Le merveilleux au pays de M. Loubet

 

 

 

 

 

 

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Gaston MÉRY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vous savez que M. Émile Loubet est né à quelques kilomètres d’un joli village de la Drôme, Marsanne, dans un mas, le mas de la Terrasse, où sa vieille mère, une paysanne modeste en bonnet blanc et en tablier bleu, habite encore, avec quelques serviteurs, partageant ses soins entre sa basse-cour et son étable...

Avez-vous lu cet exquis poème en prose, Un paysan du Midi, de Batisto Bonnet, qu’Alphonse Daudet a traduit du provençal en français ?

Les scènes qu’il évoque se déroulent dans un mas tout pareil à celui de la Terrasse. C’est un décor blanc et vert, fleuri aussi, et tout ensoleillé. On entend des bruits de fouets qui claquent, des cocoricos, des fifrelis de feuillage, et le pan, pan, pan des lavandières battant leur linge, auprès d’une mare. Tout là-bas, des montagnes bleuâtres.

Il semble qu’en face de tels paysages, l’imagination des hommes ne puisse s’abandonner qu’à des rêves poétiques.

De l’avis unanime, le nouveau Président de la République n’est pourtant rien moins qu’un poète. Nul n’eut plus que lui l’intelligence terre-à-terre. Mais c’est sans doute que, de bonne heure, il quitta le pays natal.

Les gens de la région, qui sont restés fidèles au sol, et dont la politique n’a pas desséché l’âme, ont gardé le goût des jolies légendes. Rien ne les enchante autant que le Merveilleux.

 

J’en ai eu une preuve, lors du court séjour que j’ai fait récemment parmi eux. Chaque fontaine, chaque rocher, chaque site, leur rappelle quelque conte gracieux ou fantastique. À les en croire, aucun pays ne fut aussi souvent « hanté ».

Parmi les légendes qu’ils m’ont rapportées, il en est une à laquelle ils tiennent par-dessus tout : c’est celle du miracle de Notre-Dame de Fresnaud. Un sanctuaire, dédié à la Vierge, bâti à six cents mètres du village, perpétue le souvenir de ce miracle. Voici ce que M. l’abbé Nadal, grand vicaire de Valence, en a écrit dans une notice publiée en 1860.

 

Une légende populaire, transmise par la tradition, raconte qu’un ouvrier tailleur de pierre allait tous les matins à la carrière de la montagne de Fresnaud et laissait dans sa demeure sa fille aveugle de naissance, dont la mère était morte en lui donnant le jour.

Cette enfant, pieuse comme un ange, s’adressait sans cesse à la très sainte Vierge et lui demandait la vue, afin de pouvoir aider son vieux père.

Chaque jour, quand le soleil baissait à l’horizon, quand l’heure du retour de l’ouvrier approchait, elle se dirigeait lentement vers la carrière et allait s’asseoir au pied d’un arbre, où elle restait en prière, jusqu’à ce que son père la prît en passant pour la reconduire au village.

Un jour, elle s’endormit au pied de l’arbre et, durant son sommeil, elle crut entendre la sainte Vierge lui dire : « Ma fille, construis-moi une petite chapelle en ce lieu et tu recevras le bienfait de la vue. »

Ces paroles la comblèrent de joie : mais comment obéir ? Elle était si pauvre ! Elle courba donc la tête en pleurant et garda son secret.

Mais bientôt une nouvelle vision la décida à tout dire à son père. Celui-ci n’eut aucun égard à sa demande. Elle insista : nouveaux refus.

Cependant la pieuse fille ne perdit point l’espérance du succès ; elle l’entretint au contraire par des prières ferventes et par des larmes qu’elle versait devant Dieu, retirée dans la silencieuse solitude de Fresnaud.

Quelques jours après, le tailleur de pierre reçoit l’ordre de fournir un bénitier neuf pour l’église du village. L’objet terminé, il le porte à l’église, le met en place et se retire.

Le lendemain, au point du jour, il se rend comme d’habitude à la carrière, et le premier objet qui frappe ses regards est son bénitier.

Il ne peut en croire ses yeux, et se figure que le curé n’est pas content, et va lui demander pourquoi il a fait reporter le bénitier à la montagne. Le prêtre, dont l’étonnement est extrême, ne peut rien expliquer ; l’enfant seule les accueille d’un sourire et affirme que c’est la Sainte Vierge qui agit, et veut les déterminer à obéir.

On ne l’écoute pas, on reporte et on scelle de nouveau le bénitier et l’on ferme la porte de l’église.

Le lendemain, grande rumeur au village, le bénitier a encore disparu, il se retrouve à la carrière.

Celte fois, la population s’émeut vivement de tous côtés, on se réunit, on entoure l’aveugle, on écoute le récit de sa vision, et d’une voix unanime, tous promettent d’obéir à la Sainte Vierge et de construire son oratoire.

À peine ce vœu est-il formulé, que l’enfant recouvre l’usage de ses yeux. Frappée de ce prodige, la foule se rend à la montagne, y glorifie Dieu et ne tarde pas à élever de ses mains et de ses deniers le sanctuaire de Notre-Dame de Fresnaud.

 

D’après l’abbé Nortel, la date de ce fait miraculeux se placerait vers l’année 1700.

Le général de Montluisant, qui a écrit un curieux ouvrage sur Marsanne, affirme que, depuis cette époque, de nombreuses faveurs entretinrent la confiance et la dévotion à Notre-Dame de Fresnaud. Il en cite quelques-unes, obtenues dans des circonstances fort touchantes.

Tel est le type des légendes que l’on se raconte à Marsanne. M. Émile Loubet, quand il y vient, aime mieux sans doute entendre ces jolis récits, que l’histoire de ses pourparlers avec Arton.

 

 

Gaston MÉRY.

 

Paru dans L’Écho du merveilleux en mars 1899.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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