Le Nuage de l’inconnaissance

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Denis MARTIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ON ne peut manquer d’être frappé par le grand nombre d’auteurs spirituels, plus ou moins fervents du zen, qui, depuis quelques années, rapprochent celui-ci de la mystique du Nuage de ‘Inconnaissance. L’univers d’angoisse et de dispersion où nous vivons donne sans doute à ce texte anonyme, écrit en moyen-anglais à la fin du XIVe siècle une singulière actualité.

Le Nuage est un court traité de la prière contemplative, composé de soixante-quinze chapitres d’une à deux pages chacun. Il s’adresse à un homme encore jeune qui, ayant franchi les premières étapes de la vie chrétienne, envisage d’entrer dans la vie solitaire. Il serait assez vain d’y chercher un plan d’ensemble, certains chapitres se faisant suite tandis que d’autres n’ont entre eux aucun lien apparent. L’œuvre n’en contient pas moins un enseignement d’une grande portée et de bons auteurs 1 y voient un des sommets de la tradition mystique anglaise. On sait par ailleurs qu’à l’époque un grand nombre de copies manuscrites du Nuage circulaient, ce qui donne une idée de son succès. On ne peut cependant préciser ni la date ni le lieu de sa composition : tout ce qu’on en peut dire est qu’il fut écrit dans le dialecte des Midlands au cours de la deuxième moitié du XIVe siècle.

En ce qui concerne l’auteur lui-même, notre ignorance est totale : on ne connaît rien de sa vie, ni son nom ni ses date et lieu de naissance ou de décès, et ce en dépit de maintes recherches en plusieurs directions 2… On suppose qu’il était prêtre, religieux peut-être, et qu’il vivait en solitaire. En plus du Nuage de l’Inconnaissance on lui attribue, stylistique et doctrine aidant, trois autres traités, plus courts, sur le même sujet : The Epistle of Privy Counsel, The Epistle of Prayer, The Epistle of Discretion 3 ; une traduction : Deonise Hid Divinite 4 ; enfin deux paraphrases : Benjamin Minor 5 et The Treatise of the Discerning of Spirits 6.

 

Un anonymat aussi parfaitement gardé n’a pu être que voulu, et cela n’est guère étonnant quand on voit l’importance que l’auteur attache à l’humilité. Jamais au surplus il ne cherche à s’affirmer ou à défendre son point de vue d’une façon agressive : tout ce qu’il prétend faire, c’est guider son disciple sur une voie déjà frayée par une longue tradition. La tâche est à ses yeux suffisamment ambitieuse pour qu’il s’y applique avec tout son cœur et tout son sens pédagogique. Sa culture théologique – connaissance de l’Écriture et des Pères – est aussi vaste que sa science psychologique. Sans doute, se trouvant lui-même engagé sur les voies mystiques, a-t-il su retirer de son expérience assez de sérénité et de clairvoyance pour guider un disciple encore novice. Les conseils qu’il lui donne témoignent en effet d’un sens pratique toujours inattendu dans un livre mystique, et c’est cela en partie qui en fait la saveur. Le style concret, les exemples nombreux pris dans la vie courante, donneront beaucoup mieux au débutant la marche à suivre qu’un long discours abstrait. Il ressort, à vrai dire, de plus d’un chapitre qu’il semble vouloir se mettre à la portée d’un lecteur qui serait peu accessible aux abstractions 7.

 

 

Un témoin de la « contemplation obscure »

 

Ce souci didactique apparaît d’emblée dans le Nuage, même à qui s’en tient à une lecture superficielle, l’auteur faisant l’économie des développements théologiques qui soutiennent sa méthode. Mais pour une appréciation plus juste de ce traité, on ne peut méconnaître la longue et éminente tradition de mystique chrétienne dont il est le produit. Née en Orient, cette tradition connue sous le nom de « contemplation obscure » s’est répandue dans l’Occident chrétien, où elle reste en honneur bien après le XIVe siècle ; elle sera en effet brillamment illustrée par saint Jean de la Croix dont elle fera à la fois la séduction et le mystère.

Si l’auteur a puisé à mainte source patristique 8, sa source principale, avouée dès le titre, est la théologie négative (ou apophatique) du Pseudo-Denys, qu’il tient pour son maître 9. À l’époque on confondait celui-ci avec l’Aréopagite, disciple de saint Paul, mais, en tout état de cause, la tradition qu’il représente exprimait la pensée des Pères grecs et jouissait de ce fait d’une très grande autorité aussi bien en Orient qu’en Occident.

L’essentiel de la pensée de Denys se trouve exposé dans son court Traité de la théologie mystique 10 et dans trois Lettres qui lui font suite 11. Selon lui, la théologie spéculative nous renseigne mal sur la réalité divine, celle-ci étant radicalement différente de ce que nos sens et notre intelligence peuvent en saisir. Plutôt que d’affirmer que Dieu est bon, sage, puissant comme nous pouvons l’imaginer d’après les créatures, il est plus juste de dire que Dieu n’est rien de tout cela : il est l’inconnaissable et le Tout Autre. Pour approcher de Dieu, Denys préfère donc la théologie mystique, laquelle relève de la connaissance intuitive.

 

Alors, délivrée du monde sensible et du monde intellectuel, l’âme entre dans la mystérieuse obscurité d’une sainte ignorance et, renonçant à toute donnée scientifique, elle se perd dans celui qui ne peut être ni vu ni saisi 12.

 

C’est ce traité qui a directement inspiré le Nuage de l’Inconnaissance.

Mais on se demande à bon droit comment cette tradition orientale a pu, au Moyen Âge, se répandre en Occident. C’est ici que l’on peut mesurer le rôle de la célèbre abbaye de Saint-Victor de Paris 13. L’auteur du Nuage lui est redevable pour sa formation tant intellectuelle que spirituelle. L’influence sur lui de Richard de Saint-Victor et de Thomas Gallus est particulièrement nette. C’est ce dernier qui, au XIIIe siècle, avait traduit en latin le traité de Denys sous le titre Mystica Theologia. Il y avait ajouté ses propres commentaires, comme cela n’était pas rare au Moyen Âge, et c’est ce travail de Gallus que l’auteur du Nuage a traduit à son tour en sa langue sous le titre encore plus explicite de Deonise Hid Divinite. Quant à Richard, sa pensée transparaît très souvent chez l’auteur anglais quand celui-ci ne fait pas de la pure paraphrase, comme il arrive dans Benjamin Minor.

 

 

Influence de la « Vie de Moïse »

 

En bref, il est clair que, grâce à ces traductions du grec en latin, la pensée du Pseudo-Denys s’est répandue dans notre Occident, peu ou prou informé par la pensée thomiste, et que l’Abbaye de Saint-Victor a joué un rôle de premier plan dans la diffusion de la mystique orientale chrétienne. C’est de la même façon d’ailleurs qu’on a connu les autres Pères grecs. Pour le sujet qui nous occupe, il faut insister sur Grégoire de Nysse, qui est à la source de la mystique byzantine. Dans sa Vie de Moïse 14, il présente une exégèse spirituelle du livre de l’Exode et étudie longuement le symbole de la Ténèbre (ou du Nuage). Ce nuage en fait n’est autre que celui qui enveloppa le Sinaï au moment où Moïse, gravissant la montagne, implora Dieu de se manifester à lui 15. Selon cette exégèse, l’ascension du Sinaï devient le symbole de l’ascension mystique, la personne de Moïse celui de l’homme en quête de Dieu. Quant à la nuée qui recouvre la montagne, si, d’une part, elle isole bien Moïse du reste du monde, elle abrite aussi la Divinité puisque c’est en elle que d’une certaine manière Moïse entrera en contact avec le Tout Autre. Cette nuée pourra s’appeler « ténèbre », « nuage » ou « nuit obscure »... il s’agira dans tous les cas de la même réalité. Grégoire développera ce thème à nouveau dans ses Homélies sur le Cantique des cantiques, dans une problématique mystique plus large 16.

À ce propos, la distinction que fait l’auteur anglais entre nuage d’inconnaissance et nuage d’oubli semble être surtout de nature didactique. Elle n’apparaît pas dans l’exégèse de Grégoire, non plus d’ailleurs que dans l’usage qu’en font les mystiques d’Occident, Richard de Saint-Victor inclus. Il semble bien que pour ceux-ci un seul nuage ait la double fonction et contienne le double symbole : d’une part cacher le monde créé, le chassant ainsi du cœur et de l’esprit, et, d’autre part, constituer la demeure de l’Inconnaissable, le lieu privilégié de la rencontre. Si l’Anglais scinde le nuage, c’est, semble-t-il, afin de donner un enseignement plus concret grâce auquel la confusion n’a aucune chance de se glisser.

Mais c’est évidemment sa deuxième fonction qui est essentielle. Pour Grégoire, cette inconnaissance, cette ténèbre divine exprime l’incapacité radicale du mystique d’atteindre jamais son but : voir Dieu tel qu’il est. De même que Moïse n’a pu voir la face de Yahvé, de même l’âme contemplative ne peut saisir que des aspects dérivés et imparfaits de la réalité divine. Il y a bien dans cette expérience une certaine appréhension de Dieu, mais toujours déficiente par rapport à ce que Dieu est vraiment. L’âme doit donc de nouveau tendre à une participation meilleure, vers un degré supérieur de contemplation, sachant bien que ce degré-là ne sera pas davantage définitif, qu’il lui faudra chaque fois dépasser l’étape et repartir encore. « La connaissance mystique, dit Jean Daniélou, est toujours synthèse de connaissance et d’inconnaissance, de possession et de recherche 17. »

Chacune de ces étapes est bien un accomplissement et un succès qui comblent l’âme, mais qui la comblent en la creusant. Le désir ne fait que s’accroître d’aller toujours plus loin comme si voir Dieu consistait à sans cesse le chercher. Jean Daniélou remarque encore à ce propos : « Ce qui caractérise cette attitude spirituelle, c’est d’être une perpétuelle croissance... l’âme s’élève par un mouvement ascensionnel qui n’a pas de cesse et où elle trouve toujours dans ce qui est réalisé un nouvel élan pour aller plus haut 18. »

Les ténèbres succèdent donc aux ténèbres. « L’âme est ainsi conçue comme un univers spirituel en éternelle expansion dans la Ténèbre infinie. »

Le Nuage de l’Inconnaissance est bien cette ténèbre infinie que le mystique n’aura jamais fini d’explorer. C’est peut-être pour cela que 1’auteur anglais n’en donne à son disciple aucune idée même approximative. Il lui enjoint seulement de poursuivre sa quête et de persévérer envers et contre tout, étant bien entendu que ce qu’il trouvera dans le Nuage de l’Inconnaissance, nul ne peut le lui dire. « Voici que tu me demandes à présent : Comment vais-je penser à Lui (Dieu) et qu’est-Il ? À cette question ma seule réponse sera que je n’en sais rien, car elle me plonge moi-même dans cette obscurité et dans ce nuage où je voudrais que tu fusses toi aussi. »

C’est qu’en effet la découverte sera différente selon les personnes et aussi selon le degré auquel le mystique sera parvenu à ce moment-là, les puissances de son âme s’élargissant à chaque progrès accompli. Le mal ici serait de ne pas progresser, car la tentation reste grande de freiner le mouvement de l’âme et de se complaire dans le résultat acquis. L’âme, se repliant alors sur son avoir au lieu de se tourner vers l’avenir, se rendrait coupable du « refus de croissance », sommation pour elle de tous les péchés de l’esprit.

Cette façon de voir le péché se trouve développée dans la mise en garde du quarantième chapitre : « De la même manière, remplis ton esprit de la signification spirituelle du mot péché sans considérer aucune espèce particulière... Orgueil, colère, envie, etc. Aie le sentiment du péché comme d’une masse, sans savoir ce qu’il est, sinon qu’il est toi-même. » Le péché est donc bien le repli sur soi, le refus de s’oublier ; c’est une masse, un fardeau qui ralentit le progrès incessant dont nous parlions. Bien plus que son aspect moral, c’est sa réalité spirituelle négative qui préoccupe notre auteur. De même qu’il est vain d’énumérer les divers attributs de Dieu, de même est-il oiseux de vouloir considérer le Mal sous ses aspects multiples.

Le mystique luttera donc contre celui-ci par un effort constant d’oubli du monde et de soi-même. Telle est l’ascèse, la seule exigée à ce stade sans doute, sur laquelle l’auteur du Nuage insiste sans oublier de souligner qu’elle requiert une volonté déjà bien entraînée. Mais n’est-ce pas dans la volonté précisément que l’amour naît et grandit ? C’est grâce à elle en effet, non à l’entendement, que l’âme s’élève à Dieu et que le monde est rejeté sous le nuage d’oubli. Il y a trop de ressemblances entre cet enseignement et la doctrine mystique de Grégoire pour qu’on puisse ne pas parler d’influence, sinon d’inspiration.

Il n’est peut-être pas sans intérêt de remonter, avec Ch. H. Puech 19, jusqu’à la source de la tradition à laquelle appartient Grégoire : Philon d’Alexandrie qui, le premier, a écrit une Vie de Moïse 20, inaugurant ainsi la symbolique de l’Exode. L’idée de l’épectase y est déjà présente. Le néoplatonisme de Plotin est l’autre élément majeur de cette tradition. Il est même souvent difficile de distinguer les deux courants, Philon dépendant lui aussi de Platon. On voit que cette forme de pensée remonte très haut dans le cours des siècles. On est tenté de croire qu’il s’agit là d’une constante de l’esprit humain quand on considère le nombre, la diversité et la fécondité de ceux qui s’en réclament.

 

 

Comparaison avec le zen 21

 

Il semble même que l’éloignement dans l’espace et le temps n’empêche point de trouver une forme analogue de méditation en Extrême-Orient. Compte tenu en effet de cette différence fondamentale entre l’auteur du Nuage de l’Inconnaissance et les maîtres du zen que pour le premier l’état mystique résulte d’un appel spécifique de la grâce qui opère le vouloir et le faire, tandis que pour les seconds c’est la technique appropriée qui suffit à elle seule à l’induire, de bons auteurs, comme W. Johnston 22, ont pu dresser un parallèle frappant entre les méthodes respectives. Il ressort de leurs travaux que les conduites proposées et encore plus les mécanismes psychologiques sur lesquels elles reposent ont beaucoup de points communs. Notons, avant d’examiner quelques détails parlants, que le maître du zen – un personnage socialement bien défini – se doit d’avoir lui-même franchi au préalable toutes les étapes jusqu’au satori (illumination) avant de prendre en main des disciples et de les guider pas à pas.

Le zen (méditation) a donc pour but, selon W. Johnston, de « faire le vide... pensées, images, craintes, sentiments, soucis et projets ambitieux sont bannis de l’esprit ramené à l’état de tabula rasa ». Il amène à « refuser de prêter attention au courant de la pensée quand il traverse la surface de l’esprit 23 ». Tel est bien aussi le rôle du « nuage de l’oubli » dans le traité de notre Mystique anglais. On y trouve le même effort de volonté, le même « élan nu » hors du monde créé. Cet élan, dans le Nuage, est tellement abstrait des choses du monde qu’il en vient à mettre entre parenthèses l’humanité du Christ, sa vie terrestre et sa Passion, ce qui n’a pas manqué de susciter chez certains critiques l’idée que son auteur n’est plus chrétien. Peut-être oublient-ils à leur tour que le Christ, avant d’être incarné, est Dieu de toute éternité et que la vie mystique, par définition, ne peut être que mystérieuse.

Au terme de ces efforts, efforts constants et prolongés, buddhi (l’âme intuitive) atteint un stade de profonde concentration où les choses sont saisies dans leur nudité existentielle sans que la moindre pensée soit accordée à l’avenir ou au passé. Malgré les apparences, la tension de l’esprit reste considérable. Le mystique, à ce niveau, appelé sanmaï, perd en grande partie le sentiment de son ego. Il devient sourd aux contingences.

En vue sans doute de bafouer la raison discursive, le maître enjoint à son disciple de répéter une phrase ou un simple mot dépourvus de sens et qu’on appelle koan. Ici encore nous retrouvons un trait caractéristique du Nuage, comme on verra aux chapitres 37 à 40 où il n’est question que de prières monosyllabiques. À ce détail près que les mots conseillés – God, love, sin – ont un sens, on peut évidemment les rapprocher des koans les plus brefs.

Un autre point de convergence paraît bien être l’attitude à l’endroit des phénomènes dits extraordinaires qui, pour certains profanes, constituent l’essentiel des états mystiques. S’il arrive en effet, au cours d’une phase hallucinatoire, que d’étranges visions, horribles ou séduisantes, se présentent à l’esprit, l’école du zen traditionnel leur refuse toute espèce de signification, et l’auteur du Nuage est presque aussi formel :

 

Quant aux autres réconforts qui arrivent au dehors tout soudain sans que tu saches d’où, je te prie de les considérer comme suspects... Ils ne sauraient pourtant être tenus forcément pour mauvais...

 

La chose a pour lui si peu d’importance qu’il renvoie son disciple, s’il désire en savoir davantage, au « livre d’un autre auteur » (Richard Rolle ?).

 

Ces pensées et images inopinées obéissent, semble-t-il, à des mécanismes connus. Plus elles sont refoulées avec vigueur sous le nuage d’oubli et plus elles rebondissent dans le champ de la conscience. Aldous Huxley affirme 24 que ces manifestations, qui paraissent sans malice dans la vie courante, nuisent beaucoup au progrès spirituel. Il rejoint ainsi les maîtres du zen, qui les appellent makyô, ou « monde du démon ». L’auteur du Cloud en parle peu, bien qu’il ne les exclue pas absolument : « Peut-être Dieu enverra-t-il parfois un rayon de lumière spirituelle qui percera le nuage d’inconnaissance... Il te confiera alors quelques-uns de ses secrets, dont l’homme ne doit ni ne peut parler. »

Dans le zen, l’illumination ou satori, qui est le terme de tout le procès, se réalise assez rarement bien qu’elle apparaisse moins exceptionnelle que l’extase dont parle le Nuage. On peut l’atteindre par la méditation, mais un évènement fortuit peut la déclencher. Elle apporte avec elle la paix, la joie et la liberté intérieure, éteignant tout désir, toute source de souffrance par conséquent. C’est ici que nous voyons s’amorcer les principales divergences entre la mystique zen et celle du Nuage. Le satori réalise en effet l’idéal du zen, qui est l’unification absolue du sujet avec son objet, l’être se dissolvant dans l’univers jusqu’à disparition du moi. Seule demeure l’existence : « Le ciel et la terre et moi-même avons la même unique source ; les dix mille choses et moi avant le même unique corps 25. » Dans la mystique chrétienne, par contre, le moi uni à Dieu étroitement par l’amour ne se confond jamais avec lui.

 

Et cela nous amène au plan idéologique, où les deux courants procèdent de données fort différentes. Alors que la mystique chrétienne part du Dieu révélé pour retourner à lui, l’adepte du zen peut tout aussi bien croire que ne pas croire en Dieu. Seule importe l’expérience psychologique, et c’est sans doute pour cela que Carl G. Jung s’y est tant intéressé, frappé qu’il était par les effets thérapeutiques de la méthode, l’émergence d’éléments restés enfouis dans l’inconscient et la résorption des conflits internes 26. La mystique chrétienne en revanche ne se propose nullement de supprimer la souffrance ou de réduire les tensions. Elle vise Dieu de toutes ses forces, quelles que soient les joies ou les peines que cette démarche entraîne.

Résumons-nous : les points de convergence entre la mystique zen et celle du Nuage sont frappants au plan de la méthode et à celui-ci seulement. L’une et l’autre recommandent de laisser de côté les théories pour l’expérience vécue. Il n’est pas nécessaire d’être théologien ou clerc pour suivre l’auteur du Nuage. De même peut-on pratiquer le zen sans connaître le bouddhisme. Maints rapprochements sont donc possibles, à tel point que l’on peut légitimement se demander si les deux courants n’ont pas une source commune, Plotin ayant connu la pensée hindoue. C’est ce que suggère Huxley : « Au cours des IVe et Ve siècles, le néo-platonisme et, dans son sillage, avec plusieurs relais, les éléments les plus précieux de la religion hindoue, pénétrèrent le christianisme, qui les intégra comme l’un des nombreux éléments curieusement hétérogènes à son système de pensée et à sa spiritualité 27. »

Si l’auteur du Nuage n’a pas inventé une spiritualité, il n’en a pas moins fait œuvre originale en rendant accessible à un public occidental purement anglophone une mystique typiquement orientale, surtout en lui donnant des moyens techniques fort utiles sinon indispensables. Il a, ce faisant, suivi l’exemple de ses maîtres, Denys en premier lieu, puis l’École de Saint-Victor, laquelle avait déjà rendu un service pareil à un public qui entendait le latin. C’est pour cela, n’en doutons point, que sa place et son rôle dans l’histoire des idées sont aujourd’hui considérés avec faveur.

 

 

Denise MARTIN

Université de Yaoundé

 

 

 

 

 

 

 

 

TEXTES

 

 

 

Je voudrais... te faire sortir

de la grossièreté des sensations

et t’amener à la pureté et à la

profondeur des sentiments spirituels.

 

 

1. LIMINAIRE OU L’ON VOIT À QUI LE LIVRE S’ADRESSE

 

« Ne le lis pas, ne le copie pas, n’en parle pas, ne permets pas qu’il soit lu ou copié ni qu’on en parle si tu n’as affaire à une personne qui veuille sincèrement et de toute son âme devenir un parfait disciple du Christ. Encore faut-il qu’elle se propose de le suivre non pas seulement dans la vie active, mais dans le plus haut degré de vie contemplative auquel la grâce puisse mener ici-bas une âme habitant un corps mortel. Autrement dit, il faut qu’elle fasse tout ce qui est en son pouvoir pour arriver à ce but et que, d’autre part, tu aies lieu de croire qu’un exercice assidu des vertus de la vie active la prépare depuis longtemps à la vie contemplative. Sinon mon livre ne lui convient absolument pas... »

 

« Dans la vie solitaire tu pourras apprendre à élever ton amour, et monter ainsi à ce degré et à cet état qui est le dernier de tous : celui de la perfection... Mais il y a d’autres personnes qui appartiennent à la vie active par la forme extérieure de leur vie ; et néanmoins l’Esprit de Dieu dont les jugements sont cachés produit en elles un mouvement secret qui les rend aptes à atteindre le plus haut point de l’acte de contemplation. Sans doute cette disposition n’est pas chez elles à l’état continu comme chez les contemplatifs ; mais elles l’éprouvent quelquefois. Si mon écrit tombe entre leurs mains, il leur donnera, par la grâce de Dieu, grande consolation. »

 

« Quant à ceux qui aiment les discussions... qu’ils ne s’en mêlent pas. Il en est de même des gens à l’esprit inquiet, qu’ils soient savants ou ignorants... ce dont je traite ici n’est pas fait pour eux. » (ch. I) (Dans son « Épître de la direction intime », l’auteur s’étonne que « des personnes, non des plus ignorantes, mais savantes et instruites », trouvent ses écrits « si élevés et si durs à lire qu’à peine peuvent-ils être saisis par les gens les plus instruits ». Ses leçons, pense-t-il, sont « à la portée du plus ignorant des hommes ou des femmes, et de l’intelligence naturelle la plus vulgaire ici-bas ».)

 

 

2. LES DEGRÉS DE LA VIE SPIRITUELLE ET LES PÉCHEURS

 

« La Sainte Église ne connaît que deux vies, mystérieusement figurées dans le récit de l’Évangile par les deux sœurs Marthe et Marie. La première représente la vie active et la seconde la vie contemplative... Mais s’il n’y a que deux vies, on peut en les mettant ensemble y distinguer trois parties, chacune meilleure que la précédente... La première consiste dans les œuvres bonnes et vertueuses... la deuxième en de pieuses méditations spirituelles sur la misère de l’homme, la passion du Christ et les joies du Paradis. La première partie est bonne mais la deuxième est meilleure ; elle est le second degré de la vie active et le premier de la vie contemplative. C’est dans cette partie que s’unissent ensemble par une parenté spirituelle et sont rendues sœurs, comme Marthe et Marie, les deux vies spirituelles. Les actifs peuvent s’élever jusque-là dans la contemplation, mais pas plus haut, sinon à de très rares intervalles et moyennant une grâce particulière. De leur côté, les contemplatifs peuvent descendre jusque-là vers la vie active, mais ils ne doivent pas aller plus bas, sinon très rarement et en cas de nécessité. La troisième partie se passe dans cet obscur nuage de l’inconnaissance et suppose des élans secrets d’amour qui sans cesse remontent vers Dieu tel qu’il est en lui-même. Si la première est bonne et la deuxième meilleure, celle-ci est la meilleure de toutes, et telle est le « meilleure part » de Marie » (ch. 21).

 

« Que personne ne taxe de présomption un pécheur, même le plus misérable de tous, qui, après s’être régulièrement amendé, se sentirait porté à la vie contemplative et, avec l’approbation de son directeur et de sa conscience, oserait élever vers Dieu un humble mouvement d’amour... (ch. 16) Il arrive, et même souvent, que ceux qui sont tombés dans des fautes graves et répétées atteignent plus vite que les autres à la perfection de cette œuvre. C’est là un miracle de notre Seigneur... Je suis certain qu’au jour du Jugement... plus d’un qui est aujourd’hui compté peu ou prou pour rien, et méprisé comme un pécheur, peut-être comme un grand criminel, trouvera grâce devant Dieu et s’assiéra parmi les saints » (ch. 29).

 

 

3. DE L’HUMILITÉ ET DES MOYENS. LE DON DE DIEU

 

« Vois ce qui te manque, et non ce que tu as : c’est le meilleur moyen pour acquérir et garder l’humilité. Si tu veux avancer dans la perfection, toute ta vie désormais doit consister en désir. Ce désir est formé, dans ta volonté, et par la main de Dieu et par ton acquiescement » (ch. 2).

 

« L’humilité n’est autre chose que la connaissance et le sentiment vrais de ce que nous sommes... Elle a deux causes : l’une est la fange, la misère et la fragilité qui sont en l’homme les suites du péché... L’autre est l’amour surabondant de Dieu et la majesté qu’il a par lui-même » (ch. 13).

 

« Peine donc et travaille de ton mieux... pour te connaître vraiment et prendre une conscience exacte de toi-même, et je ne doute pas que bientôt tu arrives à une connaissance et une expérience réelles de Dieu tel qu’il est, étant bien entendu qu’il ne s’agit pas de Dieu tel qu’il est en lui-même, car nul ne peut le connaître ainsi... Je parle de la connaissance expérimentale qui est possible ici-bas, et qu’il daigne accorder à une âme humble vivant encore dans une chair mortelle » (ch. 14).

 

« Ce serait une dangereuse illusion, parce qu’on a entendu quelque lecture ou discours se rapportant à cette œuvre, de s’imaginer qu’elle peut, ou même qu’elle doit venir par le travail des facultés... » (ch. 4). « Lorsqu’il pratique cette œuvre, un disciple encore novice, qui n’est pas bien entraîné aux exercices spirituels et n’y a pas été éprouvé, peut très bien tomber dans l’erreur. Si alors il n’use pas de prudence et ne reçoit pas la grâce de s’arrêter et de se soumettre humblement à son directeur, il court grand risque de ruiner ses forces physiques et de déranger ses facultés intellectuelles » (ch. 45). « D’autres... par suite de leur orgueil et de l’inquiétude de leur esprit, à cause aussi de leur science, désertent la doctrine commune et les directions de la Sainte Église. N’ayant jamais établi le fondement de leur édifice spirituel sur l’humilité et l’obscurité intérieure de la foi et sur la pratique des vertus, ils méritent de tomber dans de faux sentiments, œuvres contrefaites de l’ennemi spirituel » (ch. 56).

 

« Jeûne autant que tu voudras, veille aussi tard et lève-toi aussi matin qu’il te plaira, couche sur la dure, porte la haire la plus rude... inflige à ton corps toutes les souffrances que tu peux imaginer, tout cela ne servira de rien » (ch. 12).

 

« Pour ceux qui commencent ou sont encore dans la voie du progrès – il n’en est pas de même pour ceux qui sont parfaits, autant qu’on peut l’être ici-bas – il y a certains moyens nécessaires : la lecture, la méditation et l’oraison... Il n’en va pas de même de ceux qui s’appliquent à l’œuvre dont parle ce livre. Leurs méditations sont comme des vues soudaines et des sentiments aveugles de leur propre misère ou de la bonté de Dieu, sans qu’ils aient besoin d’abord de lire ou d’entendre quoi que ce soit... Pour ce qui te concerne, je ne vois pas d’inconvénient à ce que tu n’aies plus aujourd’hui d’autres méditations sur ta misère ou la bonté de Dieu... sinon celles que tu peux tirer des mots « Dieu » ou « péché », ou de tout autre mot analogue, à ta convenance... Prends ces mots comme un tout. Dans celui de « péché » vois un bloc pesant, tu ne sais quoi, quelque chose qui ne diffère pas de toi-même... Cette considération peut suffire à te rendre fou, et de la plus grande folie qui se puisse concevoir. Pourtant, qui te regarderait alors te croirait absolument de sang-froid » (ch. 36).

 

« Cette œuvre est celle de Dieu seul, et il l’accomplit dans l’âme de ceux à qui il lui plaît, sans aucun mérite de leur part. À moins de l’avoir déjà reçue, il n’est ni saint ni ange qui puisse même songer à la désirer ; je suis même assuré que notre Seigneur l’accomplira aussi spécialement et souvent, sinon plus, dans l’âme de ceux qui ont été pécheurs que chez d’autres qui ne l’ont jamais offensé grièvement. Il agira de la sorte parce qu’il veut manifester la grandeur de sa miséricorde toute puissante, et montrer qu’il opère comme il lui plaît, en qui il lui plaît et lorsqu’il lui plaît. À vrai dire, il ne répand pas cette grâce ni n’opère cette œuvre dans une âme qui n’y est pas apte, mais il faut ajouter que, si elle n’a reçu cette grâce, aucune âme n’est apte à la recevoir. Je dis aucune, car il faut mettre sur le même rang les âmes pures et celles des pécheurs. Cette grâce n’est pas donnée à cause de l’innocence ; elle n’est pas refusée à cause du péché. Je dis refusée, prends-y garde, et non pas retirée » (ch. 34).

 

 

4. LE NUAGE DE L’OUBLI

 

« Il faut placer au-dessous de toi un nuage d’oubli qui sera entre toi et toutes les créatures... Et chaque fois que je parle de ces créatures, j’entends non pas elles seules, mais aussi toutes leurs œuvres, et tout ce qui les concerne... Parfois il peut être très utile de penser à certaines propriétés ou à certaines actions de créatures particulières, mais ici le profit est minime ou nul... Tout ce à quoi tu penses est au-dessus de toi et s’interpose à ce moment entre toi et ton Dieu, si bien que tu es d’autant plus loin de Dieu qu’il y a quelque chose dans ton esprit en dehors de Dieu.

Oui, et s’il peut être séant et respectueux de le dire, dans cette œuvre il sert de peu ou même il ne sert de rien de penser à la bonté et à l’excellence de Dieu, ou à Notre Dame, ou aux saints, ou aux anges, voire même aux joies du paradis. Je veux dire d’y penser en les considérant en particulier et comme si tu voulais par là nourrir et accroître ton intention. Je suis convaincu que cela te serait absolument inutile dans ce cas et pour cette œuvre. Sans doute est-il excellent de penser à la bonté de Dieu et de le louer à cause d’elle, mais il est bien meilleur de fixer ta pensée sur son être simple et nu, de l’aimer et de le louer pour lui-même » (ch. 6).

 

« À partir du moment où tu as conscience d’avoir fait ton possible pour t’amender, selon les règles et le jugement de la Sainte Église, il faut te mettre résolument au travail et t’exercer à cette œuvre. Si alors l’une de tes actions passées, une pensée nouvelle ou un mouvement désordonné font irruption dans ta mémoire et s’établissent entre toi et ton Dieu, tu dois avec vaillance monter au-dessus d’eux dans un fervent élan d’amour et les fouler aux pieds pour couvrir l’acte dont tu te souviens de l’épais nuage de l’oubli » (ch. 31).

« Autant que possible comporte-toi comme si tu n’avais pas conscience que ces pensées se pressent ainsi entre toi et ton Dieu... Lorsque tu te sens absolument incapable de les abattre, aplatis-toi au-dessous d’elles comme un misérable et un lâche qui a été vaincu dans le combat ; avoue que c’est folie de lutter plus longtemps et rends-toi à Dieu entre les mains de tes ennemis... Selon moi, ce stratagème, à le bien entendre, consiste à se bien connaître soi-même et à avoir conscience de ce qu’on est en réalité... Mais cette connaissance et cette conscience ne sont autre chose que l’humilité, et l’humilité obtient de Dieu qu’il descende lui-même avec sa puissance... Il agira comme un père qui voit son enfant sur le point de périr » (ch. 32).

 

 

5. LE NUAGE DE L’INCONNAISSANCE

 

« À ce moment tu me demanderas : comment puis-je penser à Dieu et qu’est-il ? Et à cette question je ne puis répondre qu’une chose : je n’en sais rien. Ta question en effet m’a mené précisément... à ce nuage d’inconnaissance où je voudrais te voir parvenu. Des créatures, de leurs œuvres, et des œuvres de Dieu même, l’homme aidé par la grâce peut obtenir une connaissance satisfaisante et se faire une idée, mais de Dieu il ne peut. C’est pourquoi j’aime mieux laisser de côté toutes les choses dont je peux me faire une idée et prendre pour objet de mon amour celui pour qui cela m’est impossible. Pourquoi ? Parce qu’il peut être aimé mais non pensé : l’amour peut le saisir et le tenir, la pensée jamais. Aussi, quoiqu’il soit parfois bon de réfléchir en particulier sur la bonté et la majesté de Dieu, et que ce soit une lumière et une partie de la contemplation, néanmoins, dans l’œuvre qui nous occupe, il faut rejeter toutes ces considérations et les couvrir du nuage de l’oubli » (ch. 6).

 

« La nature en effet a réglé qu’à l’aide des sens l’homme connaîtrait les choses corporelles, mais qu’il ne pourrait arriver à celle des choses spirituelles... Ce qui est vrai de nos sens corporels l’est aussi de nos sens spirituels, lorsque nous cherchons à connaître Dieu lui-même. L’intelligence peut être spirituellement très développée et connaître toutes les choses spirituelles créées, mais elle n’en reste pas moins incapable de s’élever à la connaissance de l’être incréé qui est Dieu. Elle peut cependant nous instruire sur lui par son impuissance même, car le seul objet qu’elle ne peut atteindre est Dieu. C’est pourquoi saint Denys a dit que la manière la plus complète de connaître Dieu est de le connaître par inconnaissance » (ch. 71).

 

« Veille... à ce que ton œuvre spirituelle ne s’accomplisse dans aucun lieu matériel : à quelque endroit que se trouve l’objet sur lequel s’exerce volontairement ton intelligence, c’est là que tu es en esprit, avec autant de réalité que ton corps est là où tu résides matériellement. Il est vrai que les sens de ton corps, ne trouvant là aucun aliment, traiteront de rien et de néant ce que tu fais, mais continue à faire ce rien par amour de Dieu. Ne te laisse pas détourner, mais exerce-toi assidûment dans ce rien avec un désir toujours en éveil de vouloir et de posséder ce Dieu que nul ne peut connaître. En vérité il vaut mieux se tenir dans ce qui est nulle part au sens matériel, luttant avec ce néant obscur, que d’être un seigneur assez puissant pour aller partout corporellement à sa guise, et de se recréer avec ce qui passe pour être quelque chose, comme un maître avec ce qui lui appartient » (ch. 48).

 

« Les dispositions intérieures de l’homme sont modifiées d’une manière étonnante par le sentiment spirituel de ce rien lorsqu’il s’exerce dans ce nulle part. Les premières fois que l’âme regarde ainsi ce rien, elle y trouve représentés, secrètement et dans l’obscurité, tous les péchés spirituels ou corporels qu’elle a commis depuis le début de sa vie... jusqu’à ce que, par un travail pénible mêlé de soupirs et de larmes, elle ait en grande partie effacé ses fautes... Celui qui persévère goûte parfois quelque consolation et peut espérer atteindre la perfection... si néanmoins il ressent encore une souffrance, il s’aperçoit qu’elle diminue peu à peu... et parfois il se croit en paradis... à cause des douceurs... qu’il y rencontre... Mais qu’il croie ce qu’il voudra, toujours il trouvera un nuage d’inconnaissance entre lui et son Dieu » (ch. 69).

 

 

6. L’UNION À DIEU

 

« Ne fais pas plus de réflexion sur toi-même que sur Dieu, afin de devenir un avec lui en esprit, sans dispersion ni distinction. Il est ton être et en lui tu es ce que tu es, non seulement parce qu’il est la cause et l’être, mais encore parce qu’il est en toi-même ta cause et ton être... Encore faut-il toujours maintenir cette différence entre toi et lui qu’il est ton être et que toi tu n’es pas le sien... Ainsi tu lui seras uni dans la grâce, sans séparation, par l’intelligence et la conscience, à condition de rejeter toutes recherches subtiles sur les qualités de ton être aveugle et du sien, à condition aussi que ta pensée soit nue et tes impressions purifiées. Alors, dans cette nudité, par la touche de la grâce, tu seras secrètement nourri de lui seul tel qu’il est, mais ce sera dans l’obscurité et d’une manière partielle seulement, comme il est possible de l’être ici-bas, si bien que ton désir ne cessera de s’exercer et de s’aviver... » (« Épître de la Direction intime »).

 

 

Denise MARTIN.

Université de Yaoundé.

 

Paru dans La Vie spirituelle

en septembre-octobre 1977.

 

 

 

 



1  D. KNOWLES, The English Mystical Tradition, et W. JOHNSTON, voir note 21.

2  Une hypothèse très contestée l’attribue à W. Hilton.

3  Les deux dernières « Épîtres » se trouvent en français à la suite du Nuage de l’inconnaissance dans une traduction de Noetinger (Tours, 1925).

4  « La divinité cachée de Denis ».

5  Une paraphrase de Richard de Saint-Victor.

6  Une paraphrase de saint Bernard. Se trouve également en français dans le livre de Noetinger.

7  Il explique comment les termes « nuage », « obscurité », « élévation » ne doivent pas être pris au pied de la lettre.

8  Surtout saint Augustin et saint Grégoire le Grand.

9  Ch. 70 des Œuvres complètes du Pseudo-Denys, traduites et éditées par M. de Gandillac (Paris, 1943).

10  Ch. 70 des Œuvres complètes du Pseudo-Denys, traduites et éditées par M. de Gandillac (Paris, 1943).

11  Ch. 70 des Œuvres complètes du Pseudo-Denys, traduites et éditées par M. de Gandillac (Paris, 1943).

12  In La Théologie mystique.

13  Cette Abbaye, au pied de la montagne Sainte-Geneviève, était un foyer de rayonnement spirituel et intellectuel. Richard de Saint-Victor en fut prieur. Thomas Gallus, le traducteur latin de Denis, en avait été membre.

14  La Vie de Moïse, « Sources chrétiennes », Paris, 1968.

15  Exode, ch. 24 et ch. 33, 18.

16  La Colombe et la Ténèbre. Paris, Orante, 1967.

17  C’est le paradoxe de Pascal : « Tu ne me chercherais pas... »

18  Grégoire de Nysse appelle « épectase » cette croissance indéfinie.

19  H. Ch. PUECH, « La Ténèbre divine chez le Pseudo-Denys », in Études carmélitaines, octobre 1938, p. 46-48.

20  Publiée sous le titre « De Vita Mosis ».

21  L’auteure semble ne pas prendre la juste mesure de la distinction fondamentale entre la mystique chrétienne et l’ascèse bouddhique. L’une et l’autre ne poursuivent pas le même but et n’aboutissent pas au même résultat. Le mystique chrétien aspire à se remplir de Dieu, tandis que l’ascète bouddhiste aspire à se vider de tout. (Note de Biblisem.)

22  W. JOHNSTON, s. j., in The Mysticism of the Cloud of Unknowing (New York, 1965). Un autre livre du même a été adapté en français par M. A. RÉVELLAT, Zen et connaissance de Dieu (Paris, 1973).

23  Zen et connaissance de Dieu, p. 15.

24  Grey Eminence (London, 1941, p. 57).

25  Cité par Thomas MERTON, Mystique et zen (Paris, 1972), p. 145.

26  Cf. C. G. JUNG, Psychology and Religion (London, 1958).

27  A. HUXLEY, op. cit., p. 49.

 

 

 

 

 

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