenable de placer ce chapitre dans le commencement, afin d’expliquer et de déclarer pour le reste de cette Histoire la manière dont le Seigneur me manifeste ces merveilles que je ferai comprendre comme je pourrai et comme il me sera accordé de le faire.
13. Depuis que j’ai l’usage de la raison, j’ai senti un bienfait du Seigneur que je juge être le plus grand de tous ceux que sa main libérale m’a accordés, et c’est que son Altesse m’a donné une crainte intime et très grande de le perdre ; ce qui m’a provoquée et excitée à désirer le meilleur et le plus sûr, à le pratiquer et à le demander toujours au Très-Haut qui a lui-même crucifié mes chairs de cette flèche 52, de manière à me faire craindre ses jugements et à me faire vivre toujours avec cette peur de perdre l’amitié du Tout-Puissant ou de ne point la posséder. Mon pain le jour et la nuit a été les larmes 53 que me causait cette inquiétude ; à cause de cela, il m’est venu de faire de grandes prières à Dieu et de solliciter l’intercession de la très pure Vierge notre Souveraine, le suppliant de tout mon cœur de me garder et de m’acheminer par une voie droite et cachée aux yeux des hommes, dans ces derniers temps où les disciples du Seigneur qui pratiquent la vertu ont besoin d’être cachés et de ne point se manifester.
14. À ces prières réitérées, le Seigneur me répondit : « Ne crains point, ô âme, et ne t’afflige point, car de mon côté je te donnerai un état et un chemin de lumière et de sécurité, si caché et si estimable, que celui qui en est l’auteur pourra seul le connaître ; dès aujourd’hui tu seras privée de tout ce qui est extérieur et sujet au péril, et ton trésor sera caché : de ton côté garde-le et conserve-le par une vie parfaite. Je te mettrai dans une voie cachée, lumineuse, véritable et pure ; chemine par elle. » Dès lors je connus un changement dans mon intérieur et un état très spiritualisé (a). Il fut donné à mon entendement une lumière nouvelle et une science par laquelle on connaît en Dieu toutes les choses, ce qu’elles sont en elles-mêmes et leurs opérations. Et selon la volonté du Très-Haut, elles sont manifestées à l’esprit qui les connaît et les voit. Cette intelligence est une lumière qui éclaire 54, lumière sainte, suave et pure, subtile, aiguë, noble, assurée et limpide : elle fait aimer le bien et réprouver le mal. C’est une vapeur de la vertu de Dieu et une émanation sincère de sa lumière qui se met comme un miroir devant mon entendement, et je vois beaucoup par la partie supérieure de l’âme et par la vue intérieure ; parce que l’objet est reconnu infini moyennant la lumière qui réfléchit, quoique les yeux soient limités et’intelligence peu de chose. Cette vue est comme si le Seigneur était assis sur un trône de grande majesté, où l’on connaît ses attributs distinctement sous la limitation de la mortalité, parce qu’il y a comme un cristal très pur qui les recouvre et qui les réfléchit ; et par ce moyen l’on connaît et l’on contemple ces merveilles et ces attributs ou perfections de Dieu avec une grande clarté et très distinctement ; bien qu’avec ce voile ou moyen, on est empêché de le voir tout à fait immédiatement ou intuitivement et sans voile ; mais ainsi que je l’ai dit, c’est comme un cristal. Néanmoins la connaissance de ce qu’il nous cache et nous couvre quelque chose n’est pas pénible, mais admirable à l’entendement, parce qu’on comprend que l’objet est infini, et que celui qui le regarde ainsi limité a espérance que s’il le mérite, ce voile sera tiré et ce réflecteur, ôté lorsque l’âme sera dépouillée de la mortalité du corps 55.
15. Dans cette connaissance, il y a différentes manières ou degrés de vision du côté du Seigneur, selon qu’il est de sa volonté divine de se manifester plus ou moins, parce qu’il est un miroir volontaire. Parfois il se manifeste plus clairement, d’autres fois moins. Parfois certains mystères sont montrés en en cachant d’autres, et ils sont toujours grands. Et cette différence a coutume de suivre aussi la disposition de l’âme ; parce que si elle n’est pas dans la quiétude et la paix, ou si elle a commis quelque faute ou imperfection, même très légère, elle n’arrive pas à voir cette lumière de la manière que je dis, où l’on connaît le Seigneur avec tant de clarté et de certitude qu’il n’y a aucun doute sur ce que l’on comprend. Mais ce que l’on connaît d’abord le mieux, c’est que c’est Dieu qui est présent, puis l’on entend tout ce que dit sa Majesté. Et cette connaissance produit une force douce et efficace pour aimer et servir le Très-Haut et lui obéir. Dans cette clarté l’on connaît de grands mystères : combien vaut la vertu, combien c’est une chose précieuse de l’avoir et de la pratiquer ; on connaît sa perfection et sa sécurité, on sent une vertu et une force qui oblige au bien, qui fait opposition au mal, qui combat les passions et surtout qui les vainc. Et tant que l’âme jouit de cette lumière et de cette vue et ne la perd pas, elle n’est pas vaincue 56, parce que cette lumière lui donne du courage, de la ferveur, de la sécurité et de l’allégresse, lumière parfaite et soigneuse qui l’appelle et l’élève, lui donne de la souplesse et de la vigueur, la partie supérieure de l’âme entraînant après soi l’inférieure, et même le corps s’allégeant et demeurant comme spiritualisé pendant ce temps, sa gravité et son poids étant suspendus.
16. Et lorsque l’âme sent ces doux effets, elle dit au Très-Haut avec une affection amoureuse : Attirez-moi après vous 57 et nous courrons ensemble ; car étant unie à Celui qu’elle aime elle ne sent point les opérations terrestres. Et se laissant emporter à l’odeur des parfums de son Bien-Aimé, il arrive qu’elle est plus en ce qu’elle aime qu’en ce qu’elle anime. Elle laisse la partie inférieure déserte, et quand elle revient la chercher, c’est pour la perfectionner, réformant et décapitant pour ainsi dire les appétits brutaux des passions ; et si parfois ils veulent se révolter, l’âme la renverse promptement ; maintenant je ne vis plus, mais Jésus-Christ vit en moi 58.
17. On sent ici d’une certaine manière l’assistance de l’Esprit de Jésus-Christ qui est Dieu et qui est la vie de l’âme 59, dans toutes les opérations saintes et dans tous les mouvements, chose que l’on remarque par la ferveur, le désir, la lumière, l’efficacité pour opérer une force intérieure que Dieu seul peut produire. On sent la continuation et la vertu de cette lumière et l’amour qu’elle cause ; et une parole intime 60, continuelle et vive qui fait faire attention à tout ce qui est divin et qui abstrait du terrestre ; en quoi se manifeste la vie de Jésus-Christ en moi, ainsi que sa lumière et sa vertu qui luit toujours dans les ténèbres 61. Ceci est proprement être dans les vestibules de la maison du Seigneur 62 ; car l’âme voit où se réfléchit la clarté de la lampe de l’Agneau 63.
18. Je ne dis pas que c’est toute la lumière ; mais c’en est une partie : et cette partie est une connaissance au-dessus des forces et de la vertu de la créature. Le Très-Haut anime l’entendement pour cette vue lui donnant une qualité et une lumière, afin que cette puissance soit proportionnée (b) avec la connaissance qui serait au-dessus de ses forces ; et cela aussi est compris et connu dans cet état avec la certitude dont sont crues et connues les autres choses divines ; mais la foi accompagne aussi, et dans cet état le Tout-Puissant montre à l’âme la valeur de cette science et de la lumière qui lui est communiquée ; on ne peut éteindre cette lumière et tous les biens ensemble me sont venus avec elle, et par ses mains, une honnêteté de grand prix 64. Cette lampe va devant moi et dirige mes pas : je l’ai apprise sans fiction 65 et je désire la communiquer sans envie et ne point cacher son honnêteté. C’est une participation de Dieu et son usage est un plaisir bon et une allégresse. À l’improviste elle enseigne beaucoup de choses et elle soumet le cœur ; avec une force puissante elle ôte et éloigne ce qui est trompeur où l’on trouve, en regardant à cette lumière, une amertume immense ; avec cela l’âme s’éloigne davantage de ces choses vaines et momentanées et elle s’enfuit en courant au sanctuaire et au refuge de la vérité éternelle, et elle entre dans le cellier de vin mêlé 66, où le Très-Haut ordonne en moi la charité. Par elle je suis contrainte à être patiente 67 et sans envie, bénigne sans offenser personne, à n’être ni superbe ni ambitieuse, à ne me point mettre en colère ni à penser mal de mon prochain, à tout souffrir et à tout supporter. Elle me crie 68 toujours et m’avertit dans mon secret avec une grande force d’opérer le plus saint et le plus pur, et elle me l’enseigne en tout : et si je manque même dans les plus petites choses, elle me reprend, sans me rien dissimuler.
19. Telle est la lumière qui tout à la fois m’illumine, m’embrase, m’enseigne, me reprend, me mortifie et me vivifie, m’appelle et me retient, m’avertit et m’oblige ; lumière qui m’enseigne distinctement le bien et le mal, le sublime et le profond, la longueur et la largeur 69, le monde, son état, sa disposition, ses erreurs, les fables et les faussetés de ses habitants et de ses amateurs 70 ; et surtout elle m’enseigne à le mépriser et à le fouler aux pieds, à m’élever vers le Seigneur, le regardant comme le Maître suprême et celui qui gouverne tout. Dans sa Majesté je vois et connais la disposition des choses, les vertus des éléments, le commencement, le milieu et la fin des temps, leurs changements et leurs variétés, le cours des années, l’harmonie de toutes les créatures et leurs qualités, tout le secret des hommes, leurs opérations et leurs pensées, et combien elles sont éloignées de celles du Seigneur ; les dangers où ils vivent et les voies sinistres par où ils courent ; les états, leurs gouvernements, leur fermeté momentanée et leur peu de stabilité, ce qui est tout leur principe et leur fin, ce qu’ils ont de vérité ou de mensonge. Tout cela se voit et se connaît distinctement en Dieu par cette lumière, et je connais les personnes et leurs conditions. Mais si je descends à un autre état inférieur que mon âme a d’ordinaire, j’use de la substance et de l’habitude de la lumière, mais non point de toute sa clarté ; dans cet état moins élevé, il y a quelque limitation de cette connaissance si sublime que j’ai dite, des personnes, des états, et des pensées secrètes ; car dans ce degré inférieur, je n’ai pas plus de connaissance que ce qu’il suffit pour me délivrer du danger et fuir le péché ; j’ai compassion des personnes avec une véritable tendresse ; mais je ne me permets point de parler clairement avec aucune, ni lui découvrir ce que je connais. Je ne pourrais pas le faire non plus, parce qu’il me semble que je demeure muette, si ce n’est quand l’Auteur de ces œuvres donne parfois la permission ou ordonne que je reprenne quelqu’un : toutefois ce ne doit pas être en déclarant la manière de cette connaissance ; mais en leur parlant au cœur, avec des paroles simples, claires, communes et charitables en Dieu, et en priant pour leurs nécessités, car c’est pour cela qu’on me les fait connaître.
20. Toutefois, bien que j’aie connu clairement tout cela, le Seigneur ne m’a jamais montré la fin malheureuse d’aucune âme qui sera damnée. Et ça été une providence divine, car il est juste ainsi, et la damnation de quelqu’un ne doit pas être manifestée sans de grands motifs ; et parce que si je le savais je mourrais de peine. Et ce serait l’effet de la connaissance de cette lumière, car c’est une grande douleur de voir qu’une âme sera privée de Dieu pour toujours. Je l’ai prié de ne point me montrer qu’aucun soit damné : si je puis donner ma vie pour délivrer quelqu’un qui est dans le péché, je ne refuse point la peine, et je ne refuse point non plus que le Seigneur me le montre ; mais celui qui n’a pas de remède, que je ne le voie point.
21. Cette lumière m’est donnée non point pour déclarer mon secret, en particulier, mais pour en user avec prudence et avec sagesse. Cette lumière me reste comme une substance qui vivifie ; quoiqu’elle soit accidentelle, elle émane de Dieu avec une habitude pour en user, en réglant bien les sens et la partie inférieure. Mais dans la partie supérieure de l’esprit, je goûte toujours d’une vision et d’une habitation de paix, et je connais intellectuellement tous les mystères et les sacrements qui me sont montrés de la Reine du ciel et beaucoup d’autres de la foi, car je les ai incessamment présents ; du moins je ne perds jamais la lumière de vue. Et si parfois je descends, comme créature faible, par l’attention à la conversation humaine, le Seigneur m’appelle aussitôt avec rigueur et une douce force ; il ramène mon attention à ses paroles et à ses locutions, ainsi qu’à la connaissance des mystères, des grâces, des vertus, et des œuvres intérieures et extérieures de la Vierge Mère, comme je vais le déclarer.
22. De cette façon et dans les états et la lumière que je dis, je vois et connais l’auguste Reine, Notre-Dame elle-même, lorsqu’elle me parle, ainsi que les saints Anges avec leur nature et leurs excellences. Parfois je les vois et les connais dans le Seigneur et d’autres fois en eux-mêmes ; mais avec une différence, car pour les connaître en eux-mêmes je descends quelques degrés plus bas. Je connais aussi ce qui résulte de la différence des objets et de la manière de mouvoir l’entendement. Dans ce degré plus bas, je vois et entends les saints princes et je leur parle ; ils conversent avec moi et ils m’expliquent plusieurs mystères que le Seigneur m’a montrés : et la Reine du ciel me déclare et me manifeste ceux de sa très sainte vie et les évènements admirables qu’elle renferme : et je connais distinctement chacune de ces personnes en soi, sentant les effets divins que chacune produit respectivement dans mon âme.
23. Dans le Seigneur, je les vois comme dans un miroir volontaire, Sa Majesté me montrant les saints qu’il veut et comme il lui plaît, avec une grande clarté et des effets très relevés ; car avec cette lumière admirable on connaît le Seigneur lui-même et les saints, leurs vertus excellentes et leurs merveilles, et comment ils les opérèrent avec la grâce, en vertu de laquelle tout leur fut possible 71. Et dans cette manière de connaissance, la créature demeure plus abondamment et plus entièrement comblée de joie : elle est remplie de plus de vertu et de satisfaction, et elle demeure comme dans le repos de son centre ; car cette connaissance est d’autant plus intellectuelle et moins corporelle et imaginaire, que la lumière est plus forte et ses effets plus sublimes, et la substance et la certitude que l’on éprouve est plus grande. Mais ici il y a aussi une différence ; car on comprend que la vue et la connaissance du Seigneur lui-même, de ses attributs et de ses perfections est supérieure, et ses effets en sont très doux et ineffables : et que c’est un degré plus bas de voir et de connaître les créatures, même dans le Seigneur. Et il me semble que cette infériorité naît en partie de l’âme elle-même, parce que comme sa vue est si limitée, elle n’est pas si attentive et elle ne connaît pas Dieu si bien avec les créatures qu’elle connaît Sa Majesté seule sans elles : et avec sa vue seule, il semble qu’elle a une plus grande plénitude de joie que lorsqu’elle voit en Dieu des créatures. Si délicate est cette connaissance de la Divinité qu’elle est quelque peu empêchée lorsqu’on voit en elle quelque autre chose, au moins pendant que nous sommes mortels.
24. Dans l’autre état inférieur à celui-ci, dont j’ai déjà parlé, je vois la Très Sainte Vierge en elle-même (c) ainsi que les Anges ; je comprends et connais le mode de m’enseigner, de me parler et de m’illustrer qui est semblable à la manière dont les anges s’illuminent, se communiquent et parlent les uns aux autres, et dont les supérieurs illuminent les inférieurs. Cette lumière est donnée par le Seigneur comme cause première ; mais de cette participation dont l’Auguste Reine jouit avec tant de plénitude, elle en communique à la partie supérieure de l’âme, et je connais son Altesse, ses prérogatives et ses sacrements, de la manière que l’ange inférieur connaît ce que lui communique le supérieur. On la reconnaît aussi par la doctrine qu’elle enseigne, par l’efficacité qu’elle a, et par d’autres qualités que l’on sent et que l’on goûte de la pureté, de la sublimité et de la vérité de la vision où l’on ne rencontre rien d’impur, de faux, de suspect ni d’obscur ; tout y est saint, pur et véritable. La même chose m’arrive avec les saints anges à leur manière, et le Seigneur m’a montré plusieurs fois que leur communication et leur illustration avec mon intérieur est comme celle qu’ils ont entre eux. Et souvent il m’arrive que l’illumination passe par tous ces aqueducs et ces conduits ; car le Seigneur donne l’intelligence et la lumière, ou l’objet de cette lumière, la très sainte Vierge l’explique et les Anges me donnent les termes. D’autres fois et le plus ordinairement, le Seigneur fait tout et m’enseigne la doctrine ; d’autres fois c’est la Reine qui le fait, me donnant tout, et d’autres fois ce sont les anges. Ils ont coutume aussi de me donner l’intelligence seule, et je prends pour m’expliquer les termes de ce que j’ai entendu. En ceci je pourrais errer si le Seigneur le permettait, parce que je suis une femme ignorante et je me sers de ce que j’ai entendu ; mais lorsque j’ai quelque difficulté à déclarer les intelligences que je reçois, j’accours à mon maître et mon père spirituel dans les matières les plus ardues et les plus difficiles.
25. J’ai très rarement des visions corporelles dans ces temps et dans ces états, mais bien quelquefois des visions imaginaires et celles-ci sont dans un degré beaucoup plus inférieur à toutes celles que j’ai dites qui sont très relevées, spirituelles ou intellectuelles. Ce que je peux assurer est qu’en toutes les intelligences, grandes ou petites, inférieures ou supérieures du Seigneur, de la très sainte Vierge et des saints anges, toujours je reçois une lumière et une doctrine très abondante et très profitable, où je vois et connais la vérité, la perfection et la sainteté la plus grande ; et je sens une force et une lumière divine qui m’oblige à désirer la plus grande pureté de mon âme et la grâce du Seigneur, à mourir pour elle et à pratiquer le meilleur en tout. Et avec ces degrés et ces modes d’intelligence que j’ai dits, je connais tous les mystères de la Vie de la Reine du ciel avec un grand profit et une grande jubilation de mon esprit. Et pour tout cela, je loue le Tout-Puissant de tout mon cœur et de tout mon esprit ; je l’exalte, l’adore et le confesse pour le Dieu saint et tout-puissant, fort et admirable, digne de louange, de magnificence, de gloire et de révérence pendant tous les siècles Amen.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. Cet état supérieur auquel la Vénérable était élevée, consistait en une vision intellectuelle très sublime, que les mystiques ont coutume d’appeler suprême degré de contemplation en cette vie.
b. Ceci est conforme à la doctrine de saint Thomas qui met la lumière infuse dans l’intelligence du prophète pour donner son assentiment à la prophétie. (2-2, q. 171, a. 2 et q. 173, a. 2).
c. C’est ce que les théologiens appellent voir in proprio genere, quand on voit la personne en elle-même avec une vision purement intellectuelle, comme était celle avec laquelle la Vénérable voyait la très sainte Vierge et les anges.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE III
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De l’intelligence que j’eus de la Divinité et du décret de
Dieu concernant la création de l’univers.
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SOMMAIRE. – 26. Connaissance de l’Être de Dieu. – 27. Explication du mystère de la très sainte Trinité. – 28. Connaissance et amour des trois Personnes divines entre elles. – 29. Attributs et perfections de Dieu. – 30. Comment Dieu était avant de créer toute chose. – 31. Décret de Dieu de se communiquer au dehors par la création. – 32. Science de Dieu. – 33. Place que la Mère de Dieu occupa dans les décrets divins. – 34. Ordre des décrets.
25. Ô Roi Très-Haut et Seigneur très sage, combien vos jugements sont incompréhensibles 72 et vos voies inscrutables ! Dieu invincible qui demeurerez toujours 73 et dont on ne connaît point d’origine ; qui pourra connaître votre grandeur et qui suffira à chanter vos œuvres magnifiques ? Et qui pourra vous dire : pourquoi avez-vous fait ainsi 74 ? puisque vous êtes le Très-Haut au-dessus de tous et notre vue ne peut vous atteindre ni notre entendement vous comprendre. Soyez béni, ô Roi magnifique, parce que vous avez daigné montrer de grands sacrements et des mystères très sublimes à votre esclave, ce vil ver de terre, élevant mon habitation et ravissant mon esprit, où je vis ce que je ne pourrais dire 75. J’ai vu le Seigneur et Créateur de l’univers. J’ai vu une Altesse en elle-même avant d’avoir créé aucune chose. J’ignore la manière dont ce me fut montré, mais non ce que j’ai vu et entendu. Et sa Majesté, qui comprend tout, sait bien que pour parler de sa déité, mes pensées se suspendent, mon âme se trouble, mes puissances s’arrêtent dans leurs opérations ; et toute la partie supérieure, laissant l’inférieure déserte, répudie les sens et s’envole où elle aime, abandonnant ce qu’elle anime ; en de telles défaillances ou langueurs amoureuses, mes yeux répandent des larmes et ma langue se tait. Ô mon Seigneur très haut et très incompréhensible, objet infini de mon entendement ! combien je me trouve anéantie en votre présence, parce que vous êtes éternel et sans fin ; mon être se prosterne dans la poussière et c’est à peine si je m’aperçois moi-même ! Comment cette petitesse et cette misère osera-t-elle regarder votre magnificence et votre grande majesté ? Ô Seigneur, ranimez mon être, fortifiez ma vue et donnez de l’apaisement à mes craintes afin que je puisse rapporter ce que j’ai vu et obéir à votre commandement.
27. J’ai vu le Très-Haut par l’intelligence comment son Altesse était (a) en elle-même ; et j’ai eu une intelligence claire, une notion véritable de ce qu’est un Dieu infini et éternel en substance et en attributs, souveraine Trinité en trois personnes et un seul vrai Dieu (b) : trois personnes afin que s’exercent les opérations de se connaître, de se comprendre et de s’aimer (c), et un seul Dieu pour obtenir le bien de l’unité éternelle. Dieu est Trinité de Père, Fils et Saint-Esprit. Le Père n’est ni fait, ni créé, ni engendré, ni ne peut l’être, ni avoir d’origine. J’ai connu que le Fils procède du Père, mais seulement par la génération éternelle ; ils sont égaux dans la durée et l’éternité ; et il est engendré de la fécondité de l’entendement du Père. Le Saint-Esprit procède du Père et du Fils par amour. Dans cette Trinité individuée, il n’y a aucune chose que l’on puisse dire antérieure ou postérieure, plus grande ni moindre : toutes les trois Personnes en soi sont également éternelles et éternellement égales, car c’est une Unité d’essence et une Trinité de Personnes, un Dieu dans la Trinité individuée et trois Personnes dans l’unité d’une Substance. Les Personnes ne s’y confondent point pour n’y avoir qu’un Dieu et la Substance ne se sépare pas ni ne se divise pour y avoir trois Personnes ; ces Personnes étant distinctes dans le Père et le Fils et l’Esprit-Saint, il n’y a qu’une seule et même Divinité. Elles possèdent également la gloire et la majesté ; ainsi que la puissance, l’éternité, l’immensité, la sagesse, la sainteté et tous les attributs. Et quoique les Personnes en qui subsistent ces perfections infinies sont trois, le Dieu véritable, saint, juste, puissant, éternel et sans mesure est seul et unique.
28. J’eus aussi l’intelligence de ce que cette divine Trinité se comprend d’une simple vue, et sans qu’il soit nécessaire d’avoir une nouvelle et distincte connaissance : le Père sait ce que sait le Fils, et le Fils et l’Esprit-Saint ce que sait le Père, et ils s’aiment entre eux réciproquement d’un même amour immense et éternel ; c’est une unité égale et indivisible de comprendre, d’aimer et d’opérer, parce que c’est une nature indivisible, simple et incorporelle ; un être de vrai Dieu en qui toutes les perfections réunies et jointes ensemble se trouvent dans un degré suprême et infini.
29. J’ai connu la forme de ces perfections du Très-Haut qui est beau sans laideur, grand sans quantité, bon sans qualité, éternel sans temps, fort sans faiblesse, vie sans mortalité, véritable sans fausseté, présent en tout lieu, le remplissant sans l’occuper, car il est en toutes choses sans extension ; il n’y a point de contradiction dans sa bonté, ni de défaut dans sa sagesse ; il est inestimable en cette sagesse, terrible en conseil, juste en jugement, très secret en pensées, véritable en paroles, saint en œuvres, riche en trésors ; c’est lui qui n’est point agrandi par l’espace ni rétréci par l’étroitesse du lieu ; c’est lui dont la volonté ne varie point, qui n’est point troublé de ce qui est triste, pour qui les choses passées ne passent point, ni les futures ne se succèdent point, à qui l’origine ne donne point de commencement, ni le temps ne donnera point de fin. Ô immensité éternelle ! combien interminables sont les espaces que j’ai vus en toi ! Quelle infinité je reconnais dans ton Être infini ! La vue ne se termine point ni ne s’achève en regardant cet Objet illimité ! Et c’est l’Être immuable, l’Être au-dessus de tout être, la Sainteté très parfaite, la Vérité très constante. C’est l’infini, la latitude, la longitude, la hauteur, la profondeur, la gloire et sa cause, le repos sans fatigue, la bonté en un degré immense. J’ai vu tout cela ensemble et je ne puis réussir à dire ce que j’ai vu.
30. J’ai vu le Seigneur comme il était avant de créer l’univers et je regardais avec admiration où le Très-Haut avait son siège, parce qu’il n’y avait point de ciel empyrée, ni d’autres cieux inférieurs, ni soleil, ni lune, ni étoiles, ni éléments, le Créateur était seul sans aucune chose créée. Tout était désert, il n’y avait aucun être, ni anges, ni hommes, ni animaux ; et pour cette raison on doit nécessairement admettre que Dieu était dans son Être même, et qu’il n’avait aucune nécessité ni aucun besoin de toutes les choses qu’il créa ; parce qu’il était aussi infini en attributs avant de les créer comme après, il a eu et il aura ces attributs de toute éternité, comme sujet indépendant et incréé. Aucune perfection simple et parfaite ne peut manquer à sa Divinité, car seule cette Divinité est ce qu’elle est et elle contient toutes les perfections qui se trouvent dans toutes les créatures d’une manière ineffable et éminente ; et tout ce qui a l’être est dans cet Être infini comme les effets dans leur cause.
31. Je connus que le Très-Haut était dans l’état de son Être propre, lorsqu’il fut décrété, à notre manière de concevoir entre les trois divines Personnes de communiquer ses perfections de manière à en faire des dons. Pour mieux m’expliquer, il faut que j’avertisse que Dieu comprend toute chose par un acte indivisible en soi, acte très simple et sans discours : car il ne procède point de la connaissance d’une chose à la connaissance d’une autre, comme nous procédons nous-mêmes en discourant et en connaissant d’abord une chose par un acte de l’entendement et ensuite une autre chose par un autre acte ; mais Dieu connaît toutes les choses ensemble d’une fois sans qu’il y ait dans son entendement infini ni priorité ni postériorité, puisqu’elles sont toutes unies ensemble dans la connaissance et la science divine incréée comme elles le sont dans l’être de Dieu où elles sont renfermées et contenues comme dans leur premier principe (d).
32. Dans cette science qu’on appelle science de simple intelligence (e), on doit considérer en Dieu, selon la précédence de l’entendement à l’égard de la volonté, on doit considérer, dis-je, un ordre non de temps, mais de nature, suivant lequel nous entendons d’abord qu’il y eut l’acte de l’entendement, puis ensuite celui de la volonté. Ainsi nous considérons d’abord en Dieu le seul acte d’entendement, sans décret de vouloir créer aucune chose. Puis dans cet état ou instant, les trois Personnes divines conférèrent, par cet acte d’entendement, sur la convenance des œuvres ad extra, et de toutes les créatures qui ont été, qui sont et qui seront.
33. Sa Majesté voulut condescendre à répondre au désir que je lui proposai, quoique indigne, de savoir l’ordre qu’il garda, et celui que nous devons entendre dans la détermination de créer toutes les choses ; je le demandais pour savoir la place que la Mère de Dieu, notre Reine, occupa dans l’entendement divin : je dirai comme je pourrai ce qu’il me répondit et me manifesta et l’ordre que je compris dans ces idées en Dieu, les réduisant en instants ; parce que sans cela, on ne peut accommoder à notre capacité la connaissance de cette science divine, qui s’appelle déjà ici science de vision, à laquelle appartiennent les idées ou images des créatures qu’il décréta de créer (f) et qu’il tint idéalisées dans son entendement, les connaissant infiniment mieux que nous les voyons et les connaissons maintenant.
34. Puis quoique cette divine science soit une, très simple et très indivisible, néanmoins comme elle regarde plusieurs choses et que parmi ces choses il y a un ordre, car les unes sont premières et les autres viennent ensuite ; les unes ont l’être ou existence par d’autres, avec dépendance des unes aux autres : pour cela il est nécessaire de diviser la science de Dieu et aussi sa volonté en plusieurs instants ou actes, qui correspondent à divers instants selon l’ordre des objets. Ainsi nous disons que Dieu entendit et détermina d’abord ceci, puis cela, l’un pour l’autre. Et que s’il n’avait pas voulu ou connu d’abord par une science de vision une chose, il n’aurait pas voulu l’autre. Mais l’on ne doit pas entendre pour cela que Dieu ait plusieurs actes de comprendre ni de vouloir ; mais nous voulons signifier que les choses sont enchaînées entre elles et qu’elles se succèdent les unes aux autres ; et afin de mieux les imaginer avec cet ordre objectif, nous refondons, pour mieux les entendre, le même ordre dans les actes de la science et de la volonté divines.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. Le mot était peut aussi se rendre par subsistait, parce qu’en théologie on dit subsister tant des personnes que de l’essence divines (S. Thomas, I p. q. 29). « Nous disons subsister des choses qui n’existent pas en d’autres, mais en elles-mêmes. » « Tout ce qui est en Dieu subsiste » (ibid. q. 34, 2 ad 1).
b. Le mot Trinité, dit saint Thomas, est un composé de deux radicaux : trois et unité, signifiant ainsi le nombre des personnes d’une même essence (I p. q. 31).
c. Dans ces trois opérations consiste la béatitude de Dieu ; parce que selon saint Thomas, ces trois choses sont indispensables à la béatitude de tout être intelligent.
d. Que la science de Dieu n’est en aucune manière discursive, c’est la doctrine de saint Thomas (1 p. q. 14, a. 7).
e. La science divine est divisée par les écoles en science de simple intelligence et science de vision. La science de simple intelligence est la science que Dieu a des choses possibles, abstraction faite de leur existence ; on l’appelle aussi science abstractive. La science de vision est la science que Dieu a des choses qui existent, qui ont existé ou qui existeront par son décret ou sa permission.
f. Par la force du décret divin, les créatures idéalisées passent de l’état de possibles à celui de futures réelles et dès lors la science divine devient une science de vision.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE IV
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On distribue par instants les décrets divins, déclarant ce
que Dieu détermina dans chacun au sujet de sa
communication ad extra.
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SOMMAIRE. – 35. Premier instant : Dieu connaît ses perfections et l’inclination qu’il a de se communiquer au dehors de lui-même. – 36. Communication ad intra. – 37. Inclination de Dieu de se communiquer aux créatures. – 38. Second instant : La gloire de Dieu, fin de cette communication. – 39. Troisième instant : ordre que Dieu y pose ; l’Incarnation. – 40. L’union hypostatique, premier décret. – 41. Quatrième instant : dons accordés à l’Humanité de Jésus-Christ. – 42. Décret concernant la Mère de Dieu. – 43. Ses excellences. – 44. Dieu s’y montre plus admirable que dans la formation de toutes les autres créatures. – 45. Contrat ou promesse faite au Verbe touchant les dons de sa Mère. – 46. Cinquième instant : les anges ; Jésus-Christ leur Chef. – 47. Prédestination et réprobation des anges. – 48. Sixième instant : la création d’un peuple dont le Christ serait Roi. – 49. Obligation de louer Dieu. – 50. La Vénérable loue Dieu. La science fut en elle l’école de l’humilité. – 51. On pourrait faire plusieurs livres de ce chapitre.
35. Je compris que cet ordre doit être distribué par instants comme il suit : le premier est celui où Dieu connut ses attributs divins et ses perfections, ainsi que la propension et l’inclination ineffable qu’il avait de se communiquer au dehors de lui-même. La première connaissance fut que Dieu est communicatif ad extra. Son Altesse, contemplant la qualité de ses perfections infinies, la vertu et l’efficace qu’elles ont d’opérer des choses magnifiques, vit dans son équité qu’il était très convenable à sa souveraine bonté et comme dû et forcé de se communiquer, afin d’opérer selon son inclination communicative et d’exercer sa libéralité et sa miséricorde, distribuant en dehors de lui-même avec magnificence la plénitude des trésors infinis renfermés dans la Divinité. Parce qu’étant tout infini, il lui est plus naturel de faire des dons et des grâces qu’il l’est au feu de monter à sa sphère, à la pierre de descendre à son centre et au soleil de répandre sa lumière (a). Et cette mer profonde de perfections, cette abondance de trésors, cette infinité impétueuse de richesses, tout se porte à se communiquer de sa propre inclination, et par la volonté et la science de Dieu même qui se comprend et qui sait qu’en communiquant ses dons et ses grâces il ne les diminuera point, mais il les augmentera de la manière possible, en donnant un écoulement à cette source inépuisable de richesses.
36. Dieu regarda tout cela dans ce premier instant après la communication ad intra par les processions éternelles. Et en le regardant il se trouva comme sollicité par lui-même à se communiquer ad extra, connaissant qu’il était saint, juste, miséricordieux et pieux de le faire ; puisque rien ne le pouvait empêcher. Et conformément à notre manière de concevoir, nous pouvons imaginer que Dieu n’était point tranquille ni satisfait du tout dans sa propre nature, jusqu’à ce qu’il fut arrivé au centre des créatures, avec lesquelles il a ses délices 76 en les rendant participantes de sa Divinité et de ses perfections.
37. Deux choses me jettent dans l’admiration, me ravissent et attendrissent mon cœur tiède, le laissant anéanti dans cette connaissance et cette lumière que j’ai. La première est l’inclination et le poids qu’il y a en Dieu et la force de sa volonté pour communiquer sa divinité et les trésors de sa gloire. La seconde est l’immensité ineffable et incompréhensible des biens et des dons que j’ai connu qu’il voulait distribuer, et comment il les désignait et les destinait pour cela tout en demeurant infini comme s’il n’avait rien donné. Dans cette inclination et ce désir qu’avait sa grandeur, j’ai connu qu’il était disposé à sanctifier, à justifier, à remplir de dons et de perfections toutes les créatures ensemble et chacune en particulier, donnant à chacune plus qu’à tous les saints Anges et à tous les Séraphins ensemble, lors même que toutes les gouttes d’eau de la mer et tous les grains de sable, toutes les étoiles, les plantes, les éléments et toutes les créatures irraisonnables eussent été capables de raison et de recevoir ses dons, et que de leur côté elles se fussent disposées et qu’il n’y eut pas eu d’obstacle pour empêcher la communication de tous ces dons. Ô terribles effets du péché et de sa malice ! seul il suffit pour empêcher le courant impétueux de tant de biens éternels !
38. Le second instant fut de conférer de cette communication de la Divinité et de la décréter pour la raison et le motif qu’elle tournât à la plus grande gloire ad extra et à l’exaltation de sa Majesté, par la manifestation de sa grandeur. Et dans cet instant Dieu considéra sa propre exaltation comme fin de se communiquer libéralement, de répandre ses attributs et d’user de sa toute puissance, pour être connu, loué et glorifié.
39. Le troisième instant fut de connaître et de déterminer l’ordre et la disposition ou manière de cette communication, de sorte que la fin la plus glorieuse (b) fût obtenue en effectuant une détermination si ardue ; l’ordre qu’il devait y avoir entre les objets et la manière et la différence dont la Divinité et ses attributs devaient leur être communiqués : de façon que ce mouvement du Seigneur eût comme une fin honnête et des objets proportionnés, et qu’entre ces objets il y eût une disposition, une harmonie et une subordination des plus belles et des plus admirables. Dans cet instant, il fut déterminé en premier lieu que le Verbe divin prendrait chair humaine et se rendrait visible, la formation et la perfection de la très sainte Humanité de Notre Seigneur Jésus-Christ fut décrétée et elle demeura formée dans l’entendement divin ; et en second lieu celle des autres à son imitation, l’entendement divin idéalisant l’harmonie de la nature humaine avec son ornement et sa composition d’un corps organique et d’une âme pour ce corps, avec ses puissances capables de connaître son Créateur et d’en jouir, discernant le bien du mal et une volonté libre pour aimer le même Seigneur.
40. Je compris que le Seigneur voulait que cette union hypostatique de la seconde personne de la très sainte Trinité avec la nature humaine fût la première œuvre et l’objet par où l’entendement et la volonté de Dieu sortissent d’abord ad extra, pour des raisons très sublimes que je ne pourrai expliquer. L’une d’elles est qu’après que Dieu se fût connu et aimé en lui-même, le meilleur ordre était de connaître et d’aimer ce qui était le plus immédiat à sa Divinité, comme est l’union hypostatique. Une autre raison fut parce que la Divinité devait aussi se communiquer substantiellement ad extra, s’étant communiqué ad intra ; afin que l’intention et la volonté divine commençât ses œuvres par la fin la plus sublime, et qu’elle communiquât ses attributs avec un très bel ordre ; et que ce feu de la Divinité opérât d’abord tout le possible dans ce qui lui était le plus immédiat comme l’union hypostatique ; et que sa Divinité se communiquât d’abord à celui qui devait arriver au degré le plus sublime et le plus excellent après Dieu même, dans sa connaissance et son amour, dans les opérations et la gloire de sa propre Déité : afin que Dieu ne se mît pas en danger, pour ainsi dire, de manquer d’obtenir cette fin, la seule qui pouvait avoir quelque proportion avec une œuvre aussi merveilleuse et en être comme une justification. Il était aussi convenable et comme nécessaire (c) pour ainsi dire, si Dieu voulait donner l’être à plusieurs créatures, qu’il les disposât avec harmonie et subordination, harmonie et subordination des plus admirables et des plus glorieuses qu’il pût y avoir. Conformément à cela, il devait y avoir une créature qui fût chef et supérieure à toutes les autres, et autant que possible immédiate et unie à Dieu, et que les autres passassent par elle pour arriver à sa Divinité. Pour ces raisons et d’autres – que je ne peux expliquer, c’est dans le Verbe Incarné seul qu’on peut satisfaire à la dignité des œuvres de Dieu ; donc avec lui, il y a dans la nature un très bel ordre qui n’existerait pas sans lui.
41. Le quatrième instant fut de décréter les dons et les grâces qui devaient être donnés à l’Humanité de Notre Seigneur unie à la Divinité. Ici le Tout-Puissant déploya la main de sa toute-puissance libérale et de ses attributs pour enrichir cette Humanité très sainte et l’âme du Christ avec une abondance de dons et de grâces, dans la plénitude et le degré possibles. Dans cet instant fut déterminé ce que David a dit depuis : L’impétuosité du fleuve de la Divinité réjouit la Cité de Dieu 77, le courant de ses dons s’acheminant vers l’Humanité du Verbe et lui communiquant toute la science infuse et bienheureuse, toute la grâce et la gloire dont son âme très sainte était capable et qui convenait au sujet qui était tout ensemble vrai Dieu et vrai homme, et Chef de toutes les créatures capables de la grâce et de la gloire qui leur devaient résulter de ce courant impétueux selon l’ordre qui eut lieu.
42. Par conséquent, à cet instant et comme en second lieu, appartient le décret et la prédestination de la Mère du Verbe Incarné : parce qu’ici j’entendis que cette pure créature fut ordonnée avant qu’il y eut aucun décret d’en former d’autres. Ainsi elle fut conçue dans l’entendement divin avant toutes les autres créatures, comme il convenait et il appartenait à la dignité, à l’excellence, et aux dons de l’Humanité de son très saint Fils, et toute l’impétuosité du fleuve de la Divinité s’achemina vers elle immédiatement après lui, et cela, autant qu’une pure créature était capable de la recevoir et comme il convenait à la dignité de Mère.
43. Je confesse que l’intelligence que j’eus de ces mystères et ces décrets très sublimes me ravit d’admiration, m’enlevant hors de mon être propre. Et connaissant cette très sainte et très pure créature formée et idéalisée dans l’entendement divin, dès le principe, ab initio, et avant tous des siècles, j’exaltai le Tout-Puissant avec une grande jubilation de mon esprit pour l’admirable et mystérieux décret qu’il fit de nous donner une créature si pure, si grande, si mystique et si divine, plutôt propre à être admirée et louée de toutes les autres qu’à être décrite par aucune (d). Dans cette admiration, je pourrais dire, comme saint Denis l’Aréopagite (e), que si la foi ne m’eût enseigné et si l’intelligence de ce que je contemple ne m’eût donné à connaître que c’est Dieu qui la forma dans son esprit, et que sa toute-puissance seule pouvait et peut former une telle image de sa Divinité, si tout cela, dis-je, ne m’eût été montré en même temps, j’eusse pu douter que la Mère de Dieu fût, elle aussi, une Divinité.
44. Oh ! que mes yeux répandent de larmes ! que mon âme ressent d’étonnement douloureux de voir que ce prodige divin n’est pas connu, que cette merveille du Très-Haut n’est point manifestée à tous les mortels ! On en connaît beaucoup, mais on en ignore beaucoup plus : parce que ce livre scellé n’a pas été ouvert. Je demeure ravie dans la connaissance de ce tabernacle de Dieu et je reconnais son Auteur pour plus admirable dans sa formation que dans tout le reste des choses créées et inférieures à cette Souveraine (f), bien que la diversité des créatures manifeste avec admiration la puissance de leur Créateur : car dans cette seule Reine de l’univers sont renfermés et contenus plus de trésors qu’en toutes les autres, et la variété et le prix de ses richesses exaltent leur Auteur plus que toutes les créatures ensemble.
45. Ici, selon notre manière de concevoir, il fut promis au Verbe et il lui fut fait comme un contrat de la sainteté, de la perfection et des dons de grâce et de gloire qu’aurait celle qui devait être sa Mère, et de la protection, du refuge et de la défense de cette vraie Cité de Dieu, en qui sa Majesté contempla les grâces et les mérites que cette Auguste Souveraine acquerrait pour elle-même, et les fruits qu’elle gagnerait pour son peuple, ainsi que l’amour et le retour qu’elle rendrait à sa Majesté. Dans ce même instant et comme en troisième et dernier lieu, Dieu détermina de créer un lieu, une place où le Verbe Incarné et sa Mère devaient habiter et converser. Ce fut donc en premier lieu pour eux, et pour eux seuls qu’il créa le ciel et la terre avec leurs astres et leurs éléments et tout ce qui y est contenu. L’intention ou décret secondaire fut pour les membres dont il devait être le Chef, pour les vassaux dont il devait être le Roi ; car cette providence royale disposa et prépara d’avance tout le nécessaire et le convenable.
46. Je passe au cinquième instant, bien que, j’aie trouvé ce que je cherchais. Dans ce cinquième fut déterminé la création de la nature angélique, dont la création fut d’abord prévue et la disposition admirable des neuf chœurs et des trois hiérarchies décrétée comme étant la plus excellente et la plus correspondante à la Divinité, par son être spirituel. De première intention, les anges furent créés pour la gloire de Dieu, pour assister auprès de sa divine grandeur, pour le connaître et pour l’aimer ; conséquemment et secondairement, ils furent créés pour assister, glorifier et honorer, révérer et servir l’Humanité déifiée dans le Verbe Éternel, la reconnaissant pour leur Chef, et reconnaissant sa Mère la très sainte Marie pour leur Reine ; et il leur fut donné 78 commission de la porter dans leurs mains par toutes ses voies. Et dans cet instant, Notre Seigneur Jésus-Christ leur mérita, par ses mérites présents et prévus, toute la grâce qu’ils reçurent. Il fut institué leur Chef, leur exemplaire et leur suprême Roi ; eux étaient ses vassaux. Et quoique le nombre des Anges allait être infini (g), les mérites de notre bien-aimé Jésus-Christ furent très suffisants pour leur mériter la grâce (h).
47. À cet instant appartient la prédestination des bons Anges et la réprobation des mauvais. Dieu y vit et connut par sa science infinie toutes les couvres des uns et des autres avec l’ordre dû, pour prédestiner par sa volonté libre et sa miséricorde libérale ceux qui le révéreraient et lui obéiraient, et pour réprouver par sa justice ceux qui s’élèveraient contre sa Majesté dans l’orgueil et la désobéissance par leur amour-propre désordonné. Au même instant il fit la détermination de créer le ciel empyrée pour y manifester sa gloire et récompenser les bons ; la terre et le reste pour les autres créatures et dans son centre ou sa profondeur, l’enfer pour le châtiment des mauvais anges (i).
48. Dans le sixième instant il fut déterminé de créer un peuple, une congrégation d’hommes pour Jésus-Christ déjà déterminé d’avance dans l’entendement de Dieu et sa volonté, à l’image et à la ressemblance duquel la formation de l’homme fut décrétée, afin que le Verbe Incarné eût des frères semblables et inférieurs à lui, un peuple de sa propre nature dont il fût le Chef. Dans cet instant fut déterminé l’ordre de la création de tout le genre humain qui devait commencer d’un seul homme et d’une seule femme et qui se propagerait après eux jusqu’à la Vierge et à son Fils selon l’ordre qui fut conçu. La grâce et les dons que notre bien-aimé Jésus-Christ devait leur accorder, et la justice originelle, s’ils voulaient y persévérer, furent ordonnés ; prévue aussi fut la chute d’Adam et en lui de tous ses descendants, excepté la Reine de l’univers qui ne fut pas comprise dans ce décret (j) ; il fut ordonné, comme remède, que l’Humanité très sainte de Jésus-Christ serait passible ; les prédestinés furent choisis par une grâce libérale et les réprouvés, rejetés par la droite justice (k). Tout ce qui était nécessaire et convenable pour la conservation de la nature humaine fut ordonné, afin que pût être obtenue cette fin de la Rédemption et de la prédestination, laissant aux hommes leur volonté libre, étant plus conforme à leur nature et à l’équité divine. Il ne leur fut fait en cela aucun tort ; parce que s’ils pouvaient pécher avec leur libre arbitre, ils pouvaient aussi ne le point faire avec la grâce et la lumière de la raison : Dieu ne devait violenter personne, ni non plus manquer à personne et refuser le nécessaire. Et puisqu’il a écrit sa loi dans le cœur de tous les hommes 79, aucun ne peut se disculper de ne pas le reconnaître et de ne pas l’aimer comme son bien suprême et l’Auteur de toutes les créatures.
49. Dans l’intelligence de toutes ces merveilles, je connaissais, avec une plus grande clarté et une plus grande force, les motifs si sublimes qu’ont les mortels de louer et d’adorer la grandeur du Créateur et Rédempteur des hommes de ce qu’il s’est manifesté dans ses œuvres et il nous a démontré sa magnificence. Je connaissais aussi combien ils sont tardifs dans la connaissance de ces obligations et dans le retour de tels bienfaits, et combien le Très-Haut se plaint et s’indigne de cet oubli. Sa Majesté me commanda de ne point commettre une telle ingratitude et il m’y exhorta ; mais plutôt de lui offrir un sacrifice de louange et un cantique nouveau et de l’exalter pour toutes les créatures.
50. Ô mon Seigneur incompréhensible et Très-Haut ! qui aurait l’amour et les perfections de tous les Anges et de tous les justes pour confesser et louer dignement votre grandeur ! Je confesse, ô grand et puissant Seigneur, que moi, très vile créature, je ne pouvais mériter un bienfait aussi mémorable que de me donner cette connaissance et cette lumière si claire de votre Majesté très sublime, à la vue de laquelle je vois aussi ma petitesse que j’avais ignorée jusqu’à cette heure si heureuse ; et je ne connaissais point ce qu’était la vertu de l’humilité que l’on apprend dans cette science. Je ne veux point dire que je l’ai maintenant ; mais je ne nie point non plus que je connais la voie certaine pour la trouver ; parce que votre lumière m’illumine, ô Très-Haut, et votre lampe m’enseigne les sentiers 80 par où je vois ce que j’ai été et ce que je suis, et je crains ce que je puis être. Éclairez mon entendement, ô Roi très-haut, et enflammez ma volonté par l’objet très noble de ces puissances, et soumettez-moi tout entière à tout ce qui vous est agréable. C’est ce que je confesse à tous les mortels, afin qu’ils m’abandonnent et que je les abandonne. Je suis pour mon Bien-Aimé et bien que je le démérite, mon Bien-Aimé est pour moi 81. Ranimez donc ma faiblesse, ô Seigneur, afin que je coure à l’odeur de vos parfums 82, qu’en courant je vous atteigne, et qu’en vous atteignant je ne vous quitte plus ni ne vous perde.
51. Je suis très balbutiante et très brève dans ce chapitre, parce qu’on pourrait en faire plusieurs livres ; mais je me tais parce que je ne sais point parler ; je ne suis qu’une femme ignorante et ma seule intention a été de déclarer comment la Vierge Mère fut idéalisée et prévue ante sæcula 83 dans l’entendement divin. Quant à ce que j’ai compris outre ce très sublime mystère, je retourne à mon intérieur et, toute recueillie dans une silencieuse admiration, je loue l’Auteur de ces merveilles avec le cantique des bienheureux en disant : Saint, Saint, Saint est le Dieu des armées 84.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. Saint Clément d’Alexandrie a écrit également : Il est de la nature de Dieu de faire des biens, comme de celle du feu de réchauffer et de la lumière, d’illuminer. I Strom., c. 3.
Il est à remarquer que le mot instant dans ce chapitre a une valeur purement logique et relative à notre concept, et non chronologique ou supposant une mesure quelconque du temps.
b. Dans l’intention que Dieu eut de se manifester, les théologiens mettent toujours le but de sa propre gloire.
c. Le mot nécessaire est pris ici dans le sens de saint Thomas quand il écrit : « Afin que l’homme obtînt plus facilement et plus sûrement son salut, il fut nécessaire que le Verbe se fît chair. » (3 p., q. 1 a 2.)
d. Saint Thomas de Villeneuve dit de la Très Sainte Marie qu’elle est plus grande qu’on ne peut le penser. Et saint Épiphane : « Elle est supérieure à tous excepté Dieu. »
e. Epist. ad Paulum.
f. Sur ces paroles : Plusieurs filles ont amassé des richesses, tu les as toutes surpassées, Prov. XXXI, 29, saint Bonaventure observe : Par ces filles si nous entendons les âmes saintes ou les intelligences angéliques, aucune d’elles n’a surpassé toutes les autres, si ce n’est Marie la Première des Vierges, le Miroir des Confesseurs, la Rose des Martyrs, le Registre des Apôtres, l’Oracle des Prophètes, la Fille des Patriarches, la Reine des Anges. Car rien ne lui a manqué de toutes leurs richesses. In spec. c. 2.
g. Infini dans le sens d’innombrablement grand. Voir Daniel, VII, 10.
h. Saint Thomas dit que Jésus-Christ est le chef des Anges, parce qu’il est manifeste que les hommes et les anges furent ordonnés à une même fin, qui est la gloire de la fruition divine : de là, le corps mystique de l’Église ne consiste pas seulement des hommes, mais aussi des anges : et Jésus-Christ est le chef de toute cette multitude ; parce qu’il est plus proche de Dieu. Il n’y a pas que les hommes qui reçoivent de son influence, mais les anges aussi (3 p. q. 8, a. 4). Ce qui doit être entendu, non-seulement de Jésus-Christ en tant que Dieu, mais aussi en tant qu’homme ; c’est-à-dire que même en tant qu’homme il mérita aux Anges toute leur grâce et leur gloire.
i. Que l’enfer ait été préparé dès le principe pour punir les mauvais Anges, le saint Évangile le dit par ces paroles de Jésus-Christ : Allez au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges. Que le lieu de l’enfer soit dans le centre de la terre, différents endroits de l’Écriture semblent le marquer. Parlant de Jésus-Christ, saint Paul dit : Il descendit dans les parties inférieures de la terre (Eph. IV, 9). Dans l’Apocalypse : Toutes les créatures dans le ciel, sur la terre et sous la terre rendirent gloire à Dieu (V, 13). Et plusieurs autres.
j. Marie ne dépendant point d’Adam dans l’existence, ayant été décrétée avant lui, ne devait pas non plus dépendre de sa volonté pour encourir la faute ; car ceci ne s’accorderait pas avec la dignité de Mère de Dieu pour laquelle Marie fut créée et en conséquence de laquelle elle fut constituée Reine de toutes les créatures ; l’on ne peut supposer qu’Adam, serviteur du Fils et de la Mère, fût constitué chef moral de la Mère de son Roi et de son Dieu, dans une chose de si grande importance comme la transmission du péché.
k. Voici la prédestination gratuite des justes et la réprobation des méchants à cause de leurs démérites futurs.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE V
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Des intelligences que le Très-Haut me donna de la Sainte
Écriture, en confirmation du chapitre précédent ;
elles sont du chapitre VIII des Proverbes.
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SOMMAIRE. – 52. Le Seigneur remet la Vénérable Mère au chapitre VIII des Proverbes. – 53. Citation de ce chapitre. – 54. Le chapitré cité parle à la lettre de Jésus-Christ et de sa Mère. – 55. Comment Dieu posséda le Christ dans le principe ; comment il posséda Marie. – 56. Jésus-Christ et sa Mère furent les premiers décrétés avant tous les autres êtres futurs. – 57. L’ordre des décrets commença par Jésus-Christ ; ensuite ce fut Marie. – 58. Jésus-Christ et Marie précédèrent Adam. – 59. Ils précédèrent les décrets du reste de la création. – 60. Des saints, des patriarches et des anges. – 61. Jésus-Christ supérieur aux anges, même selon l’humanité. – 62. Marie a été conçue ou engendrée dans l’entendement divin. – 63. Jésus-Christ et Marie précédèrent le Paradis et l’Église militante. – 64. Ils assistèrent à la prédestination des saints. – 65. Termes que Dieu posa aux abîmes de sa Divinité. – 66. Les eaux de la grâce refluèrent de Jésus-Christ en Marie. – 67. Jésus-Christ et sa Mère furent présents à la fondation de la terre. – 68. Joie du Verbe Incarné dans les œuvres de la Providence. – 69. Ses délices dans l’exécution des œuvres de notre Rédemption. – 70. Amour de Dieu pour les hommes et leur ingratitude. – 71. Toutes les choses qui devaient exister furent présentes de toute éternité dans l’entendement divin.
52. Je parlerai à votre grande Majesté, Seigneur, puisque vous êtes Dieu de miséricorde, quoique je ne sois que poussière et cendre 85 et je supplierai votre grandeur incompréhensible de regarder de votre trône très sublime cette créature très vile et plus qu’inutile, et de m’être propice en me continuant votre lumière pour éclairer mon entendement. Parlez, Seigneur, car votre servante écoute 86. Le Très-Haut, le correcteur des sages 87, parla donc. Il me renvoya au chapitre VIII des Proverbes, où il me donna l’intelligence de ce mystère, comme il est contenu dans ce chapitre ; et la lettre me fut d’abord déclarée comme suit :
53. « Le Seigneur me posséda dans le principe de ses voies 88, avant de faire aucune chose, dès le commencement. Dès l’éternité j’ai été ordonnée et dès les choses anciennes avant que la terre fut faite. Les abîmes n’étaient même pas et j’étais conçue : les fontaines des eaux n’avaient même pas surgi, les montagnes n’étaient pas encore assises avec leur grave poids : avant les collines j’étais engendrée : avant que la terre fût faite, ainsi que les fleuves et les fondements du globe. Quand il préparait les cieux j’étais présente ; quand avec une loi certaine et un cercle il faisait une digue aux abîmes ; quand il affermissait les cieux en haut et qu’il pesait les fontaines des eaux, quand il entourait la mer de ses limites, et qu’il posait une loi aux eaux afin qu’elles ne sortissent point de leurs bornes ; quand il posait les fondements de la terre, j’étais avec lui composant toutes les choses, et je me réjouissais tous les jours, jouant en sa présence en tous temps ; jouant dans le globe des terres, et mes délices et mes complaisances sont d’être avec les enfants des hommes. »
54. Jusqu’ici est le passage des Proverbes dont le Très-Haut me donna l’intelligence. Et d’abord je compris qu’il parlait des idées ou décrets qu’il eut dans son entendement divin avant de créer le monde ; et qu’il parlait à la lettre de la personne du Verbe Incarné et de sa très sainte Mère, et mystiquement des saints Anges et des Prophètes : parce qu’avant de faire aucun décret et de former les idées de créer le reste des créatures matérielles, l’Humanité très sainte de Jésus-Christ et sa Mère très pure furent décrétées, et c’est ce que signifient les premières paroles.
55. Le Seigneur me posséda dans le principe de ses voies. En Dieu il n’y avait point de voies, sa Divinité n’en avait pas besoin ; mais il le fit, afin que par elles toutes les créatures capables de sa connaissance le connussent et allassent à lui. Dans ce principe, avant qu’aucune autre chose fût fabriquée dans son idée, quand il allait faire des sentiers et ouvrir des voies dans son entendement divin pour communiquer sa Divinité, pour donner commencement à tout, il décréta premièrement de créer l’Humanité du Verbe qui devait être la voie par où les autres devaient aller au Père 89. Et joint à ce décret fut celui de sa très sainte Mère (a), par laquelle sa Divinité devait venir au monde, se formant et naissant d’elle Dieu et Homme ; et pour cela il dit : Dieu me posséda, parce que sa Majesté posséda les deux : le Fils, car selon la Divinité, il était la possession, la propriété et le trésor du Père, sans pouvoir se séparer de lui, parce qu’ils sont une même substance et une même Divinité avec l’Esprit-Saint. Il le posséda aussi selon l’humanité, par la connaissance et le décret de la plénitude de grâce et de gloire qu’il devait lui donner dès sa création et son union hypostatique. Et ce décret et cette possession ayant à s’exécuter par le moyen de la Mère qui devait engendrer et enfanter le Verbe puisqu’il ne détermina point de créer son corps et son âme de rien, ni d’une autre matière, il était conséquent de posséder celle qui devait lui donner la forme humaine. Et ainsi il la posséda et se l’adjugea dans ce même instant, voulant efficacement qu’en aucun temps ni moment, le genre humain ni aucun autre n’eut droit ni part en elle du côté de la grâce, mais le Seigneur même qui se levait avec cette propriété comme sa seule part, et aussi seulement sienne qu’elle devait l’être pour lui donner la forme humaine de sa propre substance, elle seule l’appeler Fils, et lui seul l’appeler Mère, et Mère digne d’avoir Dieu pour Fils, devant se faire homme. Et comme elle précédait toutes les créatures en dignité, de même elle les précéda dans la volonté et l’entendement du suprême Créateur. Pour cette raison elle dit :
56. Dans le principe, avant que rien ne fût fait. Dès l’éternité je fus ordonnée et dès les choses anciennes. Dans cette éternité de Dieu que nous concevons maintenant comme imaginant un temps interminable, quelles étaient les choses anciennes si aucune n’était créée ? Il est clair que le texte parle des trois Personnes divines, et c’est dire que dès sa Divinité sans principe et de ces choses qui seules sont anciennes qui est la Trinité individuée, puisque tout le reste qui a un commencement est moderne, je fus ordonnée, lorsque l’antique Incréée 90 seul précédait, et avant que fût imaginé le futur créé. L’union hypostatique tint le milieu entre ces deux extrêmes ; et cette union hypostatique s’opéra par l’intervention de la Très Sainte Marie ; ainsi les deux furent ordonnés immédiatement après Dieu et avant toute créature. Et ce fut la plus admirable ordonnance qui ait jamais été faite et qui ne se fera jamais. La première et la plus admirable image de l’entendement de Dieu, après la génération éternelle, fut Jésus-Christ et ensuite sa Mère.
57. Et quel autre ordre peut-il y avoir en Dieu où l’ordre est que ce qu’il a en soi soit joint tout ensemble, sans qu’il soit nécessaire qu’une chose suive une autre, ni qu’aucune n’attende les perfections d’une autre pour se perfectionner, ou qu’elles se succèdent entre elles. Dans sa nature éternelle, tout fut, est et sera toujours ordonné. Ce qu’il ordonna fut que la personne du Fils s’incarnerait et que par cette Humanité unie à Dieu commençât l’ordre de l’agrément divin et de ses décrets, et qu’elle fût le Chef et l’exemplaire de tous les autres hommes et de toutes les créatures, et qu’à ce Chef tous fussent ordonnés et subordonnés ; parce que tel était le meilleur ordre, le concert et l’harmonie des créatures, qu’il y en eut un qui fût premier et supérieur et qu’ainsi toute la nature fût ordonnée et en particulier les mortels. Et parmi ceux-ci, la première était la Mère du Dieu Homme, comme étant la suprême pure créature et la plus immédiate au Christ et en lui à la Divinité. Selon cet ordre furent dirigés les conduits de la fontaine cristalline qui sortait du trône de la nature divine, acheminée d’abord à l’Humanité du Verbe 91 et ensuite à sa Mère très sainte dans le degré et la manière possible à une pure créature Mère du Créateur. Et le convenable était que tous les attributs divins fussent versés en elle, sans qu’il lui en fût refusé aucun, en autant qu’elle était capable de les recevoir ; afin qu’elle fût inférieure à Notre Seigneur Jésus-Christ seul, et supérieure en degrés incomparables de grâce à tout le reste des créatures capables de grâces et de dons. Tel fut l’ordre si bien disposé par la Sagesse, de commencer par Jésus-Christ et sa Mère, et ainsi le texte ajoute :
58. Avant que la terre fût faite, les abîmes mêmes n’étaient pas encore et j’étais conçue. Cette terre fut celle du premier Adam ; et avant que sa formation fût décrétée et que dans l’entendement divin les abîmes des idées ad extra fussent formés, Notre Seigneur Jésus-Christ et sa Mère étaient idéalisés et formés. On les appelle abîmes, parce qu’entre l’être de Dieu incréé et celui des créatures, il y a une distance infinie : et celle-ci se mesure à notre manière de concevoir, quand les créatures seules furent idéalisées et formées, car alors aussi furent formés à leur manière ces abîmes de distance infinie. Or, avant tout cela, le Verbe était déjà conçu, non-seulement par sa génération éternelle du Père, mais aussi sa génération temporelle d’une Mère Vierge et pleine de grâce était décrétée et conçue dans l’entendement divin ; parce que sans la Mère et une telle Mère, le décret de cette génération temporelle ne se pouvait (b) déterminer par un décret efficace et accompli. C’est donc alors que la très sainte Marie fut conçue dans cette immensité béatifique, que sa mémoire éternelle fut écrite dans le sein de Dieu, afin qu’elle n’en fût jamais effacée pendant tous les siècles et les éternités. Et ainsi elle demeura toujours étampée et désignée par le suprême Artiste dans son propre entendement et possédée de son amour par un embrassement inséparable.
59. Les fontaines des eaux n’avaient pas même surgi. Les images ou idées des créatures n’étaient pas même sorties de leur principe ou origine ; parce que les sources de la Divinité ne s’étaient pas ouvertes par la bonté et la miséricorde comme par des conduits, pour que la volonté divine se déterminât à la création de l’univers et à la communication de ses attributs et de ses perfections : parce qu’à l’égard de tout le reste de l’univers, ces eaux et ces sources refoulées et retenues au dedans de l’immense océan de la Divinité n’étaient même pas : et dans son Être même, il n’y avait point de source ni de courant pour se manifester et ils n’avaient point été acheminés vers les hommes ; mais lorsqu’ils le furent, ils étaient déjà dirigés vers l’Humanité très sainte et sa Mère Vierge. Et ainsi le texte ajoute :
60. Les montagnes n’étaient pas encore assises avec leur grave poids ; parce que Dieu n’avait pas décrété alors la création des hautes montagnes qui sont les Patriarches, les Prophètes, les Apôtres, les Martyrs et les autres saints de la plus grande perfection ; le décret d’une si grande détermination n’était pas assis avec son grave poids et son équité, selon la forte et suave manière que Dieu a dans ses conseils et ses grandes œuvres. Et non-seulement j’étais engendrée avant les montagnes qui sont les grands saints, mais même avant les collines qui sont les chœurs des saints anges (c), avant lesquels la très sainte Humanité unie hypostatiquement au Verbe divin ainsi que la Mère qui l’engendra fut formée dans l’entendement divin. Le Fils et la Mère furent avant tous les chœurs angéliques ; or il faut comprendre ce que David dit dans le psaume VIII : Qu’est-ce que l’homme ou le fils de l’homme, pour que vous vous souveniez de lui, Seigneur, et que vous le visitiez ? Vous l’avez fait un peu moindre que les anges, etc., il faut que tous sachent et comprennent qu’il y a un homme et Dieu tout ensemble qui est au-dessus de tous les Anges et les hommes, et que tous sont ses inférieurs et ses serviteurs parce qu’il est Dieu, et comme homme il est supérieur et pour cela il est le premier dans l’entendement et la volonté de Dieu, et avec lui est jointe inséparablement une femme, une Vierge très pure, sa Mère, Supérieure et Reine de toutes les créatures.
61. Et si l’homme, comme dit le même psaume, fut couronné d’honneur et de gloire, et constitué au-dessus de toutes les œuvres des mains du Seigneur, ce fut parce que son Chef, l’Homme-Dieu, lui mérita cette couronne, ainsi que celle que les anges reçurent. Et le même psaume ajoute qu’après avoir diminué l’homme à être moindre que les anges, il le plaça au-dessus de ses ouvrages ; or les anges aussi sont des ouvrages de ses mains. Et ainsi David comprit le tout en disant qu’il fit les hommes un peu moindres que les Anges ; mais qu’il y avait un certain homme, quoique inférieur dans son être naturel, qui était supérieur et constitué au-dessus des anges mêmes, œuvres des mains de Dieu. Et cette supériorité était de l’être de grâce, et non-seulement du côté de la Divinité unie à l’Humanité, mais de l’Humanité même et de la grâce qui résultait en elle de l’union hypostatique et de là à sa très sainte Mère. Et quelques-uns des saints aussi, en vertu de leur Seigneur incarné, peuvent arriver à un degré supérieur et à un siège au-dessus des anges. Et le texte dit :
62. J’étais engendrée ou née, ce qui dit plus que conçue : car être conçue se rapporte à l’entendement divin de la bienheureuse Trinité quand l’Incarnation fut connue et qu’il fut conféré de ses convenances ; mais être née se rapporte à la volonté qui détermina cette œuvre, afin qu’elle eût une exécution efficace, la Très Sainte Trinité déterminant dans ses divins conseils et comme exécutant d’abord en elle-même cette œuvre merveilleuse de l’union hypostatique et de l’être de la très sainte Marie. Et pour cela elle dit d’abord dans ce chapitre qu’elle fut conçue, et ensuite engendrée ou née ; parce qu’elle fut d’abord connue et ensuite déterminée et voulue.
63. Avant que la terre fût faite et les fleuves et les fondements de la terre. Avant de former une autre seconde terre (car pour cela le mot terre est répété deux fois) qui fut celle du paradis terrestre où le premier homme fut porté 92 après avoir été créé de la terre première du champ de Damas, avant cette seconde terre où l’homme pécha, se fit la détermination de créer l’Humanité du Verbe et la matière dont elle devait être formée, qui était la Vierge ; parce que Dieu devait la prévenir d’avance afin qu’elle n’eût point de part dans le péché et qu’elle n’y fût point assujettie. Les fleuves et les fondements de la terre sont l’Église militante 93 et les trésors de grâce et de dons qui devaient émaner avec impétuosité de cette source de la Divinité, s’acheminant vers tous, et efficacement vers les saints et les élus, qui, comme des fondements, se meuvent en Dieu, sont dépendants de sa volonté et lui sont attachés par les vertus de foi, d’espérance et de charité, par le moyen desquelles ils sont sustentés, vivifiés et gouvernés, se mouvant vers le souverain Bien et la dernière fin et aussi vers la conversation humaine, sans perdre les fondements sur lesquels ils s’appuient. On comprend encore ici les sacrements et la structure de l’Église, sa protection et sa fermeté invincibles, sa beauté et sa sainteté sans tache ni rouille, et c’est ce que signifient ce globe et ces fleuves de grâce. Et avant que le Très-Haut eût préparé tout cela, et qu’il eût ordonné ce globe et ce corps mystique dont Jésus-Christ notre Bien devait être le Chef, il avait déjà décrété l’union du Verbe avec la nature humaine et sa Mère, par le moyen et l’intervention de laquelle il devait opérer ces merveilles dans le monde.
64. J’étais présente quand il préparait les cieux. Lorsqu’il préparait et qu’il prédisposait le ciel et la récompense qu’il devait donner aux justes, enfants de cette Église après leur exil, là était l’Humanité unie au Verbe, leur méritant la grâce comme Chef et avec lui était sa Mère, et lorsque Dieu préparait la grâce et la gloire qu’il voulait donner aux saints, il avait déjà préparé la plus grande part de cette gloire pour ce Fils et cette Mère.
65. Quand avec une loi certaine et un cercle il faisait une digue aux abîmes. Lorsqu’il déterminait de renfermer les abîmes de sa Divinité dans la personne du Fils avec une loi certaine et un terme qu’aucun vivant ne pût la voir ni la comprendre. Lorsqu’il faisait un cercle et un circuit où personne n’a pu ni ne pourra entrer, outre le Verbe seul (car seul il peut se comprendre), pour rapetisser et cacher sa Divinité 94 dans l’Humanité, et la Divinité et l’Humanité dans le sein de la très sainte Marie d’abord, et ensuite dans la petite quantité des espèces du pain et du vin ; et, avec elles, dans la poitrine étroite de l’homme pécheur et mortel. Tout cela est signifié par ces abîmes, cette loi et ce cercle ou terme que le texte appelle loi certaine, soit à cause des grandes choses qu’il renferme, ou de la certitude de ce qui paraît impossible à être, aussi bien que difficile à expliquer ; parce qu’il ne semble pas que la Divinité dût tomber sous une loi, ni se renfermer dans des bornes déterminées : mais la sagesse et la puissance du Seigneur put faire cela, et il le rendit possible, se cachant dans une chose limitée.
66. Quand il affermissait les cieux en haut et pesait les fontaines des eaux ; quand il entourait la mer de ses limites et posait une loi aux eaux, afin qu’elles ne sortissent point de leurs bornes. Ici les justes sont appelés cieux, car ils le sont, puisque Dieu a sa demeure et son habitation en eux par la grâce, et par cette grâce il leur donne stabilité et fermeté, les élevant même pendant qu’ils sont voyageurs au-dessus de la terre, selon la disposition de chacun : et ensuite dans la Jérusalem céleste, il leur donne une place et un siège selon leurs mérites. Il pèse pour eux les fontaines des eaux, et il les divise en distribuant à chacun avec poids et équité les dons de la grâce et de la gloire, les vertus, les secours et les perfections, selon la disposition de la divine sagesse. Lorsqu’il se déterminait de faire la division de ces eaux, il avait été décrété de donner à l’Humanité unie au Verbe toute la mer de grâce et de dons qui lui résultait de la Divinité comme Fils unique du Père. Et quoique tout cela fût infini, il posa un terme à cet océan, et ce terme fut l’humanité où habite la plénitude de la Divinité 95 et même elle demeura couverte de ce terme pendant trente-trois ans, afin d’habiter avec les hommes et qu’il n’arrivât pas à tous ce qui arriva aux trois Apôtres sur le Thabor 96. Et dans le même instant que toute cette mer et ces sources de la grâce arrivèrent à Notre Seigneur Jésus-Christ, comme immédiat à la Divinité, elles rejaillirent à sa très sainte Mère, comme immédiate à son Fils unique ; parce que sans la Mère et une telle Mère, les dons de son Fils n’eussent pas été disposés avec ordre et avec souveraine perfection ; et l’on ne pouvait commencer par un autre fondement l’harmonie admirable de la structure et de l’édifice céleste et spirituel et la distribution des dons dans l’Église militante et triomphante.
67. Quand il posait les fondements de la terre, j’étais avec lui composant toutes choses. Les œuvres ad extra sont communes à tontes les trois divines Personnes, parce que toutes trois elles sont un seul Dieu, une seule sagesse et une seule puissance, ainsi il était inévitable et nécessaire que le Verbe, en qui toutes les choses furent faites 97, fût avec le Père pour les faire. Mais ici il est dit davantage, parce que le Verbe fait chair était déjà présent avec sa très sainte Mère dans la volonté divine ; car de même que toutes les choses furent faites par le Verbe en tant que Dieu ; de même aussi les fondements de la terre et tout ce qui y est contenu furent crées pour lui en premier lieu, fin très noble et très digne. Et pour cela il dit :
68. Et je me réjouissais tous les jours, jouant en sa présence en tous temps ; jouant dans le globe des terres. Le Verbe fait homme se jouait tous les jours, parce qu’il connaissait tous les jours des siècles et les vies des mortels qui ne sont qu’un petit jour comparées à l’éternité 98. Et il se jouait de ce que toute la succession de la création aurait un terme, afin que le dernier jour étant accompli en toute perfection, les hommes pussent jouir de la grâce et de la couronne de la gloire. Il se jouait comme comptant les jours où il devait descendre du ciel sur la terre et prendre chair humaine. Il connaissait que les pensées et les œuvres des hommes terrestres étaient comme un jeu, et que tout était vanité et tromperie. Et il regardait les justes qui, bien que faibles et limités, étaient à propos pour qu’il pût leur communiquer et leur manifester sa gloire et ses perfections. Il regardait son Être immuable et le peu de durée des hommes, et comment il devait s’incarner et vivre avec eux, et il se réjouissait dans ses propres œuvres, et en particulier dans celles qu’il préparait pour sa très sainte Mère de qui il lui était si agréable de prendre la forme humaine et de la rendre digne d’une œuvre si admirable ; tels sont les jours où le Verbe Incarné se réjouissait, et comme le décret efficace de la volonté divine et l’exécution de tout suivait le concept et l’idéalisation de toutes ces choses, le Verbe divin ajouta :
69. Et mes délices sont d’être avec les enfants des hommes. Ma joie est de travailler pour eux et de les favoriser, et mon allégresse est d’être leur Maître et leur Rédempteur. Mes délices sont de relever le pauvre 99 de la poussière, et de m’unir avec l’humble, et d’humilier pour cela ma Divinité ; de la couvrir et de la cacher avec leur nature ; de me restreindre et de m’humilier ; suspendant la gloire de mon corps pour me rendre passible et leur mériter l’amitié de mon Père, et être leur Médiateur entre sa très juste indignation et la malice des hommes, enfin être leur Chef et leur Exemplaire qu’ils puissent suivre et imiter. Telles sont les délices du Verbe éternel fait chair.
70. Ô bonté éternelle et incompréhensible, combien je demeure dans l’admiration et le ravissement, en voyant l’immensité de votre Être immuable comparée avec la petitesse de l’homme ! et en mesurant votre amour éternel entre deux extrêmes d’une distance si incommensurable, amour infini pour la créature non seulement petite, mais ingrate ! Sur quel objet si bas et si vil, Seigneur, posez-vous vos yeux ! et sur quel objet si noble l’homme pouvait et devait poser les siens et ses affections à la vue d’un si grand mystère ! Ravie dans l’admiration et la tendresse de mon cœur, je me lamente de l’infortune des mortels, de leurs ténèbres et de leur aveuglement, puisqu’ils ne se disposent point pour connaître combien votre Majesté commença de loin à les regarder et à préparer leur félicité véritable avec tant de soin et d’amour, comme si dans leur félicité eût consisté la vôtre.
71. Le Seigneur dès ab initio eut présentes dans son entendement toutes ces œuvres et leurs dispositions comme il devait les créer, et il les compta et les pesa avec sa rectitude et son équité : et comme il est écrit dans la Sagesse 100, il sut la disposition du monde avant de le créer, il connut le commencement, le milieu et la fin des temps, leurs changements et le cours des années, la disposition des étoiles, les vertus des éléments, les natures des animaux, la colère des bêtes, la force des vents, les différences des arbres, les vertus des racines et les pensées des hommes. Il pesa et compta tout 101, et non seulement ce que le texte dit des créatures matérielles et des raisonnables ; mais de tout le reste qui est signifié mystiquement par celles-ci, et que je ne rapporte pas maintenant, parce qu’elles ne sont pas de mon sujet.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. Dans l’élection divine, dit Suarez, la Mère ne put aller séparée du Fils (3 p., t. 2, q. 27, dis. I, sect. 3). La Sainte Église confirme cette interprétation en appliquant ce même passage à la bienheureuse Vierge. Voir l’office de Sainte Marie des Anges. Et aussi cet autre qui est identique dans le sens : Je suis sortie de la bouche du Très-Haut, la Première née avant toutes les créatures... Voir l’office de la Maternité de la Bienheureuse Vierge Marie.
b. Ne se pouvait. Ces paroles ne signifient point que l’Incarnation ne fût pas possible à Dieu par le moyen d’une Mère non vierge et non sainte. De puissance physique et absolue, Dieu peut tout ; mais il est question ici de la puissance de Dieu ordonnée à l’ordre et à l’empire de sa volonté. Or la volonté divine était de créer l’univers et de le disposer de la manière la plus parfaite et avec l’harmonie la plus admirable. Ainsi dans le reste de cette histoire les mots pouvoir ou ne pas pouvoir, possible ou impossible se doivent entendre discrètement, cum grano salis.
c. Dans la sainte Écriture, on entend par montagnes les saints et par collines les Anges. C’est le sentiment des saints Pères, parmi lesquels on peut voir saint Jean Damascène. Orat. I, de Nat. Virg.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE VI
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D’un doute que je proposai au Seigneur sur la doctrine
de ces chapitres, et la réponse à ce doute.
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SOMMAIRE. – 72. La Vénérable demande pourquoi l’opinion la plus commune dans l’Église est que le Verbe ne se serait pas incarné si l’homme n’avait pas péché. – 73. La fin principale du Seigneur dans l’Incarnation fut sa propre gloire. – 74. Comment l’Incarnation se serait exécutée si l’homme n’avait point péché. – 75. Cause de la diversité des opinions. – 76. Pourquoi l’opinion que le Verbe descendit du ciel dans l’intention principale de racheter le monde est la plus commune. – 77. Utilité qui est résultée de la diversité des opinions. – 78. Fins diverses qu’ont les docteurs dans leurs controverses. – 79. Combien il serait agréable à Dieu qu’ils fussent dépouillés de leurs passions.
72. Il se présenta à moi un doute touchant les intelligences et la doctrine des deux chapitres précédents ; parce que j’ai souvent ouï dire et j’ai appris de personnes savantes ce qui est disputé dans les écoles. Et le doute fut ceci : Puisque la cause et le motif principal de l’Incarnation du Verbe fut de le faire Chef et Premier-Né de toutes les créatures 102 par son union hypostatique avec la nature humaine et de communiquer aux prédestinés ses attributs et ses perfections de la manière convenable, par le moyen de la grâce et de la gloire : le décret que le Verbe prendrait une chair passible et mourrait pour l’homme n’étant qu’un décret comme de fin secondaire, et la vérité étant ainsi – comment se fait-il qu’il y a sur ce point des opinions si diverses dans la sainte Église ? L’opinion la plus commune est que le Verbe descendit du ciel dans le but de racheter les hommes par le moyen de sa passion et de sa mort très saintes.
73. Je proposai ce doute au Seigneur avec humilité, et sa Majesté daigna m’y répondre, me donnant une intelligence et une lumière très grandes, dans lesquelles je connus et compris beaucoup de mystères que je ne pourrais expliquer, parce que les paroles par lesquelles le Seigneur me répondit comprennent et expriment beaucoup de choses : et les voici : « Mon épouse et ma colombe, écoute, car je veux répondre à ton doute comme ton Père et ton Docteur, et je veux t’enseigner dans ton ignorance. Sache que la fin principale et légitime du décret que je fis de communiquer ma divinité dans la personne du Verbe, unie hypostatiquement à la nature humaine, fut la gloire qui devait rejaillir de cette communication pour mon nom et pour les créatures capables de la gloire que je veux leur donner. Et ce décret se serait sans doute exécuté par l’Incarnation, même dans le cas que l’homme n’eût pas péché ; parce que le décret était exprès et sans condition en substance, et ainsi devait être efficace ma volonté qui fut en premier lieu de me communiquer à l’âme et à l’Humanité unie au Verbe. Et cela était ainsi convenable à mon équité et à la rectitude de mes œuvres, et bien que ceci fut postérieur dans l’exécution, ce fut pourtant premier dans l’intention. Et si j’ai tardé à envoyer mon Fils unique, ce fut parce que j’avais déterminé de lui préparer auparavant dans le monde une congrégation choisie et sainte de justes, qui, supposé le péché commun, sont comme des roses entre les épines des autres pécheurs. Mais vu la chute du genre humain, je déterminai par un décret exprès que le Verbe viendrait en forme passible et mortelle pour racheter son peuple dont il était le Chef, afin que mon amour infini pour les hommes fût mieux connu et pût se manifester davantage, et afin qu’il rendît une due satisfaction à mon équité et à ma justice, et que si ce fut un homme et le premier dans l’être qui pécha, que ce fût aussi un homme et le premier dans la dignité qui fût le Rédempteur ; pour que les hommes connussent en cela la gravité du péché, et afin que l’amour de toutes les âmes fût un seul, puisque leur Créateur, leur Vivificateur, leur Rédempteur et leur Juge est un seul. Et je voulus aussi les obliger à cette reconnaissance et à cet amour en ne châtiant pas les mortels comme les anges apostats que je châtiai sans appel ; mais je pardonnai à l’homme, je l’attendis et je lui donnai un remède opportun en exécutant la rigueur de ma justice dans mon Fils unique et en passant à l’homme la pitié de ma grande miséricorde 103.
74. « Et pour mieux entendre la réponse à ton doute, tu dois considérer que comme il n’y a point de succession de temps dans mes décrets et que je n’en ai pas besoin pour comprendre et opérer, ceux qui disent que le Verbe s’est incarné pour racheter le monde disent bien ; et ceux qui disent qu’il ne se serait pas incarné si l’homme n’avait pas péché, disent bien aussi, si l’on entend selon la vérité, car si Adam n’avait pas péché il ne serait pas descendu du ciel dans la forme qui convenait à cet état de l’homme déchu, mais parce qu’il pécha, il y eut le second décret qu’il descendrait passible ; parce que vu le péché, il convenait que le Verbe vînt le réparer dans la forme qu’il le fit. Et comme tu désires savoir comment le mystère de l’Incarnation du Verbe se serait exécuté si l’homme avait conservé l’état d’innocence, sache que la forme humaine aurait été la même dans la substance, mais avec les dons de l’impassibilité et de l’immortalité que mon Fils unique a eus depuis sa Résurrection jusqu’à son Ascension au ciel. Il aurait vécu et il aurait conversé avec les hommes ; les mystères et les sacrements auraient été manifestés à tous, souvent il aurait découvert sa gloire comme il le fit une seule fois vivant en chair mortelle, et dans cet état d’innocence il eût manifesté devant tous ce qu’il montra et opéra devant les trois Apôtres 104 ; tous les hommes dans la vie voyagère auraient vu mon Fils unique avec une grande gloire ; ils auraient été consolés par sa conversation et ils n’auraient pas mis d’obstacle à ses divins effets, parce qu’ils auraient été sans péché. Mais le péché a détruit et empêché tout cela, et pour ce péché il a été convenable qu’il vînt passible et mortel.
75. « Et s’il y a dans ces sacrements et d’autres mystères diverses opinions dans mon Église, cela est venu de ce que je donne et manifeste la lumière de quelques-uns de mes mystères à certains docteurs et à d’autres docteurs je donne d’autres lumières ; parce que les mortels ne sont pas capables de recevoir toute la lumière. Il n’était pas convenable non plus que, pendant qu’ils sont voyageurs, toute la science de toutes les choses fût donnée à aucun d’eux, puisque même lorsqu’ils sont compréhenseurs, ils ne la reçoivent que par partie, et elle leur est donnée selon l’état et les mérites de chacun et selon qu’il convient à ma providence de la distribuer ; la plénitude de cette lumière n’était due qu’à l’Humanité de mon Fils unique et à sa Mère respectivement. Les autres mortels ne la reçoivent pas toute, et non pas toujours si claire qu’ils puissent s’assurer en tout ; c’est pour cela qu’ils l’acquièrent par l’usage des sciences et des lettres. Et bien qu’il y ait beaucoup de vérités révélées dans mes Écritures, comme je les laisse souvent dans leur lumière naturelle, quoique d’autres fois je la leur donne d’en haut, il s’ensuit que les mystères sont entendus avec des diversités d’opinions et qu’il se trouve différentes explications et différents sens dans les Écritures, chacun suivant son opinion comme il l’entend. Et quoique la fin de plusieurs soit bonne et la lumière et la vérité en substance soit une, on l’entend et on en use avec diversité de jugements et d’inclinations, car les uns tiennent à certains docteurs et les autres tiennent à d’autres docteurs ; d’où naissent entre eux les controverses.
76. « L’opinion la plus commune est que le Verbe descendit du ciel dans le but principal de racheter le monde ; et entre autres raisons de cela il y en a une, c’est parce que le mystère de la Rédemption et la fin de ses œuvres est plus connue et plus manifeste pour avoir été exécutée et avoir été répétée tant de fois dans les Écritures ; au contraire la fin de l’impassibilité ne se décréta ni ne s’exécuta point absolument et expressément : et tout ce qui appartient à cet état demeura caché, et personne ne put le savoir sûrement, si ce n’est celui à qui je donne la lumière en particulier ou je révèle ce qui convient de ce décret et de cet amour que nous avons pour la nature humaine. Et bien que cela pourrait mouvoir beaucoup les mortels s’ils le pesaient et le pénétraient ; néanmoins le décret et les œuvres de la Rédemption de leur chute sont plus puissants et plus efficaces pour les mouvoir et les attirer à la reconnaissance et au retour de mon immense amour qui est la fin de mes œuvres. C’est pour cela que ma providence tient à ce que ces motifs soient présents et plus fréquentés, parce qu’il convient ainsi. Et sache qu’une œuvre peut bien avoir deux fins, lorsque l’œuvre est supposée sous quelque condition, comme fut celle de l’Incarnation : que si l’homme ne péchait point, le Verbe ne descendrait point en forme passible, et s’il péchait, qu’il serait passible et mortel : ainsi, en tout cas, le décret de l’Incarnation n’aurait point laissé de s’accomplir. Je veux que les mystères de la Rédemption soient reconnus et estimés et qu’on les ait toujours présents pour m’en rendre le retour. Mais je veux pareillement que les mortels reconnaissent le Verbe incarné pour leur Chef et la cause finale de la création de tout le reste de la nature humaine ; parce qu’après ma propre bénignité, ce fut le principal motif que j’eus pour donner l’être aux créatures. Et ainsi le Verbe incarné doit être révéré, non seulement parce qu’il racheta le genre humain, mais aussi parce qu’il fournit le motif de sa création.
77. « Et sache, mon épouse, que je permets et dispose que souvent les docteurs et les théologiens aient des opinions diverses, que les uns disent ce qui est vrai et que d’autres, selon leurs inclinations, disent ce qui est douteux : et d’autres fois encore je permets qu’ils disent ce qui n’est pas, quoique ce ne soit pas en désaccord manifeste avec la vérité obscure de la foi, en laquelle tous les fidèles demeurent fermes : et d’autres fois encore ils disent ce qui est possible selon qu’ils l’entendent. Et avec cette variété, la vérité et la lumière sont scrutées, et les sacrements cachés sont manifestés davantage, parce que le doute sert de stimulant à l’esprit pour rechercher la vérité ; et en cela les controverses des docteurs ont une cause honnête et sainte. Et de cette façon, il arrive qu’après tant de diligences et d’études des sages et des docteurs grands et parfaits, on reconnaît qu’il y a dans mon Église une science qui les rend éminents en sagesse, au-dessus de tous les sages du monde et qu’au-dessus de tous il y a un correcteur des sages 105 qui est moi-même, car seul je sais tout et je comprends le poids et la mesure 106 sans pouvoir être mesuré ni compris ; et lors même que les hommes étudieraient davantage mes témoignages et mes jugements, ils ne pourraient pas les comprendre si je ne leur donne l’intelligence et la lumière ; car je suis le principe et l’auteur de toute sagesse et de toute science 107. Et je veux que les mortels connaissant cela me rendent louange, magnificence, confession, supériorité et gloire éternelle.
78. « Et je veux aussi que les saints docteurs acquièrent pour eux-mêmes beaucoup de grâce, de lumière et de gloire par leur travail honnête, louable et saint, et que la vérité aille en se découvrant et s’épurant en approchant davantage vers sa source, et que les docteurs en recherchant avec humilité les mystères et les œuvres admirables de ma droite, arrivent à y participer et à jouir du pain de l’intelligence de mes Écritures. J’ai gardé une grande providence envers les docteurs et les théologiens, quoique leurs opinions et leurs doutes aient été si différents et si variés, et parfois ils agissent pour ma plus grande gloire et mon honneur, et d’autres fois c’est pour s’attaquer et se contredire pour d’autres fins terrestres : et avec cette émulation et cette passion ils ont procédé et ils procèdent inégalement. Néanmoins je les ai gouvernés, redressés et éclairés, les assistant de telle sorte de ma protection que la vérité en est de beaucoup découverte et manifestée, la lumière pour connaître mes perfections et mes œuvres merveilleuses s’est répandue et les Saintes Écritures ont été hautement interprétées ; ce qui a été pour moi un sujet de beaucoup d’agrément et de complaisance. Et pour cette raison, la fureur de l’enfer a élevé son trône d’iniquité avec une envie incroyable, surtout en ces temps présents, combattant la vérité et prétendant boire le Jourdain 108 et obscurcir par des hérésies et de fausses doctrines la lumière de la sainte foi, contre laquelle Lucifer a répandu sa fausse ivraie 109 en se servant des hommes. Mais le reste de l’Église et ses vérités sont dans un degré très parfait, et les fidèles catholiques possèdent la vérité de la foi et sa lumière d’une manière très parfaite, quoiqu’ils soient enveloppés et aveuglés par d’autres misères. Et quoique je les appelle tous avec un amour paternel à cette félicité, les élus qui veulent me répondre sont peu nombreux.
79. « Je veux aussi, mon épouse, que tu saches que bien que ma providence dispose qu’il y ait beaucoup d’opinions parmi les docteurs, afin que mes témoignages soient scrutés davantage, avec l’intention que la moelle des divines Écritures soit manifestée aux hommes voyageurs, moyennant leurs honnêtes diligences, leurs études et leurs travaux ; néanmoins il me serait d’un grand agrément et d’un grand service que les personnes savantes éteignissent et éloignassent d’elles l’orgueil, l’envie et l’ambition du vain honneur, et d’autres vices et passions qui s’engendrent de là et toute la mauvaise semence que sèment les mauvais effets de telles occupations, néanmoins je ne l’arrache pas maintenant, de peur que la bonne semence soit arrachée avec la mauvaise. » Le Très-Haut me répondit tout cela et beaucoup d’autres choses que je ne peux manifester. Bénie éternellement soit sa grandeur qui voulut bien éclairer mon ignorance et la satisfaire si adéquatement et si miséricordieusement, sans dédaigner la petitesse d’une femme ignorante et tout à fait inutile. Que tous les esprits bienheureux et les justes de la terre lui rendent des actions de grâces et des louanges sans fin.
SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE VII
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Comment le Très-Haut donna un commencement à ses
œuvres et il créa pour l’homme toutes les choses
matérielles ; et les anges et les hommes afin
d’en faire un peuple dont le Verbe
Incarné serait le Chef.
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SOMMAIRE. – 80. Principe de la création de l’univers. – 81. Dieu créa le ciel et la terre avant les anges et les hommes. – 82. Création des anges. – 83. Les anges dans l’état de voyageurs. – 84. Le bien et le mal leur fut montré. – 85. Lucifer s’aima d’un amour désordonné. – 86. Il induit d’autres anges à le suivre. – 87. Premier précepte de Dieu. – 88. Dieu leur révèle le mystère de l’Incarnation. – 89. Obéissance des bons anges et révolte de Lucifer et des siens. – 90. Combat des anges. – 91. Blasphèmes de Lucifer d’être inférieur à la Mère de Dieu. – 92. Sentence divine. – 93. La très sainte Marie fut montrée aux Anges dans un signe.
80. Dieu est la cause de toutes les causes et le Créateur de tout ce qui a l’être : or dans le temps et la manière qu’il lui plut et par la puissance de son bras, il voulut donner principe à toutes ses œuvres merveilleuses ad extra. Moïse rapporte dans le chapitre I de la Genèse l’ordre et le principe de cette création ; et parce que le Seigneur m’en a donné l’intelligence, je dirai ici ce qui convient, pour découvrir dès leur origine les œuvres et les mystères de l’Incarnation du Verbe et de notre Rédemption.
81. La lettre du chapitre I de la Genèse dit de cette manière : « Dans le principe Dieu créa le ciel et la terre. La terre était sans fruit et vide, et les ténèbres étaient sur la face de l’abîme : et l’esprit du Seigneur était porté sur les eaux. Et Dieu dit : Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite, et Dieu vit que la lumière était bonne, et il la divisa et la sépara des ténèbres : et il appela la lumière jour et les ténèbres nuit, et le jour fut fait d’un soir et d’un matin, etc. » Dans ce premier jour, Moïse dit que dans le principe Dieu créa le ciel et la terre, parce que ce principe fut celui que donna le Dieu tout-puissant, étant dans son Être immuable, comme sortant de lui-même, pour créer au dehors les créatures qui commencèrent alors à avoir un être en elles-mêmes, et Dieu commença aussi à se complaire dans ses œuvres, comme œuvres adéquatement parfaites. Et afin que l’ordre aussi en fût très parfait, avant de créer les créatures intellectuelles et raisonnables, il forma le ciel pour les anges et les hommes, et la terre où les hommes devaient être voyageurs d’abord, lieux si proportionnés pour leurs fins et si parfaits, que comme le dit David, les cieux publient la gloire de Dieu 110, le firmament et la terre annoncent les œuvres de ses mains. Les cieux par leur beauté manifestent la magnificence et la gloire, parce qu’ils sont le dépôt de la récompense préparée pour les saints. Et le firmament de la terre annonce qu’il doit y avoir des créatures, des hommes pour l’habiter, s’élevant par son moyen vers leur Créateur. Or avant de créer les hommes, le Très-Haut voulut leur préparer et leur créer le nécessaire, pour la vie qu’il devait leur commander de vivre, afin que de toutes parts ils se trouvassent contraints d’obéir à leur Auteur et leur Bienfaiteur et de l’aimer, et que par ses œuvres, ils connussent son nom admirable et ses perfections infinies 111.
82. Moïse dit de la terre qu’elle était vide et il ne le dit point du ciel ; parce que dans le ciel il créa les Anges dans l’instant où Moïse dit : Dieu dit : que la lumière soit faite et la lumière fut faite : il ne parla pas seulement de la lumière naturelle, mais aussi des lumières angéliques et intellectuelles (a). Et il ne fit pas une plus claire mention d’eux que de les désigner sous ce nom, à cause de la facilité avec laquelle les Hébreux attribuaient la Divinité à des choses nouvelles et de moindre appréciation que les esprits angéliques. Néanmoins la métaphore de la lumière fut très légitime pour signifier la nature angélique et mystiquement la lumière de la science et de la grâce par laquelle ils furent illuminés dans leur création. Avec le ciel empyrée Dieu créa conjointement la terre pour former l’enfer dans son centre ; parce que dans cet instant où elle fut créée par la disposition divine, il se trouva au milieu de ce globe des cavernes très profondes et très larges, capables de contenir l’enfer, les limbes et le purgatoire. Et au même instant fut créé dans l’enfer un feu matériel (b) et les autres choses qui y servent maintenant de châtiments pour les damnés. Ensuite le Seigneur devait séparer la lumière des ténèbres, et appeler la lumière jour et les ténèbres nuit : et cela arriva non seulement entre la nuit et le jour naturels, mais entre les bons anges et les mauvais anges, car aux bons il donna la lumière éternelle de sa vue et il l’appela jour et jour éternel ; et les mauvais il les appela nuit du péché (c) et ils furent précipités dans les ténèbres éternelles de l’enfer ; afin que nous comprissions tous combien furent unies ensemble la libéralité miséricordieuse du Créateur et Vivificateur dans la récompense et la justice du Juge très équitable dans le châtiment.
83. Les anges furent créés dans le ciel empyrée (d) et en grâce, afin que par cette grâce le mérite précédât la gloire, car bien qu’ils fussent dans le lieu de cette gloire, la Divinité ne leur avait pas été montrée face à face (e) et avec une claire connaissance, jusqu’à ce que ceux qui furent obéissants à sa volonté l’eussent mérité par la grâce. Et ainsi les bons anges et les autres apostats demeurèrent très peu dans le premier état de voyageurs, parce que leur création, leur état et leur terme consistèrent en trois stations ou demeures divisées par quelques intervalles en trois instants (f). Dans le premier instant ils furent tous créés et ornés de grâce et de dons, demeurant des créatures très belles et très parfaites. Cet instant fut suivi d’une demeure dans laquelle la volonté de leur Créateur leur fut à tous proposée et intimée, et il leur fut donné une loi, un précepte d’opérer, de reconnaître le Très-Haut pour le suprême Seigneur et de remplir ainsi la fin pour laquelle ils avaient été créés. Dans cette demeure, cette station ou cet intervalle, la grande bataille que dit saint Jean dans le Chapitre XII de l’Apocalypse arriva entre saint Michel et ses anges et le dragon et les siens ; et les bons anges en persévérant dans la grâce méritèrent la félicité éternelle ; et les désobéissants en s’élevant contre Dieu méritèrent le châtiment qu’ils ont.
84. Et bien que dans cette seconde demeure tout aurait pu arriver très brièvement, selon la nature angélique et la puissance de Dieu, néanmoins je compris que la pitié du Très-Haut se retint quelque peu ; et il leur proposa avec quelque intervalle le bien et le mal, la vérité et la fausseté, le juste et l’injuste, sa grâce et son amitié, la malice du péché et l’inimitié de Dieu ; la récompense et le châtiment éternels, et la perdition pour Lucifer et ceux qui le suivaient : sa Majesté leur montra l’enfer et ses peines, et ils virent tout cela ; car dans leur nature si supérieure et si excellente, toutes les choses peuvent être vues comme elles sont en elles-mêmes, étant créées et limitées ; de sorte qu’avant de déchoir de la grâce ils virent d’une façon bien claire le lieu du châtiment. Et bien qu’ils ne connurent pas par ce moyen la récompense de la gloire, ils en eurent néanmoins une autre notion et la promesse expresse et manifeste du Seigneur. Ainsi le Très-Haut justifia sa cause et il opéra avec une équité et une rectitude souveraines. Et parce que toute cette bonté et cette justification ne furent pas suffisantes pour retenir Lucifer et ses alliés, ils furent comme obstinés, châtiés et lancés dans l’abîme des cavernes infernales 112 ; et les bons furent confirmés dans la grâce et la gloire éternelles. Tout cela arriva dans le troisième instant, où il fut connu de fait qu’aucune créature n’est impeccable par nature. Il n’y a que Dieu d’impeccable : puisque l’ange, qui a une nature si excellente et qui l’a reçue ornée de tant de dons de science et de grâce, pécha à la fin et se perdit. Que fera donc la fragilité humaine si la puissance de Dieu ne la défend point et si elle l’oblige, à l’abandonner ?
85. Il reste à savoir le motif que Lucifer et ses confédérés eurent dans leur péché et de quoi ils prirent occasion de désobéir et de tomber ; c’est ce que je cherche. Et en cela j’ai compris qu’ils purent commettre plusieurs péchés secundum reatum (g), bien qu’ils ne commirent point les actes de tous ; toutefois de ceux qu’ils commirent par leur volonté dépravée, il leur demeura une habitude pour tous les actes mauvais, y induisant les autres, et approuvant les péchés qu’ils ne peuvent opérer par eux-mêmes. Et selon la mauvaise affection que Lucifer eut alors, il tomba dans un amour très désordonné de lui-même (h), et cela lui vint de se voir avec des dons plus grands et une beauté de nature et de grâce plus exquise que les autres anges inférieurs. Il s’arrêta trop dans cette connaissance ; et la complaisance qu’il eut de lui-même le retarda et l’attiédit dans la reconnaissance qu’il devait à Dieu, cause unique de tout ce qu’il avait reçu. Et retournant à se regarder, il se complut de nouveau en sa beauté et ses grâces (i), et il se les adjugea et il les aima comme siennes (j) : et cet amour-propre désordonné ne le fit pas seulement s’élever avec ce qu’il avait reçu d’une autre vertu supérieure ; mais elle l’obligea aussi à envier (k) et à désirer les dons et les excellences d’autrui (1) qu’il n’avait pas. Et parce qu’il ne pouvait pas les obtenir, il conçut une haine et une indignation mortelles (m) contre Dieu qui l’avait créé de rien, et contre toutes ses créatures.
86. Là s’originèrent la désobéissance, la présomption, l’injustice, l’infidélité, le blasphème et même presque une certaine espèce d’idolâtrie (n), parce qu’il désira pour lui-même l’adoration et la révérence dues à Dieu. Il blasphéma sa grandeur et sa sainteté divines ; il manqua à la foi et à la loyauté qu’il devait ; il prétendit détruire toutes les créatures, et il présuma qu’il pourrait tout cela et beaucoup plus ; et son orgueil monte 113 et persévère toujours ainsi ; bien que son arrogance soit plus grande que sa force 114 ; car il ne peut croître en celle-ci, et dans le péché un abîme en attire un autre 115. Le premier ange qui pécha fut Lucifer comme il paraît du chapitre XIV d’Isaïe 116 et il induisit les autres à le suivre ; ainsi il s’appelle le prince des démons, non par nature, car par nature il ne peut avoir ce titre, mais par le péché. Et ceux qui péchèrent ne furent pas d’un seul ordre ou d’une seule hiérarchie ; mais de tous il en tomba plusieurs (o).
87. Et pour manifester, comme il me l’a été montré, quel fut l’honneur, quelle fut l’excellence que Lucifer désira et envia avec orgueil, j’avertis que comme dans les œuvres de Dieu il y a équité, poids et mesure 117, avant que les anges pussent s’incliner à diverses fins, sa providence détermina de leur manifester immédiatement après leur création la fin pour laquelle il les avait créés d’une nature si sublime et si excellente. Et ils eurent de tout cela une illustration de cette manière. D’abord, ils eurent une intelligence très expresse de l’Être de Dieu, un en substance et trin en personne, et ils reçurent le précepte de l’adorer et de le révérer comme leur Créateur et souverain Seigneur, infini en son Être et ses attributs. Tous se soumirent et obéirent à ce commandement, mais avec quelque différence : parce que les bons Anges obéirent par amour et par justice, soumettant leur affection de bonne volonté, admettant et croyant ce qui était au-dessus de leur force et obéissant avec allégresse. Mais Lucifer se soumit parce qu’il lui semblait impossible de faire le contraire. Et il ne le fit point avec une charité parfaite ; parce qu’il partagea sa volonté entre lui-même et la vérité infaillible du Seigneur ; et c’est ce qui fit que le précepte lui parut quelque peu violent et difficile et qu’il ne l’accomplit point avec une affection pleine d’amour et de justice ; et ainsi il se disposa à n’y point persévérer. Et quoique cette lâcheté et cette tiédeur à opérer ces premiers actes avec difficulté ne lui ôtât point la grâce ; toutefois d’ici commença sa mauvaise disposition, car il eut quelque débilité et quelque faiblesse dans la vertu et dans l’esprit (p) ; et sa beauté ne resplendit pas comme elle le devait. Et l’effet que produisit dans Lucifer cette lâcheté et cette difficulté fut, à mon sentiment, semblable à celui que fait dans l’âme un péché véniel volontaire : mais je n’affirme pas qu’il pécha mortellement ni véniellement alors, parce qu’il accomplit le précepte de Dieu ; cependant cet accomplissement fut lâche et imparfait, et plus pour y avoir été contraint par la force de la raison que par amour et par la volonté d’obéir, ainsi il se disposa à tomber.
88. En second lieu, Dieu leur manifesta qu’il devait créer une nature humaine et des créatures raisonnables inférieures, pour aimer Dieu, le craindre et le révérer comme leur Auteur et leur Bien éternel : et qu’il allait favoriser beaucoup cette nature, et que la seconde Personne de la Très sainte Trinité devait s’incarner et se faire homme, élevant la nature humaine à l’union hypostatique et à être une personne divine ; et qu’ils devaient reconnaître ce suppôt (q), Homme-Dieu, pour Chef non seulement en tant que Dieu, mais conjointement en tant qu’homme, et qu’ils devaient le révérer et l’adorer et qu’eux-mêmes, les anges, devaient être ses inférieurs en dignité et en grâce, et ses serviteurs. Puis il leur donna l’intelligence de la convenance, de l’équité, de la justice et de la raison qu’il y avait en cela ; parce que l’acceptation des mérites prévus de cet Homme-Dieu leur avait mérité la grâce qu’ils possédaient et la gloire qu’ils posséderaient, et que c’était pour la gloire de cet Homme-Dieu qu’ils avaient été créés et que toutes les autres créatures le seraient, parce qu’il devait être supérieur à tous : et que les créatures qui seraient capables de connaître Dieu et d’en jouir, devaient être le peuple et les membres de ce Chef pour le reconnaître et le révérer. Et aussitôt il donna de tout cela un commandement aux anges.
89. À ce commandement, tous les anges obéissants et saints se soumirent et prêtèrent un respectueux assentiment avec une humble et amoureuse affection de toute leur volonté. Mais Lucifer résista avec orgueil et envie, et il provoqua les anges ses alliés à faire de même, comme de fait ils le firent en le suivant et en désobéissant au commandement divin. Le mauvais prince leur persuada qu’il serait leur chef et qu’il aurait une principauté indépendante et séparée du Christ. L’envie et l’orgueil purent causer dans un ange tant d’aveuglement et une affection si désordonnée, qui furent la cause et la contagion pour communiquer le péché à tant d’autres
90. Ici eut lieu la grande bataille que saint Jean dit s’être passée dans le ciel 118, parce que les anges obéissants et saints, animés d’un zèle ardent pour défendre la gloire du Très Haut et l’honneur du Verbe Incarné prévu, demandèrent au Seigneur sa licence et son agrément pour résister au dragon et le contredire : et cette permission leur fut accordée. Mais il arriva en cela un autre mystère ; car lorsqu’il fut proposé aux anges qu’ils devaient obéir au Verbe fait chair, il leur fut imposé un troisième précepte : qu’ils devaient avoir conjointement pour supérieure une femme dans les entrailles de laquelle le Fils unique du Père prendrait chair humaine ; et que cette femme devait être leur Reine et la Maîtresse de tout l’univers et qu’elle serait distinguée et avantagée dans les dons de grâce et de gloire au-dessus de toutes les créatures angéliques et humaines. En obéissant à ce précepte du Seigneur, les bons anges avancèrent et accrurent leur humilité et, avec elle, ils acceptèrent ce précepte et ils louèrent la puissance et les secrets du Très-Haut. Mais par ce précepte et ce mystère, Lucifer et ses confédérés s’élevèrent à un plus grand orgueil et à une plus grande vanité. Et avec cette fureur désordonnée, il désira pour lui-même l’excellence d’être chef de tout le genre humain et des chœurs angéliques et que si ce devait être par le moyen de l’union hypostatique, qu’elle se fît avec lui (r).
91. Et quant à être inférieur à la Mère du Verbe Incarné, Notre Dame, il y résista avec d’horribles blasphèmes, se tournant avec une indignation effrénée contre l’Auteur de si grandes merveilles (s) : et provoquant les autres, ce dragon dit : « Ces préceptes sont injustes et injurieux à ma grandeur ; et cette nature que tu regardes, Seigneur, avec tant d’amour et que tu te proposes de tant favoriser, je la poursuivrai et je la détruirai, et j’emploierai à cela tout mon pouvoir et tous mes soins. Et cette femme Mère du Verbe, je la renverserai de l’état où tu te proposes de la placer, et ton projet périra par mes mains. »
92. Cette superbe vanité courrouça tellement le Seigneur qu’en humiliant Lucifer il lui dit : « Cette femme que tu n’as pas voulu respecter t’écrasera la tête 119 et tu seras vaincu et anéanti par elle. Et si la mort entre dans le monde 120 par ton orgueil, par l’humilité de cette femme y entreront la vie et le salut du monde, et les êtres de la nature et de l’espèce de ces deux êtres, le Verbe Incarné et sa Mère, jouiront de la récompense et des couronnes que toi et tes adhérents avez perdues. » Et à tout cela, le dragon répliquait avec une superbe indignation contre ce qu’il comprenait de la volonté divine et de ses décrets ; il menaçait tout le genre humain. Et les bons anges connurent la juste indignation du Très-Haut contre Lucifer et les autres anges apostats ; et ils combattaient contre eux avec les armes de l’entendement, de la raison et de la vérité.
93. Le Très-Haut opéra ici un autre mystère merveilleux ; car ayant manifesté par intelligence à tous les anges le grand sacrement de l’union hypostatique (t), il leur montra la très sainte Vierge dans un signe ou une espèce, à la manière de nos visions imaginaires, selon notre manière de concevoir. Et ainsi il leur donna à connaître et il leur représenta la pure nature humaine en une forme très parfaite, en qui le bras du Très-Haut devait être plus admirable que dans tout le reste des créatures, parce qu’il déposait en elle les grâces et les dons de sa droite en un degré supérieur et éminent. Ce signe et cette vision de la Reine du ciel, la Mère du Verbe Incarné, fut notoire et manifeste à tous les anges, bons et mauvais. À sa vue les bons demeurèrent dans l’admiration et ils firent des cantiques de louanges, et dès lors, armés d’un zèle ardent et du bouclier inexpugnable de ce signe, ils commencèrent à défendre l’honneur de Dieu fait homme et celui de sa très sainte Mère. Au contraire, le dragon et ses alliés conçurent une haine et une fureur implacables contre le Christ et sa très sainte Mère ; et il arriva tout ce que contient le chapitre XII de l’Apocalypse dont je mettrai la déclaration comme elle m’a été donnée dans le chapitre suivant.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. C’est une sentence de saint Augustin que les anges ont été créés avec la lumière et qu’ils sont signifiés par cette même lumière. De Civit. 1, c. 33.
b. Un feu matériel. L’enfer étant placé dans le centre de la terre, ce n’est pas étonnant qu’il y ait un feu matériel. Les 700 volcans qui, dans les différentes parties du monde, projettent des flammes de ce centre en font foi. Les physiciens modernes admettent que le centre de la terre n’est qu’un feu immensément plus intense que celui dont nous avons expérience sur la terre.
c. Hugues de S. Victor écrit : « Ce qui se faisait dans le monde sensible était une image de ce qui se faisait dans le monde des intelligences. Comme au premier jour Dieu divisa la lumière des ténèbres, de même aussi il sépara alors les anges des démons, la grâce du péché, la gloire de la peine et le ciel de l’enfer. » L. 1, sac. p. 1, c. 10.
d. « Il était convenable, écrit saint Thomas, que les anges fussent créés dans la partie la plus sublime de l’univers, comme étant destinés à présider à toute la nature corporelle, soit que ce lieu s’appelle ciel empyrée, soit qu’il s’appelle d’une autre manière quelconque. » 1 p. q. 61, a. 4.
e. Face à face. « Les anges, ajoute saint Thomas, furent créés par Dieu bienheureux d’une béatitude naturelle et non point d’une béatitude surnaturelle, qui consiste dans la vision de l’essence divine. » 1 p. q. 62, a. 1.
f. En trois instants. Saint Thomas dit : « L’ange étant au-dessus du temps des choses corporelles, les instants divers dans les choses qui regardent les anges ne se prennent que selon la succession de leurs actes. Ainsi, depuis la création des mauvais anges jusqu’à leur damnation, il y eut trois actes qui se succédèrent : 1o Ils émirent dans le premier instant de leur création un acte bon, en se tournant vers Dieu par l’impulsion de la nature informée par la grâce. 2° Ils s’inclinèrent librement dans un acte mauvais. 3° Ils reçurent le châtiment. » 1 p. q. 62. a. 5, ad 2.
g. Saint Thomas affirme que tous les péchés purent se trouver dans les démons secundum reatum. Commettre un péché secundum reatum veut dire en contracter la tache et la faute sans le commettre par son acte propre.
h. L’orgueil fut le premier péché de Lucifer. L’ecclésiastique dit : Le commencement de tout péché est l’orgueil.
i. Voici une espèce de luxure spirituelle, comme l’appelle les Scotistes, par le plaisir désordonné morosement pris sur soi-même. Avant eux le pape Gélase avait écrit : « L’ange, mû par une certaine fornication spirituelle, perdit la grâce et la participation divine. » In epist. advers hæres.
j. Voici l’avarice spirituelle : trop d’attachement aux biens finis dont il s’attribue la possession. Que les mauvais anges aient aimé comme leurs biens propres et quasi comme non reçus de Dieu les dons qu’ils avaient, c’est ce que disent saint Irénée, Contr. her. 1. IV, a 78 ; saint Augustin, De Gen., ad litt. 11, 13, et autres. Saint Ignace, martyr, dit que Lucifer s’amena lui-même par l’ambition et l’avarice à l’impiété. Ep. 8 ad Philad.
k. L’obligea aussi à envier. Voici l’envie, autre effet de l’orgueil. St. Cyprien écrit que l’envie est le péché où l’ange tomba. Opus. de zelo et livor. Saint Pierre Chrysologue dit que l’envie tente le ciel, où d’un ange elle fait un démon. Serm. 172. Et la Sainte Écriture : Par l’envie du diable la mort entre dans le globe des terres. Sagesse, III, 24.
1. Désirer les dons d’autrui. Voici la voracité et la gourmandise spirituelle. « La cupidité est la racine de tous les maux », dit saint Paul. I Tim. VI.
m. Une haine mortelle. Voici la colère, sixième péché capital de Lucifer. Cette haine est la première-née de l’envie, dit saint Grégoire L. 31 Mor. c. 31.
n. Espèce d’idolâtrie. Avec l’envie et l’orgueil dans une personne, écrit saint Thomas, 1 p. q. 63, a. ad. 3, sont compris tous les péchés qui en sont dérivés et Silvius énumère les péchés d’idolâtrie, d’infidélité, de blasphème, de désobéissance, et cela non seulement secundum reatum mais aussi formellement, secundum affectum, in 1. p. q. 63, ar. 2.
o. Saint Thomas dit : « Il est probable que de tous les chœurs des anges il en tomba quelques-uns, ainsi dans toutes les classes des hommes il en sera choisi en supplément de la ruine angélique. » 1 p. q. 63, a. 9.
p. Voici la paresse spirituelle qui est aussi l’un des péchés capitaux et qui se trouva dans Lucifer dès le principe ; à quoi l’on peut appliquer ce mot de saint Augustin : Si la volonté est fixée dans l’amour du bien supérieur et immuable, elle demeure stable ; si au contraire elle se détourne vers son bon plaisir, elle s’obscurcit et se refroidit. De Civit. Dei, 1. XIV, c. 11.
q. Suppôt en théologie, traitant d’être raisonnable, veut dire personne.
r. De très graves auteurs cités par Suarez disent que Lucifer désira l’union hypostatique. I Lib. VII, c. 13.
s. Voici l’origine de la fameuse inimitié entre le serpent et la femme, dont parle la sainte Écriture.
t. Le grand sacrement de l’union hypostatique. L’apôtre appelle expressément l’Incarnation du nom de Sacrement : C’est un grand sacrement de piété qui a été manifesté dans la chair, justifié dans l’esprit et qui est apparu aux anges... I Tim. II, 16.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE VIII
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Qui poursuit le discours du chapitre précédent par
l’explication du XIIe de l’Apocalypse.
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SOMMAIRE. – 94. Lettre de ce chapitre. – 95. Signification de cette vision des Anges. – 96. Effets qu’elle causa. – 97. Ce fut un tourment pour les mauvais anges. – 98. Marie est montrée triomphant de toute faute originelle et actuelle. – 99. Éminence de ses vertus. – 100. Élue pour être Mère de Dieu. – 101. Publication de l’enfantement de la Mère du Verbe. – 102. Sentiments de Marie à la naissance de son Fils. – 103. Lucifer est changé en dragon. – 104. Son arrogance. – 105. Marie seule est unique dans la souveraine sainteté.
94. La lettre de ce chapitre de l’Apocalypse dit : « Il apparut dans le ciel un grand signe, une femme revêtue du soleil, ayant la lune sous ses pieds et une couronne de douze étoiles sur la tête. Et elle était enceinte, et elle criait en enfantant, et elle était dans des tourments pour enfanter. Et un autre signe fut vu dans le ciel et l’on vit un grand dragon roux qui avait sept têtes et dix cornes et sept diadèmes sur ses têtes et sa queue renversait la troisième partie des étoiles du ciel, et il les précipita sur la terre, et le dragon se posa devant la femme qui était pour enfanter, afin de dévorer le fils lorsqu’elle l’aurait donné à la lumière. Et elle enfanta un fils mâle qui devait gouverner les nations avec une verge de fer : et son fils fut ravi à Dieu et à son trône, et la femme s’enfuit dans la solitude où elle avait un lieu préparé par Dieu, afin qu’elle y fut alimentée mille deux cent soixante jours. Et il arriva une grande bataille dans le ciel ; Michel et ses anges combattaient avec le dragon, et le dragon et ses anges combattaient : et ils ne prévalurent point, et depuis lors leur place ne se trouva plus dans le ciel. Et il fut précipité, ce dragon, cet ancien serpent qui s’appelle diable et Satan et qui trompe tout le globe : et il fut précipité sur la terre et ses anges furent envoyés avec lui. Et j’entendis une voix dans le ciel, qui disait : Maintenant ont été faits le salut, la vertu et le règne de notre Dieu et la puissance de son Christ ; puisqu’il a été rejeté, l’accusateur de nos frères, qui les accusait jour et nuit devant notre Dieu. Et ils l’ont vaincu par le Sang de l’Agneau et les paroles de ses témoignages, et ils ont exposé leurs âmes jusqu’à la mort. Pour cela, réjouissez-vous, cieux, et vous qui y habitez. Malheur à la terre et à la mer, parce qu’est descendu vers vous le diable qui a une grande colère, sachant qu’il a peu de temps ! Et après que le dragon se vit précipité sur la terre tel qu’il était, il poursuivit la femme qui avait enfanté un fils mâle : et des ailes d’un grand aigle furent données à la femme, afin qu’elle s’envolât au désert en son lieu, où elle fut alimentée pendant un temps et des temps et la moitié d’un temps, hors de la face du serpent. Et le serpent lança de sa bouche comme un fleuve d’eau. Et la terre aida la femme et la terre ouvrit sa bouche, et elle absorba le fleuve que le dragon avait lancé de sa bouche. Et le dragon s’indigna contre la femme, et il s’en alla pour faire la guerre aux autres de sa génération, qui gardent les commandements de Dieu et qui ont le témoignage de Jésus-Christ. Et il demeura sur le sable de la mer (a). »
95. Jusqu’ici est la lettre de l’Évangéliste et il parla au passé, parce que la vision de ce qui était déjà passé lui était alors montrée, et il dit : Qu’il apparut un grand signe dans le ciel, une femme couverte du soleil, ayant la lune sous ses pieds, et la tête couronnée de douze étoiles. Ce signe apparut véritablement dans le ciel par la volonté de Dieu qui le proposa manifestement aux bons et aux mauvais anges, afin qu’à cette vue leurs volontés se déterminassent à obéir aux préceptes de sa volonté (b). Et ils le virent ainsi avant que les bons se déterminassent au bien et les mauvais au péché. Et ce fut comme un signe de ce que Dieu se montrerait si admirable dans la formation de la nature humaine. Et quoiqu’il en eût donné connaissance aux Anges en leur révélant le mystère de l’union hypostatique, néanmoins il voulut la leur manifester par différents moyens en une pure créature, et en la plus parfaite et la plus sainte qu’il devait créer après Notre Seigneur Jésus-Christ. Et ce fut aussi comme un signe qui assurait aux bons anges que bien que Dieu demeurât offensé par la désobéissance des mauvais anges, il ne laisserait point d’exécuter le décret de créer les hommes : parce que le Verbe Incarné et cette Femme sa Mère lui seraient infiniment plus agréables que les anges désobéissants pouvaient lui déplaire. Ce fut aussi comme un arc-en-ciel, à la ressemblance duquel celui des nues serait posé après le déluge 121, afin d’assurer que si les hommes péchaient et étaient désobéissants comme les anges, ils ne seraient point châtiés comme eux sans rémission ; parce qu’il leur était donné une médecine et un remède salutaire par le moyen de ce signe merveilleux. Et ce fut comme s’il disait aux Anges : Je ne châtierai point de cette manière les créatures que je dois créer ; parce que de la nature humaine descendra cette Femme dans les entrailles de laquelle s’incarnera mon Fils unique qui sera le Restaurateur de mon amitié, qui apaisera ma justice et qui ouvrira le chemin de la félicité que le péché aura fermé.
96. En témoignage de cela, après que les anges désobéissants eurent été châtiés, le Très-Haut se montra aux bons anges, à la vue de ce signe, comme rasséréné et apaisé de la colère que l’orgueil de Lucifer lui avait occasionnée. Et à notre manière de concevoir il se récréait de la présence de la Reine du ciel représentée dans cette image ; donnant à entendre aux saints anges qu’il mettrait dans les hommes, par le moyen de Jésus-Christ et de sa Mère, la grâce et les dons que les apostats avaient perdus par leur révolte. Ce grand signe eut aussi un autre effet dans les bons anges, qui étaient, à notre manière de concevoir, comme affligés, contristés et presque troublés de la lutte avec Lucifer et de sa perfidie. C’est pourquoi le Très-Haut voulut qu’ils fussent réjouis par la vue de ce signe et que leur gloire essentielle fût augmentée de cette joie accidentelle, méritée aussi par leur victoire contre Lucifer ; en voyant cette verge de clémence qui leur était montrée en signe de paix 122, ils connurent aussitôt que la loi du châtiment ne les comprenait pas, puisqu’ils avaient obéi à la volonté divine et à ses préceptes. Les saints anges comprirent aussi dans cette vision plusieurs des mystères et des secrets de l’Incarnation qu’elle renfermait, ainsi que de l’Église militante et de ses membres ; et qu’ils devaient aider et assister le genre humain, en gardant les hommes, en les défendant de leurs ennemis et en les conduisant à la félicité éternelle ; qu’eux-mêmes recevaient cette félicité par les mérites du Verbe Incarné et que sa Majesté les avait préservés en vertu du même Jésus-Christ prévu dans son entendement divin.
97. Et comme tout cela fut un sujet de grande joie et de grande allégresse pour les bons Anges, c’en fut aussi un de grand tourment pour les mauvais anges, et comme le principe et une partie de leur châtiment, car ils connurent aussitôt ce dont ils n’avaient point profité et que cette femme devait les vaincre et leur écraser la tête 123. L’Évangéliste comprit dans ce chapitre tous ces mystères et beaucoup d’autres que je ne puis expliquer et spécialement dans ce grand signe ; bien qu’il le rapporte obscurément et en énigme, jusqu’à ce que le temps arrive.
98 Le soleil dont il dit que la Femme était couverte est le vrai Soleil de Justice : afin que les anges comprissent la volonté efficace du Très-Haut qui voulait et déterminait d’assister toujours par grâce dans cette Femme, de lui servir de bouclier et de la défendre de son bras et de sa protection invincibles. Elle avait la lune sous ses pieds ; parce que dans la division que ces deux planètes, le soleil et la lune, font du jour et de la nuit, la nuit du péché signifiée par la lune devait demeurer sous ses pieds et le soleil qui est le jour de la grâce devait éternellement la vêtir tout entière. Et aussi parce que les diminutions ou déclins de la grâce qui arrivent à tous les mortels devaient être sous ses pieds et qu’ils ne pourraient jamais monter ni à son corps ni à son âme, lesquels devaient toujours être dans leur croissant, au-dessus de tous les hommes et de tous les anges ; et seule elle devait être libre de la nuit et des déclins de Lucifer et d’Adam, qu’elle foulerait toujours aux pieds, sans qu’ils pussent prévaloir contre elle. Et comme si toutes les fautes et toutes les forces du péché originel et des péchés actuels eussent été vaincues, le Seigneur les lui posa sous les pieds en présence de tous les anges, afin que les bons la reconnussent, et que les méchants, bien qu’ils ne comprissent pas tous les mystères de la vision, craignissent cette femme même avant qu’elle eût reçu l’être.
99. Il est clair que la couronne des douze étoiles sont toutes les vertus qui devaient couronner cette Reine du ciel et de la terre : mais le mystère du nombre douze avait rapport aux douze tribus d’Israël auxquelles se réduisent tous les élus et les prédestinés, comme l’Évangéliste le marque au chapitre VII de l’Apocalypse. Et parce que tous les dons, toutes les grâces et toutes les vertus de tous les élus devaient couronner leur Reine dans un degré immensément supérieur, pour cela la couronne des douze étoiles lui fut posée sur la tête (c).
100. Elle était enceinte parce qu’en présence de tous les anges il fut manifesté, pour l’allégresse des bons et le châtiment des mauvais qui résistaient à la volonté divine et à ces mystères, que toute la très sainte Trinité avait élu cette Femme merveilleuse pour être la Mère du Fils unique du Père. Et comme cette dignité de Mère du Verbe était la plus grande, le principe et le fondement de toutes les excellences de cette auguste Souveraine et de ce signe, il fut montré aux anges comme le dépôt de la très sainte Trinité dans la Divinité et la personne du Verbe fait chair ; puisqu’à raison de l’union inséparable et de l’inexistence des trois Personnes par l’indivisible unité, toutes les trois Personnes ne peuvent laisser d’être là où est chacune : bien qu’il n’y eût que la seule Personne du Verbe qui prit chair humaine et que la Vierge ne fût enceinte que d’elle seule.
101. Et elle jetait des cris en enfantant ; car bien que la dignité de cette Reine et ce mystère dussent être cachés dans le principe, afin que Dieu naquît pauvre, humble et dissimulé ; néanmoins cet enfantement jeta ensuite de si grands cris que le premier écho troubla et mit hors de lui le roi Hérode, et il obligea les mages à abandonner leurs maisons et leurs patries pour venir le chercher 124 : les cœurs de quelques-uns se troublèrent et les autres furent émus par une affection intérieure. Et le fruit de cet enfantement croissant dès qu’il fut élevé en croix 125, il jeta de si grands cris qu’ils furent entendus de l’Orient à l’Occident et du Nord au Midi 126. Tellement on entendait la voix de cette Femme qui en enfantant donna la Parole du Père éternel.
102. Et elle était tourmentée pour enfanter. Ceci n’est pas dit parce qu’elle devait enfanter avec douleur car cela n’était pas possible dans cet enfantement divin ; mais parce que ce fut une grande douleur et un grand tourment pour cette Mère que, pour ce qui regarde l’humanité, ce petit corps uni à Dieu sortît du secret de son sein virginal pour souffrir, assujetti à satisfaire au Père pour les péchés du monde, et à payer ce qu’il n’avait point commis 127 ; car la Reine devait connaître et connut tout cela par la science des Écritures. Et à cause de l’amour d’une telle Mère pour un tel Fils, elle devait naturellement le sentir, bien qu’elle fût conforme à la volonté du Père éternel. On comprend aussi dans ce tourment celui que la très pieuse Mère devait souffrir, connaissant les temps qu’elle devait manquer de la présence de son Trésor après qu’il serait sorti de son sein virginal : il est vrai quant à la Divinité qu’elle l’avait conçue dans son âme ; mais quant à l’Humanité très sainte, elle devait être longtemps sans son Fils, son Fils uniquement sien. Et quoique le Très-Haut eût déterminé de l’exempter du péché, il ne l’exempta point des douleurs et des travaux correspondants à la récompense qui lui était préparée. Et les douleurs de cet enfantement furent ainsi non point des effets du péché comme dans les descendantes d’Ève 128, mais de l’amour parfait et intense de cette Mère pour son unique et très saint Fils. Tous ces sacrements furent des motifs d’admiration et de louange pour les saints anges, et pour les mauvais anges le principe de leur châtiment.
103. Et un autre signe fut vu dans le ciel ; on vit un grand dragon roux qui avait sept têtes et dix cornes, et sept diadèmes sur ses têtes, et avec sa queue il renversa la troisième partie des étoiles du ciel et il les précipita sur la terre. Après ce qui a été dit arriva le châtiment de Lucifer et de ses alliés : parce que ses blasphèmes contre cette femme signalée furent suivis de la peine de se trouver changé d’un très bel ange en un horrible et hideux dragon, dont le signe sensible et la figure extérieure apparut aussi. Et avec fureur, il éleva en haut sept têtes qui étaient sept légions ou escadrons entre lesquels furent divisés tous ceux qui le suivirent et qui tombèrent. Et à chacune de ces principautés ou escadrons il donna un chef, leur ordonnant de pécher et de prendre pour leur compte d’inciter et de mouvoir aux sept péchés mortels que l’on appelle communément capitaux, parce qu’ils contiennent en eux-mêmes les autres péchés, et ils sont comme les chefs des bandes qui s’élèvent contre Dieu. Tels sont l’orgueil, l’envie, l’avarice, la colère, la luxure, la gourmandise et la paresse ; qui furent les sept diadèmes avec lesquels fut couronné Lucifer changé en dragon, le Très-Haut lui donnant ce châtiment qu’il avait acquis pour lui-même et pour ses anges confédérés ; car ce châtiment et les peines correspondantes à leur malice furent assignés à tous pour avoir été les auteurs des sept péchés capitaux.
104. Les dix cornes des têtes sont les triomphes de l’iniquité et de la malice du dragon, et la gloriole et l’exaltation arrogante et vaine qu’il s’attribue à lui-même dans l’exécution des vices. Avec ces affections dépravées et dans le but d’obtenir la fin de son arrogance, il offrit aux anges malheureux son amitié venimeuse, des principautés feintes, des majorats et des récompenses. Et ces promesses pleines d’erreur et d’ignorance bestiale furent la queue avec laquelle le dragon renversa la troisième partie des étoiles du ciel (d) et s’ils avaient persévéré, ils auraient brillé ensuite avec les autres anges et les justes comme le soleil dans les perpétuelles éternités 129. Mais le châtiment mérité les précipita sur la terre de leur infortune et jusqu’à son centre qui est l’enfer, où ils seront éternellement privés de lumière et de joie 130.
105. Et le dragon se posa devant la femme pour dévorer son fils lorsqu’elle l’aurait donné à la lumière. L’orgueil de Lucifer fut si démesuré que de poser son trône sur les hauteurs 131 et avec une vanité suprême, il dit en présence de cette femme signalée : « Le fils que cette femme doit enfanter est d’une nature inférieure à la mienne, je le dévorerai et je le perdrai, je lèverai contre lui la bande qui me suit, je sèmerai des doctrines contre ses pensées et contre les lois qu’il ordonnera, et je lui ferai une guerre et une contradiction perpétuelles. » Mais la réponse du Seigneur fut que cette Femme devait enfanter un Fils mâle qui gouvernerait les nations avec une verge de fer. Et cet homme, ajouta le Seigneur, sera non-seulement Fils de cette Femme, mais aussi mon Fils et vrai Dieu, et il sera fort, car il vaincra ton orgueil et il t’écrasera la tête. Il sera, pour toi et pour tous ceux qui t’écoutent et te suivent, un juge puissant qui te commandera avec une verge de fer 132 et il dissipera toutes tes pensées vaines et altières. Et ce Fils sera ravi à mon trône, où il s’assiéra à ma droite et il jugera ; et je poserai ses ennemis pour être l’escabeau de ses pieds 133 afin qu’il triomphe d’eux ; et il sera récompensé comme homme juste et qui étant Dieu a tout fait pour ses créatures ; et tous le reconnaîtront et lui rendront révérence et gloire 134. Et toi comme le plus malheureux, tu connaîtras quel est le jour de la colère du Tout-Puissant 135. Et cette Femme sera posée dans la solitude où elle aura un lieu préparé par moi. Cette solitude où cette Femme s’enfuit est celle que notre grande Reine eut, étant unique et seule dans la sainteté souveraine et l’exemption de tout péché, car étant femme de la nature commune des mortels, elle s’éleva au-dessus de tous les anges dans la grâce et les dons, comme dans les mérites qu’elle acquit avec cette grâce et ces dons. Et ainsi elle s’enfuit et se plaça dans une solitude, parmi les pures créatures ; car parmi celles-ci elle est unique et sans pareille. Et cette solitude fut si loin du péché, que le dragon ne put atteindre à sa vue, et dès sa conception il ne put l’apercevoir. Ainsi le Très-Haut la mit seule et unique dans le monde, sans subordination au serpent et sans aucun commerce avec lui ; mais avec assurance et comme ferme protestation, il détermina et dit : « Dès l’instant qu’elle aura l’être, cette Femme sera mon Élue 136 et unique pour moi. Je l’exempte dès maintenant de la juridiction de ses ennemis et je lui destine une grâce très éminente et solitaire, afin qu’elle y soit alimentée mille deux cent soixante jours. » Pendant un pareil nombre de jours, la Reine du ciel devait demeurer dans un état très sublime de singuliers bienfaits, intérieurs et spirituels, admirables et mémorables. Cet état fut dans les dernières années de sa vie, comme je le dirai en son lieu avec la grâce divine. Dans cet état elle fut nourrie si divinement que notre esprit est très borné pour le connaître. Et parce que ces bienfaits furent comme les fins auxquelles les autres bienfaits de la vie de la Reine du ciel étaient ordonnés et comme leur conclusion, ces fins furent marquées d’une façon déterminée par l’Évangéliste.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. L’application que notre Vénérable fait ici de ce chapitre XII de l’Apocalypse à la Très Sainte Vierge n’est pas nouvelle dans l’Église. Vega l’applique également à la Très Sainte Marie d’une façon très diffuse et très savante. Le font aussi le Bx. Albert le Grand, Bibi. Mariana ; St. Antonin, 4 p. tit. 15, c. 30 ; Saint Augustin, L. IV. de Symb. ad Catech. c. 1 ; saint Ambroise et plusieurs autres.
b. On ne saurait regarder comme suspectes certaines applications spéciales que notre Vénérable fait des textes de l’Écriture, vu surtout la propriété et la sagesse que l’on ne peut méconnaître dans ses interprétations. Car on peut trouver présentement dans la Sainte Écriture des sens nouveaux et vrais qui n’auraient pas encore été expliqués par les interprètes. Saint Grégoire le Grand dit : « Plus le monde arrive vers sa fin, plus largement nous sont ouvertes les voies de la science éternelle. » Hom. 16, in Ézéch.
c. Saint Bernard explique lui aussi les douze étoiles par les douze prérogatives de la grâce dont la Très Sainte Vierge est couronnée de préférence à tous les autres saints. Serm. de B. V. Signum Magnum.
d. Cornelius a Lapide dit de même : Le péché d’orgueil trompa d’abord Lucifer ; et après s’être révolté contre Dieu, il entraîna après soi avec sa queue la troisième partie des étoiles du ciel, c’est-à-dire des Anges, en les persuadant et les sollicitant.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE IX
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Qui poursuit le reste de l’explication du chapitre XII
de l’Apocalypse.
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SOMMAIRE. – 106. Combat de saint Michel avec le dragon. – 107. Blasphèmes de Lucifer. – 108. Le signe de Marie, bouclier des bons anges et terreur des mauvais. – 109. Les places des mauvais anges destinées aux hommes. – 110. Saint Michel précipite le dragon dans les enfers. – 111. Le Verbe demande l’exécution de l’Incarnation. – 112. La venue du Christ en chair passible manifestée aux Anges. – 113. Œuvres de l’Incarnation. – 114. Ministère des Anges. – 115. Les prédestinés marqués par les mérites prévus de Jésus-Christ. – 116. Le livre scellé de sept sceaux. – 117. La loi de l’Évangile. – 118. Les justes remportent la victoire avec Jésus-Christ. – 119. Motifs d’allégresse pour le ciel et ses habitants.
106. Il y eut un grand combat dans le ciel, Michel et ses anges combattirent par la permission divine avec le dragon et ceux de sa suite. Et ce combat fut admirable, parce qu’il se faisait avec les entendements et les volontés. Saint Michel, avec le zèle de l’honneur du Très-Haut qui brûlait dans son cœur et armé de la puissance divine comme aussi de son humilité, résista à l’orgueil vaniteux du dragon, disant : « Le Très-Haut est digne d’honneur, de louange et de respect, d’être aimé, craint et obéi de toute créature : et il est puissant pour opérer tout ce que sa volonté détermine, et il ne peut rien vouloir qui ne soit très juste, Celui qui est incréé et sans dépendance d’un autre être, et qui nous a donné par grâce l’être que nous avons, nous créant et nous formant de rien ; et il peut créer d’autres créatures encore, dans le temps et de la manière qu’il sera de son agrément. Et il est raisonnable que, prosternés et soumis devant sa face, nous adorions sa Majesté et sa grandeur royale. Venez donc, ô Anges, suivez-moi, adorons-le et louons ses jugements secrets et admirables, ses œuvres très saintes et très parfaites. Il est le Dieu Très-Haut et supérieur à toute créature et il ne le serait pas si nous pouvions parvenir à comprendre ses grandes œuvres. Il est infini en sagesse et en bonté, riche en trésors et en bienfaits : et comme Seigneur de tout et qui n’a besoin de rien, il peut les communiquer à qui il lui plaira davantage, et il ne peut errer dans son élection. Il peut aimer qui il aime, et se donner à qui il aime, et aimer qui il veut ; et élever, accroître et enrichir qui lui semblera bon : et en tout il sera sage, saint et puissant. Adorons-le avec action de grâces pour l’œuvre merveilleuse de l’Incarnation qu’il a déterminée, pour les faveurs envers son peuple et pour sa réparation, si ce même peuple vient à tomber. Et ce suppôt des deux natures, divine et humaine, adorons-le et recevons-le pour notre Chef ; confessons qu’il est digne de toute louange, magnificence et gloire, et comme Auteur de la grâce et de la gloire, donnons-lui vertu et divinité (a). »
107. Saint Michel et ses anges combattaient avec ces armes, et ils frappaient le dragon et les siens avec de forts javelots ; et lui aussi il combattait avec des blasphèmes. Mais ne pouvant résister à la vue du saint Prince, il se retournait furieux, et il aurait voulu fuir à cause du tourment qu’il endurait ; mais la volonté divine ordonna qu’il ne fût pas seulement châtié, mais aussi vaincu, et qu’il reconnût à son grand détriment la vérité et la puissance de Dieu. En blasphémant il disait : « Dieu est injuste d’élever la nature humaine au-dessus de la nature angélique. Je suis l’ange le plus excellent et le plus beau, et le triomphe m’est dû. Je poserai mon trône au-dessus des étoiles 137 et je serai semblable au Très-Haut ; je ne m’assujettirai à aucun être de nature inférieure, ni je ne consentirai que personne ne me précède ou soit plus grand que moi. » Les alliés apostats de Lucifer répétaient la même chose. Mais saint Michel leur répliqua : « Quel est celui qui puisse s’égaler et se comparer avec le Seigneur qui habite dans les cieux ? Tais-toi, ennemi, avec tes blasphèmes formidables, et puisque l’iniquité t’a possédé, éloigne-toi de nous, ô malheureux, et va avec ton ignorance aveugle et ta méchanceté au chaos et à la nuit ténébreuse des peines infernales. Et nous, ô esprits du Seigneur, aimons et révérons cette Femme bienheureuse qui donnera chair humaine au Verbe éternel ; reconnaissons-la pour notre Reine et notre Maîtresse. »
108. Dans ce combat, le grand signe de la Reine était un bouclier pour les bons anges et une arme offensive contre les mauvais ; parce qu’à sa vue les raisons et les combats de Lucifer n’avaient point de force : il se troublait et il devenait comme muet, ne pouvant supporter les mystères et les sacrements qui étaient représentés dans ce signe. Et comme ce signe mystérieux était apparu par la vertu divine, sa Majesté voulut aussi qu’apparût l’autre figure ou signe du dragon roux et que sous cette forme il fût ignominieusement lancé du ciel, à l’épouvante et à la terreur de ses adhérents et à la grande admiration des saints anges : car cette nouvelle démonstration de la puissance et de la justice de Dieu causa tout cela.
109. Il est difficile de réduire en paroles ce qui se passa dans ce combat mémorable, à cause de la grande distance qu’il y a entre nos courtes raisons matérielles et la nature et les opérations de tant d’esprits angéliques si excellents. Mais les mauvais anges ne prévalurent point 138, parce que l’injustice, le mensonge, l’ignorance et la malice ne peuvent prévaloir contre l’équité, la vérité, la lumière et la bonté ; et ces vertus ne peuvent être vaincues par les vices. Et pour cela il est dit que dès lors leur place ne se trouva plus dans le ciel. Par les péchés que ces anges disgraciés commirent, ils se rendirent indignes de la vue éternelle et de la compagnie du Seigneur ; et leur mémoire fut rayée de son entendement, où avant de tomber ils étaient comme écrits par les dons de grâce qu’il leur avait accordés : et comme ils furent privés du droit qu’ils avaient aux places qui leur étaient préparées s’ils eussent obéi, ce droit fut passé aux hommes (b) auxquelles ces places furent destinées, les vestiges des anges apostats demeurèrent tellement effacés qu’ils ne se trouvèrent jamais plus dans le ciel. Ô méchanceté malheureuse ! et malheur jamais assez exagéré, digne d’un châtiment si formidable !
110. Et il fut précipité ce dragon, cet ancien serpent qui s’appelle diable et Satan et qui trompe tout le globe, et il fut jeté en terre, et ses anges furent envoyés avec lui. Le saint prince Michel rejeta du ciel le dragon avec cette parole invincible : Qui est semblable à Dieu ? parole si efficace qu’elle put renverser ce superbe géant et toute son armée et le lancer avec une ignominie épouvantable dans l’inférieur de la terre, commençant avec son malheur et son châtiment à avoir de nouveaux noms de dragon, de serpent, de diable et de Satan que le saint Archange lui donna dans la bataille, et tous attestent son iniquité et sa malice. Et privé pour cela de la félicité et de l’honneur qu’il déméritait, il fut aussi privé des noms et des titres honorifiques, et il acquit ceux qui déclarent son ignominie. Et l’intention de méchanceté qu’il proposa et qu’il commanda à ses confédérés, de tromper et de pervertir tous ceux qui vivent dans le monde, manifeste son iniquité. Mais celui qui dans ses pensées blessait les nations fut traîné aux enfers, comme dit Isaïe 139, au fond du lac, et son cadavre fut livré à la teigne et au ver de sa mauvaise conscience et tout ce que le prophète dit en ce lieu s’accomplit en Lucifer.
111. Le ciel demeurant net des mauvais anges, le voile de la Divinité fut tiré pour les anges bons et obéissants, qui étaient triomphants et glorieux pendant que les anges rebelles étaient châtiés, l’Évangéliste poursuit en disant qu’il entendit une grande voix dans le ciel qui disait : Maintenant soient faits le salut, la vertu et le règne de notre Dieu, et la puissance de son Christ, parce qu’il a été rejeté, l’accusateur de nos frères, qui les accusait jour et nuit en présence de notre Dieu. Cette voix que l’Évangéliste entendit était celle de la personne du Verbe, et tous les saints anges l’entendirent avec intelligence, et ses échos parvinrent jusqu’à l’enfer où elle terrifia et fit trembler les démons, quoiqu’ils ne comprissent point tous ses mystères, mais seulement ceux que le Très-Haut voulut leur manifester pour leur peine et leur châtiment. Et cette voix fut celle du Fils au nom de l’Humanité qu’il devait prendre, demandant au Père éternel que le salut, la vertu et le règne de sa Majesté et la puissance de son Christ fussent faits ; parce que déjà avait été rejeté l’accusateur des frères du même Jésus-Christ Notre Seigneur, lesquels frères étaient les hommes. Et ce fut comme une pétition devant le trône de la très sainte Trinité, demandant que le salut et la vertu fussent faits, et que les mystères de l’Incarnation et de la Rédemption fussent confirmés et exécutés, contre l’envie et la fureur de Lucifer qui était descendu du ciel irrité contre la nature humaine dont le Verbe devait se revêtir. Et pour cela il les appelle frères avec un suprême amour et une immense compassion ; et il dit que Lucifer les accusait jour et nuit ; parce qu’en présence du Père Éternel et de toute la très sainte Trinité, il les accusa au jour qu’il jouissait de la grâce, nous méprisant dès lors avec son orgueil, et depuis dans la nuit de ses ténèbres et de notre chute, il nous accuse beaucoup plus, sans que cette accusation et cette persécution ne doivent jamais avoir de cesse, tant que le monde durera. Et il appela vertu, puissance et règne les œuvres et les mystères de l’Incarnation et de la mort du Christ, puisque c’était par le moyen de ces mystères que devaient s’opérer et se manifester sa vertu et sa puissance contre Lucifer.
112. Ce fut la première fois que le Verbe, au nom de l’humanité, intercéda pour les hommes devant le trône de la Divinité ; et, selon notre manière de concevoir, le Père Éternel conféra de cette pétition avec les Personnes de la très sainte Trinité, et manifestant en partie aux saints anges le décret du consistoire divin sur ces sacrements, il leur dit : « Lucifer a levé l’étendard de l’orgueil et du péché, et il poursuivra le genre humain avec toute fureur et iniquité, et par son astuce il en pervertira plusieurs, se servant d’eux-mêmes pour les détruire, et, aveuglés par les péchés et les vices, les hommes prévariqueront en différents temps avec une dangereuse ignorance ; mais l’orgueil menteur et tout péché et tout vice sont infiniment éloignés de notre Être et de notre volonté. Élevons donc le triomphe de la vertu et de la sainteté, que la seconde personne s’incarne passible, et qu’elle accrédite et enseigne l’humilité, l’obéissance et toutes les vertus, et qu’elle opère le salut pour les mortels ; et, étant Dieu véritable, que le Verbe Incarné s’humilie, qu’il se fasse le moindre de tous, qu’il soit homme juste, et Exemplaire et Maître de toute sainteté, et qu’il meure pour le salut de ses frères. Que la vertu seule qui triomphe toujours des vices soit admise à notre tribunal. Élevons les humbles et humilions les superbes, faisons que les afflictions soient glorieuses dans notre agrément et qu’il soit glorieux de les souffrir 140. Déterminons d’assister les affligés et ceux qui sont dans la tribulation ; et que nos amis soient corrigés et affligés, et par ces moyens qu’ils obtiennent notre grâce et notre amitié et qu’ils fassent eux aussi le salut selon leur possibilité, en opérant la vertu. Qu’ils soient bienheureux, ceux qui pleurent, et fortunés les pauvres 141 qui souffrent pour la justice et pour leur chef Jésus-Christ. Que les petits soient exaltés et les doux de cœur magnifiés. Que les pacifiques soient aimés comme nos enfants. Que ceux qui pardonnent, qui souffrent les injures et qui aiment leurs ennemis soient nos très chers. Assignons-leur à tous d’abondants fruits de bénédiction de notre grâce et des récompenses de gloire immortelle dans le ciel. Notre Fils unique réduira cette doctrine en pratique et ceux qui le suivront seront nos élus bien-aimés, consolés et récompensés, et leurs bonnes œuvres seront engendrées dans notre pensée, comme cause première de toute vertu (c). Permettons que les méchants oppriment les bons et qu’ils forment une part de leur couronne, tout en méritant pour eux-mêmes le châtiment. Qu’il y ait du scandale pour le bon 142 ; que celui qui le cause soit infortuné et bienheureux celui qui le souffre. Que les superbes et les gonflés d’orgueil affligent et blasphèment les humbles ; et les grands et les puissants, les petits et qu’ils oppriment ceux qui sont abattus ; et que ceux-ci rendent des bénédictions pour les malédictions 143 et qu’ils soient réprouvés des hommes tant qu’ils seront voyageurs, et qu’ensuite ils soient élevés et placés avec les esprits célestes, les anges nos fils, et qu’ils jouissent des sièges et des récompenses que les malheureux infortunés ont perdus. Que les superbes et les opiniâtres soient condamnés à la mort éternelle où ils connaîtront leur arrogance et leur conduite insensée.
113. « Et afin que tous aient une grâce surabondante et un véritable Exemplaire s’ils veulent en profiter, que notre Fils descende passible et réparateur, qu’il rachète les hommes que Lucifer renversa de leur heureux état (d), et qu’il les relève par ses mérites infinis. Que le salut soit fait désormais dans notre volonté et dans notre détermination ; qu’il y ait un Rédempteur et un Maître qui mérite et qui enseigne, naissant et vivant pauvre, mourant méprisé, condamné par les hommes à une mort très honteuse et très ignominieuse : qu’il soit jugé pour pécheur et coupable et qu’il satisfasse à notre justice pour l’offense du péché ; et à cause de ses mérites prévus usons de notre pitié et de notre miséricorde. Que tous entendent que l’humble, le pacifique et celui qui opère la vertu, qui souffre et qui pardonne, celui-là suivra notre Christ et sera notre fils. Que nul ne pourra entrer dans notre royaume par sa volonté libre, s’il ne se renonce d’abord lui-même et s’il ne suit son Chef et son Maître en portant sa croix 144. Tel sera notre royaume, composé des parfaits qui auront légitimement 145 combattu et travaillé, en persévérant jusqu’à la fin 146. Ceux-ci auront part à la puissance de notre Christ qui est faite et déterminée désormais, parce que l’accusateur de ses frères a été rejeté et son triomphe est fait, afin qu’en les élevant et les purifiant dans son sang, l’exaltation et la gloire soient pour lui : car seul il sera digne d’ouvrir le livre 147 de la loi de grâce et il sera la voie, la lumière, la vérité et la vie 148, afin que les hommes viennent à moi. Et lui seul ouvrira les portes du ciel ; il sera Médiateur 149 et Avocat 150 des mortels, et en lui ils auront un Père, un Frère 151 et un Protecteur, puisqu’ils ont un persécuteur et un accusateur. Et que les anges qui comme nos fils ont opéré le salut et la vertu, et qui ont défendu la puissance de mon Christ soient couronnés et honorés en notre présence pendant toutes les éternités des éternités. »
114. Cette voix qui contient les mystères cachés 152 depuis la constitution du monde, manifestés par la doctrine et la vie de Jésus-Christ, – cette voix, dis-je, sortait du trône et elle disait et contenait plus que je ne peux exprimer. Et par elle furent intimés aux saints anges les commissions qu’ils devaient exercer : à saint Michel et à saint Gabriel, qu’ils fussent ambassadeurs du Verbe Incarné et de Marie sa très sainte Mère et qu’ils fussent ministres pour tous les sacrements de l’Incarnation et de la Rédemption ; et plusieurs autres anges furent destinés avec ces deux princes pour le même ministère, comme je le dirai plus loin 153. Le Très-Haut commanda à d’autres anges d’accompagner et d’assister les âmes, de leur enseigner et de leur inspirer la sainteté et les vertus contraires aux vices où Lucifer avait proposé de les induire ; de les défendre et de les garder, de les porter entre leurs mains 154, pour empêcher les justes de trébucher sur les pierres des filets et des tromperies que leurs ennemis avaient tramées contre eux.
115. D’autres choses furent décrétées dans cette circonstance ou ce temps (e), quand l’Évangéliste dit que la puissance, le salut, la vertu et le règne de Jésus-Christ furent faits. En particulier, ce qui s’opéra mystérieusement c’est que les prédestinés furent marqués et posés en nombre déterminé et écrits dans la mémoire et l’entendement divin par les mérites prévus de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ô mystère et secret inexplicable de ce qui se passa dans le sein de Dieu ! Ô heureux sort pour les élus ! Quel moment du plus grand poids ! Quel sacrement si digne de la puissance divine ! quel triomphe de la puissance de Jésus-Christ ! Heureux mille fois les membres qui furent marqués et unis à un tel Chef ! Église grande, peuple grave et congrégation sainte digne d’un tel Prélat et d’un tel Maître ! Dans la considération d’un si sublime sacrement, tout le jugement des créatures se confond, mon intelligence se suspend et ma langue devient muette.
116. Dans ce consistoire des trois Personnes divines, le livre mystérieux de l’Apocalypse fut donné et comme livré au Fils unique du Père, et il fut alors composé, signé et scellé avec les sept sceaux 155 dont parle l’Évangéliste, jusqu’à ce qu’il eut pris chair humaine et qu’il l’ouvrît, en déliant les sceaux selon leur ordre, par les mystères qu’il opéra dans sa vie et sa mort, en commençant par sa naissance jusqu’à la fin. Et le contenu de ce livre (f) était tout ce que la très sainte Trinité décréta depuis la chute des anges, et qui se rapporte à l’Incarnation du Verbe et à la loi de grâce, aux dix commandements, aux sept sacrements et à tous les articles de la foi et à ce qu’ils renferment, ainsi qu’à l’ordre de toute l’Église militante, donnant puissance au Verbe, afin que lorsqu’il se serait incarné, il communiquât, comme souverain prêtre et Pontife saint, le pouvoir et les dons nécessaires aux apôtres et aux autres prêtres et ministres de cette Église.
117. Tel fut le mystérieux principe de la loi évangélique. Et dans ce trône et ce consistoire très secret il n’y eut d’institués et d’inscrits que ceux qui garderaient cette loi et qui étaient inscrits dans le livre de vie. La loi eut ici son origine à proprement parler. Les pontifes et les prélats étant ainsi autant de successeurs ou Vicaires du Père Éternel (g). Ceux qui sont doux, pauvres, humbles et justes tirent leur principe de son Altesse. Telle fut et telle est leur très noble origine ; c’est pourquoi quant aux supérieurs on doit dire que celui qui leur obéit, obéit à Dieu, et que celui qui les méprise, méprise Dieu 156. Tout cela fut décrété dans l’entendement divin et dans ses idées et il fut donné à Notre Seigneur Jésus-Christ la puissance d’ouvrir ce livre qui demeura depuis lors fermé et scellé jusqu’en son temps. Et dans l’intérim le Très-Haut donna son Testament ou les témoignages de ses paroles divines dans les lois naturelle et écrite, avec des œuvres mystérieuses qui manifestaient une partie de ses secrets aux Patriarches et aux Prophètes.
118. Par ces témoignages et par le sang de l’Agneau, il dit : Que les justes vainquirent le dragon ; car bien que le Sang de Notre Seigneur Jésus-Christ fut suffisant et surabondant pour que tous les mortels vainquissent le dragon, leur accusateur ; aussi les témoignages et les paroles très véritables de ses Prophètes sont d’une grande vertu et d’une grande force pour le salut éternel ; néanmoins avec leur volonté libre, les justes coopèrent à l’efficacité de la Passion et de la Rédemption et des Écritures, et ils en obtiennent le fruit en se vainquant eux-mêmes et le démon en coopérant à la grâce. Et ils ne le vaincront pas seulement en ce que Dieu commande et demande communément ; mais par sa vertu et sa grâce, ils y ajouteront de donner leurs âmes et de les exposer jusqu’à la mort pour le même Seigneur et pour ses témoignages afin d’obtenir la couronne et le triomphe de Jésus-Christ, comme les martyrs l’ont fait en témoignage de la foi et pour sa défense.
119. Pour tous ces mystères, le texte ajoute et dit : Réjouissez-vous, cieux, et vous qui y vivez. Réjouissez-vous, cieux, parce qu’à aucune créature matérielle et inanimée il n’est échu un sort plus magnifique, puisque vous serez la maison de Dieu pendant des siècles éternels et vous y recevrez pour votre Reine la créature la plus pure et la plus sainte qu’ait faite le bras puissant du Très-Haut. Pour cela, réjouissez-vous, cieux et vous qui y vivez, anges et justes qui devez être compagnons et ministres de ce Fils du Père Éternel et de sa Mère, et des parties de ce corps mystique dont le chef est le même Jésus-Christ. Réjouissez-vous, Anges saints, parce que par votre ministère, vos services, votre défense et votre garde à l’égard des mortels, vous acquerrez pour vous-mêmes la récompense d’une joie accidentelle. Que saint Michel, prince de la milice céleste se réjouisse particulièrement parce que dans le combat il a défendu la gloire du Très-Haut et ses mystères vénérables, et il a été élu pour être le ministre de l’Incarnation du Verbe et le témoin singulier de ses effets jusqu’à la fin ; et qu’ils se réjouissent avec lui tous ses alliés, les défenseurs du nom de Jésus-Christ et de sa Mère, et de ce que dans ces ministères ils ne perdirent point la jouissance de la gloire essentielle qu’ils possèdent déjà : et que tous les cieux se réjouissent avec jubilation pour des sacrements si divins.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. Donnons-lui vertu et divinité. « C’est-à-dire confessons la vertu et la Divinité de Jésus-Christ », comme les Anges le firent selon l’Apocalypse quand ils dirent à haute voix : « L’Agneau est digne de recevoir vertu et Divinité. » V, 12.
b. Ce droit est passé aux hommes. Par là on n’entend point dire que sans la chute des Anges, les hommes n’eussent aucun droit au ciel ; mais on entend seulement que les hommes, outre le droit de la gloire qui leur était dû à cause des mérites du Verbe Incarné, auront de plus dans la gloire cet émolument spécial d’être substitués et élevés aux places mêmes de ces anges tombés. C’est pourquoi saint Thomas dit : Ce ne fut pas la fin principale de la création de l’homme que la réparation de la ruine des anges ; mais une certaine utilité conséquente.
c. Cause première. Que la pensée de Dieu et sa science soient la cause première de toute chose et de toute vertu, saint Thomas l’affirme aussi. I p. q. 14, a. 8 et q. 6, ar. 4.
d. Selon la Vénérable, après que les bons anges furent admis à la vision de Dieu, ils connurent la chute future de l’homme. Il est reçu en théologie que lors de leur création les anges ne connurent point spécifiquement les circonstances de l’Incarnation, et saint Thomas semble dire qu’à l’instant de leur béatification il y eut certains anges qui eurent une notion plus ou moins circonstanciée de ce mystère. I p. q. 57, a. 5.
e. Les décrets divins sont éternels et le nombre des prédestinés dans l’entendement divin avait été décrété dès l’éternité. Mais ici la Vénérable établit dans les décrets de la volonté divine un ordre historique selon lequel les choses décrétées dès l’éternité se succèdent les unes aux autres dans le temps. C’est de cette façon que l’on trouve dans cette vie de la Très Sainte Vierge les décrets divins d’après notre style humain, les considérant dans leur ordre objectif. C’est aussi de cette manière que la Vénérable introduit tant de fois les Personnes divines à conférer entre elles et le Verbe à intercéder au nom de l’humanité, se conformant ainsi à notre manière de parler. C’est ce que l’on doit avoir en vue dans tout le cours de cette œuvre et la Vénérable explique aux numéros 190 et 191 comment l’on doit entendre ses locutions.
f. Par ce livre scellé on entend l’ensemble de tous les mystères concernant l’Incarnation du Verbe, comme l’affirment saint Hilaire, Præf. in Psalm ap. a Lapide ; saint Bernard, Serm. I de Pasch. ; saint Pierre Damien, Serm. de S. Luc. ev. qui est 53 ; et d’autres. Consigner ce livre au Fils unique du Père ne signifiait pas autre chose que la charge commise au Fils de donner exécution à ces mystères par son incarnation et sa venue dans le monde, comme dit la Vénérable et comme le remarque aussi l’Apôtre en parlant du même livre. En entrant dans le monde, j’ai dit : Vous n’avez point voulu d’hosties ni d’oblations... Alors j’ai dit voici que je viens : en tête du livre il est écrit de moi, afin que je fasse, ô Dieu votre volonté. Math. XXVIII, 18-20. Jésus-Christ a accompli cette volonté de Dieu par sa vie, ses œuvres et sa doctrine. Il a manifesté aussi les mystères cachés depuis la constitution du monde, ouvrant alors ce livre mystérieux et rompant les sceaux qui devaient demeurer intacts jusqu’à l’Incarnation.
g. Successeurs ou Vicaires du Père Éternel. Le Père Éternel, à qui on attribue la puissance, communique essentiellement cette puissance à son Fils. Jésus-Christ nous dit : Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. Et il dit spécialement à ses apôtres : Comme mon Père m’a envoyé, ainsi je vous envoie. C’est pourquoi les Pontifes et les autres supérieurs ecclésiastiques, recevant de Dieu leur pouvoir, le reçoivent aussi du Père qui le communique au Fils ; et c’est pour cela que sur la terre ils tiennent leur mission et leur autorité du Père éternel comme principe et en l’exerçant ils sont par là ses vicaires. La Vénérable les appelle aussi du nom de ses successeurs ; non point quant au temps, car Dieu est éternel ; et s’il peut se communiquer il ne peut point se démettre de son autorité ; mais seulement quant aux fonctions, comme les chrétiens sont appelés dans la Sainte Écriture héritiers de Dieu, non quant au temps, car Dieu ne meurt point, mais quant à la fruition. Non seulement la Vénérable, mais saint Bernard aussi appelle les supérieurs du nom de Vicaires de Dieu. Trat. de præ. et dispensat.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE X
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Où l’on donne fin à l’explication du Chapitre XII
de l’Apocalypse.
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SOMMAIRE. – 120. Colère de Lucifer contre le genre humain. – 121. Indignation du démon contre la Mère de Dieu. – 122. Temps de l’état voyageur des anges. – 123. Royaume du démon. – 124. Ruses de Lucifer pour tromper les hommes. – 125. Il demande à Dieu la permission de tenter le Christ et sa Mère. – 126. Réponse du Seigneur. – 127. Dieu donne à Lucifer la permission de tenter le Christ et sa Mère. – 128. Guerre que Lucifer fit à la Mère de Dieu. – 129. Lucifer déploya toutes ses forces. – 130. Comment la terre de son corps aida Marie. – 131. Le dragon tourne les armes contre l’Église et ses enfants. – 132. Le démon se sustente de la vanité du monde.
120. Mais, malheur à vous, terre et mer, parce que le diable qui a une grande colère est descendu vers vous, sachant qu’il n’y a que peu de temps. Malheur à la terre où se commettront des péchés et des méchancetés innombrables ! Malheur à la mer de ce que, de telles offenses du Créateur arrivant à sa vue, elle ne déchaîna pas son cours et elle ne submergea pas les transgresseurs, en vengeant les injures de son Auteur et son Seigneur ! Mais malheur à la mer profonde et endurcie en méchanceté de ceux qui suivirent (a) ce diable, qui est descendu vers vous pour vous faire la guerre avec une colère si grande, si inouïe et si cruelle qu’elle n’a pas de semblable ! C’est la colère d’un dragon très féroce et plus que d’un lion dévorant 157, car il prétend tout détruire et il lui semble que tous les jours de ce siècle sont peu de temps pour exercer son courroux. La soif et le désir qu’il a de damner les mortels sont si grands, que tout le temps de leur vie ne le satisfait point, parce qu’elles doivent avoir une fin, et sa fureur désirerait des temps éternels, s’ils étaient possibles, pour faire la guerre aux enfants de Dieu. Mais sa colère est tournée surtout contre cette Femme bienheureuse qui doit lui écraser la tête 158. Et pour cela l’Évangéliste dit :
121. Et après que le dragon eut vu qu’il était précipité en terre, il persécuta la femme qui avait enfanté un fils. Lorsque l’ancien serpent vit le lieu et l’état très malheureux où il était tombé après avoir été précipité du ciel empyrée, il se consuma davantage dans sa fureur et son envie, se rongeant les entrailles comme une vipère. Et il conçut une telle indignation contre la femme Mère du Verbe Incarné qu’aucune langue ne peut l’expliquer, ni aucune intelligence humaine le concevoir. On peut cependant en imaginer quelque chose de ce qui arriva immédiatement après, lorsque ce dragon se trouva renversé jusqu’aux enfers avec ses escadrons de méchanceté, et je le dirai ici selon mon possible, comme il m’a été manifesté par intelligence.
122. Toute la première semaine rapportée par la Genèse, que Dieu passa dans la création du monde et de ses créatures, Lucifer et les démons s’occupèrent à machiner et à conférer des méchancetés contre le Verbe qui devait se faire homme et contre la femme dont il devait naître. Le premier jour qui correspond au dimanche, les Anges furent créés et il leur fut donné une loi et des préceptes auxquels ils devaient obéir ; les méchants désobéirent et ils transgressèrent les commandements du Seigneur et toutes les choses qui ont déjà été dites arrivèrent par une providence et une disposition divines, jusqu’au second jour au matin correspondant au lundi, jour où Lucifer et son armée furent précipités et lancés dans l’enfer. À cette durée de temps (b) correspondirent les demeures des anges : leur création, leurs opérations, leur combat et leur chute ou leur glorification. Dès le moment où Lucifer avec sa troupe étrenna l’enfer, étant réunis ensemble, ils y firent un conciliabule qui leur dura jusqu’au jour correspondant au jeudi matin (c). Pendant ce temps Lucifer employa toute sa sagesse et sa malice diabolique à conférer avec les démons et à faire des projets comment ils offenseraient Dieu davantage et ils se vengeraient du châtiment qu’il leur avait donné. Et la conclusion qu’ils résolurent en somme fut que la plus grande vengeance et le plus grand dommage contre Dieu, qui aimerait tant les hommes selon ce qu’ils connaissaient, serait d’empêcher les effets de cet amour, en trompant, en persuadant et en forçant même les hommes autant qu’il serait possible à lui être ingrats et à se révolter contre sa volonté pour leur faire perdre sa grâce et son amitié.
123. « À cela, disait Lucifer, nous devons nous fatiguer en employant toutes nos forces, toutes nos sollicitudes et toute notre science ; nous réduirons les créatures humaines à notre jugement et à notre volonté pour les ruiner ; nous poursuivrons cette génération d’hommes et nous la priverons de la récompense qui lui a été promise. Avec toute notre vigilance, procurons qu’ils n’arrivent point à voir la face de Dieu, puisque cela nous a été refusé à nous avec injustice. Je dois remporter sur eux de grands triomphes, je détruirai et je soumettrai tout à ma volonté. Je sèmerai de nouvelles sectes, des erreurs et des lois contraires en tout à celles du Très-Haut. J’élèverai parmi ces hommes des prophètes et de petits chefs qui propageront les doctrines que je sèmerai parmi eux 159 et ensuite, en vengeance de leur Créateur, je les colloquerai avec moi dans ce profond tourment. J’affligerai les pauvres, j’opprimerai les affligés, je poursuivrai les humbles ; je sèmerai des discordes, je causerai des guerres, j’exciterai nation contre nation, j’engendrerai des orgueilleux et des arrogants ; j’étendrai la loi du péché et, quand ils m’auront obéi, je les ensevelirai dans ce feu éternel, et ceux qui se seront le plus attachés à moi, dans les lieux de plus grands tourments. Tel sera mon royaume et la récompense que je donnerai à mes serviteurs (d).
124. « Je ferai une guerre sanglante au Verbe Incarné quoiqu’il soit Dieu, puisqu’il sera aussi homme d’une nature inférieure à la mienne. J’élèverai mon trône et ma dignité au-dessus de la sienne, je le vaincrai et le renverserai par ma puissance et mon astuce : et la femme qui doit être sa mère périra par mes mains. Qu’est-ce pour ma puissance et ma grandeur qu’une seule femme ? Et vous autres, démons, qui êtes avec moi injustement opprimés, suivez-moi et obéissez-moi dans cette vengeance, comme vous l’avez fait dans la désobéissance. Feignez d’aimer les hommes pour les perdre, servez-les pour les détruire et les tromper, vous les assisterez pour les pervertir et les entraîner dans mes enfers. » Il n’y a pas de langue humaine qui puisse expliquer la malice et la fureur de ce premier conciliabule que Lucifer fit dans l’enfer contre le genre humain qui n’existait pas même, mais parce qu’il devait exister. Là furent frappés et monnayés tous les vices et les péchés du monde, de là sortirent le mensonge, les sectes et les erreurs ; et toute iniquité eut son origine de ce chaos ou cette congrégation abominable : et tous ceux qui opèrent l’iniquité servent le prince des enfers (e).
125. Ce conciliabule achevé, Lucifer voulut parler à Dieu et sa Majesté le lui permit pour ses fins très sublimes. Et ce fut de la manière que Satan parla lorsqu’il demanda la faculté de tenter Job ; le jour qui correspond au jeudi étant arrivé, il dit en parlant au Très-Haut : « Seigneur, puisque ta main a été si lourde pour moi, en me châtiant avec tant de cruauté, et que tu as déterminé tout ce que tu as voulu pour les hommes que tu as la volonté de créer, et que tu veux tant exalter et élever le Verbe Incarné, et qu’avec lui tu dois enrichir la femme qui sera sa mère avec les dons que tu lui as préparés : aie de l’équité et de la justice ; et puisque tu m’as donné la permission de persécuter les autres hommes, donne-la-moi aussi afin que je puisse tenter ce Christ Dieu-Homme et la femme qui doit être sa mère et que je puisse lui faire la guerre : donne-moi permission de déployer en cela toutes mes forces. » Lucifer dit alors d’autres choses et il s’humilia à demander cette licence, bien que l’humiliation fût violente à son orgueil, mais sa colère et ses anxiétés pour obtenir ce qu’il désirait étaient si grandes qu’il leur sacrifia sa propre superbe, une iniquité cédant à une autre ; parce qu’il connaissait que sans la permission du Seigneur tout-puissant il ne pouvait rien entreprendre. Et il se serait humilié une infinité de fois pour tenter Notre Seigneur Jésus-Christ et sa très sainte Mère en particulier, car il craignait celle qui devait lui écraser la tête.
126. Le Seigneur lui répondit : « Satan tu ne dois point en justice demander cette permission et cette licence, parce que le Verbe Incarné est ton Dieu et ton Seigneur tout-puissant et suprême, malgré qu’il soit vrai homme, et tu es sa créature : et si les autres hommes pèchent et s’assujettissent par là à ta volonté, le péché néanmoins ne sera pas possible dans mon Fils unique incarné : et si les hommes deviennent esclaves du péché, le Christ sera saint et juste et séparé des pécheurs 160, qu’il relèvera et qu’il rachètera s’ils viennent à tomber. Et cette femme contre laquelle tu as tant de colère, quoiqu’elle doive être pure créature et fille d’un pur homme, j’ai cependant déjà déterminé de la préserver du péché et elle doit être toujours toute mienne et je veux que tu n’aies jamais aucune part en elle par aucun titre, ni aucun droit en aucun temps. »
127. À cela Satan répliqua : « Quelle merveille serait-ce donc que cette femme fût sainte si elle ne doit avoir en aucun temps d’ennemi qui la persécute et l’incite au péché ? Ceci n’est point de l’équité ni de la droite justice, ça ne peut être ni convenable, ni louable. » Lucifer ajouta encore d’autres blasphèmes avec un orgueil plein d’arrogance. Mais le Très-Haut, qui dispose tout avec une sagesse infinie, lui répondit : « Je te donne permission de tenter le Christ qui en cela sera Exemplaire et Maître pour les autres. Je te permets aussi de persécuter cette femme ; mais tu ne la toucheras pas dans sa vie corporelle. Je veux que le Christ et sa Mère n’en soient pas exempts, mais qu’ils soient tentés par toi comme les autres. » Le dragon se réjouit plus de cette permission que de celle qu’il avait de persécuter tout le genre humain : et pour l’exécuter il détermina d’y apporter plus de soin, comme il le fit, que pour toute autre entreprise ; et de ne le point confier à d’autres démons, mais de le faire par lui-même. Et pour cela l’Évangéliste dit :
128. Le dragon persécuta la femme qui avait enfanté un fils ; car avec la permission qu’il eut du Seigneur, il fit une guerre inouïe à celle qu’il imaginait être Mère de l’Homme-Dieu. Et parce que je dirai en leurs lieux quels furent ces combats et ces luttes, je déclare seulement maintenant qu’ils furent grands au-dessus de toute pensée humaine. Et la manière d’y résister et de les vaincre glorieusement fut admirable aussi ; et afin que la femme pût se défendre du dragon il est dit : Que deux ailes d’un grand aigle lui furent données, afin qu’elle s’envolât au désert, en son lieu, où elle fut alimentée pendant un temps et des temps. Ces deux ailes furent données à la très sainte Vierge avant d’entrer dans le combat, parce qu’elle fut prévenue du Seigneur par des faveurs et des dons particuliers. L’une de ces ailes fut une science infuse de plusieurs grands mystères et de plusieurs grands sacrements qui lui fut donnée de nouveau. La seconde fut une humilité nouvelle et très profonde, comme je l’expliquerai en son lieu. Avec ces deux ailes, elle éleva son vol vers le Seigneur, son lieu propre, parce qu’en lui seul était toute sa vie et ses pensées. Elle vola comme un aigle royal, sans jamais détourner son vol vers l’ennemi, étant seule dans ce vol, et vivant déserte de tout le terrestre et le créé, et seule avec la seule et dernière fin, qui est la Divinité. Et dans cette solitude elle fut alimentée pendant un temps et des temps, alimentée de la très douce manne ou nourriture de la grâce, des paroles divines et des faveurs, du bras tout-puissant : Et pendant un temps et des temps ; car elle eut cet aliment toute sa vie ; et plus particulièrement dans ce temps que lui durèrent les plus grands combats avec Lucifer ; car alors elle reçut des faveurs plus proportionnées et plus grandes. Par un temps et des temps, on entend aussi la félicité éternelle où toutes ses victoires furent récompensées et couronnées.
129. Et pour la moitié d’un temps hors de la face du serpent. Cette moitié d’un temps fut celui que la très sainte Vierge passa dans cette vie libre de la persécution du dragon et sans le voir, car après l’avoir vaincu dans les combats qu’elle eut avec lui, elle en demeura délivrée (f), par la disposition divine, comme victorieuse. Et ce privilège lui fut accordé, afin qu’elle jouît de la paix et de la quiétude qu’elle avait méritées, demeurant victorieuse de l’ennemi, comme je le dirai plus loin. Mais pendant que dura la persécution, l’Évangéliste dit : Le serpent rejeta de sa bouche comme un fleuve vers la femme, afin qu’elle fût emportée par le courant ; et la terre aida la femme et la terre ouvrit sa bouche et absorba le fleuve que le dragon avait lancé de sa bouche. Lucifer essaya toute sa malice et toutes ses forces et il les étendit contre cette divine Souveraine, car tous ceux qui ont été tentés par lui, lui importaient moins que la très sainte Marie toute seule. Et comme l’impétuosité d’un grand torrent débordé court la plaine, ainsi avec une plus grande violence sortaient de la gueule de ce dragon les impostures, les méchancetés et les tentations contre elle. Mais la terre l’aida ; parce que la terre de son corps et de ses passions ne fut point maudite et elle n’eut point de part dans cette sentence et ce châtiment que Dieu fulmina contre nous en Adam et Ève, que notre terre serait maudite et qu’elle produirait des épines au lieu de fruits, demeurant blessée dans la nature par le fomes peccati qui toujours nous pique et nous fait contradiction, et dont le démon se prévaut pour la ruine des hommes, parce qu’il trouve au-dedans de nous ces armes si offensives contre nous-mêmes ; et se servant de nos inclinations il nous attire après les objets sensibles et terrestres avec une suavité et une délectation apparentes, par ces fausses persuasions.
130. Mais la très sainte Marie qui fut une terre sainte et bénie du Seigneur, n’ayant pas été touchée par le fomes ni par aucun autre effet du péché, ne put avoir de danger du côté de la terre ; au contraire, celle-ci la favorisa par ses inclinations très bien ordonnées, très saintes et assujetties à la grâce. Et ainsi la terre ouvrit son sein et elle absorba le courant des tentations que le dragon lui suscitait en vain, parce qu’il ne trouvait point de matière disposée ni de foments pour le péché, comme il arrive dans les autres enfants d’Adam, dont les passions terrestres et désordonnées aident au contraire à produire ce fleuve plutôt qu’à l’absorber, parce que nos passions et notre nature corrompue contredisent toujours la raison et la vertu. Et le dragon connaissant combien ses intentions contre cette mystérieuse femme demeuraient frustrées, le texte dit :
131. Et le dragon s’indigna contre la femme et il s’en alla faire la guerre au reste de sa génération qui gardaient les commandements de Dieu et qui avaient le témoignage de Jésus-Christ. Ce grand dragon, vaincu en tout par la Reine de l’univers et même prévoyant au contraire sa confusion et ce furieux tourment pour lui et pour tout l’enfer, s’en alla, déterminant de faire une guerre cruelle aux autres âmes de la génération et de la lignée de la très sainte Marie, qui sont les fidèles marqués par le sang de Jésus-Christ dans le baptême pour garder ses témoignages. Car toute la colère de Lucifer et de ses démons se tourna davantage contre la sainte Église et ses membres quand il vit qu’il ne pouvait rien contre son Chef Notre-Seigneur, et sa très sainte Mère. Et il fait surtout la guerre avec une particulière indignation aux Vierges de Jésus-Christ et il travaille pour détruire cette vertu de chasteté virginale, comme semence choisie et relique de la très chaste Vierge et Mère de l’Agneau : et pour tout cela le texte dit :
132. Le dragon s’en alla sur le sable de la mer qui est la vanité méprisable de ce monde dont le dragon se sustente et qu’il mange comme du foin. Tout cela se passa dans le ciel ; et dans les décrets de la volonté divine, il fut manifesté aux anges beaucoup de privilèges qui étaient préparés pour la Mère du Verbe qui devait s’incarner en elle. Et j’ai été brève à déclarer ce que j’ai compris, parce que l’abondance des mystères m’a rendue plus pauvre et plus dénuée de termes pour les déclarer.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. Isaïe trouve dans la mer la figure des impies, LVII, 20-21.
b. Il se peut, écrit Billuart, qu’un instant angélique corresponde à plusieurs instants de notre temps à savoir si l’ange continue la même opération quelque peu.
c. Que devaient-ils faire ou penser là-bas dans l’abîme, ces esprits maudits, sinon de chercher des manières d’alléger leur tourment en déversant de quelque manière l’esprit de vengeance qui les animait contre ces deux êtres. Et certainement que dans les quarante ou cinquante siècles avant Jésus-Christ, ils ne firent rien autre chose que de chercher des manières d’entraver le Christ qui devait venir et d’empêcher la bonne réussite de sa mission.
d. L’orgueil de Lucifer est ici admirablement représenté. L’on entend dans ces paroles l’orgueil et la perfidie même qui parlent.
e. Il y a donc un ordre et une subordination entre les démons. Les Juifs le croyaient : « C’est par Béelzébub, prince des démons, qu’il chasse les démons », disaient les Pharisiens. Cette subordination ne cessera que le jour du jugement, d’après l’opinion la plus reçue. Corn. a Lapide in Epist. ad Eph., VI, 2.
f. La Très Sainte Vierge demeura libre hors de la face du serpent la moitié d’un temps, selon la Vénérable, ce qui signifie le temps qu’elle fut tout à fait libre des combats.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE XI
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Dans la création de toutes les choses Dieu eut présents
Notre Seigneur Jésus-Christ et sa Très Sainte
Mère, et il élut et favorisa son peuple
figurant ces mystères.
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SOMMAIRE. – 133. Comment Notre Seigneur Jésus-Christ et sa très sainte Mère furent présents à la création du monde. – 134. Ils furent les exemplaires du genre humain. – 135. Dieu accrut la perfection des autres créatures parce qu’elles devaient servir au Christ et à sa Mère. – 136. Adam et Ève semblables à Jésus et à Marie. – 137. Leur création cachée à Lucifer. – 138. Erreur de Lucifer. – 139. Pourquoi le démon commença ses tentations contre Ève. – 140. Joie de Lucifer à la chute de nos premiers parents. – 141. Division parmi les enfants d’Adam causée par le péché. – 142. Caïn commença la cité du démon et Abel celle de Dieu. – 143. Adam figure de Jésus-Christ. – 144. Amour de Dieu pour son peuple. – 145. Préparatifs pour la venue du Fils de Dieu dans le monde. – 146. Ce que contient la Genèse. – 147. L’Exode. – 148. Le Lévitique. – 149. Les Nombres. – 150. Le Deutéronome. – 151. Le livre de Josué. – 152. Le livre des Juges. – 153. Les livres des Rois. – 154. Le livre de Job. – 155. Les Patriarches et les Prophètes. – 156. Le sacrifice d’Abraham – 157. L’échelle de Jacob. – 158. Le buisson de Moïse. – 159. Les Psaumes de David. – 160. Les écrits de Salomon. – 161. Les prophètes annoncent la venue, la vie et la mort de Jésus-Christ. – 162. Pourquoi Dieu disposa que tous les mystères du Christ fussent prophétisés de si loin.
133. La Sagesse dit elle-même, au chapitre VIII des Proverbes, qu’elle se trouva présente à la création de toutes les choses, les composant toutes avec le Très-Haut. Et j’ai déjà dit (a) que cette sagesse est le Verbe fait homme qui était présent avec sa très sainte Mère quand Dieu déterminait dans son entendement divin la création de tout le monde ; parce que, dans cet instant, le Fils n’était pas seulement avec le Père Éternel et l’Esprit-Saint, dans l’unité de la nature divine, mais aussi l’humanité qu’il devait prendre, avec sa très sainte Mère qui devait lui en fournir la matière de ses entrailles très pures, était au premier rang de toutes les créatures prévues et idéalisées dans l’entendement divin du Père. Et dans ces deux personnes, Jésus-Christ et sa Mère, furent prévues aussi toutes leurs œuvres dont le Très-Haut se tenait pour satisfait, afin de ne point faire attention, selon notre manière de parler, à tout ce que le genre humain et les anges même qui tombèrent pouvaient faire pour le détourner de procéder à la création de tout le reste du monde et des créatures qu’il préparait pour le service de l’homme.
134. Le Très-Haut regardait son Fils unique fait homme et la très sainte Vierge comme des exemplaires qu’il avait formés par la grandeur de sa sagesse et de sa puissance, pour lui servir comme d’originaux sur lesquels il copiait tout le genre humain, afin qu’en assimilant les autres créatures humaines à ces deux images de la Divinité, elles sortissent aussi, moyennant ces exemplaires, semblables à Dieu. Il créa aussi les choses matérielles nécessaires pour la vie humaine ; mais avec une sagesse telle que quelques-unes pussent servir aussi de symboles pour représenter en quelque manière les deux objets qu’il regardait principalement et auxquels ces choses devaient servir, Jésus-Christ et la très sainte Marie. Pour cela il fit les deux luminaires dans le ciel, le soleil et la lune 161, qui en séparant la nuit et le jour, représentent Jésus-Christ, le Soleil de justice, et sa très sainte Mère qui est belle comme la lune 162 ; et qui séparent la lumière et le jour de la grâce de la nuit du péché (b) ; et par ces influences continuelles, le soleil éclaire la lune (c) et tous les deux éclairent toutes les créatures depuis le firmament et ses astres et les autres jusqu’aux extrémités de l’univers.
135. Il créa les autres choses et il leur ajouta plus de perfection, considérant qu’elles devaient servir au Christ et à sa très sainte Mère, et grâce à eux, aux autres hommes, pour lesquels il prépara, avant qu’ils fussent sortis du néant, une table savoureuse, abondante, assurée et plus mémorable que celle d’Assuérus 163, car il voulait les créer pour ses complaisances et les convier aux délices de sa connaissance et de son amour, afin qu’ils ne perdissent point de temps en ce qui leur importait si fort, comme de reconnaître et de louer leur tout-puissant Auteur.
136. Au sixième jour de la création il forma et créa (d) Adam comme à l’âge de trente-trois ans, âge que Notre Seigneur Jésus-Christ aurait à sa mort et si semblable à sa très sainte Humanité qu’on aurait eu peine à les distinguer quant au corps, et il le fit aussi semblable au Christ dans son âme. Et d’Adam, il forma Ève si semblable à la Vierge, qu’elle l’imitait en tous ses traits et toute sa personne. Le Seigneur regardait avec une bienveillance et une complaisance souveraines ces deux portraits des originaux qu’il devait créer en leur temps, et en leur considération il donna à Adam et à Ève plusieurs bénédictions, comme pour s’entretenir avec eux et leurs descendants, pendant qu’arrivait le jour où il devait former Jésus-Christ et Marie.
137. Mais l’heureux état dans lequel Dieu avait créé les deux premiers parents du genre humain dura très peu ; car aussitôt l’envie du serpent contre eux se réveilla, attentif qu’il était à leur création, bien que Lucifer ne put voir la formation d’Adam et d’Ève comme il vit toutes les autres choses à l’instant qu’elles furent créées, parce que le Seigneur ne voulut point lui manifester l’œuvre de la création de l’homme, ni non plus la formation d’Ève de l’une de ses côtes, car sa Majesté lui cacha tout cela pendant quelque temps qu’ils furent ensemble. Mais lorsque le démon vit la composition admirable de la nature humaine au-dessus de toutes les autres créatures, la beauté des âmes ainsi que celle des corps d’Adam et d’Ève, et qu’il connut l’amour paternel avec lequel le Seigneur les regardait, qu’il les faisait seigneurs et maîtres de toutes les créatures, qu’il leur donnait des espérances de la vie éternelle ; ce fut ici que la colère du dragon s’enflamma davantage et il n’y a pas de langue qui puisse manifester l’altération et les bondissements de cette bête féroce que son envie excitait à les faire mourir, comme l’aurait fait un lion, s’il n’avait connu qu’une autre force plus haute le retenait ; mais il conférait des moyens et il en imaginait pour les renverser de la grâce du Très-Haut et les retourner contre lui.
138. Ici Lucifer se trompa ; parce que dès le principe le Seigneur lui avait manifesté que le Verbe devait se faire homme dans le sein de la très Sainte Marie en ne lui déclarant point ni le lieu ni le temps ; pour cela, il lui cacha la création d’Adam et la formation d’Ève, afin que dès lors il commençât à sentir cette ignorance du mystère et du temps de l’Incarnation. Et comme sa colère et sa vigilance étaient principalement attentives contre le Christ et Marie, il soupçonna si Adam était sorti d’Ève et si elle était la Mère et si Adam était le Verbe Incarné. Et ce soupçon croissait davantage (e) dans le démon de ce qu’il sentait cette vertu divine qui le retenait de les offenser dans leur vie. Mais d’un autre côté, comme il connut ensuite les préceptes que Dieu leur imposa, et qui ne lui furent point cachés, parce qu’il entendit la conférence qu’Adam et Ève eurent sur ce précepte, il sortit peu à peu du doute ; puis il écoutait les entretiens des deux premiers parents, il éprouvait leur caractère, commençant aussitôt à les entourer comme un lion affamé 164, et à chercher entrée par les inclinations qu’il connaissait en chacun d’eux. Mais jusqu’à ce qu’il fut détrompé tout à fait, il vacillait toujours entre la colère contre le Christ et Marie et la crainte d’être vaincu par eux : et il craignait surtout la confusion d’être vaincu par la Reine du ciel qui n’était qu’une pure créature et non pas Dieu.
139. Réfléchissant donc au précepte qu’Adam et Ève avaient reçu, armé du mensonge trompeur, il commença par Ève à les tenter, faisant tout son possible pour s’opposer et pour contrevenir à la volonté divine. Il n’attaqua pas l’homme d’abord, mais la femme, car il la connut d’un naturel plus délicat et plus faible, et il était plus certain qu’elle n’était pas le Christ, et parce qu’il avait contre la femme une souveraine indignation, depuis le signe qu’il avait vu dans le ciel et la menace que Dieu lui avait faite concernant cette femme. Tout cela l’incita à assaillir d’abord Ève plutôt qu’Adam. Et avant de se manifester à elle, il lui suggéra plusieurs pensées et imaginations fortes et véhémentes, afin de la trouver troublée et disposée de quelque manière. Et comme j’ai écrit sur ce sujet dans un autre endroit, je ne m’étendrai pas à dire ici combien il la tenta violemment et inhumainement ; il suffit maintenant à mon intention de savoir ce que les saintes Écritures disent : qu’il prit la forme de serpent 165 et qu’en cette forme il parla à Ève qui entretint la conversation, ce qu’elle ne devait point faire, puisqu’après l’avoir écouté et lui avoir répondu, elle passa à lui donner créance, et de là à violer le précepte par elle-même ; et à la fin à persuader à son mari de le violer, à son dommage et à celui de tous, perdant pour eux et pour nous l’heureux état dans lequel le Très-Haut les avait placés.
140. Lorsque Lucifer eut vu la chute d’Adam et d’Ève, et que la beauté de la grâce et de la justice originelle s’était changée en la laideur du péché, la joie et le triomphe qu’il manifesta à ses démons furent incroyables. Mais il les perdit bientôt, parce qu’il connut combien l’amour divin se montrait miséricordieux et plein de pitié envers les deux délinquants, et qu’il leur donnait lieu à la pénitence et à l’espérance du pardon et de sa grâce, auxquels ils se disposaient par la douleur et la contrition (f). Lucifer connut que la beauté de la grâce et l’amitié de Dieu leur était restituées ; par là l’enfer fut de nouveau tout troublé, voyant les effets de la contrition. Son tourment s’accrut encore en entendant la sentence que Dieu fulminait contre les coupables dans laquelle le démon aussi était compris : et il était surtout tourmenté d’entendre que cette menace lui était répétée sur la terre : La femme t’écrasera la tête, comme il l’avait ouïe dans le ciel.
141. Les enfantements d’Ève se multiplièrent après le péché et par là se fit la distinction et la multiplication des bons et des mauvais, des élus et des réprouvés ; les uns qui suivent notre Rédempteur et Maître Jésus-Christ et d’autres Satan. Les élus suivent leur Chef par la foi, l’humilité, la charité, la patience et toutes les vertus : et pour obtenir le triomphe, ils sont assistés, aidés et embellis par la grâce divine et les dons que le même Seigneur et Réparateur de tous leur a mérités. Mais les reprouvés, sans recevoir ces bienfaits et ces faveurs de leur faux Chef, ni attendre d’autres récompenses que la peine et la confusion éternelles de l’enfer, le suivent par orgueil, présomption, ambition, turpitude, méchanceté, toutes introduites par le père du mensonge 166 et l’auteur du péché.
142. Néanmoins l’ineffable bénignité du Très-Haut donna sa bénédiction à nos premiers parents, afin qu’avec elle le genre humain s’accrût et se multipliât 167. Mais sa très sublime Providence permit que le premier enfantement d’Ève portât les prémices du premier péché dans l’injuste Caïn, et que le second indiquât, dans l’innocent Abel, le Réparateur du péché, Notre Seigneur Jésus-Christ ; commençant à le signaler conjointement en figure et en imitation, afin que dans le premier juste fût étrennée la loi de Jésus-Christ et sa doctrine dont tous les autres devaient être disciples, souffrant pour la justice 168, étant abhorrés et opprimés des pécheurs et réprouvés de leurs propres frères. Pour cela, la patience, l’humilité et la mansuétude furent étrennées en Abel ; et en Caïn, l’envie et toutes les méchancetés qu’il fit au bénéfice du juste et à sa propre perte, le méchant triomphant et le bon souffrant ; et donnant principe dans ces spectacles à ceux que le monde devait avoir dans son progrès, composé de deux cités, de Jérusalem pour les justes, et de Babylone pour les réprouvés, chacun ayant son capitaine et son chef.
143. Le Très-Haut voulut que le premier Adam fût la figure du second dans le mode de la création ; puisque comme avant le premier Adam, il créa et ordonna pour lui la république de toutes les créatures dont il le faisait seigneur et chef ; ainsi, avant d’envoyer son Fils unique, il laissa passer plusieurs siècles, afin qu’il trouvât un peuple dans la multiplication du genre humain, dont il devait être Chef, Maître et Roi véritable, afin qu’il ne se trouvât point un seul instant sans république et sans vassaux : car tel est l’ordre et l’harmonie merveilleuse avec lesquels la sagesse divine disposa le tout, que ce qui était premier dans l’intention fut dernier dans l’exécution.
144. Et le monde s’avançant davantage, le Verbe voulant descendre du sein du Père et se vêtir de notre mortalité, élut et prépara un peuple choisi et très noble, le plus admirable qui se soit jamais trouvé ni avant ni après ; et en ce peuple, une race illustre et sainte d’où il descendrait selon la chair humaine. Je ne m’arrêterai point à rapporter cette généalogie 169 de Notre Seigneur Jésus-Christ, parce que ce n’est pas nécessaire et les saints Évangiles la racontent. Je dis seulement avec toute la louange que je puis au Très-Haut qu’il m’a montré en plusieurs occasions et en différents temps l’amour incomparable qu’il eut pour son peuple, les faveurs qu’il y opéra et les mystères et les sacrements que ces faveurs renferment, comment elles ont été manifestées ensuite dans sa sainte Église ; sans que jamais Celui qui se constitua le Gardien d’Israël ne se soit endormi et n’ait sommeillé 170.
145. Il fit les saints Patriarches et les saints Prophètes qui nous ont évangélisé de loin, en figures et en prophéties, ce que nous avons en possession maintenant, afin que nous l’ayons en vénération, connaissant l’appréciation qu’ils firent de la loi de grâce et les anxiétés et les clameurs avec lesquelles ils la désirèrent et la demandèrent. Dieu manifesta à ce peuple son Être immuable par plusieurs révélations, et eux nous le manifestèrent à nous par les Écritures, y renfermant d’immenses mystères que nous comprenons et que nous connaissons par la foi. Le Verbe Incarné les accomplit et les accrédita tous, nous laissant avec cela la doctrine sûre et l’aliment des saintes Écritures pour son Église. Et quoique les Prophètes et les justes de ce peuple ne purent obtenir la vue corporelle du Christ ; néanmoins le Seigneur fut très libéral envers eux, se manifestant par les prophéties, excitant leurs affections à demander sa venue et la Rédemption de tout le genre humain. Et la reconnaissance et l’harmonie de toutes ces prophéties, de tous ces mystères et de tous ces soupirs des anciens Pères étaient pour le Très-Haut une musique très suave qui résonnait dans l’intime de son sein, avec quoi, à notre manière de concevoir, il passait et il accélérait même le temps de descendre et de converser avec les hommes.
146. Afin de ne point m’arrêter trop à ce que le Seigneur m’a donné à connaître sur ce point, et pour arriver à ce que je cherche des préparatifs que le Seigneur fit pour envoyer le Verbe fait homme au monde et à sa très sainte Mère, je les dirai succinctement selon l’ordre des divines Écritures. La Genèse contient ce qui touche à l’exorde et à la création du monde pour le genre humain : la division des terres et des nations, le châtiment et la restauration ; la confusion des langues et l’origine du peuple choisi ; la descente en Égypte et beaucoup d’autres grands sacrements que Dieu déclara à Moïse, afin de nous donner à connaître par lui l’amour et la justice qu’il montra dès le principe envers les hommes pour les attirer à sa connaissance et à son service, et signifier ce qu’il avait déterminé de faire dans l’avenir.
147. L’Exode contient ce qui arriva en Égypte à l’égard du peuple choisi, les plaies et les châtiments que Dieu envoya pour le racheter mystérieusement ; la sortie et le passage de la Mer Rouge ; la loi écrite donnée avec tant de préventions et de merveilles et beaucoup d’autres miracles et sacrements que Dieu opéra pour son peuple, affligeant parfois leurs ennemis, et, d’autres fois eux-mêmes, châtiant les uns comme juge sévère, corrigeant les autres comme père très aimant, leur enseignant à reconnaître le bienfait dans les afflictions. Il fit de grandes merveilles par la verge de Moïse, en figure de la croix où le Verbe fait chair devait être l’Agneau sacrifié, remède pour les uns et ruine pour les autres 171, comme le fut la verge de la Mer Rouge qui défendit le peuple par une muraille d’eau dont le torrent engloutit les Égyptiens. Par tous ces mystères, il tissait la vie des saints d’allégresse et de pleurs, de travaux et de consolations, et il copiait le tout avec une sagesse et une providence infinies de la vie et de la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ.
148. Dans le Lévitique il décrit et ordonne beaucoup de sacrifices et de cérémonies légales pour apaiser Dieu, sacrifices qui signifiaient l’Agneau qui devait être immolé pour tous et ensuite nous aussi à sa Majesté, avec la vérité exécutée de ces sacrifices figuratifs. Là aussi on déclare les vêtements d’Aaron, souverain prêtre et figure de Jésus-Christ, quoique ce divin pontife ne dût pas être d’un ordre si inférieur, mais selon l’ordre de Melchisédech 172.
149. Les Nombres contiennent les stations du désert, signifiant ce que Dieu devait opérer à l’égard de la sainte Église, de son Fils unique fait homme, de sa très sainte Mère ; et aussi de tous les autres justes, qui sont tous compris selon divers sens dans ces évènements de la colonne de feu, de la manne, de la pierre qui donna de l’eau, et d’autres grands mystères qui sont aussi compris en d’autres œuvres. Les Nombres renferment aussi les mystères qui regardent l’arithmétique, et il y a en tout des secrets très profonds.
150. Le Deutéronome est comme une seconde loi, non différente, mais seulement répétée d’une manière différente et plus proprement figurative de la loi évangélique, parce que l’Incarnation du Verbe devant être retardée par les secrets jugements de Dieu et les convenances que sa sagesse connaît, il renouvelait et disposait les lois, les faisant plus ressemblantes à celles qui seraient établies plus tard par son Fils unique.
151. Jésus Nave ou Josué introduit le peuple de Dieu dans la terre promise et après avoir passé le Jourdain, il la lui partage, opérant de grandes merveilles, comme figure très expresse de Notre Rédempteur, tant dans le nom que dans les œuvres. Il symbolisa la destruction des royaumes que le démon possédait et la séparation et la division qui se fera au dernier jour des bons et des méchants.
152. Le peuple était déjà en la possession de la terre promise et désirée qui représente premièrement et proprement l’Église acquise par Jésus-Christ, au prix de son sang. Après le livre de Josué vient celui des Juges, que Dieu ordonnait pour le gouvernement de son peuple ; particulièrement dans les guerres dont il souffrait des Philistins et d’autres ennemis, leurs voisins, à cause de leurs péchés continuels et de leurs idolâtries ; ennemis dont Dieu les défendait et les délivrait, lorsqu’ils se convertissaient à lui par la pénitence et par l’amendement de leur vie. Dans ce livre est rapporté ce que fit Déborah, jugeant le peuple de Dieu et le délivrant d’une grande oppression. Et Jahel qui concourut à la victoire, femmes fortes et vaillantes, et toutes ces victoires sont une figure expresse et un témoignage de ce qui se passe dans l’Église.
153. Les Juges étant finis, viennent les Rois que les Israélites demandèrent, voulant être comme les autres nations dans le gouvernement. Ces livres contiennent de grands mystères de la venue du Messie. La mort du prêtre Héli et du roi Saül indique la réprobation de l’ancienne Loi. Sadoc et David le nouveau royaume et le sacerdoce de Jésus-Christ, ainsi que l’Église avec le petit nombre qu’il devait y avoir en elle en comparaison du reste du monde. Les autres rois d’Israël et de Juda et leurs captivités signalent d’autres grands mystères de la sainte Église.
154. Il y eut dans ce temps-là le très patient Job, dont les paroles sont si mystérieuses qu’il n’y en a aucune qui ne renferme de profonds sacrements de la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ, de la résurrection des morts, du jugement dernier dans la même chair identique que chacun a maintenant, et de la force et de l’astuce du démon et de ses combats. Et surtout Dieu le plaça comme un miroir de patience pour les mortels, afin que nous apprissions tous de lui comment nous devons souffrir les afflictions après la mort de Jésus-Christ que nous avons présente, puisque avant il y eut un saint qui, à la vue éloignée, l’imita avec tant de patience.
155. Mais dans les nombreux et grands prophètes que Dieu envoya à son peuple dans le temps de ses rois, quand il en avait le plus grand besoin, il y a tant de mystères et de sacrements que le Très-Haut n’en laissa aucun de ceux qui appartenaient à la venue du Messie et à sa loi qu’il ne leur révélât et ne leur déclarât. Et il fit la même chose, quoique de plus loin, avec les anciens Pères et les Patriarches. Et tout était comme pour multiplier les portraits et les images du Verbe Incarné et lui prévenir et préparer un peuple et la loi qu’il devait enseigner.
156. Il déposa de grands et riches trésors dans les trois grands patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, afin de pouvoir s’appeler le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Et il voulut s’honorer de ce nom pour honorer à leur tour ces mêmes Patriarches, manifestant leur dignité et leurs excellentes vertus, ainsi que les secrets qu’il leur avait confiés, afin qu’ils donnassent à Dieu un nom aussi honorable. Il tenta et éprouva le patriarche Abraham en lui commandant de sacrifier Isaac, afin de faire cette représentation si expresse de ce que le Père Éternel devait faire avec son Fils Unique 173. Mais lorsque le père obéissant voulut exécuter le sacrifice, le même Seigneur qui lui avait commandé l’empêcha, parce qu’une action aussi héroïque était réservée pour le Père Éternel seul, sacrifiant effectivement son Fils unique de manière qu’il fût dit seulement pour la montre qu’Abraham l’avait fait : en quoi il paraît que le zèle de l’amour divin fut fort comme la mort 174. Néanmoins il ne convenait point qu’une figure si expressive demeurât imparfaite, et ainsi elle s’accomplit, Abraham sacrifiant un bélier qui était aussi une figure de l’Agneau qui devait ôter le péché du monde.
157. Il fut donné à Jacob de voir cette échelle 175 mystérieuse pleine de sens cachés et le plus grand fut de représenter le Verbe fait chair, qui est le chemin et l’échelle par où nous montons au Père, et de lui sa Majesté descendit à nous, et par son moyen montent et descendent les anges qui nous éclairent et qui nous gardent, nous portant dans leurs mains, afin que nous ne nous heurtions point sur les pierres 176 des erreurs, des hérésies et des vices dont le chemin de la vie mortelle est semé ; et au moyen de telles pierres, nous montons assurés par cette échelle, avec la foi et l’espérance de la Sainte Église, qui est la maison de Dieu, où il n’y a rien autre chose que la porte du ciel et de la sainteté.
158. Le buisson mystique 177 qui brûlait sans se consumer fut montré à Moïse pour le constituer le Dieu de Pharaon et le capitaine de son peuple ; le buisson symbolisant aussi prophétiquement la Divinité couverte dans notre humanité, sans que l’humain dérogeât au divin, ni que le divin consumât l’humain. Il figurait la virginité perpétuelle de la Mère du Verbe, non seulement quant au corps, mais aussi quant à l’âme, ne devant pas être tachée ni offensée de ce qu’elle était fille d’Adam, ou de ce qu’elle était venue vêtue et engendrée de cette nature consumée par le premier péché.
159. Il fit aussi David selon son cœur 178, tellement qu’il put dignement chanter les miséricordes du Très-Haut, comme il le fit en comprenant dans ses Psaumes tous les sacrements et les mystères, non seulement de la loi de grâce mais aussi de la loi écrite et de la loi naturelle, sans que les témoignages, les jugements et les œuvres du Très-Haut cessassent dans sa bouche, car il les avait fixés dans son cœur pour les méditer le jour et la nuit 179. Et en pardonnant les injures 180, il fut une image ou figure expresse de celui qui devait pardonner les nôtres ; et ainsi les promesses les plus claires et les plus certaines de la venue du Rédempteur dans le monde lui furent faites.
160. Salomon, roi pacifique, et en cela, figure du véritable Roi des rois, répandit la grande sagesse en manifestant, de diverses manières d’écritures, les mystères et les sacrements de Jésus-Christ, spécialement dans la métaphore des Cantiques où il renferma les mystères du Verbe Incarné, de sa Mère très sainte, de l’Église et des fidèles. Il enseigna aussi la doctrine des mœurs par divers moyens ; et de cette fontaine sont venues les eaux de la vérité et de la vie à beaucoup d’autres écrivains.
161. Mais qui pourra dignement exalter le bienfait du Seigneur de nous avoir donné, par le moyen de son peuple, le nombre illustre des saints Prophètes, où la sagesse éternelle répandit copieusement la grâce de la prophétie, illuminant son Église de tant de flambeaux, qui commencèrent de très loin à nous représenter le Soleil de justice et les rayons qu’il devait répandre par ses œuvres dans la loi de grâce. Les deux grands prophètes Isaïe et Jérémie furent choisis pour nous annoncer d’une manière sublime les mystères de l’Incarnation du Verbe, sa naissance, sa vie et sa mort. Isaïe nous promit qu’une vierge concevrait et enfanterait et qu’elle nous donnerait un fils qui s’appellerait Emmanuel : et qu’un petit enfant naîtrait pour nous et qu’il porterait son empire sur ses épaules 181. Et il annonça tout le reste de la vie de Jésus-Christ avec tant de clarté que sa prophétie ressemble à un évangile. Jérémie dit la nouveauté que Dieu devait opérer avec une femme qui aurait dans son sein un homme 182, lequel ne pouvait être que Jésus-Christ, Dieu et homme parfait. Il annonça sa venue, sa passion, ses opprobres et sa mort 183. Je demeure ravie et émerveillée dans la considération de ces prophètes. Isaïe demande que le Seigneur envoie l’Agneau qui doit dominer le monde, de la pierre du désert à la montagne de la fille de Sion 184 ; parce que cet Agneau qui est le Verbe Incarné, était quant à la Divinité dans le désert du ciel, le ciel est appelé désert, les hommes y manquant. Et il l’appelle pierre, à cause du repos, de la fermeté et de la quiétude éternelle dont il jouit. La montagne où il lui demande de venir est premièrement la très sainte Marie, fille de la vision de paix qui est Sion ; et dans le sens mystique, la sainte Église. Et le Prophète l’interpose pour obliger le Père Éternel à envoyer l’Agneau, son Fils unique, parce qu’il n’y en avait pas dans tout le reste du genre humain qui pût l’obliger autant qu’une telle Mère qui devait donner à ce divin Agneau la peau et la laine de sa très sainte Humanité, et c’est ce que contient cette très douce oraison et cette prophétie d’Isaïe.
162. Ézéchiel vit aussi cette Mère Vierge dans la figure ou métaphore de cette porte fermée 185 qui ne devait être ouverte que par le seul Dieu d’Israël et qu’aucun autre homme ne devait entrer par elle. Habacuc contemple Notre Seigneur Jésus-Christ en croix, et avec ces paroles profondes il prophétisa les mystères de la Rédemption et les effets admirables de la passion et de la mort de notre Rédempteur 186. Zoël décrit la terre des douze tribus, figure des douze Apôtres qui devaient être Chefs de tous les enfants de l’Église. Il annonça aussi de la même manière la venue de l’Esprit-Saint 187 sur les serviteurs et les servantes du Très-Haut, marquant le temps de la venue et de la vie de Jésus-Christ. Et tous les autres Prophètes l’annoncèrent aussi partiellement, parce que le Très Haut voulut que tout demeurât dit, prophétisé et figuré de si loin et si abondamment que toutes ces œuvres admirables pussent témoigner de l’amour et de la sollicitude que Dieu eut pour les hommes et comment il enrichit son Église. Et aussi pour inculper et reprendre notre tiédeur, étant donné que ces anciens Pères et ces Prophètes s’enflammèrent d’un tel amour seulement avec les ombres et les figures, qu’ils se répandirent en cantiques de louange et de gloire pour Dieu, pendant que nous qui possédons la réalité et le clair jour de la grâce, nous sommes ensevelis dans l’oubli de tant de bienfaits et nous abandonnons la lumière pour chercher les ténèbres.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. Numéro 54.
b. Innocent III écrit : « Celui qui gît dans la nuit du péché, qu’il regarde la lune, qu’il prie Marie ! » Serm. II, de Ass. Et saint Alphonse de Liguori s’exprime de cette manière : « Jésus-Christ, luminaire plus grand qui préside aux justes : Marie, luminaire moindre qui préside aux pécheurs. » Gloires de Marie, III, 2.
c. Saint Antonin écrit : « Quelques-uns disent que la lune a sa lumière non par soi, mais par le soleil... Ainsi donc, cette Lune, Marie, reçoit sa lumière de grâce par le Soleil de Justice. » 4 p., t. 15, c. 33.
d. Il forma et créa. Il forma quant au corps et il créa quant à l’âme. La Vénérable met il forma avant il créa, parce que le corps fut formé avant que l’âme fût créée.
e. Que le démon, malgré sa grande science naturelle d’ange, qu’il conserva encore après être tombé, puisse toutefois ignorer plusieurs choses même naturelles, parce que Dieu les lui cache, et en d’autres se tromper : c’est une doctrine commune des théologiens, après les anciens Pères et saint Thomas, 1 p., q. 64, a 1 ; III p., q. 41.
f. La douleur et la contrition. La douleur est mise avant la contrition (parfaite), parce qu’après le péché celle-là a coutume de naître avant celle-ci. Il appartenait proprement à nos premiers parents de concevoir de la contrition du péché originel ; sans quoi ils n’en auraient jamais eu le pardon.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE XII
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Comment, le genre humain s’étant propagé, les clameurs
des justes s’accrurent pour la venue du Messie et les
péchés aussi s’accrurent ; et dans cette nuit de
l’ancienne loi, Dieu envoya dans le monde
deux luminaires qui annoncèrent
la loi de grâce.
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SOMMAIRE. – 163. Disposition du monde dans le temps proche de la venue du Messie. – 164. Les péchés la retardaient. – 165. Dieu envoie au monde Joachim et Anne. – 166. Sainteté et vertu de sainte Anne. – 167. Oraisons de saint Joachim et de sainte Anne pour prendre l’état du mariage. – 168. Leur mariage. – 169. Sainteté de leur vie dans le mariage. – 170. Dieu dispose sainte Anne pour être la digne Mère de la Vierge. – 171. Ils demeurent vingt ans sans enfant. – 172. Vœu qu’ils firent par l’impulsion de l’Esprit-Saint. – 173. Affront que reçut saint Joachim. – 174. Sa prière et sa solitude. – 175. Oraison de sainte Anne. – 176. L’estime qu’on doit avoir pour ces saints.
163. La race et la postérité d’Adam s’accrut en grand nombre, se multipliant les justes et les injustes, les clameurs des saints pour demander le Rédempteur et les crimes des pécheurs qui déméritaient d’avoir ce bienfait. Le peuple du Très-Haut et le triomphe du Verbe qui devait se faire homme étaient déjà dans les dernières dispositions que la volonté divine opérait en eux pour la venue du Messie, et le règne du péché dans les enfants de perdition avait dilaté sa malice presque jusqu’aux derniers termes ; et déjà le temps opportun du remède était arrivé. La couronne et les mérites des justes s’étaient augmentés : et les Prophètes et les saints Pères reconnaissaient avec Jubilation de la lumière divine, que le salut et la présence du Rédempteur s’approchaient. C’est pourquoi ils multipliaient leurs clameurs, demandant à Dieu l’accomplissement des prophéties et des promesses faites à son peuple. Ils représentaient, devant le trône royal de la divine miséricorde, la très longue nuit 188 qui s’était passée dans les ténèbres du péché depuis la création du premier homme, ainsi que l’aveuglement de l’idolâtrie dans lequel tout le reste du genre humain était enveloppé.
164. Et ainsi, quand l’ancien serpent avait infecté tout le globe de son haleine et qu’il semblait jouir de la paisible possession des mortels ; quand ceux-ci s’éloignaient même de la lumière de la raison naturelle 189 et de celle qu’ils auraient pu avoir de l’ancienne loi écrite, au lieu de chercher la véritable Divinité, ils s’en créaient beaucoup de fausses et chacun se formait un Dieu à son goût, sans s’apercevoir que la confusion de tant de divinités répugnait à la perfection, à l’ordre et à la quiétude même : quand avec ces erreurs, la malice, l’ignorance et l’oubli du vrai Dieu s’étaient déjà naturalisés, et l’on ne réfléchissait pas à l’infirmité et à la léthargie mortelles dont on souffrait dans le monde, sans que les malades eux-mêmes ouvrissent seulement la bouche pour demander le remède : quand l’orgueil régnait et le nombre des insensés était infini 190, et l’arrogance de Lucifer prétendait boire les eaux pures du Jourdain 191, quand Dieu était le plus offensé par ces péchés et le moins obligé de la part des hommes, et l’attribut de sa justice avait si justifié sa cause pour anéantir tout l’univers, le faisant rentrer dans son ancien néant.
165. Alors donc le Très-Haut tourna, selon notre manière de concevoir, son attention vers l’attribut de sa miséricorde et inclinant le poids de son équité incompréhensible par la loi de la clémence, il voulut se donner pour plus obligé par sa propre bonté et par les clameurs et les services des justes et des Prophètes de son peuple, qu’il n’était désobligé par la méchanceté et les offenses de tout le reste des pécheurs. Et dans cette si lourde nuit de l’ancienne loi, il détermina de donner des gages certains du jour de la grâce, en envoyant au monde deux brillants luminaires pour annoncer la clarté déjà voisine du Soleil de justice, Jésus-Christ, notre salut. Ce furent saint Joachim et sainte Anne, préparés et créés par la volonté divine pour être selon son cœur. Saint Joachim avait sa maison, sa famille et ses parents à Nazareth, ville de Galilée. Il fut toujours un homme juste et saint, illustré d’une grâce spéciale et d’une lumière d’en haut. Il avait l’intelligence de plusieurs mystères des Écritures et des anciens Prophètes ; et il demandait à Dieu par une oraison fervente et continuelle l’accomplissement de ses promesses, et sa foi et sa charité pénétraient les cieux. C’était un homme très humble, pur, de mœurs saintes et d’une sincérité souveraine ; avec cela il était très grave, très sérieux et d’une modestie et d’une honnêteté incomparables.
166. La très heureuse sainte Anne avait sa maison à Bethléem, c’était une jeune fille très chaste, très humble et très belle ; elle avait été sainte, modeste et remplie de vertus dès son enfance. Elle avait eu aussi des illustrations grandes et continuelles du Très-Haut ; et elle occupait sans cesse son intérieur dans une contemplation très sublime, étant en même temps très serviable et très laborieuse, avec quoi elle arriva à la perfection des vie active et contemplative. Elle avait une connaissance infuse des divines Écritures et une profonde intelligence de ses mystères et de ses sacrements cachés : et elle était incomparable dans les vertus infuses de foi, d’espérance et de charité. Prévenue de ces dons, elle priait continuellement pour la venue du Messie ; et ses supplications furent si bien acceptées du Seigneur pour lui faire accélérer le pas, qu’il eut pu singulièrement lui répondre qu’elle avait blessé son cœur par l’un de ses cheveux 192, puisque sans aucun doute, les mérites de sainte Anne eurent une place très sublime parmi les saints de l’Ancien Testament, pour hâter la venue du Verbe.
167. Cette femme forte fit aussi une oraison très fervente pour demander au Très-Haut de lui donner dans l’état du mariage la compagnie d’un époux qui l’aidât à garder la loi divine et le saint testament, et à mener une vie parfaite dans l’observance de ses préceptes. Et en même temps que sainte Anne demandait cela au Seigneur, sa providence ordonna que saint Joachim fît la même prière, afin que ces deux demandes jointes ensemble fussent présentées devant le tribunal de la bienheureuse Trinité où elles furent écoutées et exécutées. Et il fut aussitôt disposé par l’ordonnance divine que Joachim et Anne prendraient ensemble l’état du mariage et qu’ils seraient les parents de celle qui devait être Mère du même Dieu fait homme Et pour exécuter ce décret, le Saint Archange Gabriel fut envoyé (a) pour le leur manifester à tous les deux. Il apparut corporellement à sainte Anne pendant qu’elle était en une oraison très fervente et qu’elle demandait la venue du Sauveur du monde et le remède des hommes. Et elle vit le saint prince dans une grande beauté et une grande splendeur, ce qui lui causa du trouble et de la crainte en même temps qu’une jubilation et une illumination intérieure de son esprit. La sainte se prosterna avec une humilité profonde pour révérer l’ambassadeur du ciel ; mais il la retint et la conforta, comme étant celle qui serait la dépositaire de l’arche de la véritable manne, la très sainte Marie, Mère du Verbe Éternel ; parce que ce saint archange avait déjà connu ce mystère et ce sacrement caché du Seigneur, lorsqu’il avait été envoyé avec cette ambassade, quoique les autres anges du ciel ne le connussent point alors, parce que cette révélation ou illumination fut faite immédiatement par le Seigneur à saint Gabriel seul. L’Ange ne manifesta pas non plus alors ce grand sacrement à sainte Anne ; mais il lui demanda son attention et lui dit : « Que le Très-Haut te donne sa bénédiction, ô toi sa servante, et qu’il soit ton salut. Sa Majesté a entendu tes prières et il veut que tu y persévères en continuant tes supplications pour la venue du Sauveur ; et c’est sa volonté que tu prennes Joachim pour époux ; c’est un homme au cœur droit et agréable aux yeux du Seigneur ; en sa compagnie tu pourras persévérer dans son service et l’observance de sa divine loi. Continue tes oraisons et tes supplications et ne fais point d’autres diligences de ton côté, car le Seigneur disposera lui-même la chose comme elle doit s’exécuter. Et toi, chemine par les droits sentiers de la justice, que ton habitation intérieure soit toujours dans les cieux, prie sans cesse pour la venue du Messie et réjouis-toi dans le Seigneur qui est ton salut. » Après cela, l’Ange disparut, la laissant illustrée sur beaucoup de mystères des Écritures, et confortée et renouvelée dans son esprit.
168. L’Archange apparut et parla à saint Joachim non point corporellement comme à sainte Anne ; mais l’homme de Dieu aperçut en songe qu’il lui disait ces raisons : « Joachim, sois béni de la divine droite du Très-Haut, persévère en tes désirs, vis avec droiture et des pas parfaits. C’est la volonté du Seigneur que tu reçoives Anne pour ton épouse, car c’est une âme à qui le Tout-Puissant a donné sa bénédiction. Aie soin d’elle, et estime-la comme un gage du Très-Haut, et rends grâce à sa Majesté de te l’avoir confiée. » En vertu de ces divines ambassades, Joachim demanda aussitôt la très chaste sainte Anne pour épouse, et le mariage s’effectua, obéissant tous deux à la disposition divine ; mais ils ne se manifestèrent l’un à l’autre ce qui s’était passé qu’après quelques années, comme je le dirai en son lieu. Les deux saints époux vécurent à Nazareth, procédant et cheminant par les justifications du Seigneur, et dans la rectitude et la sincérité ils donnaient le comble des vertus à leurs œuvres, et ils se rendirent très agréables et très acceptables au Très-Haut et sans reproche. Ils faisaient chaque année trois parts des rentes et des fruits de leurs biens. Ils offraient la première au temple de Jérusalem pour le culte du Seigneur. La seconde, ils la distribuaient aux pauvres. Et avec la troisième ils sustentaient décemment leur vie et leur famille. Et Dieu accroissait leurs biens temporels, parce qu’ils les dépensaient avec tant de largesse et de charité.
169. Ils vivaient ainsi dans une paix et une conformité de sentiment inviolables, sans querelle et sans litige aucune. Et la très humble sainte Anne vivait sujette et soumise en tout à la volonté de Joachim : et l’homme de Dieu s’étudiait avec une sainte émulation à prévenir et à deviner la volonté de sainte Anne, et son cœur se confiant en elle 193 ne demeura point frustré ; ils vécurent ainsi dans une charité si parfaite qu’ils n’eurent aucun dissentiment en toute leur vie, l’un voulant toujours ce que voulait l’autre. De plus comme ils étaient unis ensemble dans 194 le nom du Seigneur, sa Majesté et sa sainte crainte était au milieu d’eux. Et saint Joachim se soumit et obéit au commandement de l’ange d’estimer son épouse et d’avoir soin d’elle.
170. Le Seigneur prévint la sainte matrone Anne avec des bénédictions de douceur 195 et il lui communiqua des dons très sublimes de grâce et de science infuse qui la disposaient pour la bonne fortune qui l’attendait d’être mère de celle qui devait l’être du Seigneur même. Et comme les œuvres du Tout-Puissant sont parfaites et consommées, il était conséquent qu’il la fît digne mère de la créature la plus pure et qui ne devait être inférieure qu’à Dieu seul en sainteté et supérieure à toutes les créatures.
171. Ces deux saints époux passèrent vingt ans sans avoir de succession d’enfants : chose qui était tenue dans ce temps-là et parmi ce peuple pour une grande infortune et une grande disgrâce, et ils souffrirent pour cette raison auprès de leurs voisins et de leurs connaissances beaucoup de mépris et d’opprobres ; car ceux qui n’avaient point d’enfants étaient considérés comme exclus de la participation à la venue du Messie qu’ils attendaient. Mais le Très-Haut qui voulait par le moyen de cette humiliation les affliger et les disposer pour la grâce qu’il leur préparait, leur donna la patience et la conformité, afin qu’ils semassent dans les larmes 196 et les oraisons l’heureux fruit qu’ils devaient cueillir ensuite. Ils firent de grandes prières du plus profond de leur cœur, ayant pour cela un commandement spécial d’en haut ; et ils promirent au Seigneur avec un vœu exprès que s’il leur donnait un enfant ils consacreraient à son service dans le temple le fruit de bénédiction qu’ils auraient reçu.
172. Et ils firent cette promesse par une impulsion spéciale de l’Esprit-Saint qui ordonnait que celle qui devait être la demeure de son Fils unique fût, avant même d’avoir l’être, offerte et comme livrée par ses parents au Seigneur. Car s’ils ne s’étaient pas obligés de l’offrir au temple par un vœu spécial avant de la connaître et de traiter avec elle, ils n’eussent point été capables de le faire ensuite avec autant de promptitude, à cause du véhément amour qu’ils avaient, voyant une créature si douce et si agréable. Et par cette seule offrande selon notre manière d’entendre, le Seigneur satisfaisait la jalousie qu’il aurait eue de voir que sa sainte Mère eût appartenu à d’autres, et son amour se consolait ainsi pour le temps qu’il différait encore de la créer.
173. Ayant persévéré une année entière dans ces demandes après que le Seigneur les leur eut commandées, il arriva que saint Joachim alla par l’inspiration et le commandement de Dieu au temple de Jérusalem, offrir des oraisons et des sacrifices pour la venue du Messie et pour le fruit qu’il désirait. Et s’approchant avec d’autres de son peuple pour présenter les offrandes et les dons ordinaires en présence du grand prêtre, un autre prêtre inférieur appelé Issachar (b) reprit durement le vénérable vieillard Joachim parce qu’il s’approchait pour offrir avec les autres étant infécond. Et entre autres raisons, il lui dit : « Retire-toi des autres et va-t’en. Ne courrouce point Dieu par tes offrandes et tes sacrifices qui ne sont pas agréables à ses yeux. » Le saint homme couvert de honte et de confusion se tourna vers le Seigneur avec une humble et amoureuse affection et lui dit : « Très-Haut Seigneur et Dieu éternel, c’est par votre commandement et votre volonté que je suis venu au temple : celui qui tient votre place me méprise ; mes péchés ont mérité cette ignominie ; mais je la reçois pour votre amour, ne méprisez pas l’ouvrage de vos mains 197. » Joachim s’en alla du temple contristé, mais calme et pacifique, vers une maison des champs ou plutôt une grange qu’il avait, et de là dans la solitude pendant quelques jours, il cria vers le Seigneur et il lui fit cette prière :
174. « Dieu éternel et très haut, de qui dépend tout l’être et la réparation du genre humain, prosterné en votre royale présence, je vous supplie que votre infinie bonté daigne regarder l’affliction de mon âme et entendre mes prières et celles de votre servante Anne. Tous mes désirs sont manifestes à vos yeux 198, et si je ne mérite pas d’être écouté, ne méprisez pas mon humble épouse. Seigneur Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, nos premiers pères, ne cachez point de nous votre pitié ; puisque vous êtes père, ne permettez pas que dans mes offrandes je sois du nombre des réprouvés et des infortunés, comme inutile, parce que vous ne m’avez pas donné d’enfants. Souvenez-vous, Seigneur des sacrifices et des oblations de vos serviteurs et de vos Prophètes 199, mes anciens pères, ayez présentes les œuvres qui en eux furent agréables à vos yeux divins et puisque vous me commandez, Seigneur, que je vous prie avec confiance, vous qui êtes puissant et riche en miséricorde, accordez-moi ce que je désire et demande par vous ; puisqu’en vous priant je fais votre sainte volonté et l’obéissance, en quoi vous me promettez ma demande. Et si mes péchés empêchent vos miséricordes, éloignez de moi ce qui les empêche et vous déplaît. Vous êtes puissant, Seigneur, Dieu d’Israël 200, et vous pouvez opérer sans résistance tout ce qui est de votre volonté. Que mes demandes arrivent à vos oreilles, car je suis pauvre et petit, vous êtes infini et incliné à user de miséricorde envers les infirmes. À qui irai-je hors de vous qui êtes le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, et le Tout-Puissant ? Vous avez rempli de dons et de bénédictions vos enfants et vos serviteurs dans leurs générations ; vous m’enseignez à moi, à désirer et à espérer de votre libéralité ce que vous avez opéré envers mes frères. S’il est de votre bon plaisir de m’accorder ma demande, j’offrirai et consacrerai à votre service, dans votre saint temple, le fruit de succession que je recevrai de votre main. Mon cœur et mon esprit sont abandonnés à votre volonté. J’ai toujours désiré d’éloigner mes yeux de la vanité. Faites de moi selon votre bon plaisir, et réjouissez notre esprit, Seigneur, par l’accomplissement de votre espérance. De votre saint trône regardez l’humble poussière et élevez-la, afin qu’elle vous exalte et vous adore et que votre volonté et non la mienne s’accomplisse en toute chose. »
175. Saint Joachim fit cette prière dans sa retraite, et pendant ce temps-là le saint ange déclara à sainte Anne que ce serait une oraison agréable de demander à son Altesse une succession d’enfants avec l’affection et l’intention saintes selon lesquelles ils la désiraient. La sainte matrone, ayant connu que c’était la volonté divine et aussi celle de son époux Joachim, fit oraison pour ce qui lui était ordonné avec confiance et avec une humble soumission, et en la présence du Seigneur elle dit : « Dieu très-haut, mon Seigneur, Créateur et conservateur universel de toutes choses, que mon âme révère et adore comme Dieu véritable, infini, saint et éternel, prosterné en votre royale présence je parlerai, bien que je ne sois que poussière et que cendre 201 je parlerai pour manifester ma nécessité et mon affliction. Seigneur Dieu incréé, rendez-nous digne de votre bénédiction, nous donnant un fruit saint à offrir dans votre temple. Souvenez-vous, mon Seigneur, qu’Anne votre servante, mère de Samuel, était stérile, et elle reçut l’accomplissement de ses désirs par votre libérale miséricorde. Je sens dans mon cœur un courage et une force qui m’animent à vous demander de faire cette miséricorde envers moi. Écoutez donc mon humble prière, ô mon très doux Seigneur et Maître ; souvenez-vous des services, des offrandes et des sacrifices de mes anciens pères et des faveurs que le puissant bras de votre 202 toute-puissance a opérées au milieu d’eux. Moi, Seigneur, je voudrais offrir une oblation agréable et acceptable à vos yeux ; mais la plus grande et celle que je peux vous faire est celle de l’âme, des puissances et des sens que vous m’avez donnés et de tout l’être que j’ai. Et si me regardant de votre trône royal vous me donnez une succession, dès maintenant je vous la consacre et je vous l’offre pour vous servir dans le temple (c). Seigneur Dieu d’Israël, s’il est de votre volonté et de votre agrément de regarder cette vile et pauvre créature et de consoler Joachim votre serviteur, accordez-moi, Seigneur, cette demande et que votre sainte et éternelle volonté s’accomplisse en tout. »
176. Telles furent les prières que firent saint Joachim et sainte Anne : et je ne peux pas dire, à cause de ma grande insuffisance, tout ce que je connais et tout ce que je sens de l’intelligence que j’en ai eue, et de la sainteté incomparable de ces deux fortunés époux : il n’est pas possible non plus de tout rapporter et cela n’est pas nécessaire, puis ce que j’ai dit suffit à mon sujet. Et pour se faire une haute idée de ces saints, on doit se mesurer et ajuster avec la fin et le ministère très sublimes pour lesquels ils furent choisis par Dieu, qui étaient d’être les aïeuls immédiats de Notre Seigneur Jésus-Christ et les parents de sa très sainte Mère.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. Le saint archange Gabriel fut envoyé. Cet archange fut le ministre choisi par Dieu pour annoncer tous les mystères regardant la Rédemption depuis le temps de Daniel.
b. Issachar. Saint Jérôme appelle ce prêtre du nom d’Isac, probablement par abréviation ou corruption d’Issachar. Il peut y avoir eu plus d’un prêtre qui ait rebuté saint Joachim. Du reste les circonstances de son offrande au temple et de ses rebuts sont racontées aussi par les registres de l’Église grecque dans lesquels il n’y a rien qui ne soit orthodoxe. Men., 9 déc., ode 7, p. 73.
c. Saint Jean Damascène écrit : Ils supplièrent le Seigneur et il leur vint un germe de justice. Or. I, in Deip. nat.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE XIII
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Comment la Conception de la Très Sainte Marie fut
annoncée par le Saint Archange Gabriel, et
comment Dieu prévint sainte Anne
pour cela par une faveur
spéciale.
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SOMMAIRE. – 177. Dieu manifeste aux anges l’élection de Joachim et d’Anne pour être les parents de la Mère du Verbe. – 178. Saint Gabriel ambassadeur de l’heureuse nouvelle. – 179. L’ambassade auprès de Joachim. – 180. Reconnaissance de Joachim. – 181. Prières de sainte Anne dans le même temps. – 182. La conception de Marie et celle du Verbe. – 183. Ambassade de l’ange auprès de sainte Anne – 184. Rencontre de Joachim et d’Anne dans le temple. – 185. Faveurs que sainte Anne reçut. – 186. Dieu révèle à sainte Anne que sa fille sera la Mère de son Fils unique. – 187. Sainte Anne fut la première à recevoir ce secret. – 188. Intelligence qu’elle eut du mystère de l’Incarnation.
177. Les prières de saint Joachim et de sainte Anne arrivèrent en présence du trône de la bienheureuse Trinité ; où ayant été écoutées et acceptées, la volonté divine fut déclarée aux saints anges, comme si, à notre manière de concevoir, les trois divines Personnes se fussent parlé entre elles et se fussent dit : « Nous avons déterminé par notre bonté que la personne du Verbe prendrait chair humaine et qu’en elle il remédierait à tout le genre humain : nous l’avons manifesté et promis à nos serviteurs les prophètes, afin qu’ils l’annonçassent au monde. Les péchés des vivants et leur malice sont tels qu’ils nous obligent à exécuter la rigueur de notre justice ; mais notre bonté et notre miséricorde excèdent toute leur méchanceté et celle-ci ne peut éteindre notre charité 203. Regardons les ouvrages de nos mains que nous avons créés à notre image et à notre ressemblance afin qu’ils fussent héritiers et participants de notre gloire éternelle 204. Soyons attentifs aux services et à l’agrément que nous ont procurés nos serviteurs et nos amis et à ceux qui s’élevèrent et qui furent grands dans nos louanges et notre bon plaisir. Ayons en particulier devant les yeux celle qui doit être élue entre mille et qui doit nous être agréable au-dessus de toutes les créatures et singulière pour nos délices et notre bon plaisir, et qui doit recevoir dans ses entrailles la personne du Verbe et la vêtir de la mortalité de la chair humaine. Et puisque cette œuvre dans laquelle nous manifesterons au monde les trésors de notre Divinité doit avoir un principe, c’est maintenant le temps acceptable et opportun pour l’exécution de ce sacrement (a). Joachim et Anne ont trouvé grâce à nos yeux ; parce que nous les avons regardés et prévenus miséricordieusement par la vertu de nos dons et de nos grâces. Et dans les épreuves de leur sincérité ils ont été fidèles ; leurs âmes se sont rendues agréables et acceptables en notre présence par leur candeur et leur simplicité. Que notre ambassadeur Gabriel aille leur donner des nouvelles d’allégresse pour eux et pour tout le genre humain, et qu’il leur annonce comment notre bonté les a regardés et choisis (b). »
178. Les esprits célestes connurent cette volonté et ce décret du Très-Haut, et le saint archange Gabriel, humilié devant le trône de la bienheureuse Trinité, adora et révéra sa Majesté de la manière que le font ces substances très pures et spirituelles ; et il sortit du trône une voix intellectuelle qui lui dit : « Gabriel, illumine, vivifie et console Joachim et Anne nos serviteurs, et dis-leur que leurs oraisons sont arrivées en notre présence et notre clémence a entendu leurs prières. Promets-leur qu’ils recevront un fruit de bénédiction par la faveur de notre droite, et qu’Anne concevra et enfantera une fille à qui nous donnons le nom de MARIE (c). »
179. Dans ce commandement du Très-Haut furent révélés à l’archange saint Gabriel plusieurs mystères et sacrements appartenant à cette ambassade. Et avec elle l’ange descendit à l’instant du ciel empyrée et il apparut à saint Joachim qui était en oraison et lui dit : « Homme juste et droit, le Très-Haut a vu tes désirs de son trône royal ; il a entendu tes prières et tes gémissements et il te rend heureux sur la terre. Ton épouse Anne concevra et enfantera une fille qui sera bénie entre les femmes, et les nations la reconnaîtront bienheureuse 205. Celui qui est Dieu éternel, incréé et Créateur de tout, très équitable dans ses jugements, puissant et fort, m’envoie vers toi, parce que tes œuvres et tes aumônes ont été acceptées. Et comme les œuvres de charité attendrissent le cœur du Tout-Puissant et hâtent ses miséricordes, ainsi il veut enrichir libéralement ta maison et ta famille de la fille qu’Anne concevra, et le Seigneur même lui donne le nom de Marie (d). Dès son enfance elle doit être consacrée dans son temple et là à Dieu, comme vous le lui avez promis. Elle sera grande, choisie, puissante et remplie de l’Esprit-Saint ; sa conception sera miraculeuse à cause de la stérilité d’Anne, et cette fille sera tout-à-fait prodigieuse par sa vie et ses œuvres. Loue le Seigneur, ô Joachim, et exalte-le pour ce bienfait, puisqu’il n’a jamais fait une telle œuvre dans aucune autre nation. Tu monteras au temple de Jérusalem pour y rendre grâces ; et en témoignage de cette vérité et de cette heureuse nouvelle que je t’annonce, tu rencontreras ta sœur Anne à la porte Dorée, car elle viendra au temple pour la même raison. Et sache que cette ambassade est merveilleuse, car la conception de cette fille réjouira le ciel et la terre. »
180. Tout cela arriva à saint Joachim dans un songe qui lui fut donné pendant la longue oraison qu’il fit, afin qu’il reçut cette ambassade de la manière qu’il arriva ensuite à saint Joseph (e), époux de la très sainte Marie, lorsqu’il lui fut manifesté que sa grossesse était l’œuvre de l’Esprit-Saint. Le très heureux saint Joachim se réveilla avec une jubilation spéciale de son âme ; et il cacha dans son cœur le secret du Roi 206 avec une prudence candide et circonspecte ; il répandit son esprit en présence du Très-Haut avec une foi et une espérance très vives, et se convertissait tout en tendresse et en reconnaissance ; il lui rendit grâces et il loua ses jugements insondables, et pour mieux le faire, il alla au temple comme il lui avait été ordonné.
181. Dans le même temps que ces choses arrivaient à saint Joachim, la très heureuse sainte Anne était dans une oraison et une contemplation très sublimes, tout élevée dans le Seigneur et dans le mystère de l’Incarnation du Verbe qu’elle espérait, dont le même Seigneur lui avait donné de très sublimes intelligences et une lumière infuse très spéciale. Et elle demandait à sa Majesté avec une profonde humilité et une foi vive de hâter la venue du Rédempteur du genre humain, et elle faisait cette prière : « Ô Roi très haut et Seigneur de toutes les créatures, moi vile et méprisable créature, quoique ouvrage de vos mains, je voudrais, pour vous plaire, donner la vie que j’ai reçue de vous, Seigneur, afin que votre bonté abrège le temps pour notre salut. Oh ! si votre pitié infinie s’inclinait vers notre nécessité ! Oh ! si vos yeux voyaient déjà le Réparateur et Rédempteur des hommes ! Souvenez-vous, Seigneur, des anciennes miséricordes que vous avez faites à votre peuple, lui promettant votre Fils unique et que cette détermination d’une miséricorde infinie vous oblige maintenant. Qu’il arrive donc ! qu’il arrive, ce jour si désiré ! Est-il possible que le Très-Haut doive descendre de son saint ciel ! Est-il possible qu’il doive avoir une Mère de la terre ! Quelle sera cette femme fortunée et bienheureuse ? Oh ! qui pourra la voir ! Qui sera digne de servir ses servantes ! Bienheureuses les générations qui la verront, qui pourront se prosterner à ses pieds et l’adorer ! Que sa vue et sa conversation seront douces ! Bienheureux les yeux qui la verront et les oreilles qui écouteront ses paroles, et la famille que le Très-Haut choisira pour y prendre sa Mère ! Seigneur, que ce décret s’exécute donc et que votre bon plaisir s’accomplisse ! »
182. Sainte Anne était occupée dans cette oraison et ces colloques après les intelligences qu’elle avait reçues de ce mystère ineffable et elle conférait de toutes les raisons exposées plus haut avec son saint ange gardien qui s’était déjà manifesté plusieurs fois à elle, mais plus clairement dans cette circonstance (f). Le Très-Haut ordonna que l’ambassade de la conception de sa très sainte Mère fût en quelque chose semblable à celle qui devait se faire ensuite de son ineffable Incarnation. Car sainte Anne méditait avec une humble ferveur sur celle qui devait être la mère de la Mère du Verbe Incarné ; et la Très Sainte Vierge faisait les mêmes actes et les mêmes propos pour celle qui devait être la Mère de Dieu, comme je le dirai en son lieu (g). Et ce fut le même Ange pour les deux ambassades et en forme humaine, quoiqu’il se montra avec plus de beauté et d’apparences mystérieuses à la Vierge Marie.
183. Le saint archange Gabriel entra en la présence de sainte Anne en forme humaine, plus beau et plus resplendissant que le soleil, et il lui dit : « Anne, servante du Très-Haut, je suis l’ange du conseil de son Altesse, envoyé des hauteurs par sa divine miséricorde qui regarde les humbles de la terre 207. La prière continuelle et l’humble confiance sont bonnes. Le Seigneur a entendu tes prières, car il est proche 208 de ceux qui l’invoquent avec une foi vive et une espérance ferme, et qui attendent avec soumission. S’il a retardé l’accomplissement des clameurs des justes, s’il a suspendu l’exécution de leurs demandes, c’était pour les mieux disposer et pour s’obliger davantage à leur donner beaucoup plus que ce qu’ils demandent et désirent. L’oraison et l’aumône ouvrent les trésors du Roi tout-puissant 209 et l’inclinent à être riche en miséricorde envers ceux qui le prient. Vous avez demandé un fruit de bénédiction, toi et Joachim, et le Très-Haut a déterminé de vous le donner admirable et saint, et avec cela de vous enrichir de dons célestes, vous accordant beaucoup plus que ce que vous avez demandé. Car puisque vous vous êtes humiliés à demander, le Seigneur veut exalter vos prières en vous les accordant : parce que la créature lui est très agréable lorsque humble et confiante, elle lui demande en ne doutant point de sa puissance infinie. Persévère dans l’oraison et demande sans cesse le remède du genre humain pour obliger le Très-Haut. Moïse fit par sa prière ininterrompue que le peuple remportât la victoire 210 ; Esther obtint par son oraison et sa confiance de le délivrer de la mort 211. Judith par la même oraison fut encouragée dans une œuvre si ardue 212 qu’elle entreprit pour défendre Israël, et elle l’accomplit n’étant qu’une femme faible et débile. David sortit victorieux contre Goliath 213, parce qu’il pria en invoquant le nom du Seigneur 214. Élie obtint le feu pour son sacrifice et par sa prière il ouvrait et fermait les cieux 215. L’humilité, la foi et les aumônes de Joachim et les tiennes sont arrivées jusqu’au trône du Très-Haut, et il m’envoie, moi son ange, pour t’annoncer des nouvelles d’allégresse pour ton esprit ; car son Altesse veut que tu sois heureuse et fortunée. Il te choisit pour Mère de celle qui doit engendrer et enfanter le Fils unique du Père. Tu enfanteras une fille qui, par l’ordonnance divine, s’appellera MARIE. Elle sera bénie entre les femmes et remplie de l’Esprit-Saint. Elle sera la nuée qui répandra la rosée 216 du ciel pour le rafraîchissement des mortels. En elle s’accompliront les prophéties de vos anciens Pères. Elle sera la porte de la vie et du salut pour les enfants d’Adam. Sache que j’ai annoncé à Joachim qu’il aurait une fille qui sera fortunée et bénie ; mais le Seigneur a réservé le secret et ne lui a point manifesté qu’elle sera Mère du Messie. Et pour cela tu dois garder ce secret : tu iras aussitôt au temple pour rendre grâces au Très-Haut de ce que sa puissante droite t’a favorisée si libéralement. Tu rencontreras Joachim à la porte Dorée et tu conféreras avec lui de ces nouvelles. Mais toi, ô bénie du Seigneur ! sa grandeur veut te visiter et t’enrichir de ses faveurs les plus singulières ! Dans la solitude il parlera à ton cœur 217 et il donnera principe à la loi de grâce, en donnant l’être dans ton sein à celle qui doit vêtir de chair mortelle le Seigneur immortel en lui donnant la forme humaine. Et dans cette Humanité unie au Verbe, il écrira de son sang la véritable loi de miséricorde 218. »
184. Afin que l’humble cœur de sainte Anne ne défaillît point à cette ambassade, dans l’admiration causée par la nouvelle que lui donnait le saint archange, sa faiblesse fut confortée par l’Esprit-Saint, et ainsi elle l’entendit et la reçut avec une dilatation et une allégresse incomparable de son âme. Puis aussitôt elle se leva et alla au temple de Jérusalem où elle rencontra saint Joachim, comme l’ange le leur avait dit à tous deux. Ils rendirent grâces ensemble à l’Auteur de cette merveille et ils offrirent des dons et des sacrifices particuliers. Ils furent de nouveau illuminés de la grâce de l’Esprit divin ; et ils retournèrent à leur maison remplis de consolations célestes, s’entretenant des faveurs qu’ils avaient reçues du Très-Haut, comment le saint archange leur avait parlé à chacun en particulier et leur avait promis de la part du Seigneur qu’il leur donnerait une fille qui devait être très fortunée et bienheureuse. Ils se manifestèrent aussi l’un à l’autre, dans cette circonstance, comment le même saint archange leur avait commandé à tous deux, avant de prendre l’état du mariage, de le recevoir par la volonté de Dieu pour le servir ensemble. Ils avaient celé ce secret pendant vingt ans, sans se le communiquer l’un à l’autre, jusqu’à ce que le même ange leur promît la succession d’une telle fille. Ils firent de nouveau le vœu de l’offrir au temple et d’y monter tous les ans à pareil jour avec des offrandes spéciales et de passer ce jour en louanges et en actions de grâces et d’y donner beaucoup d’aumônes. Ils l’accomplirent ainsi dans la suite et ils firent de grands cantiques de bénédictions et de louanges au Très-Haut.
185. La prudente matrone Anne ne découvrit jamais à saint Joachim ni à aucune autre créature le secret que sa fille serait la Mère du Messie. L’heureux père ne connut point davantage, dans le cours de sa vie, sinon qu’elle serait une femme grande et mystérieuse ; mais à ses derniers soupirs avant sa mort le Très-Haut le lui manifesta, comme je le dirai en son lieu. Il m’a été donné une grande intelligence de la sainteté et des vertus des parents de la Reine du ciel, mais je ne m’arrêterai pas davantage à déclarer ce que tous les fidèles doivent supposer, pour arriver au sujet principal.
186. Après la première conception du corps qui devait servir à la Mère de la grâce et avant de créer son âme très sainte, Dieu fit une faveur singulière à sainte Anne. Elle eut une apparition de sa Majesté d’une manière intellectuelle et très sublime ; et en lui communiquant de grandes intelligences et de grands dons de grâces, il la disposa et la prépara par des bénédictions de douceur 219. Il la purifia tout entière, il spiritualisa la partie inférieure de son corps et il éleva son âme et son esprit de sorte que, dès ce jour-là, elle ne prêta jamais attention à aucune chose humaine qui l’empêchât d’avoir toute l’attention de son esprit et de sa volonté placée en Dieu, sans le perdre jamais de vue. Le Seigneur lui dit dans ce bienfait : « Anne, ma servante, je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob : que ma bénédiction et ma lumière éternelle soient avec toi. J’ai formé l’homme pour l’élever de la poussière et le faire héritier de ma gloire, participant de ma divinité. Et quoique j’aie placé en lui beaucoup de dons et que je l’aie posé dans un lieu et un état très parfaits, il a écouté le démon et il a tout perdu. Mais moi, de mon bon plaisir, oubliant son ingratitude, je veux réparer ses pertes et accomplir ce que j’ai promis à mes serviteurs et à mes Prophètes, d’envoyer mon Fils Unique et leur Rédempteur. Les cieux sont fermés, les anciens Pères sont détenus sans voir ma face et sans que je leur aie donné la récompense de ma gloire éternelle que j’ai promise : et l’inclination de ma bonté infinie est comme violentée en ne se communiquant point au genre humain. Je voudrais déjà user envers lui de ma miséricorde libérale et lui donner la personne du Verbe Éternel, afin qu’il se fasse homme, naissant d’une femme qui soit sa Mère, Vierge, Immaculée, pure, bénie et sainte au-dessus de toutes les créatures : et de celle-ci, mon Élue et Unique 220, je te fais la Mère. »
187. Je ne peux facilement expliquer les effets que ces paroles du Très-Haut firent dans le cœur candide de sainte Anne, étant la première parmi les créatures humaines à qui fut révélé le mystère de sa très sainte Fille qui devait être Mère de Dieu et que cette Élue pour le plus grand sacrement du pouvoir divin naîtrait de ses entrailles. Et il convenait qu’elle le connût parce qu’elle devait l’enfanter et l’élever, et savoir estimer le trésor qu’elle possédait, comme le demandait ce mystère. Elle écouta la voix du Très-Haut avec humilité et elle répondit avec un cœur soumis : « Seigneur Dieu éternel, c’est le propre de votre immense bonté et l’œuvre de votre bras puissant de relever de la poussière celui qui est pauvre et méprisé 221. Je me reconnais, très haut Seigneur, une créature indigne de telles miséricordes et de tels bienfaits. Que fera ce vil vermisseau en votre présence ? Je peux seulement vous offrir en action de grâces votre Être propre et votre grandeur, avec mon âme et mes puissances en sacrifice. Faites de moi, mon Seigneur, selon votre volonté, puisque je m’y abandonne tout entière. Je voudrais être aussi dignement vôtre que le demande cette faveur ; mais que ferai-je, moi qui ne mérite pas seulement d’être l’esclave de celle qui doit être la Mère de votre Fils unique, et ma fille ? Ainsi je le reconnaîtrai et le confesserai toujours, par moi-même je suis pauvre : mais aux pieds de votre grandeur, j’attends que vous usiez envers moi de votre miséricorde, puisque vous êtes un Père miséricordieux et un Dieu tout-puissant. Faites-moi, ô Seigneur, telle que vous me voulez, selon la dignité que vous me donnez. »
188. Sainte Anne eut dans cette vision une extase merveilleuse où il lui fut accordé de très hautes intelligences de la loi naturelle, de la loi écrite et de la loi de l’Évangile. Elle connut comment la nature divine devait s’unir à la nôtre dans le Verbe Éternel ; et comment sa très sainte Humanité serait élevée à l’être de Dieu, et plusieurs autres mystères qui devaient être opérés dans l’Incarnation du Verbe divin. Et par ces illustrations et d’autres dons divins de grâce, le Très-Haut la disposa (h) pour la conception et la création de l’âme de sa très sainte Fille, la Mère de Dieu.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. Saint Paul Apôtre appelle expressément l’Incarnation du nom de sacrement.
b. Regardés et choisis. Les censeurs de Marie d’Agreda ont critiqué la prolixité de ces allocutions de Dieu et des anges. Mais il ne faut pas oublier que la manière dont Dieu parle et dont les anges parlent est bien différente de la nôtre. Cornelius a Lapide écrit : « Les Anges avec une parole en disent autant que les hommes en mille, et Dieu dit tout d’un Verbe unique. » In Prov. X, 19.
c. Le nom de Marie. « Le nom d’Isaac avait été révélé à Abraham et celui de Jean-Baptiste à Zacharie et à Élisabeth ; il n’est pas vraisemblable que Dieu ait refusé à la Sainte Vierge ce genre de divine prévoyance, cette preuve d’amour qu’il concéda à d’autres. » Suarez en 3 p., q. 87, disp. 2, sect. 1.
d. Les Saints Pères s’accordent à dire que le nom de Marie fut envoyé du ciel. Richard de saint Laurent dit : « Le nom de Marie est sorti du trésor de la Divinité. » De laud. Virg, p. 14.
e. L’ange du Seigneur apparut à saint Joseph en songe (Matt., I, 20). Les apparitions des anges aux hommes pendant le sommeil ne sont pas rares, et elles sont classées parmi celles qui s’appellent visions ou apparitions imaginaires, comme dit Benoît XIV, de can. sanct., L. III, c. 50.
f. On lit de plusieurs saints qu’ils eurent des manifestations de leur ange gardien : Sainte Rose de Lima, sainte Françoise Romaine, le bienheureux Henri Suso et beaucoup d’autres. Ce privilège pouvait ne pas être refusé à sainte Anne.
g. II Partie, 117.
h. Le Très-Haut disposa. Cette disposition fut morale et ordonnée à recevoir dignement en elle l’âme raisonnable d’une Fille si excellente.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE XIV
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Comment le Très-Haut manifesta aux saints anges le
temps déterminé et opportun de la conception
de la très sainte Marie ; et ceux qu’il lui
signala pour sa garde.
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SOMMAIRE. – 189. Dieu disposait les voies pour l’Incarnation depuis la création du monde. – 190. Arriva le temps de créer Marie. – 191. Décrets divins de la conception immaculée de Marie. – 192. Pureté originelle de Marie. – 193. Il convenait que le Verbe honorât sa Mère. – 194. Préservation singulière de Marie. – 195. Harmonie des œuvres de Dieu. – 196. Temps de la Conception de Marie. – 197. Elle s’exécute selon l’ordre naturel. – 198. Anges gardiens de Marie. – 199. Promptitude et affection des Anges. – 200. Prières et désirs des Anges. – 201. Dieu marque cent Anges de chaque chœur. – 202. Des douze en forme visible et des dix-huit ambassadeurs ; des soixante-dix séraphins. – 203. Raison de la distinction de ces séraphins. – 204. Les Anges de Marie au nombre de mille. – 205. Saint Michel, chef de ces anges et ambassadeur de Jésus-Christ à sa Mère. – 206. La garde de Marie, récompense accidentelle des anges. – 207. Leurs devises.
189. Dans le tribunal de la volonté divine, comme dans le principe inévitable et la cause universelle de toutes les créatures, les choses qui doivent être sont décrétées et déterminées avec leurs conditions et leurs circonstances, sans qu’aucune ne soit oubliée, ni non plus, après avoir été déterminées, aucune puissance créée ne peut les empêcher. Tous les globes et tous les habitants dépendent de ce gouvernement ineffable qui assiste à tout et qui concourt avec les causes naturelles, sans manquer, ni pouvoir manquer un seul instant au nécessaire. Dieu a tout fait et il soutient tout par sa volonté : et il est en lui de conserver l’être qu’il donna à toutes les choses ou de les anéantir, les retournant dans le néant d’où il les avait tirées en les créant. Mais comme il les a toutes créées pour sa gloire et celle du Verbe Humanisé, dès le principe de la création il a ouvert les sentiers et il a disposé les voies par où le même Verbe devait descendre pour prendre chair humaine et vivre avec les hommes, afin qu’il fût possible aux créatures humaines de monter à Dieu, de le connaître, de le craindre, de le chercher, de le servir et de l’aimer, de le louer et de jouir de lui éternellement.
190. Son nom a été admirable dans l’universalité des terres 222, et exalté dans la plénitude et la congrégation des saints avec lesquels il ordonna et composa un peuple acceptable 223 dont le Verbe fait chair serait le Chef. Et lorsque tout était dans la dernière et convenable disposition dans laquelle sa Providence avait voulu le poser, arriva le temps déterminé par elle pour créer la Femme merveilleuse vêtue du soleil 224 qui était apparue dans le ciel, Celle qui devait réjouir et enrichir la terre ; et pour la former sur cette terre, la très sainte Trinité décréta ce que je manifesterai moyennant mes courtes raisons et la conception de ce que j’en ai entendu.
191. J’ai déjà dit plus haut au numéro 34 comment il n’y a point de passé ni de futur pour Dieu ; parce qu’il a toutes les choses présentes dans son entendement, divin et infini, et il les connaît par un acte très simple. Mais le réduisant à nos termes et à notre manière de comprendre limitée, considérons que sa Majesté regarda les décrets qu’il avait faits de créer une Mère convenable et digne pour le Verbe qui devait se faire homme ; parce que l’accomplissement de ses décrets est inévitable. Et le temps opportun et déterminé arrivant déjà, les trois divines Personnes dirent en elles-mêmes : « Il est déjà temps de donner principe à l’œuvre de notre complaisance et de créer cette pure créature et cette âme qui doit trouver grâce à nos yeux au-dessus de toutes les autres. Dotons-la de nos riches dons et déposons en elle seule les plus grands trésors de notre grâce et puisque toutes les autres à qui nous avons donné l’être sont devenues ingrates et rebelles à notre volonté, s’opposant à notre intention qu’ils se conservassent dans le premier et heureux état dans lequel nous avions créé les premiers hommes, ce qu’ils ont empêché par leur faute, il n’est pas convenable que votre volonté demeure frustrée en tout, créons en toute sainteté et perfection cette pure créature en qui le désordre du péché n’aura point de part. Créons une âme selon nos désirs, un fruit de nos attributs, un prodige de notre puissance infinie, sans que la tache du péché d’Adam ne l’offense ni ne la trouble. Faisons une œuvre qui soit digne de notre toute-puissance et un exemplaire de la perfection que nous disposons pour nos enfants et qui soit la fin du dessein que nous eûmes dans la création. Et puisque tous ont prévariqué dans la volonté libre et la détermination du premier homme 225, que cette créature soit la seule en qui nous restaurions et exécutions ce qu’ils perdirent en se détournant de notre volonté. Qu’elle soit une image unique et une similitude de notre Divinité et qu’elle soit en notre présence le complément de notre volonté et de notre agrément pendant toutes les éternités. Nous déposons en elle toutes les prérogatives et toutes les grâces que nous destinions dans notre première et conditionnelle volonté aux anges et aux hommes, s’ils s’étaient conservés dans leur premier état. Et puisqu’ils les ont perdues, renouvelons-les 226 dans cette créature et ajoutons-y beaucoup d’autres dons ; et le décret que nous avions fait ne demeurera pas frustré en tout ; au contraire il sera amélioré dans notre Unique et notre Élue 5. Et puisque nous avions déterminé le plus saint et que nous avions préparé le meilleur, le plus parfait et le plus louable pour les créatures et qu’elles l’ont perdu, dirigeons le courant de nos bontés vers notre Bien-Aimée et exemptons-la de la loi ordinaire de la formation de tous les mortels, afin que la semence du serpent n’ait aucune part en elle. Je veux descendre du ciel dans ses entrailles et m’y vêtir avec sa propre substance de la nature humaine (a).
192. « Il est juste et bien dû que la Divinité d’une bonté infinie se dépose et se couvre d’une matière très pure, très nette et qui n’ait jamais été tachée par le péché. Et il ne convient pas à notre équité et à notre providence d’omettre le plus décent, le plus parfait et le plus saint, pour le moins, puisqu’il n’y a point de résistance à notre volonté 227. Le Verbe qui doit s’incarner, étant le Rédempteur et le Maître des hommes, doit fonder la très parfaite loi de grâce, et leur enseigner dans cette loi à obéir et à honorer leur père et leur mère, comme causes secondes de leur être naturel. Or cette loi doit être pratiquée aux yeux de tous par le Verbe divin lui-même, en honorant celle qu’il a choisie pour sa Mère ; par son bras tout-puissant, il l’honorera, il la rendra digne et il la préviendra avec tout ce qu’il y a de plus admirable, de plus saint, de plus excellent dans toutes les grâces et tous les dons. Entre lesquels l’honneur, le bienfait le plus singulier sera de ne pas l’assujettir à nos ennemis, ni à leur malice : et ainsi elle doit être libre de la mort du péché.
193. « Sur la terre, le Verbe doit avoir une Mère sans père, comme dans le ciel il a un Père sans mère. Et afin qu’il y ait la correspondance, la proportion et la convenance dues d’appeler Dieu, Père, et cette Femme, Mère, nous voulons qu’elle soit telle qu’il faut pour que cette correspondance et cette égalité possibles soient gardées entre Dieu et la créature, afin que le dragon ne puisse se glorifier d’avoir été supérieur en aucun temps à la femme à qui Dieu obéit comme sa véritable Mère. Cette dignité d’être libre du péché est due et correspondante à la dignité d’être Mère du Verbe, et pour cette Auguste Mère c’est une grâce plus estimable et plus avantageuse en soi, puisque c’est un plus grand bien d’être sainte que d’être seulement Mère (b) de Dieu ; mais toute sainteté et toute perfection conviennent à la Mère de Dieu. Et la chair humaine dont le Verbe doit prendre la forme doit être séparée du péché, puisque devant racheter en elle les pécheurs il ne doit pas avoir à racheter sa propre chair comme les autres, parce que sa chair étant unie à la Divinité doit être rédemptrice (c), et pour cela, elle doit être préservée d’avance, car déjà nous tenons prévus et acceptés les mérites infinis du Verbe dans cette même chair et cette même nature. Et nous voulons que le Verbe Incarné soit glorifié pendant toutes les éternités pour son tabernacle et la glorieuse habitation de l’humanité qu’il reçut.
194. « Elle doit être fille du premier homme ; mais quant à la grâce elle doit être singulière, libre et exempte du péché d’Adam. Et quant aux dons naturels, elle doit être très parfaite et formée avec une providence spéciale. Et d’un autre côté, parce que le Verbe fait chair doit être Maître de l’humilité et de la sainteté, et les travaux qu’il doit souffrir sont des moyens convenables pour cette fin, et confondant la vanité et la fausseté trompeuse des mortels, il a choisi pour lui-même cet héritage des afflictions comme le trésor le plus estimable à nos yeux ; nous voulons aussi que cette part appartienne à celle qui doit être sa Mère, et qu’elle soit unique et singulière dans la patience, admirable dans la souffrance, et qu’avec son Fils unique elle offre un sacrifice de douleur acceptable à notre volonté et d’une plus grande gloire pour elle-même. »
195. Tel fut le décret que les trois divines Personnes manifestèrent aux saints anges qui exaltèrent la gloire et la vénération de leurs très hauts et insondables jugements. Et comme sa Divinité est un miroir volontaire qui manifeste quand il lui plaît dans la même vision béatifique de nouveaux mystères aux bienheureux, il fit cette nouvelle démonstration de sa grandeur, dans laquelle les esprits célestes virent l’ordre admirable et l’harmonie si consonante de ses œuvres. Et tout cela fut conséquent à ce que le Très-Haut fit dans la création des anges et que nous avons rapporté dans les chapitres précédents (d) ; quand il leur proposa qu’ils devaient révérer et reconnaître pour supérieurs le Verbe Incarné et sa très sainte Mère. Parce que le temps destiné pour la formation de cette grande Reine étant déjà arrivé, il convenait que le Très-Haut ne cachât plus ce mystère, car il dispose tout avec poids et mesure 228. Il est inévitable que l’intelligence que le très-Haut m’a donnée de ces sublimes sacrements soit obscurcie par les termes humains et limités que j’emploie. Je dirai néanmoins selon ma petite capacité ce que je pourrai de ce que le Seigneur manifesta aux Anges dans cette circonstance.
196. Sa Majesté ajoute : « Déjà est arrivé le temps déterminé par notre Providence pour tirer à la lumière la créature la plus agréable et la plus acceptable à nos yeux, la Restauratrice du premier péché du genre humain, Celle qui doit écraser la tête 229 du dragon, cette Femme singulière signalée par un grand signe 230 qui apparut en notre présence. Déjà s’approche l’heure si fortunée pour les mortels où nous allons leur ouvrir les trésors de notre Divinité et leur rendre patentes les portes du ciel. Que la rigueur de notre justice se retienne désormais dans les châtiments qu’elle a exercés jusqu’à présent envers les hommes ; faisons connaître l’attribut de notre miséricorde, enrichissons les créatures, que le Verbe Incarné leur mérite les richesses de la grâce et de la gloire éternelle.
197. « Que le genre humain ait désormais un Réparateur, un Maître, un Médiateur, un Frère et un Ami qui soit Vie pour les mortels, Santé pour les malades, Consolation pour ceux qui sont contristés, Rafraîchissement pour ceux qui sont affligés, Repos et Compagnon pour ceux qui sont dans la tribulation. Que les prophéties de nos serviteurs s’accomplissent, ainsi que les promesses que nous leur avons faites de leur envoyer un Sauveur pour les racheter. Et afin que tout s’exécute selon notre agrément et que nous donnions principe au sacrement caché depuis la constitution du monde, choisissons pour la formation de notre chère Marie le sein d’Anne notre servante, afin que son âme fortunée y soit conçue et créée. Et bien que sa génération et sa formation doivent être par l’ordre commun de la propagation naturelle, ce sera néanmoins avec un ordre différent de grâce, selon la disposition de notre pouvoir immense.
198. « Vous savez déjà comment l’antique serpent, depuis le signe qu’il a vu de cette Femme merveilleuse, rôde autour de toutes les femmes : et depuis la première que nous avons créée, il persécute avec fraude et astuce celles qu’il connaît plus parfaites dans leur vie et leurs œuvres, prétendant rencontrer parmi elles celle qui doit le fouler aux pieds et lui écraser la tête. Et lorsque attentif à cette créature très pure et très irréprochable il la reconnaîtra si sainte, il mettra tous ses efforts à la persécuter selon l’idée qu’il s’en sera faite. L’orgueil de ce dragon sera plus grand que sa force 231 ; mais notre volonté est que vous ayez un soin et une protection spéciale de cette Femme, notre sainte Cité, et le Tabernacle du Verbe fait homme ; vous la garderez, l’assisterez et la défendrez de nos ennemis ; vous l’illuminerez, la conforterez et la consolerez avec une digne sollicitude et une digne révérence pendant qu’elle sera voyageuse parmi les mortels. »
199. À cette proposition que le Très-Haut fit aux saints anges, tous comme prosternés avec une humilité profonde devant le trône royal de la Très Sainte Trinité se montrèrent soumis et prompts à son divin commandement. Et chacun désirait avec une sainte émulation d’être envoyé et s’offrait pour un ministère si heureux : et ils firent tous au Très-Haut des hymnes de louanges et des cantiques nouveaux, de ce que s’approchait déjà l’heure où ils verraient l’accomplissement des merveilles pour lesquelles ils avaient supplié pendant tant de siècles avec des désirs si ardents. J’ai connu dans cette circonstance que depuis cette grande bataille que saint Michel eut avec le dragon et ses alliés 232 dans le ciel, lorsque ceux-ci furent précipités dans les ténèbres éternelles, l’armée de saint Michel demeurant victorieuse et confirmée en grâce et en gloire, ces bienheureux esprits commencèrent aussitôt à demander l’exécution des mystères de l’Incarnation du Verbe qu’ils avaient connue alors. Et ils persévérèrent dans ces prières réitérées jusqu’à l’heure où Dieu leur manifesta l’accomplissement de leurs désirs et de leurs pétitions.
200. Pour cette raison, les esprits célestes reçurent une jubilation et une gloire accidentelles à cette nouvelle révélation et ils dirent au Seigneur : « Ô Dieu très haut, notre incompréhensible Seigneur, vous êtes digne de révérence, de louange et de gloire éternelles ; et nous sommes vos créatures créées par votre divine volonté. Envoyez-nous, Seigneur tout-puissant, à l’exécution de vos œuvres merveilleuses et de vos sublimes mystères, afin qu’en tous et en tout s’accomplissent votre très juste volonté. » Par ces affections, les esprits célestes se reconnaissaient inférieurs ; et ils eussent désiré, s’il avait été possible, d’être plus purs et plus parfaits pour être plus dignes de garder et de servir leur auguste Souveraine.
201. Ensuite le Très-Haut signala et détermina ceux qui devaient s’occuper à un si haut ministère ; et il en choisit cent de chacun des neuf chœurs, ce qui fait neuf cents. Puis il en signala douze autres pour l’assister plus ordinairement en forme visible et corporelle ; et ils avaient des signes ou devises de la Rédemption, et ce sont les douze dont parle le chapitre XXI de l’Apocalypse qui gardaient les portes de la cité, et j’en parlerai dans l’explication du chapitre que je mettrai plus loin (e). Le Très-Haut marqua aussi dix-huit anges des plus élevés pour monter et descendre dans cette échelle mystique de Jacob avec les ambassades de la Reine au Seigneur et du Seigneur à la Reine : car souvent elle les envoyait au Père Éternel afin d’être gouvernée en toutes ses actions par son Esprit-Saint, puisqu’elle n’en fit aucune sans son divin agrément et elle tâchait de le connaître dans les plus petites choses. Et lorsqu’elle n’était point enseignée par une illustration spéciale, elle envoyait ses saints anges représenter au Seigneur son doute et son désir de faire le plus agréable à sa très sainte volonté, pour savoir ce qu’il lui commandait, comme je le dirai dans le cours de cette histoire.
202. En plus de tous ces saints anges, le Très Haut signala et nomma soixante-dix séraphins des plus élevés et des plus proches du trône de la Divinité pour conférer avec la Princesse du ciel et communiquer avec elle par le même moyen qu’ils communiquent et parlent entre eux, et comme les supérieurs illuminent les inférieurs (f). Ce bienfait fut accordé à la Mère de Dieu quoiqu’en la dignité et les grâces, elle fût supérieure à tous les séraphins, parce que selon la nature elle était inférieure et voyageuse. Et lorsque le Seigneur s’absentait et se cachait quelquefois, comme nous le verrons plus loin (g), ces soixante-dix séraphins l’illustraient et la consolaient, et elle conférait avec eux des affections de son amour très ardent et de ses anxiétés pour le trésor caché. Dans ce bienfait, le nombre des soixante-dix anges correspondait aux soixante-dix années de sa très sainte vie, comme je le dirai en son lieu (h). Et dans ce nombre fut renfermé celui des soixante forts dont on dit dans le chapitre III des Cantiques qu’ils gardaient le tabernacle et le lit de Salomon, choisis d’entre les plus vaillants d’Israël, exercés à la guerre, avec leurs épées à la ceinture, à cause des craintes de la nuit 233.
203. Ces princes et ces forts capitaines furent marqués pour la garde de la Reine du ciel, choisis d’entre les plus hauts des chœurs hiérarchiques : car dans cet antique combat qu’il y eut dans le ciel entre les humbles et le superbe dragon, ils furent comme distingués et armés chevaliers du suprême Roi de l’univers, afin que, par l’épée 234 de sa vertu et de sa parole divines, ils combattissent et vainquissent Lucifer avec tous les apostats qui le suivirent. Et parce que ces suprêmes séraphins se distinguèrent dans cette victoire et ce grand combat par leur zèle pour l’honneur du Tout-Puissant comme des capitaines courageux et adroits dans l’amour divin, et parce que ces armes de la grâce leur furent données par la vertu du Verbe fait chair, leur Seigneur et leur Chef dont ils défendirent l’honneur et conjointement celui de sa très sainte Mère ; il est dit pour cela qu’ils gardaient le tabernacle de Salomon 235, qu’ils lui faisaient escorte et qu’ils avaient leurs épées ceintes dans cette partie qui signifie la génération humaine, et en elle l’humanité de Notre Seigneur Jésus-Christ conçue dans le sein virginal de Marie, de son sang très pur et de sa substance.
204. Les dix autres Séraphins qui restent pour accomplir le nombre de soixante-dix furent aussi des plus hauts de ce premier chœur, qui manifestèrent le plus de révérence pour la Divinité, pour l’Humanité du Verbe et pour sa très sainte Mère contre l’antique serpent : car tout cela eut lieu dans ce bref conflit des saints anges. Or à ceux qui furent les principaux chefs dans cette circonstance, il a été donné comme honneur spécial d’être aussi du nombre de ceux qui garderaient leur Reine et leur Maîtresse. Et tous ensemble ils forment le nombre de mille Anges, tant ceux d’entre les séraphins que ceux des autres chœurs inférieurs : ainsi cette Cité de Dieu demeura surabondamment fortifiée contre les armées infernales.
205. Et pour mieux disposer cet escadron invincible, saint Michel, prince de la milice céleste, fut désigné pour Chef, car bien qu’il n’assistât pas toujours auprès de la Reine, il l’accompagnait souvent néanmoins, et il se manifestait à elle. Et le Très Haut le destina pour présider à la garde de la très sainte Vierge dans certains mystères en qualité d’ambassadeur spécial de Notre Seigneur Jésus-Christ. Le saint prince Gabriel fut signalé de même pour descendre du Père Éternel avec les légations et les ministères qui regardaient la Princesse du ciel. Et il fit ce que la très sainte Trinité ordonna pour sa défense et sa garde ordinaire.
206. Tout ce dénombrement se fit par une grâce du Très-Haut, mais j’ai compris qu’il y observa un certain ordre de justice distributive ; parce que son équité et sa Providence fit attention aux œuvres et à la volonté avec lesquelles les saints Anges reçurent les mystères qui leur furent révélés dans le principe concernant l’Incarnation du Verbe et sa très sainte Mère : car ils furent mus au service de la volonté divine par des affections et des inclinations différentes à l’égard des mystères qui leur furent proposés. Et la grâce ne fut pas la même en tous, ni leur volonté et leurs affections ; au contraire les uns furent inclinés par une dévotion spéciale en connaissant l’union des deux natures, divine et humaine, dans la personne du Verbe recouverte dans les bornes d’un corps humain élevé à être Chef de toutes les créatures. D’autres, avec cette affection, se portaient à admirer le Fils unique du Père qui se faisait passible et qui avait tant d’amour pour les hommes qu’il s’offrait à mourir pour eux. D’autres se distinguaient dans la louange de ce qu’il devait créer une âme et un corps d’une si sublime excellence qu’elle serait au-dessus de tous les esprits célestes, et que de cette créature le Créateur de tous prendrait chair humaine. Selon ces mouvements, en correspondance avec eux, et comme en récompense accidentelle, les saints anges furent signalés pour les mystères de Jésus-Christ et de sa très pure Mère, de la même manière que seront récompensés ceux qui se distinguent en cette vie dans quelque vertu, comme les docteurs, les vierges, etc., par leurs auréoles.
207. Relativement à cette correspondance spéciale, lorsque ces saints princes se manifestaient corporellement à la Mère de Dieu, comme je le dirai plus loin, ils découvraient certaines devises ou insignes qui représentaient les mystères : les uns de l’Incarnation, les autres de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ ; d’autres de la Reine elle-même, de sa grandeur et de sa dignité. Mais elle ne connut pas ces devises aussitôt qu’ils commencèrent à les manifester ; parce que le Très-Haut commanda à tous ces saints anges de ne point lui déclarer qu’elle devait être Mère de son Fils unique jusqu’au temps destiné par sa sagesse divine ; mais de traiter toujours avec elle de ces sacrements et des mystères de l’Incarnation et de la Rédemption des hommes, pour exciter sa ferveur et la porter à en faire le sujet de ses prières. Les langues humaines sont lentes et mes paroles et mes termes sont insuffisants pour manifester une lumière et une intelligence aussi sublimes.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. Je veux descendre... et me vêtir... de la nature humaine. Après les paroles de la très sainte Trinité, la Vénérable introduit ici à parler immédiatement et sans transition la personne du Verbe. C’est le style des Prophètes, comme l’observe saint Jérôme (in ch. 2, Nahum). L’Écriture Sainte est pleine de ces changements subits de personnes, et aussi cette œuvre de la Vénérable : pour cela elle ne doit pas être moins estimable.
b. C’est un plus grand bien d’être sainte que d’être seulement Mère de Dieu. Ceci est conforme à ce que dit Jésus-Christ à celle qui criait : Bienheureuses les entrailles qui vous ont porté ; il lui répondit : Bienheureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent.
c. Sa chair étant unie à la Divinité doit être rédemptrice. Raison sublime pour prouver que la très sainte Vierge devait être conçue sans péché. Caro Christi, caro Mariæ, dit saint Augustin. La chair du Christ, c’est la chair de Marie. De Assumpt. B. V. M.
d. Chapitres VII et VIII.
e. Infra, no 272.
f. La Vénérable distingue avec toute exactitude théologique la locution des anges de l’illumination. « Illuminer, écrit Sylvio, c’est manifester une vérité qui n’était pas connue auparavant, selon qu’elle dépend de la vérité première qui seule est essentiellement la lumière et la règle de la vérité. Mais parler, c’est dire à un autre son concept... Toute illumination est une locution, mais toute locution n’est pas une illumination. » In 1 p., q. 107, 2. Les esprits inférieurs peuvent parler aux supérieurs, mais non les illuminer.
g. Infra, nos 713, 725.
h. III, no 742.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE XV
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De la Conception Immaculée de Marie, Mère de Dieu
par la vertu de la puissance de Dieu.
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SOMMAIRE. – 208. Préparatifs que Dieu fit pour la conception de Marie. – 209. Dieu disposa les parents de Marie. – 210. La grâce prévint la nature. – 211. Concours de la grâce et de la nature. – 212. Dieu répara la stérilité d’Anne. – 213. Miracle réservé pour la seule conception du corps de Marie. – 214. Tempérament admirable de ce corps. – 215. Ses dons naturels. – 216. Il surpassait en excellence ceux de nos premiers parents. – 217. Le fomes fut lié dans les parents de Marie. – 218. Le corps de la Vierge fut organisé en sept jours. – 219. La création de son âme. – 220. Le samedi consacré à Marie. – 221. Elle fut remplie de grâce dès l’instant de sa création. – 222. Complaisances de Dieu. – 223. Extase sublime de sainte Anne.
208. La divine Sagesse tenait toutes les choses prêtes pour tirer la Mère de la Grâce pure de la tache de toute la nature entière. Déjà le nombre des Patriarches et des Prophètes anciens était accompli et les hauts monts 236 sur lesquels se devait édifier cette Cité Mystique de Dieu étaient élevés. Il Lui avait destiné des trésors incomparables de sa Divinité par la puissance de sa droite, pour la doter et l’enrichir. Il tenait mille Anges prêts pour sa garnison et sa défense et aussi pour la servir comme des vassaux très fidèles serviraient leur Reine et leur Maîtresse. Il lui prépara une lignée royale et très noble dont elle descendrait, et il lui choisit des parents très saints et très parfaits dont elle devait naître immédiatement, et il n’y en avait point d’autres plus saints dans ce siècle ; car le Tout-Puissant les aurait choisis s’il y en avait eu de meilleurs et de plus propres à être les parents de celle que Dieu même choisissait pour Mère.
207. Il les disposa par une grâce abondante et des bénédictions de sa droite et il les enrichit de toutes sortes de vertus, d’illuminations de la science divine et des dons de l’Esprit-Saint. Et après avoir annoncé à ces deux saints, Joachim et Anne, qu’il leur donnerait une fille admirable et bénie entre toutes les femmes, s’exécuta l’œuvre de la première conception qui est celle du corps très pur de Marie. Lorsqu’ils se marièrent ils avaient, sainte Anne vingt-quatre ans et Joachim quarante-six. Ensuite ils passèrent vingt ans après leur mariage sans avoir d’enfants ; et ainsi la mère avait quarante-quatre ans au temps de la conception de sa fille et le père, soixante-dix. Et quoique cette conception arriva selon l’ordre commun des autres ; néanmoins la vertu du Très-Haut y ôta l’imparfait et le désordonné et y laissa le nécessaire et le précis de la nature, afin que fût administrée la matière due dont devait être formé le corps le plus excellent qu’il y ait eu et qu’il y aura jamais dans une pure créature (a).
210. Dieu posa un terme à la nature (b) dans les parents et la grâce prévint, afin qu’il n’y eut ni péché, ni imperfection, mais vertu et mérite et toute mesure dans la manière qui était naturelle et commune ; cette action fut gouvernée, corrigée et perfectionnée par la force de la grâce divine, afin qu’elle eût son effet sans empêchement de la nature. Et la vertu d’en haut resplendit davantage dans la sainte matrone Anne à cause de sa stérilité naturelle, à raison de laquelle le concours de sa part fut miraculeux dans le mode et plus pur dans la substance : sans miracle elle ne pouvait point concevoir ; parce que la conception qui se fait par la seule voie et la seule vertu naturelle ne doit point avoir de lien ou de dépendance immédiate d’une autre cause surnaturelle, mais seulement de celle des parents ; et comme ils concourent naturellement à l’effet de la propagation, ainsi ils fournissent aussi la matière et le concours avec imperfection et sans mesure.
211. Mais dans cette conception, quoique le père ne fût pas naturellement infécond, la nature était déjà corrigée et presque amortie par l’âge et la tempérance ; et ainsi elle fut animée, réparée et préparée par la vertu divine, de sorte qu’elle put opérer et qu’elle opéra de son côté avec toute perfection et mesure des puissances et d’une façon proportionnée à la stérilité de la mère. Et dans les deux concoururent la nature et la grâce : celle-là bénigne, mesurée et seulement en ce qui était précisément indispensable, et celle-ci surabondante, puissante et excessive pour absorber la même nature en ne la confondant pas, mais en la relevant et l’améliorant d’une manière miraculeuse : de sorte que l’on connût comment la grâce avait pris pour son compte cette conception, se servant de la nature seulement en ce qui fut suffisant pour que cette fille ineffable eût des parents naturels (c).
212. Et la manière de réparer la stérilité de la très sainte Mère Anne ne fut point en lui restituant le tempérament naturel qui manquait à la puissance naturelle pour concevoir ; parce qu’ainsi restitué, elle eut conçu comme les autres femmes sans différence : mais le Seigneur concourut avec la puissance stérile d’une autre manière plus miraculeuse, afin qu’elle fournît la matière naturelle dont le corps se forma. Et ainsi la puissance et la matière furent naturelles, mais le mode de se mouvoir fut par un concours miraculeux de la vertu divine (d). Et le miracle de cette admirable conception cessant, la mère demeura dans son ancienne stérilité pour ne plus concevoir, parce qu’il ne fut ôté ni ajouté aucune nouvelle qualité au tempérament naturel. Ce miracle me semble être compris par celui que fit Notre Seigneur Jésus-Christ quand saint Pierre marcha sur les eaux 237, car pour le soutenir il ne fut pas nécessaire de les endurcir, ni de les changer en cristal ou en glace, sur quoi il eût marché naturellement, et d’autres auraient pu y marcher sans autre miracle que celui qui aurait été fait pour les endurcir : mais sans les changer en glace dure, le Seigneur put faire qu’elles supportassent le corps de l’apôtre, concourant avec elles miraculeusement (e), de sorte que le miracle passé, les eaux se trouvèrent liquides ; et elles l’étaient même aussi pendant que saint Pierre courait sur elles, puisqu’il commença à sombrer et à s’enfoncer ; mais sans les altérer avec une autre qualité le miracle se fît.
213. Le miracle par lequel Anne, mère de la très sainte Marie conçut, fut très semblable à cela, mais beaucoup plus admirable ; et ainsi les parents de la Vierge furent gouvernés en cela par la grâce, et ils en furent si abstraits de la concupiscence et de la délectation, qu’il manqua ici au péché originel l’accident imparfait (f) qui accompagne d’ordinaire la matière et l’instrument (g) avec lequel il se communique. La matière demeura seule dénuée d’imperfection, l’action étant méritoire. Et ainsi de ce côté le péché put très bien ne point résulter dans cette conception, tandis que, d’autre part, la Providence l’avait déjà ainsi déterminé (h). Et le Très-Haut réserva ce miracle pour celle-là seule qui devait être dignement sa Mère ; parce qu’étant convenable que, dans le substantiel de sa conception, elle fût engendrée selon l’ordre des autres enfants d’Adam, il était aussi très convenable et dû qu’en conservant la nature illésée, la grâce concourut avec elle dans toute sa vertu et sa puissance, se signalant et opérant en elle plus que dans tous les enfants d’Adam et plus même qu’en Adam et Ève, lesquels donnèrent principe à la corruption de la nature et à sa concupiscence désordonnée.
214. Dans cette formation du corps très pur de Marie, la sagesse et la puissance du Très-Haut furent si vigilantes à notre manière de concevoir, qu’il le composa avec un grand poids et une grande mesure dans la quantité et dans la qualité des quatre humeurs naturelles, sanguine, mélancolique, flegmatique et colérique ; afin que moyennant la proportion très parfaite de ce mélange, de cette composition, le corps aidât les opérations d’une âme si sainte, comme était celle qui devait l’animer et lui donner la vie. Et ce tempérament miraculeux fut ensuite comme principe et cause dans son genre de la sérénité et de la paix que les puissances de la Reine du ciel conservèrent toute sa vie, sans qu’aucune de ses humeurs ne lui fît guerre, ni contradiction, ni ne prédominât sur les autres ; bien au contraire elles s’aidaient et se servaient réciproquement pour se conserver dans cette fabrique bien ordonnée sans corruption, ni putréfaction ; parce que le corps de la Très Sainte Marie n’en souffrit jamais, ni non plus aucune chose ne manqua ni n’excéda ; mais il eut toujours toutes les qualités et les quantités ajustées en proportion, sans plus ni moins de sécheresse ou d’humidité que celle qui était nécessaire pour la conservation ; ni plus de chaleur que ce qui suffisait pour la défense et la décoction, ni plus de frigidité que celle qui était demandée pour le rafraîchissement et la ventilation des autres humeurs.
215. Néanmoins, ce corps qui était en tout d’une composition si admirable, ne laissait pas de sentir la contrariété des inclémences de la chaleur et du froid et des autres influences des astres ; bien au contraire, tout extrême l’offensait d’autant plus qu’il était plus mesuré et plus parfait, parce qu’il avait moins de l’autre extrême contraire pour se défendre, quoique dans une complexion si tempérée, les contraires trouvassent moins à altérer et en quoi opérer ; mais à cause de sa délicatesse, le peu lui était plus sensible que dans les autres corps le beaucoup. Ce corps miraculeux qui se formait dans le sein de sainte Anne n’était pas capable de dons spirituels avant d’avoir l’âme ; mais il l’était des dons naturels : et ceux-ci lui furent concédés par une vertu et un ordre surnaturels avec des conditions telles qu’il convenait pour la fin de la grâce singulière à laquelle était ordonnée cette formation au-dessus de tout ordre de nature et de grâce. Et ainsi il lui fut donné une complexion et des puissances si excellentes que toute la nature ne pouvait arriver par elle seule à en former d’autres semblables.
216. Et comme nos premiers parents Adam et Ève furent formés par la main du Seigneur avec les conditions qui convenaient pour la justice originelle et l’état d’innocence, et dans ce degré ils sortirent de ses mains meilleurs que ne l’auraient été leurs descendants s’ils avaient eu la justice et l’innocence originelles ; parce que les œuvres du Seigneur seul sont plus parfaites : or sa toute-puissance opéra d’une manière semblable, quoique plus sublime et plus excellente dans la formation du corps virginal de la très sainte Marie, et avec une providence et une abondance de grâce d’autant plus grandes, que cette créature excédait non seulement nos premiers parents qui devaient pécher ensuite, mais tout le reste des créatures corporelles et spirituelles. Et à notre manière de concevoir, Dieu mit plus de soin à la seule composition de ce petit corps de sa très sainte Mère qu’à celle de tous les globes célestes et de tout ce qu’ils renferment. Et l’on doit commencer à mesurer avec cette règle les dons et les privilèges de cette Cité de Dieu, depuis les premières fosses et les premières fondations sur lesquelles sa grandeur s’éleva jusqu’à arriver à être la plus voisine de l’infinité du Très-Haut.
217. Le péché ainsi que le fomes duquel il résulte furent aussi éloignés que cela dans cette conception miraculeuse : puisque non-seulement il n’y en eut point dans cette Mère de la grâce, toujours distinguée et traitée comme ayant cette dignité, mais il fut même refréné et lié dans ses parents pour la concevoir, afin qu’il ne déréglât point ni ne troublât la nature qui se reconnaissait inférieure à la grâce dans cette œuvre, où elle servait seulement d’instrument au suprême Auteur qui est supérieur aux lois de la nature et de la grâce. Et il commençait déjà dès ce moment à détruire le péché, à miner et à abattre le château du fort armé pour le renverser et le dépouiller de ce qu’il possédait tyranniquement.
218. Le jour où arriva la première conception du corps de Marie fut un dimanche, correspondant au jour de la création des anges dont la Reine et la Maîtresse devait être supérieure. Et quoique plusieurs jours soient nécessaires pour la formation et l’augmentation des autres corps selon l’ordre naturel et commun, pour qu’ils s’organisent et qu’ils reçoivent la dernière disposition avant que l’âme raisonnable soit infuse en eux, et il est dit que pour les hommes il faut quarante jours et pour les femmes quatre-vingts, plus ou moins, selon la chaleur naturelle et la disposition des mères ; mais dans la formation corporelle de la très sainte Marie, la vertu divine accéléra le temps naturel, et ce qui devait s’opérer en quatre-vingts jours, ou autant qu’il était naturellement nécessaire, se fit plus parfaitement en sept. Pendant ces jours, ce corps miraculeux fut organisé et préparé, quant au développement et à la quantité due dans le sein de sainte Anne, pour recevoir l’âme très sainte de sa fille, notre Dame et notre Reine.
219. Et le samedi suivant et le plus proche de cette première Conception se fit la seconde, Dieu créant l’âme de sa Mère et l’infusant dans son corps ; et ainsi entra dans le monde la plus sainte, la plus parfaite et la plus agréable aux yeux de Dieu, de toutes les pures créatures qu’il a créées et qu’il créera jamais, jusqu’à la fin du monde et pendant toutes ses éternités. Dans la correspondance que cette œuvre eut avec celle que Dieu fit en créant tout le reste du monde en sept jours, comme le rapporte la Genèse, le Seigneur eut une intention mystérieuse ; puisqu’ici sans doute il se reposa dans la réalité de cette figure, ayant créé la créature la plus sublime de toutes et avec elle donnant principe à l’œuvre de l’Incarnation du Verbe divin et à la Rédemption des hommes. Ainsi ce jour fut pour Dieu et pour toutes les créatures comme un jour de fête et de Pâque.
220. L’Esprit-Saint a ordonné que le samedi serait consacré à la Vierge dans la sainte Église à cause de ce mystère de la Conception de la très sainte Marie, comme le jour où il lui fut fait le plus grand bienfait, créant son âme très sainte et l’unissant à son corps, sans que le péché originel ni son effet en résultât. Et le jour de sa Conception que l’Église célèbre aujourd’hui fut non celui de la première du corps seul, mais le jour de la seconde Conception ou infusion de l’âme, avec laquelle elle fut neuf mois juste dans le sein de sainte Anne, temps qui s’écoula depuis la Conception jusqu’à la Nativité de cette Reine. Et les sept jours antécédents à son animation, le corps fut seul à se disposer et à s’organiser par la vertu divine, afin que cette création correspondît à celle que Moïse raconte de toutes les créatures qui composèrent et qui formèrent le monde dans son principe. Et dans l’instant de la création et de l’infusion de l’âme de la très sainte Marie, la bienheureuse Trinité dit ces paroles avec une plus grande affection d’amour que lorsque Moïse les rapporte : Faisons Marie à notre image et à notre ressemblance, pour qu’elle soit notre vraie Fille, notre Épouse et la Mère du Fils unique de la substance du Père.
221. Par la force de cette parole divine et l’amour avec lequel elle procéda de la bouche du Tout-Puissant, l’âme bienheureuse de la très sainte Marie fut créée et infuse dans son corps, et le Seigneur la remplit au même instant de grâce et de dons au-dessus des plus hauts séraphins du ciel, sans qu’il y eut un instant où elle se trouvât dénuée ou privée de la lumière, de l’amitié et de l’amour de son Créateur ; la tache ou obscurité du péché originel ne put pas la toucher, au contraire elle fut créée dans une justice très parfaite supérieure à celle qu’Adam et Ève eurent dans leur création. Il lui fut concédé l’usage de la raison très parfaite, correspondante aux dons de la grâce qu’elle recevait, non pour être un seul instant oisifs, mais pour opérer des effets admirables d’un souverain agrément pour leur Auteur. Je confesse que je suis absorbée dans l’intelligence de la lumière de ce grand mystère, et dans mon insuffisance pour l’expliquer, mon cœur se convertit en affections d’admiration et de louange, parce que ma langue se tait. Je contemple l’Arche véritable du Testament fabriquée, enrichie et colloquée dans le temple d’une mère stérile avec plus de gloire que l’arche figurative, dans la maison d’Obédédom et de David et dans le temple de Salomon. Je vois l’autel formé dans le Saint des Saints où doit être offert le premier sacrifice qui doit vaincre et apaiser Dieu, et je vois la nature sortir de son ordre pour être ordonnée, pendant que s’établissent de nouvelles lois contre le péché, sans tenir compte des lois communes, ni du péché, ni de la nature, ni de la grâce même, et qu’une nouvelle terre et des cieux nouveaux commencent à se former, le premier ciel étant le sein d’une humble femme auquel la Très Sainte Trinité est attentive et qui est assistée par d’innombrables courtisans de l’ancien ciel, et mille anges sont destinés à faire la garde du trésor d’un corpuscule animé de la dimension d’une petite abeille.
222. Et dans cette création nouvelle on entendit raisonner la voix de son Auteur qui, satisfait de l’œuvre de sa toute-puissance, disait qu’elle était très bonne. Que la faiblesse humaine s’approche de cette merveille avec une pieuse humilité, qu’elle confesse la grandeur du Créateur et qu’elle reconnaisse le nouveau bienfait accordé à tout le genre humain dans sa Réparatrice. Et que le zèle contraire cesse désormais, vaincu par la lumière divine, parce que si la bonté infinie de Dieu, comme il me l’a été montré, regarda le péché originel dans la conception de sa très sainte Mère comme étant irrité et courroucé contre lui, se glorifiant d’avoir une juste cause et une occasion opportune pour l’abattre et en arrêter le cours, comment peut-il paraître bien à la sagesse humaine ce qui fut si horrible à Dieu ?
223. Dans le temps de l’infusion de l’âme dans le corps de cette divine Dame, le Très-Haut voulut que sa Mère sainte Anne sentît et reconnût la présence de la Divinité d’une manière très sublime, par laquelle elle fut remplie de l’Esprit-Saint et mue intérieurement de tant de jubilation et de dévotion au-dessus de ses forces ordinaires, qu’elle fut ravie en une extase très élevée où elle fut illustrée par des intelligences très hautes et des mystères très secrets, et elle loua le Seigneur par de nouveaux cantiques d’allégresse. Et ces effets lui durèrent tout le reste de sa vie ; mais ils furent plus grands dans les neuf mois qu’elle eut le trésor du ciel dans son sein, car pendant ce temps ces bienfaits lui furent renouvelés et répétés plus continuellement, avec des intelligences des divines Écritures et de ses profonds sacrements. Ô femme très fortunée que l’on peut appeler bienheureuse, que toutes les nations et les générations du globe publient tes louanges !
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NOTES EXPLICATIVES
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a. Dans une pure créature. Par ce mot pure, l’on n’entend point pure de péché, mais simple créature, seulement créature, pour la distinguer de Notre Seigneur Jésus-Christ qui n’était pas pure créature, mais créature déifiée par l’union hypostatique avec la Divinité.
b. Saint Jean Damascène écrit : « La nature cède à la grâce et demeure tremblante... n’osant point devancer la grâce... mais plutôt elle attendit que la grâce eût produit son fruit. » Serm. I, De Nativ. Virg.
c. « Il convenait, dit saint Jean Damascène, que la voie au plus grand miracle fût jonchée de miracles. » Orat. de Nativ. Virg. apud Suarez, 3 p., q. 27, disp. 2, 1.
d. Dans ce cas on pourrait appliquer le principe de saint Thomas : « Si quelqu’un était formé de chair par la vertu divine, la force active n’étant point dérivée d’Adam, il ne contracterait pas le péché véniel, comme non plus l’acte de la main ne formerait pas un péché dans l’homme si la main n’était pas mue par la volonté de l’homme, mais par quelque autre moteur extrinsèque. » 42, q. 81, a. 4.
e. Comparaison étonnante pour démontrer comment la mère put concevoir par la vertu divine, la stérilité naturelle demeurant et l’impuissance de la nature en elle n’ayant point été enlevée, mais la puissance active divine y ayant suppléé.
f. D’après saint Thomas, l’absence de la concupiscence ne se peut que par la présence de la grâce surnaturelle gouvernant l’acte de la génération ; car la sujétion du corps à l’âme, des forces inférieures à la raison n’est point naturelle.
g. Saint Thomas l’appelle cause instrumentale. Or l’instrument ne peut communiquer que ce qu’il contient en lui-même.
h. Deux choses furent nécessaires afin que le péché ne résultât point comme le marque la Vénérable. Du côté de Dieu, il fallait un décret d’exemption tout spécial pour Marie et, du côté de l’homme, l’absence de concupiscence dans celui qui engendrait ; car de puissance ordonnée et selon l’infinie sagesse qui agit suavement, il n’aurait pas été convenable que la grâce pût rester en contact immédiat avec cet accident imparfait du côté de ses parents. Il ne suffisait donc pas que les parents fussent en grâce quant à l’âme, quoad mentem, comme s’exprimait saint Thomas, mais il fallait encore sanctifier l’action de cette chair qui convoite contre l’esprit. Saint Jean Damascène appelle la conception de Marie, le suprême miracle : et il écrit : « Il convenait au suprême miracle d’être établi par voie de miracle ; et que pour former la Vierge la grâce aidât la nature. » Orat. de Nat. Virg.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE XVI
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Des habitudes des vertus dont le Très-Haut dota l’âme de
la Très Sainte Marie et des premières opérations
qu’elle en eut dans le sein de sainte Anne :
cette Reine du ciel commence à me donner
la doctrine pour son imitation.
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SOMMAIRE. – 224. Les dons de Marie, dans l’instant de sa conception, surpassent ceux de tous les saints ensemble. – 225. Elle exerça les vertus théologales. – 226. Science infuse dont elle fut illustrée. – 227. Mérites qu’elle acquit par ses actes. – 228. Connaissance abstractive de Dieu par espèces claires. – 229. Mystères qu’elle connut dans ce premier instant. – 230. Actes des vertus correspondants à cette connaissance. – 231. Elle vit les Anges de sa garde. – 232. Elle demanda à Dieu le remède des hommes. – 233. Elle pria pour ses parents. – 234. Il convenait que Marie eut aussitôt l’exercice de ses puissances. – 235. Combien nos raisons sont courtes pour exprimer de tels mystères. – 236. Pourquoi Marie ne vit pas Dieu intuitivement dans ce premier instant. – 237. Marie commence à donner ses Conseils à la Vénérable. – 238. Elle exhorte sa disciple à l’imiter. – 329. Obligation de la créature de diriger son premier mouvement vers Dieu. – 240. Obligation de le faire dès qu’on arrive à sa connaissance. – 241. Connaître Dieu et se connaître soi-même. – 242. La disciple remercie sa Maîtresse.
224 Dieu dirigea le courant 238 impétueux de sa Divinité vers l’âme très sainte de Marie pour réjouir cette Cité Mystique, ce courant prenant sa source dans l’océan de sa sagesse et de sa bonté infinies, par lesquelles le Très-Haut avait déterminé de déposer dans cette divine Dame les plus grands trésors de grâce et de vertus qui ne furent jamais donnés à aucune créature et qui ne le seront jamais. Et lorsque arriva l’heure de les lui livrer en possession, ce qui fut à l’instant même qu’elle eut l’être naturel, le Tout-Puissant accomplit à sa satisfaction et à son agrément le désir qu’il tenait comme en suspens dès son éternité, jusqu’à ce qu’arrivât le temps de se dégager de sa propre affection. Le Seigneur très fidèle le fit en répandant toutes les grâces et tous les dons dans cette âme très sainte de Marie, dès l’instant de sa Conception, en un degré si éminent que tous les saints ensemble ne peuvent en avoir une juste idée et il n’y a aucune langue qui puisse le faire connaître.
225. Mais quoiqu’elle fût alors ornée comme épouse qui descendait du ciel 239, avec toutes sortes de perfections et d’habitudes infuses, il n’était pas nécessaire qu’elle les exerçât toutes aussitôt, mais seulement celles qu’elle pouvait et qui convenait à l’état où elle se trouvait dans le sein de sa mère. En premier lieu étaient les trois vertus théologales qui ont Dieu pour objet. Elle exerça celles-ci aussitôt, connaissant, par un mode très sublime de la foi, la Divinité avec toutes les perfections et tous les attributs divins qu’elle a, avec la Trinité et la distinction des personnes ; et cette connaissance n’empêcha point une autre que Dieu lui-même lui donna, comme je le dirai en son lieu. Elle exerça aussi la vertu de l’espérance, qui regarde Dieu comme objet de la bienheureuse et dernière fin, vers laquelle cette âme très sainte s’éleva et se dirigea aussitôt par des désirs très intenses de s’unir à lui, sans qu’elle se soit jamais tournée vers autre chose et sans qu’elle ait jamais cessé ce mouvement. Elle exerça dans le même instant la troisième vertu de la charité qui regarde Dieu comme Bien souverain et infini avec une telle intensité et une telle appréciation de la Divinité, que tous les séraphins ne pourraient pas arriver à un degré aussi éminent dans leur plus grande force et leur plus grande vertu.
226. Elle eut, dans un degré correspondant aux vertus théologales, les autres vertus qui ornent et perfectionnent la partie raisonnable de la créature ; et les vertus morales et naturelles dans un degré miraculeux et surnaturel ; et dans l’ordre de la grâce, les dons et les fruits du Saint Esprit eurent ce degré et d’une façon beaucoup plus sublime. Elle eut une science infuse et des habitudes de toutes les sciences et de tous les arts naturels, avec lesquelles elle connut et sut tout le naturel et le surnaturel qui convient à la grandeur de Dieu : de sorte que dès le premier instant dans le sein de sa Mère, elle fut plus sage, plus prudente, plus illustrée et plus capable de Dieu et de ses œuvres que toutes les créatures, hors son très saint Fils, ne l’ont été et ne le seront éternellement. Et cette proportion consista non seulement dans les habitudes qui lui furent infuses dans un degré si sublime, mais dans les actes qui leur correspondaient selon sa condition et son excellence et selon qu’elle put les exercer dans cet instant par la puissance de Dieu ; car pour cela elle n’eut point de limite et elle ne fut assujettie à aucune autre loi qu’à celle de son divin et très juste bon plaisir.
227. Et parce que je parlerai beaucoup de ces vertus et de ces grâces ainsi que de leurs opérations dans le cours de cette Histoire, j’exprimerai ici quelque chose seulement de ce qu’elle opéra dans l’instant de sa conception, avec les habitudes qui furent répandues en elle et la lumière actuelle avec laquelle elle les reçut. Par les actes des vertus théologales, comme je l’ai dit, et de la vertu de religion et des autres vertus cardinales qui viennent après celle-ci, elle connut Dieu comme il est en lui-même et comme Créateur et Glorificateur ; et avec des actes héroïques, elle le révéra, le loua et lui rendit grâces de l’avoir créée ; elle l’aima, le craignit et l’adora ; et elle lui fit un sacrifice de magnificence, de louange et de gloire pour son Être immuable. Elle connut les dons qu’elle recevait, quoiqu’il il y en eut un qui lui fut celé ; et elle rendit grâces pour ces dons avec une humiliation profonde et des prosternations corporelles qu’elle fit aussitôt dans le sein de sa Mère avec ce corpuscule (a) si petit ; elle mérita plus par ces actes dans cet état que tous les saints dans le suprême degré de leur perfection et de leur sainteté.
228. Elle eut une autre vue du mystère de la Divinité et de la très sainte Trinité et une connaissance supérieure aux actes de la foi infuse. Et bien qu’elle ne la vît point intuitivement comme les bienheureux dans cet instant, elle la vit néanmoins abstractivement par une autre lumière et une vue inférieure à la vision béatifique, mais supérieure à tous les autres modes par lesquels Dieu peut se manifester ou se manifeste à l’entendement créé ; car il lui fut donné certaines espèces de la Divinité si claires et si manifestes qu’elle y connut l’Être immuable de Dieu et en lui toutes les créatures avec une plus grande lumière et une plus grande évidence qu’aucune créature ne peut être connue par une autre (b). Et ces espèces furent comme un miroir très clair dans lequel resplendissait toute la Divinité et en elle toutes les créatures ; et l’Immaculée les vit et les connut toutes en Dieu, par cette lumière et ces espèces de la nature divine, plus clairement et plus distinctement qu’elle les connaissait en elles-mêmes par d’autres espèces et par la science infuse.
229. Tous les hommes, les anges avec leurs chœurs, leurs dignités et leurs opérations et toutes les créatures irraisonnables avec leurs natures et leurs qualités, lui furent découvertes de toutes ces manières, dès l’instant de sa conception. Elle connut la création, l’état et la ruine des anges, la justification et la gloire des bons, ainsi que la chute et le châtiment des mauvais ; le premier état d’Adam et d’Ève avec leur innocence ; la tromperie et le péché, puis la misère dans laquelle nos premiers parents demeurèrent par ce péché, et à cause d’eux tout le genre humain ; la détermination de la volonté divine pour sa réparation et comment cette réparation s’approchait déjà et se disposait ; l’ordre et la nature des cieux, des astres et des planètes, la nature et la disposition des éléments ; le purgatoire, les limbes et l’enfer ; et comment toutes ces choses et celles qui y sont renfermées avaient été créées par la puissance divine, et qu’elles étaient maintenues et conservées par cette même puissance, pour sa seule bonté infinie, sans en avoir aucune nécessité 240. Elle comprit surtout de très sublimes sacrements sur le mystère que Dieu devait opérer en se faisant homme pour racheter tout le genre humain, ayant laissé les anges sans ce remède.
230. À la connaissance de toutes ces merveilles, selon leur ordre, l’âme très sainte de Marie, dans l’instant qu’elle fut unie à son corps, opérait aussi des actes héroïques des vertus de l’amour de Dieu et de la douleur des péchés commis contre ce souverain Bien qu’elle reconnaissait pour l’Auteur et la fin de tant d’œuvres admirables, et cela avec une admiration, des louanges, des glorifications, des adorations et des humiliations incomparables. Elle s’offrit aussitôt en sacrifice acceptable pour le Très-Haut, commençant dès ce moment à le bénir, à l’aimer et à le révérer pour ce qu’elle connaissait que les hommes avaient manqué de l’aimer et de le reconnaître. Et elle demanda aux saints anges, elle qui était déjà leur Reine, de l’aider à glorifier le Créateur et le Seigneur de tous et de prier aussi pour elle.
231. Le Seigneur lui manifesta dans cet instant les anges qu’il lui donnait ; elle les vit et les connut, elle leur témoigna de la bienveillance et leur fit bon accueil, et elle les convia à louer alternativement le Très-Haut par des cantiques de louange. Elle les prévint que c’était cet office qu’ils devaient exercer avec elle, tout le temps de sa vie mortelle, pendant qu’ils l’assisteraient et la garderaient. Elle connut de même toute sa généalogie et tout le reste du peuple saint et choisi de Dieu, les Patriarches, les Prophètes, et combien sa Majesté avait été admirable dans les dons, les grâces et les faveurs qu’il avait opérés à leur égard. Et ce qui est digne de toute admiration, c’est que la puissance et la droite divine ordonna, afin qu’il ne manquât aucune des excellences miraculeuses qui pouvaient exalter celle qui était élue pour être la Mère de Dieu, que ce petit corps, dans le temps qu’il reçut son âme très sainte étant si petit qu’à peine on aurait pu apercevoir ses puissances extérieures, pleurât néanmoins et versât des larmes dans le sein de sa Mère, connaissant la gravité du péché contre le souverain Bien (c).
232. Avec cette affection miraculeuse, elle pria aussitôt pour le remède des hommes, dès le premier instant de son existence, et elle commença dès lors son office de Médiatrice, d’Avocate et de Réparatrice du genre humain : et elle présenta à Dieu les clameurs des anciens Pères et des justes de la terre, afin que sa miséricorde ne différât point le salut des mortels qu’elle considérait déjà comme ses frères. Et avant de converser avec eux, elle les aimait d’une charité ardente, et elle fut leur Bienfaitrice par l’amour divin et fraternel qui brûlait dans son cœur embrasé, sitôt qu’elle eut l’être naturel. Le Très-Haut accepta ses prières avec plus de complaisance que toutes les oraisons des anges et des saints, ce qui fut manifesté à celle qui était créée pour être la Mère de Dieu même, quoiqu’elle l’ignorât ; elle connut cependant l’amour de Dieu et le désir qu’il avait de descendre du ciel pour racheter les hommes. Et il était juste qu’il se montrât plus obligé de hâter sa venue à cause des prières et des supplications de cette créature, puisque c’était pour elle principalement qu’il venait, qu’il devait s’incarner dans ses propres entrailles et opérer en elle l’œuvre la plus admirable qu’il ait faite et qui était la fin de toutes ses œuvres.
233. Elle pria aussi à l’instant de sa conception pour ses parents naturels, Joachim et Anne, car avant de les voir des yeux du corps elle les vit et les connut en Dieu : et elle exerça envers eux les vertus de l’amour, du respect et de la gratitude de fille, les reconnaissant pour causes secondes de son être naturel. Elle fit aussi pour différentes causes beaucoup d’autres prières en général et en particulier. Et avec la science infuse qu’elle avait, elle composa dès lors un cantique de louange dans son esprit et dans son cœur, de ce qu’elle avait trouvé à la porte de la vie la drachme précieuse 241 que nous avons tous perdue dans notre premier principe. Elle trouva la grâce qui sortit à sa rencontre 242 et la Divinité qui l’attendait au seuil 243 de la nature. Et ses puissances rencontrèrent dès l’instant de leur être le très noble objet qui les mut et les étrenna, parce qu’elles n’étaient créées que pour lui seul ; et devant être siennes en tout et pour tout, les prémices de leurs opérations, qui étaient la connaissance et l’amour de Dieu, lui furent données ; ainsi cette Dame n’eut point d’existence sans connaissance de Dieu, ni de connaissance sans amour, ni d’amour sans mérite. Et en cela il n’y eut aucune chose petite ou mesurée par les lois communes ou les règles générales. Elle était toute grande, et grande elle sortit des mains du Très-Haut pour marcher, croître et arriver jusqu’à être si grande que Dieu seul la surpasse. Oh ! qu’ils furent beaux tes pas, Fille du Prince 244, puisque par le premier tu es arrivée à la Divinité !!! Tu es deux fois belle, parce que ta grâce et ta beauté est toute beauté et toute grâce 245. Tes yeux sont divins et tes pensées sont comme la pourpre du Roi 246, puis tu as ravi son cœur et, blessé de ces cheveux 247, tu l’as lié, l’entraînant prisonnier de ton amour, au giron de ton sein virginal et dans ton cœur.
234. Ce fut véritablement ici que l’Épouse du Roi dormait et que son cœur veillait 248. Ses sens corporels dormaient, car ils avaient à peine leur forme naturelle, et ils n’avaient point vu la lumière naturelle du soleil ; et ce cœur divin, plus incompréhensible par la grandeur de ses dons que par la petitesse de son être naturel, veillait dans le sein de sa Mère à la lumière de la Divinité qui l’inondait et qui l’enflammait dans le feu de son immense amour ! Il ne convenait pas en cette divine créature que les puissances inférieures opérassent avant les supérieures, ni que celles-ci eussent une opération inférieure ou même égale à d’autres créatures ; parce que si l’opération correspond à l’être d’une chose, celle qui fut toujours supérieure à toutes les créatures en dignité et en excellences devait aussi opérer avec une supériorité proportionnée au-dessus de toute créature angélique et humaine. Et non seulement elle ne devait pas être privée de l’excellence des esprits angéliques qui usèrent aussitôt de leurs puissances dans le moment de leur création ; mais cette grandeur, cette prérogative était due à celle qui était créée pour être leur Reine et leur Maîtresse. Et avec des avantages d’autant plus grands que le nom et l’office de Mère de Dieu excède celui de ses serviteurs, que celui de Reine est meilleur que celui de vassaux, car le Verbe n’a dit à aucun des anges : Tu es ma mère, ni aucun d’eux n’a pu lui dire à lui-même : Tu es mon fils ; et il y eut ce commerce admirable et cette correspondance mutuelle seulement entre Marie et le Verbe Éternel : et par elle on doit mesurer et scruter la grandeur de Marie, comme l’Apôtre mesura celle du Christ 249.
235. Je confesse ma rudesse et mon incapacité féminine pour écrire ces sacrements du Roi 250, quand il est déjà honorable de révéler ses œuvres, et je m’afflige de parler avec des termes communs et vides qui n’arrivent point à dire ce que je comprends, dans la lumière que mon âme a de ces mystères. Pour ne point avilir tant de grandeur il faudrait d’autres termes, des paroles et des raisons particulières et propres ; mais mon ignorance n’y arrive pas. Et quand je les aurais, la faiblesse humaine serait encore surpassée et opprimée. Qu’on se reconnaisse donc inférieur et incapable de fixer la vue sur ce soleil divin qui vient au monde avec de rayons de divinité, quoique recouvert de la nuée du sein maternel de sainte Anne. Et si nous voulons tous qu’il nous soit permis de nous avancer pour voir cette vision merveilleuse, approchons libres et dépouillés, les uns de la timidité naturelle, d’autres de la crainte et de la confusion, quoique avec prétexte d’humilité ; mais tous avec une dévotion et une piété souveraines, éloignés de l’esprit de contention 251, et il nous sera permis de voir de près le feu de la Divinité au milieu du buisson sans le consumer.
236. J’ai dit que dans le premier instant de sa conception, l’âme très sainte de Marie vit abstractivement l’essence divine, car la lumière ne m’a pas été donnée qu’elle ait vu la gloire essentielle ; j’ai compris au contraire que ce fut le privilège singulier de l’âme très sainte de Jésus-Christ, privilège qui était comme dû et conséquent à l’union substantielle de la Divinité dans la personne du Verbe ; car il ne laissa pas un seul instant d’être uni avec elle par les puissances de l’âme avec une grâce et une gloire souveraines. Et comme cet homme, notre bien-aimé Seigneur Jésus-Christ, commença à être conjointement Homme-Dieu, ainsi il commença à connaître Dieu et à l’aimer comme compréhenseur. Mais l’âme de sa très sainte Mère n’était pas unie substantiellement à la Divinité, et ainsi, elle ne commença pas à opérer comme les compréhenseurs, parce qu’elle entrait dans la vie pour être voyageuse. Mais dans cet ordre, le plus immédiat à l’union hypostatique, elle eut aussi une autre vision proportionnée et la plus immédiate à la vision béatifique, mais inférieure, et néanmoins supérieure à toutes les visions et révélations de la Divinité que les créatures aient eues, hors de sa claire vision et fruition. Et ce fut d’une manière telle et avec de telles conditions que la vision que la Mère du Christ eut de la Divinité dans le premier instant de sa conception excède la claire vision des autres (d), en tant qu’elle connut abstractivement plus de mystères que les autres, avec la vision intuitive. Et si elle n’a pas vu la Divinité face à face dans ce premier moment, cela n’empêche pas qu’elle la vit ensuite souvent dans le cours de sa vie, comme je le dirai plus loin.
Doctrine que me donna la Reine du ciel sur ce chapitre.
237. Dans le cours de ce que j’ai écrit, j’ai dit que la Reine et Mère de miséricorde m’avait promis qu’en arrivant à écrire les premières opérations de ses puissances et de ses vertus, elle me donnerait une instruction et une doctrine pour composer ma vie dans ce miroir très pur de la sienne, parce que telle était la principale intention de cet enseignement. Et comme cette grande Reine est très fidèle dans ses paroles et qu’elle m’assiste toujours de sa présence divine, ayant donc désormais commencé à déclarer ces mystères, elle a commencé à accomplir sa promesse dans ce chapitre, étant prête à le faire dans les autres que j’écrirai ensuite. Ainsi je garderai cet ordre et cette manière, qu’à la fin du chapitre j’écrirai ce que son Altesse m’enseignera comme elle a commencé à le faire maintenant, me parlant ainsi :
238. Ma fille, je veux que pour avoir écrit les mystères et les sacrements de ma très sainte vie, tu cueilles pour toi-même le fruit que tu désires et que la récompense de ton travail soit la plus grande pureté et la plus grande perfection de ta vie, si tu te disposes à m’imiter avec la grâce du Très-Haut, pratiquant ce que tu entendras. C’est la volonté de mon très saint Fils que tu étendes tes forces à ce que je t’enseignerai, fixant tout ton esprit et tout ton cœur sur mes vertus et mes œuvres. Écoute-moi avec attention et avec foi, car je te dirai des paroles de vie éternelle et je t’enseignerai le plus saint et le plus parfait de la vie chrétienne et le plus agréable aux yeux de Dieu ; ainsi dès maintenant tu commenceras à te disposer pour recevoir la lumière où tu découvriras clairement les mystères cachés de ma très sainte vie et la doctrine que tu désires. Continue cet exercice et tu écriras ce que je t’enseignerai pour cela. Et maintenant je t’avertis :
239. Que c’est un acte de justice dû au Dieu éternel que lorsque la créature reçoit l’usage de la raison, elle dirige son premier mouvement vers Dieu, le connaissant pour l’aimer, le révérer et l’adorer comme son Créateur et son Seigneur unique et véritable (e). Et les parents doivent, par obligation naturelle, instruire leurs enfants même tout jeunes dans cette connaissance, les diriger avec soin, afin qu’ils cherchent aussitôt leur fin dernière, qu’ils la rencontrent par les premiers actes de leur raison et de leur volonté. Ils doivent les détourner avec une grande vigilance des enfantillages et des jeux puérils auxquels leur nature dépravée s’incline d’elle-même, s’ils la laissent agir sans autre maître. Et si les pères et les mères anticipaient pour prévenir ces tromperies et ces habitudes déréglées de leurs enfants et s’ils les instruisaient dès leur enfance et leur donnaient à temps la connaissance de leur Dieu et leur Créateur, ces enfants se trouveraient plus habiles pour commencer aussitôt à le connaître et à l’adorer. Ma sainte mère, qui ignorait mon état et ma sagesse, fit cela envers moi si ponctuellement et d’une manière si anticipée, qu’en me portant dans son sein elle adorait en mon nom le Créateur, elle lui rendait pour moi la révérence souveraine et les dues actions de grâces pour m’avoir créée et elle le suppliait de me garder, de me défendre et de me tirer libre de l’état où je me trouvais alors. Les parents doivent de même demander à Dieu avec ferveur d’ordonner par sa Providence que les âmes de leurs enfants arrivent à recevoir le baptême et qu’ils soient délivrés de la servitude du péché originel.
240. Et si la créature raisonnable n’avait point reconnu et adoré le Créateur par le premier usage de sa raison, elle doit le faire dans le moment que cet Être et ce Bien unique qu’elle n’avait pas connu auparavant arrive à sa connaissance par la foi. Et depuis cette connaissance, l’âme doit travailler à ne le perdre jamais de vue, à le craindre, à le révérer et à l’aimer toujours. Toi, ma fille, tu as eu cette dette d’adoration envers Dieu tout le cours de ta vie ; mais maintenant, je veux que tu le fasses encore mieux, comme je te l’enseignerai. Pose la vue intérieure de ton âme dans l’Être de Dieu, sans principe et sans terme, et regarde-le infini en attributs et en perfection, seul il est la sainteté véritable, le Bien souverain, l’objet très noble de la créature, celui qui a donné l’être à tout ce qui est créé et qui le soutient et le gouverne sans en avoir besoin. Il est la beauté consommée sans aucune tache et sans aucun défaut ; il est éternel dans son amour, véritable dans ses paroles et très fidèle dans ses promesses ; c’est lui qui donna sa propre vie et qui se livra aux tourments pour le bien de ses créatures, sans qu’aucune n’ait pu le mériter. Étends ta vue et occupe tes puissances dans cet immense champ de bonté et de bienfaits, sans jamais l’oublier ni t’en éloigner, parce qu’après avoir si bien connu le Bien suprême, c’est une vilenie et une déloyauté très grossières de l’oublier par une horrible ingratitude, comme serait la tienne, si ton entendement et ta volonté se détournaient de la carrière de l’amour divin, ayant reçu une lumière divine si supérieure, au-dessus de la lumière commune et ordinaire et de celle de la foi infuse. Et si tu le faisais quelquefois par faiblesse, reviens aussitôt à le chercher avec toute la promptitude et la diligence possibles, et, humiliée, adore le Très-Haut, lui rendant l’honneur, la magnificence et des louanges éternelles. Et sache que tu dois considérer comme ton office propre de faire cela incessamment pour toi et pour tous les autres ; et je veux qu’en cela tu vives attentive et remplie de sollicitudes.
241. Et afin de t’y exercer avec plus de force, médite dans ton cœur ce que tu as connu que je faisais, et comment cette première vue du Souverain Bien laissa mon cœur blessé d’amour, avec quoi je me livrai toute à lui pour ne le perdre jamais. Et néanmoins, je vivais toujours dans les sollicitudes et je ne reposais point, cheminant jusqu’à arriver au centre de mes désirs et de mes affections ; parce que l’objet étant infini, l’amour non plus ne doit point avoir de cesse ni de repos jusqu’à ce que ce Bien si désiré soit en sa possession. Après la connaissance de Dieu et son amour doit suivre la connaissance de toi-même, pensant et réfléchissant à ta petitesse et à ta vileté. Et saches que ces vérités bien entendues, répétées et méditées produisent des effets divins dans les âmes. – Ayant entendu ces raisons et d’autres de la Reine, je dis à sa Majesté :
242. Ô ma Maîtresse, de qui je suis l’esclave et à qui je me dédie et me consacre de nouveau pour l’être toujours, ce n’était point sans cause que par votre maternelle bonté, mon cœur désirait ce jour avec sollicitude, pour connaître l’ineffable hauteur de vos vertus dans le miroir de vos divines perfections et entendre vos salutaires paroles remplies de douceur. Je confesse de tout mon cœur, ô ma Reine, que je n’ai jamais fait aucune bonne œuvre à laquelle ce bienfait puisse correspondre comme récompense, et je jugerais celle d’écrire votre très sainte vie comme une audace sans égale et qui ne mériterait point de pardon si je n’obéissais en cela à votre volonté et à celle de votre très saint Fils. Recevez, ô ma Souveraine, ce sacrifice de louange et parlez, car votre servante écoute 252, puisque vous avez des paroles de vie. Continuez-moi, ô ma Maîtresse, votre enseignement et votre lumière, afin que mon cœur se dilate dans la mer immense de vos perfections et que j’aie une digne matière de louer le Tout-Puissant. Le feu que votre piété a allumé brûle dans mon cœur pour désirer le plus saint, le plus pur et le plus acceptable de la vertu à vos yeux ; mais je sens dans la partie inférieure de moi-même la loi de mes membres qui répugne à celle de mon esprit, et qui me retarde et m’embarrasse, et je crains justement, ô ma très pieuse Mère, qu’elle m’empêche de pratiquer le bien que vous me proposez. Regardez-moi donc, ô ma Maîtresse, comme votre fille, enseignez-moi comme votre disciple, corrigez-moi comme votre servante et obligez-moi comme votre esclave, quand je retarde ou que je résiste ; je ne veux point le faire volontairement, mais je retomberai par faiblesse. J’élèverai ma vue pour connaître l’Être de Dieu et j’élèverai mes affections par sa divine grâce, afin qu’elles s’enflamment dans l’amour de ses perfections infinies ; et si je puis le tenir, je ne le laisserai pas 253. Et vous, ô ma Maîtresse, Mère de la science et du bel amour 254, demandez à votre Fils et mon Seigneur qu’il ne m’abandonne point, puisqu’il s’est montré si libéral à favoriser votre humilité, ô Reine et Maîtresse de toutes les créatures.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. Une fois assuré du parfait usage de la raison que la sainte Vierge eut dès sa Conception, on ne doit pas s’émerveiller des prosternations qu’elle faisait dans le sein de sa mère pour adorer et remercier le Seigneur. Le précurseur de Jésus-Christ tressaillit de joie aussi à l’approche de son Seigneur dans le sein de sainte Élisabeth. Exultavit infans in gaudio in utero meo.
b. Cette vision abstractive est du genre de celles que les théologiens appellent : Visiones extra Verbum. Saint Bernardin de Sienne dit que Marie dès le sein de sa Mère contempla Dieu plus parfaitement que jamais personne ne l’a contemplé dans l’âge parfait. Tom. I, Serm. 61.
c. « Qu’on mesure toute cette histoire écrite par la plume de Marie d’Agreda dirigée par la lumière de Dieu, qu’on mesure tout ce qu’elle renferme de plus prodigieux et de plus surprenant d’après le raisonnement et le langage unanime des Pères de l’Église, et l’on y verra l’explication exacte de leurs sentiments. » Le P. Séraphin : Grandeurs et Apostolat de Marie.
d. La vision abstractive est comme de voir un homme dans un miroir, et l’intuitive est comme de le voir face à face. Il n’y a nul doute que l’Auguste Marie, avec son regard si pur et si limpide, a pu même en chair mortelle voir plus de la Divinité que beaucoup de saints dans la gloire. C’est ainsi que saint François de Sales dit dans son Traité de l’Amour de Dieu que quelques-uns, même voyageurs, peuvent aimer Dieu plus intensément que certains bienheureux de moindre mérite.
e. C’est une doctrine de saint Thomas que tout homme à peine arrivé à l’usage de la raison est obligé, sous peine de péché mortel, de diriger ses premières affections vers Dieu son Créateur, au moins s’il réfléchit à ce devoir. Saint Louis de Gonzague, parlant un jour de cette doctrine du Docteur angélique, ajouta que quant à lui il n’avait aucune crainte de n’avoir pas accompli ce devoir.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE XVII
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Poursuivant le mystère de la Conception de Marie, il me
fut donné de comprendre le chapitre XXI
de l’Apocalypse.
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SOMMAIRE. – 243. Le chapitre XXI de l’Apocalypse parle de l’immaculée Conception. – 244. Texte d’une partie de ce chapitre. – 245. Marie Immaculée est un ciel nouveau. – 246. Elle est une terre nouvelle. – 247. Les mérites de Jésus-Christ sont plus que suffisants pour détruire tous les péchés. – 248. Marie, nouvelle Jérusalem. – 249. Pourquoi. – 250. Marie est descendue du ciel. – 251. Elle était ornée de grâce. – 252. Toutes ces prérogatives viennent de ce qu’elle a été conçue sans péché. – 253. Par elle Dieu commence à habiter parmi les hommes. – 254. Félicité qui vint aux hommes par la Conception de Marie. – 255. Par la Rédemption les douleurs et la mort cessèrent – 256. La douleur des péchés est savoureuse. – 257. Obligation de reconnaissance. – 258. L’Immaculée Conception fut le gage de l’Incarnation du Verbe. – 259. Les bienfaits de Dieu nous sont accordés par grâce. – 260. Les droits des enfants de Dieu courageux et fidèles. – 261. Les timides. – 262. Les incrédules, etc. – 263. Leur châtiment.
243. La très sainte Marie conçue en grâce renferme tant de sublimes sacrements que pour me rendre plus capable de ce merveilleux mystère, sa Majesté m’en déclara plusieurs de ceux que saint Jean renferma dans le chapitre XXI de l’Apocalypse, me remettant à l’intelligence qu’il m’en donnait. Et pour expliquer quelque chose de ce qui m’a été manifesté, je diviserai l’explication de ce chapitre en trois parties pour éviter un peu l’ennui que pourrait causer un si long chapitre, si on le mettait ensemble. Et d’abord je dirai la lettre selon sa teneur, qui est comme suit :
244. « Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle. Parce que le premier ciel et la première terre s’en allèrent, et la mer n’était plus. Et moi, Jean, je vis la sainte cité de la nouvelle Jérusalem, qui descendait du ciel, préparée comme une épouse ornée pour son époux. Et j’entendis une grande voix du trône qui disait : Regarde le tabernacle de Dieu avec les hommes et il habitera avec eux. Et ils seront son peuple et le même Dieu sera avec eux et il sera leur Dieu : et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux et il n’y aura plus de mort, ni de pleurs, ni de cris et la douleur ne restera pas, parce que les premières choses sont passées désormais. Et celui qui était assis sur le trône dit : Voici que je fais toutes choses nouvelles. Et il me dit : Écris, car ces paroles sont très fidèles et véritables. Et il me dit : C’est fait ; je suis l’Alpha et l’Oméga, le principe et la fin. À celui qui a soif, je donnerai gratuitement de la fontaine de la vie. Celui qui vaincra possédera ces choses, et je serai son Dieu, et lui sera pour moi un fils. Mais pour les timides, les incrédules, les maudits, les homicides, les fornicateurs, les sorciers, les idolâtres et tous les menteurs, leur part sera dans l’étang ardent de souffre et de feu, qui est la seconde mort. »
245. Telle est la première des trois parties de la lettre que j’expliquerai dans ce chapitre, la divisant par versets. Et je vis, dit l’Évangéliste, un ciel nouveau et une terre nouvelle. La très sainte Marie étant sortie des mains du Dieu tout-puissant, et la matière immédiate dont se devait former l’humanité très sainte du Verbe qui devait mourir pour l’homme étant déjà dans le monde, l’Évangéliste dit qu’il vit un ciel nouveau et une terre nouvelle. Et ce n’est pas sans une grande propriété que l’on peut appeler ciel nouveau cette nature et le sein virginal où il se forma et dont il se forma ; puisque dans ce ciel Dieu commença à habiter d’une manière nouvelle 255 et différente de celle qu’il avait eue jusqu’alors dans l’ancien ciel et dans toutes les créatures. Mais il appela aussi ciel nouveau celui des saints, après le mystère de l’Incarnation, parce que d’ici naquit la nouveauté qu’il n’y avait point auparavant d’être occupé par des hommes mortels et la rénovation que fit dans le ciel la gloire de l’humanité très sainte de Jésus-Christ ainsi que celle de sa très pure Mère, gloire telle, après la gloire essentielle, qu’elle suffit pour renouveler les cieux et leur donner une beauté et une splendeur nouvelles. Et bien que les Anges fussent déjà là, c’était néanmoins comme une chose antique et vieille : et ainsi ce fut une chose très nouvelle que le Fils du Père Éternel restituât aux hommes par sa mort leur droit à la gloire qu’ils avaient perdu par le péché, et qu’en le leur méritant de nouveau, il les introduisît dans le ciel dont ils avaient été exclus, incapables de l’acquérir par eux-mêmes. Et parce que toute cette nouveauté pour le ciel eut son principe en la très sainte Marie, lorsque l’Évangéliste la vit conçue sans la tache du péché qui empêchait le tout, il dit qu’il avait vu un nouveau ciel.
246. Je vis aussi une terre nouvelle : parce que l’ancienne terre d’Adam était maudite, souillée et coupable de péché et de damnation éternelle ; mais la terre sainte et bénie de Marie fut une terre nouvelle sans péché ni malédiction d’Adam ; et si nouvelle que depuis cette première formation il ne s’en était point vu ni connu d’autre nouvelle dans le monde, jusqu’à la très sainte Marie. Et elle fut si nouvelle et si libre de la malédiction de l’ancienne terre que dans cette terre bénie toute celle des autres enfants d’Adam fut renouvelée, car par la terre bénie de Marie la masse terrestre d’Adam, qui avait été jusqu’alors maudite et qui avait vieilli dans sa malédiction, demeura bénie, renouvelée et vivifiée. Tout fut renouvelé par la Très Sainte Marie et son innocence, et comme cette rénovation de la nature humaine et terrestre eut son principe en elle, saint Jean dit qu’en Marie conçue sans péché il vit un ciel nouveau et une terre nouvelle. Et il poursuit :
247. Parce que le premier ciel et la première terre s’en allèrent. La nouvelle terre et le nouveau ciel de la très sainte Marie et de son Fils vrai Dieu et vrai Homme venant au monde et y apparaissant, il était conséquent que l’ancien ciel et la terre vieillie par le péché de la nature humaine et terrestre disparussent. Il y eut un ciel nouveau pour la Divinité dans la nature humaine qui, libre et dégagée du péché, donnait une nouvelle habitation à Dieu même par l’union hypostatique dans la personne du Verbe. Le premier ciel que Dieu avait créé en Adam cessa d’exister, étant souillé et devenu incapable que Dieu vécût en lui. Celui-ci s’en alla et il vint un autre ciel nouveau dans la venue de Marie. Il y eut en même temps un nouveau ciel de gloire pour la nature humaine, non parce que l’empyrée changea ou qu’il disparut, mais parce qu’il n’y avait point eu d’hommes pendant tant de siècles : et quant à cela le premier ciel cessa d’être et c’était du nouveau qui commençait désormais à resplendir dans la Mère de la grâce la Très Sainte Marie par les mérites du Christ : et ainsi le premier ciel et la première terre qui avaient été jusqu’alors sans remède s’en allèrent. Et la mer cessa d’être, parce que la mer des abominations et des péchés qui avaient inondé le monde et englouti la terre de notre nature cessa d’être par la venue de la très sainte Marie et de Jésus-Christ, puisque la mer de son sang surabonda et surmonta celle des péchés quant à la suffisance, en comparaison de laquelle et vu sa valeur il est certain qu’aucun péché ne peut subsister. Si les mortels voulaient profiter de cette mer infinie de la miséricorde divine et des mérites de Notre Seigneur Jésus-Christ tous les péchés du monde cesseraient d’être, car l’Agneau de Dieu est venu pour les détruire et les effacer tous.
248. Et moi Jean, je vis la sainte Cité de la Jérusalem nouvelle qui descendait du ciel d’auprès de Dieu, préparée comme l’épouse ornée pour son époux. Parce que tous ces sacrements commençaient de la très sainte Marie et étaient fondés en elle, l’Évangéliste dit qu’il la vit sous la forme de la sainte Cité de Jérusalem, etc., car il parla de la Reine du ciel dans cette métaphore. Et il lui fut donné de la voir, afin qu’il connût davantage le trésor qui lui avait été recommandé et confié au pied de la croix et qu’il le gardât avec une digne estime. Il est vrai qu’aucune des meilleures dispositions du disciple ne pouvait suppléer au manque de présence du Fils de la Vierge, néanmoins saint Jean entrant à sa place, il était convenable qu’il fût illuminé d’une manière conforme à la dignité et à l’office qu’il recevait, en étant substitué au Fils naturel.
249. À cause des grands mystères que Dieu opéra dans la cité sainte de Jérusalem, elle était un symbole très propre pour signifier celle qui était sa Mère, et le centre et l’abrégé de toutes les merveilles du Tout-Puissant. Et pour cette raison, elle est aussi un symbole de l’Église triomphante et de l’Église militante ; et la vue de Jean, cet aigle généreux, s’étendit à toutes, à cause de la correspondance et des analogies que ces cités mystiques de Jérusalem ont entre elles. Mais il regarda spécialement la suprême Jérusalem, la très sainte Marie, en qui étaient réunies et épiloguées toutes les grâces, les merveilles, les excellences des Églises militante et triomphante. Et tout ce qui fut opéré dans la Jérusalem de la Palestine et ce qu’elle signifie avec ses habitants, tout cela se rapporte à la très pure Marie, cité sainte de Dieu, avec une plus grande admiration et de plus grandes excellences que dans tout le reste du ciel et de la terre et de tous leurs habitants. Pour cela, il l’appelle nouvelle Jérusalem, parce que tous ses dons, toutes ses grandeurs et ses vertus sont nouvelles et causent une nouvelle merveille aux saints. Elle est nouvelle, parce qu’elle fut après tous les Pères, les Patriarches et les Prophètes anciens et qu’en elle s’accomplirent et se renouvelèrent leurs clameurs, leurs oracles et leurs promesses. Elle est nouvelle parce qu’elle vient sans la contagion du péché et elle descend de la grâce par un ordre nouveau qui lui est propre et qui est très éloigné de la loi commune du péché. Elle est nouvelle, parce qu’elle entre dans le monde triomphant du démon et de la première erreur, ce qui est la chose la plus nouvelle qui s’y soit vue depuis le commencement.
250. Et comme tout cela était nouveau sur la terre et ne pouvait venir d’elle, il dit qu’elle descendait du ciel. Et quoiqu’elle descendît d’Adam par l’ordre commun de la nature ; néanmoins elle ne vint pas par le chemin battu et ordinaire du péché, par où avaient passé tous ses prédécesseurs, enfants de ce premier délinquant. Pour cette seule Souveraine du ciel, il y eut un autre décret dans la prédestination divine ; il s’ouvrit un sentier nouveau, afin qu’elle vînt au monde avec son très saint Fils, sans être accompagnée dans l’ordre de la grâce par aucun autre des mortels, ni qu’aucun d’eux ne fût accompagné par elle et par Notre Seigneur Jésus-Christ. Et ainsi elle descendit neuve depuis le ciel de l’entendement et de la détermination de Dieu. Et pendant que les autres enfants d’Adam descendent de la terre, terrestres et souillés par elle, cette Reine de toutes les créatures vient du ciel, comme descendant seulement de Dieu par l’innocence et la grâce : car nous disons communément que quelqu’un vient de telle maison ou de tel endroit dont il descend, et qu’il descend d’où il a reçu l’être. Et l’être naturel de la Très Sainte Marie, qu’elle reçut par Adam, se distingue à peine en la regardant Mère du Verbe Éternel, et comme à côté du Père Éternel avec la grâce et la participation qu’elle reçut de sa divinité pour cette dignité. L’être principal étant en elle de cela, l’être naturel qu’elle a vient à être comme accessoire et moins principal : et ainsi l’Évangéliste regarde au principal qui descendit du ciel et non à l’accessoire, qui vient de la terre.
251. Et il poursuit en disant : Qu’elle venait préparée comme une épouse ornée, etc. Pour le jour des épousailles, on cherche parmi les mortels le plus grand ornement et la plus grande beauté dans les habits qui se puissent trouver pour parer l’épouse terrestre, lors même que les joyaux seraient d’emprunt, afin qu’il ne lui manque rien selon sa qualité et son état. Puis si nous confessons, comme il faut le confesser, que la très pure Marie fut l’Épouse de la très sainte Trinité de telle sorte qu’elle fut conjointement Mère de la personne du Fils et que pour ces dignités elle fut ornée et préparée par le Dieu tout-puissant lui-même, infini et riche sans mesure et sans fin, avec quelle préparation, quels ornements et quels joyaux il para son Épouse et sa Mère, afin qu’elle fût digne Épouse et digne Mère, aurait-il réservé quelques joyaux dans ses trésors ? Lui aurait-il refusé quelqu’une de ces grâces dont son puissant bras pouvait l’enrichir et l’orner ? L’aurait-il laissée laide, dépouillée et souillée en quelque endroit ou pour quelque instant ? Aurait-il été parcimonieux ou avare envers sa Mère et son Épouse, Celui qui répand prodigieusement les trésors de sa Divinité dans les âmes qui en sa comparaison sont moins que les servantes et les esclaves de sa maison ? Elles confessent toutes avec le Seigneur même que l’Élue et la Parfaite est Unique 256, que les autres doivent la reconnaître, la prêcher et la magnifier comme Immaculée et très heureuse entre les femmes, dans l’admiration de laquelle celles-ci se demandent avec louange et jubilation : Quelle est celle-ci qui s’élève comme l’aurore, belle comme la lune, élue comme le soleil et terrible comme des bataillons bien rangés 257 ? C’est la très sainte Marie, unique Épouse et Mère du Tout-Puissant, qui est descendue au monde ornée et préparée comme Épouse de la bienheureuse Trinité, pour son Époux et pour son Fils. Et cette venue et cette entrée se fit avec tant de dons de la Divinité que sa lumière la fit plus agréable que l’aurore, plus belle que la lune, plus choisie et plus singulière que le soleil et sans égale ; plus forte et plus puissante que toutes les armées du ciel et des saints. Elle descendit ornée et préparée pour Dieu, qui lui donna tout ce qu’il voulut et qui voulut lui donner tout ce qu’il put et qui put lui donner tout ce qui n’était pas être Dieu, mais le plus immédiat à sa Divinité et le plus éloigné du péché qu’il put y avoir en une pure créature. Cet ornement fut entier et parfait ; et il ne l’eut pas été si quelque chose lui eût manqué, et il lui eût manqué quelque chose si elle eût été un seul instant sans posséder l’innocence et la grâce. Et si l’ornement et les joyaux de la grâce étaient tombés sur un front difforme, d’une nature maculée par le péché, ou sur un vêtement souillé et vilain, ils n’auraient pas suffi pour la rendre si belle. Il se serait toujours trouvé quelque tache et l’on n’aurait jamais pu par aucun soin ni aucune diligence faire disparaître entièrement le sombre ou le signe de la tache. Tout cela eût été moins décent pour Marie, Mère et Épouse de Dieu, et l’étant pour elle, ce l’eût été aussi à plus forte raison pour lui : car il n’aurait point orné et préparé son Épouse et sa Mère avec un amour d’Époux et une sollicitude de Fils, si ayant dans sa maison de la toile plus riche et plus précieuse, il en avait cherché une autre toute tachée et vieillie pour vêtir sa Mère et son Épouse et se vêtir lui-même.
252. Il est temps désormais que l’entendement humain s’étende et se dilate dans l’honneur de notre grande Reine ; il est temps aussi que celui qui s’y opposait, fondé sur un autre sentiment se restreigne et cesse de la dépouiller et de lui ôter l’ornement de sa pureté immaculée dans l’instant de sa divine Conception. Je confesse avec la force de la vérité et de la lumière dans lesquelles je vois ces mystères ineffables, – je confesse une et plusieurs fois que tous les privilèges, toutes les grâces, toutes les prérogatives, toutes les faveurs et tous les dons de la très sainte Marie, y compris celui d’être Mère de Dieu, dépendent tous, selon qu’il m’a été donné d’entendre, et ont tous leur origine en ce qu’elle a été Immaculée et pleine de grâce dans sa Conception très pure (a), de manière que sans ce bienfait tous les autres eussent paru informes et défectueux, ou comme un édifice somptueux sans fondement solide et non proportionné. Tous se rapportent avec un certain ordre et un certain enchaînement à la pureté et à l’innocence de sa Conception ; et c’est pour cela qu’il sera indispensable de toucher ce mystère tant de fois pendant le cours de cette Histoire depuis les décrets divins et la formation de Marie et de son très saint Fils en tant qu’homme. Je ne m’étends point davantage sur ce sujet maintenant ; mais j’avertis tout le monde que la Reine du ciel eut tant d’estime pour l’ornement et la beauté que son Fils et son Époux lui donna dans sa Conception très pure, que son indignation sera selon cette correspondance contre ceux qui prétendront l’en dépouiller avec obstination et perfidie, en lui infligeant une pareille tache, dans le temps même où son très saint Fils daigna la manifester au monde aussi belle et aussi ornée pour sa gloire et l’espérance des mortels.
253. Et j’entendis une voix du trône qui disait : Regarde le tabernacle de Dieu avec les hommes, et il habitera avec eux et ils seront son peuple, etc. La voix du Très-Haut est grande, forte, suave et efficace pour mouvoir et attirer à soi toute la créature. Telle fut cette voix que saint Jean entendit sortir du trône de la Très Sainte Trinité. Elle lui ravit toute l’attention qui lui était demandée, lui disant d’être attentif, et de fixer son regard sur le tabernacle de Dieu, afin que moyennant l’attention et le recueillement, il connût parfaitement le mystère qui lui était montré, voyant le tabernacle de Dieu avec les hommes pour vivre avec eux et être leur Dieu et eux son peuple. Tout ce mystère se trouvait renfermé dans la vue de la très sainte Marie descendant du ciel dans la forme que j’ai dite, parce que ce divin tabernacle de Dieu étant dans le monde, il était conséquent que Dieu même fût aussi avec les hommes ; puisqu’il vivait et était dans son tabernacle sans le quitter. Et ce fut comme si l’Évangéliste eût dit : Le Roi a sa maison et sa cour dans le monde, il est clair que c’est pour aller y demeurer. Et Dieu devait habiter dans ce sien tabernacle de telle sorte qu’il en prit la forme humaine dans laquelle il devait être résident dans le monde, et habiter avec les hommes et être leur Dieu et eux son peuple, lequel peuple était comme l’héritage de son Père et aussi de sa Mère. Nous fûmes l’héritage du Père Éternel pour son très saint Fils, non-seulement parce qu’il créa toutes les choses en lui et par lui 258 et les lui donna pour héritage dans la génération éternelle, mais aussi parce que comme homme, il nous racheta dans notre propre nature et nous acquit comme son peuple et son héritage 259 paternel, et nous fit ses frères. Et pour la même raison de la nature humaine, nous avons été et nous sommes l’héritage, la légitime, de sa très sainte Mère, parce qu’elle lui donna la chair humaine avec laquelle il nous acquit pour lui. Et elle étant sa Mère, la Fille et l’Épouse de la bienheureuse Trinité, elle était maîtresse de toutes les créatures et par conséquent son Fils devait hériter de tout : et ce que les lois humaines concèdent étant posé dans la raison naturelle ne devait pas manquer dans les lois divines.
254. Cette voix sortit du trône royal par le moyen d’un ange qui disait, il me semble, avec une sainte émulation à l’Évangéliste : « Fais attention et regarde le tabernacle de Dieu avec les hommes et il vivra avec eux et eux seront son peuple ; il sera leur père et il prendra leur forme par le moyen de ce tabernacle de Marie que tu regardes descendre du ciel par sa Conception et sa formation. » Mais nous pouvons leur répondre avec un air joyeux à ces courtisans du ciel : – qu’il est très bien avec nous ce tabernacle de Dieu, puisqu’il est nôtre, et par lui Dieu le sera aussi. Dans ce tabernacle il recevra la vie et le sang qu’il offrira pour nous, nous acquérant ainsi et nous faisant son peuple ; il vivra avec nous comme dans sa maison et sa demeure, puisque nous le recevrons sacrementé et il fera de nous son tabernacle 260. Qu’ils se contentent, ces princes, ces divins esprits, d’être nos frères, plus grands et moins nécessiteux que nous, les hommes. Nous sommes les faibles et les petits qui avons besoin des caresses et des faveurs de notre Père et notre Frère. Qu’il vienne dans le tabernacle de sa Mère et la nôtre : qu’il prenne la forme de chair humaine de ses entrailles virginales : que la Divinité se couvre et vive avec nous et en nous. Ayons-le si proche qu’il soit notre Dieu, et nous, son peuple et sa demeure. Que les esprits angéliques en soient dans l’étonnement et que, ravis de tant de merveilles, ils le bénissent : et jouissons-en, nous les mortels, en les accompagnant dans leurs bénédictions et leurs louanges d’admiration et d’amour. Le texte poursuit :
255. Et Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et il n’y aura plus de mort, ni de pleurs, ni de cris, et la douleur ne restera pas, etc. Par le fruit de la Rédemption des hommes dont il nous est donné des gages certains dans la Conception de la très sainte Marie, toutes les larmes que le péché tira des yeux des mortels seront essuyées ; puisqu’il n’y aura ni mort, ni douleur, ni pleurs pour ceux qui profiteront des miséricordes du Très-Haut, du sang et des mérites de son Fils, de ses mérites et de ses sacrements, des trésors de sa sainte Église et de l’intercession de sa très sainte Mère pour eux afin qu’elle les leur obtienne ; parce que la mort du péché et tout l’ancien état qui en avait résulté a désormais cessé d’être et est passé. Les véritables pleurs s’en sont allés dans l’abîme avec les enfants de perdition où il n’y a point de remède. La douleur des afflictions n’est point un pleur, ni une douleur véritable, mais apparente et qui peut être compatible avec la véritable et souveraine allégresse 261 ; et reçue avec égalité d’âme, elle est d’une valeur inestimable, puisque le Fils de Dieu l’a choisie comme gage d’amour, pour lui-même, pour sa Mère et pour ses frères.
256. Il n’y aura point non plus de clameurs ni de voix querelleuses ; parce que les justes et les sages doivent apprendre à se taire à l’exemple de leur Maître et de leur très humble Maîtresse comme la simple brebis quand elle est portée comme victime au sacrifice 262. Et les amis de Dieu doivent renoncer au droit que la faible nature a de chercher quelque soulagement en se plaignant et en jetant des cris, à la vue de sa Majesté leur Chef et leur Exemplaire s’abaissant jusqu’à la mort ignominieuse de la croix 263 pour réparer les dommages de notre impatience et de notre peu de support. Comment peut-on jamais permettre à notre nature de s’altérer et de jeter des cris dans les afflictions ? Comment peut-on permettre qu’elle ait des mouvements désordonnés et contraires à la charité, quand Jésus-Christ est venu pour établir la loi de l’amour fraternel ? Et l’Évangéliste revient à dire qu’il n’y aura plus de douleur, parce que s’il devait rester quelque douleur dans les hommes, ce serait celle de la mauvaise conscience, et pour cette souffrance, l’Incarnation du Verbe dans les entrailles de la très sainte Marie a été un si doux remède que désormais cette douleur est savoureuse, elle cause de l’allégresse et elle ne mérite pas le nom de douleur, puisqu’elle contient en soi la joie souveraine et véritable, et en l’introduisant dans le monde, les choses premières qui étaient les douleurs et les rigueurs inefficaces de la loi ancienne disparurent ; parce que tout se tempéra et s’acheva avec l’abondance de la loi de l’Évangile pour donner la grâce. Et pour cela il ajoute : Voici que je fais toute chose nouvelle. Cette voix sortit de Celui qui était assis sur le trône ; parce qu’il se déclarait lui-même l’Auteur de tous les mystères de la nouvelle loi de l’Évangile. Et cette nouveauté commençant par une chose si étrange et si inouïe des créatures, comme il fut d’incarner le Fils unique du Père et de lui donner une Mère Vierge très pure, il fallait que si tout était nouveau, il n’y eût point en sa très sainte Mère aucune chose vieille et ancienne, et il est clair que le péché originel était presque aussi ancien que la nature, et si la Mère du Verbe l’avait eu, il n’aurait pas fait toutes choses nouvelles.
257. Et il me dit : Écris, car ces paroles sont très fidèles et très véritables. Et il me dit : c’est déjà fait, etc. Selon notre manière de parler, Dieu ressent beaucoup l’oubli des grandes œuvres d’amour qu’il a opérées pour nous dans son Incarnation et la Rédemption des hommes ; et comme mémorial de tant de bienfaits et réparation de notre ingratitude, il commande qu’elles soient écrites. De même les mortels doivent écrire ceci dans leur cœur et craindre l’offense qu’ils commettent contre Dieu par un oubli si grossier et si exécrable. Et bien qu’il soit vrai que les catholiques ont la foi et la croyance de ces mystères, néanmoins ils vivent comme s’ils ne les croyaient pas, et ils semblent les nier tacitement par le peu d’appréciation qu’ils en témoignent en les oubliant ou en manquant d’en rendre grâces. Et afin qu’ils aient un accusateur de leur horrible ingratitude, le Seigneur dit que ces paroles sont très fidèles et très véritables. Et ces paroles étant vraiment telles, on voit la torpeur et la surdité des hommes de ne point se montrer pour avertis de ces vérités, lesquelles, étant très fidèles, elles seraient aussi très efficaces pour mouvoir le cœur humain et en vaincre la rébellion, s’ils les fixaient dans leur mémoire, s’ils les pesaient et les repassaient, comme véritables et très fidèles, certaines et infaillibles et opérées par Dieu pour chacun de nous.
258. Mais comme les dons de Dieu ne sont point sujets à repentance 264, parce qu’il ne rétracte pas le bien qu’il fait, quoiqu’il soit désobligé des hommes, il dit que c’est déjà fait : comme s’il nous disait que bien que nous l’ayons irrité par notre ingratitude, il ne veut point rétrograder dans son amour ; au contraire, ayant envoyé la très sainte Marie au monde exempte du péché originel, il donne déjà pour fait tout ce qui appartient au mystère de l’Incarnation, puisque la très pure Marie étant sur la terre, il ne semble pas que le Verbe Éternel puisse rester dans le seul ciel, sans descendre pour prendre chair humaine dans ses entrailles. Et il l’assure davantage en disant : Je suis l’Alpha et l’Omega, la première et la dernière lettre, comme le principe et la fin qui renferment la perfection de toutes les œuvres ; parce que si je leur donne principe, c’est pour les porter jusqu’à la perfection de leur dernière fin. Et c’est ce que je ferai par le moyen de cette œuvre du Christ et de Marie, car par elle j’ai commencé et j’achèverai toutes les œuvres de la grâce et par l’homme je porterai et je dirigerai toutes les créatures vers moi, comme vers leur dernière fin et le centre où elles se reposent.
259. À celui qui a soif je donnerai gracieusement de la fontaine de la vie, et celui qui vaincra possédera ces choses, etc. Qui a jamais prévenu Dieu pour lui donner conseil ou quelque don pour l’obliger au retour 265 ? L’Apôtre dit cela afin que l’on comprenne que tout ce que Dieu fait et a fait envers les hommes, il l’a fait par grâce et sans avoir d’obligation à personne. La source des fontaines n’a jamais dû son courant à ceux qui vont y boire : elle se donne gratuitement et par grâce à tous ceux qui l’approchent, et ce n’est pas la faute de la fontaine si tous n’ont point de part à sa source, mais c’est la faute de celui qui ne s’approche pas pour boire, puisqu’elle invite par son abondance et son allégresse. Et même si on ne s’approche point et si on ne la cherche point, elle sort elle-même et elle court sans s’arrêter pour chercher quelqu’un qui la reçoive. Si gracieusement et si spontanément elle s’offre à tous 266. Ô tiédeur répréhensible des mortels ! Ingratitude abominable ! Si le véritable Seigneur Dieu ne nous doit rien, s’il nous a tout donné et nous donne tout par grâce, et parmi toutes ces grâces la plus grande est de s’être fait homme et d’être mort pour nous, nous donnant tout lui-même, le torrent de la Divinité 267 courant jusqu’à rencontrer notre nature pour s’unir avec elle et aussi avec nous, comment est-il possible que nous qui sommes si désireux d’honneur, de plaisirs et de gloire nous ne nous approchions point pour boire le tout dans cette fontaine 268 qui nous est offerte par grâce ? Mais je vois la cause : c’est que nous ne sommes pas désireux de la gloire, de l’honneur et du repos véritables, nous soupirons vers ce qui est trompeur et apparent, et nous ne profitons point des fontaines de la grâce 269 que notre Bien-Aimé Seigneur Jésus-Christ nous a ouvertes par ses mérites et sa mort. Mais à celui qui aura soif de la Divinité et de la grâce, le Seigneur dit qu’il donnera gratuitement de la fontaine de la vie. Oh ! quelle grande douleur ! quelle compassion que la fontaine de la vie s’étant découverte, il y en a si peu qui en soient altérés et il y en a tant qui courent aux eaux de la mort 270 ! Mais celui qui vaincra en lui-même le démon, le monde et sa chair, celui-là possédera ces choses. Et il dit qu’il les aura ; parce que les eaux de la grâce étant données, on pourrait penser qu’elles seraient refusées ou révoquées en certain temps : mais pour nous en rassurer, il dit qu’elles seront données en possession pleine et illimitée.
260. Au contraire, elles lui sont promises par une autre assurance nouvelle et plus grande, le Seigneur lui disant : Je serai son Dieu et il sera mon Fils ; étant notre Dieu et nous ayant faits ses enfants, il est conséquent que nous serons héritiers de ses biens 271, et étant héritiers, quoique tout l’héritage soit de grâce, il nous est assuré comme le sont aux enfants les biens de leurs parents. Et puisqu’il est notre Père et notre Dieu tout ensemble, infini en attributs et en perfections, qui pourra dire quels sont les biens qu’il nous offre en nous faisant ses enfants ? Ici sont renfermés l’amour paternel, la conservation, la vocation, la vivification et la justification, les moyens pour l’obtenir et enfin la glorification et l’état de la félicité que les yeux n’ont point vu, que les oreilles n’ont point entendu et que le cœur humain ne peut concevoir 272. Tout cela est pour ceux qui vaincront et qui seront des enfants courageux et fidèles.
261. Mais les timides, les incrédules, les exécrables, les homicides et les fornicateurs, les sorciers, les idolâtres et tous les menteurs, etc. D’innombrables enfants de perdition se sont inscrits sur ce formidable catalogue, car infini 273 est le nombre des insensés qui ont fait choix de la mort comme des aveugles et qui se sont fermé le chemin de la vie. Non point que ceci soit caché à ceux qui ont des yeux, mais parce qu’ils les ferment à la lumière, qu’ils se sont laissé et qu’ils se laissent fasciner par les artifices de Satan, qui offre selon les inclinations et les volontés diverses des hommes le venin dissimulé des vices dans divers breuvages qu’ils désirent. Les timides sont ceux qui veulent et qui ne veulent pas, qui n’ont point goûté la manne de la vertu qu’ils croient insipide, et qui ne sont point entrés dans le chemin de la vie éternelle qu’ils regardent comme une entreprise terrible ; et trompés par cette crainte, ils se laissent vaincre plutôt par la lâcheté que par la fatigue, tandis que le joug du Seigneur est si doux et son fardeau si léger 274. Les incrédules, qui n’admettent point les vérités révélées et qui ne les croient point, comme les hérétiques, les païens et les infidèles ; ou s’ils les croient comme catholiques, il semble qu’ils les écoutent de loin et qu’ils les croient pour les autres et non pour eux-mêmes ; et ainsi ils ont la foi morte 275 et ils opèrent comme des incrédules.
262. Les exécrables, qui suivent quelque vice sans retenue et sans frein, qui se glorifient au contraire de la méchanceté et qui ne font aucun cas de la commettre, se rendent méprisables, exécrables et maudits de Dieu, et arrivant à un état de révolte qui les rend presque incapables de faire le bien ; ils s’éloignent du chemin de la vie éternelle comme s’ils n’avaient pas été créés pour elle, ils se séparent et s’aliènent Dieu, ses bienfaits, ses bénédictions et ils deviennent abominables au Seigneur et à ses saints. Les homicides, qui, sans crainte ni respect de la justice divine, usurpent à Dieu le droit de souverain Seigneur pour gouverner l’univers et pour venger et châtier les injures : et ainsi ils méritent d’être mesurés et jugés eux-mêmes selon la même mesure dont ils ont voulu 276 mesurer et juger les autres. Les fornicateurs, qui rejettent l’amitié de Dieu et méprisent les délices éternelles, lesquelles, en rassasiant, sont toujours plus désirées et, en satisfaisant, ne s’achèvent jamais, pour un plaisir court, immonde et abhorré à peine accompli, sans que l’appétit désordonné soit jamais rassasié. Les sorciers, qui ont cru et espéré dans les fausses promesses du dragon dissimulé sous des apparences d’ami, demeurant ainsi trompés et pervertis pour en tromper et en pervertir d’autres (b). Les idolâtres, qui, allant à la recherche de la Divinité, ne la trouvèrent pas, quoiqu’elle soit si proche 277 de tous ; et ils l’attribuèrent à des choses qui ne pouvaient pas l’avoir ; car ils l’attribuaient même aux choses qu’ils fabriquaient : c’étaient des ombres inanimées de la vérité, des citernes desséchées, incapables de contenir la grandeur de l’être de Dieu véritable 278. Les menteurs, qui s’opposent à la souveraine vérité qui est Dieu et qui se privent de sa rectitude et de sa vertu en s’abandonnant à l’extrême contraire, se fiant plus aux feintes trompeuses qu’à l’Auteur même de la vérité et de tout bien.
263. L’Évangéliste dit avoir entendu au sujet de tous ceux-là que leur part serait dans un étang de feu ardent avec du soufre, qui est la seconde mort. Dieu ayant justifié sa cause par la grandeur de ses bienfaits et de ses miséricordes sans nombre, descendant du ciel pour vivre et mourir parmi les hommes et les rachetant par sa propre vie et son sang, laissant tant de fontaines de grâces qui nous sont données gratuitement dans la sainte Église, et par-dessus tout la Mère de la grâce même et de la source de la vie, la très sainte Vierge par le moyen de laquelle nous pouvons l’obtenir ; si les mortels n’ont pas voulu profiter de tous ces bienfaits et de tous ces trésors, et s’ils ont renoncé à l’héritage de la vie, pour courir après l’héritage de la mort par un plaisir momentané, il est naturel qu’ils recueillent ce qu’ils ont semé, et que leur part et leur héritage soit le feu éternel dans ce formidable abîme de soufre, où il n’y a point de rédemption ni d’espérance de vie, pour avoir encouru la seconde mort du châtiment. Et quoique cette mort soit infinie par sa durée, néanmoins la première mort du péché que les réprouvés prirent volontairement pour eux-mêmes, de leurs propres mains, est plus horrible et plus abominable, parce que cette mort fut celle de la grâce causée par le péché qui s’oppose à la sainteté infinie de Dieu en l’offensant quand il devait être adoré et révéré, et la mort de la peine est le juste châtiment de celui qui mérite d’être condamné, et l’attribut de la très droite justice la lui applique. Par elle Dieu est exalté et magnifié, de même que par le péché il fut méprisé et offensé. Qu’il soit craint et honoré pendant tous les siècles. Amen.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. Dans l’ordre d’intention, l’Immaculée Conception de Marie fut plutôt dépendante de sa divine Maternité ; car Dieu la préserva du péché originel parce qu’il avait l’intention de la faire sa Mère ; mais dans l’ordre d’exécution, la divine Maternité de Marie dépend réellement de son Immaculée Conception, comme le dit ici la Vénérable ; parce que si l’Auguste Vierge n’avait pas été si sainte et Immaculée, Dieu ne se serait point incarné en elle.
b. Tels sont les spirites modernes.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE XVIII
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Qui poursuit le mystère de la Conception de Marie par la
seconde partie du chapitre XXI de l’Apocalypse.
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SOMMAIRE. – 264. Citation d’une partie de ce chapitre. – 265. Dieu vengea les injures faites à Marie. – 266. Épouse et Mère du Christ. – 267. Illuminée de la clarté de Dieu. – 268. Les Vertus et la pureté de Marie. – 269. Contrat de la très sainte Trinité. – 270. Décret qu’elle serait Reine – 271. Promesse que rien ne lui serait refusé. – 272. Portes de sa miséricorde. – 273. Tous les élus y passent. – 274. Ceux qui ne s’en prévalent point sont inexcusables. – 275. Sainteté de sa Conception. – 276. Mesure de sa grandeur. – 277. Proportion de Marie avec son Fils. – 278. Sa mesure. – 279. Comparée avec les prédestinés. – 280. Sécurité de ses dons et de ses grâces. – 281. Son humilité.
264. Poursuivant le texte littéral du chapitre XXI de l’Apocalypse, il s’exprime de cette manière : « Et je vis un des sept anges qui avaient sept coupes pleines des sept dernières plaies et il me parla disant : Viens et je te montrerai l’Épouse femme de l’Agneau. Et il m’éleva en esprit, sur une grande et haute montagne, et il me montra la cité sainte de Jérusalem qui descendait du ciel d’auprès de Dieu, et elle avait la clarté de Dieu : et sa lumière était semblable à une pierre précieuse, comme une pierre de jaspe et comme du cristal. Et elle avait une grande et haute muraille avec douze portes, et douze anges à ces portes, et des noms écrits qui sont les douze tribus des enfants d’Israël. Trois portes à l’Orient, trois portes à l’Aquilon, trois portes au Midi et trois portes à l’Occident. Et la muraille de la cité avait douze fondements, et en eux douze noms des douze apôtres de l’Agneau. Et celui qui me parlait avait une mesure de canne d’or pour mesurer la cité, ses portes et sa muraille. Et la cité était faite en carré, et sa longueur était égale à sa largeur : et il mesura la cité avec la canne par douze mille stades, et la longueur, la largeur et la hauteur sont égales. Et il mesura sa muraille, cent quarante-quatre coudées avec mesure de l’homme qui est celle de l’Ange. Et la fabrique de sa muraille était de pierre de jaspe ; mais la cité était d’un or très pur, semblable à un verre pur. »
265. Ces anges dont parle l’Évangéliste en cet endroit sont les sept qui assistent spécialement au trône de Dieu et à qui sa Majesté a donné charge et puissance de châtier certains péchés des hommes. Et cette vengeance de la colère du Tout-Puissant arrivera dans les derniers siècles du monde : mais le châtiment sera si nouveau que ni avant ni après dans cette vie mortelle il n’y en aura eu de plus grand. Mais il ne convient pas que je m’étende sur cela, parce que ces mystères sont très cachés et je n’ai point la lumière de tous ; je passe à ce que je prétends. Celui qui parla à saint Jean est l’ange par qui Dieu vengera spécialement d’un châtiment formidable les injures faites à sa Mère, car pour l’avoir méprisée avec une audace insensée, ils ont irrité l’indignation de sa toute-puissance. Et parce que toute la Très Sainte Trinité s’est employée à honorer et à élever cette Reine du ciel au-dessus de toute créature humaine et angélique et l’a placée dans le monde comme le miroir spécial de la Divinité et la Médiatrice unique des mortels, Dieu prendra singulièrement pour son compte de venger les hérésies, les erreurs, les blasphèmes et toute irrévérence commise contre elle ; il se vengera aussi de n’avoir pas été glorifié, connu et adoré dans ce tabernacle qui est sien et de ce qu’on n’aura pas profité de tant de miséricordes incomparables. Ces châtiments sont prophétisés dans la sainte Église. Et quoique l’énigme de l’Apocalypse couvre cette rigueur par son obscurité ; néanmoins malheur aux infortunés qui l’encourent, et malheur à moi qui ai offensé un Dieu si fort et si puissant dans le châtiment ! Je demeure absorbée dans la connaissance de tant de calamités qui nous menacent.
266. L’ange parla à l’Évangéliste et lui dit : Viens et je te montrerai l’Épouse femme de l’Agneau, etc. Il déclare ici que la sainte Cité qu’il lui avait montrée est la femme Épouse de l’Agneau, entendant sous cette métaphore, comme je l’ai dit, la très sainte Marie que saint Jean regardait comme Mère ou femme et Épouse de l’Agneau, qui est Jésus-Christ ; car la Reine eut ces deux offices et elle les exerça divinement. Elle fut l’Épouse unique et singulière de la Divinité, à cause de la foi et de l’amour incomparables avec lesquels se firent ses épousailles : et elle fut la femme et la Mère du même Seigneur incarné, en ce qu’elle lui donna sa propre substance et sa chair mortelle, et elle l’a nourri et élevé dans la forme humaine qu’elle lui avait donnée. L’Évangéliste fut élevé sur une haute montagne de sainteté et de lumière pour voir et entendre des mystères si sublimes ; parce que sans sortir de lui-même et s’élever au-dessus de la faiblesse humaine, il ne lui eût pas été possible de les comprendre, comme pour cette raison nous ne les comprenons pas, nous créatures terrestres et basses. Et ainsi élevé il dit : Il me montra la Cité sainte de Jérusalem qui descendait du ciel, comme fabriquée et formée, non sur la terre où elle était comme pèlerine et étrangère, mais dans le ciel où elle ne put être formée par des matériaux de terre simple et commune ; car si sa nature fut prise de la terre, ce fut pour l’élever au ciel, afin de fabriquer cette Cité Mystique à la manière céleste et angélique, et divine même et semblable à la Divinité.
267. Et pour cela il ajoute : qu’elle avait la clarté de Dieu ; parce que l’âme de la très sainte Marie eut une participation de la Divinité, de ses attributs et de ses perfections ; car s’il lui avait été possible de la voir dans son être propre, elle aurait paru illuminée de la clarté éternelle de Dieu même. De grandes et glorieuses choses sont dites dans l’Église catholique de cette Cité de Dieu et de la clarté qu’elle reçut du même Seigneur ; mais tout cela est peu, et tous les termes humains sont faibles, et l’entendement créé vaincu vient à dire que la très sainte Marie eut un je ne sais quoi de la Divinité ; confessant la vérité en substance et l’ignorance pour expliquer ce que l’on confesse être vrai. Si elle fut formée dans le ciel, le seul artiste qui la fabriqua peut connaître sa grandeur et la parenté et l’affinité qu’il contracta avec elle, assimilant les perfections qu’il lui donna avec les mêmes que renferme sa Divinité et sa grandeur infinie.
268. Sa lumière était semblable à une pierre précieuse, comme une pierre de jaspe, comme du cristal, etc. Il n’est pas si difficile de comprendre qu’elle s’assimile au cristal et au jaspe tout à la fois, quoiqu’ils soient si dissemblables, que d’admettre qu’elle est semblable à Dieu ; néanmoins par cette similitude-là nous comprendrons quelque chose de celle-ci. Le jaspe renferme plusieurs couleurs, des aspects et des variétés d’ombres dont il est composé, et le cristal est très clair, très pur et très uniforme, et le tout ensemble forme une étrange et belle variété. La très pure Marie eut dans sa formation la variété des vertus et des perfections ; et il semble que Dieu en avait fabriqué, composé et tissé sa belle âme ; et toutes ces grâces et ces perfections, et tout elle-même étaient semblables à un cristal très pur, et sans tache, ni atome de faute. Au contraire, dans sa clarté et sa pureté, elle émet des rayons et elle fait paraître des aspects de la Divinité, comme le cristal qui, frappé du soleil, paraît l’avoir au-dessus de lui-même ; il représente le même soleil en le réfléchissant. Mais ce jaspe cristallin a des ombres, parce qu’elle est fille d’Adam et pure créature, et tout ce qu’elle a de splendeur de la Divinité est participé ; et quoiqu’elle paraisse un soleil divin, elle ne l’est point par nature, mais par participation et communication de sa grâce : elle est une créature formée et faite par la main du même Dieu, mais pour être sa Mère.
269. Et la cité avait une grande et haute muraille avec douze portes. Les mystères renfermés dans cette muraille et ces portes de cette mystique Cité, la Très Sainte Marie, sont si cachés et si grands que moi, femme ignorante et tardive, je pourrai difficilement réduire en paroles ce qui m’en sera concédé. J’avertis que dans le premier instant de la Conception de la très sainte Marie, lorsque la Divinité lui fut montrée en cette vision et cette manière que j’ai dites alors à notre manière de concevoir, toute la bienheureuse Trinité fit un accord et comme un contrat avec cette Souveraine, comme en renouvelant les antiques décrets de la créer et de l’exalter, sans le lui donner à connaître ; mais ce fut comme si les trois Personnes eussent conféré entre elles et eussent parlé de cette manière :
270. « À la dignité que nous donnons à cette pure créature d’être notre Épouse et la Mère du Verbe qui doit naître d’elle, est conséquente et due l’excellence d’être constituée Reine et Maîtresse de l’univers. Et outre les dons et les richesses de notre Divinité dont nous la dotons et que nous lui concédons pour elle-même, il est convenable de lui donner autorité, afin qu’elle ait main dans les trésors de nos miséricordes infinies, qu’elle puisse distribuer et communiquer à sa volonté les grâces et les faveurs nécessaires aux mortels, spécialement à ceux qui l’invoqueront comme ses enfants et ses dévots, et qu’elle puisse enrichir les pauvres, remédier aux pécheurs, exalter les justes et être la protectrice universelle de tous. Et afin que toutes les créatures la reconnaissent pour leur Reine, leur Supérieure et la Dépositaire de nos biens infinis avec la faculté de pouvoir les dispenser, nous lui livrons les clés de notre cœur et de notre volonté, et elle sera en tout l’exécutrice de notre bon vouloir envers les créatures. Outre cela, nous lui donnons le domaine et la puissance sur le dragon notre ennemi et sur tous les démons ses alliés, afin qu’ils craignent sa présence et son nom et qu’ainsi ses erreurs soient chassées et dissipées : afin que tous les mortels qui accourront à cette Cité de refuge le trouvent certain et assuré, sans crainte des démons et de ses faussetés »
271. Sans manifester à l’âme de la très sainte Marie tout ce que ce décret ou cette promesse contenait, le Seigneur lui commanda dans ce premier instant de prier avec affection, d’intercéder pour toutes les âmes, leur procurant et leur sollicitant le salut éternel, particulièrement à celles qui se seraient recommandées à elles pendant le cours de leur vie. Pour cela la très sainte Trinité lui promettait qu’à son très droit tribunal il ne lui serait jamais rien refusé. Il lui ordonna aussi de commander au démon et de le détourner de toutes les âmes avec empire et vertu, avec promesse que le bras du Tout-Puissant l’assisterait en tout. De plus il lui fut donné à entendre pourquoi cette faveur et les autres qu’elle renfermait lui étaient accordées, qui était pour qu’elle fût Mère du Verbe. Mais lorsque saint Jean dit que la sainte Cité avait une grande et haute muraille, il entendit ce bienfait que Dieu fit à sa Mère en la constituant un refuge sacré, une protection et une défense pour tous les hommes, afin qu’ils trouvassent tout en elle comme dans une forte cité et une muraille assurée contre les ennemis et que tous les enfants d’Adam accourussent à elle comme à une Reine puissante, à la Maîtresse de toutes les créatures et à la Dispensatrice de tous les trésors du ciel et de la grâce ; parce que la puissance de la très pure Marie pour vaincre le démon et élever les âmes à la grâce est si haute qu’elle est immédiate à Dieu même. Cette Cité est si bien garnie et défendue comme cela ; elle est si assurée pour elle-même et pour ceux qui cherchent en elle leur protection, que toutes les forces créées hors de Dieu ne pourraient conquérir ni escalader ses murs.
272. Ce mur de la sainte Cité avait douze portes, parce que son entrée est franche et ouverte à toutes les nations et les générations en général, sans en exclure aucune ; au contraire, elles sont toutes conviées, afin que personne, à moins qu’on le veuille, ne soit privé de la grâce et des dons du Très-Haut et de sa gloire par le moyen de la Reine et de la Mère de miséricorde. Et aux douze portes il y avait douze anges. Ces saints princes sont les douze que j’ai déjà cités d’entre les mille qui furent désignés pour la garde de la Mère du Verbe fait chair. Outre que ces douze anges devaient assister leur Reine, leur ministère spécial fut de la servir à inspirer et à défendre les âmes qui l’invoqueraient avec dévotion pour obtenir sa protection et qui se signaleraient dans sa dévotion, sa vénération et son amour. L’Évangéliste dit pour cette raison qu’il les vit aux portes de cette Cité, parce qu’ils sont comme ministres et agents pour aider, exciter et diriger les mortels, afin qu’ils entrent par les portes de la miséricorde de la très sainte Marie à la félicité éternelle. Et souvent elle les envoie avec des inspirations et des faveurs vers ses dévots et ceux qui l’invoquent, afin de les tirer des dangers et des afflictions de l’âme et du corps.
273. Et il dit qu’ils avaient des noms écrits, qui sont ceux des douze tribus des enfants d’Israël, parce que les saints anges reçoivent leurs noms du ministère et de l’office pour lequel ils sont envoyés dans le monde. Et comme ces douze princes assistent singulièrement la Reine du ciel afin d’être à sa disposition pour aider au salut des mortels, et que tous les élus sont compris dans les douze tribus d’Israël qui forment le peuple saint de Dieu, pour cette raison l’Évangéliste dit que les anges avaient les noms des douze tribus écrits, étant chacun pour leur tribu destinés et commis à la protection et au soin de toutes les nations et les générations qui doivent entrer par ces portes de l’intercession de la Très Sainte Marie à la Jérusalem céleste.
274. Dans l’admiration de cette grandeur de la très pure Marie et de ce qu’elle fut la Médiatrice et la porte de tous les prédestinés, il m’a été donné d’entendre que ce bienfait correspondait à l’office de Mère de Jésus-Christ et à celui qu’elle avait rempli comme Mère auprès de son très saint Fils et des hommes ; parce qu’elle lui avait donné de sa substance et de son sang très purs un corps humain dans lequel il souffrit pour racheter les hommes. Et ainsi elle souffrit et mourut en quelque manière dans le Christ par cette unité de chair et de sang ; en outre elle l’accompagna en sa passion et sa mort, et elle les souffrit volontairement de la manière possible avec une humilité et une force divines. Et comme elle coopéra à la passion et comme elle donna son Fils en qui elle souffrit pour le genre humain, ainsi le Seigneur la rendit participante de la dignité de Rédemptrice et il lui donna les mérites et les fruits de la Rédemption, afin qu’elle les distribuât et qu’ils fussent communiqués aux rachetés par sa seule main. Admirable Trésorière de Dieu ! oh ! combien les richesses de la droite du Tout-Puissant sont assurées en tes libérales et divines mains ! Puis cette Cité avait trois portes à l’Orient, trois portes à l’Aquilon, trois portes au Midi et trois portes à l’Occident, etc. Trois portes qui correspondent à chaque partie du monde, et dans le nombre de trois cette Cité nous dispense par ces portes, à nous tous, les mortels, tout ce que le Ciel et la terre possèdent et Celui-là même qui donna l’être à tout ce qui est créé qui sont les trois personnes divines, le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Chacune de ces trois personnes veut et dispose que Marie ait des portes afin de solliciter les trésors divins en faveur des mortels et quoiqu’il soit un seul Dieu en trois personnes, chacune de par soi lui donne entrée et porte franche, afin que cette Reine très pure entre au tribunal de l’Être immuable de la très sainte Trinité et qu’elle tire des dons et des grâces qu’elle donne à ses dévots dans tout le monde, à ceux qui la cherchent et qui lui sont agréables ; afin que nul des mortels n’ait aucune excuse en aucun lieu de l’univers, ni en aucune de ses nations et de ses générations ; puisque de toutes parts il y a non seulement une porte, mais trois portes. Et si l’entrée d’une cité est si facile par une porte franche et ouverte, si quelqu’un manquait d’y entrer ce ne serait pas faute de porte, mais parce que lui-même s’est arrêté et n’a pas voulu se mettre en sécurité. Que diront ici les infidèles, les hérétiques et les païens ? Que diront les mauvais chrétiens et les pécheurs obstinés, si les trésors du ciel sont entre les mains de notre Mère et notre Maîtresse, si elle nous appelle et nous sollicite par le moyen de ses anges ; si elle est une porte et plusieurs portes du ciel, comment y en a-t-il tant qui restent dehors et si peu qui entrent ?
275. Et la muraille de cette Cité avait douze fondements et en eux : les noms des douze Apôtres de l’Agneau. Les fondements immuables et forts sur lesquels Dieu édifia cette sainte Cité de Marie sa Mère, furent toutes les vertus avec un gouvernement spécial de l’Esprit-Saint qui y correspondait. Mais il dit qu’il y en avait douze avec les noms des douze Apôtres ; soit parce qu’elle fut fondée en la plus grande sainteté des Apôtres qui sont les plus grands saints, selon ce que dit David que les fondements de la Cité de Dieu furent posés sur les saintes montagnes, soit parce que la sainteté et la sagesse de Marie furent comme l’appui des Apôtres et leur fermeté après la mort de Jésus-Christ et son Ascension au ciel. Et bien qu’elle eût toujours été leur Exemplaire, néanmoins elle fut alors seule le plus grand appui de l’Église primitive. Et parce qu’elle fut destinée pour ce ministère dès son Immaculée Conception avec les vertus et les grâces qui y correspondent, il dit pour cela qu’elle avait douze fondements.
276. Et celui qui me parlait avait une canne d’or pour mesure, et il mesura la ville avec cette canne par douze mille stades, etc. Dans ces mesures, l’Évangéliste renferme de grands mystères de la dignité, des grâces, des dons et des mérites de la Mère de Dieu. Et quoiqu’elle fût mesurée avec une grande mesure dans la dignité et les bienfaits que le Très-Haut déposa en elle, néanmoins ce qui était mesuré s’ajusta à la mesure dans le retour possible et il y eut égalité. La longueur fut aussi grande que sa largeur ; de tous les côtés elle fut proportionnée et égale sans qu’il se soit trouvé en Marie de manque, d’inégalité ou de disproportion. Et je ne m’arrête point à cela maintenant, m’en remettant à tout ce que je dirai dans le cours de sa vie. J’avertis seulement que cette mesure avec laquelle furent mesurés les mérites, la grâce et la dignité de la Très Sainte Marie fut l’Humanité de son Fils béni unie au Verbe divin.
277. Et l’Évangéliste l’appelle canne, à cause de la fragilité de notre nature de chair débile : et il l’appelle d’or à cause de la Divinité de la personne du Verbe. Ce fut avec cette dignité de Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, avec les dons de la nature unie à la personne divine et avec les mérites qu’elle opéra que sa très sainte Mère fut mesurée par le même Seigneur. Ce fut lui qui la mesura avec lui-même, et étant mesurée par lui elle parut égale et proportionnée dans la hauteur de sa dignité de Mère, dans la longueur de ses dons et de ses bienfaits, et dans la largeur de ses mérites ; elle fut égale en tout sans manque ni disproportion. Et quoiqu’elle ne put s’égaler absolument avec son Très Saint Fils d’une égalité que j’ai entendu dire que les docteurs appellent mathématique, parce que Notre Seigneur Jésus-Christ était vrai Homme et vrai Dieu et cette auguste Souveraine était une pure créature, et par là la mesure excédait infiniment ce qu’elle mesurait ; néanmoins la très pure Marie eut une certaine égalité de proportion avec son Très Saint Fils ; parce que de même qu’il ne lui manqua rien à lui de ce qui lui correspondait et de ce qu’il devait avoir comme vrai Fils de Dieu ; de même il ne lui manqua rien à elle et rien ne lui fit défaut en ce qui lui était dû et en ce qu’elle devait avoir comme véritable Mère de Dieu : de manière qu’elle, comme Mère de Dieu, et Jésus-Christ, comme Fils de Dieu, eurent une égale proportion de dignité, de grâce, de dons et de tous les mérites ; et Jésus-Christ n’eut aucune grâce créée qui ne fût avec proportion dans sa très pure Mère.
278. Et il dit qu’il mesura la Cité avec la canne par douze mille stades. Cette mesure de stades et le nombre de douze mille que la Mère de Dieu mesura dans sa conception renferme des mystères très sublimes. L’Évangéliste appela stades la mesure parfaite par laquelle fut mesurée la hauteur de sainteté des prédestinés, selon les dons de grâce et de gloire que Dieu a ordonné et disposé, dans son entendement et son décret éternel, de leur communiquer par le moyen de son Fils Incarné, les taxant et les déterminant par son équité et sa miséricorde infinies. Et par ces stades tous les élus furent mesurés par le même Seigneur ainsi que la hauteur de leurs vertus et de leurs mérites. Infortuné celui qui n’arrivera point à cette mesure et qui ne s’y ajustera point, lorsque le Seigneur le jugera ! Le nombre de douze mille comprend tout le reste des prédestinés et des élus réduits aux douze chefs de ces milliers, qui sont les douze Apôtres, princes de l’Église catholique, de même que dans le chapitre VII de l’Apocalypse ils étaient réduits aux douze tribus d’Israël, parce que tous les élus doivent se soumettre à la doctrine que les Apôtres de l’Agneau ont enseignée, comme je l’ai déjà dit sur ce chapitre.
279. Par tout cela on comprend la grandeur de cette Cité de Dieu, la très sainte Marie ; parce que si nous donnons cent vingt-cinq pas au moins à chaque stade matériel, une cité qui aurait douze mille stades paraîtrait immense. Puis la très sainte Marie, notre Souveraine, fut mesurée par la mesure et les stades au moyen desquels Dieu mesura tous les prédestinés ; et la mesure en hauteur, en longueur et en largeur de tous les prédestinés ensemble n’excéda en rien la mesure de la Vierge Immaculée, car elle qui était la Mère de Dieu et la Reine et la Maîtresse de tous les élus les égala tous ensemble et il put y avoir en elle seule plus qu’en tout le reste des créatures.
280. Et il mesura sa muraille cent quarante-quatre coudées avec la mesure de l’homme qui est celle de l’ange. Cette mesure de la muraille de la Cité de Dieu ne fut point dans la longueur, mais dans la hauteur des murailles qu’elle avait ; parce que si les stades du carré de la ville étaient de douze mille de largeur et la longueur égale de tous les côtés, il est nécessaire que la muraille fût un peu plus grande et davantage pour la superficie extérieure, pour renfermer au dedans de soi toute la Cité ; et la mesure de cent quarante-quatre coudées, de quelque dimension qu’elles fussent, était peu pour une ville aussi étendue ; tandis qu’elle était très proportionnée pour la hauteur de ses murailles, et une sûre défense pour ceux qui y vivaient. Cette hauteur dit la sécurité qu’eurent en la Très Sainte Marie tous les dons et toutes les grâces, tant de sainteté que de dignité, que le Très-Haut déposa en elle. Et pour le faire comprendre, il dit que la hauteur contenait cent quarante-quatre coudées qui est un nombre inégal et qui comprend trois murs, grand, moyen et petit, correspondant aux œuvres que fit la Reine du ciel en ce qui était plus grand, ou moyen, ou petit. Non qu’il y eût en elle aucune chose petite, mais parce que les matières dans lesquelles elle opérait étaient différentes et les œuvres aussi. Les unes étaient miraculeuses et surnaturelles, d’autres morales, des vertus, et de celles-ci les unes étaient intérieures et les autres extérieures ; et elle donna à toutes tant de plénitude et de perfection que pour les grandes elle ne laissa point les petites d’obligation, et pour celles-ci elle ne manqua point non plus aux supérieures ; mais elle les fit toutes dans un si suprême degré de sainteté et d’agrément du Seigneur, qu’elle fut à la mesure de son très saint Fils, tant dans les dons naturels que les surnaturels. Et telle fut la mesure de l’Homme-Dieu, qui fut l’Ange du grand Conseil supérieur à tous les hommes et à tous les anges que la Mère surpassa avec la due proportion comme le Fils. L’Évangéliste poursuit et dit :
281. Et sa muraille était construite de pierre de jaspe. Les murailles de la cité sont ce qui s’offre d’abord à la vue de celui qui la regarde : et la variété de ces aspects et des couleurs avec ses ombres que contient le jaspe, dont les murailles de cette cité de Dieu, la très sainte Marie étaient faites, disent l’humilité ineffable dont étaient accompagnées et dissimulées toutes les grâces et les excellences de cette grande Reine : car étant digne Mère de son Créateur, exempte de toute tache de péché et d’imperfection, elle se présentait à la vue des hommes comme tributaire et avec des ombres de la loi commune des autres enfants d’Adam ; s’assujettissant aux lois et aux pénalités de la vie commune comme je le dirai en leurs lieux. Mais cette muraille de jaspe qui découvrait ces ombres comme dans les autres femmes n’était que pour l’apparence et elle servait à la Cité d’une défense inexpugnable. Mais au dedans de la Cité il dit : Qu’elle était d’un or très pur, semblable à un verre très pur et très limpide, car la Très Sainte Marie ne reçut jamais aucune tache qui pût obscurcir sa pureté cristalline ni dans sa formation, ni ensuite dans sa vie très innocente. Et comme la tache ou le sombre qui tomberait dans un verre quand on le forme, quand ce ne serait pas plus gros qu’un atome, ne pourrait jamais plus en sortir de façon que la tache ne se vît plus ou qu’il ne fût plus possible de la reconnaître, car ce serait toujours un défaut dans la clarté du verre et dans sa pureté transparente ; de même si la très pure Marie avait contracté la tache ou le signe du péché originel dans sa conception, on connaîtrait toujours en elle ce défaut qui la défigurerait, et elle ne pourrait pas être d’un or très pur et très limpide. Elle ne serait pas d’or pur puisque sa sainteté et ses dons auraient eu ce legs du péché originel qui la ferait toujours réputer d’un caractère inférieur, pendant qu’au contraire cette Cité est tout or et cristal, parce qu’elle est très pure et semblable à la Divinité.
SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE XIX
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Qui contient la dernière partie du chapitre XXI de l’Apo‑
calypse dans la Conception de la très sainte Marie.
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SOMMAIRE. – 282. Fin du texte. – 283. Fondements des vertus de Marie. – 284. Sa force. – 285. Sa paix et sa tranquillité. – 286. Son nom. – 287. Son amabilité. – 288. Proportions de Marie avec Jésus-Christ. – 289. Son amour divin. – 290. Influences de l’Esprit-Saint qu’elle peut dispenser. – 291. Sa foi et son espérance. – 292. Sa virginité perpétuelle. – 293. La fermeté de l’espérance qu’elle eut. – 294. Ses désirs pour la Rédemption du genre humain. – 295. Sa vertu contre les démons. – 296. L’entrée dans la, vie éternelle devenue facile par Marie. – 297. Son cœur formé de sagesse et d’amour. – 298. Jésus-Christ, temple de Marie. – 299. Le Soleil de justice, seul Maître de Marie. – 300. La lumière de Marie. – 301. Devoirs des rois envers Marie. – 302. Toutes les afflictions du peuple chrétien seraient réparées par Marie. – 303. Dommage que le monde expérimente pour ne point recourir à Marie. – 304. Exhortation aux princes. – 305. Spécialement au royaume d’Espagne. – 306. Sollicitation de la définition du dogme de l’Immaculée Conception. – 307. Les portes de la miséricorde de Marie sont toujours ouvertes. – 308. Son âme et son corps furent toujours immaculés. – 309. Devenir descendante du ciel. – 310. Prière à Marie.
282. Le texte de la troisième et dernière partie du chapitre XXI de l’Apocalypse est comme suit : « Et les fondements de la muraille de la cité étaient ornés de toute sortes de pierres précieuses. Le premier fondement était de jaspe ; le second de saphir ; le troisième de calcédoine ; le quatrième d’émeraude ; le cinquième de sardonyx ; le sixième de sardoine ; le septième de chrysolithe ; le huitième de béryl ; le neuvième de topaze ; le dixième de chrysoprase ; le onzième d’hyacinthe ; le douzième d’améthyste ; et les portes sont douze perles, et chaque porte était d’une perle et la place de la cité était d’un or très pur comme un cristal très clair. Et je ne vis point de temple en elle ; parce que son temple est le Seigneur Dieu tout-puissant et l’Agneau. Et la cité n’a pas besoin de soleil ni de lune pour lui donner la lumière ; parce que la clarté de Dieu l’illumine et sa lampe est l’Agneau. Et les nations marcheront à sa lumière et les rois de la terre lui apporteront leur gloire et leur honneur. Et ses portes ne seront pas fermées pendant le jour, parce que là il n’y aura point de nuit. Rien de souillé n’y entrera, ni celui qui commet l’abomination et le mensonge, mais seulement ceux qui sont inscrits dans le livre de la vie de l’Agneau. » Jusqu’ici le texte littéral du chapitre XXI que j’explique.
283. Le Très-Haut ayant choisi cette sainte Cité de Marie pour son habitation la plus proportionnée et la plus agréable qu’il pouvait avoir en dehors de lui-même, ce n’était pas beaucoup que les fondations de la muraille de sa Cité fussent fabriquées et ornées de toutes sortes de pierres précieuses des trésors de sa Divinité et des mérites de son très saint Fils, afin que sa force et sa solidité qui sont les murs, sa beauté et sa hauteur de sainteté et de dons qui sont les pierres précieuses, et sa Conception qui est la fondation de la muraille fussent proportionnées avec une égale correspondance entre elles-mêmes et avec la fin très sublime pour laquelle il la fondait, qui était de vivre en elle par l’amour et par l’humanité qu’il reçut dans son sein virginal. L’Évangéliste dit tout cela comme il le connut dans la très sainte Marie, parce qu’il convenait à sa dignité, à sa sainteté et à la sécurité qu’il fallait pour que Dieu vînt vivre en elle comme dans une forteresse invincible, il convenait, dis-je, que les fondements de ses murailles, qui étaient les premiers principes de sa Conception immaculée, fussent fabriqués de toutes sortes de vertus dans un degré si éminent et si précieux qu’il ne se trouvât point de pierre plus riche pour la fondation de cette muraille.
284. Il est dit que le premier fondement ou la première pierre était de jaspe, dont la variété et la force disent la constance ou la force qui fut répandue en cette grande Dame, dans l’instant de sa Conception très sainte afin que pendant le cours de sa vie elle demeurât habituellement disposée à opérer toutes les vertus avec une magnificence et une constance invincibles. Et parce que ces vertus et ces habitudes signifiées par les pierres précieuses, qui furent accordées à la très sainte Marie et répandues en elle dans l’instant de sa Conception furent les privilèges singuliers que le Très-Haut lui accorda, marqués par chacune de ces douze pierres, je les manifesterai comme il me sera possible, afin que l’on entende le mystère que renferment les douze fondements de la Cité de Dieu. Dans cette habitude de force en général, il lui fut accordé une supériorité spéciale et comme un empire sur l’ancien serpent, afin qu’elle pût le soumettre, le vaincre et l’assujettir, qu’elle causât une espèce de terreur à tous les démons, qu’ils prissent la fuite à sa vue et qu’ils la craignissent de très loin, comme tremblant de s’approcher de sa présence. Ainsi, ils ne s’approchaient jamais de la très sainte Marie sans être affligés d’une peine très grande. La Providence divine fut si libérale envers son Altesse que non seulement il ne l’entra point dans les lois communes des enfants du premier père en la délivrant de la tache originelle et de la sujétion au démon que contractent ceux qui y sont compris, mais en l’éloignant de tous ces dommages, il lui accorda conjointement l’empire contre les démons que tous les hommes perdirent pour ne s’être pas conservés dans l’état d’innocence. Et outre cela, pour être Mère du Fils du Père Éternel qui descendit dans ses entrailles afin de détruire l’empire de méchanceté de ces ennemis, il fut accordé à la très illustre Souveraine une puissance royale participée de l’Être de Dieu, avec laquelle elle assujettissait les démons et elle les envoyait souvent dans les cavernes infernales, comme je le dirai plus loin.
285. Le second est de saphir. Cette pierre imite la couleur du ciel serein et clair et marque certains petits points ou atomes d’or resplendissants, ce qui signifie la sérénité et la tranquillité que le Très-Haut accorda aux dons et aux grâces de la Très Sainte Marie, afin qu’elle pût toujours jouir d’une paix sereine, comme un ciel immuable et sans nuage de trouble, laissant voir dans ce ciel serein certains aspects de divinité, dès l’instant de son Immaculée Conception ; tant à cause de la participation et de la similitude que ses vertus avaient avec les attributs divins, spécialement avec celui de l’immutabilité, que parce que plusieurs fois, le voile lui fut ôté pendant qu’elle était voyageuse et elle vit Dieu clairement, comme je le dirai plus loin. Sa Majesté lui accorda avec ce don singulier une vertu et un privilège de communiquer le repos et la sérénité d’esprit à celui qui les demandera par le moyen de son intercession. Et si tous les catholiques troublés par le tourment inquiet de leurs vices les demandaient, comme ils les obtiendraient !
286. Le troisième est de calcédoine. Cette pierre prend le nom de la province où elle se trouve qui s’appelle Calcédoine. Elle a la couleur de l’escarboucle et, de nuit, sa splendeur imite celle d’une lanterne. Le mystère de cette pierre est de manifester le nom et la vertu de la très sainte Marie. Son nom, elle le prit de cette province du monde où elle se trouva, s’appelant fille d’Adam comme les autres, et Marie, dont l’accent changé en latin signifie les mers ; parce qu’elle fut l’océan des grâces et des dons de la Divinité. Et elle vint au monde par le moyen de sa conception très pure, pour inonder et submerger le monde de ces dons divins, en absorbant la malice du péché et ses effets, et dissipant les ténèbres de l’abîme par la clarté de son esprit éclairé de la lumière de la sagesse divine. Le Très-Haut lui concéda en correspondance de ce fondement, une vertu spéciale, afin que par le moyen de son très saint nom de Marie, les nuages épais de l’infidélité fussent dissipés et que fussent détruites toutes les erreurs des hérésies, du paganisme, de l’idolâtrie, ainsi que tous les doutes contre la foi catholique. Et si les infidèles se tournaient vers cette lumière en l’invoquant, ils se débarrasseraient bien vite l’esprit des ténèbres de leurs erreurs, et elles seraient toutes submergées dans cette mer par la vertu d’en haut qui lui fut accordée pour cela.
287. Le quatrième fondement est d’émeraude dont la couleur verte et joyeuse récrée la vue sans la fatiguer et déclare mystérieusement la grâce que la très sainte Marie reçut dans sa Conception d’être très aimable et très gracieuse aux yeux de Dieu et des créatures, sans jamais offenser son très doux nom et son souvenir, tout en conservant en elle-même la verdeur et la force de la sainteté, des vertus et des dons qu’elle reçut et qui lui furent accordés. Le Très-Haut lui donna dans cette correspondance de pouvoir distribuer ce bienfait en le communiquant à ses fidèles dévots qui l’invoqueraient pour obtenir la persévérance et la fermeté dans l’amitié de Dieu et dans les vertus.
288. Le cinquième est de sardonyx. Cette pierre est transparente et sa couleur imite surtout l’incarnat clair, bien qu’elle participe de trois couleurs : en bas du noir, au milieu du blanc et en haut du rouge clair, et le tout fait une gracieuse variété. Le mystère de cette pierre et de ces couleurs fut de signifier tout ensemble la Mère et le Fils qu’elle devait engendrer. Le noir marque en Marie la partie inférieure et terrestre du corps noircie par la mortification qu’elle souffrit, et il signifie la même chose de son Très Saint Fils défiguré par nos péchés 279. Le blanc marque la pureté de l’âme de la Mère Vierge et aussi de Notre Seigneur Jésus-Christ. Et l’incarnat marque, dans l’Humanité, la Divinité unie hypostatiquement ; et, dans la Mère, il manifeste l’amour qu’elle participa de son Très Saint Fils, avec toutes les splendeurs de la Divinité qui lui furent communiquées. Par ce fondement, il fut accordé à cette grande Reine du ciel que par ses prières et son intercession la valeur suffisante pour tous de l’Incarnation et de la Rédemption fût efficace pour ses dévots : comme aussi pour lui faire obtenir ce bienfait elle leur impétra une dévotion particulière pour les mystères et la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ.
289. Le sixième est de sardoine. Cette pierre aussi est transparente et, parce qu’elle imite la flamme claire du feu, elle fut le symbole du don qui fut accordé à la Reine du ciel de brûler incessamment dans son cœur de l’amour divin comme la flamme du feu, car elle n’y fit jamais aucun intervalle, la flamme de cet incendie ne s’apaisa jamais dans son cœur ; au contraire, dès l’instant de sa Conception où s’alluma ce feu, il augmenta toujours plus, et dans le suprême état où puisse arriver une créature, il brûle et il brûlera pendant toutes les éternités. Et il fut accordé ici à Marie un privilège spécial pour dispenser avec cette correspondance l’influence du Saint-Esprit et son amour et ses dons à celui qui le demanderait par elle.
290. Le septième de chrysolite. Cette pierre imite dans sa couleur l’or resplendissant avec quelque similitude de lumière ou de feu, et elle s’aperçoit plus la nuit que le jour. Elle déclare de la très sainte Marie l’ardent amour qu’elle eut pour l’Église militante et ses mystères et en particulier pour la loi de grâce. Et cet amour brilla davantage dans cette nuit qui couvrit l’Église par la mort de son très saint Fils et dans le magistère qu’eut cette grande Reine dans les commencements de la loi de l’Évangile et dans l’affection avec laquelle elle demanda son établissement et celui des sacrements, coopérant à tout, comme je le dirai en son lieu, avec le très ardent amour qu’elle eut pour le salut des hommes, et elle fut la seule qui sût et pût faire la digne appréciation de la loi très sainte de son Fils. Elle fut prévenue et dotée de cet amour dès son Immaculée Conception, pour être coadjutrice de Notre Seigneur Jésus-Christ, et il lui fut concédé un privilège spécial pour obtenir en faveur de celui qui l’invoquerait la grâce de se disposer à recevoir les sacrements de la sainte Église avec fruit spirituel et de ne point poser d’obstacle à leurs effets.
291. Le huitième de béryl. Elle est de couleur verte et jaune, mais elle tient davantage du vert par lequel elle imite beaucoup l’olive et elle reluit avec éclat. Elle représente les vertus singulières de foi et d’espérance qui furent données à la très sainte Marie dans sa conception avec une clarté spéciale, afin qu’elle entreprît et opérât des choses ardues et supérieures, comme en effet elle le fit pour la gloire de son Auteur. Il lui fut accordé avec ce don de donner à ses dévots du courage, de la force et de la patience dans les tribulations et les difficultés des travaux, et de dispenser ces vertus et ces dons en vertu de la fidélité divine et de l’assistance du Seigneur.
292. Le neuvième de topaze. Cette pierre est transparente, de couleur violette, de grande valeur et de grande estime. Elle fut le symbole de la virginité très sainte de Marie Notre Dame, étant en même temps Mère du Verbe Incarné, et tout fut pour son Altesse d’une grande et singulière estime avec une humble reconnaissance qui lui dura toute sa vie. Dans le moment de sa Conception, elle demanda au Très-Haut la vertu de la chasteté et il la lui accorda pour le reste de son état de voyageuse ; et elle connut alors que cette marguerite lui était accordée au-dessus de ses vœux et de ses désirs. Et non-seulement pour elle-même ; mais le Seigneur lui accorda d’être Maîtresse et Guide des âmes vierges et chastes et que par son intercession ses dévots obtinssent ces vertus et la grâce d’y persévérer.
293. Le dixième est de chrysoprase, dont la couleur est verte et qui fait voir quelque peu d’or. Il signifie l’espérance très ferme qui fut accordée à Marie dans sa Conception, retouchée par l’amour de Dieu qui la rehaussait. Et cette vertu fut immobile en notre Souveraine, comme il convenait afin de communiquer le même effet aux autres ; parce que sa stabilité se fondait dans la fermeté immuable de son courage généreux et sublime dans tous les travaux et les exercices de sa très sainte vie, en particulier à la mort et à la passion de son très béni Fils. Il lui fut accordé avec ce bienfait d’être Médiatrice efficace auprès du Très-Haut pour obtenir cette vertu de la fermeté dans l’espérance pour ces dévots.
294. Le onzième d’hyacinthe qui présente la couleur violet parfait. Et dans ce fondement est renfermé l’amour que la très sainte Marie eut infus dans sa Conception pour la Rédemption du genre humain, participé d’avance de celui que devait avoir son très saint Fils pour mourir pour les hommes. Et comme de là devaient s’originer tout le remède du péché et toute la justification des âmes, il fut accordé à cette grande Reine avec cet amour un privilège spécial qui lui dura depuis ce premier instant, afin que par son intercession aucun genre de pécheurs, pour grands et abominables qu’ils fussent, s’ils l’invoquaient sincèrement fussent exclus du fruit de la Rédemption et de la justification, et qu’ils obtinssent le salut éternel par cette puissante avocate.
295. Le douzième d’améthyste, de couleur resplendissante avec des aspects violets. Le mystère de cette pierre ou ce fondement correspond en partie au premier ; car il signifie un genre de vertu qui fut accordé dans sa Conception à la très sainte Marie contre les puissances de l’enfer ; afin que les démons sentissent qu’il sortait d’elle une force, lors même qu’elle ne les commandait point et qu’elle n’opérait point contre eux, qui les affligeait et les tourmentait lorsqu’ils voulaient s’approcher de sa personne. Ce privilège lui fut accordé comme en conséquence du zèle incomparable que cette Souveraine avait pour exalter et défendre la gloire de Dieu et son honneur. Et en vertu de ce bienfait singulier, la Très Sainte Marie a une puissance singulière pour chasser les démons des corps humains par l’invocation de son très doux nom, si puissant contre ces malins esprits, qu’en l’entendant ils demeurent soumis et leurs forces écrasées. Tels sont en somme les mystères des douze fondements sur lesquels Dieu édifia sa sainte Cité de Marie : et quoiqu’ils contiennent beaucoup d’autres sacrements des faveurs qu’elle reçut que je ne peux expliquer, néanmoins dans le cours de cette Vie ils seront manifestés, comme le Seigneur me donnera la lumière et les forces pour le dire.
296. L’Évangéliste poursuit et dit : Que les douze portes sont douze perles, une perle pour chaque porte. Le nombre de tant de portes pour cette cité manifeste que, par la très sainte Marie et par sa dignité et ses mérites ineffables, l’entrée pour la vie éternelle est devenue aussi facile que libre. Et il était comme dû et correspondant à l’excellence de cette éminente Reine qu’en elle et par elle fût magnifiée la miséricorde infinie du Très-Haut, la Divinité ouvrant tant de voies pour se communiquer afin que les mortels pussent entrer à sa participation par le moyen de la très pure Marie, s’ils voulaient entrer par ses mérites et sa puissante intercession. Mais le prix, la grandeur, les grâces et la beauté de ces douze portes, qui étaient faites de perles ou marguerites, déclarent la valeur de la dignité et des grâces de cette Impératrice du ciel, et la suavité de son très doux nom pour attirer les mortels vers Dieu. La très sainte Marie connut ce bienfait du Seigneur qui la faisait Médiatrice unique du genre humain et Dispensatrice des trésors de sa Divinité pour son Fils unique. Et avec cette connaissance la prudente et officieuse Souveraine sut rendre les mérites de ses œuvres et de sa dignité si précieux et si beaux qu’ils font l’admiration des bienheureux dans le ciel ; et pour cela les portes de cette Cité furent des marguerites précieuses pour le Seigneur et pour les hommes.
297. Dans cette correspondance, il dit : Que la place de cette Cité était d’or très pur comme du cristal très clair. La place de cette Cité de Dieu, la très sainte Marie, est son intérieur dans lequel toutes les puissances concourent comme dans un lieu et une place commune et où se tient le commerce et le trafic de l’âme ainsi que tout ce qui y entre par le moyen des sens ou par d’autres voies. Cette place dans la très sainte Marie était d’un or très pur et très clair, parce qu’elle était comme fabriquée de sagesse et d’amour divin. Il n’y eut jamais là ni tiédeur, ni ignorance, ni inadvertance ; toutes ses pensées étaient très élevées et ses affections étaient enflammées d’une charité immense. C’est dans cette place qu’il fut conféré des mystères les plus sublimes de la Divinité ; là que fut dépêché ce Fiat mihi 280 qui donna principe à l’œuvre la plus grande que Dieu n’ait jamais faite et qu’il ne fera jamais ; là que furent formées et émises d’innombrables pétitions pour le tribunal de Dieu en faveur du genre humain ; là que furent déposées des richesses qui seraient suffisantes pour tirer de la pauvreté tous les hommes, si tous entraient au commerce de cette place. Elle serait même aussi une place d’armes contre les démons et tous les vices, puisque dans l’intérieur de la très sainte Marie se trouvaient les grâces et les vertus qui la rendirent elle-même terrible à l’enfer et qui nous donneraient à nous la vertu et les forces pour le vaincre.
298. Il dit encore : Que dans le ciel il ne vit point de temple ; parce que le Seigneur Dieu tout-puissant est son temple et l’Agneau. Dans les cités, les temples servent pour l’oraison et le culte que nous rendons à Dieu ; et c’eût été une grande lacune s’il n’y avait pas eu dans la Cité de Dieu de temple qui convînt à sa grandeur et à son excellence. Mais dans la Cité de la très sainte Marie il y avait un temple si sacré que le Dieu tout-puissant lui-même et l’Agneau, qui sont la Divinité et l’Humanité de son Fils unique, furent son temple, car ils étaient en elle comme dans leur lieu légitime et ils y furent adorés et révérés en esprit et en vérité 281 plus dignement que dans tous les temples du monde. Ils furent aussi le temple de la très pure Marie ; parce qu’elle fut comprise, entourée et comme renfermée dans la Divinité et l’Humanité qui lui servaient comme d’habitation et de tabernacle. Étant dans ce tabernacle, elle ne cessait jamais d’adorer et de prier Dieu et le Verbe fait chair dans ses entrailles ; ainsi elle était en Dieu et en l’Agneau comme dans un temple ; puis au temple il ne convient rien moins que la sainteté continuelle en tous temps. Et pour considérer dignement cette divine Impératrice nous devons toujours l’imaginer dans la Divinité même, enfermée comme dans un temple, ainsi que dans son très saint Fils ; et là nous comprendrons quels actes et quelles opérations d’amour, d’adoration et de respect elle devait faire, quelles délices elle devait sentir avec le même Seigneur, et quelles prières elle faisait en faveur du genre humain, car elle voyait en Dieu le grand besoin de réparation qu’il avait, elle s’embrasait dans sa charité, elle suppliait et intercédait de l’intime de son cœur pour le salut des mortels.
299. L’Évangéliste dit aussi : Que la Cité n’avait pas besoin de soleil ni de lune pour lui donner la lumière, parce que la clarté de Dieu l’éclairait et sa lampe est l’Agneau. En la présence d’une clarté plus grande et plus resplendissante que celle du soleil et de la lune, ceux-ci ne sont point nécessaires, comme il arrive dans le ciel empyrée, où il y a la clarté d’une infinité de soleils, et celui qui nous éclaire n’y fait point faute, quoiqu’il soit si resplendissant et si beau. Il n’y avait pas besoin de soleil ni de lune dans la très sainte Marie pour l’éclairer et l’enseigner ; parce que d’elle-même et sans autre exemple elle sut plaire et se rendre agréable à Dieu ; et sa sagesse, sa sainteté et la perfection de ses œuvres ne pouvaient pas avoir d’autre maître, ni d’autre arbitre moindre que le Soleil de justice même, son très saint Fils. Toutes les autres créatures étaient ignorantes pour l’enseigner à mériter d’être la digne Mère de son Créateur (a). Mais à cette même école, elle apprit à être très humble et très obéissante parmi les humbles et les obéissants : étant enseignée par Dieu même, elle ne laissait pas d’interroger les plus inférieurs et de leur obéir dans les choses qui convenaient ; au contraire, comme unique disciple de Celui qui corrige les sages, elle apprit cette divine philosophie d’un tel Maître. Et elle en devint si sage que l’Évangéliste put dire :
300. Et les nations marcheront à sa lumière : parce que si Notre Seigneur Jésus-Christ appela les docteurs et les saints des flambeaux allumés et placés sur le chandelier de l’Église pour l’éclairer, et si les patriarches, les prophètes, les Apôtres, les martyrs et les docteurs, par la splendeur et la lumière qu’ils ont répandue, ont rempli l’Église de tant de clarté qu’elle semble devenue un ciel avec plusieurs soleils et plusieurs lunes, que ne peut-on pas dire de la très sainte Marie dont la lumière et la splendeur excède incomparablement celle de tous les théologiens et les docteurs de l’Église et des anges même du ciel ? Si les mortels avaient les yeux ouverts pour voir ces lumières de la très sainte Marie, elle seule suffirait pour illuminer tout homme qui vient au monde et pour les diriger tous dans les droits sentiers de l’éternité. Et parce que tous ceux qui sont arrivés à la connaissance de Dieu ont marché à la lumière de cette sainte Cité de Dieu, saint Jean dit : Que les nations marcheraient à sa lumière, ajoutant aussi :
301. Et les rois de la terre lui apporteront leur honneur et leur gloire. Ils seront très heureux, les rois et les princes qui travailleront en leurs personnes et leur monarchie, avec un heureux dévouement pour accomplir cette prophétie. Tous doivent le faire, mais bienheureux ceux qui l’exécuteront, se tournant avec une intime affection de leur cœur vers la très sainte Marie, employant leur vie, leur honneur, leurs richesses et la grandeur de leurs forces et de leurs états à la défense de cette Cité de Dieu, à dilater sa gloire dans le monde, et à exalter son nom dans la sainte Église, contre la folle audace des infidèles et des hérétiques. Je m’étonne avec une intime douleur que les princes catholiques ne se dévouent point pour invoquer cette aimable Souveraine et pour lui être agréables ; afin qu’elle leur serve de refuge, de protection et d’Avocate qui intercède pour eux au milieu de leurs dangers, dangers qui sont très grands dans les princes. Et si les dangers sont si grands dans les rois et les potentats, ils doivent se souvenir que leur obligation d’être reconnaissants n’est pas moindre, puisque cette divine Dame dit que c’est par elle que les rois règnent 282, que les princes commandent, que les puissants administrent la justice : qu’elle aime ceux qui l’aiment et que ceux qui l’illustreront 283 auront la vie éternelle, car opérant en elle ils ne pécheront point.
302. Je ne veux point cacher la lumière qui m’a été donnée plusieurs fois et spécialement en cet endroit, afin que je la manifeste. Il m’a été montré dans le Seigneur que toutes les afflictions de l’Église catholique et tous les travaux dont souffre le peuple chrétien ont toujours été réparés par l’intercession de la très sainte Marie et que dans les siècles affligés des temps présents, quand l’orgueil des hérétiques s’élève si fort contre Dieu, et que son Église est dans la tribulation et les pleurs, il n’y a qu’un seul remède à des misères si lamentables : c’est que les rois et les royaumes catholiques se tournent vers la Mère de la grâce et de la miséricorde, la très sainte Marie, en l’obligeant par quelque service singulier pour l’accroissement et l’extension de sa dévotion et de sa gloire par tout l’univers, afin qu’elle s’incline vers nous, qu’elle nous regarde avec miséricorde et qu’elle nous obtienne en premier lieu la grâce de son très saint Fils pour la réforme des vices effrénés que l’ennemi sema parmi le peuple chrétien, et qu’elle apaise par son intercession la colère du Seigneur qui nous châtie si justement en nous menaçant encore de fléaux et de disgrâces plus graves. De cette réforme et de cet amendement de nos péchés, il s’ensuivra la victoire contre les infidèles et l’extirpation des fausses sectes qui oppriment la sainte Église, parce que la très sainte Marie est l’épée qui doit les éteindre et les exterminer dans tout l’univers.
303. Le monde expérimente aujourd’hui le dommage de cet oubli ; et si les princes catholiques n’ont point des évènements prospères dans le gouvernement de leurs royaumes, dans la conservation et l’augmentation de la foi catholique, aussi bien que dans les combats contre leurs ennemis, ou contre les infidèles, tout cela arrive parce qu’ils ne se tournent pas vers ce nord qui les dirigerait ; ils n’ont point posé Marie pour principe de leurs œuvres et de leurs pensées ni comme leur fin immédiate ; ils ont oublié que cette Reine marche dans les voies de la justice pour l’enseigner aux autres et les conduire par ces voies si droites et qu’elle enrichit ceux qui l’aiment 284.
304. Ô Prince et Chef de la sainte Église catholique, et vous, ô Prélats qui vous appelez aussi princes de cette Église ! ô Prince catholique et Monarque d’Espagne à qui s’adresse cette humble mais véritable exhortation par une obligation naturelle, une affection singulière et un ordre du Très-Haut ! Déposez votre couronne et votre royaume aux pieds de cette Reine et Souveraine du ciel et de la terre : cherchez la Restauratrice du genre humain ; recourez à celle qui par la puissance divine est au-dessus de toute la puissance des hommes et de l’enfer ; tournez vos affections vers celle qui tient dans sa main les clés de la volonté et des trésors du Très-Haut ; apportez votre honneur et votre gloire à cette sainte Cité de Dieu qui ne la veut point parce qu’elle en a besoin pour accroître la sienne, mais au contraire pour améliorer et agrandir la vôtre. Offrez-lui de tout cœur avec votre piété catholique quelque grand service qui lui soit agréable, en récompense de quoi vous seront accordés des biens infinis ; la conversion des Gentils, la victoire contre les hérétiques et les païens, la paix et la tranquillité de l’Église, une lumière nouvelle et des secours pour améliorer les mœurs et vous rendre un roi grand et glorieux en cette vie et en l’autre.
305. Ô royaume et monarchie catholique de l’Espagne ! tu serais très fortunée si, à la fermeté et au zèle pour la foi que tu as reçue au-dessus de tes mérites de la droite du Tout-Puissant, tu ajoutais la sainte crainte de Dieu correspondante à la profession de cette sainte foi qui te distingue entre toutes les nations du globe ! Oh ! si pour obtenir cette fin et cette couronne de tes félicités tous tes habitants se distinguaient avec une ardente ferveur dans la dévotion à la Très Sainte Marie ! Combien ta gloire resplendirait ! Combien tu serais illuminée, protégée et défendue par cette Reine, et tes rois catholiques seraient enrichis des trésors d’en haut, et par leur main la douce loi de l’Évangile serait propagée par toutes les nations ! Sache que cette grande Princesse honore ceux qui l’honorent, enrichit ceux qui la cherchent, illustre ceux qui l’illustrent, et défend ceux qui espèrent en elle ; et pour exercer envers toi ces offices de Mère unique et singulière et user de nouvelles miséricordes, je t’assure qu’elle attend et qu’elle désire que tu l’obliges et que tu sollicites son amour maternel. Mais sache que Dieu n’a besoin de rien 285 et il est puissant pour faire des pierres même des enfants d’Abraham 286, et si tu te rends indigne de tant de biens, elle peut réserver cette gloire pour qui il lui plaît et pour qui en sera le moins déméritant.
306. Et afin que tu n’ignores point le service pour lequel cette Reine Maîtresse de l’univers se montrerait aujourd’hui comme obligée entre plusieurs que ta piété et ta dévotion t’enseigneront, considère l’état où se trouve le mystère de son Immaculée Conception dans toute l’Église et ce qui manque pour assurer avec fermeté les fondements de cette Cité de Dieu : la dévotion envers cette Vierge sans tache. Et que personne ne juge cet avertissement comme venant d’une femme faible et ignorante, ou né d’une dévotion particulière et d’un amour pour mon état et ma profession sous ce nom et cet Ordre de Marie conçue sans péché originel ; puisque pour moi, ma croyance me suffit ainsi que la lumière que j’ai reçue pour cette Histoire. Cette exhortation n’est pas pour moi et je ne l’aurais pas donnée par mon seul jugement et mon seul dictamen : j’obéis en cela au Seigneur qui donne une langue aux muets et qui dispose celle des tout petits enfants 287. Et celui qui s’étonnera de cette miséricorde libérale qu’il considère ce que l’Évangéliste ajoute de cette Dame, disant :
307. Et ses portes ne seront point fermées pendant le jour, car là il n’y a point de nuit. Les portes de la miséricorde de la très sainte Marie ne furent jamais fermées et elles ne le seront jamais, car il n’y eut point en elle de nuit de péché, dès le premier instant de son être et de sa Conception pour fermer les portes de cette Cité de Dieu comme dans les autres saints. Et comme dans un lieu où les portes sont toujours ouvertes, tous ceux qui le veulent entrent et sortent librement en tout temps et à toute heure, ainsi il n’est interdit à aucun des mortels d’entrer librement au commerce de la Divinité par les portes de la miséricorde de la très pure Marie, où elle tient ouverts tous les trésors du ciel, sans limitation de temps, de lieu, d’âge, ni de sexe. Tous ont pu entrer dès sa formation : car c’est pour cela que le Très-Haut la fonda avec tant de portes et qu’elles ne sont point fermées, mais ouvertes et franches et à la lumière : dès sa très pure conception, les miséricordes et les bienfaits commencèrent à sortir par ces portes pour tout le genre humain. Mais ayant tant de portes par où les richesses de la Divinité peuvent sortir, elle ne laisse pas néanmoins d’être assurée contre les ennemis. Et pour cela le texte ajoute :
308. Rien de souillé n’entrera en elle, ni aucun de ceux qui commettent l’abomination et le mensonge, mais seulement ceux qui sont écrits dans le livre de la vie de l’Agneau, etc. L’Évangéliste renouvelant le privilège des immunités de cette Cité de Dieu, l’Auguste Marie, met fin à ce chapitre XXI en nous assurant qu’en elle il n’entrera aucune chose souillée, parce qu’il lui fut donné une âme et un corps immaculés. Et l’on ne pourrait pas dire qu’il ne serait jamais entré en elle rien de souillé, si elle avait eu la souillure du péché originel ; puisque même les péchés actuels n’entrent pas par cette porte. Tout ce qui entra dans la Cité sainte fut ce qui était écrit dans la vie de l’Agneau, parce que le patron et l’original pour la former fut pris de son très saint Fils et les vertus de la très sainte Marie, même la plus petite, s’il peut y avoir en elle quelque chose petite, ne purent être copiées d’aucun autre. Si à cette porte de Marie Mère de Miséricorde correspond le privilège d’être une Cité de refuge pour les mortels, c’est à condition que celui qui commet l’abomination et le mensonge ne doive avoir ni part ni entrée en elle. Il ne faut pas cependant que les pécheurs et souillés enfants d’Adam soient pour cela détournés de s’approcher des portes de cette sainte Cité de Dieu, car s’ils s’approchent repentants et humiliés pour chercher la limpidité de la grâce, ils la trouveront dans ces portes de la grande Reine et non en d’autres. Elle est limpide, elle est pure, elle est abondante et surtout elle est Mère de miséricorde, douce, amoureuse et puissante pour enrichir notre pauvreté et purifier les taches de tous nos péchés (b).
Doctrine que me donna la Reine du ciel dans ces chapitres.
309. Ma fille, les mystères de ces chapitres renferment un grand enseignement et une grande lumière, quoique tu aies omis beaucoup de choses ; mais tâche de profiter de tout ce que tu as entendu et écrit et ne reçois pas en vain la lumière de la grâce 288. Mais ce dont je veux t’avertir brièvement, c’est que tu ne te décourages point, parce que tu as été conçue dans le péché, que tu es descendante de la terre et avec des inclinations terrestres, mais lutte vigoureusement dans le combat contre tes passions jusqu’à ce que tu les aies vaincues et avec elles tous tes ennemis ; puis avec la force de la grâce du Très-Haut qui t’aidera, tu peux t’élever au-dessus de toi-même et devenir descendante du ciel d’où vient la grâce ; et afin de l’obtenir, ton habitation continuelle doit être dans les hauteurs, ton esprit fixé dans la connaissance de l’Être Immuable et des perfections de Dieu sans consentir qu’aucun autre ne détourne ton attention, lors même que ce serait pour des choses nécessaires. Par ce souvenir incessant et cette vue intérieure de la grandeur de Dieu, tu seras disposée en tout le reste pour opérer le plus parfait des vertus et tu te rendras propre à recevoir l’influence de l’Esprit-Saint et de ses dons et à arriver à l’étroit lien de l’amitié et de la communication avec le Seigneur. Et afin que tu n’empêches point en cela sa sainte volonté qu’il t’a montrée et manifestée plusieurs fois, travaille à mortifier la partie inférieure de la créature où vivent les inclinations et les passions sinistres. Meurs à toutes les choses terrestres, sacrifie en présence du Très-Haut tous tes appétits sensitifs et n’en accomplis aucun, ne fais pas ta volonté sans obéissance ; ne sors point du secret de ton intérieur où la lampe de l’Agneau t’illuminera. Orne-toi pour entrer au lit nuptial de ton Époux et laisse-toi parer, comme le fera la droite du Tout-Puissant, si tu concours de ton côté et si tu ne l’empêches pas. Purifie ton âme par beaucoup d’actes de douleur de l’avoir offensé et loue-le et exalte-le avec un amour très ardent. Cherche-le et ne te repose pas avant d’avoir trouvé celui que ton âme désire, et ne le quitte pas 289. Et je veux que tu vives dans ce pèlerinage comme ceux qui l’ont achevé, regardant sans cesse l’objet qui les rend glorieux. Tel doit être le miroir de ta vie, afin qu’avec la lumière de la foi et la clarté du Tout-Puissant qui t’illuminera et qui remplira ton esprit, tu l’aimes, tu l’adores, tu le révères, sans mettre aucun intervalle en cela. Telle est la volonté du Très-Haut en toi ; considère ce que tu peux gagner et aussi ce que tu peux perdre. Ne veuille pas l’aventurer par toi-même ; mais assujettis ta volonté et réduis-toi toute à l’enseignement de ton Époux, au mien et à celui de l’obéissance avec laquelle tu dois conférer de tout. Telle fut la doctrine que me donna la Mère du Seigneur à qui je répondis toute confuse, disant :
310. « Reine et Maîtresse de toutes les créatures, à qui j’appartiens et je désire appartenir dans toutes les éternités pendant lesquelles je louerai la toute-puissance du Très-Haut qui a voulu tant vous exalter, puisque vous êtes si prospère et si puissante auprès de son Altesse, je vous supplie, ô ma Souveraine, de regarder avec miséricorde cette pauvre et misérable servante qui est vôtre ; et avec les dons que le Seigneur déposa en vos mains pour les distribuer aux nécessiteux, réparez ma vileté, enrichissez ma pauvreté dénuée et contraignez-moi comme Maîtresse, jusqu’à ce que je veuille efficacement et que j’opère le plus parfait et que je trouve grâce aux yeux de votre très saint Fils et mon Seigneur. Acquérez-vous pour vous-même cette exaltation que la plus vile créature soit relevée de la poussière. Je mets ma réussite 290 entre vos mains, daignez la vouloir vous-même, ô ma Maîtresse et ma Reine, avec efficacité, car votre volonté est sainte et puissante, par les mérites de votre Très Saint Fils et par la parole de la bienheureuse Trinité qu’elle a engagée à votre volonté et à vos prières, pour les accepter sans en refuser aucune. Je ne peux vous obliger parce que je suis indigne ; mais je vous représente, ô ma Maîtresse, votre propre sainteté et votre propre clémence. »
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NOTES EXPLICATIVES
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a. Mériter d’être digne Mère de son Créateur. L’Église dit dans une de ses oraisons que l’Auguste Marie mérita d’être la digne habitation de son Fils ; et ailleurs que seule elle a été digne de porter le Roi et le Seigneur des cieux. Ce qui s’entend d’un mérite de congruité ou de convenance.
b. L’application du chapitre XXI de l’Apocalypse à la très sainte Vierge que fait la Vénérable Marie d’Agreda est très juste et conforme à l’usage de l’Église ; et c’est pour cela qu’elle met pour titre à son œuvre : La Cité Mystique de Dieu, etc.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE XX
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Ce qui arriva dans les neuf mois de la grossesse de sainte
Anne, et ce que la très sainte Marie fit pendant
ce temps ainsi que sa Mère.
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SOMMAIRE. – 311. Trois visions abstractives. – 312. État impassible de l’Enfant. – 313. Son oraison avant de naître. – 314. Afflictions de sainte Anne. – 315. Hallucination de Lucifer. – 316. Ses suggestions. – 317. Résistance de sainte Anne. – 318. Sa patience et sa charité. – 319. Persécutions d’une de ses domestiques. – 320. Doute de la Vénérable. – 321. Plus les dons de Dieu s’affermissent, plus ils rendent attentifs à les conserver. – 322. L’impeccabilité de Marie lui fut cachée. – 323. Tranquillité. – 324. Comment discerner les choses de l’esprit.
311. La très sainte Marie conçue sans péché originel, comme je l’ai déjà dit, dans la première vision qu’elle eut de la Divinité, son esprit demeura absorbé et ravi par cet objet de son amour qui commença dans cet étroit tabernacle du sein maternel, dans l’instant que son âme bienheureuse fut créée, pour ne s’interrompre jamais ; au contraire, elle le continuera pendant toute l’éternité dans la gloire souveraine de pure créature qu’elle goûte à la droite de son très saint Fils. Et afin qu’elle allât en croissant dans la contemplation et l’amour divin, outre les espèces infuses qu’elle eut des autres choses créées et de celles qui furent imprimées en elle par la première vision de la très sainte Trinité, avec lesquelles elle exerça plusieurs actes des vertus qu’elle pouvait opérer là ; le Seigneur renouvela la merveille de cette vision et cette manifestation abstractive de sa Divinité, la lui concédant deux autres fois : de sorte que la très sainte Trinité lui fut manifestée trois fois de cette manière avant de venir au monde : l’une dans l’instant qu’elle fut conçue, une autre vers la moitié des neuf mois et la troisième la veille de sa naissance. Et que l’on n’entende pas que ce genre de vision ne lui étant pas continuel, il lui en manquât un autre plus inférieur, quoique très supérieur et très sublime dans laquelle elle contemplait l’Être de Dieu par la foi et une illustration spéciale : car cette manière de contemplation fut incessante et continuelle dans la très sainte Marie au-dessus de toute la contemplation qu’eurent tous les mortels ensemble.
312. Mais quoique cette vision abstractive de la Divinité ne fût pas opposée à l’état de voyageuse, elle était néanmoins si sublime et si immédiate à la vision intuitive qu’elle ne devait pas être continuelle dans cette vie mortelle à celle qui devait mériter la vision intuitive par d’autres actes ; néanmoins c’était dans ce même but un souverain bienfait de la grâce, parce qu’elle laissait des espèces du Seigneur imprimées dans son âme, elle l’élevait et absorbait toute la créature dans l’incendie de l’amour divin. Ces affections se renouvelaient par ces visions dans l’âme très sainte de Marie et il arriva qu’ayant l’usage très parfait de la raison, elle ne ressentit pas d’être renfermée dans l’étroite prison du sein maternel, d’être privée de ses sens, et les incommodités naturelles de cet état ne lui furent point à charge, parce qu’elle s’occupait en de continuelles demandes pour le genre humain, en des actes héroïques de respect, d’adoration et d’amour de Dieu et dans l’entretien avec les anges. Elle ne faisait point attention à son état, étant plus en son Bien-Aimé que dans le sein de sa Mère et plus qu’en elle-même.
313. La dernière de ces trois visions qu’elle eut fut accompagnée de nouvelles faveurs du Seigneur plus admirables que les précédentes ; car il lui manifesta qu’il était déjà temps de sortir à la lumière du monde et à la conversation des mortels. Obéissant à la volonté divine, la Princesse du ciel dit au Seigneur : « Ô Dieu très-haut et Maître de tout ce que je suis, âme de mon âme et vie de ma vie, infini en attributs et en perfections, incompréhensible, puissant et riche en miséricorde, mon Roi et mon Seigneur, vous avez fait de rien l’être que j’ai, vous m’avez enrichie des trésors de votre grâce et de votre lumière divines sans que j’aie pu le mériter ; afin que je connusse aussitôt votre Être immuable et vos perfections divines, et en vous connaissant vous avez été le premier objet de ma vue et de mon amour pour ne point chercher d’autre bien hors de vous qui êtes le véritable et souverain Bien et toute ma consolation. Vous me commandez, ô mon Seigneur, de sortir pour user de la lumière matérielle et de la conversation des créatures et, dans votre Être même où toutes les choses se connaissent comme dans un miroir très clair, j’ai vu les misères et l’état périlleux de la vie mortelle. Si j’y dois par ma faiblesse et ma nature débile manquer d’un seul point à votre amour et à votre service et y mourir ensuite, de grâce, que je meure plutôt ici maintenant, avant de passer à un état où je puis vous perdre. Mais si votre volonté doit s’accomplir, mon Seigneur et mon Maître, si vous me destinez à la mer tempétueuse de ce monde, je vous supplie, ô très haut et puissant Bien de mon âme, gouvernez ma vie, dirigez mes pas et faites que toutes mes actions soient à votre plus grand agrément. Ordonnez en moi la charité 291 afin que par le nouvel usage des créatures elle en devienne plus parfaite envers vous et envers elles. J’ai connu en vous l’ingratitude de plusieurs âmes et je crains avec raison, moi qui suis de leur nature, de venir à tomber moi aussi et de commettre les mêmes péchés. Dans cette caverne étroite du sein de ma mère, j’ai joui des espaces infinis de votre Divinité ; je possède ici tout le bien qui est vous-même, mon Bien-Aimé, et maintenant vous êtes seul ma part et ma possession 292 et je ne sais si en dehors de cette prison je ne la perdrai point à la vue d’une autre lumière et avec l’usage de mes sens. S’il était possible et convenable de renoncer au commerce de la vie qui m’attend, j’y renoncerais et je m’en priverais tout à fait volontiers ; néanmoins que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la vôtre. Et puisque vous le voulez ainsi, donnez-moi votre bénédiction et votre permission pour naître au monde et n’éloignez point de moi votre divine protection dans ce siècle où vous me placez. » Cette oraison étant faite par la très douce Enfant Marie, le Très-Haut lui donna sa bénédiction et lui commanda avec empire de sortir à la lumière matérielle du soleil visible et il l’illustra sur ce qu’elle devait faire en accomplissement de ses désirs.
314. La très heureuse Mère sainte Anne avait passé sa grossesse toute spiritualisée, avec une suavité et des effets divins qu’elle sentait dans ses puissances ; mais pour la plus grande couronne de la sainte et la sécurité de sa navigation prospère, la divine Providence avait disposé que sa barque portât d’une certaine manière le lest de quelque affliction, car sans cela on ne s’acquiert que difficilement les fruits de la grâce et de l’amour. Et pour mieux comprendre ce qui arriva à cette sainte matrone, il faut avertir que depuis que le démon avait été précipité du ciel avec ses anges dans les peines de l’enfer, il était toujours attentif à épier et à guetter toutes les femmes les plus saintes de l’ancienne loi, pour connaître s’il ne rencontrerait pas parmi elles celle dont il avait vu le signe et dont la plante des pieds devait lui écraser la tête. Et l’indignation de Lucifer était si ardente qu’il ne confiait point ses sollicitudes à ses inférieurs seulement, mais en se servant d’eux contre certaines femmes vertueuses, il veillait lui-même et il rôdait autour de celles qu’il connaissait se signaler davantage dans les vertus et la grâce du Très-Haut.
315. Avec cette méchanceté et cette malice, il fut très frappé de l’extrême sainteté de la grande Dame sainte Anne et de tout ce qu’il pouvait découvrir de ce qui lui arrivait : et quoiqu’il ne pût savoir la valeur du trésor que renfermait son sein fortuné, car le Seigneur lui cachait ce mystère et d’autres encore, néanmoins il sentait une grande vertu et une grande force contre lui qui entourait sainte Anne, et comme il ne pouvait pénétrer la cause de cette efficace si puissante, ça le rendait parfois tout troublé et tout contristé dans sa propre fureur. D’autres fois il se tranquillisait un peu, jugeant que cette grossesse était selon le même ordre et les mêmes causes naturelles des autres, et qu’il n’y avait point de nouveauté à craindre ; parce que le Seigneur le laissait s’halluciner dans sa propre ignorance et flotter dans les ondes orgueilleuses de sa rage. Néanmoins son esprit très pervers se scandalisait de voir tant de calme en sainte Anne et parfois il lui était manifesté qu’un grand nombre d’anges l’assistaient : et ce qui le désespérait surtout était de sentir ses forces affaiblies pour résister à cette fille de la bienheureuse sainte Anne, et cela lui donna à soupçonner qu’elle n’en était pas seule la cause.
316. Le dragon, troublé par ses doutes, détermina d’ôter la vie à sainte Anne s’il pouvait, et s’il ne pouvait pas, de procurer du moins qu’elle eût un mauvais résultat dans sa grossesse, car l’orgueil de Lucifer était si démesuré qu’il croyait pouvoir vaincre celle qui devait être Mère du Verbe fait homme et même le Messie Réparateur du monde, et il se persuadait pouvoir leur ôter la vie, supposant qu’ils ne lui seraient point cachés. Et il fondait cette suprême arrogance en ce que sa nature d’ange était supérieure en qualités et en forces à la nature humaine : comme si la grâce n’était pas supérieure à l’une et à l’autre et les deux subordonnées à la volonté de leur Créateur. Avec cette audace il s’anima à tenter sainte Anne par beaucoup de suggestions, d’épouvantes, de soubresauts, de méfiance de la vérité de sa grossesse, lui représentant son grand âge et le long délai qu’elle avait passé sans avoir d’enfants. Le démon faisait tout cela pour explorer la vertu de la sainte et voir si l’effet de ses suggestions ouvrirait quelque petite porte par où il pût entrer pour l’assaillir dans sa volonté par quelque consentement.
317. Mais l’invincible Matrone résista virilement à ces coups par une humble force, la patience, une oraison continuelle et une foi vive dans le Seigneur, et par là elle détruisait les stratagèmes fabuleux du dragon et tout lui résultait en plus grands accroissements de la grâce et de la protection divines ; et outre les grands mérites que la sainte mère accumulait, les princes qui gardaient sa très sainte fille la défendaient et ils rejetaient les démons de sa présence. Mais l’insatiable malice de cet ennemi ne se désista point pour cela ; et comme son arrogance et son orgueil excèdent sa force, il procura de se servir de moyens humains ; parce qu’avec de tels instruments il se promet toujours de plus grandes victoires. Il essaya d’abord de renverser la maison de saint Joachim, afin que sainte Anne en fût émue et altérée par l’épouvante, mais il ne put y réussir parce que les saints anges lui résistèrent ; il irrita ensuite certaines femmelettes faibles connues de sainte Anne, afin qu’elles la querellassent, comme elles le firent avec une grande colère ; elles l’injurièrent par des paroles outrageantes ; et elles firent entre elles une grande dérision de sa grossesse, lui disant que c’était un artifice du démon de se croire enceinte après tant d’années passées sans enfant et dans un âge aussi avancé.
318. Sainte Anne ne se troubla point de cette tentation, au contraire elle souffrit en toute douceur et charité leurs injures et elle en témoigna de la tendresse à celles qui les lui faisaient : dès lors elle regarda ces femmes avec affection et elle leur fit de plus grands bienfaits. Mais leur colère ne se calma pas si tôt, parce que le démon les possédait pour les enflammer de haine contre la sainte : et comme elles s’étaient livrées à ce cruel tyran qui recouvre plus de force pour attirer à sa volonté celui qui s’est déjà assujetti à lui, il incita ainsi ces vils instruments à intenter quelque vengeance contre la personne et la vie de sainte Anne ; mais, elles ne purent l’exécuter, parce que la vertu divine rendit plus débiles et plus ineptes les faibles forces de ces femmes, et elles ne purent rien faire contre la sainte ; au contraire, elle les vainquit par ses admonestations et elle les réduisit par ses prières à se reconnaître et à amender leur vie.
319. Ainsi le démon demeura vaincu, mais non soumis, parce qu’ensuite il se servit d’une domestique qui servait les saints mariés et il l’irrita contre sainte Anne ; de sorte que celle-ci fut pire que les autres femmes, parce que c’était une ennemie domestique et pour cela plus assidue et plus dangereuse. Je ne m’arrêterai pas à rapporter ce que l’ennemi intenta par le moyen de cette servante, parce que ce fut la même chose qu’avec les autres femmes, quoique avec plus de molestations et de risques pour la sainte Dame ; mais aidée de la faveur divine elle remporta la victoire de cette tentation plus glorieusement que des autres, parce qu’il ne dormait pas, le gardien d’Israël qui gardait sa sainte Cité 293 et il l’avait garnie de tant de sentinelles les plus courageuses de son armée que Lucifer et ses ministres s’enfuirent, et ils cessèrent de molester l’heureuse mère qui attendait déjà le très heureux enfantement de la Princesse du ciel, et elle s’y était disposée par les actes héroïques des vertus et des mérites acquis dans ces combats, et la fin désirée s’approchait. Et je désire aussi celle de ce chapitre pour entendre la salutaire doctrine de ma Souveraine et ma Maîtresse, car bien qu’elle me fournisse tout ce que j’écris, ce qui m’est le meilleur néanmoins est sa maternelle exhortation et ainsi je l’attends avec une joie et une jubilation souveraine de mon esprit.
320. Parlez donc, ô ma Reine, car votre servante écoute, et si vous me donnez permission, quoique je ne sois que poussière et cendre, je vous proposerai un doute qui s’est présenté à mon esprit dans ce chapitre, puisqu’en toutes mes incertitudes je m’en remets à votre bonté de Mère, de Maîtresse et de Patronne. Le doute où je me trouvai est ceci : comment, ô vous, Maîtresse de toutes les créatures, après avoir été conçue sans péché et avec une si haute connaissance de toutes les choses dans la vision de la Divinité dont votre âme très sainte avait joui, comment, dis-je, avec cette grâce pouvaient être compatibles la crainte et les anxiétés si grandes que vous aviez de perdre l’amitié de Dieu et de l’offenser ? Si la grâce vous prévint à votre premier pas et à votre premier instant, comment pouviez-vous craindre sitôt de la perdre ? Et si le Très-Haut vous exempta du péché originel, comment pouviez-vous tomber en d’autres et offenser celui qui vous garda du premier ?
Doctrine et réponse de la Reine du ciel.
321. Ma fille, écoute la réponse à ton doute. Quand j’aurais connu mon innocence et que j’étais conçue sans péché dans la vision que j’eus à mon premier instant, ces bienfaits et ces dons de la main du Très-Haut sont de telle nature que plus ils sont assurés et connus, plus grands sont le soin et l’attention qu’ils excitent pour les conserver et pour ne point offenser leur Auteur qui les communique à sa créature par sa seule bonté ; et ils portent avec eux tant de lumière de ce qu’ils viennent de la seule vertu d’en haut par les mérites de mon très saint Fils, que la créature connaît davantage son indignité et son insuffisance, et elle comprend très clairement qu’elle reçoit ce qu’elle ne mérite pas et que lui étant étranger elle ne doit ni ne peut se l’attribuer à elle-même. Et connaissant qu’il y a un maître et une cause si supérieure qui le lui accorde libéralement, il peut aussi le lui ôter et le donner à qui il lui plaira davantage ; de là naît nécessairement la sollicitude et la diligence pour ne point perdre ce que l’on a eu par grâce, mais au contraire pour travailler à conserver et à augmenter le talent 294, puisque l’on sait que c’est le seul moyen pour ne point perdre ce que l’on a en dépôt et qu’il est donné à la créature pour qu’elle rende le contre-échange et les travaux à la gloire de leur Auteur. Et la tendance vers ce but est précisément la condition pour conserver les bienfaits de la grâce reçue.
322. Outre cela, on y connaît la fragilité de la nature humaine et sa volonté libre pour le bien et le mal. Et le Très-Haut ne m’ôta point cette connaissance, et il ne l’ôte à personne pendant qu’on est voyageur ; au contraire, il la laisse à tous comme il convient, afin qu’à sa vue s’enracine la sainte crainte de tomber dans le péché, quelque petit qu’il soit. Et cette lumière fut plus grande en moi ; car je connus qu’une petite faute dispose à une autre plus grande, et la seconde est le châtiment de la première. Il est vrai qu’à cause des bienfaits et des grâces que le Seigneur avait opérés dans mon âme, il ne m’était pas possible de tomber dans le péché. Mais sa divine Providence disposa ce bienfait de telle sorte qu’il me cacha la sécurité absolue de ne point pécher et je connaissais que, de moi seule, il m’était possible de tomber et qu’il dépendait de la volonté divine que je ne le fisse pas ; et ainsi il réserva pour lui la connaissance de ma sécurité et il me laissa le souci et la sainte crainte de pécher comme voyageuse : et depuis ma Conception jusqu’à ma mort je ne la perdis point, mais elle s’accrut au contraire avec les années.
323. Le Très-Haut me donna aussi la discrétion et l’humilité qui ne me permettaient pas de l’interroger sur ce mystère ; je ne m’arrêtais pas non plus à l’examiner, je m’appliquais seulement à me confier en sa bonté et en son amour pour m’assister afin de ne point pécher. Et d’ici me résultaient deux effets nécessaires dans la vie chrétienne : l’un d’avoir la quiétude dans l’âme, et l’autre de ne point perdre le souci et le soin de garder mon trésor. Et comme cette crainte en moi était filiale, elle ne diminuait point mon amour, au contraire elle l’embrasait et l’augmentait davantage. Et ces deux effets d’amour et de crainte faisaient dans mon âme une consonance divine pour ordonner toutes mes actions en m’éloignant du mal et en m’unissant au souverain Bien.
324. Mon amie, telle est la meilleure manière d’examiner les choses de l’esprit : qu’elles viennent avec une véritable lumière et une saine doctrine, qu’elles enseignent la plus grande perfection des vertus et qu’elles meuvent avec une plus grande force pour la chercher. Les bienfaits qui descendent du Père des lumières ont cette condition, car ils assurent en humiliant et ils humilient sans décourager ; ils donnent la confiance avec la sollicitude, et la vigilance et la sollicitude avec le repos et la paix ; afin que ces affections ne se nuisent point dans l’accomplissement de la volonté divine. Et toi, ô âme, offre une humble et fervente action de grâces au Seigneur d’avoir été si libéral envers toi, l’ayant si peu obligé : il t’a illustrée par sa divine lumière, il t’a ouvert les archives de ses secrets et il t’a prévenue par la crainte de sa disgrâce. Mais use de cette crainte avec mesure et excède davantage dans l’amour ; et avec ces deux ailes élève-toi au-dessus de tout le terrestre et au-dessus de toi-même. Tâche de déposer immédiatement toute affection désordonnée qui te porte à une crainte excessive ; abandonne ta cause au Seigneur et prends la sienne pour tienne propre. Crains jusqu’à ce que tu sois purifiée et nettoyée de tes fautes et de tes ignorances ; aime le Seigneur jusqu’à ce que tu sois toute transformée en lui, et en tout fais-le le Maître et l’arbitre de toutes tes actions, sans que tu le sois d’aucune. Ne te fie point à ton propre jugement et ne sois point sage avec toi-même 295, parce que les passions aveuglent facilement le propre dictamen ; et elles l’entraînent après elles, et lui, avec les passions, entraîne la volonté ; avec quoi on vient à craindre ce que l’on ne doit pas craindre et à se réjouir en ce qui ne convient pas. Tiens-toi assurée, mais de manière à ne pas te réjouir dans ta sécurité par un goût intérieur frivole : doute et crains jusqu’à ce qu’avec une quiétude empressée tu trouves le milieu convenable en tout ; et tu le trouveras toujours si tu t’assujettis à l’obéissance de tes supérieurs et à ce que le Très-Haut opérera en toi et à ce qu’il t’enseignera. Et quoique les effets soient bons dans la fin que tu désires, tous doivent être régis par l’obéissance et le conseil, parce que sans cette direction, ils ont coutume de résulter monstrueux et sans profit. Et en tout tu seras attentive au plus saint et au plus parfait.
SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE XXI
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De l’heureuse naissance de la très sainte Marie Notre Dame,
les faveurs qu’elle reçut aussitôt de la main du
Très-Haut et comment son nom lui fut imposé
dans le ciel et sur la terre.
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SOMMAIRE. – 325. Marie était en extase pour naître. – 326. Autres circonstances de sa Nativité. – 327. Sainte Anne offre sa fille à Dieu. – 328. Comment elle la traite. – 329. Saint Michel annonce sa Nativité dans les Limbes. – 330. Marie est enlevée au ciel. – 331. Étonnement des Anges. – 332. Première vision intuitive. – 333. Promesse de l’Incarnation. – 334. – La très sainte Trinité lui impose le nom de Marie. – 335. Sainte Anne reçoit l’ordre de le lui imposer. – 336. Apostrophe à l’Enfant. – 337. Doute au sujet de son élévation au ciel. – 338. Le ciel fermé s’ouvre par Jésus-Christ. – 339. Commentaire du Psaume 23. – 340. Le ciel non fermé pour Marie. – 341. Celui qui fait la loi peut en dispenser. – 342. Se donner à Dieu. – 343. Dévotion au nom de Marie.
325. Arriva le jour joyeux pour le monde du très heureux enfantement de sainte Anne et de la naissance de celle qui y venait sanctifiée et consacrée pour être la Mère de Dieu même. Cet enfantement arriva le 8 du mois de septembre, neuf mois entiers étant accomplis après la conception de l’âme très sainte de notre Reine et notre Souveraine. Sa Mère Anne fut prévenue par une illustration intérieure dans laquelle le Seigneur lui donna avis que l’heure de son accouchement approchait. Et, remplie de la joie de l’Esprit divin, elle entendit sa voix ; et prosternée en oraison, elle demanda au Seigneur de l’assister de sa grâce et de sa protection pour le succès de son enfantement. Elle sentit ensuite un mouvement dans son sein qui est le mouvement naturel des créatures pour sortir à la lumière. Et Marie, Enfant plus que fortunée, fut ravie en même temps par la Providence et la vertu divine en une très sublime extase dans laquelle, absorbée et abstraite de toutes les opérations sensitives, elle naquit au monde sans s’en apercevoir par les sens, comme elle aurait pu s’en apercevoir avec l’usage de la raison qu’elle avait, si à cette heure-là ses sens avaient opéré naturellement ; mais la puissance du Très-Haut le disposa de cette manière, afin que la Princesse du ciel ne sentît point le naturel de cet évènement de l’enfantement.
326. Elle naquit pure, nette, belle et toute remplie de grâces, publiant en cela qu’elle venait libre de la loi et du tribut du péché. Et quoiqu’elle naquit comme les autres enfants d’Adam en la substance ; ce fut néanmoins avec de telles conditions et de tels accidents de grâce, qu’ils rendirent cette nativité miraculeuse et admirable pour toute la nature et d’une louange éternelle de son Auteur. Cette divine Étoile du matin vint donc au monde à minuit, commençant à diviser la nuit de l’ancienne loi et les premières ténèbres du jour nouveau de la grâce qui voulait déjà commencer à paraître. Celle qui avait son esprit dans la Divinité fut enveloppée de langes, emmaillotée et placée dans le berceau comme les autres enfants, et celle qui surpassait en sagesse tous les mortels et les anges mêmes fut traitée comme une enfant. Sa mère ne consentit pas qu’elle fût traitée alors par d’autres mains, mais elle l’enveloppa de langes de ses propres mains sans être embarrassée des suites de son accouchement : parce qu’elle était libre des incommodités onéreuses qu’ont ordinairement les autres mères.
327. Sainte Anne reçut dans ses mains celle qui, étant sa fille, était en même temps le plus grand trésor du ciel et de la terre en pure créature, inférieure à Dieu seul et supérieure à tout ce qui est créé ; elle l’offrit à sa Majesté avec ferveur et avec larmes, disant dans son intérieur : « Seigneur de sagesse et de puissance infinie, Créateur de tout ce qui a l’être, je vous offre avec une éternelle action de grâce ce fruit de mon sein que j’ai reçu de votre bonté et que vous m’avez donné sans que j’aie pu le mériter. De la fille et de la Mère faites à votre très sainte volonté et regardez notre petitesse du haut de votre trône et de votre grandeur. Soyez éternellement béni d’avoir enrichi le monde d’une créature si agréable à votre bon vouloir et de ce que vous avez préparé en elle la demeure et le tabernacle où vivra le Verbe Éternel. Je félicite mes saints Pères et les Prophètes et en eux tout le genre humain pour le gage assuré que vous leur donnez de leur rédemption. Mais, comment traiterai-je celle que vous me donnez pour fille, ne méritant point d’être sa servante ? Comment toucherai-je l’Arche du Testament ? Donnez-moi, ô mon Roi et mon Seigneur, la lumière qu’il me faut pour savoir votre volonté et l’exécuter à votre bon plaisir au service de ma fille. »
328. Le Seigneur répondit à la sainte Dame dans son intérieur de traiter la divine enfant comme une mère traite sa fille extérieurement, sans lui témoigner du respect, mais de garder ce respect dans son cœur et d’accomplir les devoirs d’une vraie mère en l’élevant et en prenant soin de sa fille avec sollicitude et amour. Ainsi fit donc l’heureuse mère et elle se réjouissait avec sa très sainte fille, elle la traitait et la caressait comme font les autres mères avec les leurs, usant de ce droit et de cette permission sans manquer au respect qui lui était dû, le faisant toujours avec l’estime et l’attention dignes d’un sacrement si caché et si divin renfermé dans une telle fille et une telle mère. Tous les anges de la garde de la très douce enfant et une grande multitude d’autres l’adorèrent et la révérèrent dans les bras de sainte Anne et ils lui firent une musique céleste (a), de manière que l’heureuse mère pouvait en entendre quelque chose ; et les mille anges désignés pour être les gardiens de la grande Reine se présentèrent à elle et se dédièrent pour leur ministère, et ce fut la première fois que la divine Souveraine les vit en forme corporelle avec les devises et l’habit que je dirai dans un autre chapitre, et l’enfant leur demanda de louer le Très-Haut avec elle et en son nom.
329. Au moment de la naissance de notre Princesse Marie, le Très-Haut envoya le saint Archange Gabriel pour annoncer aux saints Pères des Limbes cette nouvelle si joyeuse pour eux. Et l’ambassadeur céleste descendit aussitôt, éclairant cette profonde caverne et réjouissant les justes qui y étaient détenus. Il leur annonça comment le jour de la félicité éternelle commençait déjà à poindre, ainsi que la réparation du genre humain si désirée et si attendue des saints Pères et annoncée d’avance par les Prophètes, parce que celle qui devait être Mère du Messie promis était déjà née et qu’ils verraient bientôt le salut et la gloire du Très-Haut. Et le saint Prince leur donna connaissance des excellences de la très sainte Marie et de ce que la main du Tout-Puissant avait déjà commencé à opérer en elle ; afin qu’ils connussent mieux l’heureux commencement du mystère qui donnerait fin à leur prison prolongée : avec quoi tous ces Pères et ces Prophètes se réjouirent en esprit ainsi que les autres justes qui étaient dans les limbes, et par de nouveaux cantiques ils louèrent le Seigneur pour ce bienfait.
330. Tout ce que j’ai dit étant arrivé en un temps bien court dans lequel notre Reine vit la lumière du soleil matériel, elle connut par les sens ses parents naturels et d’autres créatures : ce qui fut le premier pas de sa vie dans le monde en naissant. Le puissant bras du Très-Haut commença à opérer en elle de nouvelles merveilles au-dessus de toute pensée des hommes, et la première et la plus étonnante fut d’envoyer d’innombrables anges pour porter au ciel empyrée l’Élue pour être Mère du Verbe éternel en corps et en âme pour ce que le Seigneur disposait. Les saints princes accomplirent ce commandement, recevant l’enfant des bras de sa mère sainte Anne, ils ordonnèrent une nouvelle et solennelle procession, portant la véritable Arche du nouveau Testament, afin qu’elle fût pendant quelque temps, non dans la maison d’Obédédom, mais dans le temple du souverain Roi des rois et Seigneur des seigneurs, où elle devait être ensuite colloquée éternellement. Et tel fut le second pas que fit la très sainte Marie dans sa vie, de ce monde au suprême ciel (b).
331. Qui pourra dignement exalter ce merveilleux prodige de la droite du Tout-Puissant ? Qui dira la joie et l’admiration des esprits célestes quand ils regardaient cette merveille si nouvelle entre toutes les œuvres du Très-Haut et qu’ils la célébraient par de nouveaux cantiques ! Là ils reconnurent et ils révérèrent leur Reine et leur Maîtresse, choisie pour être la Mère de celui qui devait être leur Chef et qui était la cause de la grâce et de la gloire qu’ils possédaient, puisqu’il les avait gagnées pour eux par ses mérites prévus dans l’acceptation divine. Mais dans l’évènement et les effets d’une faveur si étrange, quelle langue ou quelle pensée des mortels peut entrer dans le secret du cœur de cette Enfant si tendre ? Je le laisse à la piété catholique et beaucoup plus à ceux qui le connaîtront dans le Seigneur, et quand nous arriverons par sa miséricorde infinie à jouir de lui face à face.
332. Marie enfant entra dans le ciel empyrée entre les mains des anges et prosternée par l’affection en la présence du trône royal du Très-Haut ; il arriva là, à notre manière de concevoir, la vérité de ce qui s’était fait auparavant en figure quand Bethsabée entra 296 en présence de son fils Salomon qui jugeait de son trône le peuple d’Israël ; il se leva pour recevoir sa mère, il l’exalta et l’honora en lui donnant un siège de reine à son côté. La personne du Verbe Éternel fit la même chose plus glorieusement et plus admirablement avec l’enfant Marie qu’il avait choisie pour Mère ; il la reçut dans son trône, et il lui donna la possession de sa Mère et de Reine de toutes les créatures, quoiqu’elle fût ignorante de sa propre dignité et de la fin de ces mystères et de ces faveurs si admirables ; mais, pour les recevoir, ses faibles forces furent confortées par la vertu divine. De nouvelles grâces et de nouveaux dons lui furent accordés avec lesquels ses puissances furent élevées respectivement ; et quant aux puissances intérieures, outre cette nouvelle grâce et cette nouvelle lumière par lesquelles elles furent préparées, Dieu les éleva et les proportionna avec l’objet qui devait leur être manifesté, et en lui donnant la lumière nécessaire, il dévoila sa Divinité et il la lui manifesta intuitivement et clairement dans un degré très sublime ; ce fut la première fois que l’âme de Marie vit la bienheureuse Trinité d’une vision claire et béatifique (c).
333. Seul l’Auteur d’un miracle aussi inouï et les anges dans l’admiration, qui connaissaient quelque chose de ce mystère, furent témoins de la gloire que l’Enfant eut dans cette vision, des sacrements qui lui furent révélés de nouveau et des effets qui rejaillirent dans son âme très pure. Et la Reine étant à la droite du Seigneur qui devait être son Fils et le voyant face à face, demanda plus heureusement que Bethsabée 297 de donner l’intacte Sunamite Abisag, qui était sa Divinité inaccessible, à la nature humaine sa propre sœur, et d’accomplir sa parole en descendant du ciel dans le monde et en célébrant le mariage de l’union hypostatique dans la personne du Verbe, puisqu’il avait tant de fois engagé cette parole avec les hommes par le moyen des Patriarches et des Prophètes anciens. Elle lui demanda de hâter le remède du genre humain qu’il attendait depuis tant de siècles, pendant que les péchés et les pertes des âmes se multipliaient. Le Très-Haut écouta cette prière qui lui était si agréable, et il promit à sa Mère, mieux que Salomon à la sienne, qu’il dégagerait bientôt ses promesses et qu’il descendrait au monde, prenant chair humaine pour la racheter.
334. Il fut déterminé dans ce consistoire et ce tribunal divin de donner un nom à l’Enfant Reine ; et comme aucun n’est légitime et propre, sinon celui qui est imposé dans l’Être Immuable de Dieu qui est le lieu où toutes les choses se dispensent et s’ordonnent avec équité, poids et mesure et une sagesse infinie, Sa Majesté voulut le lui imposer et le lui donner lui-même dans le ciel ; où il fut manifesté aux esprits angéliques que les trois divines Personnes avaient décrété et formé les très doux noms de Jésus et Marie pour le Fils et la Mère, de ab initio ante sæcula, et que dans toutes les éternités, elles s’étaient complu en eux et elles les avaient tenus gravés dans leur mémoire éternelle et présents dans toutes les choses auxquelles elles avaient donné l’être ; parce qu’elles les créaient pour leur service. Et connaissant ces choses et beaucoup d’autres mystères, les Anges entendirent une voix du trône qui disait dans la personne du Père Éternel : « Notre Élue doit s’appeler Marie, et ce nom doit être merveilleux et magnifique, ceux qui l’invoqueront avec une dévote affection recevront de très grandes grâces. Ceux qui l’estimeront et le prononceront avec respect seront consolés et vivifiés et tous trouveront en lui le remède à leurs maux, des trésors pour s’enrichir, une lumière pour les diriger vers la vie éternelle. Il sera terrible contre l’enfer, il écrasera la tête du serpent et il remportera d’insignes victoires sur les princes des ténèbres. » Le Seigneur commanda aux esprits angéliques d’annoncer ce nom à sainte Anne, afin que fût opéré sur la terre ce qui était confirmé dans le ciel. La divine Enfant, prosternée par l’affection devant le trône, rendit de reconnaissantes et humbles actions de grâces à l’Être éternel et elle reçut son nom avec des cantiques très doux et très admirables. Et s’il fallait écrire les prérogatives et les grâces qui lui furent accordées, il serait nécessaire de faire à part un livre de plusieurs volumes. Les saints Anges adorèrent, et reconnurent de nouveau dans le trône du Très-Haut la Très sainte Marie pour Mère future du Verbe, leur Reine et leur Maîtresse ; et ils vénérèrent son nom en se prosternant à la prononciation qu’en fit la voix du Père Éternel qui sortait du trône, et particulièrement ceux qui l’avaient pour devise sur la poitrine ; et ils firent tous des cantiques de louange pour des mystères si cachés et si magnifiques ; la Reine enfant ignorait toujours la cause de tout ce qu’elle connaissait, parce que la dignité de Mère du Verbe Incarné ne lui fut point manifestée jusqu’au temps de l’Incarnation. Et les anges revinrent avec la même jubilation et la même révérence la poser dans les bras de sainte Anne à qui cet évènement fut caché aussi bien que le manque ou l’absence de sa fille ; car l’un des anges de sa garde y suppléa, prenant un corps aérien pour cet effet. Et outre cela, pendant presque tout le temps que la divine Enfant fut dans le ciel empyrée, sa mère Anne eut une extase de contemplation très sublime dans laquelle, bien qu’elle ignorât ce qui se passait pour sa fille, il lui fut manifesté de grands mystères de la dignité de Mère de Dieu pour laquelle elle était choisie. Et la prudente Dame les garda toujours dans son cœur, les ayant présents à l’esprit en tout ce qu’elle devait opérer à son égard.
335. Le huitième jour après la naissance de la grande Reine, une multitude d’anges très beaux et très majestueux descendirent des hauteurs, et ils portaient un écusson dans lequel était gravé le nom de Marie tout brillant et resplendissant ; ils se manifestèrent tous à l’heureuse mère Anne et ils lui dirent : que le nom de sa petite fille était MARIE qu’ils portaient là, car la divine Providence le lui avait donné et elle lui ordonnait ainsi qu’à Joachim de le lui imposer aussitôt. La sainte l’appela et ils conférèrent de la volonté de Dieu pour donner un nom à leur fille et le père plus que fortuné reçut le nom avec jubilation et une dévote affection. Ils déterminèrent de convoquer leurs parents et un prêtre ; et ils imposèrent le nom de Marie à l’Enfant nouveau-née avec un festin somptueux et beaucoup de solennité ; et les anges le célébrèrent par une musique très douce et très grandiose que la mère et la très sainte Enfant seules entendirent ; ainsi notre très divine Princesse demeura avec ce nom, la très sainte Trinité le lui donnant dans le ciel le jour qu’elle naquit et sur la terre huit jours après. Il fut écrit dans le registre des autres quand sa mère sortit au temple pour accomplir la loi, comme on le dira. Tel fut le nouvel enfantement que le monde n’avait jamais vu jusqu’alors et il ne peut y en avoir de semblable en une pure créature. Tel fut l’enfantement le plus heureux que la nature put connaître, puisqu’il y eut une Enfant dont la vie d’un jour fut non seulement nette des immondices du péché, mais plus pure et plus sainte que les suprêmes séraphins. La naissance de Moïse fut célébrée pour la beauté et l’élégance de l’enfant ; mais tout était apparent et corruptible. Oh ! que notre grande Enfant est belle ! Qu’elle est belle ! Elle est toute belle et très suave dans ses délices, parce qu’elle a toutes les grâces et les beautés sans qu’il lui en manque aucune. La naissance d’Isaac promis et conçu d’une mère stérile fut le ris et l’allégresse 298 de la maison d’Abraham ; mais cette naissance n’eut pas plus de grandeur que celle qui était participée et dérivée de notre Reine enfant à qui se rapportait toute cette allégresse extraordinaire. Et si cet enfantement fut admirable et causa tant de joie dans la famille du patriarche, parce qu’elle était comme l’exorde de la naissance de la très douce Marie, en celle-ci le ciel et la terre doivent se réjouir puisque naît celle qui doit restaurer la ruine du ciel et sanctifier le monde. Lorsque Noé naquit 299, Lamech son père se consola, parce que c’était sur la tête de ce fils que Dieu assurait la conservation du genre humain par l’arche et la restauration de ses bénédictions déméritées par les péchés des hommes : mais tout cela se fit parce que naquit cette Enfant qui devait être véritable Réparatrice, étant conjointement l’Arche mystique qui conserva le nouveau et véritable Noé, et qui l’attira du ciel pour remplir de bénédictions tous les habitants de la terre. Ô heureux enfantement ! Ô heureuse Nativité ! qui êtes pour la Trinité bienheureuse la plus grande complaisance de tous les siècles passés, la joie des anges, la consolation des pécheurs, l’allégresse des justes et la consolation singulière des saints qui l’attendent dans les limbes ! ! !
336. Ô précieuse et riche marguerite qui sortez au soleil enfermée dans la grossière coquille de ce monde ! Ô grande enfant ! que si les yeux terrestres t’aperçoivent à peine à la lumière matérielle, aux yeux du Suprême Roi et de ses courtisans, tu excèdes en dignité et en grandeur tout ce qui n’est pas le même Dieu ! Que toutes les générations te bénissent, que toutes les nations reconnaissent et louent ta grâce et ta beauté. Que la terre soit illustrée par cette Nativité ; que la terre se réjouisse parce que sa Réparatrice est née, Celle qui remplira le vide qui fut causé par le premier péché. Que votre volonté envers moi qui suis une très vile poussière soit bénie et exaltée. Et si vous me donnez permission, ô ma Souveraine, de parler en votre présence, je vous proposerai un doute qui m’est venu dans ce mystère de votre sainte Nativité, sur ce que le Très-Haut fit envers vous, à l’heure où il vous plaça à cette lumière matérielle du soleil.
337. Et le doute est : comment on comprendra que vous avez été élevée en corps par les mains des saints anges jusqu’au ciel empyrée et à la vue de la Divinité ? Puisque selon la doctrine de la sainte Église et de ses docteurs, le ciel fut fermé et comme interdit aux hommes, jusqu’à ce que votre très saint Fils l’ouvrît par sa vie et sa mort et qu’il y entrât comme Rédempteur et comme Chef, lorsqu’il monta ressuscité le jour de son admirable Ascension, étant le premier pour qui ces portes éternelles, fermées par le péché, s’ouvrirent.
Réponse et doctrine de la Reine du Ciel.
338. Ma très chère fille, il est vrai que la justice divine ferma le ciel aux mortels à cause du premier péché, jusqu’à ce que mon très saint Fils l’ouvrît en satisfaisant surabondamment pour les hommes par sa vie et sa mort. Et ainsi il fut juste et convenable que le même Réparateur, qui comme Chef s’était uni à lui-même les membres rachetés et qui leur ouvrait le ciel, y entrât avant les autres enfants d’Adam. Et si celui-ci n’avait point péché, il n’aurait pas été nécessaire de garder cet ordre pour permettre aux hommes de monter au ciel empyrée y jouir de la Divinité ; mais vu la chute du genre humain, la bienheureuse Trinité détermina ce qui s’exécute et s’accomplit maintenant. Et ce grand mystère fut celui que David renferma dans le psaume XIII, lorsque parlant aux esprits célestes, il dit deux fois : Princes, ouvrez vos portes ; et levez-vous, portes éternelles, et le Roi de la gloire entrera. Il dit aux anges que c’était leurs portes, car elles étaient ouvertes seulement pour eux, et pour les hommes mortels elles étaient fermées. Et quoique ces courtisans du ciel n’ignorassent point que le Verbe fait chair leur avait déjà ôté les cadenas et les serrures du péché, et qu’il montait riche et glorieux avec les dépouilles de la mort et du péché, étrennant le fruit de sa passion dans la gloire des saints pères des limbes qu’il emmenait en sa compagnie, néanmoins les saints anges sont introduits comme dans l’admiration et l’étonnement de cette merveilleuse nouveauté, demandant : Qui est ce Roi de gloire étant homme et de la nature de celui qui perdit pour lui-même et pour toute sa race le droit de monter au ciel ?
339. Ils répondirent eux-mêmes au doute en disant : Que c’est le Seigneur fort et puissant dans les combats, le Seigneur des vertus, le Roi de la gloire. Ce qui montre qu’ils savaient bien que cet homme qui venait au monde pour ouvrir les portes éternelles n’était pas seulement homme et n’était pas compris dans la loi du péché ; qu’au contraire c’était un Homme-Dieu véritable, fort et puissant dans le combat, qu’il avait vaincu le fort armé 300 qui régnait dans le monde et l’avait dépouillé de son royaume et de ses armes. Et c’était le Seigneur des vertus parce qu’il les avait pratiquées comme Seigneur, avec empire et sans contradiction du péché et de ses effets. Et comme Seigneur de la vertu et Roi de gloire, il venait triomphant et distribuant les vertus et la gloire à ses rachetés, pour qui il avait souffert, et il était mort en tant qu’homme, et en tant que Dieu, il les élevait à l’éternité de la vision béatifique, ayant rompu les serrures éternelles et les empêchements que leur avait mis le péché.
340. Voici, ô âme, ce que fit mon Fils chéri, Dieu et Homme véritable, et comme Seigneur des vertus et des grâces il m’éleva et il m’en orna dès le premier instant de mon Immaculée Conception, et comme l’obstacle du premier péché ne me regardait pas, je n’eus pas l’empêchement des autres mortels pour entrer dans ces portes éternelles du ciel ; au contraire le puissant bras de mon Fils fit à mon égard comme envers la Maîtresse des vertus et la Reine du ciel. Et parce que je devais le vêtir et le faire homme, de ma chair et de mon sang, sa bonté voulut me prévenir d’avance et me faire sa semblable dans la pureté et l’exemption du péché et en d’autres dons et privilèges divins. Et comme je ne fus pas esclave du péché, je n’opérais pas les vertus comme y étant sujette ; mais comme Maîtresse, sans contradiction et avec empire ; non comme semblable aux enfants d’Adam, mais comme semblable au Fils de Dieu qui était aussi mon Fils.
341. Pour cette raison les esprits célestes m’ouvrirent les portes éternelles qu’ils tenaient comme leurs portes, reconnaissant que le Seigneur m’avait créée plus pure que tous les hauts anges du ciel et pour être leur Reine et la Maîtresse de toutes les créatures. Et sache, ma très chère, que celui qui fit la loi pût en dispenser sans contradiction, comme le suprême Seigneur et Législateur le fit envers moi, étendant la verge de sa clémence plus qu’Assuérus à l’égard d’Esther 301, afin que les lois communes des autres qui regardaient le péché ne s’étendissent point à moi qui devais être Mère de l’Auteur de la grâce. Et quoique pure créature je ne pusse pas mériter ces bienfaits, néanmoins la clémence et la bonté divines s’inclinèrent libéralement et me regardèrent comme humble servante, afin que je louasse éternellement l’Auteur de telles œuvres. Et toi, ma fille, je veux que tu l’exaltes et que tu le bénisses aussi pour elles.
342. La doctrine que je te donne maintenant est que puisque je t’ai choisie avec une bonté libérale pour ma disciple et ma compagne, étant pauvre et abandonnée comme tu l’es, travaille de toutes tes forces à m’imiter dans un exercice que je fis toute ma vie depuis que je naquis au monde sans l’omettre un seul jour, quelque occupation et quelque travail que j’eusse. Cet exercice était : que chaque jour en me levant, je me prosternais en présence du Très-Haut, je lui rendais grâces et je le louais pour son Être Immuable et ses perfections infinies et parce qu’il m’avait créée de rien ; et me reconnaissant créature et ouvrage de ses mains, je le bénissais et l’adorais, lui rendant honneur, magnificence et divinité comme à mon suprême Seigneur et Créateur et au Seigneur et Créateur de tout ce qui a l’être. J’élevais mon esprit et je le déposais entre ses mains, et avec une humilité et une résignation profondes, je m’offrais en elle et je lui demandais de faire de moi selon sa volonté en ce jour-là et en tous ceux qui me restaient de ma vie, et de m’enseigner ce qui serait de son plus grand agrément pour l’exécuter. Je répétais ceci plusieurs fois dans les œuvres extérieures de ce jour, et dans les intérieures je consultais d’abord Sa Majesté, et je lui demandais conseil, permission et bénédiction en toutes mes actions.
343. Tu seras très dévote à mon très doux nom. Et je veux que tu saches que les prérogatives et les grâces que le Très-Haut lui accorda furent telles que pour les avoir connues à la vue de la Divinité, je demeurai engagée et remplie de sollicitudes pour en rendre le retour ; de manière que chaque fois qu’il me revenait à la mémoire Marie, ce qui arrivait souvent, et quand je m’entendais nommer, mon affection était excitée à la reconnaissance et à entreprendre des entreprises ardues pour le service du Seigneur qui me le donna. Tu as le même nom, et je veux qu’il fasse en toi les mêmes effets respectivement et que tu m’imites avec ponctualité dans la doctrine de ce chapitre sans y manquer dès aujourd’hui pour aucune cause qui puisse survenir. Et si tu te négliges comme faible, reviens aussitôt et en la présence du Seigneur et la mienne, avoue ta faute, la reconnaissant avec douleur. Par cette sollicitude et en répétant plusieurs actes dans ce saint exercice, tu t’exempteras de beaucoup d’imperfections et tu t’accoutumeras au plus élevé des vertus et de l’agrément du Très-Haut, qui ne te refusera pas sa divine grâce pour le faire, si tu es attentive à sa lumière et à l’objet le plus agréable et le plus désiré de tes affections et des miennes, et qui consiste en ce que tu te livres tout entière à écouter ton Époux et ton Seigneur, à lui être attentive et à lui obéir ; car il veut de toi le plus pur, le plus saint et le plus parfait et que ta volonté soit prompte et officieuse pour l’exécuter.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. L’Évangile parle du chant des anges à la naissance du Sauveur ; les histoires ecclésiastiques et les vies des saints rapportent plusieurs faits semblables.
b. Saint Paul encore voyageur fut élevé en Paradis avec son âme et aussi avec son corps selon saint Thomas 2-2, q. 175, a. 5, et comme il l’écrit lui-même dans son épître aux Corinthiens, nul ne doit s’étonner que ce privilège fût accordé à Marie conçue sans péché.
c. On ne doit pas s’étonner si Marie encore voyageuse vit Dieu intuitivement, Moïse, même avant elle, l’ayant vu selon ce qu’affirme plusieurs saints docteurs. Saint Bernardin de Sienne confrontant Marie avec saint Paul écrit : « Elle fut ravie plus que saint Paul sans comparaison : parce que s’il y avait eu autant de Pauls qu’il y a de créatures, ils n’arriveraient pas à la hauteur de contemplation de Marie. Saint Paul fut le vase d’élection, Marie fut le vase de la Divinité.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE XXII
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Comment sainte Anne accomplit le commandement de la loi
de Moïse concernant son enfantement et comment
la petite Marie procédait dans son enfance.
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SOMMAIRE. – 344. Sainte Anne accomplit le précepte de la purification. – 345. Le prêtre reçoit l’enfant dans ses bras. – 346. Émotion du saint. – 347. Vœu de Sainte Anne. – 348. Prière de Marie. – 349. Lumière céleste. – 350. Hallucination de Lucifer. – 351. Comment Marie agissait à l’extérieur. – 352. Son sommeil. – 353. Doute au sujet de son enfance. – 354. Elle ne prenait que le pur nécessaire. – 355. Règles pour souffrir en paix. – 356. Sa joie quand il lui manquait quelque chose. – 357. Ne point garder de superflu. – 358. Instruction de la Très Sainte Vierge. – 359. Combien il est préjudiciable de se dispenser des règles.
344. Il y avait un précepte de la loi dans le chapitre XII du Lévitique (a) qui ordonnait que si la femme avait enfanté une fille, elle fut tenue pour impure pendant deux semaines et qu’elle demeurât dans la purification de l’enfantement soixante-dix jours, ce qui était le double du temps pour un garçon ; et tous les jours de sa purification étant accomplis, il lui était commandé d’offrir un agneau d’un an pour les filles ou pour les fils en holocauste, et un petit de colombe ou une tourterelle pour le péché, à la porte du tabernacle, le remettant au prêtre afin qu’il l’offrît au Seigneur et qu’il priât pour elle, et ainsi elle demeurait pure. L’enfantement de la très heureuse sainte Anne fut pur et net comme il convenait à sa divine fille, dont la pureté rejaillissait sur la mère. Et quoiqu’elle n’eût pas besoin de purification pour cette raison, néanmoins elle paya la dette à la loi en l’accomplissant ponctuellement, se tenant aux yeux des hommes comme impure, quoique cette très heureuse Mère fût libre des conditions que la loi commandait de purifier.
345. Les soixante jours de la purification étant passés, sainte Anne partit pour le temple, portant son esprit enflammé dans l’ardeur divine, et dans ses bras, sa fille, son enfant bénie : accompagnée d’innombrables anges, elle alla à la porte du tabernacle et elle parla au grand prêtre qui était saint Siméon (b), car il fut longtemps dans le temple et il reçut ce bienfait et cette faveur que ce fut en sa présence et par ses mains que Marie enfant fut offerte toutes les fois qu’elle fut présentée et offerte au Seigneur dans le temple ; le saint ne connut pas en toutes ces occasions la dignité de cette divine Souveraine, comme nous le dirons plus loin (c) ; néanmoins il eut toujours de grands mouvements et de grandes impulsions de son esprit que cette enfant était grande aux yeux de Dieu.
346. Sainte Anne lui offrit l’agneau et la tourterelle avec le reste qu’elle portait et, avec des larmes d’humilité, elle lui demanda de prier pour elle et pour sa fille, et pour que le Seigneur leur pardonnât si elles avaient quelque péché. Sa Majesté n’eut rien à pardonner ni dans la fille ni dans la mère, où la grâce était si abondante ; mais il eut à récompenser l’humilité avec laquelle étant très saintes elles se présentaient comme pécheresses. Le saint prêtre reçut l’oblation et il fut enflammé dans son esprit et mû d’une jubilation extraordinaire, et sans comprendre autre chose, ni manifester ce qu’il éprouvait, il dit au-dedans de lui-même : « Quelle est cette nouveauté que je sens ? Si par hasard ces femmes étaient parentes du Messie qui doit venir ? Et demeurant dans cette suspension et cette allégresse, il leur montra une grande bienveillance ; et la sainte mère Anne entra avec sa très sainte fille dans les bras et elle l’offrit au Seigneur avec des larmes de dévotion et de tendresse, étant seule dans le monde qui connaissait le trésor qui lui était donné en dépôt.
347. Sainte Anne renouvela les vœux qu’elle avait faits d’offrir au temple sa fille première-née lorsqu’elle serait à l’âge convenable, et dans ce renouvellement elle fut illustrée d’une grâce et d’une lumière nouvelles du Très-Haut, et elle sentit dans son cœur une voix qui lui disait d’accomplir ce vœu, de porter au temple et d’y offrir sa petite fille à l’âge de trois ans. Et cette voix fut comme l’écho de celle de la très sainte Reine qui toucha par son oraison le cœur de Dieu pour résonner dans celui de sa Mère ; car lorsqu’elles entrèrent toutes les deux dans le temple, la douce Enfant, voyant de ses yeux corporels sa grandeur et sa majesté dédiées au culte et à l’adoration de la Divinité, eut des effets admirables dans son esprit, et elle aurait voulu se prosterner dans le temple et en baiser la terre pour adorer le Seigneur. Mais ce qu’elle ne put faire en effet par les actions extérieures, elle le compensa par l’affection intérieure, et elle adora et bénit Dieu avec un amour plus sublime et une révérence plus profonde qu’aucune pure créature n’avait encore jamais pu le faire et ne le pourra jamais : et s’adressant au Seigneur dans son cœur elle lui fit cette prière :
348. « Ô Dieu très haut et incompréhensible, mon Roi et mon Seigneur, digne de toute gloire, de toute louange et de tout respect, moi, humble poussière, mais ouvrage de vos mains, je vous adore dans ce saint lieu, votre temple ; et je vous glorifie et vous exalte pour votre Être et vos perfections infinies, et je vous rends grâces autant que ma petitesse arrive à votre bonté, de ce que vous m’avez donné que mes yeux puissent voir ce saint temple, cette maison de prière où vos Prophètes et mes saints Pères vous ont loué et béni et où votre miséricorde libérale opéra envers eux tant de merveilles et de sacrements magnifiques. Recevez-moi, Seigneur, afin que je puisse vous y servir quand il sera de votre sainte volonté. »
349. Mais celle qui était Reine de tout l’univers fit cette offrande comme esclave du Seigneur ; et en témoignage que le Très-Haut l’acceptait, il vint du ciel une lumière très claire qui inonda sensiblement l’enfant et la mère ; les remplissant de nouvelles splendeurs de grâce. Et sainte Anne entendit de nouveau de présenter sa fille au temple à sa troisième année ; parce que l’agrément que le Seigneur devait recevoir de cette offrande ne permettait pas de plus longs délais, non plus que l’affection avec laquelle la divine Enfant le désirait. Les saints anges gardiens, et d’autres sans nombre qui assistèrent à cet acte, chantèrent de très douces louanges à l’Auteur de ces merveilles ; mais de toutes celles qui s’y succédèrent, personne n’en eut connaissance outre la très sainte fille et sa mère Anne, qui sentirent respectivement et extérieurement ce qui était spirituel ou sensible : saint Siméon connut seulement quelque chose de la lumière sensible. Et avec cela sainte Anne revint dans sa maison enrichie de son trésor et avec de nouveaux dons du Dieu très haut.
350. À la vue de toutes ces œuvres, l’antique serpent était altéré de tout savoir, mais le Seigneur lui cachait ce qu’il ne devait pas comprendre et lui permettait ce qui convenait, afin que contredisant tout ce qu’il voulait détruire, il vint à servir comme d’instrument dans l’exécution des jugements cachés du Très-Haut. Cet ennemi faisait beaucoup de conjectures sur les nouveautés qu’il connaissait dans la fille et la Mère. Mais comme il vit qu’elles portaient une offrande au temple et qu’elles observaient comme pécheresses ce qui était ordonné par la loi, demandant au prêtre de prier pour elles afin qu’elles fussent pardonnées, avec cela fut trompée sa fureur et il s’apaisa, croyant que cette mère et cette Enfant étaient sous son empire comme les autres femmes et qu’elles étaient toutes d’une même condition, quoique celles-ci fussent plus saintes et plus parfaites que les autres.
351. L’Enfant Souveraine était traitée comme les autres enfants de son âge. Sa nourriture était la nourriture usuelle, quoique très peu de chose selon la quantité ; il en était de même du sommeil, quoiqu’on la disposât pour dormir. Mais elle n’était point incommode et elle ne pleurait jamais avec l’ennui que causent les autres enfants ; elle était extrêmement gracieuse et agréable. Elle dissimulait beaucoup néanmoins cette singularité en pleurant et en sanglotant souvent, quoique ce fût d’une manière de Reine et de Maîtresse se montrant telle à cet âge, et elle pleurait ainsi pour les péchés du monde et pour obtenir leur remède et la venue du Rédempteur des hommes. Elle avait d’ordinaire, même dans cette enfance, l’air joyeux mais sévère avec une majesté étrange, sans jamais admettre aucune action puérile, bien qu’elle reçut quelquefois certaines caresses ; mais celles qui n’étaient point de sa mère et pour cela moins mesurées, elle les modérait en ce qu’elles avaient d’imparfait par une vertu spéciale et la sévérité qu’elle montrait. La très prudente Mère Anne traitait l’Enfant avec un soin incomparable, avec des amabilités et des caresses : et son père Joachim l’aimait aussi, comme père et comme saint, quoiqu’il ignorât alors le mystère, et l’enfant se montrait très amoureuse envers son père, le reconnaissant pour père et si aimé de Dieu. Et quoiqu’elle reçut de lui plus de caresses que des autres, néanmoins dans le père et dans les autres, Dieu mit dès lors une révérence et une pudeur si extraordinaires pour celle qu’il avait choisie pour Mère, que même la candide affection et l’amour de son père étaient toujours très mesurés et tempérés dans les démonstrations sensibles.
352. La Reine enfant était en tout agréable, très parfaite et admirable. Et bien qu’elle passât dans l’enfance par les lois communes de la nature, néanmoins elles n’empêchèrent point la grâce ; et si elle dormait, elle ne cessait ni n’interrompait les actions intérieures de l’amour et d’autres qui ne dépendent point du sens extérieur. Et ce bienfait étant possible même à d’autres âmes à qui la puissance divine veut l’accorder, il est certain qu’envers celle qu’il avait choisie pour sa Mère et la Reine de tout l’univers, il devait faire pour elle des bienfaits au-dessus de tout autre et au-dessus de toute pensée des créatures. Dans le sommeil naturel, Dieu parla à Samuel 302 et à d’autres saints et prophètes, et il donna à plusieurs des songes 303 ou visions mystérieuses, car il importe peu à sa puissance d’illustrer l’entendement quand les sens extérieurs dorment par le sommeil naturel ou qu’ils sont suspendus par la force qui les ravit dans l’extase, puisqu’ils cessent en l’un et l’autre et, en dehors des sens, l’esprit écoute, prête attention et parle avec ses objets proportionnés (d). Cette loi fut perpétuelle dans la Reine depuis sa conception jusqu’à présent et pour toute l’éternité ; car son état de voyageuse n’eut point d’intervalle dans ces grâces comme les autres créatures (e). Quand elle était seule ou qu’on la posait pour dormir, comme son sommeil était si mesuré, elle conférait des mystères et des louanges du Très-Haut avec ses anges et elle jouissait des visions divines et des paroles de sa Majesté. Et parce que son entretien avec ses anges était si fréquent, je dirai dans le chapitre suivant leurs modes de se manifester à elle et quelque chose de leurs excellences.
353. Reine et Maîtresse du ciel, si vous écoutez mes ignorances, comme ma pieuse Mère et ma Maîtresse, sans vous offenser, je demanderai à votre bonté l’explication de quelques doutes qui se sont présentés à moi dans ce chapitre. Et si mon ignorance et mon audace passent à être une erreur, au lieu de me répondre, corrigez-moi, ô ma Maîtresse, avec votre bonté maternelle. Mon doute est celui-ci. Si vous sentiez dans cette enfance la nécessité et la faim que les autres enfants éprouvent par l’ordre naturel ? Et étant donné que vous souffriez ces peines, comment demandiez-vous l’aliment et le secours nécessaires, votre patience étant si admirable quand le pleur pour les autres enfants sert de langue et de parole ? J’ignore aussi si les conditions de cet âge étaient pénibles à votre Majesté ; que votre corps virginal fût emmailloté dans les langes ou démailloté, de vous donner la nourriture des enfants et d’autres choses que les enfants reçoivent sans l’usage de la raison pour les connaître, et à vous, Madame, rien n’était caché. Car il me semble presque impossible que dans la manière, le temps, la quantité ou en d’autres circonstances il n’y eut excès ou défaut, et je vous considère à l’âge d’enfant, grande dans la capacité pour donner à chaque chose la pondération qu’elle demande. Votre prudence céleste conservait une majesté et un maintien dignes ; votre âge, la nature et ses lois demandaient le nécessaire : vous ne le demandiez pas comme enfant en pleurant, ni comme grande en parlant, ils ne savaient pas votre jugement et ils ne vous traitaient pas selon l’état de la raison que vous aviez, et votre sainte mère ne savait pas tout ce qu’il vous fallait, ni quand et comment il vous le fallait : et elle ne pouvait pas non plus servir votre Majesté dans toutes les choses qui lui convenaient. Tout cela me cause de l’admiration et me donne le désir de savoir tous ces secrets.
Réponse et doctrine de la Reine du ciel.
354. Ma fille, je réponds volontiers à ton admiration. Il est vrai que j’eus la grâce et l’usage parfait de la raison dès le premier instant de ma Conception, comme je te l’ai démontré tant de fois, et je passai par les conditions de l’enfance comme les autres enfants, et je fus élevée selon l’ordre commun de tous. Je sentis la faim, la soif, le sommeil et les peines dans mon corps, et comme fille d’Adam je fus sujette à ces accidents, car il était juste que j’imitasse mon très saint Fils qui devait accepter de tels défauts et de telles peines afin de mériter ainsi, et je fus avec sa Majesté un exemple pour les mortels qui devaient l’imiter. Comme la grâce divine me gouvernait, j’usais de la nourriture et du sommeil avec poids et mesure en prenant moins que les autres, et seulement ce qui était précis pour le développement et la conservation de la vie et de la santé. Car le désordre dans ces choses est non seulement contraire à la vertu, mais contraire à la nature même qui s’altère et se détériore avec elles. À cause de mon tempérament et de ma mesure, je sentais plus la faim et la soif que les autres enfants, et ce manque d’aliment était plus dangereux en moi : mais si on ne me le donnait pas à temps ou si l’on excédait en cela, je le supportais en patience jusqu’à ce que je pusse opportunément le demander par quelque démonstration convenable. Je sentais moins le manque de sommeil, à cause de la liberté que j’avais, étant seule, de jouir de la vue des anges et de la conversation avec eux des mystères divins.
355. Il ne me causait pas de peine d’être opprimée et liée dans les langes, mais j’en avais plutôt beaucoup d’allégresse, à cause de la lumière que j’avais que le Verbe Incarné devait souffrir une mort très ignominieuse et qu’il devait être lié avec opprobres. Et quand j’étais seule, je me posais en forme de croix à cet âge et je priais à son imitation, parce que je savais que mon Bien-Aimé devait mourir en croix, bien que j’ignorasse alors que le Crucifié devait être mon Fils. Dans toutes les incommodités que je souffris depuis que je vins au monde, je fus soumise et joyeuse ; car jamais il ne s’éloigna de mon intérieur une considération que je veux que tu aies inviolable et perpétuelle en toi : c’est que tu pèses dans ton cœur et ton esprit les vérités très justes que je contemplais, afin que tu fasses le jugement de toutes choses sans erreur, donnant à chacune la valeur et le poids qui lui sont dus. Les enfants d’Adam sont ordinairement enveloppés dans cette erreur et cet aveuglement ; et je ne veux pas que toi, ma fille, tu le sois.
356. Aussitôt que je vins au monde et que je vis la lumière qui m’éclairait, je sentis les effets des éléments, les influences des planètes et des astres, la terre qui me recevait, l’aliment qui me sustentait et toutes les autres choses de la vie. Je rendis grâces à l’Auteur de tout, reconnaissant ses œuvres pour un bienfait qu’il me faisait et non pour une dette qu’il me devait. Et pour cela, quand quelque chose dont j’avais besoin venait à me manquer, je confessais sans trouble, mais avec allégresse, que l’on faisait à mon égard ce qui était raisonnable, parce que tout m’était donné par grâce sans le mériter, et qu’il aurait été de justice de m’en priver. Puis dis-moi, ô mon âme, si moi je disais cela, confessant une vérité que la raison humaine ne peut nier ni ignorer, où donc les mortels ont-ils le sens ? Ou quel jugement font-ils lorsque, quand il leur manque quelque chose de ce qu’ils désirent et qui par cas ne leur convient pas, ils s’attristent et se mettent en fureur les uns contre les autres et vont jusqu’à s’irriter contre Dieu même, comme s’ils recevaient de lui quelque tort ? Qu’ils se demandent à eux-mêmes quels trésors et quelles richesses ils possédaient avant de recevoir la vie ! Quels services ils ont rendus au Créateur pour qu’il la leur donnât ? Et si le néant ne peut rien gagner de plus que le néant, ni mériter l’être qui lui fut donné de rien, quelle obligation de justice y a-t-il de lui sustenter ce qui lui fut donné par grâce ? Quand Dieu le créa, ce ne fut pas un bienfait que sa Majesté se fit à elle-même ; mais au contraire, c’en fut un grand pour la créature, quant à l’être et à la fin qu’il a. Et si en recevant l’être, il contracta une dette que personne ne peut payer, qu’il dise quel droit il allègue maintenant, après avoir reçu l’être sans l’avoir mérité, pour qu’on lui donne la conservation après avoir tant de fois démérité de l’avoir ? Où est son contrat et son écrit de sécurité pour que rien ne lui manque ?
357. Et si le premier mouvement, la première opération fut un nouveau don et par là une nouvelle dette dont il fut engagé davantage, comment demander la seconde avec tant d’impatience ? Et si néanmoins la souveraine bonté du Créateur lui accorde gracieusement le nécessaire, pourquoi se troubler lorsque le superflu lui manque ? Ô ma fille ! quel désordre exécrable ! quel aveuglement odieux est celui des mortels ! Pour les choses que le Seigneur leur donne par grâce, ils ne remercient point et n’en rendent point de reconnaissance, et pour ce qu’il leur refuse en justice et en guise de grande miséricorde, ils s’inquiètent et s’enorgueillissent, et ils se le procurent par des moyens injustes et illicites et tombent dans le même dommage qui les suit. Par le seul premier péché que l’homme commet, en perdant Dieu, il perd en même temps l’amitié de toutes les créatures ; et si le même Seigneur ne les retenait point, elles se tourneraient toutes pour venger son injure, et elles refuseraient à l’homme les opérations et le service par lesquels elles lui donnent le soutien et la vie. Le ciel le priverait de sa lumière et de ses influences, le feu de sa chaleur, l’air lui refuserait la respiration, et toutes les autres choses feraient de même à leur manière, parce qu’en justice elles doivent le faire. Mais lors même que la terre lui refuserait ses fruits, les éléments leur température et leur correspondance ; et que les autres créatures s’armeraient 304 pour venger les irrévérences faites contre le Créateur, que l’homme ingrat et vil s’humilie alors et qu’il ne thésaurise point la colère du Seigneur pour le jour 305 certain du rendement de compte où cette accusation si formidable lui sera faite.
358. Et toi, ma fille, fuis une ingratitude si lourde, et reconnais avec humilité que tu as reçu par grâce l’être et la vie et que c’est par grâce que son Auteur te la conserve, et que tu reçois par grâce et sans aucun mérite de ta part tous les autres bienfaits ; et que recevant beaucoup et payant moins, tu t’en rends chaque jour moins digne, et qu’ainsi croissent les libéralités du Très-Haut et tes dettes. Je veux que cette considération soit continuelle en toi, afin que tu t’excites et que tu te portes à beaucoup d’actes de vertus. Et si les créatures irraisonnables te font défaut, je veux que tu te réjouisses dans le Seigneur et que tu rendes des actions de grâces à Sa Majesté, et à ces créatures des bénédictions, parce qu’elles obéissent à leur Créateur. Si les créatures raisonnables te persécutent, aime-les de tout cœur et estime-les comme des instruments de la justice divine, afin que de quelque côté il se donne pour satisfait de ce que tu lui dois. Embrasse les travaux, les adversités et les tribulations, et console-toi ; car outre que tu les as mérités par les péchés que tu as commis, ils sont l’ornement de ton âme et les joyaux très riches de ton Époux.
359. Telle sera la réponse à ton doute : et outre cela, je veux te donner l’instruction que je t’ai promise en tous les chapitres. Considère donc, ô âme, la ponctualité que ma très sainte Mère Anne mit à accomplir le précepte de la loi du Seigneur, à la Majesté duquel ce soin fut très agréable : et tu dois l’imiter en cela, gardant inviolablement tous et chacun des commandements de ta règle et de tes constitutions, car Dieu récompense libéralement cette fidélité et il se tient pour offensé des négligences qu’on commet en cela. Je fus conçue sans péché et il ne m’était pas nécessaire d’aller au prêtre pour être purifiée ; ma mère non plus n’en avait pas besoin car elle était très sainte : mais nous obéîmes avec humilité à la loi et par elle nous méritâmes de grands accroissements de vertus et de grâce. Le mépris des lois justes et les dispenses qu’on en prend à chaque pas ont perdu le culte et la crainte de Dieu et détruit et confondu le gouvernement humain. Garde-toi de te dispenser facilement, ni pour toi, ni pour les autres, des obligations de ta religion. Et lorsque la maladie ou quelque autre cause juste le permettra, que ce soit avec mesure et avec le conseil de ton confesseur, justifiant le fait avec Dieu et avec les hommes, et l’obéissance l’approuvant. Si tu te trouves fatiguée ou sans force, ne diminue pas aussitôt de ta rigueur ; car Dieu te donnera les forces selon ta foi. Ne te dispense jamais pour cause d’occupation ; que ce qui est moins serve et cède à ce qui est plus et les créatures au Créateur. Je t’avertis qu’à cause de ton office de supérieure tu auras moins d’excuses ; puisque dans l’observance des lois tu dois être la première pour l’exemple ; et pour toi il ne doit jamais y avoir de cause humaine suffisante pour te dispenser, bien que pour cause égale tu dispenses parfois tes sœurs et tes sujettes. Et sache, ma très chère, que je veux de toi le meilleur et le plus parfait, et pour cela cette rigueur est nécessaire, car l’observation des préceptes est une dette à Dieu et aux hommes. Et que personne ne pense qu’il suffit de satisfaire au Seigneur, si l’on ne paye pas la dette que l’on a envers le prochain, à qui l’on doit le bon exemple et de ne point lui donner sujet de véritable scandale. – Ô Reine et Maîtresse de toutes les créatures, je voudrais atteindre à la piété et à la vertu des esprits souverains, afin que cette partie inférieure qui alourdit 306 l’âme soit prompte pour accomplir cette doctrine céleste : je suis lourde et pesante par moi-même 307, mais avec votre intercession et la faveur de la grâce du Très-haut, je tâcherai, ô ma Souveraine, d’obéir à votre volonté et à la sienne avec promptitude et affection de cœur. Que votre intercession et votre refuge ne me manquent point, ni l’enseignement de votre doctrine très sainte et très sublime.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. Versets 5 et 6.
b. Fils du fameux docteur Hillel, comme l’écrivent le Galatino et le rabbin Moïse. Que Siméon ait été prêtre, plusieurs Pères l’assurent avec saint Jérôme. Voir A. Lapide.
c. Numéros 423, 710 et 742.
d. « Nous n’avons point trouvé, écrit ici le Père Séraphin, aucun auteur de mystique, pas même parmi les meilleurs, qui ait expliqué en si peu de paroles ce mystère dont l’explication fait suer les plus insignes théologiens. »
e. Voir Suarez in 3 p. q. 37, disp. 18, sect. 2.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE XXIII
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Des devises avec lesquelles les saints anges de la garde de
la très sainte Marie se manifestaient à elle
et de leurs perfections.
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SOMMAIRE. – 360. Outre les mille anges de sa garde, Marie en avait un grand nombre d’autres à ses ordres. – 361. Sa conversation la plus ordinaire était avec eux. – 362. Forme dans laquelle ils lui apparaissaient. – 363. Les insignes qu’ils portaient. – 364. Beauté de leurs devises. – 365. Leurs effets en Marie. – 366. Les soixante-dix séraphins. – 367. Sous quelle forme ils apparaissaient. – 368. Marie y découvrait des rayons de la Divinité. – 369. Sa communication avec eux. – 370. Les douze anges aux douze portes. – 371. Leurs formes pour apparaître et leur ministère. – 372. Les dix-huit autres anges. – 373. Ces mille anges étaient des plus hauts dans leurs chœurs. – 374. Ingratitude des hommes à l’égard du bienfait de Dieu d’avoir des anges gardiens. – 375. Amour et respect dus à nos anges gardiens. – 376. Attention à leurs inspirations.
360. J’ai déjà dit que ces Anges qui formaient la garde de Marie étaient au nombre de mille, et non pas seulement un comme pour toute autre personne particulière. Et en raison de la dignité de Marie, nous devons bien comprendre que ses mille anges la gardaient et l’assistaient avec une plus grande vigilance que tout autre ange garde l’âme qui lui est confiée. Et outre les mille qui formaient sa garde ordinaire et plus continuelle, il y avait beaucoup d’autres anges qui la servaient en diverses circonstances, spécialement après qu’elle eut conçu dans ses entrailles le Verbe divin fait chair. J’ai déjà dit aussi comment Dieu fit le dénombrement de ces mille Anges dans le principe de la création de tous, de la justification des bons et de la chute des mauvais, quand après l’objet de la Divinité qui leur fut proposé comme voyageurs, l’Humanité très sainte que le Verbe devait prendre et sa très pure Mère qu’ils devaient reconnaître pour supérieure leur furent proposés et manifestés.
361. Dans cette occasion, quand les apostats furent châtiés et les obéissants récompensés, le Seigneur gardant la due proportion dans sa très juste équité, j’ai dit : que dans la récompense accidentelle, il y eut quelque diversité entre les saints anges, selon les différentes affections qu’ils eurent pour les mystères du Verbe Incarné et de sa très pure Mère, qu’ils connurent selon leur ordre, avant et après la chute des mauvais anges. Et c’est à cette récompense accidentelle que se rapporte l’honneur d’avoir été choisis pour assister et servir la très sainte Marie et le Verbe fait chair, et la manière de se manifester dans la forme qu’ils prenaient quand ils apparaissaient visiblement à la Reine et qu’ils la servaient. C’est ce que je prétends déclarer dans ce chapitre, confessant mon incapacité ; parce qu’il est difficile de réduire en raisons et en termes de choses matérielles, les perfections et les opérations d’esprits intellectuels si sublimes. Mais si je laissais ce point dans le silence, j’omettrais dans l’Histoire de la Reine du ciel une grande partie de ses occupations les plus excellentes quand elle était voyageuse ; car après les œuvres qu’elle exerçait avec le Seigneur, son entretien le plus continuel était avec ses ministres les esprits angéliques ; et sans cette illustre partie, le discours de cette très sainte vie demeurerait défectueux.
362. Supposant tout ce que j’ai dit jusqu’à présent des chœurs, des hiérarchies et des différences de ces mille anges, je dirai ici la forme dans laquelle ils apparaissaient corporellement à leur Reine et leur Maîtresse, remettant les apparitions intellectuelles et imaginaires pour un autre chapitre, quand j’expliquerai les différentes manières de visions que son Altesse avait. Les neuf cents anges qui furent élus des neuf chœurs, cent de chacun, furent choisis parmi ceux qui conçurent plus d’estime, d’amour, de respect admirables pour la très sainte Marie. Et lorsqu’ils lui apparaissaient visiblement, ils avaient la forme d’un petit jeune homme, mais d’une beauté et d’une grâce extrêmes. Leur corps manifestait peu de terrestre ; parce qu’il était très pur et comme un cristal animé et baigné de gloire, à la manière des corps glorieux et resplendissants. À la beauté ils joignaient de la gravité, une proportion extrême et une aimable sévérité. Leur vêtement était mystérieux et brillant, mais comme s’il n’eût été que splendeur, semblable à un or très clair et très brillant, émaillé d’un assortiment de couleurs très fines, ce qui formait une variété très admirable et très belle à voir ; mais on distinguait néanmoins que cet ornement et cette forme visible n’était pas proportionnée au tact matériel et qu’on ne pouvait pas la toucher de la main, quoiqu’on pût la voir et l’approcher (a), comme la splendeur du soleil qui entre par une fenêtre en manifestant les atomes, celle de ces anges étant incomparablement plus vive et plus belle.
363. Joint à cela, ils portaient tous sur leurs têtes une couronne de fleurs très vives et très fines, émanant un parfum très suave, d’odeurs non terrestres, mais spiritualisées et douces. Ils avaient dans les mains des palmes tissées de variété et de beauté, signifiant les vertus et les couronnes que la très sainte Marie devait pratiquer et obtenir par tant de sainteté et de gloire : tout cela était comme en le lui présentant d’avance d’une façon dissimulée, quoique avec des affections de jubilation et d’allégresse. Ils portaient sur la poitrine certaines devises ou certains insignes, semblables en quelque manière aux devises sur les habits des Ordres militaires, mais c’était un chiffre qui disait : MARIE MÈRE DE DIEU ; et c’était pour ces saints princes un ornement de gloire et de beauté très grandes ; mais il ne fut manifesté à la Reine qu’au moment où elle conçut le Verbe Incarné.
364. Cette devise ou ce chiffre était admirable pour la vue à cause de l’extrême splendeur qu’il projetait, se distinguant au milieu de l’ornement resplendissant des anges : les aspects et les brillants variaient aussi, signifiant pour eux la différence des mystères et des excellences qui étaient renfermées dans cette sainte Cité de Dieu. Il contenait le plus sublime surnom et le titre de la plus sublime dignité qui put se trouver en une pure créature : MARIE MÈRE DE DIEU ; parce qu’avec ce chiffre ils honoraient davantage leur Reine et la nôtre ; et eux aussi, ils demeuraient honorés, étant signalés pour être siens, et récompensés comme ceux qui se distinguèrent dans la dévotion et la vénération qu’ils eurent pour celle qui fut digne d’être vénérée de toutes les créatures. Mille fois heureuses celles qui mériteront le singulier retour de Marie et de son très saint Fils.
365. Personne excepté elle-même ne peut expliquer les effets que ces saints princes et leur ornement produisaient en Marie, notre Souveraine. Ils lui manifestaient la grandeur de Dieu et de ses attributs, les bienfaits qu’il lui avait faits et qu’il lui faisait de l’avoir créée et élue, et de l’avoir enrichie et comblée de tant de dons du ciel et de trésors de la divine droite, avec quoi ils l’excitaient et l’enflammaient en de grands incendies d’amour de Dieu et de ses louanges ; et tout cela allait en croissant avec l’âge et les évènements, et ils se déployèrent beaucoup plus à mesure que l’Incarnation du Verbe s’opérait ; parce qu’ils lui expliquèrent le chiffre mystérieux de la poitrine caché jusqu’alors à son Altesse. Et dans une telle déclaration et en ce qui lui fut donné à entendre concernant sa dignité et son obligation envers Dieu, on ne peut se faire une idée quels furent le feu d’amour, l’humilité si profonde, les affections si tendres qui se réveillèrent dans ce cœur candide de la très sainte Marie, se reconnaissant inepte et non digne d’un sacrement si ineffable et de la dignité de Mère de Dieu.
366. Les soixante-dix Séraphins des plus rapprochés du trône qui assistaient la Reine furent de ceux qui se signalèrent davantage dans la dévotion et l’admiration pour l’union hypostatique des deux natures divine et humaine dans la personne du Verbe. Car étant plus voisins de Dieu par l’intelligence et l’affection, ils désirèrent spécialement que ce mystère fût opéré dans les entrailles d’une femme ; et à cette affection particulière et déterminée leur correspondit la récompense de la gloire essentielle et accidentelle. Et à cette dernière dont je parle appartient d’assister la Très Sainte Marie et de se trouver présents aux mystères qui furent opérés en elle.
367. Lorsque ces soixante-dix Séraphins se manifestaient à elle visiblement, la Reine les voyait dans la même forme qu’Isaïe les vit imaginairement, avec six ailes ; avec deux de ces ailes ils se couvraient la tête, signifiant par cette affection humble l’obscurité de leurs entendements pour pénétrer le mystère et le sacrement auquel ils servaient ; et que prosternés devant la majesté et la grandeur de leur Auteur ils les comprenaient et les croyaient (b) avec le voile de la science occulte qui leur était donnée et, pour cette science, ils exaltaient avec louange éternelle les incompréhensibles et saints jugements du Très-Haut. Avec deux autres ailes ils se couvraient les pieds, qui sont la partie inférieure qui touche à la terre, et ils signifiaient par là la même Dame, la Maîtresse du ciel, mais d’une nature humaine et terrestre ; et ils la couvraient en signe de vénération et qu’ils la tiennent comme suprême créature au-dessus de toutes, et en signe de sa dignité incompréhensible et de sa grandeur immédiate à Dieu même et au-dessus de tout entendement créé, car pour cela ils se couvraient aussi les pieds, signifiant que les plus élevés d’entre les séraphins ne peuvent donner de pas en comparaison de ceux de Marie et en comparaison de sa dignité et de son excellence.
368. Avec les deux ailes de la poitrine ils volaient ou ils les étendaient, donnant à entendre ainsi deux choses. L’une le mouvement incessant, le vol de l’amour de Dieu, de sa louange et de sa profonde révérence qu’ils lui attribuaient. L’autre était qu’ils découvraient à Marie l’intérieur de leurs cœurs, où dans leur être et leur opération, comme dans un miroir très clair, ils réverbéraient les rayons très purs de la Divinité, pendant qu’étant voyageuse, il n’était pas possible ni convenable qu’elle lui fut manifestée si continuellement en elle-même. Et c’est pour cela que la bienheureuse Trinité ordonna que sa Fille et son Épouse eût comme ministres les séraphins qui sont les créatures les plus immédiates à la Divinité, afin que cette grande Reine vît copiée comme dans des images vivantes ce qu’elle ne pouvait pas toujours voir dans son original.
369. De cette manière la divine Épouse jouissait du portrait de son Bien-Aimé en l’absence de voyageuse, se consumant tout entière dans la flamme de son saint amour, par la vue de ces princes enflammés et sublimes et les conférences qu’elle avait avec eux. Et la manière de communiquer avec eux, outre celle qui était sensible, était la même qu’ils gardent entre eux, les supérieurs illustrant les inférieurs dans leur ordre, comme je l’ai dit d’autres fois (c) ; car bien que la Reine du ciel fût leur supérieure et plus grande qu’eux tous dans la dignité et la grâce, néanmoins dans la nature, comme dit David, l’homme fut fait moindre que les Anges 308 ; et l’ordre commun d’illuminer et de recevoir ces influences divines suit la nature et non la grâce.
370. Les douze anges qui sont ceux des douze portes dont saint Jean parla dans le chapitre XXI de l’Apocalypse 309, comme je l’ai déjà dit (d), s’avancèrent dans l’affection et la louange de voir que Dieu s’incarnât pour être Maître et converser avec les hommes, et ensuite pour les racheter et leur ouvrir les portes du ciel par ses mérites, sa très sainte Mère étant Coadjutrice de cet admirable sacrement. Ces saints anges prêtèrent spécialement leur attention à ces œuvres si merveilleuses et aux voies que Dieu devait enseigner, afin que les hommes allassent à la vie éternelle, voies signifiées par les douze portes qui correspondent aux douze tribus. Le retour de cette dévotion singulière fut que Dieu signala ces saints anges comme témoins et secrétaires des mystères de la Rédemption et afin de coopérer avec cette même Reine du ciel dans le privilège d’être Mère de miséricorde et Médiatrice de ceux qui recourent à elle pour obtenir leur salut. Et pour cela j’ai dit (e) que son Altesse la Reine se sert spécialement de ces douze anges pour protéger, éclairer et défendre ses dévots dans leurs nécessités et en particulier pour sortir du péché, quand eux et la très sainte Marie sont invoqués.
371. Ces douze anges lui apparaissaient corporellement comme ceux que j’ai dits d’abord, sauf qu’ils portaient plusieurs couronnes et plusieurs palmes, comme réservées pour les dévots de cette Souveraine du ciel ; ils la servaient lui donnant singulièrement à connaître l’ineffable pitié du Seigneur envers le genre humain, la portant à le louer et à lui demander de l’exercer envers les hommes. Et en complément de cela son Altesse les envoyait avec ces pétitions au trône du Père Éternel ; et aussi pour inspirer et secourir les dévots qui l’invoquaient ou qu’elle voulait aider et protéger, comme il arriva ensuite plusieurs fois avec les saints Apôtres, qu’elle favorisait par le ministère des anges dans les travaux de la primitive Église ; et jusque aujourd’hui, ces douze anges exercent ce même office, assistant les dévots de leur Reine et la nôtre.
372. Les dix-huit anges restant pour le nombre de mille furent de ceux qui se signalèrent dans l’affection pour les travaux du Verbe Incarné, et pour cela leur récompense de gloire fut grande. Ces anges apparaissaient à la très sainte Marie avec une beauté admirable ; ils portaient pour ornement des devises de la Passion et d’autres mystères de la Rédemption ; ils avaient spécialement une croix sur la poitrine et une autre dans les bras, toutes les deux d’une beauté singulière et d’une splendeur rayonnante. Et la vue d’un habit si rare excitait dans la Reine une grande admiration, ainsi qu’un souvenir très tendre et des affections compatissantes de ce que le Rédempteur du monde devait souffrir, et à de fervents actes de reconnaissance et d’action de grâces des bienfaits que les hommes recevraient par les mystères de la Rédemption et le rachat de leur captivité. La grande Princesse se servait de ces anges pour les envoyer souvent à son très saint Fils avec des ambassades et des pétitions diverses pour le bien des âmes.
373. Sous ces formes et ces devises, j’ai déclaré quelque chose des perfections et des opérations de ces esprits célestes, mais d’une façon très limitée pour ce qu’ils contiennent en eux-mêmes ; car ce sont des rayons invisibles de la Divinité, très prompts dans leurs mouvements et leurs opérations, très puissants dans leur vertu, très parfaits dans leur entendement sans erreur, immuables dans leur état et dans leur volonté ; ce qu’ils apprennent une fois, ils ne l’oublient ni ne le perdent jamais de vue. Ils sont désormais remplis de grâce et de gloire sans danger de la perdre ; et parce qu’ils sont incorporels et invisibles, lorsque le Très-Haut veut faire aux hommes le bienfait de les voir, ils prennent un corps aérien et apparent, et proportionné aux sens et à la fin pour laquelle ils le prennent. Tous ces mille Anges de la Reine Marie étaient des plus élevés dans leurs ordres ou chœurs auxquels ils appartiennent ; et cette supériorité est principalement en grâce et en gloire. Ils assistèrent à la garde de cette Dame, sans manquer un seul moment dans sa très sainte vie ; et maintenant dans le ciel ils ont une joie spéciale et accidentelle de sa vie et de sa compagnie. Et quoique quelques-uns d’entre eux soient envoyés de préférence et d’ordinaire par sa volonté, néanmoins tous les mille servent aussi pour ce ministère en certaines occasions, selon la disposition divine.
Doctrine que me donna la Reine du ciel.
374. Ma fille, je veux te donner en trois documents la doctrine de ce chapitre. Le premier, que tu sois reconnaissante avec une louange et une gratitude éternelles pour le bienfait que Dieu t’a accordé en te donnant des anges pour t’assister, t’enseigner et te diriger dans tes tribulations et tes travaux. Les mortels ont d’ordinaire oublié ce bienfait par une ingratitude odieuse et une lourde grossièreté, ne considérant point la miséricorde et la bonté divines du Très-Haut d’avoir commandé à ces saints princes d’assister, de garder et de défendre d’autres créatures terrestres et remplies de misères et de péché, eux qui sont d’une nature supérieure et spirituelle et qui sont remplis de tant de gloire, de dignité et de beauté : et par cet oubli les hommes ingrats se privent de beaucoup de faveurs des mêmes anges et ils ont indigné le Seigneur ; mais toi, ma très chère, reconnais ton bienfait et fais en sorte d’y correspondre de toutes tes forces.
375. Le second document est que tu aies toujours et partout du respect pour ces esprits divins, comme si tu les voyais des yeux du corps, afin qu’avec cela tu vives sur tes gardes et dans la circonspection, comme ayant les courtisans du ciel présents, et ne te hasarde pas à faire en leur présence ce que tu ne ferais pas en public ; ne laisse point non plus d’opérer dans le service du Seigneur ce qu’ils font et ce qu’ils veulent de toi. Et pense qu’ils voient toujours la face de Dieu 310 comme compréhenseurs, et lorsqu’en même temps ils te regardent, il n’est pas juste qu’ils voient quelque chose indécente ; remercie-les de te garder, de te défendre et de te protéger.
376. Le troisième document est que tu vives attentive aux appels, aux avis et aux inspirations par lesquels ils t’excitent, te meuvent et t’illustrent pour diriger ton esprit et ton cœur avec le souvenir du Très-Haut et dans l’exercice de toutes les vertus. Considère combien de fois tu les appelles et ils te répondent, tu les cherches et les trouves ; combien de fois tu leur as demandé des signes de ton Bien-Aimé et ils t’en ont donné, et combien ils t’ont sollicitée à l’amour de ton Époux, ils t’ont reprise bénignement de tes négligences et de tes retards ; et quand par tes tentations et ta faiblesse tu as perdu la boussole de la lumière, ils t’ont attendue, soufferte et détrompée, te ramenant dans les droits chemins des justifications du Seigneur et à ses témoignages. N’oublie point, ô âme, tout ce que tu dois à Dieu dans ce bienfait des anges au-dessus de plusieurs nations et générations : travaille à être agréable au Seigneur et à ses anges, ses ministres.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. « La chose devait arriver, écrit le Père Séraphin, comme entre nous et l’arc-en-ciel. Notre vue en aperçoit toute la beauté et toutes les nuances de ces différentes couleurs ; mais cette beauté et cette variété admirable qui frappe l’œil est hors de la perception du toucher. »
b. Les mystères et sacrements dont parle la Vénérable sont ceux qui regardent l’Incarnation et qui s’opéraient en Marie ou par sa coopération, lesquels, quant à leurs circonstances spéciales, n’étaient point vus intuitivement dans le Verbe par les Séraphins ; mais ils leur étaient restés cachés. Ils donnèrent leur assentiment à la révélation qui leur en fut donnée pour la première fois par la force de l’autorité et du témoignage divin, c’est pourquoi la Vénérable dit qu’ils croyaient ces mystères. La Vénérable dit aussi qu’ils les comprenaient avec le voile de la science occulte, parce que c’étaient des choses cachées qui n’avaient point été manifestées aux anges dès le commencement de leur béatitude et dont la connaissance n’était pas donnée à tous en général, mais seulement à ceux qui devaient assister à ces mystères particuliers. Dès le premier moment de leur béatitude, les Anges virent en Dieu intuitivement le mystère de l’Incarnation en substance, mais non quant à toutes ses parties, causes, effets, modes, circonstances, et s’ils connurent ces circonstances non intuitivement mais par révélation divine, quoique déjà compréhenseurs ils le connurent par la lumière de la foi et leur assentiment fut un acte de foi. La vision intuitive de Dieu ne comporte pas la vision intuitive de tout ce qui est en Dieu, cela demanderait une intelligence infinie comme la science divine elle-même.
c. No. 202.
d. No. 272.
e. No. 273.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE XXIV
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Des exercices et des saintes occupations de la Reine du ciel
dans la première année et demie de son enfance.
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SOMMAIRE. – 377. Le silence de Marie. – 378. Elle ne parlait qu’avec Dieu et ses anges. – 379. Ses opérations très parfaites. – 380. Elle parlait de son Bien-Aimé avec ses anges. – 381. Réponses des anges. – 382. Intensité de son amour. – 383. Son humilité et sa reconnaissance. – 384. Retour dû à Dieu. – 385. Excellence de la vertu du silence. – 386. Parler pour le nécessaire.
377. Le silence forcé dans les premières années des autres enfants, qui sont balbutiants et tardifs, parce qu’ils ne savent ni ne peuvent parler, fut une vertu héroïque dans notre Enfant Reine ; parce que si les paroles sont l’enfantement de l’esprit et des indices du raisonnement, et son Altesse l’eut très parfait dès sa conception, elle ne parla point dès sa naissance, non parce qu’elle ne le pouvait pas, mais parce qu’elle ne le voulait pas. Et quoique les forces naturelles manquent aux autres enfants pour ouvrir la bouche, mouvoir leur tendre langue et prononcer les paroles, néanmoins en Marie il n’y eut point ce défaut, tant parce qu’elle était plus robuste dans la nature que parce que ses propres puissances obéissaient, si elle les commandait, à l’empire et au domaine qu’elle avait sur toute chose. Mais ce fut une vertu et une grande perfection de ne point parler, cachant dûment sa science et sa grâce et évitant l’admiration qu’on aurait eue de voir parler une enfant nouveau-née. Et s’il y eut de l’admiration d’entendre parler celle qui naturellement devait être empêchée de le faire, je ne sais s’il ne fut pas plus admirable que celle qui pouvait parler en naissant se tût pendant un an et demi.
378. Ce fut un ordre du Très-Haut que notre Enfant et notre Maîtresse gardât ce silence pendant le temps que les enfants ne peuvent parler ordinairement. Elle se dispensa de cette loi seulement avec les anges de sa garde et lorsqu’elle priait vocalement le Seigneur étant seule ; car pour parler avec Dieu, auteur de ce bienfait, et avec les anges ses légats, lorsqu’ils s’entretenaient corporellement avec l’Enfant, il n’y avait pas la même raison de se taire qu’avec les hommes ; au contraire, il convenait qu’elle priât de bouche, puisqu’elle n’avait point d’empêchement dans cette puissance, et, n’en ayant point, celle-ci ne devait point rester oisive si longtemps. Cependant sa mère sainte Anne ne l’entendit jamais et elle ne connut pas qu’elle pouvait parler à cet âge ; et avec cela on comprend mieux quelle vertu ce fut de ne point le faire dans cette année et demie de son enfance. Mais dans ce temps, lorsqu’il parut opportun à sa mère, elle délia les mains et les bras à Marie enfant, et celle-ci prit aussitôt les mains de ses parents et elle les baisa avec une grande soumission et une humilité révérencielle ; et elle persévéra dans cette coutume tant qu’elle vécut avec ses saints parents. Et à cet âge elle faisait signe de la bénir au moyen de certaines démonstrations, leur parlant davantage au cœur, afin qu’ils le fissent, ce qu’elle ne voulait pas leur demander de bouche. La révérence dans laquelle elle les tenait fut si grande qu’elle n’y manqua jamais un seul moment ; elle ne manqua jamais non plus à leur obéir, et elle ne leur donnait aucune incommodité ni aucune peine, car elle connaissait leurs pensées et elle les prévenait par son obéissance.
379. Elle était gouvernée dans toutes ses actions et tous ses mouvements par l’Esprit-Saint avec qui elle opérait toujours le plus parfait ; mais en l’exécutant son très ardent amour ne se satisfaisait pas, car aussitôt ses ferventes affections se renouvelaient pour désirer des dons plus parfaits 311. Les révélations divines et les visions intellectuelles étaient très continuelles dans cette Reine enfant, le Très-Haut l’assistant toujours. Et lorsque parfois sa Providence interrompait un mode de visions ou intelligences, alors elle s’appliquait à d’autres ; parce que la claire vision de la Divinité que j’ai déjà dite et qui avait eu lieu lorsqu’elle naquit et qu’elle fut portée au ciel par les anges, lui avait laissé des espèces de ce qu’elle connût, et dès lors, comme elle sortit du cellier à vin sa charité ordonnée 312, son cœur demeura si blessé, que revenant à cette contemplation elle en était toute consumée ; et comme son corps était tendre et faible et l’amour fort comme la mort 313, elle arrivait à souffrir de grandes douleurs d’amour, desquelles, étant malade, elle serait morte, si le Très-Haut n’eût fortifié et conservé la partie inférieure et la vie naturelle. Mais le Seigneur donnait souvent lieu à ce que ce tendre et virginal petit corps allât jusqu’à défaillir beaucoup par la violence de l’amour, et alors les saints anges la soutenaient et la confortaient, accomplissant cette parole de l’Épouse : Fulcite me floribus, quia amore langueo ; soutenez-moi avec des fleurs, car je languis d’amour. Et ceci fut un très noble genre de martyre répété des milliers de fois en cette divine Souveraine par lequel elle surpassa tous les martyrs dans le mérite et même dans la douleur.
380. La peine de l’amour est si douce et si désirable que plus la cause qu’elle a est grande et plus celui qui la souffre désire qu’on lui parle de ce qu’il aime, prétendant guérir la blessure en la renouvelant. Et cette très douce tromperie entretient l’âme entre une pénible vie et une douce mort. Ceci arrivait à la petite Marie avec ses anges, car elle leur parlait de son Bien-Aimé et ils lui répondaient. Elle les interrogeait souvent et elle leur disait : « Ministres de mon Seigneur et ses messagers, très beaux ouvrages de ses mains, étincelles de ce feu divin qui incendie mon cœur, puisque vous goûtez de sa beauté éternelle sans ombre ni voile, dites-moi les signes de mon Bien-Aimé, quelles sont les qualités de mon Bien-Aimé. Avertissez-moi si jamais je lui déplaisais, informez-moi de ce qu’il désire et de ce qu’il veut de moi, et ne tardez pas à alléger ma peine car je défaille d’amour. »
381. Les esprits célestes lui répondaient : « Épouse du Très-Haut, votre Bien-Aimé est unique, il est le seul qui a l’être par soi ; il n’a besoin de personne et tous ont besoin de lui. Il est infini en perfection, immense dans la grandeur, sans bornes dans la puissance, sans terme dans la sagesse, sans mode dans la bonté ; c’est lui qui donne principe à toutes les choses créées, sans avoir lui-même de principe, c’est lui qui gouverne l’univers sans fatigue, lui qui le conserve sans en avoir besoin ; lui qui revêt de beauté toutes les créatures et personne ne peut comprendre la sienne qui rend bienheureux ceux qui arrivent à le voir face à face. Elles sont infinies, ô notre Souveraine, les perfections de votre Époux, elles dépassent notre intelligence, et ses sublimes jugements sont insondables pour la créature. »
382. Dans ces colloques et beaucoup d’autres que toute notre capacité ne peut atteindre, la très sainte Enfant Marie s’entretenait avec ses anges et avec le Très-Haut en qui elle était transformée (a). Et comme il était conséquent qu’elle crût dans la ferveur et les anxiétés de voir le Souverain Bien qu’elle aimait au-dessus de toute pensée, elle était souvent portée corporellement, par la volonté du Seigneur et les mains de ses anges, au ciel empyrée où elle jouissait de la présence de la Divinité ; cependant, lorsqu’elle était élevée au ciel, elle la voyait parfois clairement (b) et d’autres fois seulement par des espèces infuses, mais très claires et très sublimes dans ce genre de vision. Elle connaissait aussi clairement et intimement les anges, leurs degrés, leurs chœurs et leurs hiérarchies, et elle entendait d’autres grands sacrements dans ce bienfait. Tellement que, lui étant si souvent répétée, elle vint à acquérir par l’usage qu’elle en faisait et les actes qu’elle exerçait, une habitude d’amour si intense et si robuste qu’elle paraissait une créature plus divine qu’humaine. Et aucune autre ne pouvait être capable de ce bienfait (c) avec proportion, ni des autres dont il était accompagné ; et la nature mortelle de la Reine elle-même ne pouvait les recevoir sans mourir si elle n’eût été conservée par miracle.
383. Lorsqu’il était nécessaire dans cette enfance de recevoir quelque service et quelque bienfait de ses saints parents, ou de quelque autre créature, elle demandait au Seigneur de les récompenser pour ce bien qu’ils lui faisaient pour son amour. Et dans ce degré de sainteté si sublime et remplie de la divine lumière du Seigneur et de ses mystères, elle se jugeait la moindre des créatures, et en leur comparaison, elle se mettait dans sa propre estime à la dernière place de toutes ; elle se réputait indigne de tout jusque de l’aliment pour la vie naturelle, elle qui était Reine et Maîtresse de tout l’univers.
Doctrine de la Reine du ciel.
384. Ma fille, celui qui reçoit plus doit s’estimer plus pauvre, parce que sa dette est plus grande : et si tous doivent s’humilier parce que d’eux-mêmes ils ne sont et ils n’ont rien et ils ne peuvent rien ; pour cette raison celui-là doit s’abaisser plus bas que la terre, parce que n’étant que poussière il a été élevé par la main puissante du Très-Haut, puisque demeurant par soi et en soi sans être rien ni valoir rien, il se trouve plus endetté et plus obligé de ce qu’il ne peut satisfaire par lui-même. Que la créature connaisse ce qu’elle est d’elle-même ; puisque personne ne pourra jamais dire : Je me suis fait moi-même, je me conserve par moi-même, je peux prolonger ma vie et détourner la mort. Tout l’être et la conservation dépendent de la main du Seigneur ; que la créature s’humilie donc en sa présence et toi, ma très chère, n’oublie pas ces enseignements.
385. Je veux aussi que tu apprécies comme un grand trésor la vertu du silence, que je commençai à garder dès ma naissance ; parce que je connus dans le Très-Haut toutes les vertus avec les lumières que je reçus de sa puissante main, et je m’attachai à celle-ci avec une grande affection, me proposant de l’avoir pour compagne et amie durant toute ma vie ; et ainsi je la gardai avec une inviolable circonspection, bien que je pusse parler dès que je vins au monde. Et parler sans mesure et sans poids, c’est un couteau à deux tranchants (d) qui blesse celui qui parle et en même temps celui qui écoute, et les deux détruisent ou empêchent la charité et toutes les vertus. Et de là tu comprendras combien Dieu est offensé par le vice d’une langue sans règle et sans frein, et avec combien de justice il éloigne son esprit et il cache sa face de la loquacité, du tumulte et des conversations (e) où en parlant beaucoup, on ne peut éviter de graves péchés 314. On ne peut parler avec sécurité qu’avec Dieu et ses saints, et même ce doit être avec poids et discrétion (f). Mais avec les créatures il est très difficile de conserver le milieu parfait, sans passer de ce qui est juste et nécessaire à ce qui est injuste et superflu.
386. Le remède qui te préservera de tout péril est de demeurer toujours plus proche de l’extrême contraire, excédant dans le soin de se taire, parce que le milieu prudent de parler pour le nécessaire se trouve plus proche de se taire beaucoup que de parler trop. Souviens-toi, ô âme, que tu ne peux aller après les conversations volontaires des créatures sans quitter Dieu dans ton intérieur et ton secret ; et ce que tu ne ferais pas envers une créature sans honte et sans une note de grossièreté, tu ne dois pas non plus le faire envers ton Seigneur et le Seigneur de tous. Éloigne tes oreilles des fables trompeuses qui peuvent t’obliger à dire ce que tu ne dois pas ; puisqu’il n’est pas juste que tu parles plus que ce que te commande ton Maître et ton Seigneur, écoute sa sainte loi qu’il a écrite dans ton cœur avec une main libérale ; tu y entendras la voix de ton Pasteur, et là réponds-lui et seulement à lui. Et je veux te faire savoir que si tu veux être ma disciple et ma compagne, ce doit être en te signalant extrêmement dans cette vertu du silence. Tais-toi beaucoup et écris ce document dans ton cœur maintenant et affectionne-toi toujours davantage à cette vertu, car premièrement je veux de toi cette affection et ensuite je t’enseignerai comment tu dois parler.
387. Je ne veux pas te détourner de parler pour reprendre ou consoler tes filles et tes sujettes. Parle aussi avec ceux qui peuvent te donner des signes de ton Bien-Aimé et t’exciter et t’enflammer en son amour ; et dans ces entretiens tu acquerras le silence désiré, profitable à ton âme, puisque de là te viendra l’horreur et le dégoût des conversations humaines, et tu n’auras de goût que pour parler du Bien éternel que tu désires, et par la force de l’amour qui transformera ton être en ton Bien-Aimé, l’impétuosité des passions s’évanouira, et tu arriveras à éprouver quelque chose de ce doux martyre que je souffrais quand je me plaignais du corps et de la vie, parce que les liens qui retenaient mon vol me paraissaient durs, quoiqu’ils ne retinssent pas mon amour. Ô ma fille, oublie tout ce qui est terrestre dans le secret de ton silence et suis-moi de toute ta ferveur et de toutes tes forces, afin que tu arrives à l’état auquel ton Époux te convie et que tu entendes cette consolation qui m’entretenait dans ma douleur d’amour : Ma Colombe, dilate ton cœur et reçois, ma chérie, cette douce peine, car mon cœur est blessé de ton affection. Ainsi me disait le Seigneur, et tu l’as souvent entendu, parce que sa Majesté parle à celui qui est seul et silencieux.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. On ne doit pas s’étonner de cette expression : puisque saint Augustin même, ne trouvant point de comparaison adéquate dans les créatures à appliquer à Marie, l’appelle hardiment Forma Dei, forme de Dieu.
b. Presque tous les scholastiques admettent que Marie eut le singulier privilège de voir Dieu intuitivement étant encore en vie. L’Abbé Rupert dit qu’elle eut cette faveur très souvent de préférence à saint Paul. Liv. 3 in Cant., c. 4, v. 1. – Saint Sophrone écrit qu’elle conversait avec les sénateurs du ciel dans la curie du Paradis. Serm. 2, de Ass. inter opera Doct. Hieron., tom. 9. – Et saint Bernard : « On doit croire que Jésus-Christ éleva fréquemment sa Mère à la montagne de la myrrhe et à la colline de l’encens ; qu’il la cacha dans son cellier à vin, et qu’il lui révéla sa gloire déifique et sa science supracéleste. » Serm. 2, de B. Virg.
c. Ce qui s’entend de puissance ordonnée.
d. Saint Bernard l’appela à trois tranchants, blessant celui qui parle, celui à qui l’on parle et ceux de qui l’on parle.
e. Le Seigneur dit à sainte Thérèse : Je parlerais à plusieurs âmes ; mais les créatures font tant de bruit autour d’elles que ma voix n’est pas écoutée.
f. Avec les supérieurs aussi, la trop grande loquacité est un indice ou de légèreté ou d’orgueil. Et Jésus-Christ a dit : Quand vous priez, ne dites pas tant de paroles.
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SANCTUS, SANCTUS, SANCTUS.
CHAPITRE XXV
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Comment la Très Sainte Marie commença à parler à un an
et demi, et ses occupations jusqu’à ce qu’elle
allât au Temple.
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SOMMAIRE. – 388. Faveur divine que Marie reçut avant de commencer à parler. – 389. Louanges au Seigneur. – 390. Dieu manifeste à Marie sa détermination d’envoyer son Fils au monde. – 391. Prière de Marie pour hâter l’Incarnation. – 392. Dieu lui déclare qu’il est temps de parler. – 393. Sa prière avant de rompre le silence. – 394. Sa crainte de parler. – 395. Complaisance de la très sainte Trinité. – 396. La première parole de Marie. – 397. Discours avec sa mère. – 398. Leurs entretiens au sujet de l’Incarnation du Verbe. – 399. Marie désirait travailler. – 400. Elle demande des habits pauvres. – 401. Obéissance de Marie. – 402. Ses premières mortifications. – 403. Sa charité envers les pauvres. – 404. Elle se laisse enseigner. – 405. Douleur de sainte Anne à la pensée de s’en séparer. – 406. Dieu déclare à Marie que le temps de se consacrer à lui s’approche. – 407. Dieu commande à Sainte Anne d’accomplir son vœu. – 408. Il le commande aussi à saint Joachim. – 409. Comment le Seigneur achemine les mortels vers leur fin. – 410. Secours de la grâce. – 411. Exhortation.
388. Arriva le temps que le saint silence de la très pure Marie allait être opportunément et parfaitement rompu et que la voix de cette tourterelle 315 divine, ambassadrice très fidèle du printemps de la grâce, allait être entendue en notre terre. Mais avant d’avoir permission du Seigneur de commencer à parler avec les hommes, ce qui fut aux dix-huit mois de sa tendre enfance, elle eut une vision intellectuelle de la Divinité, non intuitive, mais par espèces, lui renouvelant celles qu’elle avait reçues d’autres fois et lui augmentant les dons, les grâces et les bienfaits. Et dans cette vision divine il se passa entre l’enfant et le suprême Seigneur un très doux colloque que je me hasarde avec crainte à réduire en paroles.
389. La Reine dit à sa Majesté : « Très-Haut Seigneur et Dieu incompréhensible, comment favorisez-vous tant la créature la plus inutile et la plus pauvre ? Comment inclinez-vous votre grandeur avec une si aimable condescendance vers votre esclave insuffisante pour le retour ? Le Très-Haut regarde la servante ! Le Puissant enrichit la pauvresse ! Le Saint des saints s’incline vers la poussière ! Moi, Seigneur, je suis petite entre toutes les créatures ; je suis celle qui mérite le moins vos faveurs ; que ferai-je en votre divine présence ? Avec quoi donnerai-je la rétribution de ce que je vous dois ? Qu’ai-je, Seigneur, qui ne soit vôtre si vous m’avez donné l’être, la vie et le mouvement 316 ? Mais je me réjouirai, mon Bien-Aimé, de ce que vous avez tout bien et de ce que la créature n’a rien hors de vous-même, et de ce que c’est votre coutume et votre gloire d’élever celui qui est le moindre, de favoriser le plus inutile, et de donner l’être à qui ne l’a pas, afin que votre magnificence soit ainsi plus connue et plus exaltée. »
390. Le Seigneur lui répondit et lui dit : « Ma Colombe et ma Bien-Aimée, tu as trouvé grâce à mes yeux, tu es suave, mon Amie et mon Élue dans mes délices. Je veux te manifester ce qui sera de ma volonté et de mon plus grand agrément en toi. » Ces paroles blessaient de nouveau le cœur très tendre et très robuste de l’Enfant Reine et il défaillait par la force de l’amour ; et le Seigneur charmé poursuivit et dit : « Je suis le Dieu des miséricordes et j’aime les mortels d’un immense amour, et parmi le très grand nombre de ceux qui m’ont désobligé par leurs péchés, j’ai quelques justes et amis qui m’ont servi et qui me servent de cœur. J’ai déterminé de les sauver en leur envoyant mon Fils unique, afin qu’ils ne soient pas privés de ma gloire et moi de leur louange éternelle. »
391. À cette proposition la très sainte enfant Marie répondit : « Très-Haut Seigneur et Roi puissant, les créatures sont vôtres et vôtre est la puissance ; vous êtes seul le saint et suprême Gouverneur des créatures ; obligez-vous, Seigneur, de votre propre bonté pour hâter le pas de votre Fils unique dans la rédemption des enfants d’Adam. Qu’il arrive enfin le jour désiré par mes anciens Pères et que les mortels voient votre salut éternel. Pourquoi, ô mon bien-aimé Seigneur, étant le doux Père des miséricordes, différez-vous tant celle que vos enfants captifs et affligés ont tant attendue. Si ma vie peut être de quelque service, je vous l’offre, prête à la livrer pour eux. »
392. Le Très-Haut lui commanda avec une grande bienveillance de demander depuis lors plusieurs fois tous les jours l’accélération de l’Incarnation du Verbe et le remède de tout le genre humain, et de pleurer les péchés des hommes qui empêchaient leur réparation et leur propre salut, et ensuite il lui déclara qu’il était déjà temps d’exercer tous ses sens et qu’il convenait pour sa plus grande gloire qu’elle parlât avec les créatures humaines. Et pour accomplir cette obédience l’Enfant dit à sa Majesté :
393. « Très Haut Seigneur de Majesté incompréhensible, comment la poussière et celle qui est la moindre de toutes les créatures osera-t-elle traiter de mystères si cachés et si sublimes et qui sont dans votre sein d’un prix si inestimable ? Comment pourrai-je vous obliger à les accomplir et que peut obtenir la créature qui ne vous a jamais servi en rien ? Mais vous, mon Bien-Aimé, vous vous donnerez pour obligé par la nécessité même, et l’infirme cherchera la santé, celle qui est altérée désirera les fontaines de votre miséricorde, et elle obéira à votre divine volonté. Et si vous ordonnez, mon Seigneur, que je délie mes lèvres pour traiter et pour parler avec les autres en dehors de Vous-même qui êtes tout mon bien et mon désir, soyez attentif, je vous supplie à ma fragilité et à mon péril : ii est très difficile pour la créature raisonnable de ne point excéder en paroles ; pour cela, je me tairais toute ma vie, si telle était votre volonté, pour ne point m’exposer à vous perdre, car si je le faisais, il me serait impossible de vivre un seul instant. »
394. Telle fut la réponse de la très sainte enfant Marie, craignant le nouveau et périlleux mystère de parler qui lui était commandé : et autant qu’il était de sa volonté, elle avait le désir de garder un silence inviolable et de se taire toute sa vie si Dieu avait consenti. Quelle confusion et quel exemple, pour la folie des mortels, que celle qui ne pouvait pécher en parlant craignît le péril de la langue ; et que nous qui ne pouvons parler sans pécher, nous mourons d’envie de le faire ! – Mais, ô très douce Enfant et Reine de toutes les créatures, comment voulez-vous ne point parler ? Ne considérez-vous point, ô ma Maîtresse, que votre silence serait une ruine pour le monde, une tristesse pour le ciel, et même selon notre faible manière de concevoir, un vide pour la très sainte Trinité même ! Ne savez-vous point qu’en une seule parole que vous devez répondre au saint archange, Fiat mihi 317, vous donnerez ce complément à tout ce qui a l’être ! Au Père éternel, une Fille ; au Fils éternel, une Mère ; à l’Esprit-Saint une Épouse ; aux anges, une réparation ; aux hommes, un remède ; aux cieux, la gloire ; à la terre, la paix ; au monde une Avocate ; aux malades, la santé ; aux morts, la vie ; et vous accomplirez la volonté et l’agrément de tout ce que Dieu même peut vouloir en dehors de lui-même. Puis, si de votre seule parole dépend la plus grande œuvre de la puissance immense et tout le bien de la créature, comment, ô ma Souveraine et ma Maîtresse, voudrait se taire celle qui doit si bien parler ? Parlez donc, ô Enfant, et que votre voix soit entendue dans toute l’étendue du ciel !
395. Le Très-Haut se complut dans la très prudente circonspection de son Épouse et son cœur fut de nouveau blessé de l’amoureuse crainte de la grande Enfant. Et les trois Personnes divines, comme satisfaites de leur Bien-Aimée, et comme conférant entre elles de sa demande, dirent ces paroles des Cantiques 318 : « Notre Sœur est petite et elle n’a point de mamelles, que ferons-nous à notre Sœur le jour où elle doit parler (a) ? Si elle est un mur, édifions en elle une tour d’argent. Tu es petite à tes yeux, ô notre Sœur chérie, mais tu es et tu seras grande à nos yeux. Dans ce mépris de toi-même, tu as blessé 319 notre cœur par un de tes cheveux. Tu es petite dans ton propre jugement et dans ta propre estime, et c’est cela même qui nous affectionne davantage et qui nous embrase d’amour. Tu n’as point de mamelles pour alimenter par tes paroles, mais non plus tu n’es point femme quant à la loi du péché. Je n’ai point voulu et je ne veux point du tout qu’elle s’entende à ton égard. Tu t’humilies pendant que tu es grande au-dessus de toutes les créatures, tu crains étant assurée, tu préviens le danger qui ne pourra t’offenser. Que ferons-nous à notre sœur le jour qu’elle ouvrira ses lèvres par notre volonté et pour nous bénir, quand les mortels les ouvrent pour blasphémer notre saint nom ? Que ferons-nous pour célébrer un jour de si grande fête que celui où elle doit parler ? Avec quoi récompenserons-nous une si humble précaution de celle qui fut toujours délectable à nos yeux ? Son silence fut doux et plus doux sera sa voix à nos oreilles. Si elle est une forte muraille pour avoir été fabriquée par la vertu de notre grâce et assurée par la puissance de notre bras, réédifions sur tant de force nos tours d’argent, ajoutons de nouveaux dons aux passés, et qu’ils soient d’argent afin qu’elle soit plus enrichie et plus précieuse, et que ses paroles, quand elle devra parler, soient très pures, très candides, éloquentes et sonores à nos oreilles ; qu’elle ait la grâce répandue sur ses lèvres 320 et que notre puissante main et notre protection soient toujours avec elle. »
396. Dans le temps que selon notre manière de concevoir cette conférence se passait entre les trois divines Personnes, notre Reine Enfant fut confortée et consolée dans son humble inquiétude de commencer à parler : et le Seigneur lui promit de gouverner ses paroles et de l’assister de telle sorte qu’elles fussent toutes de son service et de son agrément. Avec cela elle demanda une nouvelle licence et une nouvelle bénédiction pour ouvrir ses lèvres pleines de grâce. Et afin d’être en tout prudente et circonspecte, elle adressa sa première parole à ses parents, saint Joachim et sainte Anne, leur demandant la bénédiction, comme ceux qui après Dieu lui avaient donné l’être qu’elle avait. Les heureux saints l’écoutèrent et ils virent en même temps qu’elle commençait à marcher seule, et l’heureuse mère, avec une grande allégresse de son esprit, la prit dans ses bras et lui dit : « Ô fille chérie de mon cœur, que ce soit à la bonne heure et pour la gloire du Très-Haut que nous entendions votre voix et vos paroles, et que vous commenciez aussi à marcher pour son plus grand service. Que vos raisons et vos paroles soient rares, mesurées et de grand poids, et que vos pas soient droits et dirigés au service et à la gloire de notre Créateur. »
397. La très sainte Enfant écouta ces raisons et d’autres que sa mère sainte Anne lui dit, et elle les écrivit dans son tendre cœur pour les garder avec une obéissance et une humilité profondes. Et dans l’année et demie qui suivit jusqu’à ce qu’elle eût accompli ses trois ans dans lesquels elle alla au temple, les paroles qu’elle dit furent très rares, sauf quand sa sainte mère Anne l’appelait pour l’entendre parler et lui commandait de parler avec elle de Dieu et de ses mystères, et la divine Enfant le faisait, écoutant et interrogeant sa sainte Mère. Ainsi, celle qui surpassait tous les mortels en sagesse voulait être enseignée et instruite (b) ; et en cela la fille et la mère échangeaient de très doux colloques du Seigneur.
398. Il ne serait pas facile, ni même possible de dire ce que la divine Marie Enfant opéra dans ces dix-huit mois qu’elle fut dans la compagnie de sa mère, laquelle regardant parfois sa Fille, plus vénérable que l’arche du testament, répandait de douces et abondantes larmes d’amour et de reconnaissance. Mais elle ne lui donna jamais à entendre le sacrement qu’elle gardait dans son cœur de ce qu’elle était l’Élue pour être Mère du Messie, quoiqu’elles s’entretinssent souvent de cet ineffable mystère, ce qui enflammait l’Enfant en des affections très ardentes, et elle en disait de grandes excellences, ainsi que de sa propre dignité qu’elle ignorait mystérieusement. Et dans sa très heureuse Mère sainte Anne croissaient davantage la joie, l’amour, la sollicitude de sa fille, son trésor.
399. Les tendres forces de l’Enfant Reine n’étaient pas proportionnées aux exercices et aux œuvres humbles auxquelles son fervent amour et sa profonde humilité la contraignaient ; parce que la Maîtresse de toutes les créatures, se jugeant la dernière de toutes, voulait l’être dans les actions et les démonstrations des œuvres les plus basses et les plus serviles de la maison. Et elle croyait que si elle ne les servait tous, elle ne satisfaisait point à sa dette et elle ne correspondait point au Seigneur ; tandis qu’il était vrai seulement qu’elle ne satisfaisait pas à son affection enflammée, parce que ses forces corporelles n’arrivaient point à ce qu’elle désirait, et les plus hauts séraphins baisaient les traces de ses pas sacrés : néanmoins elle essayait souvent d’exécuter des œuvres humbles, comme de nettoyer et de balayer la maison ; et comme on ne lui laissait pas faire, elle tâchait de les faire quand elle était seule ; les saints anges l’assistaient alors et l’aidaient (c), afin qu’elle obtînt en quelque chose le fruit de son humilité
400. La maison de saint Joachim n’était pas très riche, mais elle n’était pas pauvre non plus : et conformément au rang honoré de sa famille, sainte Anne désirait habiller sa fille du meilleur habit qu’elle pouvait, dans les limites de l’honnêteté et de la modestie. La très humble Enfant accepta sans y résister cette affection maternelle le temps qu’elle ne parlait pas ; mais lorsqu’elle commença à parler elle demanda avec humilité à sa mère de ne point lui mettre d’habit coûteux, ni d’aucune recherche ; mais que son vêtement fût grossier, pauvre et porté par d’autres auparavant s’il était possible, et de couleur sombre cendrée, qui est celui qu’ont coutume de porter les religieuses de sainte Claire. La sainte mère, qui regardait et considérait sa fille comme sa maîtresse, lui dit : « Ma fille, je ferai ce que vous me demandez dans la forme et la couleur de votre vêtement ; mais vos forces d’enfant ne pourront pas le souffrir aussi grossier que vous le désirez et en cela vous m’obéirez à moi. »
401. L’enfant obéissante ne répliqua point à la volonté de sa mère sainte Anne, car elle ne le faisait jamais, et elle se laissa vêtir de ce qu’elle lui donna, étant néanmoins de la couleur et de la forme que son Altesse désirait, semblable aux habits de dévotion dont on revêt les enfants. Et quoiqu’elle désirât plus de rudesse et de pauvreté, elle le compensa par l’obéissance, cette vertu étant plus excellente que le sacrifice 321 ; et ainsi la très sainte Enfant demeura obéissante à sa mère et pauvre dans son affection, se jugeant indigne de ce dont elle usait pour défendre sa vie naturelle. Elle fut très excellente et très prompte dans cette obéissance à ses parents les trois années qu’elle vécut en leur compagnie ; parce qu’elle était prête à obéir au premier moment à cause de la science divine avec laquelle elle connaissait leurs cœurs. Elle demandait la bénédiction et la permission à sa mère pour ce qu’elle faisait d’elle-même, lui baisant la main avec une grande humilité et une grande obéissance. Mais bien que la prudente Mère y consentît extérieurement, dans son intérieur elle révérait la grâce et la dignité de sa très sainte fille.
402. Elle se retirait quelquefois en temps opportuns pour jouir seule avec plus de liberté de la vue et des colloques divins avec ses saints anges, et leur manifester par des signes extérieurs son amour ardent envers son Bien-Aimé Et dans quelques-uns de ces exercices qu’elle faisait, elle se prosternait en pleurant et en affligeant ce petit corps très parfait et très tendre pour les péchés des mortels, priant la miséricorde du Très-Haut et l’inclinant à leur faire de grands bienfaits qu’elle commençait dès lors à leur mériter. Et quoique la douleur intérieure des péchés qu’elle connaissait et la force de l’amour qui lui causait cette douleur fissent en la divine Enfant des effets très douloureux et des peines très intenses, cependant en commençant à user de ses forces corporelles à cet âge, elle les étrenna par la pénitence et la mortification, pour être en tout Mère de miséricorde et Médiatrice de la grâce sans perdre ni temps, ni moment, ni opération par où elle put la gagner pour elle et pour nous.
403. En arrivant à ses deux ans, elle commença à se signaler beaucoup dans l’affection et la charité pour les pauvres. Elle demandait l’aumône pour eux à sa mère sainte Anne ; et la très sainte mère satisfaisait tout ensemble le pauvre et sa fille, et elle exhortait celle qui était Maîtresse de la charité et de la perfection à aimer et à révérer les pauvres. Outre ce qu’elle recevait afin de le leur distribuer, elle réservait quelque part de son repas pour la leur donner dès cet âge, afin qu’elle pût dire mieux que le saint homme Job : Dès mon enfance la miséricorde a crû avec moi 322. Elle donnait l’aumône aux pauvres non comme en leur faisant un bienfait par grâce, mais comme payant une dette de justice, et elle disait dans son cœur : Cela est bien dû à ce mien frère et seigneur ; car s’il ne possède pas, moi je possède sans l’avoir mérité ; et elle baisait la main du pauvre en lui remettant l’aumône, et si elle était seule, elle lui baisait les pieds et lorsqu’elle ne pouvait point le faire, elle baisait le sol où il avait passé. Mais elle ne donna jamais l’aumône à un pauvre sans lui en faire une plus grande à son âme en priant pour elle : et ainsi ces pauvres revenaient de sa divine présence secourus de corps et d’âme.
404. L’humilité et l’obéissance de la très sainte Enfant ne furent pas moins admirables en se laissant enseigner à lire et d’autres choses ; et celle qui était remplie de la science infuse de toutes les matières créées apprenait et acceptait tout et, à la grande admiration des anges, elle se taisait et elle écoutait tout le monde : ces esprits bienheureux s’émerveillaient de voir une prudence si rare dans une enfant. La sainte mère était attentive à la divine Princesse, selon la lumière et l’amour qu’elle avait : et dans ses actions elle bénissait le Très-Haut ; mais comme le temps de la porter au temple s’approchait, les battements de son cœur croissaient avec amour de voir que l’intervalle des trois années marquées par le Tout-Puissant étant écoulé, elle l’exécuterait aussitôt pour accomplir son vœu. Pour cela, Marie Enfant commença à prévenir et à disposer sa mère, lui manifestant six mois d’avance le désir qu’elle avait de se voir déjà dans le temple ; et elle lui représentait les bienfaits qu’elle avait reçus de la main du Seigneur, et combien il était dû d’accomplir son plus grand agrément ; que dans le temple, étant dédiée à Dieu, il la tiendrait plutôt pour sienne que dans sa propre maison.
405. Sainte Anne écoutait les prudentes raisons de sa fille la très sainte Marie et quoiqu’elle fût soumise à la volonté divine et qu’elle voulût accomplir sa promesse d’offrir sa fille bien-aimée, néanmoins la force de l’amour naturel pour un gage si unique et si cher joint à ce qu’elle savait le trésor inestimable qu’elle avait en elle, son cœur très fidèle combattait avec la douleur de l’absence qui la menaçait déjà de si près, et elle serait morte sans doute d’une peine si dure et si vive si la main puissante du Très-Haut ne l’eût confortée : car la grâce et la sainteté de sa fille, qu’elle seule connaissait, lui avaient ravi le cœur, et sa présence et son entretien lui étaient plus désirables que sa propre vie. Avec cette douleur elle répondait parfois à l’Enfant : « Ma fille chérie, je vous ai désirée pendant plusieurs années et je ne mérite de jouir de votre compagnie que pendant peu de temps, afin d’accomplir la volonté de Dieu ; mais quoique je ne résiste point à la promesse de vous porter au temple, il me reste du temps pour l’accomplir : ayez patience jusqu’à ce qu’arrive le jour où vos désirs seront accomplis. »
406. Peu de jours avant que les trois années de Marie fussent accomplis, elle eut une vision abstractive de la Divinité, dans laquelle il lui fut manifesté que déjà le temps s’approchait où sa Majesté ordonnait de la porter au temple, pour y vivre dédiée et consacrée à son service. À cette nouvelle, son très pur esprit se remplit d’une joie et d’une reconnaissance nouvelles et s’adressant au Seigneur elle lui rendit grâces et lui dit : « Ô Dieu Très-Haut d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, mon Bien éternel et Souverain, puisque je ne peux vous louer dignement, que tous les esprits angéliques le fassent au nom de cette humble esclave, parce que vous, ô Seigneur immense qui n’avez besoin de rien, regardez ce vil vermisseau avec la grandeur de votre miséricorde libérale. D’où me vient à moi un tel bienfait que vous me receviez dans votre maison et à votre service, tandis que je ne mérite point le lieu le plus méprisé de la terre qui me supporte. Mais si votre propre grandeur se donne pour obligée, je vous supplie, Seigneur, de mettre l’accomplissement de votre volonté dans le cœur de mes parents, afin qu’ils l’exécutent. »
407. Ensuite sainte Anne eut une autre vision dans laquelle le Seigneur lui commanda d’accomplir sa promesse en portant sa fille au temple pour la présenter à sa Majesté le même jour que s’accompliraient les trois ans. Et il n’y a point de doute que ce commandement fut de plus grande douleur pour la mère que celle d’Abraham en sacrifiant son fils Isaac ; mais le Seigneur la consola et la conforta, lui promettant sa grâce et son assistance pour le temps où il lui aurait ôté sa fille bien-aimée et qu’elle demeurerait seule. La sainte matrone se montra soumise et prompte pour accomplir ce que le Seigneur lui commandait, et obéissante elle fit cette prière : « Seigneur Dieu éternel, Maître de tout ce que je suis, j’ai offert ma fille pour votre temple et votre service, car vous me l’avez donnée dans votre miséricorde ineffable ; elle est vôtre et je vous la donne avec action de grâces pour le temps que je l’ai eue, et pour l’avoir conçue et élevée ; mais, souvenez-vous, ô Dieu et Seigneur, que j’étais riche avec la garde de votre inestimable trésor ; j’avais une compagnie dans cet exil et cette vallée de larmes, une allégresse dans ma tristesse, un soulagement dans mes travaux, un miroir pour régler ma vie et un exemplaire de sublime perfection pour stimuler ma tiédeur et enflammer mon affection, et par cette seule créature j’attendais votre grâce et votre miséricorde, et je crains que tout me manque en un instant, me trouvant seule sans elle. Guérissez, Seigneur, la blessure de mon cœur et ne me faites pas selon ce que je mérite ; mais regardez-moi comme tendre Père de miséricorde, et je porterai ma fille au temple, comme vous, Seigneur, me le commandez. »
408. Dans le même temps, saint Joachim avait une autre visite ou vision du Seigneur qui lui commandait aussi la même chose qu’à sainte Anne. Et en ayant conféré entre eux, et connaissant la volonté divine, ils déterminèrent de l’accomplir avec soumission et ils marquèrent le jour pour porter l’Enfant au temple ; la tendresse et la douleur du saint vieillard ne furent pas moindres à leur manière ; elles ne furent pas néanmoins aussi grandes que celles de sainte Anne, parce qu’il ignorait alors le mystère de celle qui devait être Mère de Dieu.
Doctrine de la Reine du ciel.
409. Ma fille très chère, considère que tous les vivants naissent destinés à la mort, ignorant le terme de leur vie ; mais ce qu’ils savent de certain est que leur temps est court et l’éternité sans fin, et qu’en cette éternité seulement l’homme recueillera ce qu’il aura semé maintenant d’œuvres bonnes ou mauvaises, qui donneront alors leur fruit de vie ou de mort éternelle ; et dans un voyage si périlleux, Dieu ne veut pas que personne connaisse avec certitude s’il est digne d’amour ou de haine 323 ; afin que s’il a du bon sens, ce doute lui serve de stimulant pour chercher de toutes ses forces l’amitié du même Seigneur. Et il justifie sa cause dès que l’âme commence à avoir l’usage de la raison ; car dès lors il allume en elle une lumière et un dictamen qui la stimule et la dirige vers la vertu et qui la détourne du péché, lui enseignant à distinguer entre le feu et l’eau 324, approuvant le bien et reprenant le mal, choisissant la vertu et réprouvant le vice. Outre cela, il l’excite et l’appelle par lui-même avec de saintes aspirations et des impulsions continuelles, et par le moyen des sacrements, des articles de la foi et des commandements, par les saints anges, les prédicateurs, les confesseurs, les prélats et les docteurs, par les afflictions propres et les bienfaits, par l’exemple des autres dans les tribulations, les morts et d’autres évènements et moyens variés que sa Providence dispose pour attirer à lui tous les hommes, parce qu’il veut que tous soient sauvés 325 : et de ces choses il fait un composé de grands secours et de grandes faveurs, dont la créature peut et doit user en en faisant son profit.
410. Contre cela procède la lutte de la partie inférieure et sensitive qui incline vers les objets sensibles et qui meut la concupiscible et l’irascible par le fomes peccati, afin qu’en troublant la raison, ils entraînent la volonté aveugle à embrasser la liberté du délectable. Et le démon obscurcit le sens intérieur et cache le mortel venin du délectable transitoire par des fascinations et des tromperies fausses et iniques 326. Mais le Très-Haut n’abandonne pas aussitôt ses créatures ; il renouvelle au contraire ses miséricordes et ses secours par lesquels il les attire et les rappelle de nouveau ; et si elles répondent aux premières vocations, il en ajoute d’autres plus grandes, selon son équité, et elles vont en croissant et en se multipliant selon la correspondance, et en récompense de ce que l’âme s’est vaincue, les forces des passions et du fomes vont en s’atténuant, et l’esprit s’allège davantage pour qu’il puisse s’élever en haut et se rendre très supérieur à ses inclinations et au démon.
411. Mais si en se laissant emporter par le plaisir et par l’oubli l’homme donne la main à l’ennemi de Dieu et au sien, il s’éloigne de la bonté divine et il se rend d’autant moins digne de ses appels et il sent moins les secours quoiqu’ils soient grands, parce que le démon et les passions ont acquis un plus grand empire et une plus grande force sur la raison et ils la rendent plus inepte et plus incapable de la grâce du Très-Haut. Ma fille et mon amie, dans cette doctrine consiste le principal du salut et de la damnation des âmes, en commençant à refuser ou à accepter les secours du Seigneur. Je veux que tu n’oublies point cette doctrine afin de répondre aux nombreux appels que tu as du Très-Haut. Tâche d’être forte pour résister à tes ennemis, et ponctuelle et efficace pour exécuter le plaisir de ton Seigneur, avec quoi tu lui donneras de l’agrément et tu seras attentive à sa volonté que tu connais par sa lumière divine. J’avais un grand amour pour mes parents et les raisons et les tendresses de ma mère me blessaient le cœur ; mais comme je savais que l’ordre et l’agrément du Seigneur étaient de les laisser, j’oubliai leur maison et mon peuple 327, et non pour d’autre fin que pour suivre mon Époux. La bonne éducation et le bon enseignement de l’enfance font beaucoup pour plus tard, car la créature se trouve plus libre et plus habituée à la vertu en commençant dès le port de la raison à suivre cette boussole véritable et assurée.
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NOTES EXPLICATIVES
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a. L’hébreu peut se prendre tant au sens actif qu’au sens passif.
b. Si la Vierge se laissait alors instruire, elle le faisait ordinairement non par besoin, mais par motif de vertu et par esprit d’humilité.
c. Les anges l’assistaient alors et l’aidaient. Rien en ceci d’étonnant, puisque les anges mangèrent avec Abraham, luttèrent avec Jacob, traitèrent avec Gédéon, servirent le Fils de Tobie et surtout Notre Seigneur Jésus-Christ dans le désert ; ils ôtèrent à saint Pierre ses chaînes, lui ouvrirent les portes de la prison et le guidèrent par les rues. Et si les vies des saints sont remplies des actes et des services même minutieux rendus par les anges à plusieurs saints des plus insignes, labourant pour saint Isidore, travaillant pour saint Hommebon, soutenant la bienheureuse Marie d’Oignies, servant sainte Colette malade et sainte Ludivine pendant trente ans et tant d’autres (voir Epitome historiæ Angelorum du P. Bonifazio Constantino), quelle merveille y a-t-il qu’ils aient aussi assisté et servi l’auguste Mère de Dieu, leur Reine.
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TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION. – Des raisons qu’il y avait de l’écrire et autres avertissements relatifs à cette Histoire.
CHAPITRE I. – De deux visions particulières que le Seigneur montra à mon âme et autres mystères et intelligences qui m’obligeaient à m’éloigner du terrestre en élevant mon esprit et mon habitation au-dessus de la terre.
CHAPITRE II. – Qui déclare la manière dont le Seigneur manifeste ces mystères et la Vie de la Reine du ciel à mon âme, dans l’état où sa Majesté m’a placée.
CHAPITRE III. – De l’intelligence que j’eus de la Divinité et du décret de Dieu concernant la création de l’univers.
CHAPITRE IV. – On distribue par instants les décrets divins, déclarant ce que Dieu détermina dans chacun au sujet de sa communication ad extra.
CHAPITRE V. – Des intelligences que le Très-Haut me donna de la Sainte Écriture, en confirmation du chapitre précédent ; elles sont du chapitre VIII des Proverbes.
CHAPITRE VI. – D’un doute que je proposai au Seigneur sur la doctrine de ces chapitres, et la réponse à ce doute.
CHAPITRE VII. – Comment le Très-Haut donna un commencement à ses œuvres et il créa pour l’homme toutes les choses matérielles ; et les anges et les hommes afin d’en faire un peuple dont le Verbe Incarné serait le Chef.
CHAPITRE VIII. – Qui poursuit le discours du chapitre précédent par l’explication du XIIe de l’Apocalypse.
CHAPITRE IX. – Qui poursuit le reste de l’explication du chapitre XII de l’Apocalypse.
CHAPITRE X. – Où l’on donne fin à l’explication du Chapitre XII de l’Apocalypse.
CHAPITRE XI. – Dans la création de toutes les choses Dieu eut présente Notre Seigneur Jésus-Christ et sa Très Sainte Mère, et il élut et favorisa son peuple figurant ces mystères.
CHAPITRE XII. – Comment, le genre humain s’étant propagé, les clameurs des justes s’accrurent pour la venue du Messie et les péchés aussi s’accrurent ; et dans cette nuit de l’ancienne loi, Dieu envoya dans le monde deux luminaires qui annoncèrent la loi de grâce.
CHAPITRE XIII. – Comment la Conception de la Très Sainte Marie fut annoncée par le Saint Archange Gabriel, et comment Dieu prévint sainte Anne pour cela par une faveur spéciale.
CHAPITRE XIV. – Comment le Très-Haut manifesta aux saints anges le temps déterminé et opportun de la conception de la très sainte Marie ; et ceux qu’il lui signala pour sa garde.
CHAPITRE XV. – De la Conception Immaculée de Marie, Mère de Dieu par la vertu de la puissance de Dieu.
CHAPITRE XVI. – Des habitudes des vertus dont le Très-Haut dota l’âme de la très sainte Marie et des premières opérations qu’elle en eut dans le sein de sainte Anne : cette Reine du ciel commence à me donner la doctrine pour son imitation.
CHAPITRE XVII. – Poursuivant le mystère de la Conception de Marie, il me fut donné de comprendre le chapitre XXI de l’Apocalypse.
CHAPITRE XVIII. – Qui poursuit le mystère de la Conception de Marie par la seconde partie du chapitre XXI de l’Apocalypse.
CHAPITRE XIX. – Qui contient la dernière partie du chapitre XXI de l’Apocalypse dans la Conception de la très sainte Marie.
CHAPITRE XX. – Ce qui arriva dans les neuf mois de la gros-esse de sainte Anne, et ce que la très sainte Marie fit pendant ce temps ainsi que sa Mère.
CHAPITRE XXI. – De l’heureuse naissance de la très sainte Marie Notre Dame, les faveurs qu’elle reçut aussitôt de la main du Très-Haut et comment son nom lui fut imposé dans le ciel et sur la terre.
CHAPITRE XXII. – Comment sainte Anne accomplit le commandement de la loi de Moïse concernant son enfantement, et comment la petite Marie procédait dans son enfance.
CHAPITRE XXIII – Des devises avec lesquelles les saints anges de la garde de la très sainte Marie se manifestaient à elle, et de leurs perfections.
CHAPITRE XXIV. – Des exercices et des saintes occupations de la Reine du ciel dans la première année et demie de son enfance.
CHAPITRE XXV. – Comment la très sainte Marie commença à parler à un an et demi, et ses occupations jusqu’à ce qu’elle allât au Temple.
FIN DU PREMIER VOLUME
1 Je vis... un livre écrit dedans et dehors, scellé de sept sceaux. Je vis encore un ange fort qui criait d’une voix forte : Qui est digne d’ouvrir le livre et d’en délier les sceaux ? Et nul ne pouvait ni dans le ciel, ni sur la terre, ni sous la terre, ouvrir le livre, ni le regarder. Apoc., V, 1-3.
2 Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sont élevées mes voies au-dessus de vos voies et mes pensées au-dessus de vos pensées. Isaïe, LV, 9.
3 Qui a connu la pensée du Seigneur ? ou qui a été son conseiller ? Rom., XI, 34.
4 Et voilà un cheval noir ; or celui qui le montait avait une balance en sa main. Apoc., VI, 5.
5 D’où vient donc la sagesse... C’est Dieu qui comprend sa voie, et c’est lui qui connaît son lieu... C’est lui qui a fait un poids aux vents et qui a pesé les eaux avec une mesure... C’est alors qu’il l’a vue, qu’il l’a proclamée, et qu’il l’a scrutée. Job XXVIII, 20, 23, 25, 27.
6 Qui a mesuré les eaux dans sa poignée, et a pesé les cieux dans la paume de sa main ? Qui a soutenu de trois doigts la masse de la terre, et a équilibré les montagnes au poids et les collines dans la balance ? Qui a aidé l’esprit du Seigneur ou qui a été son conseiller et l’a enseigné ? Avec qui est-il entré en conseil, et qui lui a donné l’intelligence et lui a enseigné le sentier de la justice et l’a formé à la science et lui a montré la voie de la prudence ? Isaïe, XL, 12-14.
7 Ils (les impies) pouvaient d’un seul souffle être tués, poursuivis par leurs propres œuvres, et dispersés par le souffle de votre puissance ; mais vous avez disposé toutes choses avec mesure et nombre et poids. Sagesse, XI, 21.
8 (Dieu) fait jaillir la science comme la lumière. Eccli., XXIV, 37.
9 Qui est monté au ciel et y a pris la sagesse, et l’a amenée des nuées ? Qui a passé la mer et l’a trouvée et l’a rapportée de préférence à l’or le plus pur. Il n’est personne qui puisse connaître ses voies, ni qui recherche ses sentiers. Baruch, III, 29-31.
10 Elle (la sagesse) est la vapeur de la vertu de Dieu, et une certaine émanation de la gloire du Tout-Puissant : et c’est pour cela que rien de souillé n’entre en elle : car elle est l’éclat de la lumière éternelle, le miroir sans tache de la majesté de Dieu et l’image de sa bonté, Et quoiqu’elle ne soit qu’Une, elle peut tout ; et immuable en soi, elle renouvelle toutes choses ; elle se répand parmi les nations dans les âmes saintes, et elle forme les amis de Dieu et les prophètes. Sagesse, VII, 25-27.
11 Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. Mathieu, XXIV, 35.
12 L’homme obéissant parlera victoire. Proverbe, XXI, 28.
13 Il lui commanda disant : Mange des fruits de tous les arbres du paradis. Mais quant au fruit de l’arbre de la science du bien et du mal, n’en mange pas, car au jour où tu en mangeras tu mourras de mort. Gen., II, 16-17.
14 Luc. X, 16.
15 Il étendit la main et il saisit le glaive pour immoler son fils. Et voilà que l’ange du Seigneur cria du ciel : Abraham, Abraham... N’étends pas ta main sur l’enfant, et ne lui fais rien. Gen., XXII, 10-12.
16 Dieu éprouva Abraham et lui dit : Abraham, Abraham. Et lui répondit : Me voici. Dieu lui dit : Prends ton fils unique que tu chéris, Isaac, et va dans la terre de vision et là tu l’offriras en holocauste... Abraham, s’étant donc levé de nuit, prépara son âne, amenant avec lui deux jeunes hommes et Isaac son fils ; et lorsqu’il eut coupé du bois pour un holocauste, il s’en alla vers le lieu que Dieu lui avait prescrit. Gen., XXII, 1.
17 Josué dit... : Soleil, ne te meus point contre Gabaon, ni toi, lune, contre la vallée d’Aïalon. Et le soleil et la lune s’arrêtèrent. Josué, X, 12-13.
18 Osa étendit la main sur l’arche de Dieu... et le Seigneur... le frappa à cause de sa témérité. II Rois, VI, 6-7.
19 Isaïe, VI, 5.
20 I Rois, III, 9.
21 Ses mains faites au tour sont d’or, et remplies d’hyacinthes. Cant., V, 14.
22 Que les femmes se taisent dans les Églises, car il ne leur est pas permis de parler, mais elles doivent être soumises, comme la loi elle-même le dit. I Cor., XIV, 34.
23 Je répandrai mon esprit sur toute chair ; vos fils prophétiseront ainsi que vos filles ; vos vieillards songeront des songes et vos jeunes hommes verront des visions. Joël, II, 28.
24 La sagesse... atteint avec force d’une extrémité à une autre extrémité et dispose toutes choses avec douceur. Sagesse, VIII, 1.
25 Jésus prenant la parole dit : Mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, je vous rends gloire de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et que vous les avez révélées aux petits. Oui, mon Père, parce qu’il vous a plu ainsi. Mathieu, XI, 25-26.
26 Sagesse, VIII, 1.
27 Vous avez élevé sur la terre mon habitation, et à cause de la mort qui découlait sur moi, j’ai fait des supplications. Et vous m’avez délivré selon la multitude des miséricordes de votre nom, des lions rugissants prêts à me dévorer, des mains de ceux qui recherchaient mon âme, et des portes des tribulations qui m’ont environné. Eccli., LI, 13, 4-5.
28 Les douleurs de la mort m’ont environné ; les torrents de l’iniquité m’ont troublé. Ps. 17, 5.
29 Mes yeux sont toujours élevés vers le Seigneur, parce que c’est lui qui dégagera mes pieds du lacs qu’on m’aura tendu. Ps. 24, 15.
30 De la violence de la flamme qui m’a environné, et au milieu du feu, je n’en ai pas senti la chaleur ; de la profondeur des entrailles de l’enfer, et de la langue souillée, et de la parole de mensonge ; d’un roi inique et de la langue injuste... Eccli, LI, 6-7.
31 Des hommes iniques m’ont raconté des choses fabuleuses, mais ce n’est pas comme votre loi. Ps. 118, 85.
32 Voilà mon Bien-Aimé qui parle : Lève-toi, hâte-toi, mon amie, ma colombe, ma toute belle, et viens. Cant. II, 10.
33 Jésus leur parla de nouveau disant : C’est moi qui suis la lumière du monde : qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. Jean VIII, 12.
34 Pour moi, Dieu m’a donné de dire ce que je sens, et d’avoir des pensées, dignes des faveurs qui me sont accordées, parce qu’il est lui-même le guide de la sagesse et le réformateur des sages. Sagesse, VII, 15.
35 Entraîne-moi ; après toi nous courrons à l’odeur de tes parfums. Cant. I, 3.
36 Et le Seigneur : N’approche point d’ici, dit-il : ôte la chaussure de tes pieds ; car le lieu dans lequel tu es est une terre sainte. Exode, III, 5.
37 Et un grand prodige parut dans le ciel : Une femme revêtue du soleil, ayant la lune sous ses pieds, et sur sa tête une couronne de douze étoiles. Apoc. XII, 1.
38 ... Qui tire de la terre l’homme sans ressource, et qui relève du fumier le pauvre. Ps. 112, 7.
39 L’Épouse. Tandis que le roi était sur son lit de table, mon nard a répandu son odeur. Cant. I, 11.
40 Alors il vit en songe une échelle posée sur la terre, et dont le sommet touchait au ciel, les anges de Dieu aussi qui la montaient et la descendaient. Et le Seigneur, appuyé sur l’échelle, lui disant : Je suis le Seigneur, le Dieu d’Abraham ton père et le Dieu d’Isaac ; la terre sur laquelle tu dors, je te la donnerai à toi et à ta postérité... Et saisi d’effroi : Qu’il est terrible, dit-il, ce lieu-ci. Ce n’est autre chose que la maison de Dieu, et la porte du ciel. Genèse, XXVIII, 12, 13, 17.
41 J’ai péché, que ferai-je pour vous, ô gardien des hommes ? Pourquoi m’avez-vous mis en opposition avec vous et suis-je à charge à moi-même ? Job, VII, 20.
42 (Heureux l’homme) dont la volonté est dans la loi du Seigneur et qui médite cette loi le jour et la nuit. Ps. I, 2.
43 Or le Seigneur ayant achevé les discours de cette sorte sur la montagne du Sinaï, donna à Moïse les deux tables de pierre du témoignage, écrites du doigt de Dieu. Exode, XXXI, 18.
44 Jésus lui répondit : Je suis la voie, la vérité et la vie. Personne ne vient à mon Père que par moi. Jean XIV, 6.
45 Le péché a été dans le monde jusqu’à la loi ; mais le péché n’était pas imputé, puisque la loi n’existait pas. Romains, V. 13.
46 Moïse ne vous a-t-il pas donné la loi ? Cependant nul de vous ne pratique la loi. Jean, VII, 19.
47 Mais Dieu qui est riche en miséricorde, par le grand amour dont il nous a aimés, et lorsque nous étions morts par les péchés, nous a vivifiés dans le Christ par la grâce duquel vous êtes sauvés. Éphésiens, II, 4-5.
48 Bienheureux l’homme qui a trouvé la sagesse et qui est riche en prudence. Proverbes, III, 13.
49 Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. Mathieu, XI, 15.
50 Que celui qui a soif vienne et que celui qui vient reçoive gratuitement l’eau de la vie. Apoc. XXII, 17.
51 Mon peuple a fait deux maux : ils m’ont abandonné, moi, source d’eau vive, et ils se sont creusé des citernes, des citernes entr’ouvertes qui ne peuvent retenir les eaux. Jérémie, II, 13.
52 Transpercez mes chairs de votre crainte ; à la vue de vos jugements j’ai craint. Ps. 118, 120.
53 Mes larmes m’on servi de pain le jour et la nuit. Ps. 41, 4.
54 En elle (la sagesse) est un esprit d’intelligence, saint, unique, multiple, subtil, disert, prompt, sans tache, certain, doux, aimant le bien, pénétrant, que rien ne peut empêcher d’agir... Elle est la vapeur de la vertu de Dieu. Sagesse VII, 22, 25.
55 Nous voyons maintenant à travers un miroir, en énigme ; mais alors nous verrons face à face. Maintenant je connais imparfaitement ; mais alors je connaîtrai aussi bien que je suis connu moi-même. I Cor., XIII, 12.
56 À la lumière succède la nuit ; mais la malice ne triomphe pas de la sagesse. Sagesse, VII, 30.
57 Entraîne-moi ; après toi nous courrons à l’odeur de tes parfums. Cant., I, 3.
58 Mais je vis, non plus moi, mais le Christ vit en moi. Gal. II, 20.
59 Celui qui a le Fils a la vie. I Jean, V. 12.
60 La parole de Dieu est vivante, efficace, et plus pénétrante que tout glaive à deux tranchants ; elle atteint jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit. Hébreux, IV, 12.
61 Et la lumière luit dans les ténèbres. Jean I, 5.
62 Plantés dans la maison du Seigneur, dans les parvis de la maison de notre Dieu, ils (les justes) fleuriront. Ps. 91, 14.
63 La ville n’a pas besoin de soleil ni de la lune pour l’éclairer ; parce que la gloire de Dieu l’éclaire, et que sa lampe est l’Agneau. Apoc. XXI, 23.
64 Or, me sont venus ensemble tous les biens avec elle, et des richesses innombrables par ses mains. Sagesse, VII, 11.
65 Je l’ai apprise sans déguisement, et sans envie je la communique, et je ne cache pas ses richesses. Sagesse VII, 13.
66 Il m’a introduite dans son cellier à vin : il a ordonné en moi la charité. Cant., II, 4.
67 La charité est patiente ; elle est douce ; la charité n’est point envieuse... I Cor., XIII, 4.
68 Est-ce que la sagesse ne crie pas, et que la prudence ne fait pas entendre sa voix ? Prov., VIII, 1.
69 Qu’enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez comprendre, avec tous les saints, quelle est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur. Éphés., III, 17-18.
70 C’est lui-même qui m’a donné de ce qui est la vraie science, afin que je connaisse la disposition du globe de la terre, et les vertus des éléments, le commencement et la fin, et le milieu des temps... Sagesse, VII, 17-18.
71 Je puis tout en celui qui me fortifie. Philipp., IV, 13.
72 Ô profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables ! Romains, XI, 33.
73 Celui qui vit éternellement a créé toutes choses ensemble ; Dieu seul sera justifié, et, Roi invincible, il subsiste à jamais. Qui peut suffire à raconter ses œuvres. Eccli. XVIII, 1-2.
74 Ô homme, qui es-tu pour contester avec Dieu ? Le vase dit-il au potier : Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? Romains, IX, 20.
75 Je sais un homme... qui fut ravi dans le paradis et entendit des paroles mystérieuses qu’il n’est pas permis à un homme de dire. II Cor., XII, 4.
76 Mes délices sont d’être avec les enfants des hommes. Proverbes, VIII, 31.
77 Le cours d’un fleuve abondant réjouit la cité de Dieu. Ps. 45, 5.
78 Il a commandé à ses anges à ton sujet de te garder dans toutes tes voies. Ps. 90, 11.
79 La lumière de votre visage a été marquée sur nous, Seigneur. Ps. 4, 7.
80 C’est une lampe à mes pieds que votre parole, et une lumière dans mes sentiers. Ps. 118, 105.
81 Mon Bien-Aimé est à moi et moi à lui. Cant., II, 16.
82 Entraîne-moi ; après toi nous courrons à l’odeur de tes parfums. Cant., I, 3.
83 Dès le commencement et avant les siècles j’ai été créée, et jusqu’au siècle futur je ne cesserai pas d’être, et dans l’habitation sainte, j’ai exercé devant lui mon ministère. Eccli. XXIV, 14.
84 Et ils se criaient l’un à l’autre, et ils disaient : Saint, Saint, Saint est le Seigneur le Dieu des armées. Isaïe, VI, 3.
85 Puisque j’ai déjà commencé, je parlerai à mon Seigneur, quoique je ne sois que poussière et cendre. Genèse, XVIII, 27.
86 Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur écoute. I Rois, III, 10.
87 Il est lui-même le guide de la sagesse et le réformateur des sages. Sagesse, VII, 15.
88 Proverbes, VIII, 22 et suivants.
89 Personne ne vient à mon Père que par moi. Jean, XIV, 6.
90 Et un vieillard s’assit ; son vêtement était blanc comme la neige et les cheveux de sa tête blancs comme une laine. Daniel, VII, 9.
91 Il me montra aussi un fleuve d’eau vive, brillant comme du cristal ; sortant du trône de Dieu et de l’Agneau. Apoc. XXII, 1.
92 Le Seigneur Dieu prit donc l’homme et le mit dans le jardin de délices. Genèse, II, 15.
93 Pour la faire paraître devant lui une Église glorieuse, n’ayant ni tache, ni ride, ni rien de semblable, mais pour qu’elle soit sainte et immaculée. Éphés., V. 27.
94 Il s’est anéanti lui-même, prenant la forme d’esclave, ayant été fait semblable aux hommes, et reconnu pour homme par les dehors. Philipp., II, 7.
95 En lui toute la plénitude de la Divinité habite corporellement. Coloss., II, 9.
96 Or, les disciples, entendant cela, tombèrent sur leur face, et furent saisis d’une frayeur extrême. Mathieu, XVII, 6.
97 Toutes choses ont été faites par lui ; et sans lui rien n’a été fait de ce qui a été fait. Jean, I, 3.
98 Mille ans devant vos yeux sont comme le jour d’hier qui est passé et comme une veille nocturne qui ne compte pour rien : ainsi seront leurs années. Ps. 89, 4-5.
99 Qui tire de la terre l’homme sans ressource, et qui relève du fumier le pauvre. Ps. 112, 7.
100 C’est lui-même qui m’a donné de ce qui est la vraie science, afin que je connaisse la disposition du globe de la terre et les vertus des éléments, le commencement et la fin et le milieu des temps, les permutations des choses. Sagesse VII, 17-18.
101 Vous avez disposé toutes choses avec mesure et nombre et poids. Sagesse, XI, 21.
102 ...Qui est l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute créature. Coloss., I, 15.
103 Lui qui n’a pas épargné même son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous, comment ne nous aurait-il pas donné toutes choses avec lui ? Romains, VIII, 32.
104 Et il fut transfiguré devant eux ; sa face resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la neige. Mathieu, XVII, 2.
105 Dieu est lui-même le guide de la sagesse et le réformateur des sages. Sagesse, VII, 15.
106 Qui d’entre les hommes pourra savoir le conseil de Dieu ? ou qui pourra penser ce que veut Dieu ? Sagesse, IX, 13.
107 L’inspiration du Tout-Puissant donne l’intelligence. Job, XXXII, 8.
108 Il a même la confiance que le Jourdain viendra couler dans sa bouche. Job, XL, 18.
109 Son ennemi vint et sema de l’ivraie au milieu du froment et s’en alla. Mathieu XIII, 25.
110 Les cieux racontent la gloire de Dieu et le firmament annonce les œuvres de ses mains. Ps. 18, 2.
111 Les perfections invisibles, rendues compréhensibles depuis la création du monde par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité. Romains, I, 20.
112 Si Dieu n’a pas épargné les anges qui ont péché ; mais si chargés des chaînes de l’enfer et précipités dans l’abîme il les a livrés afin d’être tourmentés et réservés pour le jugement... II Pierre, II, 4.
113 L’orgueil de ceux qui vous haïssent monte toujours. Ps. 73, 23.
114 Son orgueil, son arrogance et sa fureur sont plus grands que sa puissance. Isaïe, XVI, 6.
115 Un abîme appelle un autre abîme. Ps. 41, 8.
116 Comment es-tu tombé du ciel, Lucifer qui dès le matin te levais ? Isaïe, XIV, 12.
117 Vous avez disposé toute chose avec mesure et nombre et poids. Sagesse, XI, 21.
118 Alors il se fit un grand combat dans le ciel : Michel et ses anges combattaient contre le dragon. Apoc., XII, 7.
119 Elle te brisera la tête, et toi, tu lui tendras des embûches au talon. Gen., III, 15.
120 Par l’envie du diable, la mort est entrée dans le globe de la terre. Sagesse, II, 24.
121 Je placerai mon arc dans les nues, et il sera un signe d’alliance entre moi et la terre. Genèse, IX, 13.
122 ...À moins que le roi ne tende son sceptre d’or vers lui en signe de clémence... Esther, IV, 11.
123 Elle te brisera la tête. Gen., III, 15.
124 Où est celui qui est né roi des Juifs ? car nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus l’adorer. Ayant appris cela le roi Hérode se troubla et tout Jérusalem avec lui. Mathieu, II, 2-3.
125 Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi. Jean, XII, 32.
126 Leur voix a retenti par toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux extrémités du monde. Romains X, 18.
127 Ce que je n’avais pas pris, je l’ai pourtant payé. Ps. 68,5.
128 C’est dans la douleur que tu mettras au monde des enfants. Genèse, III, 16.
129 Ceux qui auront été savants brilleront comme la splendeur du firmament et ceux qui enseignent la justice à un grand nombre, seront comme les étoiles dans les perpétuelles éternités. Daniel, XII, 3.
130 Quant aux anges qui ne conservèrent pas leur première dignité, mais qui abandonnèrent leur première demeure, il les mit en réserve pour le jugement du grand jour, dans des chaînes éternelles et de profondes ténèbres. Jude, 6.
131 Je monterai au ciel, sur les astres de Dieu j’élèverai mon trône ; je m’assiérai sur la montagne du Testament. Isaïe, XIV, 13.
132 Vous les gouvernerez avec une verge de fer, et vous les briserez comme un vase de potier. Ps. 2, 9.
133 Ps. 109, Ps. 109, 2.
134 Et j’entendis toutes les créatures qui sont dans le ciel, sur la terre, sous la terre, et celles qui sont sur la mer et en elle ; je les entendis tous disant : À celui qui est assis sur le trône et à l’Agneau, bénédiction, honneur, gloire et puissance dans les siècles des siècles. Apocalypse, V, 13.
135 Il est proche le grand jour du Seigneur, et il est proche et extrêmement prompt ; la voix du jour du Seigneur est amère ; le fort sera alors dans la tribulation. Jour de colère, ce jour-là. Sophonie, I, 14-15.
136 Une seule est ma colombe, ma parfaite. Cantique, VI, 8.
137 Sur les astres de Dieu j’élèverai mon trône. Isaïe, XIV, 13.
138 Mais ils ne prévalurent pas. Apoc., XII, 8.
139 Tu seras traîné dans l’enfer, au profond de la fosse. Isaïe, XIV, 15.
140 Venez à moi, vous tous qui prenez de la peine et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. Mathieu, XI, 28.
141 Bienheureux les pauvres d’esprit ; parce qu’à eux appartient le royaume des cieux. Mathieu, V, 3.
142 Malheur au monde à cause de ses scandales ; car il est nécessaire qu’il vienne des scandales : cependant malheur à l’homme par qui le scandale arrive. Mathieu, XVIII, 7.
143 Nous nous fatiguons, travaillant de nos mains ; on nous maudit, et nous bénissons ; on nous persécute, et nous le supportons ; on nous blasphème, et nous prions ; nous sommes devenus jusqu’à présent comme les ordures du monde, et les balayures de tous. 1 Cor., IV, 12-13.
144 Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il porte sa croix et me suive. Mathieu, XVI, 24.
145 Celui qui combat dans l’arène n’est point couronné s’il n’a légitimement combattu. II Tim., 11, 5.
146 Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. Mathieu, X, 22.
147 Ils chantaient un cantique nouveau disant : Vous êtes digne, Seigneur, de recevoir le livre et d’en ouvrir les sceaux, parce que vous avez été mis à mort et que vous nous avez rachetés pour Dieu par votre sang, de toute tribu, de toute langue, de tout peuple et de toute nation. Apoc., V, 9.
148 Je suis la voie, la vérité et la vie. Personne ne vient à mon Père que par moi. Jean, XIV, 6.
149 Il n’y a qu’un Dieu et qu’un médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus homme. I Tim., II, 5.
150 Nous avons pour avocat auprès du Père Jésus-Christ le Juste. I Jean, II, 1.
151 Allez à mes frères et dites-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. Jean, XX, 17.
152 J’ouvrirai ma bouche en paraboles et je révélerai des choses cachées depuis la fondation du monde. Mathieu, XIII, 35.
153 Numéros 201-206 de cette Ire partie.
154 Ils te porteront dans leurs mains, de peur que ton pied ne heurte contre une pierre. Ps. 90, 12.
155 Et il vint et prit le livre de la main droite de celui qui était assis sur le trône. Apoc., V, 7.
156 Qui vous écoute m’écoute, et qui vous méprise me méprise ; mais qui me méprise, méprise celui qui m’a envoyé. Luc, X, 16.
157 Soyez sobres et veillez, car votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde autour de vous, cherchant qui il pourra dévorer. I Pierre., V, 8.
158 Elle te brisera la tête. Gen. III, 15.
159 Je sais qu’après mon départ s’introduiront parmi vous des loups ravissants, qui n’épargneront point le troupeau... Actes, XX, 29.
160 Il convenait que nous eussions un tel pontife, saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs et devenu plus élevé que les cieux. Héb., VII, 26.
161 Dieu fit donc deux grands luminaires ; l’un plus grand pour présider au jour ; l’autre moins grand pour présider à la nuit. Gen., I, 16.
162 Quelle est celle-ci qui s’avance comme l’aurore se levant, belle comme la lune, pure comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille ? Cant., VI, 9.
163 Il fit un grand festin à tous les princes de sa cour et à ses serviteurs, aux plus braves des Perses, aux illustres des Mèdes et aux gouverneurs des provinces, en sa présence. Esther, I, 3.
164 Le diable, comme un lion rugissant, rôde autour de vous, cherchant qui il pourra dévorer. I Pierre, V, 8.
165 5 Mais le serpent était le plus rusé de tous les animaux de la terre qu’avait faits le Seigneur. Il dit à la femme... Gen., III, 1.
166 Il est menteur et le père du mensonge. Jean, VIII, 44.
167 Or Adam vécut cent trente ans et il engendra un fils... et il eut encore des fils et des filles. Gen., V, 3-4.
168 Or le frère livrera le frère à la mort, et le père, le fils ; les enfants s’élèveront contre les parents et les feront mourir. Et vous serez en haine à tous, à cause de mon nom. Mathieu, X, 21-22.
169 Mathieu, I ; Luc, III.
170 Vois, il ne s’assoupira, ni ne dormira, celui qui garde Israël. Ps., 120, 4.
171 Celui-ci a été établi pour la ruine et la résurrection d’un grand nombre en Israël, et en signe que l’on contredira. Luc, II, 34.
172 Vous êtes prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech. Ps. 109, 4.
173 Dieu éprouva Abraham et lui dit... Gen., XXII, 1.
174 L’amour est fort comme la mort ; le zèle de l’amour, inflexible comme l’enfer. Cant., VIII, 6.
175 Alors il vit en songe une échelle posée sur la terre et dont le sommet touchait au ciel, les anges de Dieu aussi qui la montaient et la descendaient. Gen., XXVIII, 12.
176 Ils te porteront dans leurs mains, de peur que ton pied ne heurte contre une pierre. Ps. 90, 12.
177 Il voyait que le buisson brûlait et ne se consumait point. Exode, III, 2.
178 Le Seigneur s’est cherché un homme selon son cœur. I Rois, XIII, 14.
179 Heureux l’homme... dont la volonté est dans la loi du Seigneur, et qui médite cette loi le jour et la nuit. Ps. 1, 1-2.
180 Laissez-le maudire car le Seigneur lui a ordonné qu’il maudisse David... Peut-être que le Seigneur me rendra quelque bien pour cette malédiction d’aujourd’hui. II Rois, XVI, 10-12.
181 Voilà que la Vierge concevra et enfantera un fils, et son nom sera appelé Emmanuel. Isaïe, VII, Un enfant nous est né, un fils nous a été donné. Ibid., IX, 1.
182 Le Seigneur a créé un nouveau prodige sur la terre : Une femme environnera un homme. Jér., XXXI, 22.
183 Lamentations, III.
184 Isaïe, XVI, 1.
185 Et le Seigneur me dit : Cette porte sera fermée ; elle ne sera pas ouverte, et aucun homme n’y passera, parce que le Seigneur Dieu d’Israël est entré par cette porte ; et elle sera fermée. Ézéch., XLIV, 2.
186 Habacuc, III.
187 Et il arrivera après cela que je répandrai mon esprit sur toute chair ; vos fils prophétiseront... Joël, II, 28.
188 Sur eux seuls s’étendait une profonde nuit. Sagesse, XVII, 20.
189 Ses perfections, rendues compréhensibles depuis la création du monde par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité ; de sorte qu’ils sont inexcusables. Romains, I, 20.
190 Des insensés, infini est le nombre. Eccles., I, 15.
191 Voici qu’il absorbera un fleuve, et il ne s’en étonnera point ; il a même la confiance que le Jourdain viendra couler dans sa bouche... Job, XL, 18.
192 Tu as blessé mon cœur, ma sœur, mon épouse... par un cheveu de ton cou. Cant., IV, 9.
193 Le cœur de son mari se confie en elle. Prov., XXXI, 11.
194 Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. Mathieu, XVIII, 20.
195 Vous l’avez prévenu des bénédictions les plus douces. Ps. 20, 4.
196 Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans l’exultation. Ps. 125, 5.
197 Ne méprisez pas les ouvrages de vos mains. Ps. 137, 8.
198 Seigneur, devant vous est tout mon désir, mon gémissement ne vous est pas caché. Ps. 37, 10.
199 Souvenez-vous de vos serviteurs Abraham, Isaac et Jacob. Deutéronome, IX, 27.
200 Seigneur, Seigneur, Roi tout-puissant, toutes choses sont soumises à votre pouvoir. Esther, XIII, 9.
201 Je parlerai à mon Seigneur et mon Dieu, quoique je ne sois que poussière et cendre. Gen., XVIII, 27.
202 I Rois, I. 13.
203 De grandes eaux n’ont pu éteindre la charité. Cant., VIII, 7.
204 Jésus-Christ est à la droite de Dieu, après avoir absorbé la mort pour que nous devinssions héritiers de la vie éternelle. I Pierre, III, 22.
205 Voici que désormais toutes les générations me diront bienheureuse. Luc, I, 48.
206 Il est bon de cacher le secret d’un roi. Tobie, XII, 7.
207 Le Seigneur est élevé et il regarde les choses basses. Ps. 137, 6.
208 Le Seigneur est près de tous ceux qui l’invoquent. Ps. 144, 18.
209 La prière est bonne avec le jeûne, et l’aumône vaut mieux que de tenir cachés des trésors d’or. Tobie, XII, 8.
210 Lorsque Moïse élevait les mains, Israël était victorieux, mais s’il les abaissait un peu, Amalec l’emportait... Exode, XVII, 11.
211 Allez et assemblez tous les Juifs que vous trouverez dans Suse et priez pour moi. Esther, IV, 16.
212 Judith entra dans son oratoire ; et se revêtant d’un cilice, elle mit de la cendre sur sa tête, et se prosternant devant le Seigneur, elle criait vers le Seigneur... Judith, IX, 1.
213 Moi je viens à toi au nom du Seigneur des armées. I Rois, XVII, 45.
214 Exaucez-moi, Seigneur, exaucez-moi, afin que ce peuple apprenne que vous êtes le Seigneur Dieu... Or le feu du ciel tomba et dévora l’holocauste. III Rois, XVIII, 37-38.
215 Or Élie monta sur le sommet du Carmel et incliné vers la terre, il mit sa face entre ses genoux... et voilà les cieux couverts de ténèbres et un vent et une grande pluie. III Rois, XVIII, 42, 45.
216 Mais la septième fois, voilà qu’un petit nuage, comme une trace de pied d’homme, s’élevait de la mer. Ibid., 44.
217 Je l’attirerai doucement et je l’amènerai dans la solitude, et je parlerai à son cœur. Osée, II, 14.
218 C’est avec son propre sang qu’il est entré une fois dans le sanctuaire, nous ayant acquis une éternelle rédemption. Hébreux, IX, 12.
219 Vous l’avez prévenu des bénédictions les plus douces. Ps. XX, 4.
220 Une seule est ma colombe, ma parfaite, elle est unique... Cant., VI, 8.
221 Le Seigneur... tire de la terre l’homme sans ressource et relève du fumier le pauvre. Ps. 112, 7.
222 Seigneur notre Dieu, que votre nom est admirable dans toute la terre. Ps. 8, 2.
223 Afin... de se faire un peuple pur, agréable et zélé pour les bonnes œuvres. Tite, II, 14.
224 Et un grand prodige parut dans le ciel : Une femme revêtue du soleil... Apoc., XII, 1.
225 La mort a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché. Romains, V, 12.
226 Une seule est ma colombe, ma parfaite, elle est unique. Cant., VI, 8.
227 Il n’y a personne qui puisse résister à votre volonté. Esther, XIII, 9.
228 Vous avez disposé toute chose avec mesure et nombre et poids. Sagesse, XI, 21.
229 Elle te brisera la tête. Genèse, III, 15.
230 Un grand prodige parut dans le ciel : Une femme vêtue du soleil... Apoc XII, 1.
231 Son orgueil, son arrogance et sa fureur sont plus grands que sa puissance. Isaïe, XVI, 6.
232 Michel et ses anges combattaient contre le dragon. Apoc., XII, 7.
233 Tous portent des glaives et sont très habiles dans les combats ; chacun a son glaive sur sa cuisse, à cause des craintes de la nuit. Cant., III, 8.
234 Prenez aussi le casque du salut et le glaive de l’Esprit-Saint (qui est la parole de Dieu). Éphés., VI, 17.
235 Voici la couche de Salomon : soixante vaillants guerriers des plus vaillants d’Israël l’environnent.
236 Ses fondements sont sur les montagnes saintes. Ps. 86, 2.
237 Matthieu, XIV, 29.
238 Le cours d’un fleuve abondant réjouit la cité de Dieu. Ps. 45, 5.
239 Et moi, Jean, je vis la sainte cité, la nouvelle Jérusalem, descendant du ciel d’auprès de Dieu, parée comme une épouse et ornée pour son époux. Apoc., XXI, 2.
240 Ô vous Seigneur de toutes choses qui n’avez besoin d’aucune... II Mach., XIV, 35.
241 Réjouissez-vous avec moi, parce que j’ai trouvé la drachme. Luc, XV, 9.
242 Elle viendra au-devant de lui comme une mère honorée. Eccli., XV, 2.
243 Celui qui dès la lumière du jour veillera pour elle, n’aura pas de peine, car il la trouvera assise à sa porte. Sagesse, VI, 15.
244 Que tes pas sont beaux dans les chaussures, fille de prince ! Cant., VII, 1.
245 Que tu es belle, mon amie, que tu es belle. Cant., IV, 1.
246 Les cheveux de ta tête sont comme la pourpre d’un Roi. Cant., VII, 5.
247 Tu as blessé mon cœur, ma sœur, mon épouse, tu as blessé mon cœur par l’un de tes yeux et par un cheveu de ton cou. Cant., IV, 9.
248 Je dors, mais mon cœur veille. Cant., V, 2.
249 Auquel des anges Dieu a-t-il jamais dit : Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd’hui ? Et encore : Moi, je serai son Père, et lui sera môn Fils ? Hébreux, I, 5.
250 Il est bon de cacher le secret d’un Roi. Tobie, XII, 7.
251 Marchons honnêtement... non dans l’esprit de contention et l’envie. Romains, XIII, 13.
252 Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur écoute. I Rois, III, 10.
253 Je l’ai saisi et je ne le laisserai pas aller. Cant., III, 4.
254 Moi je suis la mère du pur amour, et de la crainte, et de la science, et de la sainte espérance. Eccli., XXIV, 24.
255 Le Seigneur a créé un nouveau prodige sur la terre. Jérémie, XXXI, 22.
256 Une seule est ma Colombe, ma Parfaite, elle est Unique... Cant., VI, S.
257 Ibid., 9.
258 Toutes choses ont été faites par lui et sans lui rien n’a été fait de ce qui a été fait. Jean, I, 3.
259 ...Notre Seigneur Jésus-Christ qui s’est livré lui-même pour nous afin de nous racheter. Tite, II, 13-14.
260 Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. Jean, VI, 57.
261 Nous nous glorifions encore dans les tribulations, sachant que la tribulation produit la patience ; la patience, l’épreuve ; et l’épreuve, l’espérance. Romains, V, 3-4.
262 Comme une brebis il sera conduit à la tuerie. Isaïe, LIII, 7.
263 Il s’est humilié lui-même, s’étant fait obéissant jusqu’à la mort ignominieuse de la croix. Philipp., II, 8.
264 Les dons et la vocation de Dieu sont sans repentir. Romains, XI, 29.
265 Qui a connu la pensée du Seigneur ? ou qui a été son conseiller ? ou qui le premier lui a donné et sera rétribué ? Ibid., 34-35.
266 Jésus se tenait debout et s’écriait disant : si quelqu’un a soif qu’il vienne à moi et qu’il boive. Jean, VII, 37.
267 Le cours d’un fleuve abondant réjouit la Cité de Dieu. Ps. 45, 5.
268 Vous tous qui avez soif, venez vers les eaux. Isaïe, LV, Que celui qui a soif vienne ; et que celui qui vient reçoive gratuitement l’eau de la vie. Apoc., XXII, 17.
269 Vous puiserez avec joie des eaux des fontaines du Sauveur. Isaïe, XII, 3.
270 Mon peuple a fait deux maux : ils m’ont abandonné, moi, source d’eau vive, et ils se sont creusé des citernes, des citernes entr’ouvertes qui ne peuvent retenir les eaux. Jérémie, II, 13.
271 Si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers. Rom., VIII, 17.
272 Ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a point entendu, ce qui n’est point monté dans le cœur de l’homme, ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment. I Cor., II, 9.
273 Eccl., I, 15.
274 Mon joug est doux et mon fardeau léger. Matthieu, XI, 30.
275 Comme le corps sans l’esprit est mort, ainsi la foi elle-même sans les œuvres est morte. Jacques, II, 26.
276 On usera pour vous de la même mesure dont vous aurez usé pour les autres. Luc, VI, 38.
277 Afin qu’ils cherchent Dieu et s’efforcent de le trouver comme à tâtons, quoiqu’il ne soit pas loin de chacun de nous. Actes, XVII, 27.
278 Ils se sont creusé des citernes entrouvertes qui ne peuvent retenir les eaux. Jérémie, II, 13.
279 Il n’a ni éclat ni beauté... il a été brisé à cause de nos crimes. Isaïe, LIII, 2, 5.
280 Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole. Luc, I, 38.
281 Les vrais adorateurs adoreront en esprit et en vérité. Jean, IV, 23.
282 Par moi les princes commandent et les puissants rendent la justice. Proverbes, VIII, 16.
283 Ceux qui agissent par moi ne pécheront pas. Ceux qui m’éclaircissent auront la vie éternelle. Eccli., XXIV, 30-31.
284 Je marche dans les voies de la justice, au milieu des sentiers du jugement, afin d’enrichir ceux qui m’aiment et de remplir leurs trésors. Prov., VIII, 20-21.
285 J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, vous n’avez pas besoin de mes biens. Ps. 15, 2.
286 Je vous dis que de ces pierres mêmes Dieu peut susciter des enfants à Abraham. Luc, III, 8.
287 La sagesse a ouvert la bouche des muets et elle a rendu les langues des petits enfants éloquentes. Sagesse, X, 21.
288 Nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu. II Cor., VI, 1.
289 J’ai rencontré celui que chérit mon âme, je l’ai saisi et je ne le laisserai pas aller. Cant., III, 4.
290 En vos mains sont mes destinées. Ps. 30, 16.
291 Il a ordonné en moi la charité. Cant., II, 4.
292 Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel, et hors de vous qu’ai-je voulu sur la terre ? Ps. 72, 25.
293 Il ne s’assoupira ni ne dormira, celui qui garde Israël. Ps. 120, 4.
294 Celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla, les fit valoir et en gagna cinq autres. Matthieu, XXV, 16.
295 Ne sois pas sage à tes propres yeux : crains Dieu et éloigne-toi du mal. Proverbes, III, 7.
296 Bethsabée vint donc auprès du roi Salomon afin de lui parler pour Adonias ; et le roi se leva au-devant d’elle, puis il s’assit sur son trône ; et un trône fut placé pour la mère du roi, laquelle s’assit à sa droite. III Rois, II, 19.
297 Bethsabée lui dit : Qu’Abisag la Sunamite soit donnée à Adonias ton frère pour femme. Ibid., 21.
298 Et Sara dit : Dieu m’a donné sujet de rire : quiconque l’apprendra rira avec moi. Gen., XXI, 6.
299 Il l’appela du nom de Noé disant : Celui-ci nous consolera. Gen., V, 29.
300 Si un plus fort que lui survenant, en triomphe, il emportera toutes ses armes. Luc, XI, 22.
301 ...À moins que le roi ne tende son sceptre d’or vers lui en signe de clémence. Esther, IV, 11.
302 Samuel dormait dans le temple du Seigneur où était l’arche de Dieu et le Seigneur appela Samuel... I Rois, III, 3-4.
303 Joseph raconta à ses frères un songe qu’il avait eu. Gen., XXXVII, 5.
304 Son zèle prendra son armure, et il armera la créature pour se venger de ses ennemis. Sagesse, V, 18.
305 Par ta dureté, tu t’amassasses un trésor de colère. Rom., II, 5.
306 Car le corps qui se corrompt appesantit l’âme, et cette habitation terrestre abat l’esprit qui pense beaucoup de choses. Sagesse, IX, 15.
307 Pourquoi m’avez-vous mis en opposition avec vous, et suis-je à charge à moi-même ? Job, VII, 20.
308 Vous l’avez abaissé un peu au-dessous des Anges. Ps. 3,
309 Verset 12.
310 Leurs anges voient sans cesse dans le ciel la face de mon Père qui est dans les cieux. Mathieu, XVIII, 10.
311 Aspirez aux dons les meilleurs. I Cor., XII, 31.
312 Il m’a introduite dans son cellier à vin, il a ordonné en moi la charité. Cant., II, 4.
313 L’amour est fort comme la mort. Cant., VIII, 6.
314 Dans une multitude de paroles il n’y aura pas manque de péché. Prov., X, 19.
315 La voix de la tourterelle a été entendue dans notre terre. Cantiques, 11, 12.
316 C’est en lui que nous vivons, et que nous nous mouvons et que nous sommes. Actes, XVII, 28.
317 Luc, I, 38.
318 Cantiques, VIII, 8-9.
319 Cantiques, IV, 9.
320 La grâce est répandue sur vos lèvres. Ps. 44, 3.
321 L’obéissance est meilleure que des victimes. I Rois, XV, 22.
322 Job, XXXI, 18.
323 Eccl., IX, 1.
324 Eccli., XV, 17.
325 ...Notre Sauveur Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité. I Tim., II, 34.
326 La fascination de la frivolité obscurcit le bien et l’inconstance de la concupiscence renverse le sens qui est sans malice. Sagesse, IV, 12.