Le pèlerin d’Assise : Johannes Joergensen

 

(1866-1956)

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Alexandre MASSERON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUBILÉ

 

Le 6 septembre 1947, un groupe de pèlerins français, conduit par les Pères Capucins, était réuni dans le salon de l’évêché d’Assise et sous la présidence de l’évêque, pour y célébrer – avec quelques mois de retard, mais il n’importe – les quatre-vingts ans d’un des plus illustres écrivains catholiques du XXe siècle, le Danois Johannes Joergensen. Il était donné lecture d’un télégramme de Sa Sainteté Pie XII, envoyant la bénédiction apostolique au « méritant auteur qui avait mis son talent et sa foi au service du Séraphin d’Assise ».

Cette cérémonie toute intime revêtait un émouvant symbolisme de s’être déroulée au palais épiscopal d’Assise ; aucun autre lieu ne pouvait mieux mettre en lumière sa profonde signification : c’est sur la place voisine que saint François avait fait le geste décisif de ce que l’on a appelé sa conversion, dans cette scène dramatique où il avait renoncé à son père, Pierre de Bernardone, pour ne plus dire que « Notre Père qui êtes aux cieux », en rejetant ses vêtements sous les yeux de ses compatriotes stupéfaits et en rompant brutalement avec « une jeunesse dorée » dont il était le chef et le roi.

Et c’est tout près de là aussi, à Sainte-Marie de la Portioncule, que le jeune Danois de vingt-huit ans – disciple, par son compatriote Georg Brandes, de Taine et de Renan, membre brillant d’une école dite radicale, où l’on attendait « la fin du christianisme et la résurrection de la chair païenne » – osa esquisser, le 2 août 1894, une génuflexion rapide devant l’autel de l’humble chapelle restaurée par saint François.

Son adhésion définitive au catholicisme n’eut lieu que quelques mois plus tard, mais déjà une paix singulière l’avait rempli, et, le soir même, il écrivait dans son journal :

 

« Depuis bien des années, je ne me suis plus senti heureux comme en ce jour. Seigneur, Seigneur, je te remercie et te loue de tout mon pauvre cœur ! »

 

 

LE THÉOSOPHE RÉVOLUTIONNAIRE DE SVENDBORG

 

Johannes Joergensen, – Jean, fils de Georges – né en 1866 à Svendborg, dans l’île de Fionie, entra en seconde, à l’âge de seize ans, au lycée de Copenhague. Nous savons, par ses propres confessions, quel bagage moral il y apportait. Il appartenait à une famille de loups de mer, luthérienne, qui pratiquait sa religion et ne jugeait pas convenable d’en parler. Mais à l’école, il apprit les cantiques de Noël, qui lui laissèrent – il le note avec insistance – la plus forte impression de son enfance.

Ce qu’on y enseignait ne lui suffit bientôt plus, et il partit sans maître, au gré de ses lectures, à la recherche de la vérité, « la seule chose dont il se souciait ». Il prit d’abord, et sans s’inquiéter de l’orthodoxie luthérienne, la voie de la théosophie et, en 1881, il préparait son premier livre, dont la table des matières commençait ainsi : Origine de la matière et du mal, et se terminait par : Le purgatoire et le schéol ; l’état après la mort.

Il se sentait un révolté, et les nihilistes russes faisaient, à ses yeux, figures de héros. Il fonda même un club pour extirper la tyrannie ; mais la police danoise n’en conçut jamais aucune inquiétude : si le club s’appelait Lucifer, il ne comptait que six membres, dont quatre femmes, et l’écho de ses délibérations menaçantes ne franchit point les murs de la cave à charbon où il tenait ses assises.

Un dernier trait nous apporte une saveur plus âpre :

 

« Une après-midi grise de janvier, dans une pièce où il faisait froid, une détresse désespérée envahit le jeune garçon ; la seule conscience qu’il avait d’exister causait en lui cette angoisse ; l’idée qu’il était et qu’il n’y avait pas d’autre existence que celle-là, le frappait...

C’était tout ce qu’il y avait, il n’y avait pas d’autre monde, comme il n’y avait pas d’autre Dieu... Au-dessus de lui, en dehors de lui, il n’était rien ni personne, il n’y avait que le néant vide, froid, sans fond. Sous le poids de cette pensée, le jeune garçon demeura à regarder le crépuscule gris, ne pouvant se délivrer d’une douleur pesante, indicible. »

 

 

ANARCHISTE ET ATHÉE

 

À Copenhague, où il arriva à la fin de l’été 1882, Johannes Joergensen ne tarda pas à découvrir un héros, le romancier suédois Auguste Strindberg ; un évangile, le livre au bruyant scandale que fut La Chambre Rouge ; et un maître, Georg Brandes, qui se targuait de dissiper à tout jamais « les ténèbres du christianisme ». Ses sympathies révolutionnaires l’emportèrent sur sa théosophie et ses ouvrages de chevet ne furent plus bientôt que ceux qui enseignaient la révolte et le désespoir. Le ciel pour lui devenait vide.

Il nous a conté lui-même sa vie d’étudiant pauvre qui, trois fois par semaine, allait prendre un repas gratuit chez des gens « bien pensants », où il entendait attaquer, sans pouvoir mot dire, tout ce qu’il respectait et tout ce qu’il admirait. Mais à la suite d’un esclandre trop bruyant, il en fut chassé ; et il entendit, sans un geste de repentir, sans une larme, les paroles désespérées de sa mère : « Tu étais pourtant notre honneur et notre fierté ! Nous te croyions assez sage pour ne jamais t’engager dans quelque chose qui ne fût pas bien. À présent tout est fini. De ma vie je n’aurai un jour de bonheur. » Le coupable pensa seulement que c’était l’auréole du martyre !

Anarchiste, il ne rêvait de rien moins que d’abolir toute société ; athée, il rejetait la loi morale qui n’était guère qu’une habitude, il ne voyait pas pourquoi il serait obligé de travailler ; il but le philtre qui « dans chaque souillon fait voir une Hélène » ; il connut la misère, la faim, le froid, les habits râpés, les déménagements successifs, les chambres où il n’y avait pas de lit et où il fallait dormir sur une chaise longue ; il dut vendre ses livres et, un soir au moins, se glisser à l’hôpital pour y trouver à souper. Il écrivait en 1899 :

 

« J’ai le sentiment d’être une chauve-souris qui aurait été attirée par le soleil. J’ai rompu avec le jour et j’ai été trompé par la nuit. »

 

Devenu collaborateur, puis secrétaire de la rédaction d’un grand journal danois, – où l’on avait commencé par lui demander d’écrire « un bon article sur les plantes fourragères, un article qui épuise le sujet » – Johannes Joergensen réussit à échapper, pendant deux ans environ, à cette misère matérielle. Il se maria. Et il retrouva le bonheur, un bonheur construit sur des bases purement humaines, mais qui ne dura pas ; et il reconnaît formellement que ce fut par sa faute, par sa seule faute.

Dans un autre domaine, il se jugeait encore avec moins d’indulgence :

 

« Nul ne devient athée qui ne l’ait mérité. Chacun a la foi qu’il mérite d’avoir. Je devins libre penseur, non parce que Höffding prêchait la libre pensée, mais parce que mon esprit y était porté. Je devins amoraliste et immoraliste, non parce que Georg Brandes incitait à l’être, mais parce que ma qualité morale n’était pas plus élevée... Je n’étais pas bon, j’étais un être composé d’imagination, de sentimentalité et de sensualité ; par suite, j’étais destiné à être moralement « libéré ». Comme tous les caractères faibles, je souhaitais une vie libre, sans responsabilités. »

 

 

LE BESOIN D’INFINI

 

Cependant de nouvelles voix se faisaient entendre au Danemark, qui annonçaient le déclin du naturalisme, la fin de l’« époque juive » et du règne de Georg Brandes, le triomphe des valeurs spirituelles.

Johannes Joergensen lisait Huysmans, Barbey d’Aurevilly, Villiers de l’Isle-Adam, Maeterlinck. Un jour, il trouvait un de ses plus chers amis, récitant un sonnet de Baudelaire qu’il scandait « du bout de sa pipe ». La lecture des Fleurs du mal lui inspirait un article, dont un des meilleurs connaisseurs de la littérature danoise, Jacques de Coussange, a dit qu’il fit une profonde impression et qu’il révéla à plusieurs écrivains « un monde de sentiments absolument nouveaux pour eux ». Avec le poète français, Joergensen découvrait en lui-même « la lutte entre deux âmes », l’une cramponnée au plaisir sous ses formes les plus basses, l’autre qui tendait à s’élever vers de hautes régions. Le sens du mystère commençait à se réveiller.

L’influence d’Ernest Hello devait être encore plus forte. Dans le roman, en grande partie autobiographique, traduit en français sous le titre Vita Vera, le héros, Hermann Ronge, nous montre comment les analyses psychologiques du penseur breton lui allaient droit au cœur, au cœur de Johannes Joergensen : « Quand un jeune homme, écrivait Hello, a fait sur sa route beaucoup de bêtises, qu’il a perdu beaucoup de temps, qu’il a des dettes, qu’il est sot, médiocre, inutile et ennuyé, on dit qu’il a beaucoup vécu. Il faudrait dire qu’il est beaucoup mort. Ce qu’il a fait, c’est le rien : il n’a rien fait. Il a laissé fermenter le rien : le néant a produit le néant, l’ennui est venu et voilà tout. Le néant est une racine qui produit l’ennui pour fleur et pour fruit le désespoir... »

C’est vers cette époque que Joergensen fonda la Tour, une revue de littérature et d’art, dont personne ne s’étonnera que la durée ait été éphémère : le marchand de papier lui-même n’y était pas payé !

Le programme annonçait une rupture brutale avec Georg Brandes et son école :

 

« L’espoir d’en haut est fermé pour l’homme moderne. Il n’y a pas de vie hors de celle-ci ; et, d’après la philosophie orthodoxe, il ne doit pas y en avoir d’autre. L’homme est ainsi enfermé dans un monde matériel et éphémère et quand vient la mort tout est fini.

Il s’ensuit qu’on a le sentiment d’une vie de plus en plus étroite, vulgaire, quelconque, avec laquelle on agit selon la fantaisie et le caprice. On oublie que la vie est un miracle, une énigme, une chose sacrée et qu’il faut vivre avec piété.

Mais certaines âmes éprouvent encore le besoin d’infini, de félicité, de vie dans un monde profond et plein de sens, et c’est à ces âmes-là que nous nous adressons. »

 

Les radicaux danois ne s’y trompèrent pas : « Cela sentait le chrétien ». Ils coupèrent complètement les vivres à ce renégat, qui leur avait donné de si belles espérances, en le traitant de « brutal ambitieux qui voulait arriver à tout prix ». Mais ils ne devinèrent pas que ce à quoi Johannes Joergensen voulait « arriver », ce n’était ni à la gloire ni aux honneurs ni à la fortune, c’était seulement à la connaissance de cette vérité que, jusque là, il avait cherché en vain parmi eux. Sa ruine totale devait l’y conduire par une voie inattendue.

 

 

LES SAUVEURS : BALLIN ET VERKADE

 

Le rôle capital dans la conversion de Johannes Joergensen a été joué par Mogens Ballin, un converti lui-même, un converti de Verkade, qui devait prendre l’habit de Saint-Benoît et qui était encore un converti... Quelle contagion !

Mogens Ballin était un juif danois, de famille riche, qui était parti pour Paris avec l’intention de devenir un artiste, et qui y menait une vie fort joyeuse. Il avait rencontré Verkade, d’abord chez le peintre Gauguin, puis au « bal Bullier », célèbre à cette époque et d’une célébrité de fort mauvais aloi. Ils se trouvèrent d’accord sur ce point que, de tous les plaisirs frelatés, ils « en avaient soupé », et qu’ils s’ennuyaient effroyablement.

C’est au printemps 1894 que les deux amis, devenus catholiques, connurent l’effroyable détresse, à la fois matérielle et morale, où se débattait Joergensen, et que la charité chrétienne leur inspira de venir à son secours, en l’arrachant à son milieu et en l’y aidant même par des moyens financiers : « Johannes Joergensen, a écrit Verkade, n’était pas heureux et aspirait au bonheur. Mais il était arrivé à la conviction que la vérité ne peut jamais rendre malheureux, tandis que la tristesse et le mécontentement sont le critérium manifeste d’une erreur de l’intelligence ».

Il y avait donc lieu de se demander si Ballin et Verkade, parce qu’ils étaient heureux, ne possédaient pas la vérité...

Les deux amis organisèrent une loterie de tableaux, dont le produit devait permettre à Joergensen de faire un voyage en Allemagne et en Italie.

 

 

EN ALLEMAGNE

 

Dans quelles dispositions s’engageait-il sur cette route du sud, qu’il ne devait reprendre vers le Danemark qu’après que l’issue du combat eût été irrévocablement décidée, mais où il devait, avant de triompher, subir de si rudes assauts ?

Il nous a marqué lui-même quelles furent les étapes de ce chemin tortueux et quels obstacles il eut à y surmonter. Il n’a dissimulé ni aucune de ses faiblesses ni aucune de ses révoltes : « Prends le livre de mes Confessions, a-t-il écrit en épigraphe ; c’est là-dessus qu’il faut me juger pour ne pas me donner des louanges que je ne mérite pas. » À la vérité ; il n’eût même pas été besoin de nous citer ce texte de saint Augustin : on songe tout naturellement à l’immortel chef-d’œuvre de la littérature chrétienne.

Il reçut une lettre de Verkade qui lui donnait rendez-vous au couvent bénédictin de Beuron :

 

« Cette lettre ne fit pas revivre mes sympathies catholiques ; elle produisit l’effet contraire... Un panthéisme mystique me saisit, bouillonnant et enivrant... À présent que la porte du vaste monde s’ouvrait pour moi, que j’allais parcourir le chemin qui mène au sud, je reculais... J’éprouvais une sorte d’angoisse, comme s’il y avait quelque chose de mal dans ce projet, quelque chose qui se vengerait. Mais le contraire ne se vengerait-il pas davantage encore ?...

Ce sentiment traça le chemin à un autre, nettement chrétien : je commençai à comprendre ce que veut dire avoir besoin de la grâce. Car personne ne peut vivre sans péché, personne n’a la force d’imiter le Christ. Toute notre conduite a besoin d’être pardonnée, de recevoir la grâce. Mais pour l’obtenir, il faut que l’homme reconnaisse son continuel état de péché...

Avec la conscience du péché, on aperçoit aussi l’espérance du pardon et d’une nouvelle vie... Je suis envahi par ce double sentiment, celui de ma propre ignominie et laideur, et celui de mon aspiration aux grandes puissances de la vie...

Cependant si je me rapprochais du christianisme, je ne me rapprochais pas de Rome... »

 

Il allait commencer à s’en rapprocher, d’une manière encore bien timide et bien hésitante, à Nuremberg, qui fut la première étape de son voyage, après qu’il eut quitté, à Berlin, Mogens Ballin partant directement pour Assise. Les vieux maîtres allemands du Moyen Âge le jetèrent dans de pieuses rêveries, et les impressions qu’il tira de leur étude eurent un caractère plus religieux qu’artistique.

C’est ainsi que les sculptures de Saint-Laurent lui enseignèrent que l’esprit humain avait toujours attendu un rédempteur, et que la figure de la Justice, sur la fontaine des Vertus, lui apprit que la justice ne peut naître que de la foi et de l’espérance en un Dieu juste.

Conclusions un peu inattendues, pensera-t-on peut-être, mais qui nous apportent un curieux témoignage sur son état d’esprit.

Ayant assisté à une messe basse à Notre-Dame, il avait comparé l’attitude de tous les braves gens qu’il y avait vus, commençant leur journée en consacrant à Dieu leurs pensées, leurs paroles et leurs actes, à celle des habitants qui, à peine réveillés, se jettent sur un journal pour se repaître des ordures et des crimes de la veille.

Dans le monastère bénédictin de Beuron, où Verkade lui avait donné rendez-vous, il eut une révélation, dont « le pauvre garçon qu’il était » fut, au dire de son ami, « tout épouvanté » : celle de la vie conventuelle, où toutes les heures sont, dès avant l’aube et jusqu’au coucher, marquées par la prière, et où le silence n’est rompu qu’à de rares moments.

L’impression reçue fut d’une telle violence que Johannes Joergensen dut avoir recours à une fuite précipitée : « Je ne me sens pas le courage, dit-il à Verkade, de passer encore une soirée ici ! »

Et il partit, subissant de nouveau la domination du panthéisme germanique, ne désirant obéir qu’à la nature, réclamant sa part du bonheur humain, tout prêt à tomber encore dans les enlacements enchanteurs des « filles du Rhin ».

Il lui fallut, pour s’y arracher, ce qu’il a appelé lui-même une intervention supérieure, qui le poussa, « au milieu des ténèbres des désirs sensuels », à lire, dans un livre que lui avait donné Verkade, les psaumes de David, les hymnes, les prières, les invocations des litanies. Il écrivait dans son journal :

 

« La vie et le bonheur de l’homme ne se trouvent qu’en Dieu. En dehors de lui, tout est vide, malheur et laideur... »

 

 

EN SUISSE

 

Quelques jours plus tard, il se produisit à Lucerne un évènement qui était comme une réponse providentielle à sa fuite éperdue du cloître de Beuron, un évènement dont il dit ensuite qu’il fut la première étincelle tombée sur lui, une étincelle qui « l’avait secoué de son repos et longtemps avait couvé en lui avant que la flamme n’éclatât ». Le soir de la Saint-Jean, comme il flânait aux bords de la Reuss, après un orage qui s’était déchaîné sur le mont Pilate, il était machinalement entré dans une église :

 

« Un prêtre avait pris sur l’autel l’ostensoir d’or, l’avait soulevé et avait béni la foule agenouillée. Et moi aussi je m’étais trouvé à genoux au milieu de cette foule, comme poussé à cela par une force irrésistible, et, dans le profond silence du recueillement et de la prière, j’avais senti que, à cette minute, quelqu’un était près de moi...

Et, depuis cette soirée de Lucerne, le feu du Christ avait brûlé dans mon cœur. Mais mon cœur n’avait pas voulu se laisser consumer par ce feu. Mon cœur avait tâché à l’étouffer, à l’éteindre, si c’était possible, car mon cœur craignait de s’abandonner à cette flamme que je savais venir de Dieu, et qui voulait remonter vers Dieu, la flamme de l’amour, dont l’objet est le bien suprême. »

 

Non, le païen et le panthéiste, malgré l’appel de Lucerne, n’avaient pas capitulé. Et Johannes Joergensen se sentait bien incapable de mettre en pratique ce discours de la Sagesse éternelle à Henri Suso qu’il avait médité quelques jours plus tôt à Constance, en lisant les œuvres du mystique allemand : « Commence d’abord par rompre avec ton goût pour les dérèglements de ta vue et les jouissances sensuelles de tes oreilles ! Fais en sorte que tu prennes plaisir et amour à ce qui, jusqu’alors, te déplaisait ! Renonce, par attachement pour moi, au souci délicat de ton corps ! En moi seule, cherche désormais tout ton repos... »

 

 

EN ITALIE

 

Dès son arrivée en Italie, il fut accueilli à Gênes par son compatriote Sophus Claussen, un poète, un romancier, avec qui il avait fait ses premières armes, en 1887, dans la littérature danoise. C’était un écrivain naturaliste, d’un sensualisme ardent, et que ne troublaient ni les problèmes de la vie intérieure ni les mystères de la religion. Il proclamait sa foi en « la sainteté de la corruption », et l’absurdité de la morale. Il ne concevait même pas que le surnaturel pût exister.

Joergensen passa avec lui quelques jours à Rapallo et, comme il n’était pas d’humeur conciliante et que son esprit de contradiction et de révolte n’était pas mort, cette rencontre lui fut très salutaire. De continuelles discussions avec Claussen le remettaient dans la voie droite, par un détour inattendu ; même et peut-être surtout lorsqu’ils se jetaient à la tête la clef unique de leur maison !

À Lucques et à Pistoia, Joergensen fit une assez longue retraite, et c’est là qu’il étudia la doctrine catholique, dirigé par Verkade qui lui envoyait des livres et à qui il soumettait ses objections et ses doutes.

Un soir qu’il entendait encore plus pressant « l’appel de la Germanie, romantique et panthéiste, qui chantait au clair de la lune pour l’attirer dans ses bras pleins de douceur », il ouvrit le Nouveau Testament et il y trouva trois mots qui lui éclairèrent toutes choses :

 

« D’abord le mot de Marie-Madeleine au Ressuscité quand elle le reconnaît : « Rabbôni ! » (Maître). J’éclatai en sanglots comme elle avait dû le faire.

Puis le mot de l’eunuque éthiopien à Philippe : « Je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. »

Enfin celui de Pierre : « Nous croyons que nous serons sauvés par la grâce du Seigneur Jésus-Christ. »

 

Jusque là, il avait tendu à se rapprocher directement de Dieu ; maintenant il avait compris que « la voie était Jésus et qu’il n’y en avait pas d’autre ». Ses lectures, ses méditations, son travail de pensée lui avaient fait atteindre « la clef de voûte du dogme, la pierre angulaire de la révélation ».

À ce moment, il se produisit un incident, qui aurait pu ruiner d’un coup l’édifice encore chancelant, mais qui, grâce à l’intervention providentielle de Mogens Ballin, le consolida définitivement. Joergensen apprit qu’il ne lui restait plus que quelques centaines de francs dans sa bourse de voyage, et qu’il lui fallait reprendre sans tarder la route du Nord : « Non, lui répondit aussitôt Ballin, vous ne devez pas retourner à la libre pensée danoise. Que ferez-vous là ? Vous ferez naufrage et vous coulerez. Si Dieu a voulu que vous n’ayez plus d’argent, c’est afin que j’exerce vis-à-vis de vous les devoirs de l’hospitalité. Venez à Assise, demeurez chez moi, mangez à ma table, vivons comme des frères et restez chez moi autant que vous le désirerez. »

 

 

ASSISE

 

Ainsi fut fait. La Chronique ombrienne du Livre de la route, traduit en plusieurs langues, a popularisé le récit de ce séjour de trois mois de Joergensen à Assise, où Mogens Ballin et un frère Mineur, le Père Felice, le mirent à l’école de saint François :

 

« Pendant ce temps, il se livra en moi un combat incessant comme ceux qui se livrent entre deux fronts, entre deux fronts bien accrochés au terrain, entre l’aspiration nouvelle, encore faible, mal équipée d’arguments, vers le bonheur, la lumière, le paradis – et le besoin si ancien, si invétéré, de faire ce qui était facile, de me laisser glisser, couler... »

 

Toutes les objections, qu’il avait déjà écartées, contre le catholicisme, lui revenaient à l’esprit avec plus de vigueur qu’autrefois. Et un jour qu’il en avait découvert, à Montefalco, une nouvelle, et qui était absurde, il tressaillit de joie ; car ce lui paraissait être un excellent prétexte pour retourner à ses anciens plaisirs. Cependant il avait beau se défendre, sa raison capitulait et, de toute son âme, il finissait par reconnaître la vérité de la religion.

Pourquoi donc résistait-il encore ? Parce que son orgueil se rebellait, cet orgueil qui est incompatible avec les renoncements et les soumissions qu’exige la religion catholique ; parce que le sentiment qu’il a appelé « le château fort de l’âme » faisait opposition. Johannes Joergensen ne voulait pas croire, et c’était à cause de cette volonté qu’il s’obstinait à suggérer des arguments à son incroyance :

 

« Impossible, désormais, de recourir aux grands mots et de parler encore de la lutte, au nom de la lumière et de la justice, contre des dogmes de mensonge et d’oppression ! Tout cela ce n’était que des mots, des prétextes conscients ou d’inconscientes excuses derrière lesquelles je m’étais caché, afin de ne pas regarder en face la réalité éternelle... Et pourtant ces idées ne m’apparaissaient encore que dans la clarté toute théorique. Elles ne pouvaient toujours pas se changer, pour moi, en un acte pratique de foi. »

 

Verkade lui écrivait de Beuron : « Élevez votre cœur et faites votre sacrifice. Dites : Mon Dieu, je crois en vous et je crois que votre sainte Église est le rempart de la vérité et le chemin du salut ! Et vous verrez que ce n’est pas un monstre dans les bras duquel vous vous jetterez, mais une mère qui vous serrera contre son cœur... » Il était demeuré sourd à cet appel ; son panthéisme renaissait ; l’inquiétude le serrait toujours à la gorge, et il avait l’impression d’une éternelle « course en cercle ». Mais il faisait sa prière du soir et il disait : « Seigneur, je suis hors d’état de m’aider moi-même. Ma raison et ma conscience ne sont rien. Seigneur, le mal restera mon lot si tu ne viens pas à mon aide. »

Sa prière fut exaucée, et il commença enfin à sentir « la douceur de la soumission ». Il écrivait aux dernières pages de son journal d’Assise :

 

« Ce qui m’empêche de devenir catholique, c’est l’amour de ma propre personne, de mon passé, de mes convictions d’autrefois que, à l’encontre de ce que l’expérience m’a prouvé, je continue à regarder comme bienfaisantes pour l’humanité, pour moi en particulier. C’est le mirage de l’égoïsme. »

 

L’égoïsme, il n’est pas de plus fortes leçons pour en triompher que celles que l’on peut recevoir en se mettant à l’école de saint François d’Assise. Et depuis trois mois, Joergensen s’était imprégné de l’esprit d’amour du Poverello, qui peu à peu avait détruit en lui l’« amour de sa propre personne ». Il s’était aussi imprégné de son esprit d’humilité, qui peu à peu avait abattu sa superbe. En dépit des révoltes et des sursauts continuels, la génuflexion timide de la Portioncule était l’annonce, encore un peu lointaine, mais l’annonce assurée du baptême.

Joergensen fut enfin reçu dans l’Église Catholique le 16 février 1896, après avoir fait, la veille, une confession générale.

Dans son Journal, il écrivit à cette date : « Sentiment de Joie. Plénitude de Foi. Longue promenade au soleil. » Et il ajouta plus tard, dans son autobiographie : « Ce fut ma première expérience de la vérité de cette promesse évangélique : donnez et vous recevrez. »

 

 

JOERGENSEN HAGIOGRAPHE

 

C’est le poète qui avait conquis, vers 1887, une des premières places dans la jeune littérature danoise ; mais c’est l’hagiographe qui devait imposer son nom à la littérature mondiale du XXe siècle. On peut dire que, depuis sa conversion, il n’a guère vécu qu’avec les saints. La trilogie que forment ses livres : Saint François d’Assise, les Pèlerinages franciscains et le Livre de la route, trilogie à laquelle il ajouta un peu plus tard la Montée de l’Alverne, lui ont valu, parmi les lecteurs de langue française, une célébrité qui ne s’est jamais démentie et à laquelle la Sainte Catherine de Sienne a donné un nouvel éclat.

Contraint de me borner, je voudrais indiquer très brièvement quelle me paraît être la principale originalité de Joergensen hagiographe ; elle est caractérisée par une étroite union de la science et de la poésie.

Chacun sait quelle est l’austère discipline à laquelle un hagiographe doit aujourd’hui se plier, et qu’avant d’écrire la vie de son héros, il lui faut se livrer d’abord à une étude scrupuleuse des « sources » et en faire une critique rigoureuse. Johannes Joergensen, que ses études antérieures n’avaient peut-être qu’assez imparfaitement préparé à ce travail indispensable, ne l’a pas éludé. Pour prendre comme exemple son Saint François d’Assise, sans doute de nouveaux manuscrits ont-ils été découverts, sans doute le point de vue a-t-il parfois un peu changé – et il changera encore ! – sur certaines questions qui furent âprement discutées, mais tous les « franciscanisants » ont rendu à l’ampleur de son information, à la clarté et à la sérénité de ses discussions, à la solidité des conclusions qu’il adoptait, un hommage unanime et bien mérité. Et c’est toujours en suivant fidèlement les « sources » qu’il a conduit son récit.

Mais c’est la note de fantaisie personnelle qui a fait le prodigieux succès de l’œuvre hagiographique de Johannes Joergensen. Il a mis beaucoup de lui-même dans les figures de saints qu’il nous a tracées, et il les a auréolées de poésie ; son merveilleux talent d’artiste et la finesse de sa sensibilité lui ont cependant permis de ne pas altérer leurs traits.

Il a eu de la nature un sentiment très vif, qui l’a parfois conduit, comme on l’a vu, à un panthéisme plus ou moins précis. Devenu catholique, ce sentiment ne perdit rien chez lui ni de sa vigueur ni de son originalité. Il est peu de descriptions de paysages plus évocatrices que celles que l’on peut lire dans les Pèlerinages franciscains. Aussi a-t-il toujours pensé à raison que, pour écrire la vie d’un saint, il était une autre « source » à consulter que les « sources purement livresques » ; et cette « source », c’est le pays dans lequel ce saint a vécu, l’atmosphère dont il s’est imprégné. Il a voulu remettre, dans la mesure où cela est possible après plusieurs siècles, ses pas dans les pas de ses héros, visiter en pèlerin les lieux qu’ils ont comme sanctifiés de leur présence, se rendre familiers les sites qui ont formé le cadre d’où leurs gestes doivent se détacher.

 

 

SIMPLICITÉ, PIÉTÉ, SINCÉRITÉ

 

L’une des plus aimables qualités du grand écrivain danois est son extraordinaire simplicité, sa simplicité toute franciscaine ; il pourrait répéter lui aussi, avec le Poverello : « Salut, ô Sagesse, ô reine, que le Seigneur te garde, toi et ta sœur la sainte et pure simplicité ! » Sans doute lui fallait-il, surtout à Assise, aux époques des grands pèlerinages, défendre un peu sa porte assiégée ; mais le seuil franchi – ce qui n’était tout de même pas bien difficile – quelle cordialité dans l’accueil, quelle chaleur de sympathie !

Je l’ai vu pour la première fois, alors qu’il était universellement célèbre, à Ravenne, au mois de septembre 1921, à l’occasion des fêtes de caractère international qui marquèrent le sixième centenaire de la mort de Dante ; il était assis à terre au coin d’une place où nous attendions le passage de je ne sais plus quel cortège. Une douzaine de frères mineurs l’entouraient et l’écoutaient respectueusement.

Et je pensai aussitôt à cette scène fameuse, si bien décrite par Fra Salimbene de Adamo, où l’on voit le roi de France, saint Louis, très simplement habillé, et assis lui aussi dans la poussière parmi des religieux au froc brun.

Je dois avouer que mes compliments parurent le laisser assez froid : affaire d’habitude ! Mais l’étincelle jaillit dès que je lui parlai d’un vieil ermite siennois, Fra Filippo degli Agazzari, sur qui je préparais à ce moment une petite étude. Il était manifestement ravi de rencontrer un Français qui avait lu les Assempri et qui avait fait les pèlerinages, aujourd’hui assez ignorés, de Lecceto et de San Leonardo al Lago. Et il accepta aussitôt, avec une bonne grâce souriante, de préfacer le livre d’un inconnu ! Pendant plus d’un quart de siècle, nos relations ne furent pas interrompues et devinrent de plus en plus affectueuses ; je l’ai rencontré bien souvent soit en Bretagne, soit surtout à Assise, où il m’avait procuré un gîte pittoresque dans l’hôtellerie que venaient d’ouvrir les Tertiaires régulières de San Quirico.

De bon matin, nous partions, le sac alpin au dos, qui contenait notre déjeuner, pour aller faire une excursion plus ou moins lointaine, pour aller voir, par exemple, les fresques de Benozzo Gozzoli, à Montefalco, ou encore pour mettre nos pas dans les pas de saint François, en visitant Pian d’Arca, entre Cannara et Bevagna, où furent prononcées, il y a plus de sept cents ans, les paroles immortelles : « Mes frères les oiseaux... » Une jeune Tertiaire, morte en 1933, Andrée Carof, artiste admirable, au talent souple et vigoureusement personnel, se joignait à nous, et la promenade recevait encore un charme nouveau de sa rayonnante gaîté : elle était la vivante incarnation de la joie franciscaine.

De sa profonde piété, je ne citerai, faute de place, qu’un seul trait.

Au mois de mai 1926, comme je savais qu’il était en Alsace, je l’invitai à faire une conférence en Bretagne, sur saint François d’Assise naturellement. Il avait parlé à Strasbourg le 17 et le 18 de ce mois, avait voyagé de là à Paris dans la journée du 19, et de Paris en Bretagne dans la nuit du 19 au 20. Le 20, vers huit heures du matin, je l’attendais donc à la gare, et il était à peine arrivé chez moi que je lui dis en riant : « Il y a deux opérations nécessaires, la toilette et le petit déjeuner. Par laquelle commencez-vous ? » Il me répondit à ma grande stupeur : « J’ai fait une toilette sommaire dans le train, je voudrais d’abord communier. Pensez-vous qu’à cette heure-ci, ce soit, durant la semaine, encore possible ? » Je le conduisis à l’église paroissiale, où nous trouvâmes dans la sacristie un vicaire, qui ne fut pas moins édifié que je ne l’avais été moi-même, surtout lorsque je lui eus appris que Joergensen avait, dans la gorge et dans les reins, la fatigue de deux conférences et de vingt-quatre heures consécutives de voyage, dont douze de nuit.

À l’imitation de saint François, dont il a dit que « son principal objet était toujours d’instruire les hommes par son exemple plus que par ses paroles », ce n’est pas seulement par la plume que le grand écrivain danois a voulu devenir un apôtre, c’est encore par l’exemple de sa vie.

Sincère dans sa recherche si longue, si passionnée, si mouvementée, de la vérité, il est demeuré sincère après sa conversion, en mettant sa foi en pratique avec toute l’ardeur de son âme et toute la générosité de son cœur.

Cette foi catholique ne lui a pas été ingrate ; elle lui a découvert une nouvelle source de beauté, où il a puisé à larges traits. Poète révolutionnaire et athée, il était célèbre en Danemark ; il l’est devenu dans le monde entier, comme disciple du Poverello.

 

« Je suis revenu à Assise pour y mourir », me disait Johannes Joergensen lors du jubilé de ses quatre-vingts ans ; et on raconte même qu’il avait acheté une place au cimetière. Des raisons de famille et sans doute l’appel du pays natal en ont disposé autrement, et il retourna en Danemark. Mais la ville séraphique resta toujours sa seconde patrie, sa véritable patrie spirituelle.

Ce n’est cependant pas à Assise que, selon son vœu, Johannes Joergensen mourut, mais, le 29 mai 1956, à l’hôpital danois de Svendborg.

 

Alexandre MASSERON.

 

Recueilli dans Convertis du XXe siècle,

3e volume, 1963.

 

 

 

Alexandre Masseron passe pour un des meilleurs dantologues et un des meilleurs franciscanisants français de notre époque. Parmi ses œuvres, citons : La Divine Comédie, traduction, introduction et notes (14 vol.) ; Les énigmes de la Divine Comédie ; Pour comprendre la Divine Comédie (1939) ; Les Franciscains (1931) ; Saint Christophe, patron des automobilistes (1933) ; Vie de Saint Antoine de Padoue (1941) ; Saint Bernardin de Sienne et les mauvaises langues (1944) ; Saint Bernardin de Sienne et les défauts des femmes (1945) ; Saint Yves (1952) ; Dante et Saint Bernard (1953) ; La Légende franciscaine (1954). etc.

Attaché à sa Bretagne natale, il a publié dans la collection « Les Villes d’Art célèbres » : Quimper, Quimperlé, Locronan, Penmarc’h. Signalons également dans cette même collection, sa magnifique étude sur Assise.

Parmi ces ouvrages, plusieurs ont été couronnée par l’Académie Française.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Johannes Joergensen a écrit soixante-douze volumes, et ses œuvres ont été traduites en dix-huit langues.

Nous ne donnons ici que la liste de ses principaux ouvrages traduits en français avec, entre parenthèses, le nom du traducteur. C’est à ces traductions qu’ont été empruntées toutes les citations qu’on trouvera dans cette plaquette.

Saint François d’Assise (Teodor de Wyzewa).

Le livre de la route (Teodor de Wyzewa).

Pèlerinages franciscains (Teodor de Wyzewa).

Le Feu sacré, le bienheureux Giovanni Colombini (Marie-Thérèse Fourcade).

Sainte Catherine de Sienne (Marie-Thérèse Fourcade).

Le Pèlerinage de ma vie (Jacques de Coussange).

La Montée de l’Alverne (Andrée Carof).

Vita Vera (Sirgel-Launoy et de la Fabrège).

Le Néant et la Vie (Pierre d’Armailhacq).

Le Livre d’Outremer, la Terre Sainte (Andrée Carof).

Don Bosco (Elna Cornet).

Par les trois volumes La Cloche Roland, La Réponse du mauvais serviteur, Dans l’extrême Belgique (Jacques de Coussange), Johannes Joergensen a mérité la profonde reconnaissance des Français et des Belges : il a défendu leur cause pendant la guerre de 1914, alors qu’il était au faite de sa célébrité et que sa voix de citoyen d’une nation neutre donnait à ses opinions une incomparable portée.

Pour la Sainte Brigitte de Suède, il existe une traduction italienne de Riccardo Gismondi.

 

 

 

 

 

 

 

 

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