Études sur la religion des anciens slaves

 

NOTE LUE AU

Congrès international des Sciences ethnographiques

Section des Religions comparées

À L’EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889.

 

 

 

 

par

 

 

 

 

F. MICHAŁOWSKI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Lud, tribu aryenne constituant le noyau de la race slave, est venu du fond de l’Asie en Europe aux temps préhistoriques. Sa langue, voisine du sanscrit, ses légendes et ses fables populaires, où il est question de choses propres aux pays méridionaux d’au-delà du Caucase, tout démontre cette origine. L’étude de nombreux termes du dictionnaire usuel confirme cette opinion. Ainsi le nom du mois d’avril, kwiecień en polonais, exactement floréal, celui de novembre, listopad, le mois qui fait tomber les feuilles, nous amènent bien à admettre que ces mots dérivent d’une contrée où la mauvaise saison ne durait pas plus de quatre mois.

Le lud, malgré l’antiquité de son apparition en Europe, n’en fut cependant pas le premier habitant. L’examen de notre dictionnaire géographique lève tous les doutes : les plus anciens occupants, sinon de la totalité, du moins de la plus grande partie de l’Europe, les pionniers qui en reconnurent et en dénommèrent les montagnes, les fleuves, les rivages, furent les nomades ouraliens, dits Tud, Tchud, Chtchud en pays slaves, et Tud dans les contrées celtiques, où ce terme de nos jours encore signifie : peuple, nation, et correspond aussi au français : gens. La tradition populaire a conservé un autre nom plus particulier au Tud de la Gaule, mais qu’on retrouve dans d’autres pays, celui de Fenians, variante du mot Finois, à moins d’accepter la surprenante conjecture de M. L. Léger, pour lequel Fenian dérive de Fainéant 1, Fénian, Finian, Feinian, Ofénian, Fin, Fen, Faune : en déclarant ce dernier fils de la pie, la fable l’a proclamé à sa manière autochtone. On sait que la langue de Senc’hus Mor s’appelait Berla Feïni.

Rapprochés, le Tud et le Lud ne tardèrent pas à former la race lithuano-slave. Celle-ci ne trouva la paix et la sécurité indispensables à un établissement définitif qu’en occupant, vers le centre de leurs possessions actuelles, un territoire relativement restreint, mais qu’elle étendit peu à peu, avec la charrue, jusqu’à la mer du Nord. L’invasion des Germains, armés de Mess et de Messer (casse-tête et couteaux en bronze), mit fin à l’expansion pacifique des premiers paysans de l’Europe, en refoulant au-delà du Rhin ceux qui défrichaient l’Allemagne actuelle.

Fut-ce alors le premier contact des Slaves avec les indigènes de la Gaule, y avait-il eu des relations antérieures ? On l’ignore, mais il est hors de doute que du mariage des deux peuples naquit la grande et illustre race celtique, dont le dictionnaire, à part un dixième peut-être de mots relativement modernes, est entièrement ouralien ou slave. Le fait aurait dû, il semble, être constaté depuis longtemps. Voilà pourquoi la mythologie celtique et la slave présentent tant d’éléments identiques, comme on le verra bientôt, bien que, afin de ne pas donner une trop grande extension à cet aperçu, je doive me borner à un examen partiel de la mythologie polonaise, après avoir jeté un simple coup d’œil sur l’ensemble.

Masudi, célèbre écrivain et voyageur arabe de la première moitié du Xe siècle, parle d’un temple au pays des Ludiers construit sur une montagne en pierres de nature diverse, comme d’une merveille d’architecture. Deux siècles plus tard, saint Otton, apôtre de la Poméranie, fit brûler à Stettin quatre temples slaves, dont le plus important, selon le biographe, était orné de magnifiques sculptures : « On croyait voir, dit-il, bêtes et gens vivre et respirer. » On peut donc affirmer qu’il y a mille ans, à la veille de devenir chrétiens, les Slaves de la Vistule et de l’Oder élevaient à leurs divinités de splendides monuments. Cela ne suppose-t-il pas, outre une certaine civilisation, une religion consciente de son rôle et pleine de foi dans son avenir ? Mais on sait d’autre part que, de tous temps, les Slaves consacraient à leurs dieux les hauteurs, les eaux, les forêts, les grands arbres surtout, préservés par cela même de la destruction (le chêne creux d’Oppen, abattu sous Vinrich von Kniprode, mesurait, sous les branches, dix-huit mètres de circonférence). Le pouvoir des prêtres, supérieur quelquefois à celui des rois, et le nom même du prêtre en polonais, identique à celui du prince, montrent suffisamment la puissance du sentiment religieux chez les Slaves des temps passés. Leur foi dans la vie future devait être absolue, s’il est vrai que la mort des êtres aimés devenait une occasion de réjouissances, ou que les femmes se faisaient parfois tuer ou brûler afin d’accompagner l’époux dans l’autre monde. Une vieille chronique a conservé les adieux adressés au mort en Samogitie : Transi miser ad meliorem mundum ubi non tibi Germani, sed tu illis imperabis.

À considérer les idées actuelles des campagnards polonais, c’était un peuple spiritualiste, à peu près comme le peuple de la Bretagne. Il n’y manquait pas d’âmes en peine délaissant momentanément leur corps, ni d’oupiors qu’il fallait clouer avec un pieu dans la tombe pour les empêcher d’en sortir. Les champs et les eaux pullulaient de génies élémentaires. « N’allez pas vous baigner avant que l’eau ait fleuri à la saint Jean, me disait une bonne vieille avec conviction, car le Topielec entraîne l’imprudent au fond de la rivière, où les poissons le mangent », ce qui pouvait d’ailleurs dissimuler un conseil salutaire. Mais voici une coutume prouvant qu’ils se croyaient entourés de mauvais esprits : quelqu’un, en Pologne, éternue-t-il ? Tous aussitôt de s’écrier en chœur : « À Napsik ! » Dioscoride,  médecin grec qui vivait dans les premiers temps de l’ère chrétienne, avait dû entendre cette exclamation ; ne donne-t-il pas en effet à l’hellébore blanc, qui constitue un puissant sternutatoire, le nom un peu singulier d’Anepsa ? Or, en lithuanien, l’expression : neapsi-eik, veut dire qu’il n’approche pas, qu’il s’en aille ! en sous-entendant le diable : Velinas, Boruta, Dias, Bies, Czart, Licho, et quelques autres.

Les tentatives de transformer tout ce monde extrahumain en démons catholiques ou en simples damnés « revenant » pour l’édification des pécheurs, de peupler les étoiles filantes d’âmes de petits enfants illégitimes, etc., ne regardent plus la vieille mythologie. Il suffit de remarquer ici que, sous l’empire de l’ancienne religion (d’après certains indices), ce n’est point la crainte, mais la curiosité de l’autre monde qui dévorait les âmes. Il semble que le grand objet du culte n’était pas, comme en Grèce et à Rome, l’expiation des crimes ou des souillures, mais la consultation des dieux, auxquels on demandait sans cesse, moyennant promesse ou offrandes et par l’intermédiaire des prêtres, la révélation de l’avenir. À défaut de prêtres, les femmes et les poètes jouissaient du privilège de vaticination. On n’aborde pas un poète polonais sans le saluer du nom de wieszez (vates), mi-sorcier, mi-prophète.

Mais aucun corps de doctrine ; tout a péri dans les désastres subis par ce peuple, sentinelle à la frontière du monde civilisé. Les avalanches de hordes, qui renversèrent l’empire romain et créèrent la nuit du moyen-âge, ont toutes ravagé d’abord la Pologne, y effaçant jusqu’aux traces, jusqu’au souvenir de longs siècles d’une civilisation relativement avancée. Tout a péri, et l’on doit quelques maigres notions aux seuls prédicateurs de l’Évangile de nationalité allemande, toujours mal disposés pour les païens, toujours hostiles aux Slaves.

Dlugosz, dit Longinus (mort en 1480), est le premier auteur polonais qui ait songé à recueillir avec quelque soin les mythes religieux de sa race, cinq cents ans après la conversion au christianisme, c’est-à-dire beaucoup trop tard. Aujourd’hui, les traditions orales se réduisent, à peu de choses près, aux noms des antiques divinités, dont l’étude offre cependant quelque intérêt, parce qu’autrefois on les commentait obstinément à l’aide de réminiscences gréco-latines, gothiques ou védiques. Je m’efforcerai d’examiner seulement les faits en eux-mêmes.

Si grandes que puissent être les altérations phonétiques après une si longue série de siècles, une oreille slave, à l’audition des noms de ces vieilles divinités, ne tarde pas à reconnaître qu’ils forment deux catégories distinctes : les noms intelligibles pour quiconque possède à fond une langue slave, et ceux, plus nombreux, qu’on répète de mémoire sans les bien comprendre. Il y a là sans doute une preuve suffisante de la double origine de l’ancienne religion slave, un fond national à terminologie nationale, et une addition d’éléments exotiques provenant, selon toute apparence, de la population indigène absorbée à la longue avec ses institutions, après une sélection, à laquelle les plus civilisés ont dû apporter le contingent le plus fort.

Le terme qui domine le premier groupe et qui a toujours dominé les conceptions religieuses des nations slaves, c’est le nom propre de l’Être suprême. ; Bóg (et Boh, Boug, Big, Bih, = Bhaga dans les inscriptions persopolitaines), radical formé de deux consonnes pures, termes définissants (qui étant ici les termes extrêmes de la gamme parlée, la résument en quelque sorte), liées en verbe par une voyelle variable. Le nombre et l’importance des dérivés que ce radical a donnés au dictionnaire 2 feraient présumer déjà que les anciens Slaves n’avaient point d’autre dieu que leur Bóg, qu’ils étaient monothéistes. Mais il existe une double attestation de ce fait unique, si l’on met à part les religions d’origine sémitique. Au VIe siècle, Procope, secrétaire de Bélisaire et historien réputé exact et judicieux, s’exprime ainsi, suivant le texte reproduit dans les Antiquités slaves de Szafarzyk :

« Les Slaves,.... qui se sont toujours gouvernés démocratiquement,.... reconnaissent un seul dieu (θεὸν μέν γάρ  ὲνα....), créateur du tonnerre et maître de l’univers ; ils lui sacrifient les bœufs et autres victimes. Ils n’admettent pas le destin, ne lui accordent aucune influence sur le sort des humains. Lorsqu’en maladie ou à la guerre, ils se croient menacés de mort, ils promettent des victimes à Dieu, et, hors de danger, ne manquent pas d’accomplir ces vœux, auxquels ils attribuent leur salut. Cependant, ils rendent un culte aux fleuves, aux nymphes, aux démons.... »

Six cents ans plus tard, Helmold, ecclésiastique et missionnaire allemand, raconte dans sa Chronique, que « tout en attribuant des divinités aux champs, aux bois, aux plaisirs et aux peines, les Slaves reconnaissent un seul dieu suprême au ciel, qui commande aux autres et ne s’occupe que de choses célestes. Il a distribué entre ses descendants les ministères qu’ils remplissent ici-bas, leur accordant d’autant plus de pouvoir qu’ils lui sont plus proches. »

Le mélange de polythéisme qu’on y remarque représente bien probablement l’apport de ces Tchuds, incorporés sans résistance, mais qui ont su, en revanche, imposer leurs usages et leurs coutumes, puisque les institutions de premier ordre dans l’ancienne Pologne, comme obec et sejm (assemblée, de la commune et parlement du pays), avaient des noms ouraliens. Cependant Bóg ne fut jamais désavoué ou oublié ; il régnait encore sur les lèvres des Ludiers, lors de leur union avec les indigènes de la Gaule, puisque ceux-ci, sous l’influence de sentiments provoqués par l’invasion, en ont fait leur diable ! Puka en irlandais, Bug en gallois, Bigr en français (bigot atteste que l’r de ce dernier est adventice, comme en polakr).

Lorsque par la suite le polythéisme prédomina en Slavie, on accola le nom de Bóg au nom de plusieurs divinités nouvelles, dont la principale fut Bel ou Belen, dieu-soleil probablement, mais dont les attributions jusqu’à ce jour n’ont pas encore été suffisamment établies. Son culte a laissé chez les Slaves, comme chez les Celtes, des traces profondes. Aujourd’hui encore, tout ministre du culte s’appelle, en Irlande, au pays de Galles, comme en Bretagne, Belek, « serviteur de Bel », dit Ausone, qui en fait un synonyme de druide. En Pologne, toute femme est Beloglova, tête protégée de Bel, tête sacrée. Après l’introduction du christianisme, lorsque Bel fut oublié à son tour, le besoin de comprendre, qui gouverne souverainement la philologie populaire, a changé belo en bialo-glova, tête blanche, « à cause de l’habitude, dit-on, des Polonaises de porter des bonnets blancs ». Si généralement admise que soit cette explication, elle n’en est pas moins spécieuse. Les coiffes immaculées des Polonaises et des Bretonnes marquaient peut-être leur dévotion envers un dieu présidant aux mariages ; le bonnet blanc est encore le privilège et la marque de la femme mariée, au moins en Pologne. Mais bel ou biel s’appliquait fort bien à des objets qui n’avaient rien de blanc, par exemple à la jusquiame noire, bieluń en slave, beleńo en espagnol, le narcotique préféré, la morphine de la gent préhistorique, dédiée à cause de cela au dieu de la médecine. En Bretagne, Bel a subi de ce chef une métamorphose non moins singulière ; la jusquiame y devient l’herbe de Sainte Apolline : Louzaouen santez Apollina. Si le sens est en défaut, la consonance reste l’écho fidèle des antiques croyances, palpitant encore sous le poids des siècles.

Bref, grâce à ces quiproquos, le sexe faible est devenu en Pologne le sexe blanc (comme si l’autre n’était pas de la même couleur). En France, c’est le beau sexe qui l’a emporté ; personne n’a protesté contre une épithète si bien trouvée et adoptée bientôt dans tous les pays civilisés. Mais les belles-mères auraient-elles le privilège de rester toujours belles, comme Hélène ? Quelles guerres en perspective ! Heureusement il n’en est rien !

C’est encore avec le nom de Bel, gardien sévère de la vertu dans les familles, qu’on a distingué en bloc toute la parenté par alliance, non par flatterie, mais afin de la prémunir contre les tentations, comme avec un bouclier. Aucun doute à cet égard ! la loi anglaise a mis les points sur les i en déclarant mutuellement inépousables ces beaux et ces belles.

Un titre tout pareil, témoignage de respect, est décerné en Auvergne au bisaïeul : Rerebelé (rerè-arrière) ; chez les Basques au trisaïeul : Tokilabilaso (To père en langage enfantin, kila, arrière, bialasy archi-blanc, forme emphatique de bialy). Chez les Estoniens, le maître du tonnerre était Wana Issa, blanc-père, et les Scandinaves désignaient la Pologne sous ce nom : Wana-Heim, blanche-terre, effets de la diffusion au-dehors du culte du Belbog, on pourrait dire de son rayonnement.

Bel avait, parmi ses lieutenants, Dzievan et Dzievanna (le fiancé et la fiancée) ; l’Olympe Scandinave adopta ces Wanir (demi-dieux blancs) sous le nom de Freyr et de Freyja, exemple peut-être unique, parmi les cultes païens, d’une semblable adoption qui touche au prosélytisme.

En somme, Bel affectait le titre de dieu blanc comme nos papes et nos empereurs ont choisi cette couleur en signe de leur autorité, de leur pouvoir, de leur dignité, (choses qui se traduisent en breton par beli). Mais l’habitude de célébrer un dieu blanc donna l’envie d’un noir. Saint Otton, le même qui mit le feu à Stettin, avait emporté de la Poméranie, comme trophée de ses victoires apostoliques, une idole qu’il fit placer dans le portail de la cathédrale de Bamberg. Elle y est encore. On a prétendu récemment y reconnaître un taureau et y déchiffrer l’inscription Czern boh, dieu noir. On a mis bien du temps à s’en apercevoir et on a mal vu, car ce nouvel Ahriman, à longue oreille plate et pendante (on ne lui en voit qu’une), est un chien, et jamais un dieu n’aurait admis cette apparence. C’était peut-être le diable, mais nullement le principe souverain du mal, prêché seulement au VIIe siècle par les disciples de Mânes aux Slaves des Balkans, déjà convertis au christianisme.

Pour en finir avec Bel, il reste à constater que c’est bien lui, et non pas un autre, qui était le dieu suprême des Slaves et des Celtes. Il semble qu’on avait conçu et qu’on sanctifiait en lui l’idéal de notre race, que la chevalerie s’efforça de réaliser au moyen-âge. C’était le dieu de la guerre, qui est, de par la voix unanime des peuples Aryas, le champ d’honneur et l’école de l’héroïsme : Bela, combattre, en breton ; bel ou beli, guerre, en irlandais ; en grec (où il fait double emploi avec Tόζον), Bελος, flèche, et flèche du tonnerre, n’y serait-il pas exotique ? On hésite moins à s’en prendre au bellum, le celtique paraissant en Italie antérieur au latin. On dit, il est vrai, qu’il suffit de retrancher le d et de changer l’u en b pour faire bellum de duellum ; mais Festus n’était pas de cet avis et préférait déduire bellum à belluis, parce que, dit-il, s’entre-déchirer à mort est l’affaire des bêtes brutes.

Belbog personnifiait l’autorité et la majesté souveraine. Beli en breton, weleba et weliczje en slave. Aussi les chefs de nations se paraient-ils de son nom : Decebela, dernier roi dake ; plusieurs Bela rois de Hongrie, Bolesław, rois polonais 3, etc.

C’était le dieu de la médecine, l’omniscience des anciens. Beleño, jusquiame ; Belendek, m.-stramoine. La belladone enfin, d’où l’on extrait l’atropine, ne peut avoir rien de commun avec les jolies femmes. Remèdes héroïques, comme ils le sont encore, connus déjà à cette époque reculée : voilà ce qui paraît indubitable, tout surprenant que cela soit.

Nous savons qu’il était protecteur et gardien de la famille. Quelle profonde admiration ne devons-nous pas avoir pour ces lointains Ancêtres qui ont imaginé de telles choses ! Quelle hauteur de vue et quelle bonté tendre et généreuse dans les sentiments, qui ont porté les hommes à couvrir du nom divin le sexe faible pour le faire respecter, et à envelopper en quelque sorte l’extrême vieillesse de l’auréole du maître des cieux, afin de la rendre sacrée !

La mythologie, il faut le reconnaître, n’y a rien compris. Ce n’est point Belbog qui est la divinité suprême des auteurs : c’est Yessé, sans autre raison, je le crains, que la lointaine ressemblance de son nom avec Yovisz, Jupiter, en polonais. Actuellement Sviatowid tient la corde, son nom (travesti) indiquant qu’il surveille le monde.

Cependant ni l’un ni l’autre n’ont droit au premier rang. Yesse en polonais, Khasen en tchèque, Hesus en celtique, c’est Esi-Isö, premier père, le père du genre humain. Je l’ai trouvé dans le dictionnaire suomi, et j’ignore sa légende ; mais on sait que l’œuf, symbole de création, d’éclosion, de naissance, joue un grand rôle dans celle de Hesus. Quant aux pays slaves, la légende y est toujours en plein exercice, quoique rattachée à une grande fête liturgique. À Pâques, tout bon Polonais ouvre sa maison à tout venant et, avant de le conduire à la table du festin, somptueuse chez les riches, réduite chez les pauvres à un œuf, accompagné, s’il se peut, d’un cochon de lait rôti et tenant dans le groin un chrzan (le cran de Bretagne), il offre au convive et prend lui-même une parcelle d’œuf, cette communion entraînant un échange empressé de vœux, de souhaits, de compliments. C’est le bénit (ṡwięcone), observé chaque printemps, depuis bientôt mille ans, en l’honneur de l’Agneau pascal et, durant quelques milliers d’années antérieures, en l’honneur de Yessé, de Hesus, ou d’Essi-Isö ; c’est tout un.

Sviatovid est le seul dieu slave qui eut la chance d’être connu et décrit par un grand clerc sachant le latin et dont les images nous soient parvenues. Voici en substance le récit de Saxo Grammaticus :

« Il y avait dans l’île de Rugen, à Arcona, un temple en bois orné de sculptures et peint de vives couleurs ; à l’intérieur, on remarquait une enceinte séparée, formée par des parois d’étoffes brillantes suspendues à quatre colonnes ; dans ce sanctuaire se dressait une statue en bois, colossale, à quatre têtes tournées vers les quatre points de l’horizon ; elle tenait dans la main droite une corne artistement ciselée en divers métaux remplie d’hydromel ; à côté, quelques objets appartenant à la divinité : un grand sabre, la selle et la bride du cheval blanc nourri dans le temple, auquel on ne pouvait sans crime arracher un poil, et que parfois cependant on trouvait le matin couvert de boue et d’écume. On croyait du reste savoir que l’idole combattait, montée sur ce blanc étalon, les ennemis de son culte.

« Un certain jour, après la moisson, le grand prêtre nettoyait le tabernacle lui-même, en retenant son haleine. Le besoin de respirer devenait-il irrésistible, il faisait un saut hors de l’enceinte sacrée, dans laquelle il rentrait pour achever sa tâche après avoir aspiré une nouvelle provision d’air. Le lendemain, en présence du peuple assemblé autour du temple, le pontife retirait la corne de la main du colosse et en examinait le contenu. L’hydromel de l’année précédente avait-il diminué, la récolte prochaine risquait d’être insuffisante, et le prêtre engageait vivement le peuple à ménager ses provisions. Il vidait alors la coupe aux pieds de l’idole, et, l’ayant remplie de nouveau, adressait un discours édifiant à l’assemblée et une prière à Dieu, le suppliant de protéger la Patrie et de favoriser son peuple fidèle ; après quoi il faisait mine d’offrir la corne à l’idole, mais en avalait le contenu d’un trait ; puis, l’ayant une fois de plus remplie, il la replaçait dans la main de la statue pour servir à l’augure de l’année suivante. Cette cérémonie était suivie d’un banquet auquel tous les fidèles prenaient part ; il ne convenait pas d’y faire parade d’une trop grande sobriété ; quelques excès modérés en tout genre ne déplaisaient pas à la divinité. Mais, en revanche, les fidèles lui devaient une pièce d’argent par tête et par an, des offrandes et des sacrifices lorsqu’ils avaient besoin de la consulter. Ces offrandes affluaient de loin, de la part des peuples et des monarques. Le roi de Danemark, Sven, n’ayant donné qu’une corne, finement travaillée d’ailleurs, ne tarda pas à expier par une mort misérable ce manque de munificence. »

Lelewel raconte que, dès l’année 1070, existait en pays slaves la coutume, ayant presque force de loi, de ne rien entreprendre d’important sans consulter le temple d’Arcona, fomes et sedes idolatriae, dit Helmhold. D’aucuns prétendaient (des ennemis à coup sûr) que toutes ces sources de revenus ne suffisaient pas à Swiatowid, avide de thésauriser les métaux précieux et les objets de grande valeur. Aussi, afin d’accroître ses trésors, avait-il à son service trois cents cavaliers qui recueillaient le butin pendant la guerre et quelquefois aussi durant la paix.

En 1168, Valdemar-le-Grand, allié aux princes d’Allemagne, prit la ville, qu’il accusait d’être un repaire de pirates, et saccagea le temple, après en avoir vidé le trésor et enlevé une statuette du dieu en bronze qui, paraît-il, existe encore au musée de Copenhague. Quant au colosse, il fut traîné, la corde au cou, par les soldats de Valdemar, puis brisé à coups de hache ; à peine fut-il réduit en morceaux que le démon qui l’habitait s’en échappa sous forme d’une bête noire qui disparut subitement à tous les yeux, et onques personne ne l’a revue depuis.

En 1848, on retira de la rivière de Zbrucz, affluent du Dniestr, une statue de Swiatowid, en calcaire grossier, transportée plus tard à Cracovie, et qui présentait quatre têtes coiffées d’un seul bonnet. C’était là apparemment une façon d’en proclamer l’unité divine, le nombre traduisant la puissance intellectuelle. D’ailleurs, l’Olympe slave comprend aussi des divinités à trois, à quatre, à cinq et même à sept têtes. Celles de Swiatowid ont donné lieu à diverses interprétations. En premier lieu, les quatre têtes symbolisaient les quatre parois célestes ; cette idée a dû se faire jour de bonne heure, car c’est elle qui fit de Swiatowid un inspecteur général de l’Univers ; mais aucun des attributs de la statue d’Arcona ne la confirme, et encore moins l’air simple et bonasse de celle de Cracovie. D’autres ont voulu voir dans les quatre têtes les quatre semaines du mois, mais tydźień, tiz-den, semaine en slave, c’est dix jours, une décade, et le mois n’en avait que trois. Enfin on a songé aux quatre saisons de l’année, ce qui serait acceptable, s’il fallait absolument voir dans la multiplicité des têtes divines une allusion à un quatuor quelconque sur la terre. Les consultations agricoles d’Arcona et le nom même de la divinité correctement épelé ne laissent guère de doutes sur ses attributions. Swiatowid se nommait chez les anciens chroniqueurs Svantevit ; or, en magyar, szántόveţö (labourant, semant), signifie campagnard, agriculteur. Il faut prononcer saantooveteu ; le slave ne pouvant souffrir plusieurs longues dans un seul mot a bouché le premier hiatus avec un v parasite et laissé tomber la finale, de là : Svantovet changé par euphonie en Svantevit, protecteur de l’agriculture et ami des paysans, ce qui est une bonne raison d’être honoré par tous les Slaves. D’Arcona au Zbrucz, il y a plus de 1,000 kilomètres, grand empire, unique peut-être de cette envergure pour un dieu rustique !

Parmi les divinités de second ordre, trois au moins méritent une mention particulière :

Znicz, feu entretenu constamment sur les autels de Niia, déesse de la terre. Il faut croire qu’on ajoutait mentalement : natale, déesse de la terre natale, car Znicz, symbole de sa perpétuité, éveille encore de nos jours dans les âmes polonaises une émotion presque religieuse.

Żywie, ea quæ vitæ auctor habebatur, dit Parkosz, grammairien polonais, né à la fin du XIVe siècle. Force vitale, puissance mystérieuse qui a peuplé le monde sans pouvoir pénétrer dans quelques cerveaux étroits. L’idée qu’on s’en faisait apparaît dans le nom donné (ou pris) à Żywica, résine de pin qui coule de l’arbre en l’épuisant comme le sang d’une blessure et brûle avec une flamme ardente. Il semble que Żywie était pour eux un feu caché. À son temple, sur la montagne de Żywiec, affluaient, au mois de mai, les pèlerins de tout le pays réclamant la santé. Celui d’entre eux qui, le premier, entendait chanter le coucou, faisait l’offrande au nom des autres. C’est la raison pour laquelle on ne tue pas, en Pologne, le coucou, mais c’est peut-être l’intérêt agricole qui prenait déjà ce biais, et on y compte avec anxiété les coups de gosier du premier qu’on entend, leur nombre indiquant celui des années à vivre. Dès lors, l’oiseau prophète est devenu le confident des cœurs mélancoliques ; mais, dans ce cas, il change de nom : coucou devient zuzula.

Lel-Polel, Castor et Pollux pour les uns, à cause du nombre des l et de la dualité (apparente) du nom slave. Pour d’autres, le soleil et la lune.

Mais le vulgaire n’admet pas encore que toutes les religions soient des traités d’astronomie. On est plutôt porté à croire que tout ce qui a remué profondément l’humanité a pu, avec le temps, se transformer en mythe religieux. En déchiffrant ces mythes, momies de la parole, on aurait chance de reconnaître et de classer les périodes psychologiques des premiers jours.

Quoi qu’il en soit, lorsqu’il s’agit, comme pour Lel-Polel, de scruter le sens d’un mot absolument isolé, il faut avant tout, laissant de côté grec et latin, s’adresser à son propre dictionnaire, au slave d’abord, et ensuite aux idiomes qui ont précédé celui-ci :

1o Lelkovati, se lamenter, con voce alta et lugubre, dit le dict. de Raguse. Lelis, crapaud volant. Lelek, divinité infernale. Lelum-Polelum, dicton polonais stigmatisant l’indolence. Pelele (en espagnol) force d’inertie ; Lelo, simple, idiot, mou.

2° En magyar : Lelek, âme, esprit. Leterö, force d’invention, génie. Lelö, inventeur. El, vie. Elel, vivre. Öl, tuer.

3o En finnois : Lellu, marais mouvant. Lälli, chose molle et vile. Lölli, idiot et mou. Ällä, stupéfaction.

Ces derniers termes donnent la clef des mots slaves signifiant l’indolence ; les autres expliquent les significations plus ou moins sinistres. Lel-Polel divinisait peut-être le type intellectuel et moral de l’homme même. D’ailleurs tout ce qui nous paraît force semblait divinité aux anciens. Le nom, en apparence double, symbolisait probablement la lutte du bien et du mal au fond de la conscience ; c’était peut-être une allusion à l’hypothèse psychologique du peuple slave, qui paraît attribuer au moral deux principes indivis, mais divisibles et séparés parfois : duch et dusza, l’esprit et l’âme. Ce n’est pas cette dernière qui est censée de faire les revenants ou les loups-garous, c’est le duch, source d’énergies de toutes sortes.

Je ne me dissimule pas l’insuffisance de ces conjectures. La famille ouralienne, si réduite qu’elle soit, compte encore une vingtaine de langues, dont deux ou trois à peine nous sont accessibles. Parlées par des peuplades amies, mais nomades, ces langues s’entremêlèrent dès la plus haute antiquité, d’où une sorte de promiscuité qui se révèle dans l’unité relative des plus anciennes nomenclatures européennes. Mais ces mêmes langues ont cessé d’avoir des rapports entre elles depuis tant de siècles, qu’il existe maintenant entre elles un abîme qui n’est pas franchi sans danger, – le danger de prendre le Pirée pour un nom d’homme.

Les Géants. – L’auteur d’une mythologie slave réputée en Allemagne, Konrad Schwenk, en fait une engeance infernale : « Die Riesen sind ursprünglich die Geister der Unterwelt. » Cependant les géants slaves étaient positivement des hommes en chair et en os. On assimilait déjà les Obr, géants tchèques, aux Avares à cause de l’analogie phonétique, mais Olbrzym (polonais) et Hoborski muż (sorabe) ne se prêtent nullement à cette assimilation. Ce dernier ne fait que traduire mot à mot Obermann, le supérieur, le maître allemand : géant, en ce temps-là, était synonyme d’épouvantail. La première voyelle d’Obermann, ne pouvant demeurer longue en slave de l’occident, a déterminé en tchèque la chute de la troisième, d’où ober et obr. Elle a pris en sorabe un h prosthétique et en polonais un l, où les deux dernières syllabes se sont contractées en une seule. Importé en celtique, olbr s’est développé en aluber, « usurpateur, celui qui, par violence ou par ruse, s’empare du bien qui ne lui appartient pas ». C’est Legonidek qui le dit. Postérieurement, le dictionnaire français a tiré d’Obermann hobereau, oiseau ou gentilhomme de proie ; mais ce n’est plus de la mythologie, c’est de l’histoire.

Reste à signaler dans les coutumes des populations modernes les derniers vestiges des cultes éteints : Znahor, connaisseur de tous les secrets, découvreur de trésors, etc., devait en être, puisqu’on retrouve en Espagne ce fléau des villages slaves. En passant les Pyrénées (avec les Celtibères sans doute), il a perdu une lettre de son nom, sans cesser d’être reconnaissable : Zahori, en espagnol, « celui qui a la vertu de découvrir tout ce qui est caché, même sous terre, pourvu qu’il n’y ait point de tapis bleu par-dessus ».

En Pologne, l’église réussit à anéantir la plupart des pratiques superstitieuses, en tolérant ou en s’appropriant ce qui semblait trop difficile à extirper. Ainsi, la veille de Noël, on célèbre l’ancienne fête du solstice d’hiver. Après un grand souper, composé de poissons, de fruits, sur une couche de foin en souvenir de la crèche, le maître va embrasser les arbres de son jardin, afin qu’ils donnent, l’année suivante, des fruits abondants. Les jeunes filles courent demander à grands cris aux échos d’alentour de quel côté viendra le bien-aimé. À Pâques, le bénit déjà mentionné, agapes universelles, ne laisse pas d’être un témoignage certain, touchant, de l’antique égalité et de la bienveillance moderne. Le lundi de la fête, les jeunes gens se jettent à l’improviste des brocs d’eau ou des flacons d’eau de Cologne, selon le milieu. La cérémonie, plaisamment décrite au seizième siècle par « le sieur de Beauplan, ingénieur et capitaine de l’artillerie du sérénissime roi de Pologne », s’appelait Dyngus. En lituanien, dangus, ciel. Les chants qui l’accompagnent chez les Yugo-Slaves donnent à penser que c’était une manière de solliciter la pluie. À la Pentecôte, on jonche le sol autour des maisons de feuilles de calamus aromaticus, en polonais Tatarak. Dans le Forez, c’est la crête de coq, autre mauvaise herbe encombrante qui se nomme Tartareji. En Auvergne : Tatar, porc, cri pour appeler les porcs : souvenirs haineux des invasions qui ont plus de cent fois ravagé les marches de la Pologne et qui ravagèrent l’Europe jusqu’aux Pyrénées, du moins tant que la route resta libre. À la Saint-Jean, les feux s’allument de tous côtés ; on danse, on traverse les flammes en sautant et en criant : Sobudki ! Sobudki ! On criait : Σαβοῖ, ἐνοῖ σαβοῖ ! aux fêtes de Bacchus (Bokehös, m., héros de la paix, libérateur), surnommé : Liber, Soter, Sabadios ou Sabazios, toujours sauveur, libérateur, (Szab, m., trancher ; ado, tribut, d’où szabad, m., svoboda, sl. délivrance, liberté (et liesse !). C’est ce qu’on acclamait dans la Grèce primitive et c’est ce qu’on acclame sur les rives de la Vistule. Dans le Forez, on crie autour de ces feux : Rali ! Ralo ! (ralo, chef de brigands en m.), en faisant parader Karamantran, « personnage, dit Rabelais, ayant les œils  plus grands que le ventre et la teste plus grosse que tout le reste du corps, aveques amples, larges et horrifiques machoueres endentellées tant au-dessus comme en dessoubs » ; finalement, on le lance dans le feu. À Paris, sur la place de Grève, c’est un sac rempli de chats vivants qu’on jetait dans les feux de la Saint-Jean, que le grand-roi, suivi de toute sa cour, ne dédaignait pas d’allumer lui-même.

De la ressemblance, de la diffusion et de l’ancienneté de ces pratiques, ne doit-on pas conclure qu’il s’agit là d’un fait d’histoire réelle, retenu dans la mémoire des populations primitives, dont l’oppresseur, un Karakhan quelconque, surpris derrière la ligne des feux abritant son campement, fut vaincu et brûlé vif ? Victoire décisive du labourage sur la vaine pâture, célébrée religieusement d’âge en âge, parce qu’elle a procuré à l’Europe, après des siècles de luttes abrutissantes et stériles, une sécurité relative, qui suffit à ouvrir l’ère bénie du progrès incessant de l’humanité. Bien entendu, en diverses contrées, on allumait et on allume encore les feux de la Saint-Jean par imitation, en l’absence de tout souvenir historique. C’est, en Allemagne, un préservatif contre la peste ou contre la grêle. C’est un moyen de rendre aux vaches russes le lait supprimé par les sorcières, ou une occasion de cueillir la fleur de fougère qui permet aux voleurs de se rendre invisibles. Les mythologues y voient autant d’autels élevés au culte solaire.

Pour clore cette récollection de débris oubliés des langues d’autrefois, déjà bien longue, je le crains, encore un mot formulant la première chose commune aux Slaves et aux Celtes, et qui en est demeurée la dernière.

Meel, Mieli, dans les idiomes ouraliens, poitrine, cœur au physique et au moral, d’où une foule de mots relatifs à la constitution de l’être humain : mel, meil, miäl, mely, etc., sens intime, raison, volonté, intelligence, tout le moral de l’homme ; mölyan, möllitelen, élever une grande voix, évoquer l’écho ; miellyn, mielitten, se laisser fléchir, fléchir quelqu’un, le rendre indulgent, bienveillant. En polonais, miły, cher et charmant, miłoṡć, amour, charité. Or prier et prière, c’est :

Meuli, Meuleudi, en breton.

Moli, Molud, en gallois.

Molaime, Moladh, en irlandais.

Mellein, Melodi, Mellach, au pays de Vannes.

Moliti, Molitva, en vieux slave.

Maldyti, Malda, en lithuanien.

Modlić się, Modlitwa, en polonais.

Moleduvati, Molba, Molitye, chez les Yugo-slaves, etc.

À ces verbes vénérables, dispersés aujourd’hui, mais si proches de forme et de fond, donner pour racine :

« Sanscrit Mr. terere »

N’est-ce pas le comble de l’étourderie ? Jamais prier, n’a voulu dire : écraser, broyer, piler, (... des patenôtres, sans doute ?).

Les termes celtiques et slaves, qu’on pourrait facilement doubler et tripler, proclament avec toute l’éloquence possible, que prier, c’est élever du fond du cœur des accents cherchant au ciel un écho.

Il y a des nuances : chez les Celtes, la reconnaissance domine, ils sentent qu’ils doivent louer Dieu. La prière slave est un miserere. En polonais, en tchèque, en sorabe, l’adjonction du pronom rend le verbe réfléchi et la prière devient, par surcroît, une promesse de réforme. Toujours est-il qu’en Slavie, comme en Celtique, dès l’origine de ces paroles, témoins irrécusables de l’état des esprits, deux ou trois mille ans avant notre ère, les âmes bonnes et simples trouvaient dans l’aspiration vers Dieu le pain de la vie. Avant le règne de la force, inauguré avec le bronze, le fond religieux de nos ancêtres ne consistait point en couteaux pour les sanglants sacrifices, mais en élans d’amour, et si le sentiment du divin donne la véritable mesure de l’âme, la leur valait bien la nôtre.

 

 

F. MICHAŁOWSKI.

 

Paru dans le Bulletin polonais en 1890.

 

 

 

 

 



1 Revue politique et littéraire, 1869 – p. 620.

2 Bożnica, temple ; nabożenswo, culte ; pobożny, dévot ; beȥbożnik, athée ; bogaty, riche ; ubogi, pauvre, et nombre d’autres occupant six pages in-4o dans la nouvelle édition de Linde. Il faudrait serrer de plus près la dérivation considérable par métaplasme, par aphérèse, par métathèse. Par exemple : (B)ogieṅ, le feu, parce que Bóg et Ogieṅ étaient synonymes (V. Cod. Supr. ed. Mikl. p. 16, ou Linde, I, 135), – Ag, Vag, et Bag, le feu dans les langues modernes de l’Inde ; en Kavi, Agnis ou Brahma, comme en slave, ce qui donne à croire que le feu semblait un don ou une force divine. De bagniti, agneler, l’agneau : (b)agnie, richesse de berger, comme ȥboże (blé), richesse du laboureur, etc. Dans les Radices slovenicæ de Mikl., Gobeiti s. feracem esse ; gobȥovati, prospere succedere, à goth. gabigs quod Bopp a ser. bhaga derivavit. Govieti, religiose vereri. Goubiti, perdere, etc. En suivant ainsi la dérivation jusqu’au bout, on ferait le tour du dictionnaire, on constaterait que Bóg en est le centre, le pivot, la vraie racine.

3 Bole pour Bela ; sław en pol,, sley en celt., contraction de szület-öye, m. proles ejus, fils d’un tel.

 

 

 

 

 

 

 

 

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