« Mes frères les oiseaux »

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Alexandre MASSERON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme saint François arrivait entre Cannara et Bevagna, il aperçut près de la route des arbres sur lesquels étaient perchés une telle multitude d’oiseaux divers que jamais dans ces parages on n’en avait vu de pareille ; et dans le champ qui se trouvait à côté de ces arbres, il y en avait aussi une multitude immense. Lorsque saint François aperçut cette foule d’oiseaux, il s’en émerveilla et, sous l’inspiration de l’Esprit de Dieu, il dit à ses compagnons : « Attendez-moi ici sur la route, car je veux aller prêcher à mes frères les oiseaux. » Et il entra dans le champ, au milieu des oiseaux qui couvraient la terre. À peine eut-il commencé à prêcher que tous les oiseaux qui étaient perchés sur les arbres descendirent vers lui, et, comme les autres du champ, ils demeurèrent immobiles, bien qu’il circulât parmi eux et que sa tunique en touchât beaucoup. Aucun d’eux ne bougeait si peu que ce soit, comme l’a raconté frère Jacques de Massa, ce saint homme qui recueillit tout ce récit de la bouche même de frère Masseo, un de ceux qui à ce moment accompagnaient le saint père.

Et saint François dit à ces oiseaux : « Mes frères les oiseaux, vous êtes tenus d’une grande reconnaissance envers Dieu, et toujours et par tout vous avez le devoir de le louer : car il vous a donné la liberté de voler en tous lieux, et un double et triple vêtement, et un plumage aux couleurs délicates, et une nourriture que vous n’avez pas à gagner par votre travail ; le Créateur vous a appris à chanter ; la bénédiction divine vous a multipliés ; Dieu a, dans l’arche, conservé votre race, et c’est à vous qu’il a livré l’élément de l’air. Vous ne semez, ni ne moissonnez, et Dieu vous nourrit ; il vous a donné les fleuves et les sources pour vous désaltérer, les montagnes et les collines, les rochers pour vous réfugier, les arbres élevés pour faire votre nid. Et, bien que vous ne sachiez ni filer ni tisser, il vous fournit à vous et à vos petits le vêtement nécessaire. Il vous aime donc bien, le Créateur, puisqu’il vous a accordé tant de bienfaits. Aussi prenez garde, mes frères les oiseaux, de ne point vous montrer ingrats, mais appliquez-vous à toujours louer Dieu. »

À ces mots du très saint père, tous ces oiseaux commencèrent à ouvrir leurs becs, à battre des ailes, à étendre leurs cous, à baisser avec révérence leurs têtes vers la terre, et à montrer par leurs chants et leurs mouvements que ce que leur avait dit saint François leur plaisait infiniment. Et de son côté saint François exultait d’allégresse à ce spectacle, et admirait cette immense multitude d’oiseaux, la variété très agréable de leurs plumages, leur affection, leur concorde, leur familiarité : en eux il louait le Créateur admirable, et doucement il les invitait à louer le Créateur.

Après leur avoir prêché et les avoir exhortés à louer Dieu, il traça sur tous ces oiseaux le signe de la croix et de nouveau il les conjura instamment de louer Dieu. Alors tous ces oiseaux s’élevèrent ensemble dans les airs et y firent entendre un grand et merveilleux concert. Leur chant fini, ils se divisèrent en quatre groupes et se dirigèrent vers les quatre directions de la croix tracée par le saint père. Chaque groupe, s’élevant au plus haut des airs avec un chant admirable, se dirigea vers une des quatre parties du aronde : une vers l’orient, une autre vers l’occident, la troisième vers le midi, la quatrième vers l’aquilon. Ils montraient ainsi qu’ils avaient écouté la prédication de saint François, qui devait plus tard porter sur lui-même le signe sacré de la croix, puisqu’ils se divisaient en forme de croix, et qu’ils s’envolaient sous cette forme en chantant vers les quatre parties du monde ; ils donnaient à entendre que la prédication de la Croix, renouvelée par le père très saint, serait dans le monde entier portée par ses frères qui, semblables aux oiseaux, n’ont rien sur la terre qui leur appartienne en propre, mais se confient pour tout à la seule providence de Dieu 1.

 

Lorsque, des murailles d’Assise ou de la haute terrasse de San Francesco, le pèlerin regarde s’épanouir à ses pieds la large vallée de Spolète, il peut voir, sous la ligne des collines qui la limitent et que hérissent les tours et campaniles de Pérouse, de Bettona, de Montefalco, se grouper les maisons de deux petites villes, Cannara et Bevagna, – la Mevania des Latins – qui ont gardé de nombreux souvenirs de la prédication de saint François à ses frères les hommes. Et la vieille route qui unit ces bourgades déchues garde le souvenir de sa prédication à ses frères les oiseaux. C’est près d’un ruisseau, au lieu de Pian d’Arca, que le Poverello serait monté sur une pierre, pour inviter ces nouveaux auditeurs à chanter avec lui la gloire du Créateur et à le remercier de ses bienfaits. La pierre est aujourd’hui conservée à l’église San Francesco de Bevagna, où la désigne cette inscription : Praedicat hic avibus Franciscus simplex et istu min pede seraphico sanctificat lapidem 2.

Mais, au fond, le lieu nous importe fort peu ; et moins encore les circonstances historiques. L’auteur des Actes Beati Francisci et sociorum ejus découvre à ce récit un sens allégorique ; et cette fois, cela ne nous intéresse plus du tout ; il nous est indifférent que les oiseaux qui s’envolent vers les quatre parties du monde soient semblables aux frères oui ne possèdent rien. Nous nous refusons à exploiter tout ce symbolisme ; et nous ne voulons voir que le Petit Pauvre penché sur la petite gent emplumée, et ces autres qui témoignent, comme ils peuvent, que « ce que leur avait dit saint François leur plaisait infiniment ». Quatre mots suffisent à nous faire tressaillir de joie : « Mes frères les oiseaux... » Et nous nous refusons à aller plus outre...

Nous avons grand tort. Saint François lui-même va nous l’enseigner.

 

Tout absorbé dans l’amour de Dieu, le bienheureux François discernait parfaitement la divine bonté, non seulement dans son âme, ornée déjà de la perfection de toutes les vertus, mais encore dans toutes les créatures ; c’est pourquoi il était plein d’une singulière et profonde dilection pour les créatures, surtout pour celles qui présentaient quelque symbole de Dieu ou de l’Ordre.

Aussi, par-dessus tous les oiseaux en aimait-il un petit qui s’appelle alouette et, en langage vulgaire, lodola cappellata ; il disait d’elle : « Sœur alouette porte un capuchon comme les religieux, et c’est un humble oiseau, car elle court volontiers les chemins pour s’y trouver quelques grains, et si elle en trouve même parmi les crottins, elle les en retire et les mange. Dans son vol, elle loue le Seigneur avec une grande suavité, comme de bons religieux qui méprisent les choses de la terre, dont la demeure est toujours au ciel et qui ne songent jamais qu’à louer Dieu. Ses vêtements, c’est-à-dire ses plumes, sont semblables à la terre, et elle donne aux religieux l’exemple de ne point avoir des vêtements délicats et aux vives couleurs, mais bien des vêtements de vil prix et de vile couleur, comme la terre qui est le plus vil des éléments ».

Et parce qu’en elles il découvrait tout cela, il avait grand plaisir à les voir. Aussi il plut au Seigneur que ces très saints petits oiseaux vinssent lui donner à l’heure de sa mort un témoignage de leur affection. Car au crépuscule du samedi, après les vêpres qui précédèrent la nuit où il s’en alla vers le Seigneur, une grande multitude de ces oiseaux, que l’on nomme des alouettes, descendit sur le toit de la maison où il gisait ; lentement elles volaient autour de ce toit en décrivant un cercle, et dans leur douce chanson elles semblaient louer le Seigneur 3.

 

 

Thomas de Celano, en racontant comme l’auteur du Speculum perfectionis l’adieu suprême des alouettes à leur ami, y ajoute une curieuse remarque : ces oiseaux ne chantent ordinairement que dans la pleine lumière du soleil et cependant les ombres, qu’ils redoutent, du crépuscule 4 enveloppaient déjà la vallée de Spolète quand l’âme du Pauvre d’Assise remonta vers son Créateur ; mais les alouettes bravèrent les ténèbres pour qu’autour du lit de mort de saint François éclatât l’hymne de reconnaissance des humbles créatures que le premier il avait appelées ses frères et ses sœurs.

Les hommes du Moyen Âge considéraient le monde extérieur comme une série de symboles proposés à notre pieuse ingéniosité. Saint François ne rejetait point ces interprétations allégoriques, mais il y ajoutait un sentiment nouveau, qui était d’allégresse devant la beauté du monde, de reconnaissance pour la bonté de Dieu, d’amour enfin envers tous les êtres, animés et inanimés, que le Créateur a mis au service des hommes.

Les tourterelles peuvent être l’emblème de la douceur et des vertus les plus aimables, et la colombe figurer l’Esprit-Saint, mais ce sont d’abord des créatures sensibles comme nous, et que nous n’avons pas le droit de priver de la joie de leur nid et de leur liberté.

 

 

Un enfant de la cité de Sienne avait pris au piège un grand nombre de tourterelles, et il les transportait toutes vivantes pour les vendre. Mais saint François qui était toujours plein de pitié, et, en particulier, ému d’une merveilleuse compassion pour les animaux qui sont doux et pour les oiseaux, fut, en voyant ces tourterelles, saisi de pitié et de compassion, et dit à celui qui les portait : « Mon bon enfant, je te supplie de me donner ces tourterelles, pour que des oiseaux innocents, à qui dans les saintes Écritures sont comparées les âmes chastes, humbles et fidèles, ne tombent pas aux mains de ceux qui cruellement les mettraient à mort. » Aussitôt l’enfant, inspiré de Dieu, remit toutes ces tourterelles au bienheureux François. Le père pieux les prit dans son sein et se mit à leur parler tout doucement : « Mes sœurs les tourterelles, simples, chastes et innocentes, pourquoi vous êtes-vous laissé prendre ? Je veux vous arracher à la mort et vous faire des nids pour que vous produisiez des fruits et que vous accomplissiez l’ordre du Créateur qui vous commande de vous multiplier. » Et le bienheureux François s’en alla un peu plus loin pour leur faire à toutes des nids.

Ces tourterelles occupèrent donc les nids que leur avait fait le bienheureux François ; elles se multiplièrent et crûrent en présence des frères, leur montrant, à eux et à saint François, une si grande familiarité qu’elles paraissaient des poules que les frères auraient nourries. Et jamais elles ne s’écartèrent des frères, avant que saint François ne leur en eût donné congé en les bénissant.

Quant à l’enfant qui avait donné les tourterelles, le Saint lui dit : « Mon fils, tu entreras un jour dans cet Ordre de frères Mineurs et tu auras la faveur d’y servir Notre Seigneur Jésus-Christ ». Et il en fut de lui comme le Saint l’avait prédit, car plus tard il entra dans l’Ordre, et, par les mérites du père saint, il y mena jusqu’à sa mort une vie digne de louanges et très exemplaire. À la louange de Notre Seigneur Jésus-Christ. Amen 5.

 

 

Comme saint François ne voulait point que l’homme arrachât aux animaux la part de joie qui leur appartient parce qu’elle leur a été donnée par Dieu, il désirait encore qu’ils ne soient point exclus de nos fêtes, et que les jours consacrés à la divine allégresse fussent marqués, pour eux, des réjouissances qui leur conviennent. À l’heure où le monde exulte au souvenir de la naissance de l’Enfant de Bethléem, « nos frères » doivent recevoir une pitance plus abondante, car il est conforme aux desseins de la divine bonté qu’il y ait aussi un Noël des bêtes.

 

 

Nous qui avons été avec le bienheureux François et qui avons écrit ces choses, nous rendons témoignage que nous l’avons plusieurs fois entendu dire : « Si je pouvais parler à l’empereur, je le supplierais et le persuaderais de faire par amour pour Dieu et pour moi une loi spéciale qui interdirait à tous de prendre ou de tuer nos sœurs les alouettes ou de leur faire aucun mal. Et de même que tous les podestats des villes et les seigneurs des châteaux et des villages soient tenus chaque année au jour de la Nativité de Notre Seigneur d’obliger les gens à jeter du froment et d’autres graines sur les routes hors des villes et des châteaux, pour que nos sœurs les alouettes et aussi les autres oiseaux aient à manger dans la solennité d’un tel jour ; et encore que par respect pour le Fils de Dieu que le bienheureuse Vierge a couché cette nuit-là dans la crèche entre le bœuf et l’âne, quiconque possède un bœuf ou un âne soit tenu de les pourvoir cette même nuit en abondance d’une excellente avoine ; et de même que tous les pauvres soient en un tel jour comblés par les riches d’une bonne nourriture.

Car le bienheureux François tenait en plus grande révérence la Nativité de Notre Seigneur que ses autres fêtes, et il disait : « Après que le Seigneur nous fut né, il fallait que nous fussions sauvés. » C’est pourquoi il voulait qu’en un tel jour tout chrétien exultât dans le Seigneur, et que, par amour pour lui qui se donna lui-même à nous, tous fussent généreux non seulement pour les pauvres, mais encore pour les animaux et pour les oiseaux 6.

 

 

On avait si peu coutume, même au XIIIe siècle, de considérer le faisan du point de vue de saint François, et le seul nom de cet oiseau évoquait si spontanément, chez nos ancêtres comme chez nous, des préparatifs où la science culinaire a plus de part que la charité, que Thomas de Celano, en nous contant l’histoire suivante, tient à insister à deux reprises sur cette idée qu’il n’était pas question d’en manger le héros. « Frère faisan », pour être un bon plat, n’en paraissait pas moins digne à saint François de son affection.

 

 

Un gentilhomme du comté de Sienne donna un jour un faisan au bienheureux François, alors qu’il était malade. Celui-ci le reçut gaiement, non qu’il eût le désir de le manger, mais parce qu’il avait l’habitude de se réjouir de tels dons pour l’amour du Créateur, et il dit au faisan : « Loué soit notre Créateur, frère faisan. » Puis, s’adressant aux frères : « Nous allons voir si frère faisan veut rester avec nous, ou retourner à son séjour ordinaire qui mieux lui convient. » Sur l’ordre du Saint, un frère emporta l’oiseau et le déposa au loin dans une vigne. Mais d’un vol rapide il revint aussitôt à la cellule du père, qui le fit emporter une seconde fois, et plus loin encore ; avec une extraordinaire ténacité, il retourna à la porte de la cellule et il y entra, en passant presque de force sous les tuniques des frères qui se tenaient sur le seuil. Alors le Saint ordonna de le bien nourrir, et il se prit à l’embrasser et à le caresser avec de douces paroles.

À ce spectacle, un médecin qui avait grande dévotion au Saint de Dieu demanda le faisan aux frères, non point pour le manger mais pour le nourrir par vénération pour le Saint. Bref, il l’emporta chez lui ; mais l’oiseau, comme si on l’avait maltraité en le séparant du Saint, refusa obstinément de manger tant qu’il fut loin de lui. Le médecin en demeura stupide et, en rapportant le faisan au Saint, il lui raconta en détail ce qui s’était passé. Dès que le faisan posé à terre eut aperçu le Saint, sa mélancolie le quitta et il se mit à manger en donnant des signes d’allégresse 7.

 

 

À saint François qui les traitait fraternellement, toutes les créatures s’efforçaient de témoigner leur amour et leur reconnaissance : « Elles souriaient à ses caresses », écrit Thomas de Celano 8. « Frère faisan » montrait sa tendresse en se laissant mourir de faim ; mais « frère faucon » avait une manière moins héroïque et plus subtile.

 

 

Comme le bienheureux François, fuyant selon son habitude la vue et la conversation des hommes, demeurait dans un ermitage, un faucon qui y nichait conclut avec lui un grand pacte d’amitié. Car toujours à l’heure de nuit où le Saint avait coutume de se lever pour adorer Dieu, il l’éveillait par son cri ; et une telle sollicitude, qui lui évitait de s’attarder dans le sommeil, était très agréable à l’homme de Dieu. Mais si le Saint était plus que de coutume accablé par la souffrance, le faucon avait pitié de lui et ne sonnait point si tôt le réveil. Comme s’il avait reçu les ordres de Dieu, ce n’était qu’à l’aube qu’il faisait alors entendre la cloche plus douce de sa voix. Il n’est pas étonnant que les autres créatures aient vénéré celui qui, plus que tous, aimait le Créateur 9.

 

 

C’est dans les rochers de l’Alverne que prenait son gîte cet oiseau ingénieux. Et lorsque saint François, ensanglanté par les Stigmates, quittera la montagne qui fut son Calvaire, il n’oubliera point, dans son adieu passionné, « frère faucon » qui l’invitait à prier Dieu avec tant d’exactitude et de pitié 10.

Plus encore que les animaux, « sœur cigale » ravit François, car elle venait à son commandement jouer le rôle qui est celui de la création tout entière, semblable elle aussi au frère mineur qui ne doit rien posséder que sa cithare.

 

 

Près de la cellule du Saint de Dieu à la Portioncule, une cigale, juchée sur un figuier, chantait souvent avec son ordinaire suavité. Un jour, le bienheureux père lui tendit la main et doucement l’appela : « Viens à moi, ma sœur cigale. » Comme si elle avait été douée de raison, elle sauta aussitôt sur sa main : « Chante, ma sœur cigale, lui dit-il, et loue dans la jubilation le Seigneur qui t’a créée. » Immédiatement, elle obéit et se mit à chanter, et sans cesse elle chanta jusqu’à ce que l’homme de Dieu, après avoir mêlé à ses chants son cantique de louange, lui eut ordonné de retourner à son gîte ordinaire ; elle y demeura huit jours comme si elle y avait été attachée. Lorsque le Saint descendait de sa cellule, il la prenait dans ses mains et lui ordonnait de chanter, et toujours elle semblait empressée d’obéir à ses ordres. Le Saint dit enfin à ses compagnons : « Donnons maintenant congé à notre sœur la cigale qui nous a, assez longtemps, réjouis de ses chants de louange, de peur que notre chair n’en tire quelque vaine gloire. » Et aussitôt qu’il lui eut donné congé, elle s’en alla et, dans ce lieu, ne reparut plus. Les frères, à ce spectacle, furent frappés d’une vive admiration 11.

 

 

Seul, un grand poète pouvait s’arroger le droit de compléter cette légende, où vibre dans sa plus suave harmonie l’âme du divin Jongleur, et de faire parler saint François à la cigale :

 

 

Ô toi, dit-il, ô toi, stridente dès l’aurore,

Harmonieuse enfant, créature sonore

Que bercent les grands pins dans leur chaude épaisseur,

Musicienne d’or, que je nomme ma sœur,

Ô cigale, en vigueur allègre, qui t’égale ?

Vibrante, crépitante, exultante cigale,

Ta voix infatigable est l’hymne de midi :

Et, t’écoutant crier, mon cœur rouge a bondi,

Bénissant la lumière illimitée et blanche,

Qui, royale, du sein du Roi des rois, s’épanche.

Pauvrette, comme toi nous allons, l’âme en feu,

Insoucieux de tout, fors de bien louer Dieu.

 

 

Et la similitude du frère et de la cigale ne sera point seulement chose passagère, mais, ce qui est son véritable sens, se prolongera dans l’éternité :

 

 

Et nous, les yeux fixés sur la paix du splendide

Azur, sentant les jours terrestres révolus,

Nous mourrons du trépas radieux des Elus.

Jésus, nous ayant fait grande miséricorde,

Tous, à son luth vivant nous serons une corde.

À la gloire du Père, il tirera de nous,

Dans les éternités, des sons perçants et doux :

Et nous jubilerons, et nous battrons des ailes,

Dans l’immortel Eté cigales immortelles ! 12

 

 

Comme il était venu un jour prêcher la parole de Dieu au bourg d’Alviano, il monta sur une éminence pour être vu de tous et il commença par réclamer le silence. On lui obéit aussitôt et on attendit avec respect ; mais une bande d’hirondelles qui nichaient en ce lieu babillaient et menaient grand bruit. Tout ce vacarme empêchait les assistants d’entendre le bienheureux François ; aussi dit-il aux oiseaux : « Mes sœurs les hirondelles, cette fois c’est mon tour, vous avez assez parlé jusqu’ici. Écoutez la parole du Seigneur ; gardez le silence et restez tranquille jusqu’à que j’aie fini de prêcher le Seigneur. » Aussitôt, à la stupéfaction et à l’admiration de tous, ces petits oiseaux se turent et pas un ne bougea jusqu’à la fin du sermon. Frappés de stupeur par ce prodige, les assistants se disaient les uns aux autres : « Vraiment cet homme est un saint et un ami du Très-Haut. » Et dans leur dévotion accrue ils se pressaient autour de lui pour toucher au moins ses vêtements, louant et bénissant Dieu. C’était merveille en effet de voir comme les créatures sans raison se rendaient compte de l’affectueux attachement et du très doux amour qu’il leur portait.

Un autre jour qu’il demeurait près du bourg de Greccio, un frère lui apporta un levraut vivant, pris au lacet. Le bienheureux père, en le voyant, fut tout ému de pitié : « Frère levraut, lui dit-il, viens à moi. Pourquoi t’es-tu laissé prendre ainsi ? » Le levraut, lâché par le frère qui le portait, se réfugia aussitôt contre le Saint et se blottit spontanément sur sa poitrine, comme dans le plus sûr des asiles. Après qu’il y eut reposé quelque temps, le Saint le caressa d’une douceur toute maternelle et lui rendit la liberté pour qu’il retournât dans ses bois. Mais, posé à terre, il revint à plusieurs reprises dans le sein du bienheureux François, jusqu’à ce que celui-ci ait donné aux frères l’ordre de le reporter dans la forêt qui était voisine.

Une autre fois qu’il était dans une île du lac de Pérouse, le même fait se renouvela pour un lapereau, qui est pourtant un animal très sauvage. Il éprouvait la même pitié affectueuse pour les poissons, et à l’occasion il rejetait à l’eau ceux qui avaient été pris, en leur recommandant de ne point se laisser prendre de nouveau. Un jour qu’il se rendait sur une barque à un port du lac de Rieti, un pêcheur lui offrit avec respect un grand poisson, nommé tanche, qu’il venait de prendre. Il le prit joyeusement et avec bonté, l’appela du nom de frère, et le rejetant à l’eau, il se mit à bénir dévotement le nom du Seigneur. Et pendant qu’il priait, le poisson resta se jouer dans l’eau, près de la barque, du côté même où il avait été posé, jusqu’à ce qu’à la fin de sa prière le Saint lui eut donné congé 13.

Le bienheureux François se rendait un jour à l’ermitage de Greccio en traversant sur une barque le lac de Rieti. Un pêcheur lui offrit un petit oiseau d’eau pour qu’il s’en réjouît dans le Seigneur. Le bienheureux père le reçut avec joie, puis il ouvrit les mains et l’invita avec bonté à reprendre sa liberté. Mais l’oiseau ne voulait point s’en aller et se blottissait dans ses mains comme dans un nid ; alors le Saint leva les yeux au ciel et se mit en prière. Et lorsqu’après un long temps il revint à lui, comme d’une absence, il ordonna doucement à ce petit oiseau de retourner sans crainte à sa liberté d’autrefois ; celui-ci, dès qu’il eut reçu cette permission avec la bénédiction du Saint, s’envola en manifestant sa joie par ses tressaillements 14.

 

 

Les brebis lui étaient particulièrement chères, pour leur douceur à la fois et le symbolisme de leur douceur. Son sentiment très vif, et qu’il manifestait avec une violente émotion, était de les arracher à tous les périls. Mais il s’apercevait bientôt qu’une brebis ne laisse pas que d’embarrasser un prédicateur populaire, et il ne savait plus que faire de sa protégée. À la première occasion, il recommençait d’ailleurs une expérience dont sa charité lui avait fait oublier les inconvénients.

 

 

Plein de l’esprit de charité, il était ému de pitié jusqu’aux entrailles, non seulement envers les hommes accablés par le besoin, mais encore envers les animaux privés de la parole et de la raison, les reptiles, les oiseaux et toutes les créatures sensibles ou insensibles.

Mais parmi tous les animaux il chérissait d’une spéciale dilection et d’un plus vif amour les agneaux, parce que dans les saintes Écritures Notre Seigneur Jésus-Christ est souvent comparé, pour son humilité, à un agneau, ce qui est une parfaite analogie. Il contemplait avec joie, il embrassait avec amour toutes ces similitudes allégoriques et en particulier celles où l’on peut trouver la ressemblance du Fils de Dieu.

Un jour qu’il faisait route par la Marche d’Ancône, après avoir prêché dans cette dernière ville la parole de Dieu, et qu’il se dirigeait vers Osimo avec le seigneur Paul, qu’il avait établi ministre de tous les frères de cette province, il rencontra dans les champs un berger qui faisait paître un troupeau de chèvres et de boucs. Or, parmi ces chèvres et ces boucs nombreux, il y avait une petite brebis qui s’avançait très humblement, et bien tranquillement broutait. À cette vue, le bienheureux François s’arrêta et, le cœur étreint de douleur, il se prit à gémir tout haut ; il dit au frère qui l’accompagnait : « Ne vois-tu pas cette brebis qui marche si doucement parmi les chèvres et parmi les boucs ? C’est ainsi, je te le dis, que Notre Seigneur Jésus-Christ marchait, doux et humble, parmi les pharisiens et les princes des prêtres. C’est pourquoi je te supplie, mon fils, par amour pour lui, d’avoir pitié avec moi de cette petite brebis ; nous allons l’acheter et l’arracher à ces chèvres et à ces boucs. »

Frère Paul, admirant sa douleur, se mit à gémir avec lui. Mais ils ne possédaient que les viles tuniques dont ils étaient revêtus, et ils se demandaient comment payer le prix, lorsqu’un marchand passa et leur offrit la somme qu’ils désiraient. Ils rendirent grâces à Dieu, emmenèrent la brebis et arrivèrent à Osimo. Introduits près de l’évêque, ils furent par lui reçus avec grand respect. Le seigneur évêque cependant éprouvait quelque stupeur de cette brebis, que l’homme de Dieu conduisait et de l’affection qu’il lui témoignait. Mais après que le serviteur du Christ eut longuement rapporté sa parabole de la brebis, l’évêque fut touché de componction et à Dieu il rendit grâces de la pureté de cet homme de Dieu. Tout de même, le lendemain, comme il quittait Osimo, le bienheureux François se demanda ce qu’il allait faire de sa brebis ; sur le conseil de son compagnon et frère, il la donna en garde à un couvent de servantes du Christ près de San Severino. Ces vénérables religieuses reçurent avec joie la petite brebis comme un grand présent qui leur aurait été offert par Dieu. Elles la gardèrent longtemps avec sollicitude, et de sa laine tissèrent une tunique qu’elles firent parvenir, lors d’un Chapitre, au bienheureux François, à Sainte-Marie de la Portioncule. Le Saint de Dieu la reçut avec grand respect et en exultant, la serra dans ses bras et la baisa, et invita tous ceux qui l’entouraient à partager une telle allégresse.

Une autre fois, comme il cheminait encore dans la Marche d’Ancône et que le même frère joyeusement l’accompagnait, il rencontra un homme qui portait au marché, où il allait les vendre, deux agneaux les pattes liées et jetés sur son épaule. À peine les eut-il entendu bêler que le bienheureux François fut ému jusqu’aux entrailles ; il s’approcha d’eux et se mit à les caresser avec une affectueuse compassion, comme une mère son fils qui gémit. Il dit à l’homme : « Pourquoi fais-tu ainsi souffrir mes frères les agneaux, en les liant et les suspendant ainsi ? » L’autre répondit : « Je les porte au marché pour les vendre ; j’ai besoin de leur prix. » Le Saint demanda : « Que fera-t-on d’eux ? » À quoi l’homme répliqua : « Les acheteurs les tueront et les mangeront. » Le Saint s’écria : « Non certes, cela ne sera pas ! Prends ce manteau que je porte et cède-moi les agneaux, ce sera leur prix. » L’homme les donna, la joie dans l’âme, et se saisit du manteau dont le prix était bien supérieur : le Saint l’avait, le jour même, reçu en prêt d’un fidèle pour se protéger du froid. Au surplus, le Saint, dès qu’il eut les agneaux, se demanda avec une certaine inquiétude qu’est-ce qu’il pourrait bien en faire ; il prit conseil du frère qui l’accompagnait et finit par les rendre à l’homme pour qu’il les élevât, en lui recommandant de jamais ni les vendre, ni leur faire aucun mal, mais de les conserver, de les nourrir et de les soigner très scrupuleusement 15.

 

 

Les êtres inanimés lui apparaissaient eux aussi comme des frères, puisqu’ils sont des enfants d’un même Créateur : vivantes louanges à Dieu qui les a mis à notre service, il les entendait chanter un hymne sans fin de reconnaissance. Pour lui, ils avaient tous un langage mystique, qui était un écho de son propre cœur embrasé d’amour. Mais il préférait ceux-là qui étaient les plus beaux ; et le feu brillant, aux nuances éclatantes, aux couleurs mobiles et sans cesse renouvelées, lui apportait, dans l’ondulation des flammes, une joie qu’il ne voulait point tarir. Et notre prosaïsme cependant accusera saint François de ne point avoir su se garder ici de quelque exagération.

 

 

Parmi toutes les créatures inférieures et insensibles, il avait pour le feu une particulière affection à cause de sa beauté et de son utilité : aussi ne voulut-il jamais arrêter son œuvre.

Une fois qu’il était assis près du feu, sans qu’il s’en aperçût, le feu prit à ses vêtements de lin, c’est-à-dire à ses braies, près du genou ; et bien qu’il sentît sa chaleur, il ne voulait pas l’éteindre. Son compagnon, voyant que ses vêtements brûlaient, courut à lui pour éteindre le feu ; mais il l’en empêcha en disant : « Non, mon frère bien aimé, non, ne fais pas de mal au feu ! » Et ainsi il s’opposa absolument à ce que le frère l’éteignît.

Celui-ci se précipita alors vers le frère qui était le gardien du bienheureux François ; il l’amena avec lui et, contre la volonté du bienheureux François, il éteignit le feu.

Depuis lors, quelque urgente que fût la nécessité, jamais il ne voulut éteindre le feu, ni une lampe, ni une torche, tant était grande l’affection qu’il avait pour lui.

Il ne voulait pas non plus qu’un frère jetât du feu ou un tison fumant d’un endroit à l’autre comme on a coutume de le faire, mais il voulait qu’on le déposât avec soin sur la terre, par respect pour Celui dont il est la créature 16.

 

 

Mais « notre frère le feu » n’est pas un ingrat. Et il sut témoigner de sa reconnaissance pour un traitement auquel les hommes ne l’avaient pas accoutumé avant saint François d’Assise et dont ils ne devaient point conserver l’habitude.

 

 

Un jour, à l’ermitage de Fonte Colombo, près de Rieti, ou il était venu soigner sa maladie d’yeux sur l’ordre du cardinal d’Ostie et de frère Élie, ministre général, un médecin lui rendit visite.

Après l’avoir examiné, il dit au bienheureux François qu’il voulait lui faire une brûlure de la mâchoire supérieure jusqu’au sourcil de cet œil qui était plus faible que l’autre. Mais le bienheureux François ne voulait pas commencer le traitement avant l’arrivée de frère Élie, qui avait dit qu’il voulait être là quand le médecin commencerait ; de plus, comme il craignait et supportait avec peine de prendre un tel soin de sa personne, il voulait que le ministre général donnât tous les ordres.

On l’attendit donc, mais il ne vint pas à cause des nombreux empêchements qu’il avait ; le bienheureux François permit alors au médecin de faire ce qu’il voudrait. Le fer fut mis au feu pour faire la brûlure ; et le bienheureux François, voulant réconforter son âme et la défendre contre la peur, s’adressa au feu en ces termes : « Mon frère le feu, toi qui es noble et utile entre toutes les créatures, sois à cette heure courtois à mon égard, puisque toujours je t’ai aimé et je t’aimerai pour l’amour de celui qui t’a créé. Je prie aussi notre Créateur, qui nous a l’un et l’autre créés, qu’il tempère assez ta chaleur pour que je puisse la supporter. » Et sa prière finie, il fit sur le feu le signe de la croix.

Mais nous qui étions avec lui, nous nous sommes alors tous enfuis par pitié et par compassion ; et avec lui le médecin resta seul. La brûlure faite, nous retournâmes vers lui ; il nous dit : « Hommes poltrons et de peu de foi, pourquoi avez-vous fui ? En vérité, je vous dis que je n’ai senti aucune douleur, pas même la chaleur du feu ; bien plus, si la brûlure n’a pas été bien faite, qu’on la recommence mieux. »

Le médecin en éprouva un grand étonnement et dit : « Mes frères, je vous affirme que ce n’est pas seulement par lui, si faible et malade, mais encore par l’homme le plus courageux que je craignais qu’une telle brûlure ne puisse être supportée ; mais il n’a pas bougé et il n’a pas donné le moindre signe de douleur. »

Il avait fallu en effet lui ouvrir toutes les veines, de l’oreille aux sourcils ; et cependant, cela ne servit à rien. De même, un autre médecin lui perfora les deux oreilles avec un fer rouge ; et ce fut sans plus de succès.

Il ne faut pas s’étonner si le feu et les autres créatures lui obéissaient parfois et le vénéraient ; car, comme nous l’avons vu bien souvent, nous qui étions avec lui, il les aimait d’un tel amour et tant en elles se délectait, son esprit avait pour elles tant de pitié et de compassion qu’il ne voulait pas les voir traiter sans égards et qu’il leur parlait en exprimant sa joie intérieure comme si elles avaient été douées de raison : d’où, en de telles circonstances, il était souvent ravi en Dieu 17.

Après le feu, il aimait particulièrement l’eau, parce qu’elle est le symbole de la pénitence et de la tribulation où sont lavées les âmes souillées, et parce que la première ablution de l’âme se fait par l’eau du baptême. Aussi, quand il se lavait les mains, choisissait-il un endroit tel que l’eau qui tombait ne fût pas foulée aux pieds. Quand il marchait sur les pierres, il ne le faisait qu’avec grand tremblement et respect, par amour pour celui qui est appelé pierre, et quand il disait ce verset du psaume : In petrâ exaltasti me, il disait avec grand respect et dévotion : « Sous le pied de la pierre, tu m’as exalté. »

Au frère qui coupait et préparait le bois pour le feu, il disait de ne jamais abattre l’arbre tout entier, en sorte que de cet arbre une certaine partie demeurât intacte, par amour pour celui qui a voulu nous sauver sur le bois de la croix.

De même encore il disait au frère qui s’occupait du jardin de ne pas cultiver l’espace tout entier pour les plantes comestibles, mais de réserver une partie de la terre pour les plantes verdoyantes qui produiraient en leur temps nos sœurs les fleurs par amour pour celui qui est appelé flos campi et lilium convallium.

Bien plus, il disait que le frère jardinier devait toujours faire de quelque partie du jardin un joli jardinet, où il planterait toutes les plantes odoriférantes et toutes celles qui produisent de belles fleurs, pour qu’en leur temps elles invitent à la louange les hommes qui verraient ces plantes et ces fleurs. Car toute créature dit et proclame : « Homme, c’est pour toi que Dieu m’a faite. »

Aussi, nous qui avons été avec lui, nous l’avons vu tant exulter intérieurement et extérieurement dans presque toutes les créatures que, lorsqu’il les voyait et les touchait, son esprit ne semblait plus sur la terre mais au ciel. Et pour les nombreuses consolations qu’il avait reçues et qu’il recevait des créatures, il composa, peu de temps avant sa mort, certaines Louanges du Seigneur pour ses créatures, afin d’inciter les cœurs de ceux qui les entendraient à louer Dieu et afin que le Seigneur lui-même fût loué par les hommes dans ses créatures 18.

 

 

C’est à craint-Damien, et très probablement pendant l’été de 1225, comme il était malade et presque aveugle, que saint François, au plus cruel de ses souffrances, et pour s’aider lui-même à les supporter, chanta la bonté et la gloire de Dieu, qui a mis le monde entier à notre service et nous a donné la joie de cette beauté dont nous enveloppe la nature tout entière.

L’auteur du Speculum perfectionis, avant d’écrire le texte du Cantique, insiste de nouveau sur l’amour de saint François pour le feu et explique le nom qu’il a imposé lui-même à ces Louanges du Seigneur.

 

 

Par-dessus toutes les créatures privées de raison, il aimait d’une particulière affection le feu et le soleil ; il disait : « Le matin, lorsque se lève le soleil, tout homme devrait louer Dieu qui l’a créé pour notre utilité, car c’est par lui que nos yeux sont éclairés pendant le jour ; mais le soir, quand tombe la nuit, tout homme devrait le louer pour notre frère le feu, car c’est par lui que nos yeux sont éclairés pendant la nuit ; nous sommes en effet comme des aveugles, et le Seigneur, par ces deux frères qu’il nous a donnés, éclaire nos yeux. C’est pourquoi nous devons louer le Créateur pour eux spécialement et pour les autres créatures dont nous nous servons chaque jour. » Et cela il le fit toujours lui-même jusqu’à l’heure de sa mort.

Bien plus, quand il était accablé par les plus grandes souffrances, il commençait à chanter les Louanges du Seigneur qu’il avait faites sur ses créatures ; puis il les faisait chanter par ses compagnons, afin d’oublier en pensant aux louanges du Seigneur l’amertume de ses douleurs et de ses maux.

Et parce qu’il pensait et disait que le soleil est la plus belle de toutes les créatures et celle qui ressemble le plus à Notre Seigneur, et que dans l’Écriture le Seigneur lui-même est appelé Soleil de justice 19, il donna son nom à ces Louanges qu’il fit sur les créatures du Seigneur, quand le Seigneur lui promit son royaume ; il les appela Cantique de frère soleil.

Voici les Laudes des créatures qu’il composa quand le Seigneur lui promit son royaume.

 

Très haut, tout puissant, bon Seigneur,

À toi sont les louanges, la gloire et l’honneur,

Et toute bénédiction.

 

À toi seul, Très-Haut, ils conviennent,

Et nul homme n’est digne

De prononcer ton nom.

 

Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures,

Spécialement monseigneur frère Soleil

Qui éclaire le jour et par qui tu nous éclaires.

 

Il est beau et rayonnant

Avec une grande splendeur,

De toi, Très-Haut, il est le symbole.

 

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur lune et pour les étoiles

Dans le ciel tu les as créées,

Claires, précieuses et belles.

 

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère vent,

Pour l’air et les nuages, et le serein, et tous les temps,

Par lesquels à tes créatures tu donnes soutien.

 

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur eau,

Qui est très utile et humble,

Précieuse et chaste.

 

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère feu,

Par lequel tu éclaires la nuit ;

Il est beau et joyeux, robuste et fort.

 

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la terre,

Qui nous soutient et nous nourrit

Et produit divers fruits avec les fleurs aux mille couleurs et l’herbe. 20

 

Louez et bénissez, mon Seigneur,

Rendez-lui grâces et servez-le

Avec grande humilité. 21

 

 

 

Alexandre MASSERON, Légendes franciscaines,

Montréal, Libraire Saint-François.

 

 

  

 

 

 

 



1 Actus Beati Francisci et sociorum ejus, 16. – Cf. Fioretti, 16. 

2 Voir : P. Nicola CAVANNA, L’Umbria francescana, p. 195 ; Pérouse, 1910. 

3 Speculum perfectionis, 113. 

4  Alaudae aves amicae meridianae lucis et crepusculorum tenebras horrescentes... Traité des miracles, IV. 

5 Actus Beati Francisci et sociorum ejus, 24. – Cf. Fioretti, 22. 

6 Speculum perfectionis, 114. 

7 THOMAS DE CELANO, Seconde Légende, II, CXXIX. 

8 Ibid., CXXV. 

9 Ibid., CXXVII. 

10  Cf. chapitre VIII, p. 195. 

11 THOMAS DE CELANO, Seconde Légende, II, CXXX. 

12 Louis LE CARDONNEL, Carmina sacra, « Saint François à la cigale ». 

13 THOMAS DE CELANO, Première Légende, I, XXL. 

14 THOMAS DE CELANO, Seconde Légende, II, CXXVI. 

15 THOMAS DE CELANO, Première Légende, I, XXVIII. 

16 Speculum perfectionis, 116. 

17 Speculum perfectionis, 115. 

18 Speculum perfectionis, 118. 

19 MALACHIE, IV, 2. 

20 Ici se placent les strophes sur la paix et sur la mort composées en d’autres circonstances. 

21 Speculum perfectionis, 119 et 120. – Il existe des études innombrables sur ce Cantique célèbre. La plus récente, et l’une des meilleures, est celle du R. P. L. BRACALONI, O. F. M., Il Cantico di Frate Sole composta da S. Francesco in S. Damiano d’Assisi, 1225-1925 ; Todi, 1925. On y trouvera une bibliographie très développée.

 

 

 

 

 

 

 

 

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